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Jonathan replonge dans de sérieux ennuis : serait-il victime d'un coup monté ?
Décidément, pour Jonathan Fauvel, le destin n’a pas prévu une vie au long cours tranquille. Dans ce second opus, il replonge dans de sérieux ennuis. Accusé du meurtre de Lisa, une jeune docteure avec laquelle il aurait eu une liaison amoureuse torride selon plusieurs témoignages, Jo clame son innocence malgré des preuves accablantes, découvertes sur la scène du crime. Il est arrêté et emprisonné. Alors qu’il dénonce un coup monté, Audrey, devenue son épouse, ne croit pas du tout à la trahison de son mari. En revanche, elle pressent que Jo cache une information capitale sur la nature de ses rencontres avec Lisa, mais qu’il ne veut la partager avec personne, pas même avec sa femme. Cédant à l’insistance d’Audrey, Jo lève enfin le mystère. Sous un éclairage différent, l’enquête prend un nouveau tour, éveillant l’inquiétude des monstres tapis dans l’ombre. Survient alors le chaos ! Sous les cendres, plus rien ne sera pareil !
Dans ce second opus, retrouvez les (més)aventures de Jonathan Fauvel, et suivez les investigations de son épouse, la lieutenant Audrey Tisserand, bien décidée à prouver l'innocence de son mari.
EXTRAIT
— Ça dépend… Si c’est ton petit camarade Berthonnier qui t’a fait son rapport sur notre entretien de travail et que tu viens me parler des affaires du groupe, c’est non !
— Mais Jo ! Personne ne peut plus te parler normalement. Tu es froid et dur avec tout le monde… avec tes amis… avec moi… Tu n’as même pas essayé d’écouter Jean.
Elle était au bord des larmes, mais ne lut aucune compréhension, aucune émotion dans les yeux de son mari. Au contraire, son regard s’était encore durci davantage.
Comment avait-il pu devenir ce monstre de froideur ?
— Non ! Je ne me plierai pas aux orientations absurdes défendues par Jean Berthonnier !
— Jo…
— Non ! Je ne veux plus t’entendre parler de ce sujet ! Ça ne te concerne pas ! Je mènerai les réformes de structures que j’ai décidées !
— Et peu importe tous les gens que tu vas licencier, les grèves que tu risques de déclencher et le chaos que cela va engendrer ! s’emporta Audrey, ulcérée. Je ne te reconnais plus, Jo ! Tu es en train de te perdre !
A PROPOS DE L'AUTEUR
Jacques Minier, Breton né en 1958 à Saint-Brieuc, vit à Trégueux, ville de l’agglomération briochine. Instituteur puis professeur des écoles, maintenant retraité, il se met à l’écriture de romans policiers. Dans ce second volume, l’intrigue se déplace de Saint-Malo à Rennes, nouveau théâtre d'événements et de coups du sort inattendus, où les affaires de Jo l’ont mené depuis qu’il a accepté l’héritage Kergoat.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
– À ma femme Michèle, pour sa disponibilité à me relire et ses conseils avisés.
– À mon beau-frère Pierrick, capitaine de gendarmerie, ainsi qu’à ses collègues, pour m’avoir fait si bon accueil à la brigade de recherche de Saint-Brieuc.
– À toute l’équipe des Éditions Alain Bargain et son groupe d’auteurs enthousiastes.
Samedi 19 mars 2016, 20 heures 30 ; Rennes, centre-ville
Enveloppée dans un peignoir saumon, les cheveux ramassés sous une serviette, la femme sortit en coup de vent de sa salle de bains et attrapa la commande du téléviseur sur la table basse du salon. D’environ trente-cinq à quarante ans, grande et belle, même dans cette tenue, elle s’apprêtait à sortir pour la soirée avec son amant du moment, mais elle ne voulait surtout pas manquer l’événement télévisé qui allait suivre. Tant pis pour lui, il patienterait… ou s’impatienterait, se consumant d’amour pour elle ; cela n’en serait que meilleur pour la suite ! Elle alluma le poste et sélectionna la chaîne de télévision locale TV Roazhon pour le journal du soir. Le présentateur, Vincent Rousset égrena les titres de l’actualité brétillienne et conclut son introduction par la présentation de son invité.
— Et notre invité de ce soir : Jonathan Fauvel, auteur du livre L’héritage de plomb. Ce livre qui relate des événements tragiques vous concernant et fait beaucoup parler depuis sa sortie. Vous allez suivre le journal avec nous, Jonathan, et nous parlerons ensuite de votre ouvrage avec notre spécialiste littéraire, Karine Blin.
L’homme brun, assis à un pupitre face au journaliste, salua d’un signe de tête, ponctué par un « Bonjour et merci de votre invitation ! » enjoué. Même à travers le prisme de l’écran, il émanait de lui une grande séduction naturelle : ses larges épaules, ses yeux d’un gris-bleu très clair, sa mâchoire carrée donnaient une impression de force tranquille.
Quand le journaliste en eut terminé avec le dernier titre présenté, il s’adressa à son invité, alors que la spécialiste de la rubrique littéraire venait de prendre place à un pupitre à côté de lui.
— Jonathan Fauvel, vous êtes notre hôte de ce soir et vous êtes venu nous parler de votre livre L’héritage de plomb dans lequel vous témoignez de faits que l’on pourrait qualifier d’extraordinaires, survenus dans votre vie il y a près de deux ans. Karine et moi-même avons dévoré votre récit qui se lit comme un roman à suspense. Karine va vous livrer son sentiment.
— C’est tout à fait ça, Vincent ! J’ai été captivée par votre livre, comme si c’était un pur thriller ; on y trouve tous les ingrédients du genre : une enquête hallucinante, du suspense, de l’action à un rythme effréné, des rebondissements inattendus, un final incroyable… Bref, on ne s’ennuie pas une seule seconde ! Et pourtant cette histoire, c’est la vôtre ! Et ce qui vous est arrivé est terrible ! Alors, la première question que j’ai envie de vous poser, c’est : pourquoi avoir écrit ce livre ? Vous vouliez raconter vos exploits ?
— Non. Si seulement tous ces événements n’avaient pas été médiatisés, je n’aurais jamais écrit ce livre ! répondit Jonathan Fauvel. Cette idée ne m’avait pas effleuré l’esprit au départ mais l’affaire a commencé à être évoquée dans la presse et les médias se sont emparés de propos déformés ou même inventés de toutes pièces. C’est alors que j’ai décidé d’expliquer par écrit les événements que j’ai vécus et tenté ainsi de rétablir la vérité.
— Vous voulez parler notamment d’une certaine Nadia qui a répondu à une interview du magazine Vision pastel, d’une certaine presse à sensation, et qui a raconté, entre autres choses, comment vous l’avez rencontrée pour obtenir des informations sur l’un de vos agresseurs qui était aussi son petit ami ?
— Oui, Nadia, et d’autres aussi. Je ne lui en veux pas d’avoir cédé à l’appel des sirènes médiatiques. Elle n’a raconté à ce “torchon” que ce dont elle avait connaissance ; ce sont les journalistes qui ont dénaturé ses propos et échafaudé toutes sortes de scénarios qui n’avaient plus rien à voir avec les faits.
— Justement, ces journalistes ont évoqué une relation torride entre la pulpeuse Nadia et vous-même, ce qu’elle a vigoureusement démenti par la suite, intervint Vincent Rousset en arborant un petit air égrillard. Elle a d’ailleurs ajouté qu’elle avait éprouvé quelques regrets que vous n’ayez pas donné suite à votre rencontre.
— La belle Nadia a par ailleurs effectué un démenti sur plusieurs autres éléments avancés par les journalistes de ce magazine, reprit Karine Blin. Elle explique qu’il faut s’en tenir uniquement à la vérité, à savoir, comment elle a servi d’appât pour que vous tombiez dans un piège, et comment vous vous en êtes magistralement sorti.1
— Avec beaucoup de chance, dirais-je plutôt ! s’exclama Jonathan Fauvel. Mais j’ai pu obtenir d’elle pas mal d’infos, sans avoir abusé de sa vertu.
— Vous avez pris énormément de risques, commenta Vincent Rousset.
— Je n’avais pas vraiment le choix ! répondit Fauvel. J’avais été contraint de changer d’identité, car j’étais la cible de gens peu recommandables. Par la suite, j’ai été suspecté d’un meurtre ; il m’a fallu prendre quelques risques pour parvenir à prouver mon innocence. Cela dit, les risques étaient limités, car j’ai très vite compris que les personnes qui voulaient m’enlever ne voulaient surtout pas me blesser, encore moins me tuer.
— Vous avez tout de même affronté de grands périls pour libérer votre amie, devenue depuis votre épouse, et que vos agresseurs avaient enlevée pour faire pression sur vous, dit Karine Blin.
— Ce n’était pas si dangereux que ça pour moi en réalité. Encore une fois, ils ne voulaient pas me blesser ! affirma Jonathan Fauvel. Il me fallait faire ce que les autres n’attendaient pas et profiter de l’effet de surprise. C’était bien plus dangereux pour Audrey, ma femme maintenant : elle était leur otage et, une fois qu’ils n’auraient plus eu besoin d’elle, ils l’auraient tuée. Aller la chercher dans leur antre était la seule solution possible.
— Nous n’allons pas entièrement dévoiler ce que révèle votre livre, mais nous pouvons affirmer que vos futurs lecteurs ne s’ennuieront pas en le découvrant. Une fois qu’ils l’auront commencé, ils ne pourront plus le lâcher ! ajouta Karine.
— Merci à vous ! Mon désir était de remettre simplement les choses à leur juste place.
— En tout cas, merci d’avoir accepté notre invitation, intervint Vincent Rousset. Je pense que nous pouvons lui prédire un certain succès auprès du grand public. Une dernière chose avant que vous ne nous quittiez… Si nos renseignements sont exacts, vous avez accepté l’héritage Kergoat de Saint-Balanec, et donc de prendre la présidence du groupe industriel “Celarbrobreizh”, laissée vacante après le décès de votre frère Corentin Kergoat de Saint-Balanec. Vous n’en parlez pas beaucoup dans votre livre.
— J’ai tout d’abord voulu refuser cet héritage : je ne voulais rien recevoir de mon frère, de son groupe concerné par des affaires criminelles, de sa fortune en partie mal acquise. Puis, plusieurs personnes influentes et persuasives m’ont convaincu d’accepter, pour éviter le démantèlement du groupe, préserver son unité et maintenir les emplois. J’ai réinvesti une grande partie des fonds légués, dans de nouvelles réalisations et notamment, j’ai décidé de faire don au groupe de la résidence de Corentin Kergoat sur la Côte d’Émeraude à Plévenon dans les Côtes d’Armor. Autrefois, pour être soigné sur place, Corentin Kergoat, gravement malade du cœur, avait équipé sa maison d’une clinique équipée d’un bloc opératoire ultramoderne, d’une salle de soins et d’un laboratoire d’analyses. Tout naturellement, en tant que médecin, je me suis dit que ces équipements coûteux devaient être utilisés pour la recherche en biogénétique médicale de pointe. Pour encadrer juridiquement la structure, j’ai créé une fondation au sein du groupe : la Fondation BreizhBioGen.
— Vous n’aviez pourtant pas de formation dans la gestion d’entreprise et vous êtes médecin ! Comment arrivez-vous à gérer toutes vos activités ? Vous n’exercez plus votre profession ?
— Si, mais à temps partiel. Je me suis associé avec un jeune confrère pour continuer à faire fonctionner mon cabinet à Saint-Malo. Quant à la gestion du groupe Celarbrobreizh, dont le siège est à Rennes, j’ai nommé un directeur exécutif, mon ami Jean Berthonnier, un homme d’une grande compétence et en qui j’ai toute confiance. Je me repose entièrement sur lui, même si j’essaie d’impulser une nouvelle ligne directrice au groupe. Pour pouvoir suivre tout ça de plus près, ma femme et moi nous sommes venus nous installer à Rennes.
— Très bien ! reprit Vincent Rousset. Il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter de réussir dans tous ces domaines dans lesquels vous êtes engagé. Et merci encore d’être venu nous voir !
— Merci à vous de m’avoir reçu, conclut Jonathan Fauvel.
Dans son salon, la femme appuya sur un bouton de la télécommande pour éteindre le téléviseur. Elle resta songeuse un moment, le regard encore posé sur l’écran devenu sombre. Puis elle se leva et déambula dans la pièce ; toujours plongée dans le cours de ses pensées, elle se posta par habitude à la fenêtre pour jeter un coup d’œil distrait dans la rue La Fayette en contrebas. Elle ne voyait pas vraiment les passants sur le trottoir d’en face ; elle remâchait sa fureur en proférant entre ses dents serrées :
— Profite bien du temps qui te reste, Fauvel ! Ta fin est proche, même s’il faudra tout de même patienter avant que notre plan ne porte ses fruits !
1 Voir Traque mafieuse à Saint-Malo, même auteur, même collection.
Lundi 25 avril 2016, 20 heures 30 ; Plévenon (Côtes d’Armor), Centre de recherches en biogénétique BreizhBioGen
L’homme gara sa voiture sur le bas-côté de la route, à quelque distance du Centre de recherches, coupa le contact, puis attendit. Le bâtiment ultramoderne était situé très à l’écart de toute habitation et l’heure tardive ajoutait à la quiétude du lieu. La nuit n’allait plus tarder à tomber.
Dix minutes plus tard, il vit passer une berline de couleur sombre qu’il reconnut aussitôt. Il eut un petit sourire satisfait : pour le moment, son plan fonctionnait.
Après avoir jeté un regard circulaire sur les abords immédiats pour s’assurer que nul importun ne se trouvait dans les parages, il descendit de son véhicule dont il referma doucement la portière. Il était vêtu d’une combinaison étanche blanche de laboratoire et portait des gants et des surchaussures synthétiques, fixés sur le vêtement au niveau des poignets et des chevilles au moyen d’un fort adhésif. Il marcha d’un pas pressé jusqu’à l’entrée du Centre, franchit le portillon sur le côté, après avoir pianoté sur le clavier d’un digicode, puis remonta rapidement l’allée du parc vers l’entrée du bâtiment. Il passa devant le parking réservé aux véhicules du personnel, tout en s’assurant de la présence de la seule voiture qu’il espérait trouver encore là à cette heure. Il eut un petit sourire de contentement et se dirigea vers la porte vitrée de l’entrée. Prenant soin de ne pas se placer dans l’axe de la caméra d’entrée, il sortit quelques accessoires des poches de sa combinaison : une sorte de bonnet de nylon dont il se coiffa, un masque de chirurgien qu’il plaqua devant son nez et sa bouche et qu’il noua derrière la nuque, et enfin des lunettes protectrices qu’il appliqua hermétiquement autour de ses yeux. Ainsi, il était non identifiable et parfaitement “étanche”. Il se cacha néanmoins le visage derrière sa main droite pendant qu’il tapait à nouveau le code au boîtier de l’entrée.
La porte coulissa dans un léger chuintement. Il pénétra alors dans le bâtiment, passa devant le bureau d’accueil désert et se dirigea d’un pas vif vers le laboratoire. Il en franchit la porte à double battant tout en plongeant la main dans sa poche droite, en sortit un couteau à cran d’arrêt, déclencha le jaillissement de la lame et la plongea violemment dans la poitrine de la jeune femme qui venait de se retourner vers l’intrus en lui souriant. Il retira la lame et porta un nouveau coup sous le sein gauche, tandis que son regard croisait celui totalement hébété de sa victime. Celle-ci écarquilla les yeux sous le choc, cracha un flot de sang dans un spasme, puis s’affaissa lentement sur le sol carrelé du laboratoire.
Aussitôt, l’assassin se pencha sur elle, vérifia qu’elle ne respirait plus puis se redressa et alla jusqu’à l’évier d’une des paillasses du laboratoire pour laver sa main droite gantée, tachée du sang de sa victime. Il la sécha soigneusement à l’aide de serviettes de papier et sortit une petite boîte d’une de ses poches. Il l’ouvrit et en préleva une lamelle de plastique transparent de la taille d’une étiquette de cahier d’écolier, de laquelle il décolla le film adhésif avant de la diriger vers l’éclairage du labo : on y voyait assez imparfaitement une légère marque de doigt.
Il se pencha à nouveau au-dessus du corps de sa victime et appliqua délicatement l’adhésif sur le manche du couteau fiché dans la poitrine de la jeune femme, appuyant de légères pressions à l’endroit de la trace de doigt. Puis il retira lentement l’adhésif qu’il replaça dans la petite boîte avec la lamelle de plastique. Toujours à genoux, il sortit de sa poche une lampe stylo et éclaira le manche du couteau. Il distingua les stries de l’empreinte de doigt : le transfert était réussi. Il fouilla les poches de la morte, extirpa un trousseau de clés de l’une d’elles, se redressa et fourra la boîte et les clés dans les siennes.
Il examina une dernière fois la scène du crime, jugea que rien ne clochait et sortit du labo pour suivre un couloir jusqu’à une porte de bureau dont la plaque indiquait « Docteur Lisa Jézéquel ». Il sortit le trousseau de clés, appuya sur la poignée de la porte qui n’était pas fermée à clé, sans doute la docteure avait-elle à y retourner avant de rentrer chez elle. L’assassin entra dans le bureau, se dirigea directement vers une armoire réfrigérée servant à stocker et conserver les échantillons de diverses analyses de labo, l’ouvrit à l’aide d’une des clés du trousseau et parcourut fiévreusement des yeux les étiquettes des différents flacons et éprouvettes entreposés là. Son regard se posa enfin sur une petite fiole étiquetée « JF Cerbère 14 ». Il s’en empara d’une main tremblante et l’enfouit dans sa poche. Il referma à clé l’armoire réfrigérée, posa le trousseau sur le bureau, puis tourna l’écran de l’ordinateur vers lui. Il effectua une manipulation en quelques clics, s’empara d’un lourd presse-papiers en verre qu’il abattit à plusieurs reprises sur la tour centrale de l’appareil, en arracha le panneau latéral et en extirpa le disque dur qu’il mit dans sa poche. Puis il sortit de la pièce dont il tira la porte derrière lui.
Dans le couloir, il déchira le gant à l’extrémité de son index droit et se dirigea ensuite vers la sortie des locaux du Centre de recherches. Lorsqu’il passa devant la caméra d’entrée, il leva la main droite devant son visage pour le masquer. Puis il quitta le bâtiment, se hâta vers la sortie du parc tout en ôtant ses lunettes de protection ainsi que ses bonnet et masque de laboratoire. La nuit était tombée. Il franchit le portillon qu’il referma derrière lui et rejoignit sa voiture en courant. Il s’installa au volant, enleva les gants puis se contorsionna pour se défaire de ses surchaussures et de sa combinaison. Il enfourna le tout dans un sac-poubelle qu’il déposerait plus tard dans une benne à ordures à l’écart de ses activités habituelles ; il se débarrasserait aussi du portable de la jeune femme – qu’il lui avait dérobé plus tôt dans la journée – en le jetant dans une rivière sur son trajet de retour. Ensuite il démarra et quitta enfin les lieux.
Mardi 26 avril 2016, 6 heures. Plévenon, Centre de recherches génétiques BreizhBioGen
Comme chaque matin, Maria Lozac’h gara sur le parking du Centre la petite fourgonnette que son employeur, l’entreprise de nettoyage Toutonet, mettait à sa disposition. Elle coupa le moteur, sortit de sa voiture en soupirant à l’idée de la longue journée de travail qui l’attendait, et se dirigea vers l’entrée du bâtiment. À cette heure matinale, elle savait qu’elle était la première sur les lieux ; elle tapa le code sur le boîtier, désactivant ainsi l’alarme, puis entra. À son habitude, elle se dirigea vers le petit local servant à stocker le matériel d’entretien, en sortit les ustensiles nécessaires à sa tâche et poussa son chariot jusqu’au laboratoire, là où, chaque jour, elle commençait le nettoyage.
Maria poussa avec son chariot les battants de la porte du labo et y entra. Elle vit aussitôt le corps sans vie sur le sol carrelé, les yeux grands ouverts sur le néant, le visage étrangement noirci, le sang s’étalant sur la blouse blanche, le couteau fiché dans la poitrine… Elle porta une main tremblante à sa bouche pour étouffer un hurlement venu de la profondeur de son être, se mit à haleter, cherchant son souffle devant la macabre découverte. Elle tituba jusqu’au corps inerte, se laissa tomber à genoux en tendant les mains vers la victime, mais se retint toutefois de la toucher, car elle vit immédiatement qu’il n’y avait plus rien à faire. Elle se releva péniblement, marcha mécaniquement jusqu’au téléphone du labo et composa le 17 pour appeler la gendarmerie.
*
Deux heures plus tard, plusieurs voitures de gendarmerie et de pompiers étaient arrivées sur place. À la suite de l’appel de Maria, l’officier commandant la brigade territoriale de gendarmerie de Matignon s’était immédiatement porté sur les lieux avec deux de ses subordonnés après avoir prévenu les services de secours, mais tous n’avaient pu que constater la mort violente de la victime. Victime identifiée sans l’ombre d’un doute comme étant la docteure Lisa Jézéquel, chercheuse au Centre de recherches de biologie génétique dont on devait la création à Jonathan Fauvel, devenu président du groupe Celarbrobreizh à la suite de ténébreux événements1 qui avaient défrayé la chronique deux ans auparavant. L’affaire était donc hautement sensible ! L’information avait remonté toute la chaîne hiérarchique comme une traînée de poudre, jusqu’à l’officier général commandant de région à Rennes.
En attendant qu’un groupe d’enquêteurs soit constitué et puisse arriver sur place, les gendarmes de Matignon avaient tout d’abord interdit l’accès des lieux à toute personne étrangère à l’enquête, notamment aux employés du Centre. Il était en effet de première importance que la scène de crime soit préservée le plus possible jusqu’à l’intervention des TIC, les techniciens en investigation criminelle de la gendarmerie. Ils avaient ensuite commencé à recueillir les premiers témoignages auprès du personnel.
Puis la nouvelle était tombée, très rapidement : la SR, la section de recherches, de la gendarmerie de Rennes se voyait attribuer l’enquête, ce qui démontrait que, tout au sommet de la hiérarchie, on considérait l’affaire comme extrêmement délicate.
À l’arrivée du fourgon-labo de la Cellule d’Investigation Criminelle, une heure plus tard environ, les techniciens en descendirent, équipés de leurs combinaisons spéciales étanches. Ils sécurisèrent tout d’abord la scène de crime et en délimitèrent le périmètre à l’aide d’un ruban. Puis ils prirent de nombreuses photos du corps et de la scène sous différents angles. Ils effectuèrent divers prélèvements du sang sur la blouse de la victime, glissèrent dans des sachets, tous les éléments pileux, cheveux, poils ou cils, ainsi que les fragments de peau ou d’ongle, trouvés sur et à proximité du corps. Puis ils occultèrent la lumière du jour en baissant le volet de la baie vitrée du labo et, dans la forte pénombre, utilisèrent leurs crime-lites ou le crime-scope, pour éclairer la scène de leurs lumières d’une couleur si particulière qu’elles révèlent ce qui n’est pas visible à l’œil nu. De nombreuses empreintes digitales ou de chaussures, des taches plus ou moins grandes apparurent ; ils les recouvrirent de poudre, de diverses teintes, selon la nature et la couleur de ce qu’ils voulaient faire ressortir, puis les photographièrent avec un fort grossissement. Cela faisait une quantité de données énorme, qu’il faudrait traiter dans leur labo de la gendarmerie.
Soudain, l’un des TIC poussa une exclamation : il avait repéré sur le manche du couteau éclairé par la lumière bleue de sa crime-lite, une trace partielle mais suffisamment nette, de ce qui semblait être une empreinte digitale.
L’excitation monta d’un cran, car ils savaient tous que cet indice serait déterminant pour la suite de l’enquête. L’un d’eux s’empressa de photographier la trace papillaire.
Quelques minutes plus tard, un petit homme replet et dégarni apparut à l’entrée du labo, une mallette à la main : le médecin-légiste. Puis, ce fut le tour du substitut du procureur de Rennes, homme long et maigre. Le légiste commençait son examen du cadavre lorsqu’un officier de gendarmerie, de taille moyenne mais large d’épaules, accompagné d’un subordonné plus mince, se présenta à la porte du labo : il était le capitaine Anthony Richard de la SR, section de recherche, de Rennes, dit-il, et était chargé de l’enquête sur le terrain ; le lieutenant Scornec le secondait dans cette affaire. Tous deux restèrent à distance du corps pour ne pas risquer de contaminer la scène bien qu’ils aient enfilé des surchaussures de protection. Les hommes présents les saluèrent et, tandis que le médecin se penchait à nouveau sur le corps de la victime, l’OPJ Postic qui dirigeait l’équipe des TIC leur expliqua ce que ses hommes et lui avaient fait jusqu’à maintenant. Le capitaine Richard hocha la tête pour signifier son approbation.
Pendant ce temps, le médecin-légiste poursuivait son examen. Il livrait ses observations à son dictaphone. Il se redressa enfin et fit part de ses constatations au substitut et aux enquêteurs : la jeune femme avait été tuée la veille au soir, entre 19 heures 30 et 22 heures, par plusieurs coups portés violemment à l’aide d’un couteau de type cran d’arrêt dans la région du cœur. La mort avait été instantanée, due à la perforation du muscle cardiaque et au sectionnement partiel de l’aorte, ce qui expliquait le noircissement du visage et du corps de la victime ; cela serait confirmé par l’autopsie qu’il pratiquerait ultérieurement. Il poursuivit son exposé en précisant qu’il n’y avait aucune blessure de défense sur les mains où les avant-bras de la morte, ce qui lui permettait de déduire que la jeune docteure connaissait son meurtrier et n’en avait aucune crainte. L’assassin devait être grand, au vu des angles de perforations faites par la lame, mais la fourchette de taille était large : de 1,80 mètre à 2 mètres ; les TIC pourraient sans doute affiner ce chiffre après avoir effectué tous les calculs de trajectoires et d’angles. Il faudrait attendre les résultats de l’autopsie pour en savoir plus sur les dégâts moins évidents à l’œil nu.
Le capitaine Richard fit signe au chef des TIC Postic qu’il pouvait prendre la suite du légiste afin d’examiner l’arme du crime porteuse de la si précieuse empreinte. Celui-ci se tourna vers l’homme qui l’avait découverte et le chargea de cette tâche délicate. Il n’était pas question de traiter cet indice prioritaire sur place, ni même à leur labo de la SR qui n’était pas suffisamment équipé ; le risque de l’endommager était trop grand. L’arme du crime serait envoyée à l’IGNA, l’Institut génétique de Nantes-Atlantique, pour traitement. Le travail du technicien consistait à extraire le couteau du corps de la victime et à assurer le bon conditionnement de l’arme pour préserver l’intégrité totale de l’indice. Il enfila une paire de gants neufs pour ne pas risquer de déposer lui-même des éléments contaminants, et s’agenouilla près de la morte. Il demanda que l’on éteigne la lumière électrique, chaussa des lunettes filtrantes, alluma sa crime-lite, en dirigea le faisceau vers le manche du couteau pour repérer l’endroit exact où se trouvait la trace. Avec d’infinies précautions, il saisit le haut du manche délicatement et l’ôta du corps. La lame était maculée de sang coagulé qu’il fit bien attention de ne pas toucher. Il déposa soigneusement le couteau à l’intérieur d’une boîte spécialement dédiée à la collecte d’indices, en s’assurant que l’empreinte était tournée vers le haut. Il le fixa à l’aide d’attaches spéciales, puis referma le couvercle. Il demanda de la lumière en se redressant et tendit à son chef la précieuse boîte que celui-ci scella hermétiquement avant d’y inscrire le nom de ce qui était devenu la pièce à conviction numéro un.
Le substitut du procureur formula à voix haute leur pensée commune : si cette empreinte était répertoriée dans le FAED, le fichier automatisé des empreintes digitales, le coupable était tout trouvé… Cependant, ajouta-t-il en se tournant vers le capitaine Richard, les enquêteurs et techniciens devaient poursuivre leur travail d’investigation habituel : des prélèvements divers sur la scène de crime, le traitement des traces relevées, au labo de la gendarmerie, enregistrer les témoignages du personnel du Centre, ainsi que ceux des proches de la victime, sans compter les bandes-vidéo des caméras de surveillance à visionner… Puis il salua à la cantonade et quitta rapidement les lieux, tandis que la scène de crime continuait d’être minutieusement explorée.
1 Voir Traque mafieuse à Saint-Malo, même auteur, même collection.
Jeudi 28 avril 2016, 10 heures ; Section de Recherches de la gendarmerie de Rennes
En attendant l’arrivée de leur capitaine, l’atmosphère de la petite salle de réunion était surchauffée, électrique. Bien que rien n’eût encore filtré, chacun des hommes présents dans la pièce le savait : un élément décisif était apparu dans leur enquête.
Ils étaient donc là, silencieux, mais de nombreux signes d’agitation trahissaient leur impatience grandissante. Le lieutenant Scornec nota que Postic, le chef des TIC, n’était pas parmi eux ; celui-ci devait être avec Richard, ce qui signifiait que les résultats du labo leur étaient parvenus. Ils allaient enfin savoir ! Un frisson nerveux remonta le long de sa colonne vertébrale : « Bon Dieu, qu’est-ce qu’ils fabriquent ? » pensa-t-il.
Pour tromper son attente, il se remémora les investigations de ces deux derniers jours et la masse de rapports rédigés. Il avait étudié le rapport d’autopsie rédigé par le légiste qui n’avait fait que confirmer que la victime était bien morte consécutivement à une hémorragie massive, due à deux coups de couteau portés dans la région du cœur, l’un perforant le muscle cardiaque, l’autre sectionnant partiellement l’aorte.
Enfin le capitaine fit son entrée, suivi d’un Postic songeur ; tous deux arboraient un air fermé, comme si ce qu’ils avaient appris, risquait de compliquer les choses. Après avoir invité ses subordonnés à s’asseoir autour de la vaste table de réunion, Richard ouvrit le dossier posé devant lui, tandis qu’il se frottait le visage de la main gauche. Il s’éclaircit la voix avant de parler sur un ton empreint de gravité.
— Messieurs, il semblerait que nous ayons notre coupable. L’empreinte relevée sur l’arme du crime a été identifiée formellement comme étant celle de Jonathan Fauvel, président général du groupe Celarbrobreizh et en particulier de sa filiale BioGen où a eu lieu le crime. Pour l’instant, il est notre suspect principal !
*
À cette annonce inattendue, la stupeur s’abattit sur les membres de l’assemblée. Le brouhaha qui s’ensuivit se calma rapidement de lui-même, chacun quêtant du regard des explications. Le capitaine enchaîna :
— Comme vous l’avez certainement tous compris, Postic et moi avons déjà pris connaissance du rapport d’analyses du labo, l’IGNA, sur l’empreinte digitale partielle trouvée sur l’arme du crime. Elle a donc été soumise à l’examen comparatif des empreintes enregistrées dans le FAED ; il y a une correspondance, largement au-dessus des douze points de convergence nécessaires avec celle de Jonathan Fauvel. Celle-ci figurait déjà dans le fichier pour des faits liés à une ancienne affaire datant de 2002 dans laquelle il était impliqué, je vous passe les détails. Par ailleurs, les bandes-vidéo des caméras de surveillance du Centre de recherches montrent que Fauvel était présent sur les lieux dans l’heure précédant le meurtre. Il semblerait au vu de tous ces éléments qu’il soit bel et bien le meurtrier de la docteure Lisa Jézéquel !
Le capitaine Richard marqua une pause dans son exposé, son regard pensif se posant tour à tour sur les visages crispés des hommes de son groupe.
— Je pense que je n’ai besoin d’expliquer à personne ici combien la suite de l’affaire va être délicate, pour ne pas dire pénible pour nous, poursuivit le capitaine. Fauvel est le président apprécié d’un groupe industriel important ; son rôle dans l’affaire Kergoat, resté mystérieux sur bien des points, l’a quand même rendu très populaire auprès des médias et du grand public. Dès que l’annonce de son arrestation sera faite, tout le monde va nous retomber dessus, y compris notre hiérarchie. Il va falloir résister à la pression, être solides, car tout aussi sympathique qu’il puisse paraître, Fauvel va devoir s’expliquer !
* * *
Un silence épais tomba sur l’assemblée ; chacun des membres de l’équipe était plongé dans ses réflexions, mesurant peu à peu tout ce qu’impliquaient les très inattendues informations délivrées par le capitaine Richard.
Celui-ci reprit la parole :
— J’en ai référé à notre commandant de la SR qui a vite accepté l’évidence de la culpabilité de Fauvel, et qui a fait remonter l’information en haut lieu. Il y a eu des échanges entre l’Intérieur et la Justice. Le procureur a visiblement eu l’ordre de faire passer cette affaire en première urgence, et devant cette preuve de culpabilité à l’encontre de Fauvel, a immédiatement ordonné son arrestation et son placement en garde à vue. J’ajoute que le suspect, qui habite Rennes, sera appréhendé chez lui par notre groupe soutenu par un détachement du PSIG, et sera amené ici. Des questions ?
Il n’y en eut aucune.
Jeudi 28 avril 2016, 18 heures 30 ; Rennes, domicile des Fauvel, quartier de Bréquigny
Jonathan venait de rentrer chez lui après une dernière séance de travail avec Jean Berthonnier, au siège de son groupe situé dans le centre-ville de Rennes. Sa femme était arrivée peu de temps avant lui. Il l’enlaça et l’embrassa tendrement, en lui disant :
— La réunion prévue ce soir a été annulée. Pour une fois, nous allons avoir toute une soirée chez nous, rien que nous deux.
— Oh ! Ça, c’est vraiment une bonne surprise ! Ce n’est pas souvent…
La sonnerie de l’interphone interrompit la jeune femme. Elle décrocha :
— Oui ? fit-elle.
Elle fronça les sourcils quand son interlocuteur se fut présenté. Elle se tourna vers Jo :
— C’est la gendarmerie, la Section de Recherches de Rennes… expliqua-t-elle à Jo, sa main gauche posée sur le combiné.
Elle ôta sa main et dit dans l’appareil :
— Je vous ouvre…
Elle appuya sur l’interrupteur déclenchant l’ouverture du portail de leur propriété, tandis que Jo allait ouvrir la porte d’entrée. Ayant entrebâillé le battant, un groupe de militaires lourdement équipés et armés fit irruption et se déploya dans leur jardin, tandis que deux hommes s’avançaient vers lui. Il ne put réprimer un frisson désagréable. Que signifiait cette intrusion ? En tout cas, ce n’était pas une visite pour un simple complément de témoignage. C’était plus grave.
La dernière fois que Jo avait eu affaire à eux, les gendarmes lui avaient annoncé le meurtre de Lisa, puis l’avaient interrogé sur ses relations avec elle. Ce n’était pas précisément un bon souvenir.
Audrey, qui se tenait derrière Jo, eut l’impression que son sang se glaçait dans ses veines. Elle avait reconnu ces impressionnants hommes en noir, casqués, cuirassé et puissamment armés : ils appartenaient au PSIG de Région, le peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie. La présence de cet escadron de choc ne signifiait qu’une seule chose dans le cas présent : une arrestation !
— Monsieur Fauvel Jonathan ? questionna le gendarme qui semblait diriger l’opération.
— Oui, c’est moi. Qu’est-ce que…
— Je suis le capitaine Richard de la Section de Recherches de Rennes et voici le lieutenant Scornec. Monsieur Fauvel, nous avons ordre du parquet de procéder à votre arrestation pour le meurtre de Lisa Jézéquel, suivant les termes de cette commission rogatoire signée du procureur de la République. Je vous informe qu’à partir de maintenant, 18 heures 45, vous êtes placé en garde à vue pour 24 heures à la gendarmerie de Rennes où vous serez interrogé. Veuillez nous suivre. Mes hommes vont récupérer votre ordinateur personnel et votre téléphone portable.
— Mais… c’est… c’est du délire ! bafouilla Jo, sous le choc. Je n’ai pas tué Lisa ! Vous vous trompez !
Deux hommes du PSIG l’encadrèrent, tandis qu’un autre lui passait les menottes.
— Capitaine, je suis la capitaine Audrey Fauvel de la Police Judiciaire de Rennes. Cette accusation est complètement absurde, mon mari ne peut avoir commis ce crime ! Il n’avait aucune raison d’en vouloir à Lisa…
— Madame, j’obéis à un ordre du parquet ! Cela dit, je peux vous dire que les preuves recueillies contre lui sont accablantes, répliqua sèchement le capitaine Richard. Maintenant, allons-y, ajouta-t-il à l’intention de ses hommes.
Suivis d’une Audrey atterrée, les gendarmes quittèrent la propriété, entraînant Jo au milieu d’eux. Sa haute stature le faisait dominer le groupe.
— Courage, Jo ! On va te sortir de là ! lui cria-t-elle.
Elle le vit monter dans le fourgon cellulaire, les portes se refermer sur lui… Le véhicule démarra, puis disparut de sa vue après le premier tournant.
Elle retourna en hâte vers la maison ; elle devait passer quelques coups de fil urgents.
* * *
Jeudi 28 avril 2016, 20 heures ; Gendarmerie de Rennes, boulevard Georges Clémenceau
Dans une des cellules du sous-sol, Jo allait et venait comme un lion en cage, quand un cliquetis métallique se fit entendre à la grille de sa geôle. Deux gendarmes l’emmenèrent jusqu’à une salle aux murs gris et nus, réduite à son plus strict minimum : une table rectangulaire munie d’un téléphone, d’un ordinateur et d’un vidéoprojecteur, quelques chaises autour. Jo s’assit sur celle qui lui fut désignée, dos à l’entrée de la pièce, tandis qu’on l’y menottait. Puis les deux gendarmes reculèrent et se placèrent en faction de chaque côté de la porte.
Cinq minutes plus tard, deux hommes firent leur entrée. Jo reconnut l’un d’eux, le plus âgé : le commandant du groupe qui avait procédé à son arrestation. Tous deux contournèrent la table et s’assirent face à Jo. Ce dernier scruta le visage de celui qui allait probablement mener l’interrogatoire. La dureté de ses traits, ses mâchoires serrées, son regard glacial exprimaient sa totale certitude de la culpabilité de l’homme présent devant lui. Il détailla Jo sévèrement pendant quelques secondes, prit une longue inspiration par le nez signifiant son mépris pour l’accusé, puis commença à parler :
— Je suis le capitaine Richard, chargé de cette enquête. Voici l’OPJ Postic, qui dirige l’équipe des techniciens en investigation criminelle. Je dois tout d’abord vous préciser que cet interrogatoire est enregistré. La loi vous autorise à solliciter le concours d’un avocat si vous le souhaitez.
— Bonsoir, fit Jo d’une voix posée. Je ne désire pas recourir à un avocat pour le moment.
Il voulait se montrer poli, respectueux des représentants de la loi et de leur travail ; il n’avait aucun intérêt à paraître arrogant, à protester bruyamment des conditions dans lesquelles on le traitait, mais ne voulait pas non plus sembler manquer de confiance en lui, pas plus qu’en la justice.
Richard fronça les sourcils et poursuivit, sans répondre au bonjour de l’accusé :
— Jonathan Fauvel, vous êtes sous le coup d’une accusation de meurtre avec préméditation sur la personne du docteure Lisa Jézéquel. Cette accusation est étayée par plusieurs preuves directes, notamment la principale : la présence de votre empreinte digitale sur l’arme du crime.
— Quoi ? s’insurgea Jo. C’est imp…
— Taisez-vous ! coupa Richard Vous ne parlerez que lorsqu’on vous interrogera. L’OPJ Pennec et son équipe ont recueilli sur le manche du couteau qui a tué la victime, l’empreinte digitale de votre index droit. C’est une preuve irréfutable corroborée par d’autres éléments que nous vous exposerons plus tard. De plus, vous étiez présent sur les lieux, juste avant l’heure approximative du crime, comme le montrent les enregistrements vidéo des caméras de surveillance. Personne ne peut dire à quelle heure vous êtes rentré chez vous ce soir-là, car vous y étiez seul, votre femme, officier de la PJ, étant de service. Votre téléphone portable a gardé la trace d’un message, reçu à 13 heures 10 de la docteure, vous demandant expressément de venir la rejoindre au Centre de recherches dans la soirée. Tout cela vous accuse et vous condamne à la peine maximale ; votre seule chance de l’éviter et ainsi de réduire votre peine consiste à avouer votre crime. Si vous passez aux aveux, il en sera tenu compte et, avec un bon avocat, vous pourrez bénéficier de circonstances atténuantes, comme par exemple, un drame passionnel. Alors, je vous pose la question : Jonathan Fauvel, avez-vous tué Lisa Jézéquel ?
— Mais bien sûr que non ! répondit Jo d’une voix vibrante. Pourquoi aurais-je fait une chose pareille ?
— Parce que vous creviez de jalousie ! Parce que vous n’avez pas supporté qu’elle soit amoureuse d’un autre… et lui, d’elle. Alors, vous l’avez frappée quand vous avez compris qu’elle ne reviendrait pas vers vous !
— C’est faux ! Je ne suis pas… je n’étais pas amoureux de Lisa ! D’où tenez-vous ça ?
— Plusieurs témoignages concordants signalent vos liens amoureux avec la docteure.
— Mais, c’est complètement faux ! nia Jo avec véhémence.
— Il s’agit des témoignages de plusieurs membres du personnel de votre Centre. Tous vous ont vu fréquemment vous isoler avec la victime dans son bureau, apparemment le lieu de vos ébats.
— Je n’ai jamais rien entendu de plus stup… Je veux dire que ces témoins ont interprété ce qu’ils ont vu comme des visites amoureuses, alors que ce n’étaient que des entretiens de travail.
— De travail ? répéta Richard avec ironie. Tiens donc ! Je n’y crois pas une seule seconde ! Vous feriez mieux de dire la vérité ! Vous êtes fait de toute façon !
— Nous savons de façon certaine que ce sont vos empreintes sur le couteau qui a servi à tuer la docteure ! intervint Postic d’une voix pressante. Vos empreintes sont fichées dans le fichier automatisé des empreintes digitales, et celle relevée sur le couteau du crime “matche” avec les vôtres dans le FAED. C’est une certitude !
— Pour vous aider à retrouver la mémoire, je vais vous dire comment ça s’est passé selon moi ! reprit le capitaine Richard. Répondant au message de la docteure, vous arrivez sur place à 19 heures 20, selon la vidéosurveillance ; vous vous retrouvez tous deux dans le labo où vous avez une discussion houleuse au cours de laquelle elle vous signifie définitivement la fin de votre liaison. Vous ressortez du Centre à 20 heures 24, selon la caméra d’entrée ; puis, quelques minutes plus tard, vous revenez camouflé sous une tenue de bloc opératoire, ce qui vous rend non identifiable, et vous l’assassinez sauvagement à coups de couteau. Voilà les faits ! Avouez la vérité !
— Je vous l’ai dite, la vérité ! s’écria Jo. Je n’ai jamais caché à vos enquêteurs, qui sont venus m’interroger hier au siège social de mon groupe, que je m’étais rendu au Centre à Plévenon lundi dans la soirée, suite au message de Lisa. Elle a été surprise de me voir et, lorsque je lui ai dit que j’étais là à sa demande, elle a été encore plus étonnée, me répondant qu’elle ne m’avait pas adressé de SMS de la journée. Je lui ai alors montré le message que j’avais conservé dans mon portable ; très perplexe, elle a voulu vérifier dans le sien, mais il s’avère qu’elle a été incapable de mettre la main dessus. Je pense que le vrai coupable le lui a subtilisé, a écrit et m’a adressé ce message dans le but de me faire venir sur place, et ensuite…
— Ben voyons ! l’interrompit le capitaine. Vous nous inventez un beau scénario rocambolesque et vous pensez qu’on va y croire ? Non, c’est bien elle qui vous a écrit ce message, et vous êtes venu ventre à terre en pensant qu’elle voulait se réconcilier avec vous, mais là, pour vous, cela a été la douche froide, quand elle vous assène qu’elle ne veut plus avoir de relations intimes avec vous et que vous ne devez plus la harceler. La déception et l’humiliation que vous ressentez sont telles que vous ne pouvez en supporter davantage et vous décidez de passer à l’acte. Avouez, le jury est toujours indulgent pour ceux qui, cédant au désespoir, tuent par amour…
Jo secoua la tête négativement.
— Lisa n’était pas ma maîtresse ! Je n’étais pas amoureux d’elle… C’était une amie, c’est tout…
— Vous vous obstinez ! Alors, écoutez bien ceci. Lors de notre enquête de terrain, les témoignages des membres de personnel du Centre concordent tous, non seulement pour affirmer l’existence de votre liaison avec Lisa Jézéquel, mais aussi que vous saviez qu’elle-même avait une relation amoureuse avec le docteur David Courtel avec qui elle travaillait.
— Bien sûr que je savais pour Lisa et David, et j’en étais très heureux pour elle ! Sur le plan sentimental, elle avait connu de nombreuses désillusions, à ce qu’elle m’avait laissé entendre.
— Vous nous baladez là ! coupa sèchement Richard. Le croisement des informations obtenues lors des divers interrogatoires des membres du personnel du Centre nous permettent de comprendre les relations des uns avec les autres. Courtel est effondré ; il a annoncé immédiatement qu’il entretenait une liaison très suivie avec Lisa Jézéquel et qu’ils envisageaient tous deux d’emménager ensemble ; puis il a dénoncé la relation entre Lisa et vous qui, assure-t-il, avait existé brièvement avant que Lisa et lui-même ne se lient.
— Mais c’est faux ! Soit il est mal informé, soit il ment ! protesta Jo.
— Toujours selon son témoignage, reprit le capitaine en haussant le ton, Après que vous ayez découvert ce lien entre eux deux, vous seriez devenu furieux. Vous passiez souvent rendre visite à Lisa, vous vous enfermiez avec elle dans son bureau, faisiez tout pour la convaincre de renoncer à sa liaison avec lui, l’obligiez même à des relations intimes en la soumettant au chantage de la mettre à la porte ainsi que lui-même.
— Ce n’est que pure invention ! s’exclama Jo, outré.
— Nous avons de bonnes raisons de penser que c’est la vérité. Vous le terrorisiez ; il avait peur de votre réaction s’il tentait de vous parler, alors il n’a jamais osé le faire…
— Le petit salopard ! fulmina Jo. Ce fichu menteur vous a bien embobinés !
— Votre présente réaction ne plaide pas en votre faveur ! On peut mieux comprendre pourquoi vous lui faisiez si peur. Votre stature impressionnante – largement plus d’un mètre quatre-vingt-dix, environ cent kilos – doublée d’un caractère emporté et batailleur, si l’on en juge d’après vos “exploits” passés, le tout renforcé par votre toute-puissance de grand patron d’un groupe industriel, il y a vraiment de quoi avoir peur ! Il se trouvait lâche de ne pas être capable de vous affronter, et encore plus lâche après l’assassinat de sa compagne, nous a-t-il dit, avant de s’effondrer en larmes.
— Et en plus, c’est un super-comédien ! marmonna Jo, amer. Il devrait recevoir le prix du meilleur acteur !
— N’aggravez pas votre cas avec des sarcasmes ! Continuez comme cela et vous allez vous retrouver avec, en plus, une inculpation pour outrage à agents dans l’exercice de leur fonction ! Vous persistez donc dans votre refus d’avouer ?
— Je vous redis que je ne suis pas coupable ! Mais je vois bien que je n’ai aucune chance de vous convaincre. Alors, j’exige la présence d’un avocat !
— C’est votre droit. Ainsi qu’un coup de téléphone à la personne de votre choix.
— Je veux appeler ma femme.
Le capitaine Richard lui tendit le téléphone. Jo décrocha le combiné, puis composa le numéro de son domicile.
La voix emplie d’anxiété de sa femme lui répondit :
— Audrey, c’est moi, Jo ! Je suis interrogé à la gendarmerie en ce moment. Il me faut un avocat. Ils veulent me faire avouer le meurtre de Lisa. Ils disent qu’ils ont retrouvé mes empreintes digitales sur l’arme du crime.
— Oh, non ! Ce n’est pas possible ! Ce ne peut être qu’une horrible machination, un coup monté ! s’indigna-t-elle.
L’esprit pratique d’Audrey prit le dessus sur les lamentations. Elle enchaîna :
— Avant ton appel, j’ai contacté plusieurs personnes, dont mon commissaire qui m’a promis de se renseigner sur ton affaire et qui m’a indiqué le nom d’un très bon avocat, maître Franck Dermot. Il a, semble-t-il, obtenu plusieurs excellents résultats dans des affaires délicates. Je l’ai appelé. Après m’avoir écouté, il m’a dit qu’il pensait accepter l’affaire. Avant de confirmer, il veut quand même étudier le dossier d’accusation.
— Très bien, ma chérie ! Tu as fait tout ce qu’il fallait ! Merci ! On me fait signe que je dois raccrocher.
Jo reposa le combiné et Richard écarta le téléphone en bout de table.
— Reprenons ! fit le capitaine. Vos visites régulières à la victime expliquent votre attachement à sa personne et…
— Je ne dirai plus rien sans la présence de mon avocat.
— Très bien ! C’est votre droit, mais vous auriez gagné à coopérer avec nous !
Puis il se tourna vers les deux gendarmes de faction :
— Ramenez-le en cellule ! La nuit risque d’être longue…
* * *
Pendant la nuit, Jo fut bien incapable de trouver le sommeil sur la dure planche qui lui servait de lit. De plus, cette nuit interminable fut entrecoupée de plusieurs séances en salle d’interrogatoire.
Au moment où il sombrait dans les brumes comateuses d’un mauvais sommeil sans véritable repos, on venait l’en tirer pour le conduire devant des subordonnés du capitaine Richard. L’interrogatoire reprenait, lui rappelant encore et encore les preuves découvertes contre lui et le mobile qui l’avait inéluctablement conduit à ce meurtre. Jo restait muré dans son silence, ne montrant aucun signe de faiblesse, ni d’énervement. À l’injonction, parfois exprimée sur un ton agressif, voire menaçant, de reconnaissance de son crime : « Allez, avoue ! De toute façon, t’es coupable ! T’es foutu ! Tout t’accuse ! Tu vas en prendre pour perpète ! Si t’avoues, on te laisse tranquille, et comme t’auras coopéré, le juge en tiendra compte ! Parle ! »
Invariablement, Jo répondait qu’il n’avait rien à ajouter, qu’il ne parlerait qu’en présence de son avocat.
Encadré par ses deux gardiens dont il percevait l’hostilité et la lassitude, il était alors ramené sans ménagement jusqu’à sa cellule.
Vendredi 29 avril 2016, 7 heures ; Gendarmerie de Rennes
Au bruit de la clé tournant dans la serrure, Jo se redressa d’un bond pour se mettre en position assise sur le bord de sa misérable couchette. Le gendarme de garde poussa la porte métallique et s’avança, chargé d’un plateau. Un de ses collègues, resté à l’extérieur de la cellule, surveillait le prévenu, tandis que le premier annonçait à Jo, d’une voix claironnante :
— Bonjour, Fauvel ! On dirait que tu as passé une sale nuit ! Voilà de quoi te remettre ! Petit-déjeuner ! Café et pain ! Y’avait plus de croissants ! Le café, c’est de la lavasse, et le pain est un peu dur, mais ici c’est pas le Ritz non plus, hein !
Jo ne dit mot. L’humour pesant de son geôlier ne faisait que rendre encore plus réelle son humiliante condition de prisonnier ; il se sentait sale, misérable… et terriblement seul.
Le gardien refluait déjà vers la sortie, après avoir placé le plateau entre les mains de Jo.
— Dans une demi-heure, on revient te chercher pour la douche. Ça ne te fera pas de mal, ajouta-t-il sur un ton railleur, d’autant qu’il vaudra mieux faire bonne impression pendant tes prochains interrogatoires.
Il reflua vers la porte, la referma à clé derrière lui et les deux gendarmes s’éloignèrent.
Jo posa un regard vide sur le plateau : un quart en alu de café tiédasse et un quignon de pain sec. Jo sentit une vague de colère monter en lui, devant l’injustice de son sort. Il fut tenté de saisir, puis de projeter de toute la force de sa rage le plateau du petit-déjeuner contre le mur de sa cellule, mais il se ressaisit à temps en se disant que ce serait totalement stupide.
*
Après un petit-déjeuner et une douche qui l’avaient malgré tout requinqué, Jo était de retour depuis un quart d’heure dans sa cellule quand le gardien vint à nouveau le chercher.
— Fauvel ! Ton baveux vient d’arriver. Suis-moi !