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Après un soir de tempête, une jeune femme est retrouvée sans vie sur la plage du Valais...
Saint-Brieuc, pointe de Cesson, un soir de tempête… Bravant les éléments, Lucie part pour son footing comme chaque vendredi. Sans savoir que ce sera sa dernière course. Elle est retrouvée morte le lendemain sur la plage du Valais, le crâne fracassé.
Benjamin, son ex-petit ami du lycée, est accusé du meurtre. De nombreux indices l’incriminent. Il finit par passer aux aveux… pour se rétracter peu après. Pour la police, cela ne fait aucun doute : elle tient son coupable. Désespérée, Valentine, la mère du garçon, fait appel à la seule personne de sa connaissance qui puisse aider son fils : sa vieille amie Audrey, policière. Dans ce troisième opus, Audrey et Jonathan Fauvel débarquent à Saint-Brieuc en marchant sur des œufs : Valentine est déçue que son amie n’admette pas l’innocence du jeune homme, et les policiers chargés de l’enquête tolèrent mal que l’on piétine leurs platebandes. D’autant que cette affaire présente de multiples aspects contradictoires… Les voies du saigneur sont impénétrables !
Suivez Audrey Tisserand, accompagnée de Jonathan Fauvel, à Saint-Brieuc pour une troisième enquête délicate aux nombreuses pistes !
EXTRAIT
— Même s’il n’apparaît rien de douteux dans le passé de Lucie, on peut penser quand même à deux hypothèses : la première, des circonstances que nul ne connaît, liées à son passé, qui imposent à ces tueurs de l’éliminer et la deuxième, un événement fortuit, immédiat, qui survient à un moment précis de son footing et qu’elle a malencontreusement surpris, événement qui oblige ces types à la poursuivre.
— Eh bien ! réagit Boursot. Si c’est une de ces deux hypothèses qui est la bonne, ça ne va pas être facile, dans un cas comme dans l’autre…
— Oui, c’est certain ! acquiesça Audrey. Jo a connu une situation analogue par le passé ; c’est d’ailleurs ainsi que nous nous sommes rencontrés… Les raisons qui avaient amené des malfaiteurs à s’en prendre à lui étaient totalement inconnues de Jo. Ce fut une enquête extrêmement complexe et éprouvante… Audrey prononça ces derniers mots avec difficulté ; une grosse boule s’était formée dans sa gorge à mesure que des souvenirs de fureur et de larmes affluaient dans sa mémoire… Jo lui prit la main et plongea son regard dans les yeux embués de sa femme.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jacques Minier, Breton né à Saint-Brieuc en 1958, vit à Trégueux, ville de l’agglomération briochine. Professeur des écoles, maintenant retraité, il situe ce premier roman dans la belle ville de Saint-Malo, évoquant aussi la Rance et la Côte d’Émeraude, des sites qu’il connaît bien pour y avoir beaucoup navigué à la voile.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Je tiens ici à exprimer toute ma sympathie et ma gratitude envers mes lecteurs, notamment ceux qui m’ont manifesté leur intérêt pour mes précédents romans ; j’espère que celui-ci ne les décevra pas.
Je remercie ma femme pour son soutien et ses précieux conseils.
Ma reconnaissance va également à toute l’équipe des Éditions Alain Bargain pour leur confiance ainsi que pour leur travail à la réalisation et à la distribution de mes ouvrages.
Vendredi 10 mars 2017, vers 18 heures ; Saint-Brieuc, port du Légué
Le coup de vent s’était soudainement abattu sur la ville.
Poussés par un souffle puissant, les lourds nuages menaçants, encore lointains un moment plus tôt, avaient brusquement assombri le ciel. On se serait cru au crépuscule.
La pluie ruisselant sur son visage, la bise cinglant ses joues, une jeune adepte de la course à pied longeait le quai en direction de la mer d’une longue foulée souple. Indifférente aux caprices du temps, elle traversa la route, bifurqua sur la droite et franchit les rails de l’ancienne voie ferrée. Elle attaqua la montée des marches permettant l’accès au sentier serpentant sur la colline boisée où dominait la silhouette ruinée de la tour de Cesson.
À ce moment, le soleil parut vouloir percer derrière le rideau de pluie et un somptueux arc-en-ciel se dessina au-dessus de la baie de Saint-Brieuc. Sous le charme saisissant de ce si fugace spectacle, elle stoppa net son effort, extirpa son smartphone de la pochette qu’elle portait sous son coupe-vent et prit plusieurs clichés de l’éphémère tableau qui s’offrait à elle…
*
Dix minutes plus tard, sur le sentier de randonnée de la colline
Le souffle rauque, elle dévalait la pente à toute allure de l’autre côté de la bosse, dérapant par endroits sur le terrain glissant. Les gouttes de pluie se mêlaient à sa sueur et à ses larmes… Le regard fou, chaque parcelle de son être désormais uniquement consacrée à la survie, elle n’avait plus qu’une idée en tête : fuir, à perdre haleine, tenter d’atteindre un lieu fréquenté…
Elle s’en voulait : elle aurait dû prendre la route au-dessus du GR au lieu de s’engager tête baissée dans ce sentier passant par la pointe de Cesson. Elle avait encore pas mal de chemin à parcourir avant d’atteindre les premières habitations bordant la plage du Valais, et avec ce temps, elle ne risquait pas de croiser grand monde ! Ceux qui l’avaient prise en chasse n’étaient pas loin… Aurait-elle encore assez de forces pour continuer à ce rythme et réussir à se mettre à l’abri ?
Elle s’en voulait encore plus d’avoir laissé tomber son smartphone en essayant de contacter les secours tout en courant : non seulement elle avait perdu du temps à le ramasser, mais surtout il était endommagé et ne fonctionnait plus…
La panique montait en elle, lui broyait la poitrine. Ses sanglots la faisaient tousser. Elle glissa de nouveau, s’étala sur le côté. Elle se releva aussitôt, jeta un regard éperdu en arrière… et aperçut son poursuivant : il n’était plus qu’à une dizaine de mètres ! Tremblant de tout son corps, elle se lança de nouveau dans la pente. Elle allait atteindre le dernier virage avant les premières jolies petites cabanes construites sur la pointe de Cesson, toutes inoccupées en cette saison, malheureusement pour elle. Il lui fallait continuer plus loin pour espérer trouver une habitation où elle pourrait avoir du secours.
Elle crut défaillir quand un autre homme surgit soudain devant elle, lui barrant le passage. Terrifiée, elle réussit cependant à lui faire perdre l’équilibre, le dépassa sur sa droite. Elle sentit qu’il agrippait son coupe-vent ; elle l’ouvrit, puis se débarrassa du vêtement. Mais la manœuvre lui fit perdre du temps ; le premier agresseur l’avait presque rejointe. Seule solution : une sorte de petit chemin s’offrait à elle, menant tout droit vers le bord de la falaise ! C’était une folie, mais le seul choix possible ! Heureusement, la hauteur et l’abrupt étaient nettement moins importants à cet endroit ! Elle s’engouffra dans la sente et, au bout, avisant une trouée dans le fourré en contrebas sur sa gauche, se laissa choir parmi les arbustes et le fouillis végétal coiffant la partie haute de la falaise. Elle dégringola parmi les branches qui lui fouettèrent le visage mais qui freinèrent heureusement sa chute, finit par traverser l’épais rideau végétal et put se raccrocher in extremis à l’un des derniers arbres poussant sur le flanc de l’escarpement rocheux.
Elle cria lorsqu’elle découvrit avec horreur le vide sous elle, et la plage de galets sept à huit mètres en contrebas. Arrimée à sa branche, elle put s’immobiliser un instant pour prendre la mesure de la situation : le sommet de la partie rocheuse se situait environ trois mètres en dessous de la zone d’herbes folles qu’elle abordait… Elle lâcha sa prise et dévala sur le postérieur la pente vertigineuse, se freinant en plantant ses talons dans la terre et l’herbe. Elle hurlait à présent mais, dans le fracas de la tempête, nul ne pouvait l’entendre. Au terme de cette brève glissade, elle parvint à trouver un appui solide sous ses pieds et à stopper en haut du rocher qui surplombait la grève de trois à quatre mètres. De là, elle se retourna face à la paroi et put achever sa descente sans trop de difficultés, en assurant ses prises jusqu’à pouvoir enfin poser le pied sur la plage.
Elle semblait miraculeusement indemne ! Ses vêtements étaient déchirés, surtout son collant, révélant de larges éraflures sur les jambes. Elle avait tout le corps meurtri par les chocs subis, mais elle n’avait rien de cassé ! Elle traversa la zone de galets en trébuchant, puis atteignit l’étendue de sable. Sur sa droite, contre la falaise, se dressaient quelques pimpantes cabanes sur leurs pilotis de béton, mais toutes fermées à cette période de l’année…
À ce moment, elle entendit le fracas d’une lourde chute derrière elle : l’un de ses poursuivants avait voulu l’imiter en empruntant le même chemin, mais lui n’avait pu s’arrêter au sommet du rocher et avait dévalé jusque sur les galets. Il gémissait de douleur, tout en jurant et l’insultant. Malheureusement pour elle, l’homme parvint tout de même à se redresser en grimaçant. Boitant bas, il se mit à clopiner dans sa direction. Elle reprit sa course vers la rampe de béton qui lui permettrait d’accéder au parking et, de là, aux habitations où elle pourrait trouver refuge. Mais, dans la pénombre crépusculaire, elle distingua le deuxième individu qui déboulait d’un escalier débouchant sur la grève, entre elle et le parking ; il lui coupait le chemin vers les maisons de la rue du Valais. À l’inverse de son comparse, il ne l’avait pas suivie ; il avait descendu le sentier de randonnée jusqu’au premier accès sur la gauche conduisant à la plage. Elle était prise entre deux feux !
Elle se dit alors que sa dernière chance était de faire demi-tour et d’atteindre le sentier de découverte des oiseaux. Cette voie, aménagée au pied de la falaise, serpente entre le terminal portuaire gagné sur la mer et la pointe de Cesson. Si elle parvenait à devancer son poursuivant claudiquant, et donc sérieusement ralenti, elle pourrait peut-être s’échapper. Elle décrivit un large cercle sur sa gauche en direction de la digue du port, pour tenter de contourner le boiteux… tout en se rendant compte qu’elle n’avait plus aucune chance ! L’homme avait manifestement compris son intention : il ne courait pas vers elle, mais se déplaçait simplement pour être entre elle et l’entrée du sentier aux oiseaux… Il n’y avait plus d’issue ! Elle s’épuisait. Elle ralentissait, ne sachant plus que faire. Le deuxième poursuivant la talonnait maintenant ! Elle tenta de bifurquer, glissa, tomba… Le corps secoué de sanglots, elle tourna la tête vers son agresseur, juste pour entrevoir la lourde pierre qui s’abattait sur sa tête…
***
Dans un dernier sursaut de sa conscience, elle sentit qu’on la traînait par les pieds sur le sable mouillé. Soudain, une sorte de halo surnaturel pénétra son esprit en émoi ; elle en fut aussitôt apaisée et ouvrit les yeux… L’arc-en-ciel était réapparu dans le ciel tourmenté. Elle y vit comme un signe : cette sublime porte irisée semblait s’être ouverte pour elle, pour qu’elle puisse à jamais échapper au danger. Dans une ultime vision magnifiée, elle se leva, aérienne, puis reprit sa course vers l’arche colorée…
Samedi 11 mars 2017, 9 h 15 ; Saint-Brieuc, plage du Valais
Ce matin-là, comme chaque jour lorsqu’il ne faisait pas trop mauvais temps, Christiane Agenin promenait sa chienne sur la plage. Après la tempête de la nuit passée, le vent était passé au noroît et, malgré un joli rayon de soleil, il faisait plutôt frisquet. La sexagénaire avait détaché la laisse et l’épagneule piquait des sprints effrénés en tous sens, toute à sa joie de se sentir entièrement libre. Soudain, elle pila, leva le museau face au vent, huma l’air de ses narines palpitantes, puis reprit sa galopade vers les rochers le long de la digue du port. Elle stoppa de nouveau devant un paquet d’algues, flaira sa trouvaille, recula de deux mètres et se mit à gémir, puis à aboyer à petits coups brefs. Intriguée par le comportement de sa chienne, Christiane s’approcha, en murmurant quelques mots d’une voix douce pour la calmer. Elle jeta un coup d’œil sur ce qui attirait l’attention de l’animal. Et vit le corps emmêlé dans le sable et les algues. Elle porta la main à sa bouche pour réprimer un haut-le-cœur.
***
Deux heures plus tard, même endroit
Le capitaine Chavin, de la police judiciaire de Rennes, arriva sur les lieux. Il constata aussitôt que les flics locaux avaient bien fait leur boulot en délimitant largement le périmètre et en interdisant l’accès depuis le parking où il avait garé son véhicule. Un agent de police le salua et lui proposa de le mener immédiatement au cadavre. Ils passèrent sous le ruban jaune et se dirigèrent vers la plage. Des hommes en combinaison blanche étaient déjà à pied d’œuvre à proximité du corps. Un second policier en tenue était en faction sur les lieux ; lorsqu’il vit Chavin et son collègue approcher, il vint à leur rencontre. Les deux agents communiquèrent à Chavin les circonstances de la macabre découverte. Il remercia les deux hommes, puis s’approcha de la victime, au-dessus de laquelle un homme en blanc était penché. Il reconnut un médecin légiste avec lequel il avait déjà travaillé, le docteur Gagnon. Ils échangèrent de rapides salutations et entrèrent immédiatement dans le vif du sujet.
Chavin désigna la victime et dit, les mâchoires serrées :
— Pauvre enfant ! Quel ignoble salaud a été capable de tuer une si jeune gamine ?
Le praticien haussa les épaules et secoua la tête, dans une attitude d’incompréhension lasse.
— Tout ce que nous pouvons faire pour elle et sa famille, c’est de bien faire notre travail et de retrouver celui qui lui a fait ça !
Le policier approuva de la tête et invita le légiste à lui livrer ses premières observations.
— Allez-y, Docteur ! Si vous pouviez m’en dire le plus possible, cela m’arrangerait, d’autant qu’elle n’a aucun papier d’identité sur elle, pas de portable non plus, selon le rapport des agents qui ont fait les premières constatations.
— J’estime qu’elle ne devait pas avoir plus de 18 ans, expliqua le médecin sur le ton froid et détaché du professionnel. Il paraît évident, au vu de la tenue de joggeuse qu’elle porte, que la victime se livrait à son activité sportive favorite quand elle a subi l’attaque meurtrière de son agresseur… Comme il est tout aussi clair qu’elle a eu le crâne défoncé par un lourd objet contondant, peut-être un gros galet ; ce n’est pas ce qui manque ici. Elle n’a apparemment subi aucune violence sexuelle : son collant de sport a des lacérations en plusieurs endroits, mais cela n’a rien à voir avec les vêtements déchirés d’une victime de viol qui a été dénudée… À première vue, le corps n’a pas été longtemps immergé dans l’eau de mer, quelques heures tout au plus. Les tissus ne sont pas gonflés, la peau ne présente pas de marbrures, et il n’y a pas d’odeur nauséabonde de décomposition avancée. Sa température corporelle m’indique, compte tenu de l’environnement marin, qu’elle est morte dans la soirée d’hier, dans une fourchette de 17 heures à 20 heures. Je pourrais vous donner plus de précisions après l’autopsie.
— Donc, cette malheureuse a été tuée sur cette plage ou ses environs immédiats.
Le légiste acquiesça.
Chavin se tourna en direction des flots.
— Son corps ne pourrait pas avoir été déposé par les flots sur cette plage ? Il ne pourrait pas venir d’un autre point de la côte, ou d’un bateau au large ?
— Peut-être, mais je ne penche pas pour cette hypothèse. Je suppose qu’un corps dérivant depuis l’autre côté de la baie de Saint-Brieuc mettrait quelques jours à venir s’échouer ici. Or, il n’a pas l’aspect d’un corps immergé depuis plusieurs jours. Cependant, cette immersion a dû être malheureusement suffisante pour effacer les traces éventuellement laissées sur le corps par son meurtrier.
Chavin hocha la tête.
Un homme en combinaison blanche héla le capitaine de loin. Chavin prit congé du médecin légiste et alla trouver le technicien de la PTS, la police technique et scientifique. Il se nommait Jérôme Rémond et dirigeait l’équipe scientifique. Il entraîna aussitôt Chavin vers la pointe rocheuse et attira son attention sur les galets à la base de l’escarpement. Il désigna du doigt quelques touffes d’herbe accrochées à leurs mottes de terre.
— Regardez, Capitaine. Des branches cassées… Et ces touffes d’herbe ont été arrachées à la falaise juste au-dessus, et sont tombées là, au bas du rocher. Elles n’ont pas été emportées par la marée haute de cette nuit qui n’est pas montée jusque-là.
Levant les yeux au-dessus de la zone rocheuse, Chavin vit nettement les traces de végétation arrachée et de terre labourée en plusieurs sillons sensiblement parallèles.
— Exact ! Bien vu, Rémond ! Vous avez probablement découvert comment la jeune fille est arrivée sur cette plage. Vu la difficulté, ça tient de l’exploit ! Aucun individu sain d’esprit ne descendrait par là… à moins d’y être contraint par quelque chose !
— Oui, elle était poursuivie ! C’est sûr ! D’ailleurs, il semblerait que quelqu’un d’autre soit aussi descendu par là, vu la quantité de terre et d’herbes arrachées…
Alors que Chavin approuvait, une voix venue de plus haut les interpela :
— Chef ! Par ici, il y a des traces de pas qui viennent jusqu’au bord du vide ! On les suit depuis le sentier de randonnée un peu plus haut. Je vois deux sortes de traces : des grandes et des plus petites… Et puis, il y a autre chose. C’est sur le sentier principal : de nombreuses traces de pas, c’est plutôt difficile de s’y retrouver ! Mais il y a aussi des belles empreintes de pneus de vélo, un VTT sans doute ! Et ce sont les traces les plus récentes ; elles passent par-dessus toutes les autres ! Et aussi, on voit bien que le vélo a stoppé devant le petit chemin qui va vers le bord de la falaise. Après, il y a pas mal de traces de pas qui se mélangent… C’est pas facile d’y voir quelque chose…
— D’accord ! lui cria le chef des techniciens. Vous me faites les relevés de tout ça, et évidemment les moulages de toutes les empreintes exploitables, de pneus et de chaussures… Allez, au boulot, les gars !
Rémond se tourna vers Chavin :
— Un vététiste présent sur les lieux et apparemment en dernier…
— Ce qui veut dire que ce pilote de VTT aura des choses à nous dire : soit il est l’auteur du meurtre, soit il en a été le témoin privilégié !
La sonnerie du portable de Chavin les interrompit. Il décrocha, écouta quelques instants son correspondant.
Les sourcils froncés, il griffonna quelques mots sur son carnet, remercia puis coupa la communication.
— C’était le commissariat de Saint-Brieuc, expliqua-t-il au technicien. Ils ont reçu hier soir un coup de fil du père d’une jeune fille de 17 ans signalant son absence : elle était partie faire son footing vers 18 heures. La description correspond à celle de la victime. Son nom est Lucie Kerlouan… Il va falloir procéder à une identification avec ses parents.
Chavin soupira. Rémond hocha la tête. Tous deux savaient que ces pauvres gens allaient vivre un enfer…
Jeudi 16 mars 2017, 20 h 30 ; Rennes, domicile de Jonathan et Audrey Fauvel
Nora, leur petite fille de deux mois, était maintenant couchée dans sa jolie chambre de bébé ; elle dormirait à poings fermés jusqu’au prochain biberon. Jo et Audrey s’affairaient à ranger l’espace-cuisine après le dîner, quand la sonnerie du téléphone fixe retentit. Plus proche de l’appareil, Jo décrocha puis, après un bref échange de salutations, tendit le combiné à sa femme.
— C’est pour toi, dit-il à mi-voix. Une vieille amie de lycée… Ça n’a pas l’air d’aller, on dirait.
Intriguée, Audrey fronça les sourcils et saisit le téléphone.
— Allô ? Oh ! Valentine ? Quelle surprise ! Ça fait un bail ! Non, tu ne me déranges pas, au contraire !
Puis Audrey se tut pour écouter son interlocutrice lui expliquer la raison de son appel.
***
Une demi-heure plus tard, Audrey raccrochait, songeuse.
Elle rejoignit Jo dans son bureau.
— Jo, Valentine m’a appelée pour quelque chose d’urgent et grave. Son fils est accusé du meurtre de son ex-petite amie…
Jo leva les mains en un geste d’apaisement.
— Bon ! Essaie de te calmer un peu… Si tu commençais par le début ? Qui est Valentine ?
— Valentine Chambord, précisa Audrey. C’est une vieille amie de lycée à Redon.
Audrey était originaire de Saint-Vincent-sur-Oust, une commune toute proche de cette ville. Ses parents y demeuraient encore.
— Je l’ai perdue de vue après le lycée, poursuivit Audrey. C’était ma meilleure amie de l’époque. On s’entendait vraiment bien. Elle avait une année de plus que moi, mais nous étions dans la même classe ; j’avais un an d’avance. Et puis, en terminale, elle a connu un garçon, et ça n’a plus été vraiment pareil. On s’est détachées l’une de l’autre… Elle s’est retrouvée enceinte, à 18 ans… Le garçon a pris le large, et elle a arrêté le lycée en cours d’année pour accoucher. Ses parents et elle avec son bébé sont allés s’installer à Nantes dans la foulée ; son père avait été muté là-bas. Nous nous sommes appelées au téléphone de temps en temps au début, puis de moins en moins souvent, puis plus du tout. On n’avait plus les mêmes centres d’intérêt… Chacune de nous deux avait son propre parcours, bien différent de celui de l’autre. Elle, sa vie de jeune mère courant partout pour concilier sa vie de famille et ses études qu’elle avait reprises à Nantes, et moi, ma vie de jeune étudiante rennaise ayant noué de nouvelles relations. Voilà l’histoire !
— Et ce fils dont tu dis qu’il est accusé d’avoir tué sa petite amie, c’est donc le bébé de l’époque ?
— Oui, Benjamin, qui a donc 17 ans maintenant.
— Et ?
— Et quoi ? répliqua Audrey, arquant un sourcil interrogateur.
— Eh bien, ce qui va se passer maintenant ! Si elle t’appelle après toutes ces années, c’est pour te demander de l’aide, à toi, la policière ! Je me trompe ?
Audrey posa un regard incertain sur son mari, puis soupira :
— Tu as raison… Elle m’affirme que son fils lui a juré qu’il n’y était pour rien. Elle prétend que le flic qui est chargé de l’enquête a précipité les choses et qu’il a conclu trop vite à la culpabilité de Benjamin. Elle voudrait que j’essaie de reprendre certains éléments trop vite écartés, d’après elle.
— Hum ! Qu’une mère défende son enfant, envers et contre tout, c’est tout à fait normal !
— Oui, bien sûr ! Il n’est pas question de prendre tout ce qu’elle dit pour argent comptant ! Je connais le flic chargé de l’enquête, Chavin, capitaine du SRPJ de Rennes comme moi. J’ai déjà bossé avec lui. C’est un flic efficace. Avec lui, les affaires sont rondement menées…
— Mais ? Car il y a un « mais », à ta façon de dire « rondement menées » !
— Oui ! Effectivement ! acquiesça Audrey en faisant la moue. Il veut souvent aller trop rapidement à la conclusion d’une affaire, en ayant tendance à rejeter au second plan des éléments d’enquête qui ne cadrent pas avec ses hypothèses. Les deux affaires sur lesquelles nous avons travaillé ensemble ne font pas partie de mes meilleurs souvenirs de boulot…
— Donc, que vas-tu faire ?
— Le moins que je puisse faire, c’est de la soutenir dans l’épreuve qu’elle traverse ! Sans parler d’enquêter, je ne peux pas me défiler. Je voudrais bien me rendre à Saint-Brieuc pour être auprès d’elle dans les jours à venir, avec Nora évidemment. Qu’en penses-tu ? Tu es invité également… Tu viendras avec nous ?
Jo contempla le visage aux traits harmonieux de sa femme ; ses yeux d’ambre reflétaient les doutes qui la traversaient en ce moment. Il se dit qu’elle avait besoin de son soutien, de sentir sa présence à ses côtés.
— Je pense que je pourrai me libérer. Le docteur Charrier, mon remplaçant au cabinet, est toujours prêt à me suppléer au pied levé, et la direction du groupe Celarbrobreizh peut se passer de moi pendant quelque temps.
Jo, médecin généraliste, n’exerçait plus qu’à temps partiel depuis qu’il avait repris les rênes du groupe industriel Celarbrobreizh dont il avait hérité fortuitement. Il en assurait la responsabilité de président, une lourde charge, même si la gestion du groupe au quotidien incombait à son directeur exécutif et ami Jean Berthonnier. Le groupe pouvait donc tourner sans lui pendant quelques jours.
Audrey eut un hochement de tête accompagné d’un sourire reconnaissant en guise de remerciement. Une nouvelle fois, elle remercia le destin qui les avait réunis, en éludant toutefois les circonstances terribles de leur rencontre… Jo, son roc, sur lequel elle pourrait toujours s’appuyer, en toutes circonstances… Jo et son visage au charme viril, maintenant réparé après les dégâts causés par leur précédente aventure. Un observateur attentif aurait encore pu discerner sur ses traits quelques fines cicatrices et une légère déformation de la pommette droite.
Samedi 18 mars 2017, 10 heures ; Saint-Brieuc, domicile de Valentine Chambord
Jo, Audrey et la petite Nora étaient arrivés chez Valentine la veille au soir. Les retrouvailles des deux femmes s’étaient déroulées sans grandes effusions, en raison des circonstances dramatiques qui en étaient à l’origine. Valentine avait simplement exprimé sa gratitude en serrant son amie sur son cœur dans un élan d’émotion à peine contenue. Ils avaient aussi fait la connaissance de Frédéric, son conjoint, qui venait de rentrer de sa semaine de déplacements. Frédéric, divorcé d’un précédent mariage, était père de deux enfants vivant avec leur mère. Cela faisait maintenant cinq ans que le couple partageait le même foyer avec Benjamin, dans leur confortable demeure du Tertre Aubé, rue Charles-Le-Goffic.
Située dans un quartier cossu, la maison, entourée d’un petit jardin bien entretenu, était construite sur deux niveaux, surmontés d’un toit d’ardoises mansardé. Au rez-de-chaussée se trouvaient le garage et l’espace cuisine-séjour, de part et d’autre du couloir central ; les chambres étaient à l’étage et sous les combles. Elle présentait une belle façade rehaussée de pierres de granit d’un gris bleuté dans sa partie basse et autour des fenêtres de l’étage. Valentine avait installé ses hôtes dans la chambre d’amis au premier où se trouvait également celle de Valentine et Frédéric. Benjamin, ainsi que les enfants de Frédéric quand ils venaient chez leur père, avait la sienne sous le toit au deuxième.
Tous attendaient la venue de l’avocat de Benjamin, qui devait d’abord rendre visite au jeune garçon actuellement en détention provisoire à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc, le temps de la durée de l’enquête. Il s’agissait de maître Franck Dermot, que les Fauvel connaissaient bien pour avoir assuré la défense de Jo dans l’affaire Lisa Jézéquel.
Un coup de sonnette retentit. Valentine alla ouvrir, puis l’avocat fit son entrée dans le séjour. Après un chaleureux échange de salutations, tous s’installèrent dans le salon.
— J’ai eu une entrevue avec Benjamin ce matin comme prévu, relata Franck Dermot. Je ne vous cache pas qu’il supporte mal son placement en préventive. À part clamer son innocence, il n’apporte pas d’éléments nouveaux qui permettraient d’orienter l’enquête différemment.
— Valentine nous a dit qu’il avait d’abord reconnu sa culpabilité avant de revenir plus tard sur ses aveux, intervint Audrey. Excuse-moi, Val, mais ce genre d’attitude avec des aveux suivis d’une rétractation ne met généralement pas les enquêteurs et la justice dans les meilleures dispositions à l’égard du suspect.
— Il a craqué lors de sa garde à vue ! s’écria Valentine. Il n’a pas résisté à la pression écrasante que les policiers lui ont mise ! À la fin, il a avoué tout ce qu’ils voulaient pour qu’ils lui fichent la paix !
Audrey ne dit rien, mais elle se doutait que l’interrogatoire mené par Chavin avait dû être terriblement éprouvant pour le jeune garçon. Quelqu’un d’impressionnable ne pouvait résister à ce policier qui avait une réputation de terreur des suspects, et Benjamin avait effectivement pu céder à son harcèlement.
— Faisons le point sur le contenu du dossier d’enquête, reprit Franck. Audrey et Jo, je tiens à vous informer que j’ai d’abord été très réticent à l’idée d’évoquer cette affaire devant vous. Mais Madame Chambord…
— Appelez-moi Valentine…
— Valentine, donc, m’a expliqué votre grande amitié passée entre elle et vous, Audrey, et que vous deviez être considérée comme un membre de la famille, et pas comme une policière intervenant dans une enquête dont elle n’est pas chargée…
— Je comprends votre réserve, Franck, coupa Audrey. Et je vous mentirais si je disais me sentir parfaitement à mon aise vis-à-vis de vous, de ma hiérarchie ou de mes collègues. Je veux que ce soit clair pour tout le monde, et tout particulièrement pour Val et vous : je ne compte pas avoir un rôle d’enquêtrice sur le terrain, mais simplement apporter mon expérience et mon analyse des faits et des indices recueillis dans cette affaire.
Franck Dermot hocha la tête, visiblement satisfait de la réserve d’Audrey. Valentine eut une moue exprimant sa contrariété.
Audrey crut bon de lui préciser, d’une voix douce mais ferme :
— Val, je ne t’ai rien promis concernant l’enquête. Je suis ici en amie venue t’apporter son soutien, pas en flic menant des investigations.
Le visage de Valentine se décomposa soudain, ses yeux s’emplirent de larmes. Elle porta les mains à sa bouche pour étouffer un sanglot. Elle tenta de se reprendre et finit par dire :
— J’ai tellement peur pour Benjamin… Tout est contre lui ! Mais tu as raison : je me rends bien compte que je te mets dans une situation difficile, Audrey ! Mais comprends-moi, tu es mon seul espoir, l’unique chance de mon fils de s’en sortir…
— Je pourrais aller sur le terrain, moi… pour poser des questions par exemple, proposa Jo.
— J’ai peut-être une solution à vous soumettre, intervint l’avocat. Si cela vous convient, je pourrais embaucher Jo comme enquêteur privé temporaire attaché à mon cabinet. Il sera alors habilité à effectuer des recherches pour mon compte.
La proposition de Franck reçut l’approbation générale, et le soulagement de tous fut palpable.
— Val, reprit Audrey, tu as dit que tout était contre Benjamin. Il y a des preuves directes contre lui ?
— Si vous permettez, dit Franck Dermot, je vais vous faire l’exposé complet du dossier d’investigation. Après vous en saurez autant que moi…
L’avocat relata la succession des événements que la police avait reconstituée lors de ses investigations. Selon les enquêteurs, c’était limpide ! Juste avant de partir au football, Benjamin avait reçu un message sur son smartphone, contenant une photo de Lucie dans une posture sans équivoque. Il aurait alors vu rouge et décidé d’aller immédiatement à vélo à la rencontre de la jeune fille pour une explication. Ayant traversé le quartier de Cesson, toujours selon les policiers, il serait arrivé à la plage et aurait constaté que Lucie n’y était pas encore. Les traces de pneus relevées dans les deux sens semblaient indiquer qu’il aurait alors foncé à sa rencontre dans le sentier de randonnée où elle courait. Ils se seraient retrouvés nez à nez et disputés violemment : les empreintes de pneus mêlées à celles de chaussures, à cet endroit du chemin, désignaient le lieu présumé de la discussion orageuse. Elle aurait pris peur et aurait fui dans la descente. Fou de rage, il serait remonté sur son vélo et se serait lancé à sa poursuite ; il aurait vite comblé le peu d’avance qu’elle avait sur lui et elle se serait précipitée tout droit dans la forte pente de la falaise. Malgré les risques, il aurait quand même réussi à la suivre jusque sur la plage où il l’aurait finalement rattrapée et tuée à coups de pierre. Puis il aurait récupéré sur elle son smartphone, rejoint le sentier et serait retourné chercher son VTT. Il aurait ensuite pédalé le plus rapidement possible vers le stade Fred-Aubert, lieu de son entraînement, où il était évidemment arrivé très en retard.
— L’autopsie montre que l’heure de la mort est située entre 18 heures et 19 heures, compte tenu de la température de l’eau, poursuivit l’avocat. Elle confirme que l’arme du crime est une pierre, un gros galet ramassé sur la plage, mais elle n’a malheureusement pas permis d’effectuer des prélèvements d’indices notables sur le corps, son séjour dans l’eau ayant effacé les traces d’éléments extérieurs, si toutefois le meurtrier en avait laissé. L’enquête de voisinage n’apporte pas de précisions supplémentaires : aucun habitant des abords de la grève du Valais n’a vu ce qui s’est passé au moment de l’agression. Il faisait trop mauvais temps, et tous s’étaient calfeutrés chez eux. Donc, dans cette affaire, on n’a pas d’arme du crime exploitable et pas d’indices matériels prélevés sur le cadavre. Les seuls indices sont les empreintes très nettes laissées par les pneus d’un VTT sur le sentier au-dessus de la plage et des traces de pas, mais celles-ci sont très nombreuses et difficilement différenciables. Par contre, pour le VTT, ce dont la police est sûre, c’est qu’il s’agit de celui de Benjamin. La correspondance entre les pneus de son vélo et les moulages des empreintes relevées est indiscutable.
Franck faisait circuler les photos des empreintes relevées et de leurs moulages.
— Qu’est-ce qui a mené la police vers Benjamin et son vélo ? demanda Jo.
— Le portable de Lucie, révéla Franck.
Audrey et Jo ouvrirent de grands yeux.
— Vous avez dit qu’on ne l’avait pas retrouvé sur elle, dit Audrey, ni nulle part dans les parages du crime.
Valentine gardait les yeux baissés : visiblement, elle n’avait pas tout dit à Audrey lors de son appel à l’aide.
— La police l’a retrouvé dans notre jardin derrière un massif d’hortensias, déclara Valentine d’une voix sourde. Excuse-moi, Audrey ! Tu ne serais pas venue si je t’avais dit ça ! Mais Benjamin jure qu’il ne sait pas d’où sort ce portable, et que, s’il avait commis le meurtre, il ne l’aurait pas jeté dans notre propre jardin !
— Val ! Il y a encore beaucoup de choses que tu aurais… omises ? questionna Audrey, d’un ton glacial.
— Il y a ce que les flics ont trouvé dans le portable ! dit piteusement Valentine, qui se mit à pleurer de nouveau.
— Je vais vous expliquer, intervint Franck. Au tout début de leur enquête, les policiers ont dressé une liste de personnes à interroger, des proches ou des amis pouvant parler de Lucie. Benjamin a immédiatement fait partie des suspects potentiels : ancien petit ami de la victime et une rupture douloureuse pas cicatrisée. Ils l’ont interrogé sur son emploi du temps de la soirée du crime. Il était à son entraînement de football. Vérification faite auprès de l’entraîneur : il est arrivé avec une demi-heure de retard. Explication de Benjamin : s’il a eu autant de retard, c’est parce qu’on lui a volé son vélo dans le jardin ; il y est donc allé à pied, parfois en courant, mais est arrivé forcément très en retard ! Et quand il est revenu du foot, le vélo était là, tout sale, mais il était bien là ! Il n’y comprenait rien… Chavin, lui, a cru comprendre que le garçon essayait de le balader. Il a ordonné une perquisition… et un policier a trouvé le portable de Lucie dans le jardin…
Jo et Audrey étaient abasourdis. Leurs regards se croisèrent, emplis de doute et de déception.
— Et pour couronner le tout, reprit l’avocat, il y a le contenu de ce smartphone, qui était endommagé, mais que les techniciens ont réussi à faire parler : il y a eu plusieurs échanges de SMS entre Lucie et Benjamin. Il semblerait que les deux jeunes aient été disposés à se pardonner et à renouer. Ils devaient se retrouver le soir même vers 21 heures du côté du carré Rosengard, au Légué. Mais, vers 17 h 40, Lucie a reçu un SMS de Benjamin lui disant ceci…
Franck tendit à Audrey un feuillet sur lequel figuraient les quelques lignes du texto du garçon :
« Il faut qu’on se voie d’urgence. Je suppose que tu es déjà partie ou que tu vas bientôt partir pour ton footing. Je viens à ta rencontre et on se retrouve à la plage du Valais. »
— Et alors ? dit Jo. On peut penser que Benjamin était simplement pressé de retrouver Lucie…
— Oui, sauf que la police a aussi exploré le contenu de son smartphone à lui. Il n’y a pas trace de ce SMS qu’il a envoyé : il l’a effacé… Par contre, il y a la fameuse photo que les enquêteurs ont trouvée dans un MMS qui lui a été adressé une heure plus tôt par un autre jeune, et pas vraiment un copain…
Franck leur passa un tirage d’une capture d’écran sur laquelle on voyait Lucie se faire lutiner par un garçon qui n’était pas Benjamin. Le commentaire sous la photo disait : « Alors, Benjamin, tu pensais que tu allais me la reprendre ? Il n’y a qu’avec moi qu’elle s’éclate vraiment ! Alors tu la laisses tranquille, sinon… »
— Effectivement, ça fait beaucoup d’éléments contre lui ! murmura Jo, songeur.
— Donc, pour la police, aucun doute possible ! compléta Franck. Elle tient son coupable. Tout y est ! Il y a le mobile : jalousie amoureuse et vengeance ; l’alibi fourni ne tient pas, et il y a un faisceau d’indices ou d’éléments concordants à charge.
Un silence pesant tomba sur la pièce, chacun ruminant ce qu’il venait d’entendre.
Au bout d’un moment, Audrey reprit enfin la parole.
— Franck, avez-vous demandé à Benjamin quelle a été sa réaction quand il a vu la photo de Lucie avec l’autre jeune garçon ?
— Oui, bien sûr ! Il m’a dit que s’envoyer des photos choc par MMS, ou encore pire, via les réseaux sociaux, c’était le genre de crasses que les jeunes de son âge se faisaient régulièrement entre eux. Il n’y avait attaché aucune importance, car il était certain que cette photo n’était pas récente, qu’elle datait certainement de la nuit qui avait précédé leur séparation. En disant cela, il avait l’air sincère, et il a ajouté : « Pourquoi aurais-je effacé le SMS que j’aurais soi-disant adressé à Lucie lui donnant rendez-vous sur la plage et pas cette photo d’elle avec un mec ? Si j’étais le tueur, ça n’aurait pas de sens ! Je n’ai jamais écrit ce message à Lucie ! » Effectivement, il a raison… sauf que le SMS reçu par Lucie provient bien de son téléphone à lui…
— Son téléphone a peut-être été utilisé en douce par quelqu’un d’autre qui a envoyé ce SMS à Lucie, émit Jo. Tout ça me fait penser à ce que j’ai subi l’an passé, quand j’ai dû répondre également à des accusations de meurtre. Le coup avait été bien monté et là, ça me fait la même impression…
— Mais alors, qui pourrait en vouloir à ce point à mon Benjamin ? s’interrogea Valentine, déconcertée.
— Il est trop tôt pour le dire, répondit Jo. Je vais déjà commencer par aller repérer les lieux.
Samedi 18 mars 2017, 14 heures ; Saint-Brieuc, plage du Valais
En début d’après-midi, Jo se rendit sur place. Muni d’une carte IGN, il repéra le sentier de randonnée, dont l’accès au-dessus de la pointe de Cesson était toujours interdit par de la rubalise. N’étant pas policier, il ne pouvait aller au-delà. Cependant, la plage était ouverte au public ; Jo y descendit et se dirigea sur la gauche vers la pointe de Cesson, observant avec intérêt les pittoresques demeures sur pilotis adossées à la falaise.
Après la dernière cabane, il remonta vers la pointe rocheuse en traversant la bande de galets. Il s’arrêta à la base des rochers, leva les yeux vers la zone de végétation au-dessus de la roche et distingua les traces en forme de sillons encore visibles laissées par Lucie et son poursuivant. Il se retourna vers la plage, imaginant sans peine la pauvre jeune fille courant sur le sable, terrifiée, épuisée, hurlant dans la tempête, talonnée par un homme malfaisant, une pierre à la main… Le monstre la rattrape, frappe de toutes ses forces… Jo se détourna de sa vision, serrant les poings, et reprit sa marche en empruntant le sentier derrière le port de commerce. Très vite, il atteignit la route juste devant l’entrée de la zone portuaire. Il consulta sa carte et leva la tête vers la falaise qui le surplombait, se disant que le sentier de randonnée passait juste au-dessus. Il rebroussa chemin pour retourner à la plage du Valais. Il regretta de n’être pas autorisé à emprunter le sentier pour pouvoir dresser son propre état des lieux. Mais il ne voulait pas s’attirer trop vite l’ire du capitaine Chavin, car il se doutait bien que, tôt ou tard, cela arriverait…
Il remonta au parking puis s’engagea à pied dans la rue du Valais. Il atteignit une des premières maisons, vérifia le numéro que lui avait donné Franck, puis alla sonner à la porte.
Une femme aux cheveux gris lui ouvrit.
— Bonjour, madame Agenin, je suis Jonathan Fauvel, enquêteur au service de maître Dermot, avocat du jeune Benjamin Chambord, accusé dans l’affaire Lucie Kerlouan…
— Mais j’ai dit tout ce que je savais à la police ! s’alarma Christiane Agenin. J’ai déjà du mal à me remettre de ce pénible souvenir…
— Excusez-moi, Madame, je voulais simplement vous demander si quelqu’un aurait pu se trouver sur le sentier à l’heure du meurtre… Quelqu’un qui aurait l’habitude de s’y promener ?
— Je n’en ai vraiment aucune idée. Qui aurait pu vouloir aller dehors ce soir-là, avec la tempête ? À moins que… mais non ! C’est une mégère !
— Dites toujours ! la pressa Jo. On ne sait jamais !
— Il y a bien la vieille Angèle ! Elle va tous les soirs sur la plage ou sur le sentier, quel que soit le temps ! Elle habite un peu plus loin sur la gauche, une maison aux volets d’un bleu défraîchi. Mais, même si elle a vu quelque chose, ce n’est pas du tout sûr qu’elle accepte de vous parler ! Elle n’est vraiment pas commode !
Jo remercia Christiane Agenin et alla jusqu’à la maison aux volets bleus et écaillés. Il voulut sonner, mais aucun timbre ne se fit entendre lorsqu’il pressa le bouton. Il frappa à la porte. Aucun mouvement ne se fit à l’intérieur… Jo frappa plus fort. Il lui sembla percevoir un juron ! Un bruit de pas traînants se rapprocha de l’entrée. Le battant s’ouvrit sur une petite vieille au visage sillonné de rides profondes ; elle fixa son visiteur d’un regard féroce.
— Qu’est-ce qui vous prend de faire tout ce ramdam ? Et puis, j’vous connais pas !
Jo se présenta poliment, et lui demanda :
— Pouvez-vous me dire si vous êtes sortie aux abords de la plage le soir du crime et si vous y avez vu la victime qui faisait son jogging, ou bien si vous avez croisé toute autre personne ?
Une lueur très fugace passa dans les yeux de la vieille harpie. Jo fut alors certain qu’elle avait vu quelque chose. Mais elle répondit sur un ton rogue :
— J’ai rien à vous dire ! Fichez l’camp maintenant !
Jo eut alors une idée. Il n’aimait pas beaucoup ce qu’il allait faire, mais la fin justifiait les moyens. Il sortit son portefeuille de la poche intérieure de sa veste et y pêcha un billet de dix euros. Un éclair d’envie apparut dans le regard de la vieillarde.
— Gardez votre fric ! J’ai rien à dire !
Jo sortit alors un billet de vingt euros. Les yeux de la femme s’écarquillèrent.
— Vingt euros pour vous si vous parlez, et dix de plus si ça a de l’intérêt pour moi !
— Pas dix de plus, j’veux vingt ! marchanda la vieille.
Jo accepta. Elle empocha le billet de vingt euros et dit :
— Comme tous les soirs, j’ai été à la grève ce soir-là. J’ai pas vu la fille, non… Mais j’ai vu quelqu’un à vélo qui pédalait comme un fou sur la plage… Un vélo avec des gros peuneus à crampons et des rabat-bouillon comme les motos de cross…
— Des rabat-bouillon ? C’est quoi ?
— Bah, des machins au-dessus des roues pour pas que la gadoue écliche partout, tiens !
— Ah ! Des garde-boue ! Donc quelqu’un à VTT, et qui roulait sur la plage ?
— Ouais ! Y remontait vers le parking. Je l’ai croisé au bas de la cale.
— Vous avez vu à quoi il ressemblait ?
— J’ai pas pu voir sa figure : l’avait un casque. Et y portait une tenue spéciale, comme un cosmonaute, avec du blanc, du gris et du jaune. Après, il est remonté par la rue du Valais. Voilà, c’est tout c’que j’ai vu.
— D’accord. C’est déjà pas mal ! D’après vous, c’était un grand, un petit, un gros, un maigre ?
— J’pense pas qu’il était grand, plutôt moyen… L’était pas maigre, l’était costaud, pour sûr ! précisa-t-elle en écartant ses mains pour donner une idée de la carrure de l’individu.
Il remercia la vieille femme, lui tendit un deuxième billet de vingt euros plus celui de dix euros qu’elle empocha avec un petit sourire surpris. Puis, alors qu’il descendait vers le parking pour reprendre sa voiture, il coupa son smartphone, qui venait d’enregistrer les paroles du témoin.
Samedi 18 mars 2017, 17 heures ; Saint-Brieuc, domicile de Valentine et Frédéric
De retour de Cesson, Jo prit Nora dans ses bras. Elle venait de boire son biberon et s’assoupissait de nouveau. Il fit part à Audrey et Valentine de ses découvertes et leur fit écouter l’enregistrement du témoignage de la vieille Angèle. Frédéric était sorti faire des courses. À la fin de l’audition des propos d’Angèle, Valentine réagit :
— Cette femme parle d’un homme de taille moyenne, très costaud et large d’épaules. Il ne peut absolument pas être mon fils, qui est très grand et très mince ! C’est dommage qu’elle n’ait pas pu voir son visage !
Audrey proposa d’appeler Franck Dermot, retourné à Rennes, via Messenger. Ils l’eurent aussitôt en ligne. Il fut également informé des investigations de Jo. Tous quatre plongèrent alors dans une intense réflexion prenant en compte les nouveaux paramètres. Puis Jo prit la parole, afin de proposer une autre interprétation des faits.
— On ne peut pas nier que la théorie de la police tenait la route tant qu’on ne connaissait pas la description du cycliste. Moi, je vais partir de la probabilité que le gamin dit la vérité. Si l’on prend en compte cette hypothèse, le vélo de Benjamin a été volé et le voleur devient l’assassin, un homme de taille moyenne et râblé, pas du tout le physique de Benjamin. De plus, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est très bien renseigné sur la vie du garçon et de ses parents ! Sinon, comment aurait-il su que le vélo était facilement accessible ? Et le smartphone de Benjamin, comment aurait-il pu s’en emparer pour envoyer le message à Lucie ?
— Justement, cela paraît totalement impossible, objecta Audrey. Comment cet individu aurait-il pu voler le vélo et le ramener ensuite sans se faire voir ? Et téléphoner avec le smartphone de Benjamin ?
— Imaginons le tueur. Il surveille la maison ; il sait que Benjamin va partir au foot vers 17 h 45, il attend que Benjamin monte dans sa chambre préparer son sac de sport, prend le risque de s’introduire dans la maison, s’empare du téléphone du garçon, envoie le message à Lucie, l’efface aussitôt, et remet le portable là où il était. Il sort de la maison, prend le vélo sur la terrasse et quitte la propriété.
— Sans que personne ne le voie, ni les voisins, ni Benjamin ? insista Audrey, peu convaincue.
— Un proche de la famille peut-être, que personne ne trouverait bizarre de voir là ? proposa Jo… Bon ! Si on suit ma théorie, il faudrait trouver des témoins qui auraient pu voir quelqu’un entrer ici entre 17 h 30 et 18 heures ce soir-là…
— La police a interrogé les voisins, intervint Franck via Messenger. Personne n’a vu quoi que ce soit, sauf un certain monsieur Vidal, qui réside en face, et qui a aperçu Benjamin qui sortait de chez lui sur son VTT…
Il s’interrompit le temps de rechercher le compte rendu d’audition du témoin dans son dossier.
— Voilà ! J’ai en main le compte rendu de l’interrogatoire de ce témoin ! fit l’avocat… Je cite : « J’ai vu Benjamin qui sortait de chez lui en grande tenue de VTT ! À cette heure-là, il devait partir à son entraînement de foot. Je me suis dit qu’il allait bien se faire rincer avec la pluie qui commençait à tomber ! »
— Donc Benjamin a bien pris son vélo ce soir-là ! dit Audrey. La vieille Angèle a peut-être mal vu le cycliste. Il y a beaucoup de gens peu observateurs…
Jo était visiblement abattu… Soudain, il se redressa, une lueur dans le regard :
— Et si… ? Il faut que je voie ce monsieur tout de suite !
Jo redonna Nora à sa mère. Il était déjà dehors quand Valentine se décida à le suivre, intriguée. Ils croisèrent Frédéric, qui revenait des courses avec ses sacs de provisions. Valentine lui expliqua en deux mots que Jo voulait rendre visite à leur voisin.
Il alla sonner à la porte de la maison d’en face. Un homme d’une bonne soixantaine d’années vint ouvrir. Une expression de crainte effarée se peignit sur ses traits quand il découvrit l’imposante stature de l’inconnu qui était à sa porte. Jo s’excusa aussitôt de son intrusion, puis se présenta en tant qu’ami de Valentine et Frédéric.