Doudou - Hasora B. Diawara - E-Book

Doudou E-Book

Hasora B. Diawara

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Beschreibung

Doudou nourrit le désir de se marier, défiant son jeune âge. Lorsqu’il croise Jasmine, la princesse de ses rêves, son être s’enflamme entièrement. Son esprit est envahi par mille pensées amoureuses qui s’emparent peu à peu de son cœur. L’histoire colorée et nostalgique de ce garçon vous invite à embarquer dans une idylle adolescente qui dépoussière les plus purs souvenirs de l’enfance.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après un parcours riche d’expériences, Hasora B. Diawara, enfant de la Teranga, est naturellement revenu à la littérature. Ayant été bercé et inspiré par les contes africains et arabes, sa seconde publication, "Doudou – Au cœur d’une idylle sénégalaise", est un somptueux hommage à tout ce qu’il a connu et aimé. Le rêve est et demeure le moteur de sa création.

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Hasora B. Diawara

Doudou

Au cœur d’une idylle sénégalaise

© Lys Bleu Éditions – Hasora B. Diawara

ISBN : 979-10-422-3360-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon ami et frère, Papa Idrissa Diallo,

Doudou dans toute son excellence.

À mon oncle et rival, Idrissa Camara.

À mes oncles et pères, Baye Yoro Diallo,

Baye Amadou Diallo et Baye Gaucher Diallo.

Chapitre I

Freeze !Et le jeune adolescent devint bonhomme de sable…

Fixé comme un piquet, le souffle coupé, Doudou était plutôt enjoué, et perturbé. Deux vieillards vêtus de djellabas gris et vert, trois femmes mûres, belles et souriantes, dans leurs beaux pagnes et avec leurs jolis foulards, quatre jeunes filles et six autres garçons, revenant de l’école, eurent le temps de traverser son regard sans qu’il ait eu souvenir d’avoir repris son souffle.

Clic ! Clic ! Clic !

Une grande maison marronne, semblable à un hérisson en pierres, à trois étages. Trois balcons, verticalement alignés. Au premier, une vieille dame, bien installée sur son divan, tenait un éventail rose. Elle contemplait le ciel, qui virait progressivement du bleu à l’orange.

Clic ! Clic ! Clic !

Au rez-de-chaussée, la boutique de Demba Dieng. Et Ouleye Kane qui en ressortait.

Clic ! Clic ! Clic ! Clic ! Clic ! Clic ! Clic !

Toujours belle, sensuelle et fraîche. Et le bonhomme de sable, devenu malgré lui appareil photographique, voulut vainement immortaliser chaque instant, même si l’instant ne cessait de s’altérer à chacun de ses pas. Ouleye portait un boubou ample. Des cercles noirs astucieusement placés sur le tissu vert clair, on aurait dit une coccinelle humaine. Doudou aurait tant aimé la voir déployer ses ailes d’ange, car il était sûr qu’elle en avait, et voler plus haut, décrocher les étoiles qui lui étaient égales en beauté. Comme aimait le dire feu son grand-père : Épouse une Peule ou meurs seul. Et Ouleye… Oh Ouleye, avec ses anneaux d’or qui emprisonnaient ses longues tresses noires de jais, sa peau claire, son front aussi lisse qu’une coupole et une démarche souveraine qui plaçait le Sud au Nord et le Nord au Sud, l’Est à l’Ouest et l’Est à l’Ouest. Ouleye était si belle, Doudou en était charmé.

« Oh, mais nop nako trop ! Je suis moumoureux ! Regarde-moi cette linguère ! »

Ouleye entendit Mor prononcer ces paroles emplies de douceur. Elle gratifia de son plus innocent sourire les trois garçons qu’elle dépassait d’une tête, avant de reprendre sa route.

Mais Mor reprit :

« Femme leer, femme claire.

Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté.

Ak lekh you nekh, melni niekh !

Laisse-moi t’épouser ! Je vais te rendre heureuse, ma sœur ! »

Pape et Doudou redevinrent instantanément bonhommes de chair, en entendant ces mots directs et déplacés de leur très entreprenant copain. Et ce fut Doudou qui réagit le plus vite :

« Iow da nga doff ! Lâche l’affaire. Ouleye, makoye takk. Je serai son mari. »

Et au tour de Pape :

« Je suis le plus âgé, droit de naisse. Je serai son mari, point final. »

N’eut été l’intervention de la désirée, les trois garnements se seraient bagarrés et écharpés. Ouleye leur demanda :

« Quel âge avez-vous ? »

« 13 ! »

« 13 ! »

« 14 ! »

« Vous êtes bien trop jeunes pour vous marier, et bien trop jeunes pour moi. Je suis heureuse et flattée d’être aimée par de si adorables garçons. »

Les trois sourirent malgré eux.

Ouleye reprit :

« Grandissez encore. Dans six, sept années, vous pourrez vous marier et avoir chacun une femme encore plus belle et brillante que moi. Mais attention ! Vous devrez devenir de bons garçons, avoir de belles valeurs, mais surtout… la chose la plus importante… Est-ce que l’un d’entre vous peut-il deviner cette chose ? »

Au terme d’une courte réflexion, Doudou se prononça :

« Une belle voiture ? Je sais que les filles aiment beaucoup les belles voitures. »

« Je ne pensais pas exactement à cela, mais tu as raison. Les filles adorent les voitures, et tout ce qui brille. »

Pape donna sa réponse :

« Une belle maison ? Tout le monde aime les belles et grandes maisons. »

« Toujours pas la réponse attendue, mais tu as raison. Une maison est importante, et chaque femme doit être maîtresse d’une maison suffisamment grande et belle. »

Mor termina :

« Xaliss, Moning, le pognon et le flouze. Avoir beaucoup d’argent, quoi. Les femmes aiment les billets. »

« Exactement ! Voilà la bonne réponse ! L’argent est vital, tout le monde aime l’argent. »

Après avoir regardé furtivement à gauche et à droite, Ouleye Kane se pencha puis chuchota aux garçons :

« Voici un secret pour vous : si vous voulez avoir qui voulait ; un, deux trois ou quatre chacun ; devenez riches et populaires. Faites de l’argent et beaucoup d’argent, et aucune femme ne vous résistera, je vous le promets. »

« Même toi ? questionna Pape, les yeux remplis d’espoir. Doudou et Mor étaient dans le même état. »

« Je vais me marier dans deux semaines. Et d’ailleurs, vous êtes tous invités. Cela me ferait plaisir que vous veniez. Mon mari est politicien. Et il m’a promis d’aller à Marrakech, Dubaï et Istanbul pour notre lune de miel. Je n’ai jamais voyagé et j’ai tellement hâte ! »

« On sera là ! » dit Mor.

« Oui, on viendra ! » suivit Doudou.

Pape, déçu, s’efforça de sourire.

Ouleye reprit sa route pour de bon cette fois. Même de dos, elle était si belle. Doudou avait pu voir ses yeux en amande de plus près, de même que les marques au henné sur joues, ses boucles d’oreilles circulaires et ses belles dents blanches, piliers d’un sourire hors de ce monde.

Il voulait se marier. Il voulait se marier. Maintenant ! Et non dans six, sept années… Comment pourrait-il attendre, quand une seconde valait une éternité, et que chaque seconde lui rappelait une profonde solitude ?

Mais qui allait choisir, maintenant que Ouleye était hors course ? Ou plutôt, qui est la plus belle femme du monde ?

Il dépoussiéra ses souvenirs. Huit lettres tremblant sur un fond blanc :

M-A-T-H-I-L-D-E.

La belle-sœur, la bonne sœur, la nonne, la professeure. Doudou se rappelait ces matins bleus, souvent froids, où Mathilde, souriante et énergique, attendait tous les enfants, de la petite à la grande section, à l’entrée principale de l’établissement, sous l’enseigne Notre Dame. Elle portait fièrement sa tunique religieuse, un haut et une cornette blancs comme le lait et une jupe longue et ample, tantôt bleue, tantôt noire, dépendamment des jours. Elle était gracieusement belle. Et ses yeux gros et ronds, ouverts comme le monde, voyaient tout et cernaient tout.

« Tu devrais lâcher la main de ta maman, mon grand, tu ne crois pas ? »

« … »

Doudou agrippait fermement la main de Sarata, refusant de la lâcher à tout prix.

« Regarde ce que j’ai pour toi. Comment tu le trouves ? »

Mathilde sortit, de son dos, une serviette bleu clair en forme d’oiseau, impeccablement pliée.

Doudou voulut la saisir, mais la nonne recula d’un pas. Il la suivit puis finit par attraper l’oiseau, oubliant qu’il avait lâché la main de sa mère. Sarata en profita pour s’éclipser discrètement, après avoir fait un signe chaleureux à Mathilde, qui le lui rendit.

« Si tu prends ma main, je t’en ferai une autre la prochaine. Je suis plutôt douée avec mes mains alors dis-moi ce que tu préfères. Une girafe ? Un ours ? Un lion ? »

« … »

« Ah, je m’égare. Tu ne dois pas connaître beaucoup d’animaux à ton jeune âge. Je te montrerai des images dans la salle de classe et tu me diras ce que tu préfères, d’accord ? »

« … Dino… Dino… Dino… »

« Un dinosaure ? D’accord, je t’en ferai, promis. Alors, prends ma main. »

Doudou lui prit la main. La pluie dans son cœur se substitua à un doux été ensoleillé. Et il aima, à partir de ce jour-là, sa très gentille maîtresse. Aux questions qu’elle posait en classe, aux activités qu’elle organisait, il était toujours disponible et volontaire. Et un jour, une de ses camarades pleurait, dans le coin de la classe. Il l’avait approchée, avec assurance ; et lui eut dit :

« Main. Wazoo. Tiens. »

Doudou lui tendit la main gauche, portant l’oiseau, et la main droite, portant son amitié. Et Mathilde observait la scène, satisfaite.

« Merci. »

La fille essuya ses larmes, et les traits de la joie décorèrent sa face. Le gris de son cœur avait fait place à un beau jaune solaire.

Doudou reçut plus tard, en guise de récompense, un bisou de Mathilde sur le front. Ce jour resta à jamais gravé dans sa mémoire. Et à chaque fois qu’il voyait le balancement d’un crucifix, il repensait à Mathilde, et à cet après-midi rose.

Mais pour autant, Mathilde était-elle la plus belle femme du monde ?Il ne saurait le dire, ne l’ayant plus vu depuis des années. Elle avait dû beaucoup vieillir, mais il était sûr que son visage amical résisterait au temps. Néanmoins, elle aurait pu être la plus belle femme du monde si…

Sept lettres tremblant sur un fond blanc :

A-I-C-H-A-T-A.

« Qu’elle est grande ! »

Après avoir franchi le seuil de la maison, elle offrit de somptueux pas de danse à toute la famille. On pouvait supposer une forte inspiration indienne, et le sari bleu océan qu’elle portait ne trahissait nullement cette hypothèse.

Année après année, les mêmes entrées : vêtue d’un ao dai vietnamien, vêtue d’un sarafan Russe, vêtue d’une djellaba marocaine et vêtue d’autres tenues d’autres cultures riches en couleurs et en histoire.

« Qu’elle est belle ! »

Et Doudou, qu’Aïchata avait attiré dans le cercle, dansait comme si sa vie en dépendait. Il voulait l’égaler en grâce, ou au moins ne pas ternir le spectacle.

« Mon mari a encore grandi. Et il danse comme un buur, mach’Allah », avait-elle dit en applaudissant son neveu de huit étés à peine.

« Je ne sais pas quoi dire. Je ne l’ai jamais vu danser comme ça. Je ne l’ai jamais vu danser tout court », lui répondant Sarata, sa sœur.

Ousmane et Sambou, père et frère de Doudou, riaient à pleines dents. L’enfant, trop passionné, voulut reproduire une chorégraphie de Mbalax, qu’il voyait souvent à la télé. Mais il leva sa jambe bien trop haute, ce qui le déséquilibra et le fit atterrir sur les fesses.

Aïchata lui tendit la main, compatit à sa douleur avec un Massa ! puis le félicita pour sa prestation.

« Qu’elle est gentille ! »

Elle était si fine qu’elle flottait dans tout ce qu’elle portait. Elle était une femme unidimensionnelle, irréelle, dressée comme un roseau. Son regard perçant, sa voix enivrante et sa belle aura qui transmettait partout de la joie. Elle était sirène faite humaine, cousine des sculptures de bois qu’il avait vu une fois dans le musée des arts africains.

« Hi ! Doudou, ne te marie pas. Ne te marie jamais. Je vais pleurer de jalousie quand tu vas grandir, et toutes les filles, ces harpies, vont te tourner autour. Et moi, je serai trop vieille et tu vas m’oublier et arrêter de m’aimer… Trop triste. J’ai déjà un pincement de cœur quand j’y pense », dit la sirène en faisant la moue.

« Thillo, laisse l’esprit de mon enfant tranquille. Comment va ton mari Abdoul ? Dis-lui d’appeler plus souvent et de donner des nouvelles », lui rétorqua Sarata.

« Je m’en moque de lui, moi. Je vais le jeter même. Je préfère garder mon Doudou à moi. [Elle avait les mains sur les joues de son neveu et les remuait de la gauche vers la droite, et de la droite vers la gauche.] Il est tellement mignon et beau… Ah ! On a qu’à lui demander de choisir. Doudou chéri, tu préfères qui entre ta mère et moi ? Moi, je suis jeune, belle, fraîche, à la force l’âge et je serai bientôt internationalement populaire. Ta mère est vieille et n’a aucune classe, aucune élégance et aucun sens de l’humour. Même à vingt ans, elle avait déjà des cheveux blancs, c’est pourquoi elle porte toujours un foulard, pour aussi mieux cacher les insectes dans ses cheveux. »

Doudou se retrouvait en face d’un vrai dilemme. À sa gauche, Aïchata, rayonnante et confiante, et à sa droite, Sarata, plus qu’outrée et impatiente d’en découdre avec sa très jeune sœur. Il leva tout de même le doigt, et désigna, pour la toute première fois, la plus belle femme du monde…

Six lettres tremblant sur un fond blanc :

S-A-R-A-T-A.

Elle pénétra le salon, suivie par son ombre qui se détachait de l’obscurité de la cour. Doudou, attiré par la bonne odeur qui se dégageait du plat circulaire qu’elle tenait, ferma immédiatement le livre de ses souvenirs. Du couscous de mil, et une fumante sauce d’arachides et quelques bouts de viande qui pataugeaient à l’intérieur, à côté des patates, des carottes et du chou. Et mère Sarata, qui apportait la félicité, demanda :

« Où est ton père, Doudou ? Et toi, Awa, éteins ton téléphone ! Et va chercher le tapis. »

« Il n’est pas encore revenu de la mosquée », lui répondit Doudou.

Et Awa, paresseuse et nonchalante, marchait avec difficulté vers sa chambre pour récupérer. Sarata regretta de ne pas avoir une ceinture ou un balai à disposition, pour mieux corriger cette fille qui la faisait soupirer à longueur de journée. Elle ne put que la maudire, à trois reprises.

Ousmane et Sambou ne tardèrent pas à rentrer. Sidy, qui somnolait dans sa chambre, rejoignit le dîner familial. Sarata était aux côtés, comme toujours, pour lui servir les meilleures parts. Doudou et Sidy étaient côte à côte, de même Awa et Sambou. On consommait et on bavardait. Et, comme d’habitude, Awa rapportait les derniers ragots du quartier, après que Ousmane avait quitté le cercle.

« Vous connaissez la dernière ? Mère Sylla a chassé sa bru de la maison familiale. Nakatéyooo, doomu Jinné la wone. Je l’ai toujours dit ! Je ne l’ai jamais senti ! Walaye bilaye je ne l’ai jamais senti. Elle a bien travaillé ce pauvre Omar, elle l’a trop bien travaillé même ! »

« a oudhou billahi mina shaytani rajim. Qu’est-ce que je vais faire de cet enfant ? Quand vas-tu te mêler de ce qui te regarde ? »

« Les mariages sont trop tragiques de nos jours, tata Sarata. Les femmes de maintenant là, elles ont des maris et elles jouent avec. Kou am dieukeur am keur. Kou am dieukeur am mbeur. Kou am dieukeur am seur. Elles ont tout ça et elles gâchent tout. Shaytan mo beuri dolé vraiment », répliqua Awa.

« Si tu craignais Allah plus que tu ne crains le Diable, tu aurais fermé cette bouche calomnieuse. Maintenant, lève-toi ! Va commencer la vaisselle, fille de rien ! Tchiip ! »

Awa, qui voulut en placer une autre, fut interrompue par la main lourde de Sarata qui menaçait de la gifler. Elle ne put fuir que vers le robinet, où deux bassines de vaisselles l’attendaient.

Sidy et Sambou quittèrent le plat à l’heure, après avoir béni Allah et Sarata pour la bonne cuisine. Ne resta plus que Doudou qui aidait sa mère à nettoyer le plat. L’adolescent avait observé sa mère tout le repas durant. Était-elle la plus belle femme du monde ?s’était-il demandé. Elle avait un beau visage, à la fois doux et ferme, et les mêmes yeux que sa sœur Aïchata. Elle n’était ni ronde ni fine. Une forêt blanchâtre s’échappait de son foulard, elle avait renoncé à les noircir. Le temps la dévorait, et elle acceptait dignement son sort. Son sourire, superposé à ses rides, reflétait son empathie et sa justice. Quand les yeux de sa mère, similaires à deux perles de lune, se posèrent sur Doudou, il se figea un instant :

« Tu as bien mangé ? »

« Oui. Merci. »

« Et comment ça va à l’école ? J’espère que tu travailles bien. Nous payons suffisamment cher pour que tu ne nous ramènes pas de mauvaises notes et des problèmes. Et fais attention à ton ami Mor, il a l’air d’aimer les bêtises. Pape est plus correct et droit. »

« Ils vont bien. Et on est sages. »

Plus il la regardait, plus il la trouvait belle. Mais d’une beauté qu’il ne saurait nommer. Différente de Mathilde, différente d’Aïchata et différente d’Ouleye Kane. Elle était la plus singulière des quatre, et la plus haute en élégance.

« Yaye boy, j’ai quelque chose à te dire… Je veux me marier. Je pense que je suis prêt. »

Doudou voulait épouser la plus belle femme du monde,belle à l’image de sa mère. Il en était convaincu.

« Doudou… Qu’est-ce que tu viens de dire ? »

Le vent soufflait fort. Mère Sarata attendit une réponse, ou plutôt une clarification. Doudou perdit plusieurs années d’un coup. Le regard fuyant, les bras tremblant de honte, il ne put que se contenter de dire :

« Rien du tout… Juste envie de pisser. J’y vais… »

La honte.

Plus tard dans la même soirée, Doudou prenait l’air, accoudé au balcon sur la terrasse de la maison. La nuit était plus profonde, et le vent moins tolérant. Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas une ombre approcher.

« Pourquoi ne dors-tu pas ? »

Sarata, vêtue d’une longue robe blanche et noire, se tenait aux côtés de son fils.

« Vingt-deux heures passées, et tu es encore là à glaner… N’as-tu pas peur de Ñol Weex ? »

Doudou pouffa de rire.

« Mais Ma, je sais qu’il n’existe pas… »

« Et qui t’a dit ça ? Moi, j’y crois. Il est grand comme un immeuble de cinq étages, blanc comme le lin et il traque les enfants qui refusent d’écouter leurs parents et de dormir la nuit. Peut-être qu’il devrait même venir te chercher… Têtu comme tu es. »

« Et tata Aïchata viendra me libérer, plaisanta Doudou. »

« Ha ! Tu as déjà vendu ta mère pour si peu… Hum, elle n’a qu’à te prendre avec elle. Va la rejoindre, comme tu n’aimes plus ta mère. [Elle lui tira la joue par la même occasion.] »

« Mais je t’aime maman et c’est pourquoi… M’enfin, je veux me marier. »

« La première fois que j’ai vu ton père, j’étais encore plus jeune que toi. On vient du même village, mais les choses étaient très, très, très différentes. Les garçons et les filles ne se fréquentaient pas. Quand les adultes en voyaient une paire un peu trop proche, ils les insultaient et les poursuivaient avec des bâtons. J’avais deux amies : Nabou et Seyni. Une fois, on jouait au jeu du bandeau et aveuglé, je devais attraper l’une des deux. Quatre garçons, dont ton père, ont infiltré notre partie. Heureusement pour eux, on était assez loin du village, près du baobab ancestral. Dès que ma main caressa une joue poilue, j’ai immédiatement basculé en derrière, croyant là la manifestation d’un Jinné pervers.

Après avoir entendu ces rires très masculins, j’ai su que des idiots de garçons étaient présents et je suis passé rapidement de la colère aux larmes, et des larmes à la peur. Feu ma mère me répétait toujours de ne jamais toucher de garçon, autre que mon mari, et avait juré de me brûler les mains si j’osais franchir la ligne. J’imaginais déjà mes deux bras carbonisés, je ne pourrais plus cuisiner, ni faire le linge, ni jouer avec mes amies et cela m’effrayait. Mais très heureusement, j’ai épousé cet homme par la suite. Je remercie Allah chaque jour qui passe.

Nabou n’a pas eu la même chance. Elle a fréquenté un garçon en secret, a eu un bébé non désiré et a été bannie de sa famille. Je n’ai plus entendu de ses nouvelles depuis des années. J’espère sincèrement qu’elle va bien. »

Doudou était heureux d’entendre cette belle histoire de son passé. Et il espérait avoir une aventure semblable avec sa promise.

« Alors, parle sérieusement, Doudou. As-tu fait honte à ta famille ? As-tu engrossé la fille d’autrui ? Si tu me dis la vérité maintenant, peut-être que je ne tuerais pas… En fait si, je te tuerai ! Je ne saurais pas où raconter cela ! Qu’Allah nous préserve de la honte ! »