Du sel dans les larmes - Jean Bera - E-Book

Du sel dans les larmes E-Book

Jean Bera

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Beschreibung

Muré dans son silence, Jean encaisse le nouveau cancer de sa tendre Anna sans réaliser qu’il détruit leur relation. Incapable de concilier son amour pour elle et l’absence d’érotisme, son cœur peu à peu s’endurcit jusqu’à en devenir insensible et mécanique. C’est au creux de cette mélancolie qu’il rencontre Marie. Ensemble, ils plongent dans un vertigineux ballet de fantasmes, un voyage au cœur de leurs désirs qui les confronte à deux issues inextricables : la folie passionnée ou un amour rédempteur.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Bera a embrassé l’écriture, convertissant ses fantasmes en mots enflammés pour capter l’essence érotique des frustrations quotidiennes, fondement de ses romans. Il aspire à transporter ses lectrices et lecteurs au-delà du réel, dans un voyage libérateur. Pour lui, les femmes, avec leur force et leur sensualité, représentent une source inépuisable d’inspiration et de respect.

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Jean Bera

Du sel dans les larmes

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean Bera

ISBN : 979-10-422-3354-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À toutes les Marie,

vous qui, sans relâche,

nous sauvez de nous-mêmes.

Passion. C’est dit, c’est écrit. Tout naturellement, le mot m’est venu pour décrire cet embrasement permanent, en chaud ou en froid. Qui se moque de la mesure, de la décence, des habitudes. Un sentiment assez puissant pour décider d’un nouvel ordre de nos existences.

Gisèle Halimi

1

Ténèbres

Ras-le-bol – encore un nouveau souci à gérer.

Lâcher 700 € dans un super Spa pour se rendre compte, une fois monté et rempli, qu’il est percé…

Fatigue.

Notre ancien jacuzzi était mort à l’automne dernier, et avec lui, le peu de sexualité et de libido qui subsistait entre moi et ma femme. Il avait été le dernier refuge de nos maigres passions et j’avais tellement espéré l’arrivée du nouveau modèle comme le signe d’un renouveau passionnel que le revers de cet inacceptable échec pesait lourdement sur mon état d’esprit, m’entraînant plus loin encore dans une mélancolie sombre et solitaire.

D’ailleurs ma femme aussi avait failli mourir l’automne dernier, d’un nouveau cancer que personne n’espérait et dont personne ne comprenait vraiment la portée. Toutes ces incertitudes nous minaient et je perdais pied chaque jour un peu plus, m’enfermant dans l’égoïsme de mes attentes inassouvies quand Anna luttait pour sa vie, encore.

Allez, du nerf ! Ce n’était pas un si petit aléa qui viendrait à bout de toi aujourd’hui. J’allais appeler le magasin et voir comment gérer la situation avec eux. En quelques clics sur le Net, je trouvais le bon numéro et tapotais les chiffres sur le clavier de mon fixe.

Alors que je suis là assis à mon bureau, sur ce fauteuil en cuir qui flatte mon ego, tout me tombe dessus en cet instant.

J’avais cru tenir bon. J’avais cru être mieux que les autres, galvanisé par mes réussites matérialistes et un QI plus que suffisant. J’avais tellement de confiance en moi, comme un bouclier aveuglant contre la folie, que je ne m’étais pas rendu compte à quel point je m’étais enfoncé loin dans les ténèbres solitaires de mon esprit.

Depuis quelques instants, ma main tenait ce téléphone avec lequel je voulais appeler le magasin pour me plaindre, et je l’avais pourtant oublié. Cette main qui n’avait été qu’un compagnon de solitude, errant avec moi sur la pornographie bas de gamme qui inonde nos smartphones. La soupape d’un homme sur le point d’imploser face à toutes ses contradictions, ne parvenant pas à réconcilier la réalité de sa vie avec son besoin de contrôle et de jouissances programmées et prévisibles.

Les tensions qui se sont accumulées sont incroyablement lourdes et puissantes, et lorsque vous atteignez vos limites, toutes les coutures craquent en même temps. Une tornade s’empare de vous, de votre esprit, et ce sont aussi les poussières du passé qui sortent de sous cet immense tapis si savamment tissé, année après année, depuis l’enfance. L’ouvrage de qualité est vaste et semblait pourtant en mesure de tout digérer. Quelle suffisance !

Je suis noyé dans mon amour pour ma femme et malade des passions inassouvies qui me rongent et qu’elle n’a plus la force ni l’envie de partager avec cet inconnu que je suis devenu, petit à petit et insidieusement. Je ne lui ai pas laissé voir ma passion pour elle depuis si longtemps. Ses maladies ont oblitéré nos jeux, écrasées nos pulsions, laminées jusqu’aux rituels les plus encrés pour un couple fidèle depuis ses années d’études.

Ces ténèbres qui me terrassent, ce sont des larmes sans sel, une vie sans saveur. J’ai peur de disparaître dans la folie de mon esprit.

J’irais demander de l’aide, c’était décidé. La Psy de ma femme avait l’air potable. Je pourrais peut-être accepter la trépanation qui lui ouvrirait mon esprit.

Ce moment de rare lucidité passé, le poids du combiné que j’ai toujours en main me pèse. Dois-je appeler le magasin au risque de lâcher ma mélancolie sur une personne qui n’a rien demandé ?

Ma confiance en moi s’allume faiblement et avec elle cette capacité d’auto-contrôle qui me caractérise et qui me domine. Je vais gérer, je le sais. Alors sois gentil, aimable et courtois !

Lorsque je retrouve la tonalité, je ne sais pas que ma vie va basculer quelques secondes plus tard. Je ne le saurais pas tout de suite d’ailleurs, pas de façon consciente.

Mais quelque part, dans mon esprit si noir et si empli de chagrin, des étoiles lointaines vont se remettre à briller.

— Allô, bonjour ! Que puis-je faire pour vous ?

C’est Elle.

2

Des étoiles dans un ciel d’encre

Je m’introduis lentement, avec la pudeur de deux inconnus qui se parlent pour la première et peut-être dernière fois. Je retrouve après chaque mot un peu plus d’aisance. Le tapis est finalement encore assez épais pour que je puisse par moment dissimuler mes tourments.

Mon problème est simple : ce spa a des défauts de fabrication. J’aurais dû m’en rendre compte en le montant lui dit-je, mais mon empressement m’a un peu aveuglé – il faut dire qu’il fait chaud déjà et l’envie de me glisser dans l’onde a été la plus forte. Je ne dis pas pourquoi, évidemment.

Elle est très gentille, compréhensive et surtout, très pro. Elle me guide vers la démarche, me rassure sur la qualité du S.A.V de cette marque normalement très sérieuse qu’elle va contacter de suite. Elle prend mes coordonnées, me remercie pour cet échange aimable, car d’habitude, ce genre de coup de fil n’est pas aussi agréable. J’entends son sourire. Je lui explique à quel point je trouve cela honteux ces gens qui se permettent d’agresser gratuitement pour une virgule de travers, la fausse note dans une partition qu’elle n’a pas écrite !

Ces mots résonnent à son oreille, touchent son être et font vibrer une corde qu’elle aime sentir. Enfin un client qui n’est pas un gros connard arrogant jouant de sa position pour l’écraser ! Car non : le client n’a pas toujours raison. Quel merdique adage ! Et puis, il s’exprime bien cet homme, avec élégance dans le choix des mots, dans le tempo qu’il utilise. Elle sent en lui une expertise orale qui l’intrigue. Elle n’a pas le temps, là, mais elle y repensera pendant sa pause.

Elle me remercie pour ma bonne humeur, et nous raccrochons. Cet échange m’a remis sur les rails. Je me dis que parfois, imaginer le sourire d’une femme que l’on ne connaît pas est agréable. Je décide de m’accrocher à ce moment pour me tenir du bon côté de ma prison de béton armé : celui qui comporte encore une petite lucarne tournée vers l’espoir. Peu après, mon iPhone sonne, ce qui est très fréquent du fait de mon job. Habituellement, si le numéro qui s’affiche n’est pas dans mon très large répertoire, je ne décroche pas – j’attends de voir si un message est laissé sur mon répondeur. On a tellement de sollicitations pour des conneries de nos jours qu’on en vient même à se méfier d’un simple appel !

Enfin voilà, plutôt que d’attendre puis d’écouter le message que mon peut-être réel interlocuteur m’aura laissé, je décroche.

C’est Elle.

Cela n’a pas traîné : la marque propose un échange complet, il faudrait tout rapporter au magasin. L’efficacité de cette femme et le ton de sa voix me font plaisir. Je suis tombé sur une personne déterminée et efficace. J’aime ça.

Le soir même, j’attaque les préparatifs, car je suis résolu à aller dès le lendemain dans ce magasin. Elle sera là jusqu’à 19 heures et ça tombe bien, car en ce moment j’ai vraiment pas mal de taf. Et puis je suis curieux de la rencontrer aussi.

De sa voix et de son sourire, je me suis imaginé une personne, une histoire. Mon imagination vient de se rallumer, et il faut que je vous avertisse de sa nature insolite. Elle est un vaisseau capable de toutes les folies, de toutes les fulgurances. Un lieu de tous les possibles dans lequel je me réfugie et qui m’emporte loin à des vitesses relativistes. C’est une horlogerie de la plus grande finesse, au mouvement perpétuel auto-alimenté et impossible à éteindre sauf lorsque le poids de la vie pèse lourd, comme ces derniers temps. À son bord, je suis capable de voyages dans le temps et l’espace lors d’un simple clignement d’œil. Et mon imagination, sans me demander mon avis, a commencé les préparatifs d’un nouveau voyage.

18 heures 55, je suis à la bourre… Il n’y a déjà plus personne. Les annonces de fermeture ont été faites, le rideau en fer pas encore totalement tiré, mais tout juste. À la caisse, je parviens à intercepter une employée sur le point de partir. Je m’excuse platement de mon arrivée tardive, et demande la responsable. La personne passe un petit coup de fil, me confirme qu’elle arrive et me quitte sans regarder en arrière.

J’attends seul dans cet espace qui porte l’odeur des clients venus satisfaire leurs envies matérialistes – je le sais bien, j’en suis un parfait modèle.

Le mélange des senteurs de transpirations, de bougies parfumées qui trônent sur une étagère ainsi que des plastiques neufs qui composent toutes ces babioles m’empêchent de me concentrer et perturbent mes sens. Des pas vifs s’approchent de moi. L’ambiance du magasin devient particulière. J’ai l’impression d’être un riche émir ayant privatisé son échoppe favorite pour une séance de shopping endiablée, mais strictement confidentielle.

— Bonjour Monsieur, je suis Marie !

Sa voie pétille à mes oreilles. Je me mets en accord avec cette bonne humeur. Je la cherche du regard, et lorsque je l’aperçois finalement, elle est déjà si proche que son parfum la précède. Je ne saurais dire où sont passées toutes ces autres odeurs de supermarché. À cet instant il n’y en a qu’une que je perçoive distinctement. Elle a une longue robe légère aux motifs fleuris, pleine de petits points rouges comme des coquelicots parfaitement épanouis. Ses bras sont dénudés et ses cheveux, bruns bouclés, flottent au-dessus de ses épaules. Elle me tend la main. Ses ongles sont magnifiquement manucurés, la plupart d’une couleur différente, mais il n’y a pas de fausse note. C’est élégant.

Notre contact est franc et rapide, et comme j’en ai l’habitude et dans un réflexe autant professionnel que personnel, j’essaye toujours de fixer les gens dans les yeux lors d’une poignée de main. Tout peut passer dans ce simple geste, et j’aime percer les secrets de la personnalité de mes congénères pendant ces quelques instants.

Sa bouche cueille mon regard au vol. Elle a un rouge à lèvres qui sublime parfaitement son visage et sa tenue : rouge et gourmand. Mon imagination a terminé ses préparatifs avant décollage. Pour cette nouvelle mission d’exploration, elle a fait appel à un capitaine avec qui nous avons très souvent voyagé, bien plus que d’autres. C’est Fantasme qui sera aux manettes. Ce rouge à lèvres, c’est la séquence d’allumage, le réacteur à fusion est entré en résonance et un emballement est à prévoir : le facteur Q grimpe déjà vers des sommets.

Tout peut encore arriver dans ce moment suspendu… Le compte à rebours a ralenti et le temps lui-même semble me questionner sur le bien-fondé d’une telle exploration. Un abandon de mission avant même le décollage, ça s’est déjà vu. Ce n’est pas Pesquet qui dirait le contraire. Il faut tellement de paramètres, un tel enchaînement de probabilités que cela est presque miraculeux. Je suis le passager de mon esprit et je ne contrôle plus rien. Voulant par le hublot sonder les profondeurs de ce ciel noir qui m’écrase au sol depuis si longtemps, j’aperçois deux étoiles qui brillent alors faiblement. Mon subconscient me hurle des instructions qui se brouillent à mes oreilles, mais me rapprochent un peu de la réalité.

Le voile de mon imagination se déchire, et ce sont les yeux de Marie que je découvre. Ils me transpercent de bienveillance et de bonne humeur. Je rate un battement, puis un deuxième. Ces yeux m’aspirent et m’hypnotisent, je deviens le spectateur de ma propre perte de contrôle. Fantasme s’est installé aux commandes. D’un geste vif, il éclate le bouton « décollage » sur le pupitre de mon esprit.

Tout tremble, la poussée subie écrase ma volonté et broie ma conscience sous la gravité générée, m’interdisant toute contre-mesure. Je dois accepter de ne rien maîtriser et je sais désormais qu’il ne peut y avoir de retour arrière : Fantasme a programmé la course folle et détruit le pupitre. Mon imaginaire est engagé sur une voie qui n’a plus qu’une seule issue, une seule destination :

Je suis parti rejoindre les étoiles de Marie.

3

L’aube

Ses lèvres bougent, elle me parle. Je suis encore plaqué au sol par la violence du décollage, la gravité de la situation s’exerce sur moi comme au vaisseau Enterprise essayant de s’arracher d’un rayon tracteur surpuissant. L’accélération imposée par mon imagination est si forte que mon être se sépare, laissant derrière lui des traînées lourdes d’une noirceur qui pue l’atmosphère confinée. La chaleur de la réaction générée a fait fondre le tapis qui masquait mes erreurs, exposant mes faiblesses et toutes les blessures que j’avais pourtant si bien planquées ces dernières années. Je me déchire sous l’effort, affolé par ce qui risque de me rattraper et pourtant résolu à voler aussi vite que possible. J’ai besoin de revenir à la réalité pour ne pas me disloquer totalement, et vite. Fantasme a bien compris la folie qui me guette et décide de réduire la distorsion au point que le futur rattrape le présent. Je sens le temps qui reprend sa forme, et constate que mes yeux sont toujours plongés dans le regard de Marie. Je hurle dans mon crâne de ne rien laisser voir !

— D’accord.

Voilà tout ce que j’ai réussi à sortir, moi le mec plein de diplômes et de succès, au verbe habile et à l’assurance ostentatoire : « D’accord ». Je suis nul en vérité.

Elle se retourne, se dirige vers l’arrière du magasin. Je devine que je dois l’accompagner. C’est là-bas que le nouveau Spa se trouve et elle veut un coup de main pour le charger sur un tire-palette.

La suivre fut facile, j’admirais ses formes et le balancement de ses hanches larges qui faisaient voler sa robe, propulsant des effluves qui me renvoyaient aux friandises que tout enfant convoite un jour.

Le carton est là, imposant. Elle d’un côté, moi de l’autre. Je n’ai encore fait aucun effort, mais je transpire sous les assauts de mon imaginaire. Nous sommes séparés par un petit mètre seulement et je sens presque le souffle chaud de sa respiration sur mon visage. Pour masquer ma situation tendue, je sors des banalités et cela fonctionne, je crois. Son regard ne change pas, j’en conclus qu’elle n’a pas perçu mon émoi et que je ne suis pas devenu un de ces hommes qui reluquent une femme seule dans un magasin déserté de tout contrôle social. J’ai besoin de son respect.

Le nouveau jacuzzi chargé, l’ancien déposé dans le stock, elle me remercie et souhaite vraiment que je la tienne au courant. La satisfaction du client, c’est important. Elle me donne son numéro et sur un ton d’humour, je lui dis qu’elle recevra une photo de moi dans le spa une fois tout installé. Cette idée lui plaît beaucoup, et nous nous quittons. Vraiment très professionnelle.

Le WE suivant, je suis seul à la maison. Le reste de la famille est en vacances et j’ai du travail de toute façon. Je sais que j’aurais besoin de détente et la météo est aux chaleurs estivales, il sera peut-être difficile d’aller faire du VTT dans mes montages, aussi je passe une soirée à installer le spa, le mettre en eau et le faire chauffer.

Vendredi soir, enfin libre de toute pression professionnelle, je décide de prendre en photo l’eau bleue limpide du jacuzzi et de faire un petit message à Marie. Elle rôde dans mes nuits depuis notre dernière entrevue. J’ai dû enchaîner Fantasme tel un ours de foire devant une foule imbécile qui hurle pour le provoquer alors qu’il résiste de toutes ses forces pour ne pas briser ses chaînes. L’ours est pourtant sur le point de se libérer.

« Bonjour Marie, ce petit message pour vous dire que le Spa est nickel et que je vais pouvoir en profiter ce soir. Je vous remercie pour vos sourires et votre professionnalisme. »

J’ajoute la photo et n’hésite qu’une fraction de seconde avant de l’envoyer, il est quasiment 19 heures, je ne voudrais pas la déranger. J’abandonne le téléphone sur la table de la cuisine et pars m’adonner à mon occupation favorite, ou pas : le repassage en musique. Pas terrible comme apéritif.

Alors que la soirée s’annonce morne et centrée autour d’un film que j’aurais du mal à choisir par manque d’envie, je constate que j’ai 3 messages de Marie. Mon sang se fige. Je n’avais rien à espérer et j’ai reçu des cadeaux.

« Alors l’eau est bonne ? » J’ajoutais un pouce au message.

« Pas de nouvelle, vous vous êtes noyé ? » Je mis un émoji pleurant de rire.

« Vous m’aviez promis une photo de vous dans ce nouveau spa, et toujours rien. Tant pis ! »

Je pris ce « tant pis » comme une gifle à ma virilité et à mon honneur, un affront fait à la parole que j’avais donnée. Elle m’avait provoqué, je ne pouvais pas me défiler et perdre son respect.

Alors j’échafaudais mon plan avec résolution et minutie. À la nuit tombée, je mettrais en route la lumière aquatique et prendrais ce cliché qu’elle attendait.

À 22 heures, mon film pas terminé, je sors et fais sauter le couvercle qui étouffe une marmite en surchauffe. Je teste l’eau. Le thermomètre annonce 36°. Ça va être bouillant.

Seul, sans vis-à-vis, c’est nu que je me laisse couler dans le liquide limpide tinté du bleu azur des leds d’éclairage. La sensation est divine. Je flotte sur le dos telle une étoile de mer, bras et jambes écartés. L’eau bouche mes oreilles et invoque des sons d’un autre monde. Mon regard examine le ciel étoilé au-dessus de moi. Ces points brillants comme autant de soleils réussissent toujours l’exploit de me propulser en dehors de mes limites d’homme. Mon voyage interstellaire est un paradis, un refuge aussi, car là-haut je n’ai comme seule limite que celle de mon imagination, qui n’en a manifestement aucune. Elle évolue vite, pouvant à l’envie boucler le raid de Kessel en 10 parsecs, humiliant Han Solo sur son passage.

Comme Fantasme d’ailleurs, qui choisit ce moment pour me rappeler à mes obligations.

Envoyer une photo de moi à une autre femme que la mienne… Cela fait crépiter mon imaginaire. Je fais plusieurs essais, tous très nuls. Quelle galère, seul : soit le bras et trop court et je manque de recul, soit je me trouve moche à vomir.

Finalement, je me résous à ne pas envoyer une photo de ma tête. Je me laisse flotter et déclenche le cliché pile au moment où mes jambes emplissent le champ. L’eau bleue fait ressortir les muscles de mes cuisses et je m’en sens flatté. Ça devrait lui plaire et c’est assez soft ; Fantasme est bâillonné et attaché dans un coin de mon esprit, le bougre m’aurait fait faire bien pire.

Au-dessus de l’eau, dans le cadre, on distingue le ciel noir et un croissant de lune. Presque poétique, je sais que les femmes apprécient. J’envoie la photo, sans réfléchir et sans un mot d’accompagnement.

Du tac au tac, je reçois les félicitations de Marie en retour. Elle trouve le cadrage très joli et la photo très belle. Nous échangeons quelques mots, je lui explique avec humour les difficultés techniques que j’ai dû surmonter pour faire un cliché « propre » et pas trop révélateur, d’autant que je me baigne à l’Allemande. Cela l’intrigue, je réalise ce que je viens d’écrire et porte un regard courroucé a Fantasme qui s’est débarrassé de son bâillon. Il rigole. Il sait que je ne vais pas pouvoir me défiler, car j’ai noué avec Marie un échange franc, direct, sans ombre, mais plein d’une tension qui ne dit pas encore son nom.

Alors j’assume. Je suis nu, lui dis-je, car c’est comme ça que j’aime me baigner. C’est une habitude, prise avec ma femme.

À ces mots, elle ne claque pas la porte de notre discussion comme d’autres l’auraient fait. Mais elle me pique à nouveau, me disant qu’elle comprend ce besoin de liberté, qu’il faut assumer son corps sans se soucier trop de ce que les autres peuvent en penser. Cela m’intrigue, mais je n’ose rien dire ni demander. Il est bientôt minuit, et j’ai besoin de sommeil.

Nu comme un ver qui affronte un air glacial après tant de chaleur, je me précipite vers la douche et dans une impulsion, décide de la prendre en photo pour l’envoyer à Marie avec ces quelques mots : « Une douche froide et au dodo. Bonne nuit et encore merci. »

Détendu, j’irais me coucher sans même regarder une dernière fois ma messagerie. Cette nuit j’allais voyager vers Marie, et qui sait jusqu’où nous irions.

Au réveil, vers 7 h samedi matin, je suis encore éparpillé dans le fantasme qui m’a occupé toute la nuit. Mon esprit avait besoin d’évasion et mes rencontres et échanges avec Marie avaient servi de déclencheur. Elle était ce petit grain de sable qui se mue en perle fantastique aux couleurs éclatantes, petit à petit.

J’allumais ma chaîne Hi-fi, position Bluetooth, et saisi mon téléphone afin de lancer me favoris sur Deezer.

Je stoppais net, car j’avais 2 messages. De Marie évidemment. Dans le premier, daté de la veille au soir, elle réagissait à la photo de la douche : « Très belle, dommage, vous n’êtes pas sur la photo ! » Le message se terminait avec un émoji humoristique, mais Fantasme m’indiquait déjà qu’il y avait là un sous-entendu plus direct. L’autre message, vieux de quelques minutes seulement, c’était un selfie d’elle sur le point de partir au travail. Son visage était lumineux, souriant librement à l’objectif. Les yeux m’hypnotisaient déjà quand je reçus son rouge à lèvres comme un grand claque qui m’envoya dans les cordes. Mon imagination en profita pour prendre les devants et écrivit un message si vite que je ne pus le lire qu’une fois envoyé : « Vous êtes sublime, très belle photo. Je vous en dois une désormais. »

« Dans la douche ? » fut sa réponse et sa demande réitérée.

J’étais pris. L’aube se levait sur un jeu dangereux, d’une excitation extrême. Et nous allions jouer souvent.

4

Plein soleil

Dimanche, seul à la maison, j’avais tout le loisir de m’adonner à mes occupations et les tâches domestiques étaient assez vite évacuées. Entre les lessives, le repassage et le lave-vaisselle, tout fut expédié avec entrain. J’avais en tête de bosser sur mon karting et de ranger le bordel qui s’était accumulé sur mon établi.

La musique m’accompagnait à chaque instant, et pendant que je changeais les pneus du bolide endormis, Tenacious D hurlait dans mon antre mécanique, au son de Kickapoo.

Marie avait encore occupé ma nuit, le fantasme qui m’avait déjà excité était revenu, plus vif et précis. C’en avait été trop. Le réveil fut agréable et j’avais conclu ma nuit en jouissant mon plaisir.

Aucun nouveau message ce matin, cela dit. Elle m’avait peut-être oublié, à moins qu’elle ne soit prise ailleurs.

L’attente était difficile, je n’avais pas envie que nous en restions là et il me semblait qu’elle non plus. Je décidais de provoquer le destin. Pendant l’après-midi, je me lançais dans la fabrication d’une tarte aux myrtilles pour faire plaisir à ma femme à son retour avec les enfants. Je m’appliquais, et mis presque 800 grammes de fruits bien noirs récupérés la veille à la cueillette libre-service de la vallée. J’imaginais Marie gourmande et épicurienne, je fis la plus belle photo possible et lui envoyais, avec un simple « Miam » comme texte.

Elle répondit vers 16 h en mettant en doute mes capacités de pâtissier indépendant. Je lui confirmais que c’était bien moi qui avais tout fait, de la pâte à l’appareil à base d’œuf et de crème. Il faudrait me croire sur parole, je manquais de preuves irréfutables. Elle était épatée je crois, en tous cas elle afficha sa gourmandise, mais que cette tarte c’était trop pour moi !

Je saisis la balle au bond, voulant expliquer ma gourmandise personnelle et Fantasme s’empressa de troubler mes pensées pures par un message équivoque dont il avait le secret : « Devant les belles choses de la vie, je suis si faible ! »

Le double sens de cette phrase était sans appel. J’avais envie de lui dire qu’elle était belle autant que de lui dire que je voulais encore jouer. Son intelligence était vive, et l’audace de sa réponse me chauffa le sang : « Les plaisirs de la bouche sont les meilleurs, je suis sans limite dans ces cas-là. »

Je ne sus que répondre, déstabilisé par une telle révélation. Nos fantasmes venaient de se rencontrer, et manifestement ils étaient affamés.

C’était l’heure du goûter, et elle semblait avoir un appétit que je m’imaginais déjà satisfaire.

Mon érection fut rapide, poussée en avant par la vision onirique qui se formait devant moi. J’allais devoir me calmer et annonçais à Marie que je partais faire un tour de VTT. Toutes mes barrières n’avaient pas encore été défoncées, j’en étais content et rassuré.

La pression de la selle ruina bien vite mes ardeurs, et j’enchaînais les coups de pédale laborieusement jusqu’au point de vue dominant l’ouest de la vallée. Assis dans les chaumes, je pris une belle photo que je ne manquais pas de lui envoyer.

« Plus qu’à descendre et prendre une douche » furent mes mots.

Je serais les dents face aux tremblements de ma machine. J’adorais la vitesse, quel que soit le support. J’avais lâché la bride à mes instincts dans ces chemins qui me ramenaient chez moi. À plus de 50 kilomètres par heure, mon esprit ne divaguait pas. Il était concentré sur son environnement, sur ses réflexes, les trajectoires. Le danger rôdait derrière chaque caillou sur mon passage, après chaque virage mal négocié. Mais c’est aussi la vie que je sentais dans l’air qui me giflait le visage. Ces moments de frissons, je les attends et je les provoque. Car dans la noirceur des mois qui précèdent, ils m’ont fait sentir le souffle de la vie sur mes joues, quand mes larmes sans saveurs n’arrivaient même plus à crever la surface. 120 minutes de montée, pour 20 minutes de descente. Voilà le maigre salaire du vététiste musculaire de piètre niveau que je suis. Mais 20 minutes pendant lesquelles un nouveau message était arrivé.

« Alors la douche ? Toujours pas de photo ? »

Elle ne me laisserait rien passer. Je me déshabillais dans le garage et m’avançais vers l’échafaud du condamné presque volontaire. Comment oserais-je envoyer une photo de moi, sous la douche, à une autre femme que la mienne ? Fantasme me poussait en avant avec un aiguillon ardent. Alors je testais quelques plans, choisis le noir et blanc pour jouer avec mes défauts, décidais de masquer la partie saillante de mon anatomie avec une pose plus que de profil. Les montants de la porte entrouverte masqueront mes arrières. La lumière qui tombe du plafond est belle, et un cliché finit par être miraculeusement réussi.

Dois-je l’envoyer… Je suis nu et ce n’est pas ma femme. De plus je ne suis pas exhibitionniste ! Les questions se bousculent et je tourne en rond. Mes fantasmes auront le dernier mot, et la photo part « L’honneur est sauf. J’ai osé ! »

Mon sort est scellé. J’attends que le couperet tombe, ou que la gendarmerie défonce la porte pour m’embarquer au son de « Où il est le gros porc ? » #Meetoo a laissé des traces profondes.

Une photo nue de moi à une autre femme. Certes, le cliché est tout en suggestion, en non-dit et en ombres bien placées. J’y ai veillé. Mais je suis nu. Quand même. Nu !

Un message tombe : « Bravo ! Wouaou, superbe photo, vous avez assuré ! Beau cadrage. »

Mon soulagement est palpable, je ne vais pas finir en prison et il semble même que je n’ai pas trop mal géré la situation finalement. Marie apprécie la photo et je savoure mon audace.

Avant que je n’aie le temps de finir de me sécher, un nouveau message percute mon iPhone. C’est une photo de Marie, absolument sublime dans un body noir qui met en valeur ses formes : « Une photo pour vous, on est à égalité comme ça ».

J’en bouillonne. Mon sang me brûle et mes yeux absorbent chaque courbe, chaque grain de peau, chaque détail de son attitude.

« La photo est incroyable ! C’est une image qui va me hanter dans mes rêves. » Elle aime ma réponse.

L’heure du repas me rappelle à mes habitudes : ici, on mange à l’heure ! Le temps de bricoler quelque chose avec les restes du frigo, d’avaler le tout en scrollant sur Twitter, et me voilà seul devant mon film. Tenacious D – The pick of Destiny en V.O. L’histoire hallucinée de mon groupe fétiche.

Personne pour m’emmerder si je fous le son à fond, alors je monte le volume. Les murs vont trembler.

Tiens, je vais envoyer à Marie le programme de la soirée. Elle ne connaît pas ce groupe, dommage, mais espère que je ne lui en tiendrais pas rigueur. S’ensuit alors un long message au sujet de la photo. Elle a peur de s’être ainsi dévoilée, me demande de la discrétion et insiste sur la démarche qui l’a conduite à faire cela. C’est une séance photo pour se donner confiance, pour s’accepter. Et c’était génial. D’ailleurs, la photo est en expo chez le photographe très doué qu’il l’a saisie, donc elle assume. Ce n’était pas pour m’aguicher, je ne dois pas me méprendre.

Tête froide, je la rassure, et parle de façon très personnelle de l’acceptation des corps dans une société pleine de contradictions, où une minorité de faux prudes, mais vrais frustrés projettent sur les hommes et femmes libres l’amertume de leurs propres échecs.

Il faut avancer, sans se soucier du regard des autres. La confiance en soi est un puissant moteur qu’il faut bien entretenir. J’aime sa démarche, sa vision et son courage, et je le lui dis.

Rassurée, elle m’indique que la séance n’a pas produit qu’un seul cliché, mais qu’ils restent cette fois plus personnels, car parfois un peu plus osés. Enfin sans tomber dans l’explicite ou le nu, tout de même. J’aimerais bien les voir, un jour, si elle veut, mais je n’ai rien en échange, lui dis-je. Pas de photo de moi. Des Porsche, du Kart, des truites et des paysages en pagaille. Mais de moi. Rien.

Le temps passe et mon film avance bien. Je le connais par cœur, mais en apprécie toujours autant les mélodies. L’écran du téléphone clignote soudain.

« Une idée de cadrage pour vos futurs clichés » accompagné par une nouvelle photo. Une bombe à fragmentation explose sur mes rétines. La musique est forte, mais je n’ai plus assez de sang au cerveau pour décoder son rythme.

Il est tout entier dans le désir contenu dans le pyjama qui essaye de résister à la pression de mon anatomie. Une image torride et chaste à la fois. Ce photographe est un as. Il a su capter l’essence du modèle et l’a sublimé. Incroyable.

Elle est adossée à un mur, habillée dans une longue combinaison en dentelle qui laisse passer le grain de sa peau. Ses seins sont lourds et tendent le tissu. On ne voit rien, on savoure pourtant tous les fruits défendus.

Sans retenue et sans réfléchir, j’indique à Marie mon émoi et la chaleur qui a envahi mon corps. Elle rigole. Je suis seul, elle le sait, je n’ai qu’à me mettre à l’aise après tout. J’entends sa suggestion et tombe le tee-shirt. C’est vrai que je suis bien. Je lui envoie un cliché montrant le tee-shirt au sol et titrant avec « A l’aise » comme légende. Seulement, dans l’axe du tee-shirt qui se dessine sur le sol, on aperçoit ma jambe et un short épousant une forme suggestive. Le contraste est mauvais, le cliché sombre, mais c’est tout de même assez visible. Involontairement, j’ai fauté. Je me sens coupable d’une provocation qui n’était pas désirée à cet instant.

« Pas la bonne taille ce short. » Ces quelques sigles qui s’affichent m’électrisent. Elle joue avec moi, interprète mon erreur comme une invitation vers un érotisme digital. Je vais passer un cap, franchir le fossé entre la raison et la folie. Elle en veut plus. Et je lui donne.

Encore un cliché d’une grande médiocrité, pris sans recul et quasi dans le noir. Ma main droite serre mon sexe à travers le short. On ne voit rien, mais on imagine tout. « Je fais de mon mieux pour qu’il ne craque pas » lui dis-je. Elle aime, me communique sa satisfaction et son émoi à elle au travers des émojis de l’application. Je suis fou. L’érotisme de la situation me submerge.

Comment avons-nous pu en arriver là ?

Que sont devenus tous les verrous que l’éducation, la bienséance et l’amour pour nos conjoints ont posés ? Je comprends que la virtualité de nos échanges, la distance numérique a agi comme un catalyseur de nos fantasmes respectifs, tout en creusant un tunnel à travers les remparts de nos engagements.

Jack Black et Kyle ont terminé de jouer leur partition, il se fait tard et je bosse le lendemain. Pas Marie. Je lui souhaite bonne nuit et pars terminer seul une chose démarrée avec elle.

Lundi matin, au lever, j’écris déjà à Marie. Je lui écris les plaisirs de ma nuit grâce à un fantasme dont elle est l’actrice.

« Racontez-moi ! »

Ces mots gravent au fer rougi par mon désir tous les détails d’un rêve nocturne dont nous sommes les acteurs enflammés. Je suis résolu à tout lui dire, sans tabou. Par respect pour cette femme libre qui ne me jugera pas. Comme je ne la juge pas. J’exulte comme un chercheur d’or devant une improbable pépite.

La distance qui nous sépare sera notre frontière, notre rempart, limitant les mouvements de deux astres brûlants évoluant dans un univers de plaisirs fantasmés. Je lui ferais la lecture, et elle jouira de ma bouche. Elle me contera ses propres envies, et je lui fabriquerais les grands huit sur lesquels elle embarquera pour de folles virées. J’allais pousser mes fantasmes à fond, me mettre au travail avec application. Je puiserais dans le fond de mon âme toute la matière dont j’avais besoin afin d’en extraire les désirs cachés, refoulés par des années de normes et de conformismes, de frustrations et de non-dits.

J’attendais de mes fantasmes qu’ils se surpassent. Les jours qui suivirent, je n’allais pas être déçu et Marie encore moins.

5

Muse en bouche

Lorsque midi sonne ce lundi-là, je fuis la réalité pour m’abriter dans ce coin de verdure qui me sert de refuge. Isolé du bruit et de la vitesse du Monde, ce havre de paix m’offre toujours les ressources dont j’ai besoin pour continuer mes journées. Garé à l’ombre de ces arbres, je suis résolu à matérialiser mes rêves érotiques du bout de mes doigts sur ce téléphone qui chauffe déjà entre mes mains. Mon impatience me fait oublier le temps, et même mon repas. Marie attendait de l’autre côté de la réalité, je me mis donc à l’ouvrage avec force.

Lorsque j’eus franchi le sas du magasin, je compris que cela n’aurait pas dû se produire. La fermeture avait été prononcée et il ne restait manifestement personne. Pris par l’angoisse de m’y trouver bloqué, je fis demi-tour pour buter contre des vitres immobiles. Le sas était verrouillé, mais dans le mauvais sens de circulation : rien ne pouvait sortir, mais tout pouvait encore entrer. Panique. Frénétiquement je me mis à explorer les lieux, cherchant soit une porte de sortie, soit un personnel doté de la bonne clef. À force de me perdre dans les allées silencieuses, je finis par me diriger droit sur les locaux réservés au personnel. La salle de repas ne comportait qu’une fenêtre longiligne et aucune sortie. Plus loin, les vestiaires. J’imaginais déjà un accès pour le personnel, peut-être même le moyen de me sortir de ce piège. Pressant le pas, j’enfonçais plus la porte que je ne l’ouvris, percutant presque la dame qui se trouvait là, en train de se changer. Mes réflexes furent rapides et mes mains jaillirent vers l’avant pour amortir l’inéluctable choc. Attrapant deux épaules nues, je pivotais autour d’elle, déviant mon énergie cinétique dans un ballet qui fit virevolter l’ample jupe qu’elle portait. Alors que notre danse ne faisait que commencer, son cri de surprise monta à la rencontre du mien. Une fraction de seconde plus tard, mon dos percutait avec force le casier salvateur qui allait stopper notre course. La porte se voila sous l’effort, mes bras fléchirent et la belle inconnue se trouva écrasée contre moi. Nous étions face à face, bloqués dans cette posture inconfortable, mais qui voyait sa poitrine nue pressée contre la chemise qui contenait difficilement les battements de mon cœur.

— Pardon !

Je n’eus que ce mot, prononcé lentement sous l’insistance de son regard. Elle ne disait rien, mais sa bouche trahissait les hésitations chaotiques des émotions qui tempêtaient sous son crâne. Le temps était ralenti, et je savourais à présent ce contact intime, ne sachant pas où il nous conduirait. Mes doigts serraient encore ses épaules, et leur couleur me fit comprendre que j’y mettais une force considérable. Aussitôt, je les arrachais à cette douce peau et les ramenais le long de mon corps, mains plaquées au froid placard d’acier. Soulagé de ces pressions, son corps se plaqua encore un peu plus, moulant le mien jusque dans des zones qui réagissaient déjà.

— Pardon…

À nouveau je m’excusais, mais encore plus faiblement qu’avant, presque dans un murmure. Aucune réponse ne me parvint. La bouche devant moi restait entre ouverte, haletante et hésitante, mais toujours muette. Je vis cependant la couleur de ses joues évoluer d’un blanc de peur au rose qu’une émotion forte provoquait. Son corps trahissait ce qu’elle ne disait pas et j’en fus perturbé. Ma propre bouche fut asséchée par un vent chaud, et ma langue gonflée fit dessus quelques mouvements destinés à humidifier mes lèvres. En face, la belle me répondit en se mordillant la lèvre inférieure. Ce n’était pas pour se retenir de m’avouer ses intentions, mais bien pour me transmettre un message d’une sensualité facile à comprendre.

Ses mains restées immobiles s’agitèrent, remontant le long de mon corps, frôlant mes hanches, caressant mes biceps pour s’arrêter sur la naissance de mon cou.

— Je vous pardonne…