Emma Feiguine - Eugène Iampolsky - E-Book

Emma Feiguine E-Book

Eugène Iampolsky

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Beschreibung

Survivre en exil après la révolution russe de 1917

Cette biographie d’une jeune femme russe exilée, née au début du siècle dernier, est le reflet de la vie de milliers de jeunes gens qui ont fui la révolution russe de 1917 et qui ont erré à travers le monde à la recherche d’une vie meilleure. Certains ont réussi, d’autres pas. Cette tragédie issue des événements politiques et militaires représente bien les conséquences subies par les populations suite aux désordres provoqués entre autres par les religions. Puisse-t-elle servir de réflexion aux dirigeants et décideurs.

Une biographie historique empreinte d’émotions

EXTRAIT

En cette belle journée ensoleillée des premiers jours de printemps, l’insouciance régnait partout dans la maison, du plus petit serviteur aux maîtres.
Emma avait grandi dans ce doux climat de bonheur que rien ne semblait pouvoir altérer. Son cours de violon venait de se terminer et son professeur, Serge Petrovitch se disait enchanté de ses progrès et son entrée au conservatoire de Moscou était plus que probable, ainsi en avaient décidé ses parents, surtout son père, illustre commerçant de Sebech.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Eugène Iampolsky, auteur de cette biographie, est le dernier fils d’Emma Feiguine. Il a en cela voulu un peu retarder la négation du passé, l’effacement total de la vie d’Emma. Pour ne pas qu’elle tombe complètement dans l’oubli car elle mérite le respect des siens, et pour les autres, elle représente le symbole du combat et de l’intégrité dans l’adversité. Puissent ces quelques lignes lui rendre un hommage tardif.

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Publishroom, 2015

Couverture : Nicolas Vacher

Numérisation : Nicolas Vacher

ISBN de l’édition numérique : 979-10-236-0061-2

Cet ouvrage a été numérisé par Publishroom.

Dépôt légal : octobre 2015

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Eugène Iampolsky

Emma Feiguine

Chapitre premier

En cette belle journée ensoleillée des premiers jours de printemps, l’insouciance régnait partout dans la maison, du plus petit serviteur aux maîtres.

Emma avait grandi dans ce doux climat de bonheur que rien ne semblait pouvoir altérer. Son cours de violon venait de se terminer et son professeur, Serge Petrovitch se disait enchanté de ses progrès et son entrée au conservatoire de Moscou était plus que probable, ainsi en avaient décidé ses parents, surtout son père, illustre commerçant de Sebech.

Nicolas Feiguine était surtout connu comme brillant commerçant et homme d’affaire avisé, qui avait su faire prospérer et proliférer la petite boutique de vêtements que lui avait léguée son père Ygor avant sa mort. Il voyait en sa fille un avenir brillant dans le monde de la musique, lui, qui ne tolérait pas la médiocrité, voyait déjà Emma en tête d’affiche de concert. Par contre, sa mère Anastasia aurait bien aimé garder sa fille à la maison et l’entendre jouer pour son propre bonheur.

Emma allait allègrement vers ses dix-huit printemps et son corps de petite fille s’était transformé en corps de femme, subitement. Seules ses boucles brunes et son sourire avaient résisté à sa métamorphose. Déjà, certains pensaient à la marier et recherchaient un prétendant dans son entourage. Insouciante, c’est dans cet univers qu’Emma avait grandi, protégée par son père autoritaire mais juste, sa mère protectrice l’entourant de tout son amour, son frère aîné Alexis, espiègle mais studieux. Tous veillaient sur elle contre toute attaque. Elle vivait ainsi dans son cocon douillet, protégée et fragile à la fois.

Alexis, de quatre ans son aîné, terminait ses études de médecine et préparait son doctorat en internat à l’hôpital de Moscou où il séjournait, et ne revenait à Sebech que pour les fêtes et anniversaires. Sa dernière année d’études lui prenait tout son temps.

La vie à Sebech se déroulait calmement, loin des bruits et tumultes de la guerre, en cette année 1917 où le canon et la mitraille faisaient rage en France, faisant des milliers de victimes, morts et blessés. La Pravda, premier journal soviétique, relatait les événements et le retrait des troupes russes du conflit à cause des problèmes intérieurs au pays. Le tsar Nicolas II avait du mal à contenir l’avancée des révolutionnaires qui occupaient une partie du pays, et Moscou était déjà en partie aux mains des insurgés. Lénine, prétendant de la révolution, à la tête de l’échiquier, avançait comme un rouleau compresseur, rien ne l’arrêtait sur son passage et ses troupes occupaient une grande partie du territoire. La vie à l’ouest du pays et à Saint-Pétersbourg, un peu en retrait de la révolution, se déroulait non sans problèmes et le tsar était encore maître de la situation, même si ses militaires avaient du mal à contenir l’avancée des communistes. Par contre, l’idéologie des bolcheviks gagnait du terrain.

Emma et sa mère Anastasia étaient allées passer une semaine à Saint-Pétersbourg, chez la sœur d’Anastasia, en vue d’une surprise pour son prochain anniversaire et c’est dans ce contexte qu’Emma fut conviée par sa tante, sœur d’Anastasia, la comtesse Anna Palownia, à son premier bal dans le monde de la noblesse de Saint-Pétersbourg. Emma reçut l’invitation l’avant-veille de l’anniversaire de ses dix-huit ans, le 29 octobre 1918. Resplendissante de joie et de bonheur, tremblante à l’idée de son premier bal, et deux jours seulement pour se préparer, comment arrêter le temps ? Impossible, son cœur se mit à battre plus fort, mais elle se ressaisit et parvint à se maîtriser pour mieux se préparer à cette cérémonie tellement importante à ses yeux.

Deux jours, c’était très peu pour organiser et se faire à l’idée de son premier bal. D’abord la robe, que vais-je mettre, pensa-t-elle ? Heureusement, la garde-robe d’Emma était fournie et son milieu, dans le vêtement, offrait de larges possibilités : une nouvelle robe sera élaborée en 48 heures seulement.

Anastasia aussi était sur le pied de guerre car accompagner sa fille à son premier bal représentait une tâche ardue et pleine de responsabilités, mais sa maîtrise et son expérience devraient avoir raison de la délicate situation. Deux jours d’effervescence pour venir à bout et régler tous ces problèmes.

Le rendez-vous était prévu à 20 heures, il n’était encore que 18 heures et Léon Prokof, le jardinier, avait déjà attelé et sorti la voiture, prêt à démarrer à l’heure car il fallait traverser toute la ville pour se rendre au palais Youssoupov, non loin du cercle des officiers de sa majesté Nicolas II et du palais impérial. En cette fin de journée, la ville fut difficile à traverser et l’arrivée au palais Youssoupov ne se fit pas sans encombre. C’est l’heure d’affluence, et beaucoup de calèches étaient déjà stationnées près du palais, de sorte qu’il fallut faire preuve de dextérité pour arriver devant l’entrée. Léon ouvrit la portière et Emma descendit délicatement les marches de la voiture en tenant sa robe légèrement soulevée, suivie par Anastasia qui ne la quittait pas des yeux. Toutes deux montèrent le grand escalier où se tenaient les gardes en tenue d’apparat.

Le comte Palownia discutait avec un officier commandant à la garnison de Saint-Pétersbourg, et Anna accompagnée de sa fille Dolly aperçut sa sœur et sa nièce. Elles s’approchèrent pour se congratuler, le comte les rejoignit à son tour et tout le monde passa le grand porche pour enfin accéder à l’intérieur, dans la grande salle principale où se tenait le premier bal d’automne de l’aristocratie de Saint-Pétersbourg.

Ce fut un très grand choc à cet instant : une foule innombrable de jeunes filles, toutes plus belles les unes que les autres et en face, beaucoup de jeunes hommes, principalement des officiers, militaires en tenue d’apparat, qui discutaient. Au centre, le grand orchestre avec ses trente musiciens jouait une valse de Johan Strauss.

Le comte Palownia avait réservé une table qui les attendait, et ils se retrouvèrent assis, bercés par la douce musique et buvant, les hommes, de la vodka, les dames du champagne, et des sirops pour les jeunes filles.

Les conversations allaient bon train depuis un moment déjà quand s’approcha un jeune officier. Il demanda à Anastasia la permission d’inviter sa fille pour danser la valse. Emma se leva et tous deux partirent au beau milieu de la piste, parmi les danseurs. Emma avait heureusement déjà pris des cours de danse. Ils évoluaient avec grâce, dans une parfaite harmonie.

Anastasia se pencha vers le comte pour s’informer de la personnalité du danseur. Le comte Alexis Palownia, personnage important dans l’aristocratie de Saint-Pétersbourg, connaissait beaucoup de monde, principalement celui fréquentant le cercle Petrachevski où il passait bon nombre de ses soirées. De ce fait, il en connaissait presque tous les membres. Tous, fervents admirateurs de Nicolas II, le cercle rassemblait des civils et des militaires.

Il s’approcha d’Anastasia pour lui expliquer que le jeune homme était le fils de l’amiral Yourassovsky, Constantin Yourassovsky, capitaine à la garnison de Saint-Pétersbourg et commandant le détachement des casernes du régiment Pavlovski, chargé de la surveillance du territoire et de la protection du tsar. Certes, il était assez jeune avec ses 35 ans pour tenir ce poste, mais il avait été choisi pour ses états de service et la position de son père, lui-même grand officier de marine et membre du conseil supérieur. Anastasia vit ses doutes partiellement dissipés, car le portrait un peu froid de ce chef de guerre ne correspondait pas à la fragilité, la féminité et la grâce d’Emma.

Cette dernière évoluait au beau milieu de la piste, resplendissante dans sa robe de taffetas rose, ourlée d’un motif vert. Elle ressemblait à un bouton de rose dans son corset de velours. Elle semblait être la plus belle et la plus heureuse du moment. Constantin vint s’asseoir un moment à la table du comte Palownia qui fit les présentations d’usage et tout se termina tard dans la nuit, cette nuit unique marquée surtout pour Emma par son premier contact avec un homme car elle était d’habitude plutôt solitaire ou entourée seulement de sa famille et de ses amis. Cette situation nouvelle l’avait placée dans un état d’excitation, de curiosité et de perturbation.

Dans le train qui ramenait les Feiguine à Sebech, la tension était extrême. Les rumeurs circulant ne donnaient pas de bonnes nouvelles : la situation donnait l’avantage aux révolutionnaires qui gagnaient chaque jour un peu plus de terrain.

L’arrivée à Sebech fut fortement appréciée et la vie reprit son cours normal jusqu’au jour où le courrier amena une lettre à Emma. Cette lettre venait de Saint-Pétersbourg. Le capitaine Constantin Yourassovsky y dévoilait son amour pour Emma. Emma y répondit, par politesse au début, mais le capitaine semblait pressé dans ses déclarations amoureuses et les lettres arrivèrent de plus en plus rapprochées, comme s’il ne voulait pas donner à Emma le temps de réfléchir ou de prendre une décision défavorable à son encontre. Au fur et à mesure de ses courriers, Constantin se montrait plus pressant, comme s’il voulait au plus vite conclure. Emma, sensible à ses appels, ne le repoussait pas, restant dans l’expectative. Il faut dire que Constantin était bel homme, intelligent, plein de vigueur, avec une bonne formation et promis à un bel avenir.

Dans ces conditions, les parents d’Emma voyaient d’un bon œil leur rapprochement et n’étaient pas hostiles à leur fréquentation, car sous un aspect très rude et soucieux du devoir, Constantin avait aussi un cœur et une âme attendrissante. Le dernier courrier envoyé annonçait sa prochaine visite et son désir de rencontrer les parents d’Emma. Cela bien sûr présageait semble-t-il une demande en mariage.

Quinze jours passèrent encore, puis, un matin, la cloche du portail sonna. Léon alla ouvrir et quelle ne fut pas sa surprise de se trouver en face de Constantin qui, annonçant son rendez-vous avec Anastasia et Nicolas Feiguine, le suivit jusque dans le petit salon, attenant au bureau et jouxtant la grande salle commune. Léon s’empressa ensuite de prévenir ses maîtres de l’arrivée du Capitaine et s’éclipsa aussitôt dans le jardin vaquer à ses occupations.

Constantin n’était pas du tout impressionné par l’entrevue qu’il avait sollicitée. On sentait en lui presque un soulagement de mettre un point final à une situation insoutenable depuis plusieurs mois et finalement heureux d’aller vers une issue, quelle qu’elle soit.

La porte s’ouvrit enfin et apparut d’abord Nicolas, suivi d’Anastasia. Tous les trois s’installèrent dans leurs fauteuils et une fois les formules de politesse échangées et sans fioritures mais avec habileté et courtoisie, Constantin annonça à brûle-pourpoint :

– Je viens vous demander la main de votre fille Emma !

S’ensuivit une minute de silence qui semblait des heures où le temps fut soudain suspendu.

Enfin, Nicolas prit la parole pour exprimer son accord, subordonné à celui d’Emma. Anastasia ne souffla mot, surprise par la rapidité de l’événement et la réponse de Nicolas. Elle prit néanmoins la parole pour demander d’aller chercher Emma, ayant elle aussi son accord ou désaccord à formuler.

Un instant plus tard, Emma et sa mère s’installaient à nouveau dans le salon. Emma approuva les décisions de ses parents, tremblante de peur, de bonheur et d’émotion et son visage, tantôt rouge, tantôt blême, reprit peu à peu sa couleur normale. Tout le monde passa ensuite dans le grand salon ou grande salle à manger pour sceller cet accord en trinquant avec une bouteille de champagne.

Le mariage fut célébré deux mois plus tard à Sebech dans une ambiance de guerre mais entouré des deux familles au complet. La cérémonie ne dura qu’une journée, Constantin ne pouvant quitter son poste à cause des événements.

Constantin et Emma s’installèrent dans un faubourg de Saint-Pétersbourg, non loin du centre, dans une datcha qu’Emma avait su décorer avec soin et dont le jardin était entretenu par un militaire détaché de la caserne Pavlovski, Dimitri, qui lui servait également de valet, prêt à toutes les besognes et toujours disponible. Il avait réalisé une excellente composition, de toutes sortes de plantes alignées à la perfection, dans un décor de rocailles pourtant désordonnées.

Emma menait la maison, de l’intendance, à l’organisation des repas et menus jusqu’aux sorties en ville. Elle consacrait toujours une bonne heure dans la journée au violon pour maintenir son excellent niveau mais, quelquefois regrettait de ne pas être entrée au conservatoire.

Sa vie avait totalement changé depuis qu’elle avait quitté son petit cocon douillet de Sebech, dans sa maison natale, choyée et protégée par sa mère. Brutalement confrontée aux réalités de la vie, jetée de plein fouet dans un monde qu’elle ne soupçonnait pas. La présence de Natacha, sa femme de chambre et gouvernante à la fois, lui allégeait son sentiment de solitude et de détresse, mais dès qu’elle se retrouvait seule, elle ne pouvait s’empêcher de penser à sa mère, à sa maison de Sebech où tout n’était qu’amour, joie et insouciance.

Constantin partait le matin de très bonne heure pour rentrer tard le soir. Parfois il ne rentrait pas mais il lui arrivait aussi de passer dans la journée à l’improviste quand son emploi du temps le lui permettait. Il ne semblait pas très amoureux de sa femme et son caractère dur et autoritaire se voyait sur son visage. Ses élans d’amour envers Emma étaient rares. En revanche, la passion d’Emma était grande à l’égard de son mari.

Après quelques semaines d’accalmie, Saint-Pétersbourg vécut soudain dans la crainte d’une offensive générale des révolutionnaires qui gagnaient chaque jour un peu plus de terrain. Les combats faisaient rage tout autour de la ville. Les bolchevicks étaient partout et le canon tonnait sans relâche. L’hôpital était rempli de blessés qui affluaient de toutes parts. Les militaires étaient débordés.

Un bataillon de révolutionnaires bolcheviks s’était emparé du pont Dvortsovymost et s’approchait du palais dont la prise était imminente. Nul ne savait ce qu’il était advenu des militaires défendant la place, certainement morts ou prisonniers.

Constantin ne put contenir l’arrivée massive du flot des insurgés et fut submergé rapidement. Le tsar arrêté ainsi que la tsarine et leurs quatre enfants, furent emmenés à la prison Pierre et Paul en centre-ville.

Emma, sans nouvelles de Constantin, imagina le pire, et se morfondait, en pleurs. Cependant, rapidement ressaisie par la gravité de la situation, entourée de Natacha et de Dimitri, elle essuya ses larmes et remonta dans sa chambre. Elle avait des nausées depuis quelques temps, de plus en plus fréquentes. Puis, le bruit du canon cessa, plongeant la ville dans un calme inquiétant. Constantin, avec d’autres officiers, fut emmené à l’état-major des bolchevicks, au quartier général, place du palais. Là, tous passèrent à tour de rôle devant la commission chargée du recrutement, commandée par le colonel Swiagesky. Il fut proposé à Constantin soit d’être fusillé sur-le-champ, soit de servir son pays sous le drapeau des communistes révolutionnaires au grade de colonel. Il ne faut pas oublier que si les bolcheviks disposaient de beaucoup d’hommes de troupe, ils avaient très peu d’officiers pour les encadrer. Le choix de Constantin fut immédiat, il servirait sa patrie sous la bannière de Lénine et pourrait ainsi contribuer au redressement de son pays.

De surcroît, il devait se séparer de son épouse car les juifs, les aristocrates et les intellectuels étaient pourchassés et tués, leurs biens confisqués. Constantin comprit qu’il devait se plier au nouveau régime pour sauver leurs deux vies. Il organisa le départ d’Emma vers l’étranger en espérant la rejoindre, dès que possible.

Déjà, les parents et le frère d’Emma avaient fui en janvier 1918. Ils étaient partis en Afrique du Sud, loin du tumulte, sans bagages, emportant seulement un petit sac contenant une centaine de pièces d’or de cinq roubles à l’effigie d’Alexandre III, et son diplôme de médecin pour Alexis qui avait pu, juste à temps, terminer ses études.

Constantin était enfin rentré chez lui. Emma, sans nouvelles mais qui l’attendait avec impatience, fondit en larmes dans ses bras et après cette forte étreinte, il fut aussitôt question de l’organisation du départ de celle-ci. Elle partirait le lendemain par le premier train pour Odessa. Là, elle prendrait un bateau pour la France en direction de Marseille. Elle enverrait régulièrement de ses nouvelles à Constantin par le biais de la poste, tout en sachant que le courrier n’arrivait pas toujours ou au moins avec un délai d’un mois.

La maison se retrouva en état d’effervescence : les préparatifs du départ furent compliqués car il ne fallait pas se surcharger, n’emporter que l’essentiel, mais c’est quoi l’essentiel se demandait Emma ? Dans sa tête, tout allait très vite et tout était confus, brouillé. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, comment en était-on arrivé là ? Pourquoi cette brutale rapidité de vouloir fuir le pays, et toujours ces nausées qui ne la quittaient pas.

Inquiète, elle demanda à Natacha de la suivre dans sa chambre pour avoir son avis sur ces nausées qui l’indisposaient depuis deux mois au moins. Natacha était mère de deux enfants de trente-deux et vingt-neuf ans, son mari avait été tué lors des grèves durant les contestations ouvrières de 1916. En femme expérimentée de cinquante-trois ans, elle demanda à Emma :

– Seriez-vous enceinte ?

– Je ne sais pas répondit Emma, peut-être !

– Il faudrait consulter un médecin, depuis combien de temps n’avez-vous pas été réglée ?

– Je ne sais pas, deux mois peut-être.

– Plus, moins ? Il faudrait vous faire le test de la lapine.

Mais le temps faisait défaut, il fallait partir, préparer les bagages. La grande malle était grande ouverte, d’abord mettre les vêtements et quelques bibelots, sans bien sûr oublier le violon. Il restait un peu de place et Emma tenait beaucoup à ces éléphants en ivoire, cadeaux de mariage de ses parents. La malle enfin bouclée, Léon l’avait chargée dans la voiture. Il était 11 h du soir, l’heure d’aller dormir. Ce serait la dernière nuit passée avec Constantin, la plus longue aussi, pleine d’étreintes, de tendresse et d’amour.

Le lendemain matin de bonne heure, Emma, accompagnée de Constantin, Natacha et Léon, prirent le chemin de la gare de Vitebsk située en centre-ville pour prendre le premier train en partance pour Odessa, prévu à 8 h. Il n’était que 7 h mais le trajet, même matinal, était encombré par d’innombrables voitures de marchandises et d’une foule se rendant au travail. Arrivés à la gare, le convoi était à quai et attendait le départ car ce train partait de la gare de Vitebsk en ligne directe pour Odessa. Il était déjà rempli de voyageurs.

Léon chargea la malle dans la partie réservée à cet effet tandis que Constantin et Emma se regardaient et, dans une dernière étreinte, Emma enlaça Constantin pour enfin se détacher de lui, elle embrassa Natacha et Léon puis monta dans la voiture se frayant difficilement un passage pour trouver une dernière place assise. Cette dernière place étant côté intérieur du wagon, Emma demanda poliment à l’homme assis près de la fenêtre d’avoir l’amabilité de lui céder sa place pour faire ses adieux à sa famille, ce qu’il fit bien volontiers. Elle prit place près de la vitre et put ainsi apercevoir Constantin et même lui parler. Constantin la gratifia de mille recommandations importantes et surtout lui promit d’aller la rejoindre dès que possible. Soudain, le train s’ébranla et se mit à avancer.

Bientôt on n’aperçut plus les maisons et chaumières de Saint-Pétersbourg mais seulement la campagne déserte, pleine de givre en cette matinée de décembre. Même la forêt, elle si belle au printemps, paraissait lugubre. Il faut dire qu’Emma avait le cœur serré, la bouche sèche. Le mal au ventre la reprenait. Oui, finalement elle était bien enceinte comme le lui avait suggéré Natacha, mais pourquoi n’avoir rien dit à Constantin ? Il aurait peut-être été très heureux d’apprendre qu’il allait avoir un enfant, surtout si c’était un garçon. Mais Emma sachant Constantin dans la tourmente à cause de sa nouvelle affectation au sein du quartier général de l’état-major, ne voulait pas en rajouter et l’encombrer de soucis supplémentaires. Elle lui ferait savoir le moment venu, quand tout serait rentré dans l’ordre.

Mille pensées bouillonnaient dans sa tête et rien n’arrivait à l’apaiser. Tout était brouillé et confus. Elle avait peu dormi et n’arrivait pas à se détendre. L’homme qui lui avait cédé sa place et qui était assis à côté d’elle, se tourna et lui fit un sourire. Enfin un rayon de soleil pour égayer cette triste journée. Tout était silencieux dans le wagon. La plupart des gens étaient là pour fuir le pays et prendre le bateau à Odessa. Chacun avait son fardeau à traîner comme le boulet du condamné, et l’heure était à la réflexion, la réflexion et essayer de faire un peu le point, y voir plus clair, au moins pour la journée, car on ne savait pas de quoi demain serait fait. Il fallait apprendre à vivre au jour le jour, et Emma n’était pas habituée à cela.

Le train avait déjà roulé pendant quatre heures et venait tout juste d’atteindre Velikije Luki, mais le convoi, bondé, ne s’arrêtait pas dans les gares qu’il traversait. Une seule halte était prévue le lendemain, à Gomel, intersection avec la ligne Minsk-Moscou-Kiev, pour descendre des voyageurs et charger quelques retardataires pour Odessa, dans la mesure des places disponibles.

Il était bientôt l’heure du déjeuner, Emma n’avait pas faim du tout, mais les autres voyageurs avaient sorti de leur sac des galettes, des fruits secs et Emma suivit un peu le mouvement en prenant les victuailles que lui avait préparées Natacha. L’appétit viendrait en mangeant, mais au bout de quelques bouchées seulement, les nausées reprirent et Emma but une gorgée d’eau qui la calma un peu.

Elle s’assoupit ensuite sans pouvoir toutefois s’endormir. Le roulis du train la berçait doucement et elle ferma les yeux. Elle était enfin apaisée. Deux heures s’écoulèrent ainsi puis elle ouvrit les yeux, la journée amorçait son déclin et le soleil bas, à droite à l’horizon, empêchait de voir le paysage qui défilait à toute vitesse. C’est alors que son voisin qui lui avait cédé sa place, l’aborda :

– Madame, permettez-moi de me présenter, je m’appelle Samuel Mikaïlovich. Je vais en France rejoindre une tante qui habite Paris. Elle possède un très grand magasin de fourrures. Mon oncle étant malade, j’y vais pour essayer de la seconder. Mes parents avaient envisagé de m’envoyer à Paris, mais les événements ont précipité les choses et voilà la raison pour laquelle je suis dans ce train.

Il avait parlé lentement, avec beaucoup de timidité, et on voyait en lui surtout le désir de ne pas heurter ou brusquer cette jolie jeune fille qui semblait l’impressionner, d’autant plus qu’elle portait une superbe alliance ornée de diamants à la main droite. Cela ne trompait pas, elle était forcément mariée à un riche aristocrate pour porter un bijou pareil.

Après quelques secondes d’hésitation, il reprit :

– Et vous, où allez-vous ?

Prise de court et ne voulant pas se dévoiler, elle expliqua qu’elle se rendait à Nice, où se trouvait une importante communauté de Russes, rejoindre des membres de sa famille. Ce voyage était prévu depuis longtemps. Les événements avaient également précipité les choses.

– Mais je ne dois pas rester plus de trois mois, ajouta-t-elle.

Elle marqua un temps d’arrêt, se ressaisit, et comprit que, pour la première fois de sa vie, elle avait menti. Elle devint toute rouge et se tourna pour ne pas être vue, son sang lui montant à la tête. Sa fragilité lui interdisait de pareilles situations pour lesquelles elle n’avait jamais été sollicitée. Elle apprenait à se battre, et confrontée à la vie, à lui faire face.

Un grand silence se fit entre les deux, qu’Emma rompit en demandant le passage pour aller aux toilettes. Le jeune homme se recula pour la laisser passer, elle empoigna son sac dont elle ne se séparait jamais, et partit se dégourdir un peu les jambes en marchant dans le couloir pour atteindre les toilettes.