En prise - Hervé Green-Taylor - E-Book

En prise E-Book

Hervé Green-Taylor

0,0

Beschreibung

"En prise" explore l’histoire d’un homme confronté à trois tragédies qui chamboulent sa vie, jusqu’à sa rencontre avec une femme qui lui fera vivre un amour inconditionnel. Plongez au cœur d’un récit intense où les émotions sont aussi déchirantes que saisissantes, et où chaque tournant de l’intrigue vous réserve des surprises à en perdre pied.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Hervé Green-Taylor, expert en marketing international, excelle à l’art du storytelling. Cependant, c’est une expérience de vie extraordinaire qui le pousse à exprimer ses émotions les plus profondes à travers l’écriture, livrant ainsi un récit captivant sur les aléas de son existence.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 262

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Hervé Green-Taylor

En prise

Roman

© Lys Bleu Éditions – Hervé Green-Taylor

ISBN : 979-10-422-2730-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122 – 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122 – 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335 – 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Fabrice, un vrai marin breton

et mon dernier correcteur,

et Anne, toujours présente et bienveillante.

Mes sauveteurs et sauveurs.

À Charles et Nathalie,

venus consolider la cellule familiale

et m’entourer, eux aussi, de leur amour.

Merci à tous leurs amis et relations

qui ont été si chaleureux et si aidants.

Sans eux, je n’aurais sûrement pas survécu.

Celui qui veut être aimé doit vouloir la liberté de l’autre, parce que d’elle émerge l’amour.

Si je le soumets, il devient un objet, et d’un objet je ne peux pas recevoir d’amour.

Jean-Paul Sartre

I

La genèse

Nous sommes en fin de saison dans cet établissement de tourisme international où j’occupe le poste de directeur de pôle. À cette période de l’année, en septembre, le temps est encore très agréable, mais la fatigue présente ses premiers signes. Depuis près de trois ans, j’y dirige de nombreux projets, dont la digitalisation de l’organisation et la refonte des sites institutionnels et des outils de réservation. La baisse d’affluence du lieu ne marque pas de rupture dans l’implication que je donne à mes dossiers. Je travaille près de 10 heures par jour, week-ends compris. Je commence à me sentir sous pression des instances dirigeantes qui m’en demandent toujours plus, dans des délais de plus en plus courts. Cela devient tout simplement ubuesque et irréaliste.

Ce jeudi soir, j’arrive dans mon appartement trois-pièces qui surplombe les halles du centre-ville. Une vue imprenable sur la magnifique architecture de Perpignan. Je reste quelques minutes à contempler ce spectacle. Une courte pause, un moment ressourçant. Mon portable sonne et une certaine hantise me gagne. Toujours la peur que la direction générale m’appelle pour me donner d’autres missions ou me mettre encore plus de pression sur les travaux en cours.

Le nom de mon fils Charles s’affiche sur l’écran de mon téléphone. Cela me détend et me fait très plaisir. Résidant et travaillant à Londres, il ne m’appelle pas souvent, mais nous sommes très fréquemment en contact par messagerie électronique.

Dans l’aube de sa trentaine, Charles est ce qu’on appelle un « beau gosse ». 1 mètre 75 environ, blond, yeux bleus, il est très sportif et arbore une belle musculature. Quand nous allons ensemble dans un lieu public, on devine instantanément notre lien de parenté. Nous nous ressemblons beaucoup à l’exception que je suis châtain au regard noisette et physiquement plutôt fin.

Charles me propose de prendre deux semaines de vacances fin janvier à Antigua, île des Caraïbes anglophone où j’ai travaillé par le passé. À l’époque, mes trois garçons y étaient scolarisés. L’idée est d’inviter également mes deux autres enfants. Vingt ans après, se retrouver sur cette île avec ma progéniture et leur conjointe respective était une formidable idée, particulièrement séduisante. Pour ma part, je suis célibataire depuis quelques mois, sorti de ce qui devait être une belle histoire, mais qui s’est malheureusement perdue dans de la violence physique envers moi. Cette idée de voyage plut initialement à tout le monde et chacun devait s’organiser.

Antigua est une île merveilleuse des Caraïbes. La légende mentionne qu’avec ses 365 plages, vous avez la possibilité de découvrir une nouvelle plage par jour pendant un an. Le contraste le plus saisissant est la différence entre la vie des locaux, très pauvres, et l’activité touristique, luxueuse et exclusive. Le fossé est extrême. Dans le même temps, le gouvernement local n’a pas autorisé de constructions sauvages sur le littoral. Chaque plage ne peut accueillir qu’un seul établissement d’hébergement ou de restauration. Il est donc très fréquent qu’en pleine saison vous trouviez des « spots » quasi déserts. Lorsque vous recherchez le calme et le dépaysement, c’est un endroit idéal pour se ressourcer et profiter des merveilles de cette île.

Les semaines passent et seuls Charles, Nathalie, sa compagne, et moi avons réservé nos billets et notre hôtel. Mes deux autres enfants avaient finalement d’autres projets et ne pouvaient pas nous rejoindre.

Nathalie est une jeune femme exceptionnelle. Blonde platine, elle a des yeux superbes qui naviguent entre le vert et le gris. D’une plastique bien proportionnée, elle est pétillante. Toujours joyeuse et le sourire aux lèvres, elle est très festive. Dotée d’une belle intelligence, Nathalie exerce son métier dans les relations presse, où elle excelle. Nous nous entendons très bien, nous pouvons même dire que nous sommes complices. Je considère Nathalie comme ma propre fille.

Très peu desservie par les compagnies aériennes européennes continentales, je dois rejoindre Charles et Nathalie à Londres où j’ai résidé pendant près de douze ans pour une partie de ma vie professionnelle. Charles est d’ailleurs mon seul enfant qui n’est pas né dans la capitale britannique, mais il a été scolarisé dans des établissements anglophones. Nous connaissons parfaitement Londres, et c’est à chaque fois un grand plaisir pour moi d’y retourner. Cela me donne toujours la sensation de revenir à la maison. Like a « back home » feeling.

Deux jours avant de prendre l’avion pour Londres, mon fils m’appelle et m’apprend que leurs meilleurs amis se joindront à nous à Antigua. Un couple que je ne connaissais pas. Des gens charmants, me dit-il et qui aiment particulièrement les moments festifs. Tout cela me convient très bien. Nous allons donc nous retrouver à cinq pour une semaine dans les Antilles.

Ce vendredi après-midi, je prends l’avion pour Londres. Je rejoins Charles et Nathalie. Nous nous retrouvons dans un pub, non loin des bureaux de mon fils. Charles dirige une agence immobilière. Entrepreneur exceptionnel, il a su démultiplier l’activité de sa société en un temps record. Talentueux, intelligent, vif d’esprit, manager né, je ne peux lui trouver que des superlatifs. C’est aussi l’un de mes enfants, il est donc forcément parmi les « meilleurs » !

À peine nos retrouvailles effectuées, je les emmène directement à China Town, Gerrard Street, pour déguster un « aromatic crispy duck ». Tradition ou plutôt passage obligé que j’ai instaurés depuis des années. Dès que j’arrive à Londres, c’est en effet un rite que j’impose systématiquement et qui je dois dire, ne remporte pas forcément l’adhésion de tous.

Ce plat pékinois est composé de galettes de riz, de concombre et d’oignons coupés en lamelles, le tout agrémenté d’une sauce sucrée-salée. Vous prenez une galette, ajoutez la sauce puis les concombres, les oignons et enfin le canard. Vous roulez la crêpe, et elle est prête à être dégustée. C’est un délice. Il n’y a qu’à Londres qu’on peut trouver ce mets facilement. Dans tous mes voyages, et il y en a eu quelques-uns, je n’ai retrouvé ce plat qu’à New York et à San Francisco, et toujours dans les quartiers asiatiques. Un peu loin, pour se faire ce petit plaisir !

Nous sommes vendredi et nous devons prendre l’avion dimanche pour Antigua. Nous avons donc le temps de rencontrer les amis de Charles et Nathalie pour faire plus ample connaissance avant de passer nos vacances ensemble. Et cela doit se faire dès ce soir puisque nous sommes tous conviés pour dîner.

Charles, Nathalie et moi arrivons vers vingt heures devant ce restaurant argentin, me semble-t-il. Un restaurant huppé en plein centre-ville. Nous rejoignons leur couple d’amis qui sont accompagnés de quelques personnes. La discussion s’enclenche et les échanges vont bon train. Entre les sujets personnels, professionnels et familiaux, le courant passe particulièrement bien. Je me sens progressivement très à l’aise à l’idée de partager cette semaine de vacances avec tout ce petit monde.

La fin du dîner approche. Il est plus de minuit et nous décidons de rentrer. Dans le même temps, l’effet de l’alcool commence à faire son effet, et une envie de ne pas se quitter comme ça se dessine, une envie de prendre un dernier verre ensemble dans un autre endroit. L’ami de mon fils est fatigué et veut se reposer. Et là, j’ai le malheur de lui dire qu’en effet, il vaut mieux coucher les personnes âgées pour préserver leur santé. En une demi-seconde, cet ami se retourne vers nous et nous ordonne de le rejoindre, avec son épouse, dans un club de Londres, récemment ouvert, très à la mode et très privé. Nous nous sommes bien évidemment pliés à cette injonction. Nous y sommes restés jusqu’à 5 ou 6 heures du matin, je ne me souviens plus très bien. Je ne me souviens pas non plus de ce qui s’y est passé exactement, mais apparemment c’était très drôle. Je n’en ai connu les détails que le lendemain grâce aux récits de Charles, de Nathalie et de nos amis.

Malgré un réveil difficile, nous nous retrouvons tous ensemble le soir pour le dernier dîner avant le départ pour les Antilles. Moment beaucoup plus calme que la veille et toujours aussi sympathique. Nous apprenons à nous connaître. Nous nous quittons à la fin du repas en nous donnant rendez-vous dans l’avion. Le vol sera très agréable, partagé entre siestes et films.

Le séjour à Antigua restera mémorable. Après-midi sur les plages à se baigner et à profiter des paysages magnifiques comme Saint John et English Harbour. Soirées bien arrosées et très festives. Nous nous sommes tous lâchés, le besoin de décompresser, de faire la fête, de s’amuser et de se vider la tête. Objectifs atteints !

Pour ma part, j’ai dû demander la main de la moitié des femmes de l’île, et sur la fin du séjour j’étais décidé à me présenter aux prochaines élections pour devenir Premier ministre de ce petit État ! Le dernier jour, Charles, Nathalie et moi déjeunions avec son ancienne institutrice et sa fille. Cela nous ramenait vingt ans en arrière et ces retrouvailles étaient délicieuses. Nous racontions nos exploits de notre séjour sur l’île et la fille de la professeure de Charles se mit à rire. « Ha ! c’était vous ! Nous avons entendu parler de vos exploits aux quatre coins de l’île ! » Une belle parenthèse pour clôturer ce superbe voyage.

Le temps est venu pour nous de retourner en Europe. Petite halte à Londres, derniers moments bien arrosés avant de rentrer à Perpignan et de reprendre mon quotidien. Nous nous quittons avec la ferme intention de nous revoir.

Nous sommes début février et les choses vont s’enchaîner à une vitesse infernale. Trois semaines après mon retour, à l’aube de mes 51 ans, j’ai un rendez-vous avec le directeur général de l’entreprise pour laquelle je travaille depuis trois ans. Une réunion dite « bilatérale » où nous faisons le point sur les projets en cours. D’entrée de jeu, cette réunion prend la tournure d’un licenciement, brutal et inattendu. On me demande alors de quitter les lieux sur-le-champ, de rendre mes clés, ma carte de parking, de rentrer chez moi, sans même passer par mon bureau pour prendre mes affaires personnelles ni même saluer mes équipes. Sous le choc d’une telle violence, je m’exécute. Après quelques jours de K-O, je reprends un peu mes esprits et décide de ne rien lâcher et de les poursuivre aux prud’hommes. Au moment où j’écris ces lignes, l’affaire est toujours en cours.

Quelques semaines plus tard, le premier confinement est institué. Comme tout le monde, nous rentrons dans l’inconnu et dans une certaine crainte concernant l’avenir. Je reste cloîtré dans mon appartement à construire mon dossier juridique. Quelques jours plus tard, je reçois ma notification de licenciement des mains d’un huissier de justice, masqué et se tenant à bonne distance. L’évènement est dur à digérer même si je m’y attendais.

Je prends les coups. Après ma rupture sentimentale quelques mois auparavant, le licenciement et maintenant le confinement, j’encaisse. Trois accidents de vie, arrivés quasi simultanément et singulièrement violents. Je n’aurais jamais imaginé que le pire était à venir.

Le temps passe et je commence sérieusement à déprimer. Entre préparer mon dossier juridique pour licenciement abusif et illégal à mon sens, ne pas sortir, ne pas voyager, un besoin vital. Ne pas forcément entrevoir de quoi sera fait mon avenir professionnel dans une situation économique arrêtée, ma capacité à pouvoir rebondir, autrefois légendaire, commence sérieusement à s’écorner. Mon moral sombre peu à peu dans un trou noir.

Tout début mai, une dizaine de jours avant le déconfinement progressif, je téléphone à Charles. Lors de notre échange, il sent bien que je ne suis pas au top, que je m’enfonce dans la déprime. Dans les forces de sa trentaine, il me dit alors : « Viens à Londres. Maintenant. » Je le prends comme un ordre, je sens que je n’ai pas le choix. Le déclic se fait dans ma tête. La décision est vite prise, j’y vais ! Seulement la France et le Royaume-Uni sont encore en confinement total.

Malgré cela, nous préparons les documents nécessaires pour passer tous les contrôles potentiels. Formulaire pour motif impérieux, lettre de convocation à un rendez-vous d’embauche, certificat de pôle emploi… Le surlendemain, je quitte Perpignan en voiture, direction Lille, où j’allais faire une halte chez mon cousin et ma cousine. Cela me fera du bien de voir ma famille, de voyager et de retrouver Charles et Nathalie pour quelques jours.

Je traverse la France sans encombre, sans aucun contrôle. Une drôle d’impression m’envahit. Je ne croise pratiquement aucune voiture. Un désert surnaturel sur les routes. Le soir nous nous retrouvons pour dîner chez mon cousin et ma cousine. Nous avons beaucoup de choses à nous raconter, à partager. Un excellent moment, une petite renaissance dans un contexte très compliqué. Le lendemain, je me dirige vers le tunnel sous la Manche. Je passe la douane sans problème. Le Shuttle, quasiment vide, m’emmène sur l’autre rivage de la Manche. Je roule vers Londres. De ce côté de la frontière, même désolation sur les routes, très peu de véhicules. C’est très rare dans cette région et quelle que soit la période de l’année.

J’arrive enfin à destination. Le confinement a l’air moins sévère qu’en France. Cette fois-ci, il y a pas mal de voitures qui circulent, mais rien à voir avec le Londres que je connais, ultra congestionné. Je retrouve Charles et Nathalie dans leur appartement, dans le nord-est de la ville. Nous passons une petite semaine à nous ressourcer.

Comme chez nous, les boutiques et les restaurants sont fermés. Néanmoins, les règles de confinement sont plus souples et nous pouvons nous promener dans les parcs. Nous y retrouvons quelques-uns des amis de Charles et Nathalie. Rares moments de rencontres dans ce climat anxiogène. Ce séjour est salutaire, je me sens mieux émotionnellement, prêt à repartir à la bagarre, celle de ma reconstruction personnelle et professionnelle.

Avant de retourner dans mes pénates, Charles me demande si je peux m’arrêter chez leurs amis sur la route du retour pour leur déposer quelques affaires. Ils habitent aussi à Londres, mais ils avaient décidé de passer le confinement dans leur résidence secondaire dans le Bordelais. J’accepte bien volontiers même si cela m’impose un léger détour.

La route du retour reprend une certaine normalité. Le confinement étant levé, les gens circulent, la vie redémarre.

Me voici donc en Gironde, département que je ne connais pas du tout. Je dépose comme convenu les quelques sacs que j’avais pris en Angleterre. Les amis de mon fils me proposent alors de rester pour la soirée et la nuit et de repartir le lendemain. Je suis resté finalement trois jours. Ils habitent une très belle maison et nous passons de très bons moments, dont certains très festifs. Avant de les quitter, ils m’invitent à revenir passer quelques jours en avril avec eux. Charles et Nathalie doivent descendre également à cette période, c’était l’occasion de se retrouver tous ensemble. J’accepte avec grand plaisir.

II

La rencontre

Nous sommes le 17 avril. Nous nous retrouvons tous ensemble à Bordeaux chez les amis de Charles et Nathalie. Ambiance chaleureuse et joyeuse. Le temps est très clément. Nous profitons de la piscine et des extérieurs. Nous échangeons beaucoup sur l’actualité, surtout « business ». Des discussions très enrichissantes entre deux fêtes nocturnes.

Au deuxième jour de mon séjour, après un excellent dîner, nous nous mettons à danser. Bien en forme, nous nous couchons très tard ou plutôt dans la matinée. Quelques heures de sommeil et nous nous réveillons les uns après les autres, tous avec des maux de cheveux, des teints blafards, les estomacs en vrac, bref, des morts-vivants. Nous avons du mal à émerger et dans ces cas-là, l’eau minérale devient la boisson nationale !

Vers 13 heures, après avoir repris un tant soit peu nos esprits, l’épouse de l’ami de Charles demande à son conjoint d’aller déjeuner chez quelqu’un. Je ne connais quasiment personne dans leur entourage et je ne comprends pas grand-chose à leurs échanges.

Il semble que la discussion tourne autour d’un déjeuner où ils ont été conviés, mais qui se trouve à environ une heure et demie de route. L’un ne veut pas y aller, l’autre oui. Il semble qu’au début de la conversation, la décision est prise, nous n’irons pas. D’autant que nous sommes cinq et que de surcroît, Charles, Nathalie et moi ne sommes pas invités.

Quelques minutes plus tard, retournement de situation, nous devons nous préparer pour nous y rendre, tous ensemble. Parés, nous montons dans la voiture de nos amis. Je prends ma place à l’arrière du véhicule, à droite. Les routes sont plutôt sinueuses dans la région et j’ai vraiment hâte qu’on arrive, je n’ai pas totalement récupéré ! Durant le trajet, je calcule qu’il ne nous reste que dix minutes de route. Enfin nous touchons presque au but quand un téléphone sonne. Notre hôte nous demande de passer chez lui pour prendre son portable qu’il a oublié. Nous voici donc à faire demi-tour. Quinze minutes de « rab » pour y aller et autant pour le retour. Ce périple devenait interminable !

Nous arrivons enfin, très en retard, et découvrons un très beau restaurant avec une terrasse gigantesque, très ensoleillée. Une bonne trentaine de personnes étaient là, déjà bien engagées dans la phase apéritive.

Je rentre dans l’établissement et fais quelques pas. La première personne que j’aperçois est une femme. Elle est à une dizaine de mètres. Habillée tout en noir ou du moins en couleur sombre. Elle se tient debout, seule, sous un parasol. Un tableau quelque peu théâtral qui m’impressionne. Pas très grande, cheveux blonds très courts, lunettes de soleil, silhouette très agréable. Dotée d’un charisme naturel, elle me fait penser instinctivement à une proviseure d’établissement scolaire, une juge, une personne stricte et austère en apparence. Un type de profil que j’apprécie tout particulièrement. Elle est assez éloignée et je décide d’aller me présenter aux autres convives, beaucoup plus proches de moi.

En me déplaçant, je découvre un buffet particulièrement attractif. De grandes tables sont dressées, jonchées de la meilleure charcuterie espagnole et des meilleurs vins de la vallée du Rhône. De quoi éveiller les meilleures sensations gustatives.

Je salue quasiment tout le monde sachant que je ne connais personne. Je m’attarde avec un couple très sympathique. Lui, avocat dans la région et proche des amis de Charles et Nathalie. Elle, esthéticienne. Très plaisantins, nous partons à nous échanger quelques cocasseries. Elle, d’origine portugaise, ne parlait pas encore bien le français. Nous échangeons donc en anglais. J’adore parler cette langue, et je reste donc un certain temps avec elle à pratiquer la langue de Shakespeare. Elle parle en faisant de grands gestes, elle est un tant soit peu exubérante. Au bout d’un certain temps, nous commençons à parler d’opéra. Ne maîtrisant pas ce domaine artistique, la conversation perd de sa saveur. Un monologue s’installe. Elle parle beaucoup et m’inonde d’informations qui commencent à ne plus exciter mon esprit et encore moins ma curiosité.

Excellent timing car nous devons passer à table. Pendant que les convives prennent place autour d’une grande table, je passe par le buffet me resservir de cet excellent côtes-du-rhône.

Je me retourne et constate qu’il n’y a plus de place. C’est alors que les amis de Charles l’interpellent et lui demandent de venir les rejoindre en bout de table. Il se plie à l’invitation et me laisse donc sa chaise pour rejoindre les invités.

Je m’assois et je vois ce couple avec qui j’avais discuté pendant de longues minutes pendant l’apéritif en face de moi, légèrement sur ma droite. Sur ma gauche se tient cette femme que j’avais aperçue en arrivant. Je lui dis bonjour sans la regarder, car la conversation reprend avec mes interlocuteurs précédents. Je partage avec elle mon prénom, Hervé, elle me dévoile le sien : Faustine.

N’étant plus intellectuellement titillé par la teneur des propos de mes voisins d’en face, je me penche vers ma voisine, toujours sans croiser son regard. J’ai le temps de lui glisser rapidement que j’ai fondé une société de produits cosmétiques bio, puis j’enchaîne et lui dis : « Tu vois cette femme en face ? » Elle me répond : « Oui, et ? » Je lui lance alors : « Eh bien, il faudrait que je lui invente une crème pour le cerveau ! » Faustine découvre mon humour caustique et se met à rire.

À l’entendre, je me tourne vers elle et la regarde. Je découvre un sourire magnifique, un regard intense véhiculé par des yeux vert émeraude, un charme énorme, un calme troublant. Elle me fait penser à Jean Seberg, célèbre actrice américaine des années 60.

Nous commençons cette fois-ci une vraie conversation. Je lui explique très brièvement les derniers évènements de ma vie et l’une de mes activités professionnelles : une boutique e-commerce que j’ai fondée en 2009, « LeRayonNature.com ». Cette société est spécialisée dans l’huile de pépins de figue de Barbarie bio, le meilleur soin anti-rides naturel du moment. Je l’appelle le Graal cosmétique. Faustine y montre de l’intérêt et j’en profite pour lui glisser mon « 06 » au cas où elle serait intéressée par mes produits. Je crois qu’elle n’est pas dupe de ce subterfuge cousu de fil blanc. Elle sourit et me donne également son numéro de portable.

À son tour, Faustine se présente succinctement. Tout juste dans la quarantaine, elle est divorcée depuis plusieurs années. Célibataire, elle a deux enfants encore adolescents qu’elle a en garde alternée une semaine sur deux. Avocate, elle travaille à environ une heure de son domicile bordelais, dans un cabinet apparemment très réputé. Faustine fait les allers et retours tous les jours en voiture pour se rendre à son bureau.

Je prends de plus en plus de plaisir à notre conversation. Je pense que Faustine aussi. Nous approfondissons notre échange sur nos vies passées. Je partage quelques anecdotes, toujours avec mon humour décalé. Je la fais rire. J’y prends goût. Ce n’est plus la femme austère que j’avais initialement imaginée sous ce parasol.

Nous arrivons déjà au dessert. Je ne suis pas très « sucré ». Faustine non plus. Elle me propose alors de partager une assiette. J’accepte bien volontiers en comptant bien faire durer ce premier échange. Nous partageons ce dernier plat. Je ne sais pas pour elle, mais en ce qui me concerne, ce dessert devient délicieux à plus d’un titre.

Soudain, nous remarquons que les serveurs s’affairent frénétiquement à débarrasser les assiettes. Les convives se lèvent et commencent à se saluer. Nous nous joignons à l’exercice collectif. Nous nous perdons de vue dans cet acte de clôture des festivités. Les amis de Charles sont prêts à décoller pour rejoindre leur demeure. Le moment du départ approche. Je prends congé de toutes les personnes autour de moi sans oublier Faustine, ma charmante voisine du déjeuner. Nous nous disons à bientôt, sans plus.

En partant, notre troupe remercie notre hôte. Il nous confie qu’il n’avait pas vu Faustine rire comme elle l’a fait durant le déjeuner depuis bien longtemps. Il en est ravi. Je découvre alors qu’ils étaient de très bons amis.

Pour le retour, après ce long déjeuner bien arrosé pour certains d’entre nous, je prends le volant. J’ai fait attention à modérer ma consommation d’alcool pendant l’après-midi.

Sur la route, je partage avec notre petit groupe que j’avais passé un excellent moment avec Faustine et que j’aimerais bien la revoir. Leur retour est instantané et sans appel : « Elle a des enfants en bas âge, elle est loin de Perpignan, ne t’emmerde pas avec ça, tu mérites mieux, elle n’est pas pour toi. »

Je n’insiste pas et me concentre sur la route où se succèdent les virages. Arrivés à bon port, nous aidons à la préparation du dîner. Nous passons à l’apéritif puis vient le moment de nous attabler.

Ayant trouvé une opportunité pour me retrouver seul, je prends le temps d’envoyer un message à Faustine. Je lui demande si elle est bien rentrée et si nous pouvons nous revoir demain pour prendre un verre. Elle me répond que ce n’est pas possible, car elle a ses jeunes enfants cette semaine. Dans la foulée, elle me propose de décaler cette proposition au week-end suivant ; elle sera seule et sans enfant. Je suis ravi de cette invitation néanmoins je dois être impérativement à Perpignan. Nous décidons alors de nous recontacter prochainement. Je repense aux paroles de Charles, de Nathalie et de leurs amis qui résonnent : l’éloignement géographique et le contexte familial posent d’ores et déjà problème.

Durant le repas, nous revenons sur l’évènement du jour ! Je réitère mon ressenti : j’aimerais bien revoir Faustine. D’un seul coup, l’ami de mon fils se lève et part dans le jardin comme une fusée pour téléphoner. Il a l’habitude d’agir de la sorte pour son activité professionnelle. Nous ne sommes donc pas très surpris. À la seule différence près qu’il appelle l’ami de Faustine pour prendre la température. Sa nature est de résoudre les problèmes, trouver des solutions rapidement. Dans son esprit, il veut aider les gens qu’il apprécie. Dans le contexte présent, il allait chercher un « oui peut-être » ou un « no go » (il ne faut pas y aller).

Quelques minutes plus tard, il reprend sa place à table et m’annonce le contenu de sa conversation : « Laisse tomber, elle ne s’occupe que de ses enfants. Pas de place pour un homme dans sa vie, aucun espoir ! » L’ensemble de la tablée partage aussi cette opinion. Je suis déçu de ce retour, mais peut-être ont-ils raison. Cette histoire embryonnaire s’annonce très compliquée, surtout dans le contexte émotionnel et professionnel dans lequel je me trouve.

Nous n’en avons plus parlé durant le séjour qui touchait malheureusement à sa fin. Je retourne vers Perpignan 48 heures plus tard sans avoir revu Faustine.

III

Les échanges

De retour dans la cité médiévale, je reprends aussitôt contact avec Faustine par messagerie électronique. Nous commençons à échanger. De quelques minutes les premiers jours, nous passons rapidement à de longues heures qui nous mènent à nous quitter tard dans la nuit.

Nous partageons nos expériences de vies, tout d’abord professionnelles puis personnelles. De son côté, c’était plutôt court. Avocate brillante, elle a passé quasiment toute sa vie professionnelle au même endroit. Elle n’a jamais démissionné et est dans la même structure depuis plus de quinze ans.

Pour ma part, c’était un peu plus long. Sorti d’une école de commerce parisienne, j’ai débuté ma carrière dans la plus grande agence de publicité française : Publicis. Cette agence était réputée comme l’école de la publicité. L’excellence y était de rigueur ! On y trouvait les meilleurs publicitaires de l’époque et ce n’est pas un hasard si cette agence sortait régulièrement des sagas publicitaires de légende. On se souvient tous des pubs Dim et de sa signature sonore, Renault et les voitures à vivre, Boursin avec du pain, du vin, du Boursin et bien d’autres encore.

Je débutais alors comme média-planner sur le plus gros budget publicitaire français : Renault. De par l’immensité de sa surface financière publicitaire, cet annonceur était présent d’une façon ou d’une autre sur tous les médias, tous les jours de l’année : télévision, radio, affichage, presse magazine, presse quotidienne nationale et régionale, presse professionnelle… Renault avait même son propre réseau d’affichage que l’on appelait le réseau permanent. Les campagnes de publicité étaient organisées par produit et duraient entre quatre et six semaines. Mon rôle était tout d’abord de planifier ces campagnes en choisissant les supports les plus pertinents sur un rapport audience/coût. Un travail d’optimisation de la rentabilité. Je devais ensuite bien contrôler que deux produits différents de la marque ne se retrouvaient pas en même temps dans les médias.

D’autres tâches m’incombaient comme l’étude des investissements publicitaires de la concurrence. J’y suis resté plus de trois ans avant de me faire recruter par une agence concurrente pour gérer un autre budget automobile : General Motors. Entre Publicis où j’ai appris mon métier et cette deuxième agence où je mettais à disposition mon expertise, je suis donc resté six ans à travailler pour le secteur automobile.

J’ai beaucoup d’anecdotes à raconter à Faustine. Lorsque l’on travaille dans une agence de publicité, on est très sollicité par les médias qui veulent capter des investissements publicitaires. Vous êtes donc très souvent invités à déjeuner, à des avant-premières de films, des voyages, des spectacles, des concerts.

Je lui en raconte deux, qui je savais, allaient la faire sourire. Elle adore le tennis et je lui raconte qu’à cette époque-là, et chaque année, j’étais invité à des déjeuners à Roland-Garros. « Super, et quels matchs as-tu vus ? » me demande-t-elle. « Quasiment aucun ! » lui répondis-je.

Elle est estomaquée ! Je lui explique qu’effectivement j’aurais pu voir tous les matchs que je voulais avec le « Pass VIP », mais que nous utilisions plutôt notre temps pour de longs déjeuners où étaient souvent conviés des journalistes, des écrivains et des annonceurs.

Nous étions également invités très souvent à des concerts. Je ne saurais même pas me rappeler tous les groupes ou artistes que j’ai vus sur scène. Et à un moment, nous en étions saturés. Si bien que quand j’ai reçu des places pour Mickaël Jackson puis Madonna, je les ai offertes à des amis ! Bien plus tard, j’ai beaucoup regretté de ne pas avoir assisté à ces concerts.

Je parle de « nous », car, à cette époque, j’étais déjà marié. Nous avions eu notre premier enfant, Charles, et nous habitions Paris. La mère de mes enfants travaillait également dans la publicité, initialement commerciale puis assistante de direction. Elle n’aimait pas tellement ce milieu.

Ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille et il y avait donc matière à discussion. Après ces six années parisiennes, nous sommes partis vivre à Londres. Je venais d’être recruté par une grande entreprise mondiale dans le secteur des services financiers. Un très beau poste avec des responsabilités européennes. Des responsabilités qui m’imposaient de voyager très fréquemment dans toutes les capitales européennes puis à New York, siège de l’entreprise. Nous avons eu deux autres enfants à Londres. Leur mère ne travaillait plus et s’occupait de nos trois petits bouts.