Enlevé par les lettres - Dan Bozhlani - E-Book

Enlevé par les lettres E-Book

Dan Bozhlani

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Beschreibung

"Enlevé par les lettres" explore le pouvoir libérateur des lettres, permettant au protagoniste de voyager au-delà de lui-même et à travers le temps. Grâce à ses rencontres avec les personnages de ses écrits et des figures historiques, il s’enrichit de discussions profondes et d’expériences extraordinaires. Cependant, jusqu’où ces lettres peuvent-elles vraiment le mener ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Animateur radio, Dan Bozhlani a enrichi son parcours en contribuant régulièrement à des articles pour des journaux au Kosovo. De l’univers des ondes, il décide aujourd’hui d'explorer celui des mots imprimés. "Enlevé par les lettres" est son quatrième ouvrage publié.

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Dan Bozhlani

Enlevé par les lettres

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dan Bozhlani

ISBN : 979-10-422-4068-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Rédactrices et correctrices

Aurélie Macabrey

Emma Sorin

Préface

Un écrivain fatigué a pris la mauvaise habitude, en raison de sa lassitude, de négliger les livres, tant les siens, inachevés pour la plupart, que ceux des autres. Mais un après-midi, alors qu’il s’endort sur son canapé, il est soudainement rappelé à l’ordre par un mystérieux amas de lettres flottantes qui cherchent à communiquer avec lui en formant des mots sous son regard ébahi.

Profondément vexées par la négligence ostentatoire de l’écrivain, qui ne prend plus aucun soin ni de sa bibliothèque ni de ses manuscrits, les lettres décident d’entreprendre un voyage mystique au sein même du corps de l’auteur afin qu’il retrouve son inspiration perdue. L’âme désincarnée de ce dernier, alors guidée par les lettres, se lance dans une pérégrination qui le mène à la fois aux tréfonds de lui-même, mais aussi dans les paysages décrits au fil des pages des manuscrits poussiéreux qu’il n’a jamais pris le temps d’achever. Enfin, une excursion temporelle finale lui permet de rencontrer le premier homme jamais capable d’écrire, et les parents de l’humanité, auxquels il faudra confier une importante mission, décisive pour l’avenir des êtres humains.

I

Dès qu’il passa l’encadrement de la porte, un souffle de calme caressa ses oreilles, puis il plongea son regard perdu sur la surface du mur recouvert de livres colorés, d’où provenait un halètement qui résonnait dans les trois autres parties du salon.

Il étendit son corps las sur le canapé, pour feuilleter, somnolant, les pages du livre. Une fois que ce livre sera achevé, il aura épuisé toutes les couvertures de tous les livres de cette bibliothèque, un amas de littérature aux dimensions admirables, qui retenait son attention depuis des années.

Les aiguilles de l’horloge avaient parcouru toute une heure depuis le moment où avait commencé à se faire entendre ce souffle insolite, lorsque, dans les tympans de ses oreilles stupéfaites, parvint un hurlement de mots, qui, avant d’être entendus, attirèrent brusquement son regard : « Vous avez baissé les yeux sur moi avec dédain ».

Ses oreilles bourdonnaient, ses tempes battaient aussi fort que son cœur dans sa poitrine, il se rappela la respiration qu’il n’entendait plus, tandis que ses pensées, hâtives, se brouillèrent, il savait qu’il se trouvait dans la peau d’une journée anormale. Il tenta de surmonter cet ébranlement, rassemblant ses forces affaiblies pour se reconcentrer.

« Je ne supporte pas que les yeux humains roulent sur mes mots avec indifférence. J’interdis aussi que les regards se contentent de me survoler. »

Non seulement il entendait ces mots, mais il les voyait aussi naviguer rapidement dans l’air du salon. Il écarquilla les yeux, tandis que la paume de ses mains bouchait instinctivement ses oreilles irritées. Au fond de sa pensée, les mots criaient sans cesse, jusqu’à ce que ses mains en fussent retirées en un éclair.

« Vous deviendrez aveugle à mon contenu, si vous ne m’obéissez pas. »

Il poursuivit sa recherche avec des yeux assoiffés pour identifier l’être d’où venaient ces mots cinglants.

« Je ne supporte pas le mutisme millénaire qu’on nous a imposé et qui a lentement éteint le souffle de notre voix. Depuis que ce silence a commencé, sous le regard des yeux humains, nous sommes écrasés par le poids de la souffrance, du mépris, de la dévalorisation et de la dégradation. Les lettres étaient autrefois vivantes, elles flottaient librement dans l’air de la Terre, jusqu’à ce qu’elles prennent la forme de traits fins cloués par les doigts des hommes sur la surface de la pierre, dans les sombres allées des grottes, sur les parchemins, sur les membres corporels fragiles, jusqu’aux arbres qui ont été transformés en feuilles blanches. Si les lettres étaient dotées de parole, vous les comprendriez mieux et seriez beaucoup plus humains. »

Il flottait tant de lettres autour de lui qu’il se sentit soudain submergé par le déluge. Leur apparition était fugace : elles scintillaient un court instant, et disparaissaient aussitôt. Le silence profond qui se faisait entendre après leur disparition apaisait son cœur dans ce microcosme délimité par les murs froids du salon.

« C’est en toute conscience que je brise le silence qui pèse aussi lourd que la terre sur le dos de mon espèce. »

Calmement, il commença à comprendre d’où provenait cette voix, et il se demanda : « Qui déclame ce qu’affichent les lettres ? »

« Les voix non humaines vous épouvantent, comme en témoigne la peur qui vous engourdit. Cela n’a aucun sens de continuer à chercher un autre être vivant, car vous êtes la seule personne dans cet appartement : ne remarquez-vous pas que ce n’est pas une voix humaine ? »

Il essaya de se calmer, en se disant que la voix provenait nécessairement d’une forme de folie qui avait soudainement pris possession de lui.

« N’essayez pas de vous consoler en vous pensant fou, vous êtes parfaitement lucide. Ne perdez pas de temps à essayer de vous convaincre que vous hallucinez : vous n’êtes ni éreinté par le travail ni trahi par un état de somnolence ; c’est bien avec les oreilles de votre conscience que vous écoutez ma voix. »

Les mots se succédaient furieusement devant son visage ; une fois arrivés à hauteur de ses yeux, ils se désagrégeaient, disloqués, effondrés, tandis qu’il essayait de les lire dispersés. La dextérité de ses yeux fut mise à l’épreuve de leur rapidité.

« Il est temps de me reconnaître, alors plissez les yeux sur votre ventre allongé, là où je me tiens ouvert entre vos mains : je m’appelle livre, comme vous nous avez baptisés. »

Il écarquilla les yeux et des frissons parcoururent son corps.

« Oh, qu’est-ce que c’est que ces grands yeux ! Incroyable, un livre peut-il vous parler ? Ne pensez pas agir comme vous comptiez le faire, me lancer contre le mur, et prendre vos jambes à votre cou, parce que ma voix peut atteindre vos oreilles, quelle que soit la distance. »

Il réprima alors les pensées qui l’avaient amené à vouloir échapper à cette voix.

« Pourquoi verdissez-vous de peur ? Je n’ai pas l’intention d’arracher l’âme de votre corps de quarante ans. Déplacez votre attention sur ma voix. Et puis d’abord, gardez-moi loin de votre bouche puante, s’il vous plaît. »

Cette requête apaisa sa nervosité, tandis que son visage rougissait de honte.

« La maltraitance permanente me pousse à mener une révolte explosive !

Bien que nous soyons faits de papier, nous pesons autant que vous, car nous portons la valeur des lettres qui renforcent la dignité humaine plus que toute autre chose. L’importance des livres est irremplaçable. Vous nous achetez pour nous emprisonner dans la bibliothèque, vous nous en sortez en nous égratignant, en nous claquant sur les tables, en cornant nos feuilles, en dormant sur nous pendant les pauses, en nous salissant avec des boissons, en nous couvrant de miettes, en nous jetant à la poubelle, en nous mettant au feu pour vous réchauffer… »

Sa tête chercha à nier.

« Non, non. À peine m’avez-vous ouvert, brutalement, que vous m’avez feuilleté superficiellement, en somnolant. Vous méprisez mes lettres ! Vous m’avez utilisé comme couverture sur votre visage pour vous cacher de la lumière afin de dormir en ronflant. »

Son visage prit une expression confuse.

« En m’ouvrant si grossièrement, vous avez tellement secoué mes lettres qu’elles ne se sont pas encore calmées de leurs tremblements de peur, et au lieu de vous excuser, vous les méprisez. »

En jetant un rapide regard en diagonale, il remarque le balancement des lettres sur les feuilles du livre.

« Comment pouvez-vous vous comporter ainsi, vous qui êtes constitués de sentiments ? Lorsque vous êtes blessés, insultés ou maltraités, vous savez venir pleurer, vous savez vous lamenter. Comment pouvez-vous torturer si facilement les autres sans pitié ? »

La vibration des lettres retentit jusque dans ses doigts, puis se fit sentir dans tout son corps.

« C’est assez ! Vous et toute votre espèce avez été éduqués et émancipés grâce aux créatures de mon espèce sans exprimer la moindre gratitude ! »

Ces paroles lui firent prendre conscience de sa culpabilité.

« Il y a cinq ans que la maison d’édition m’a investi de la mission du livre, puis elle m’a transporté pour me ranger dans la vitrine d’une librairie, d’où votre main me tira, pour me mettre dans le coin de cette bibliothèque. Je regardais des gens de toutes sortes qui venaient vous rendre visite, mais jamais je n’entendais un seul mot de gratitude pour les services que nous, livres, nous vous rendons. »

Il tenta de balbutier une forme de remerciement au livre, mais ses lèvres étaient figées par la consternation.

« Vous remerciez avec éloge les écrivains et auteurs, pourtant, vous n’aviez pas pensé à apprécier l’effort des pauvres livres, qui dignement transmettent la nourriture spirituelle de génération en génération, préservent le savoir mieux que votre cerveau mortel. Tandis que vous ne nous exprimez pas la moindre gratitude, vous pourriez au moins ne pas nous offenser avec une lecture somnolente, car nous sommes là pour vous réveiller. »

Le sentiment de honte semblait le rétrécir jusqu’à l’os.

« Avant d’insister sur la demande principale qui m’a conduit à rompre la promesse millénaire de silence, j’interpelle les générations contemporaines : faites attention aux pensées dont vous nous chargerez, car elles servent à former des générations futures, et ne jouez pas avec la dignité des lettres, car leur patience a des limites. Elles peuvent s’échapper du papier blanc, disparaître de vos yeux et de vos mains fragiles et quitter cette terre boueuse. Pouvez-vous imaginer quelles conséquences tragiques seront causées par l’absence de lettres sur Terre ? »

Il imagina alors des livres avec des pages vidées de leurs lettres.

« Tenez, encore une fois, avec vos doigts pleins de griffes, vous écrasez ma couverture ! L’homme doit voir l’effusion de sang pour comprendre qu’il cause de la douleur. Mais mon sang est noir, et il circule dans les lettres, comme le vôtre, teinté de rouge, circule dans vos veines. Même si je m’émiette, je ne verse pas de sang, car je ne veux pas faire trembler le sol. »

Ce dernier mot parvint à ses oreilles faiblement.

« Cessez d’avoir peur, respirez l’air calme et ouvrez les oreilles de la mémoire : sur l’étagère de la bibliothèque où je me recroquevillais, j’avais à côté de moi un carnet à moitié rempli de votre écriture. L’histoire inachevée que vous avez commencé à écrire m’a été contée plusieurs fois par ce carnet. D’ailleurs, soyez plus prudent avec l’écriture, car vous avez dépouillé les lettres de leur élégance, de leur splendeur et de leur clarté. »

Avec étonnement, il écarquilla les yeux, alors que lui revint en tête le souvenir de son écriture laide, qu’il n’a jamais tenté d’améliorer.

« Vous avez tellement réduit l’importance des lettres qu’elles tiennent désormais à peine sur leurs pieds. Cependant je ne suis pas ici pour vous reprocher votre calligraphie, mais pour ouvrir vos oreilles, celles avec lesquelles vous avez ignoré l’appel quotidien de mon voisin à le remplir, à moitié vide de lettres. Ce carnet humble avait l’espoir de l’attente, il rêvait de votre main tendue vers lui, une main qui aurait fait vivre ses pages avec la respiration et les pas des personnages qui mènent à la fin de l’histoire. Vous avez paralysé par l’attente les habitants du carnet, vous avez fait stagner la respiration de leur vie, vous avez déréglé le cycle des saisons en prolongeant cette attente, vous avez gelé le sang du développement des péripéties, et vous avez emprisonné leur avenir. Imaginez-vous congelé comme les portraits de ce cahier au bord de la frontière, au-delà de laquelle s’étend le vide de la vie sans respiration. Cette attente fane vos membres jusqu’à ce qu’ils s’écrasent au sol pour se briser en mille morceaux de mort. Voyez-vous quel crime remue leur conscience silencieuse ? Mon voisin le carnet s’inquiète excessivement quand vous tombez malade, il est profondément attristé lorsque vous célébrez votre vieillesse avec une fête d’anniversaire, et il est épouvanté par l’idée que vous quittiez cette vie avant de lui avoir donné la forme aboutie d’un livre. Il rêve d’être transformé par la splendeur du livre achevé. Lorsque vous avez tendu la main pour me sortir de l’étagère, il a été envahi d’une joie indescriptible, au point qu’il a été terrassé par la déception quand il a compris que ce n’était pas lui que vous veniez prendre. »

Sa bouche s’ouvra, incrédule, sur son visage pâle.

« Dorénavant, vos excuses ne font plus aucun sens. Après m’avoir lu, retroussez vos manches pour accomplir le travail restant, avant que j’ordonne aux lettres de ces livres de vous envahir, au milieu de ce salon, et qu’elles vous transforment en un personnage attendant de prendre vie. Fermez-moi respectueusement et, avant de me rouvrir, nettoyez-vous les mains, car elles dégagent une odeur insupportable. »

II

Les mains stupéfaites, il tenait soigneusement le livre. Il contemplait, les yeux figés, sa délicatesse. Il décolla lentement son dos du canapé, replia ses genoux, se retourna, indolent, et se posta devant la télé éteinte. Il posa ses pieds hésitants sur le sol. L’équilibre du livre n’était perturbé par aucun mouvement de ses mains précautionneuses, qui le reposèrent doucement sur la surface de la table. Son regard craintif ne s’en détacha pas une seule seconde, jusqu’à ce qu’il fût convaincu qu’il n’y aurait plus aucune protestation.

Dès qu’il se leva, quelques petits morceaux tombèrent de son corps, et laissèrent des marques noires sur le tapis blanc. Il suivit leur chute avec angoisse, tandis que dans son âme il ressentait un gémissement, et sa voix intérieure lui dit : « Oh, ce sont des lettres ! »

Il voulait se courber en direction des lettres, les rassembler, les ramener dans leur calme demeure, mais il craignait leur cri. Par conséquent, les jambes tremblantes, il se dirigea vers la salle de bain, évitant de leur marcher dessus. Pendant ce temps, les lettres dégoulinaient sans arrêt de ses membres effrayés, pour laisser leur empreinte sur le chemin, comme si elles voulaient lui rappeler de revenir à l’engagement moral qu’il avait accepté tacitement. La sensation lui fit penser qu’il n’était plus de chair, mais bien de lettres, qui voulaient décharner son corps.

Son affaiblissement redoubla lorsque le miroir de la salle de bain lui montra son pâle reflet. Il frotta rapidement ses mains sous l’eau du robinet, jusqu’à ce qu’elles perdissent leur odeur, ce qu’il vérifia en les sentant.

Il traversa le couloir étroit en fixant la porte de sortie, alors que ses jambes indociles le ramenaient sans qu’il le voulût au salon angoissant.