Femme d'affaires, homme gaffeur - Eric Godier - E-Book

Femme d'affaires, homme gaffeur E-Book

Eric Godier

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Beschreibung

Un mélange détonnant !

Jeune couple récemment marié, Carole et Cédric viennent d’avoir un enfant. Cependant tout ne va pas pour le mieux quand un chômeur expert en gaffes tente de se reconvertir en père de famille pendant que son épouse parcourt la France avec son associée en femme d’affaires accomplie.
Ajoutez à cela les tensions entre les belles familles, les aléas de la vie, et les responsabilités de nouveaux parents, et vous obtenez les plus périlleuses années du mariage.

Une aventure domestique moderne, actuelle et profondément française, non sans un fond d’humour.

EXTRAIT

La vie suivant son cours, nos deux tourtereaux pouvaient acquérir leur premier grand achat immobilier, un beau duplex situé rue de la Pompe, bien cossu, et fort bien agencé ; c’était une nouvelle vie qui débutait. Non loin de là, se trouvaient un petit parc, puis une petite boulangerie, et tiens tiens, on pouvait apercevoir un Franprix situé juste derrière la mairie. « Un Franprix ?» me diriez-vous ? Eh bien oui, car si pour certains un Franprix ou un Leader Price ne devraient s’implanter que dans des quartiers à revenus modestes dans le seul but de soulager les plus démunis vu leurs prix modérés, il n’en est pas du tout ainsi. Qu’ils se détrompent donc, car la loi leur donne aussi le droit de faire leur beurre là où bon leur semble… et toc.
Un nouvel appartement, cela comporte d’avoir de nouveaux voisins, de pouvoir les supporter dans le cas où ils viendraient à balancer chaque week-end leur Best-Of de cloclo, supporter également les cris nocturnes sur le palier comme le font pratiquement la plupart des couples : « Sébastien, Sébastien, pendant que tu descends au parking, profites-en pour sortir la poubelle !! » Bref, en tout cas il y a là matière à réfléchir à deux fois avant de s’aventurer dans un nouveau lieu de vie.

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Éric Godier

FEMME D’AFFAIRES HOMME GAFFEUR

(Ou l’art de savoir composer)

Un heureux événement se déroulait, et aussi prématuré que cela pouvait l’être, un petit être venait bel et bien de voir le jour. Depuis, une forte concentration d’amis, de proches, et de récentes connaissances se tenait auprès de ce merveilleux don du ciel. Circulant de bras en bras jusqu’à être choyé comme un petit prince, c’était là l’heure de la réjouissance. Pas peu fier, Cédric prenait pour la toute première fois son bébé dans les mains, le serrant ainsi avec la maladresse qu’on lui connaissait. Quant à Carole, elle était tout sourire, le regard rivé sur Cédric, quand soudainement ses yeux s’écarquillèrent. Brandissant en signe d’avertissement une serviette, elle sortit brutalement de ses gonds.

–Cédric, Cédric, non, on ne porte pas de la sorte un jeune nourrisson… non, non, et non, stop… encore moins… on ne le secoue surtout pas, car son cerveau est loin d’être formé…

À la vue de cette curieuse agitation, on pourrait toutefois se dire que ce nouveau-né, sortant tout juste d’un ventre si douillet, si paisible, si pépère, devait avoir bien du mal à réaliser cette « subite atmosphère » qui régnait autour de lui. Et de ces divers commentaires, on pouvait distinctement entendre non loin de ce long couloir, une cacophonie bien impressionnante :

–Qu’il est beau, mais qu’il est mignon, mais comment vous comptez l’appeler tous les deux ? 

–Faut dire que Cédric et moi avons le plus grand mal à nous décider, car là où est l’épineuse problématique, c’est que chacun de nous campe solidement sur sa position... Il aimerait bien qu’on le prénomme Clément, et moi plutôt Léo, et jusque-là, aucun de nous n’arrive à céder au souhait de l’autre... C’est quand même dingue.

–Mais c’est surprenant... Comme il ressemble tant à son père... Les mêmes oreilles de choux, le même nez de Pinocchio, c’est le portrait craché de son père à vrai dire…

–À propos de l’oreille je ne peux pas dire, par contre en ce qui concerne le nez, alors là, il y en a de la marge, effectivement, sur ce point tu as tout à fait raison Claudine, il a le nez tout craché de son père, rétorquait sa seconde cousine.

–…Ha, désolée, excusez-moi…..enfin, je veux dire nous, ma sœur et moi, car j’ai comme une toute petite impression que nous en avons trop dit, mais juste une toute petite impression… non ? Vous savez, des fois les mots sortent avec une telle précipitation que bien des fois, faut l’avouer, il est quand même assez difficile de les rattraper en route.

Ouïe, aïe… Voilà des allusions qui mettaient bien à mal notre nouveau père ; « oreilles de choux », « nez de Pinocchio », un peu la totale disons. Et ben… Voilà qu’il a fallu à ce jeune Cédric de devenir père pour qu’on lui attribue sans aucun ménagement des oreilles de choux... et si seulement cela ne pouvait être que ça, mais non, bien au-delà, il fallait de plus qu’il soit qualifié de nez de Pinocchio... et la plupart d’entre nous savons pertinemment de quoi il en découle, le fait de se faire traiter de nez de Pinocchio : « menteur menteur ».

Après ces moments d’intenses comparaisons, un grand silence plombait brutalement l’ambiance à l’énoncé de ces drôles d’appellations. Le nourrisson encore sur le bras, et d’un regard ténébreux, Cédric fixait sévèrement ses deux cousines, ce qui laissait aisément deviner qu’il avait à son tour une énorme envie de leur lancer une grosse méchanceté en réponse à ces calamiteuses gourdes. Mais, l’air de prendre sur lui, il fit l’excellent choix de les épargner.

Et cette toute nouvelle mère dans tout cela ? Était-elle en reste ? Certainement, car jusque-là, unanimement, ils n’avaient pu déceler le moindre petit trait de ressemblance entre sa progéniture et elle. « Het » comme aiment si bien le dire les Russes, ou peut-être bien les Polonais, que sais-je. Mais après trente minutes passées au chevet de cette toute nouvelle mère, voilà que l’euphorie retombait peu à peu. Mais tout de même, cette question qui pourtant restait en suspens, résonnait tel un écho dans le petit cerveau de Carole : « Pourquoi, mais au grand pourquoi, n’ont-ils pas vu, ou même voulu constater ne serait-ce qu’un grain, mais juste un seul petit grain de ressemblance entre mon bébé et moi ? ». « Het ! » comme aiment si bien le dire les polo-russes. Mais pourtant, dans les premiers instants elle restait digne, digne, en évitant les pleurs, les coups de poing. Mais cela n’allait être que de très courte durée. Et voilà qu’inopinément, pareil à un train à grande vitesse s’élançant sans le moindre avertissement, Carole sortit sa langue de sa bouche et lança :

–Et moi dans tout ça ? En ce qui me concerne, MOI ? Vous n’avez voulu jusque-là constater même pas un seul petit grain de ressemblance entre mon bébé et moi ?… Tout est pour Cédric, c’est ça hein !!!

On pouvait ressentir là, une femme blessée et touchée dans son for intérieur, en quelque sorte, une femme accablée de douleur. C’est ça, c’est exactement ça, c’est le mot qui convient, accablée de douleur, et oubliée de tous. Mais comment faire ? Pouvaient-ils tous rattraper le coup ? Tous ces conviés qui s’étaient réunis dans un seul but : fêter ce si bel événement, finissaient maintenant par se regarder avec dédain.

La vie suivant son cours, nos deux tourtereaux pouvaient acquérir leur premier grand achat immobilier, un beau duplex situé rue de la Pompe, bien cossu, et fort bien agencé ; c’était une nouvelle vie qui débutait. Non loin de là, se trouvaient un petit parc, puis une petite boulangerie, et tiens tiens, on pouvait apercevoir un Franprix situé juste derrière la mairie. « Un Franprix ?» me diriez-vous ? Eh bien oui, car si pour certains un Franprix ou un Leader Price ne devraient s’implanter que dans des quartiers à revenus modestes dans le seul but de soulager les plus démunis vu leurs prix modérés, il n’en est pas du tout ainsi. Qu’ils se détrompent donc, car la loi leur donne aussi le droit de faire leur beurre là où bon leur semble… et toc.

Un nouvel appartement, cela comporte d’avoir de nouveaux voisins, de pouvoir les supporter dans le cas où ils viendraient à balancer chaque week-end leur Best-Of de cloclo, supporter également les cris nocturnes sur le palier comme le font pratiquement la plupart des couples : « Sébastien, Sébastien, pendant que tu descends au parking, profites-en pour sortir la poubelle !! » Bref, en tout cas il y a là matière à réfléchir à deux fois avant de s’aventurer dans un nouveau lieu de vie.

Le travail est la santé dit-on, mais n’est-il pas aussi source de problèmes de dos, de reins, ou de courbatures ? Et pourtant, après un mois et demi de congé de maternité, Carole tenait à laisser le relais à Cédric pour enfin regagner son affaire qui lui manquait tant. Ce matin-là, elle s’apprêtait donc à passer un peu plus de huit bonnes heures d’affilée sur son pc, dans un seul objectif : traiter ses gros dossiers restés en suspens. Mais malgré tout, elle ne démordait point. Obtenir un rendement accru à tous égards, servait pour elle une évidence vitale, celle de satisfaire ses nombreux clients. Mais alors, comment expliquer que les femmes influentes, d’affaires ou autres, ne peuvent-elles avoir que très peu de temps à consacrer à ceux qui les entourent ? Et à l’opposé de cela, avoir une si grande place sur leur agenda à consacrer à leurs affaires ? Creusons un peu là-dessus…, mais à bien réfléchir, cela peut néanmoins se comprendre, car pouvoir supporter une telle pression, une telle agitation… Comprenons-nous bien, il y a là matière à discuter. Et encore, ne trouvez-vous pas très cher lecteur que le pouvoir chez les femmes donne une impression de peur ? Mais disons-le, pas toujours, et pourtant, cela reste très fortement semblable à une petite chansonnette qui me viendrait en tête : indépendant girls.

Et bien qu’en parlant ainsi, le travail reste le travail, et forte de ses expériences passées, Carole avait pu grimper vers la hiérarchie sociale la plus haute. Elle avait pour cela passé tous les échelons qu’il fallait. Son leitmotiv premier était de ne jamais finir en bas de l’échelle. Et cela avait bien contribué à faire d’elle, depuis les deux dernières années, une jeune femme d’affaires des plus influentes. Comme à l’accoutumée, l’heure du repas avait sonné, et Carole s’apprêtait vivement à rejoindre son associée Collette. Prénom très rare de nos jours, n’est-ce pas ? Mais serait-ce de sa faute ? Nullement. Car il fut un temps, temps bien révolu depuis, où elle en voulut à sa mère, qui le jour de sa naissance insista auprès de son père et lui grava à jamais ce prénom de cette si grande consonance qui la suivrait à jamais. De son adolescence à sa majorité rien n’y faisait, cela restait pour elle plus qu’un poids.

Le bureau où elles avaient pris leurs marques était situé à deux étages du self, et d’un commun accord, elles décidèrent toutes deux de déjeuner au service de 11 h 30 plutôt que celui de 12 h 30. Mais ne me demandez surtout pas quelle serait la raison qui pousserait certains membres du personnel de bureau à déjeuner à 12 heures, là ou d’autres opteraient plutôt pour 12 h 30. Bon, bon, on peut tout de même déduire que dans certains cas, je dis bien certains cas, Chantal préférerait dîner à 12 h 30, de telle sorte à éviter Bernard qui lui, déciderait de dîner à 13 heures, et vice versa. En gros on pourrait supposer sans l’affirmer avec certitude, que certains employés ne s’aimaient pas trop, ou ne s’appréciaient pas plus que cela, préférant s’éviter qu’autre chose. Mais « chut ! » ne dites surtout pas que je vous l’ai susurré, ça devra rester juste entre nous… ok ?

Et pendant ce laps de temps, où Carole et Collette s’apprêtaient à se rendre au self, Cédric lui, jouait le père au foyer, et devant son ordinateur, il téléchargeait, téléchargeait, et téléchargeait ses vidéos favorites, tentant du mieux qu’il pouvait d’honorer cette tâche, qui pour lui se comparait à un grand défi. Mais visiblement cela ne le gênait pas plus que cela, car juste le fait de voir le bébé sourire le remettait aussitôt d’aplomb. Affairé entre ses deux principales occupations depuis quelques bonnes heures, il décida tout à coup d’enfiler un jogging avec précipitation, et ce dans le seul but de récupérer le résultat de son dernier concours. Il se hâta de descendre, et comme les facteurs n’oublient jamais les lieux de leurs tournées, arriva à cet instant précis son facteur de quartier.

Je dois dire qu’ils nous en bouchent un coin ces facteurs gentlemen ! Suivez attentivement mon raisonnement, ils savent tout, ils savent qu’en laissant leur caddie en bas de l’immeuble ils ne risqueront jamais de se le faire piquer, ils sont aussi capables de vous informer de l’heure précise à laquelle vos voisins sortent du marché le samedi, l’heure à laquelle votre propre boucher ferme boutique, et que la gentillesse doit être de mise. En un mot, les facteurs sont à leur manière de vrais inspecteurs sociaux.

Dévalant ses escaliers avec la plus grande précipitation, Cédric tomba nez à nez avec son facteur. En engageant la conversation ces deux messieurs n’auraient pu soupçonner à quel point une telle osmose les retiendrait. Après bien des minutes passées à papoter, ils donnaient tous deux l’air de se connaître depuis toujours.

–Enchanté d’avoir fait votre connaissance Cédric, c’est ça hein, si je ne me trompe ?... Et sachez que vous avez fait un excellent choix que de vous installer dans ce beau quartier où il fait si bon vivre.

Et clap, acte 1, acte 2, puis acte 3, Mama mia… non, mais, comment ça ? Cédric n’avait-il pas à faire ? Et ce pauvre nourrisson posé en catastrophe sur cette table à manger, pouvait-il encore supporter d’être traité comme une simple marchandise ? Pas tant que ça. Et dans la foulée, stoppant net sa discussion, le visage stupéfié, cette pensée lui vint à l’esprit. 

–Ah mince… Qu’ai-je donc fait facteur ? Ho non pas ça… J’ai dû oublier bébé sur la table à manger, bon écoutez, cela fait un moment qu’on se retient mutuellement, faut vraiment que j’y aille maintenant !!! Disons qu’on se reverra une prochaine hein, on fait comme ça, bye !

Très cher lecteur, n’attendez surtout pas de moi que je dise quoi que ce soit sur ce fameux Cédric, je m’en garderai. Disons que c’est un père un peu….. heu … non je n’en dirai strictement rien, ok, vous ne me forcerez surtout pas la main, je ne dirai strictement rien cher lecteur.

Quant à Carole, de l’autre côté du périph’, on pouvait deviner chez elle une forte envie d’être attablée rien qu’en apercevant ce délectant menu.

–Ah chouette Collette !! Observe donc un peu ce menu de chef, on va déguster du canard braisé, serti aux champignons noirs, et pour dessert, une île flottante, n’est-ce pas formidable...

Et quant à moi, très cher lecteur, j’avoue que je viens de commettre une grande bourde, du fait de vous énoncer sans pudeur, sans retenue, ce délicieux et copieux plat que peuvent manger nos semblables. Ce n’est vraiment pas décent de ma part faut le dire, vraiment, car c’est la meilleure façon de vous faire saliver les papilles sans même que vous ne puissiez goûter une seule cuillère de ce délicieux canard aux champignons noirs (oui j’en rajoute, désolé). M’en excusant de nouveau d’inclure dans ce récit un plat si alléchant, si délectant, si délicieux, je m’en remets donc à votre bonne grâce.

Enfin à table, nos deux femmes d’affaires pouvaient discuter de choses et d’autres, telle que leur prochaine affaire qu’elles nourrissaient en silence, mais pas seulement, il y avait en plus de cela pas mal de curiosité dans l’air :

–Et ton congé maternité, ça s’est bien déroulé Caro ?

–Assez bien dans l’ensemble, mais le plus dur pour moi ça a été mes jours de convalescence à la maternité, terrible !!! En particulier le fait de constater que jusqu’au jour d’aujourd’hui, nos deux familles respectives refusent toujours de faire connaissance. Enfin remettons les choses à leur place, je dois souligner que cela vient plutôt de mon père et de ma mère, plutôt que de la famille de Cédric. Bien au contraire, sa mère elle, voudrait bien souder les liens qui restent jusqu’à l’heure où je te parle, inexistants, mais mission impossible. Car mon père et ma mère refusant catégoriquement un quelconque lien de belle-famille entre eux et celle de Cédric, se déresponsabilisent de tout. D’un côté mon père trouve des prétextes pour ne pas être présenté à sa famille, trop modeste à son goût, et de l’autre côté, la famille de Cédric, mère et filles, n’ose pas trop non plus se montrer trop entreprenante, espérant tout de même une issue. Oui, elles voudraient bien faire le premier pas comme elles me l’ont confié, mais constatant leur réticence, elles n’osent pas trop leur forcer la main…. Hum, c’est vraiment délicieux ce canard, on peut distinguer comme un petit goût de canard laqué, un peu comme font les chinois, tu trouves pas ?… Bien je poursuis, donc, la mère de Cédric, ses filles et lui-même restent impuissants vis-à-vis de cette situation. On n’est pas vraiment sortis de l’auberge, tu vois. Voilà là où on en est Collette… Contrairement à la mienne, la famille de Cédric, était présente à mon accouchement, mais pas mes parents.

Collette visiblement très émue et très attentive :

–Ah oui je vois, c’est plutôt embêtant tout ça…

Carole poursuivit :

–Cela te donne maintenant une petite idée d’où ils en sont arrivés... Et le pire dans tout ça c’est que dans le même temps, après que sa famille soit venue voir le bébé, mon père m’a appelée dans le but de savoir à quelle heure je serais toute seule, juste histoire de les éviter. Alors j’avoue que ça nous chagrine vraiment Cédric et moi de voir qu’il puisse régner une telle atmosphère entre nos parents respectifs... Et cette césarienne je ne t’en parle même pas !

Collette apparemment stupéfaite, la bouche grande ouverte, arrêta brusquement de piquer dans son assiette :

–Oui, je crois maintenant avoir tout saisi, question de classe quoi... Et encore vraiment désolée de n’avoir pas pu m’y rendre à cet accouchement.

Après avoir couru derrière de nombreux rendez-vous de travail qui s’étaient soldés par des échecs, et divers concours qui s’étaient tous avérés infructueux, et ce alors qu’il avait deux ans de chômage à son actif, Cédric espérait qu’ouvrir ce courrier mette fin à cette longue spirale d’inactivité. Ce long tunnel et ce long processus qui plombaient sa vie ne pouvaient durer éternellement. Il espérait, mais non sans peur, que cette fois serait vraiment la bonne. Installé dans son plus beau fauteuil vert anis semblant tout droit sortir d’un fournisseur direct d’usine de déstockage, Cédric, tout en fermant les yeux, cogita. Puis, il ouvrit ce courrier avec la plus grande délicatesse, en murmurant les yeux rivés au plafond :

–Pourvu que ce soit la bonne, mais pourvu que ce soit la bonne ! Pourvu que j’aie pu réussir à ce dernier concours cette fois.

Sortant enfin la lettre de son enveloppe, tout juste avant de jeter un œil, il se concentra en soupirant, les doigts croisés comme pour attirer la chance. Puis dépliant la lettre en question, et d’un regard évasif, il bondit imprévisiblement de joie tout en hurlant, et en sautant dans tous les sens :

–J’ai réussi, j’ai enfin réussi ce concours, j’ai la victoire, ça y est, ça y est, ils ne pourront plus penser que j’abuse de la patience de ma femme, ils ne pourront plus dire que Cédric n’est qu’un bon à rien !

Et par un soudain sursaut, bébé sortit brutalement de son léger sommeil se mettant à pleurer à chaudes larmes, attirant ainsi l’attention par des larmes de crocodile.

– Héééé…héééyy….hiiiiiuuiii…houioui !

« Pitié, pitié, faites le taire s’il vous plaît », c’est probablement ces mots qui nous viendraient à la bouche en entendant ces cris si tranchants, et pour le moins captivants. Car tous ces fâcheux désagréments qui venaient perturber Cédric dans sa joie profonde, ne pouvaient à un certain moment qu’exaspérer ; mais n’ayant pas le choix, il se précipita vers son bébé. Laissant ainsi derrière lui sa joie, il l’extirpa immédiatement de son berceau. Ouf à croire que le tour était joué, bébé cessât enfin de verser ses abondantes larmes, et quant à Cédric, il avait l’air d’assez bien maîtriser la situation. Et pourtant, il avait comme une nette impression d’être nargué, car effectivement, une fois dans les bras de papa, bébé le doigt dans la bouche, gazouillait et souriait comme jamais il ne l’avait fait auparavant.

La journée de dur labeur fit place à un début de soirée très prometteur, car Carole n’avait plus qu’une idée en tête ; rentrer le plus rapidement possible, afin de retrouver ce petit trésor qu’elle chérissait tant, son charmant bébé. Le parcours du travail à la maison n’était vraiment pas la porte à côté ; un périphérique à traverser, plus le trajet jusqu’à Montrouge, à peu près trente bornes de là, ce qui lui laissait bien souvent très peu de temps pour ses loisirs personnels. Malgré tout, elle ne s’en plaignait pas, l’essentiel était dans le fait que cela restait une journée dûment accomplie. 18 h 03 bien précises, c’était l’heure qu’affichait la pendule blanche en plein couloir. Il ne lui restait plus qu’à enfiler son manteau, et pareil à un fauve, elle quitta précipitamment son bureau et fonça dans un couloir à toute allure donnant comme une impression de spectacle de claquettes hollywoodien :

–Énorme les filles, j’ai bossé comme une hystérique, bonne soirée à toutes, rentrez bien et à demain, car je vous avoue que j’ai une grande hâte de retrouver mon petit bout de chou. Bye bye !

Et d’un air acrobatique, Carole sauta dans sa mini-sport, l’air si joyeux, qu’on jurerait même qu’elle allait accoucher une seconde fois.

Quant au temps pas si clément que ça, une pluie battante régnait sur le périph’, mais il fallait bien plus que cela pour effrayer cette jeune maman de 36 ans. Carole s’élança sur cette nationale à vive allure, le vent en poupe.

Mais voilà que l’inimaginable se produisit ; d’un coup de volant à droite, puis à gauche, suivi dans la mêlée d’un court slalom avec un motard, et d’un appui sans réserve sur le frein qui ne faisait qu’alimenter le glissement des pneus sur la chaussée déjà extrêmement mouillée, elle tomba face à une camionnette de livraison entravant sévèrement son passage, la contraignant à quitter la chaussée… Et là, un silence glaçant, le vide total s’installa. Deux, trois secondes plus tard, peut-être bien quatre, on entendit une voix retentir du haut de cette bretelle de sécurité alarmant ainsi tous les passants :

–Oh non, surtout pas ça, pauvre femme ! Appelez les secours ! Je viens tout juste d’apercevoir un véhicule qui a quitté brutalement la route et qui se trouve maintenant tout en bas de la passerelle ! Vite, appelez les pompiers, appelez les pompiers !!!!

Comme cela faisait froid dans le dos, ce cri strident qui désignait déjà son nom : détresse. Peu à peu, de nombreuses personnes s’amassèrent tout au long de la passerelle, pour majorité stupéfaite. Et cette autre petite dame qui visiblement très affolée apostrophait ces quelques voyeurs en les suppliant sans réserve :

–Écoutez, s’il vous plaît, le temps que les secours arrivent, il n’y aurait pas parmi vous un secouriste, ou mieux un médecin ? Non ? Ou peut-être bien un secouriste stagiaire qui sait ?

Perplexe, cette dame s’agitait, l’âme accablée, se grattant la tête, « Franchement embêtant » maudit-elle.

–Apparemment je constate qu’il n’y a pas l’ombre d’un seul corps de la médecine présent parmi nous... Et le pire dans tout ça, c’est que ce fossé reste très difficile d’accès.

Mais dites, qui pourrait affirmer que dans une telle situation on resterait de marbre ? Sûrement pas nous, les écorchés vifs, nous qui avons une si grande crainte d’écraser la moindre petite fourmi, de voir périr la moindre coccinelle, mais bref, bref…

Après un bon quart d’heure d’attente, les secours pointèrent leur nez, et ce moment crucial allait donner lieu à ce que l’on pourrait appeler un hôpital à ciel ouvert. Brancardiers et médecins, tentaient tant bien que mal de se frayer un passage dans cette foule, qui depuis, s’était drôlement intensifiée.

–Laissez passer, laissez passer… Écartez-vous s’il vous plaît…

Deux femmes aux cheveux grisonnants qui dès le début avaient pu assister au déroulement de cette sortie de route, se montrèrent, très coopératives face aux questions des pompiers, et d’une grande aide, ainsi que d’une extrême précision :

–Croyez-nous messieurs les pompiers, madame et moi avons pratiquement tout vu et on n’en revient toujours pas, oh cette pauvre femme ! Si vous saviez comment cette automobiliste a perdu le contrôle de son véhicule, et comment en une fraction de seconde elle a franchi cette passerelle, le tout avec une telle violence ! Et comme vous pouvez le supposer, elle est tombée derrière ces tas d’arbustes et de buissons, juste en bas à notre droite… Ciel pitié, je la plains cette femme… Sera-t-elle encore en vie ?

Quant à nous qui sommes si fébriles, si fragiles, nous ne souhaitons qu’une seule chose : ne jamais devoir assister à la moindre coulée de sang, et le moindre choc frontal ferait de nous à coup sûr une victime visuelle.

Cela étant dit, après bien des heures d’investigation, la victime avait bien été identifiée. Il s’agissait sans plus aucun doute possible de Carole, et Cédric, tenu au courant dans les heures suivantes, ne pouvait croire à un tel déroulement ; sa femme qui quelques heures auparavant lui souhaitait une bonne journée, cela restait inconcevable pour lui, et bien surréaliste qu’elle puisse être quelques heures plus tard accidentée. Mais dans la finalité, plus de peur que de mal, car cela relevait d’un vrai miracle. Et effectivement Carole, il faut le dire s’en tirait assez bien, car tout juste après quelques heures d’analyses radiographiques, il s’avéra qu’on n’avait décelé chez elle que quelques contusions, fractures et éraflures assez superficielles, mis à part l’arcade sourcilière qui elle méritait quelques soins.

Les médecins affirmèrent avec certitude qu’il n’y avait strictement rien qui puisse donner lieu à une quelconque inquiétude. Mais néanmoins, pour de meilleures actions préventives et sécuritaires, les médecins lui suggéraient tout de même de passer deux nuits d’observation à l’hôpital, ce qui lui permettrait d’être suivie pour éviter toute forme de réaction secondaire. Dans le même temps on lui apprit que les nombreux arbustes, et buissons implantés sur les lieux y étaient pour beaucoup dans le ralentissement de sa chute. Alors qu’une longue attente s’annonçait suite à ces bons résultats d’examens, Cédric put enfin être tenu au courant par sa princesse, et être ainsi rassuré :

« Allô, Cédric... Ça se passe comme il faut entre bébé et toi?…. Ça y’est, les médecins t’ont bien tenu au courant comme ils me l’ont affirmé ?… Bien, alors… Je vais t’apprendre une chose à laquelle je ne m’attendais pas, et qui d’ailleurs au premier abord, n’était pas du tout prévue… Il faut que tu saches que les médecins m’ont conviée à passer deux nuits d’observation à l’hôpital et ce malgré les bons résultats radiographiques, ils m’ont ainsi convaincue d’être proche d’eux en cas d’une quelconque évolution crânienne, ou autre imprévu qui pourrait subvenir, car j’avais aussi perdu connaissance… Mais rassure-toi, ça ne vaut pas la peine que tu viennes mon chou, aucune crainte à avoir, tout va pour le mieux crois-moi. »

Deux jours n’étaient finalement que peu de choses comparés à toute une vie entière. Sur ce fait Carole ne pouvait qu’être en paix avec elle-même, et dans le même temps, déduire qu’après toutes ces années de dures épreuves dont elle s’était sortie pratiquement indemne, un ange gardien devait forcément soigneusement veiller sur elle.

Mais pouvait-on en dire autant de Cédric ? Pas si sûr, car ce qui le poursuivait depuis de nombreuses années, c’étaient bien les pertes à répétition, et les oublis quasiment permanents. Bébé oublié sur la table de cuisine par exemple ; ces gaffes, ne donnaient en rien l’impression, et encore moins l’assurance, qu’il avait son ange gardien attitré. Le possédait-il sans doute en option ? Mais en cela, rien de très sûr.

Mais Carole, elle, contrairement aux autres, le regardait tout simplement avec le regard de l’amour, le regard du cœur, et faisait abstraction de ses nombreux défauts.

Mais avouons-le très cher lecteur, ne pas avoir d’ange gardien peut être très embêtant, ne trouvez-vous pas ? N’avoir aucune main secourable qui vous arracherait du danger cela reste tout de même très, très embêtant. Mais ne dit-on pas que l’amour a ses raisons que la raison ignore ? Possible car quand elle vous tombe dessus qui peut, s’extirper de ce filet sans être atteint directement du syndrome sentimental attardé dont vous vous entendrez dire un bon matin : mais quelle guêpe t’a piqué ? Voilà un peu ce que l’on pourrait un jour vous sortir si tout à coup on s’apercevait que vous sortez de vos habitudes quotidiennes, de vos comportements habituels, planant sans cesse et racontant avec passion votre joie, votre grand amour pour celle ou celui à qui vous pensez et faites mention dans vos discours jour et nuit. Cet amour qui vous rendrait complètement gaga au travail comme dans votre vie quotidienne. C’était un peu le cas de Carole, mais elle croyait dur comme fer à cet amour atypique certes, mais tellement vrai.

Après ces deux courtes nuits d’observation passées à se ronger les ongles, Carole rejoignit sa petite famille, et Cédric, devenu si épanoui, se devait d’annoncer la bonne nouvelle de sa réussite à son concours à celle qui partageait sa vie depuis bientôt trois ans. Et tout à son honneur, il pouvait enfin exulter, et dans le même temps être soulagé de pouvoir enfin devenir un vrai père de famille, ce qui lui permettrait d’assumer cette grande tâche et responsabilité, qu’est d’élever un enfant.

Dès qu’elle apprit la réjouissante nouvelle, Carole explosa de joie au fait de savoir que son amoureux allait enfin pouvoir retrouver sa dignité auprès de ses parents. Et vu le grand nombre de concours à son actif, elle s’empara sans ménagement de la lettre posée sur la table dans le but de savoir quel était exactement ce concours en question.

–Allez passe-moi cette lettre, va... Que je sache exactement de quel concours il s’agit…

Elle prit connaissance de la lettre, l’étudiant dans toute sa profondeur. Puis, abasourdie, elle fixa Cédric avec effroi tentant de le raisonner du mieux qu’elle pouvait :

–Mais, Cédric on a tous les deux sautés de joie du fait que tu aies pu réussir ce concours, ok c’est bien, mais est-ce que tu t’es vraiment rendu compte de quel genre de travail il s’agit ?... Excuse-moi de te le dire, ce n’est absolument pas pour te décourager, mais je dois te prévenir que ce sera extrêmement dur pour toi Cédric ; tu prends quand même conscience que tu travailleras dans la douane… Pas dans une épicerie. Là, il faudra au contraire être extrêmement vigilant et pointu. En plus de cela, regarde… Tu as très peu de chances d’être retenu pour cette année, car il est nettement mentionné que vous serez plusieurs à être convoqués et qu’ils ne prendront qu’une personne cette année.

–C’est exact ce ne sera pas si évident que ça c’est vrai, et je dois avouer que je ne m’attendais pas non plus à un tel dénouement, car vu ces nombreux concours passés, il ne me serait jamais venu à l’idée que ce serait celui-ci que je réussirais ! C’est sûr, je ne m’attendais vraiment pas à ça… Comme quoi, on ne sait jamais dans la vie… En tout cas je n’ai vraiment pas d’autre opportunité, c’est pour cette raison que je me dois vraiment de saisir celle-ci.

–Mais Cédric, tu oublies tout le temps. En plus tu n’es pas vraiment attentif. Comment tu tiendras dans un tel métier ?... Bon… Viens dans mes bras, je te soutiendrai, quoi qu’il arrive… On y arrivera… Mais, arrête un peu de te moquer de mes pansements ! Ah, justement tu me fais penser qu’il faut absolument que je prévienne Collette de ma sortie d’hôpital.

Mais tout n’était pourtant pas joué, car au cas où Cédric serait engagé à ce poste, il fallait à l’avenir trouver une nourrice qui puisse garder ce petit bout de chou jusqu’à l’heure de sortie de leur travail. Chose un peu compliquée de nos jours que de trouver la bonne nourrice, ce qui en plus les contraindrait pour un temps de se séparer de leur petit protégé. Mais, du jour au lendemain, ils devraient se faire à l’idée de confier la garde de leur poupon à une parfaite inconnue. Mais la vie c’est un peu cela non ? Il faut savoir faire des concessions, pouvoir se plier aux nombreuses contraintes et exigences de la vie.

Le jour suivant, notre Cédric national se pliait en deux, mais pour une tout autre raison. Il aimait rire, non pas sans raison, et à pleins poumons. Il avait cette capacité à pleurer de rire, jusqu’à s’effondrer à même le sol, chose qui est pour bon nombre d’entre vous, pas si commune. Depuis, cela lui a valu d’être surnommé « le rieur compulsif », mais ça ne le gênait pas plus que ça, car c’était aussi une façon bien à lui de transmettre sa joie de vivre aux autres. Gringalet de surcroît, il ne pouvait se mettre en maillot sans déclencher l’hilarité de tous. C’était un peu comme ce gringalet, fameux ami de Scoubidou, vous voyez un peu à qui je fais allusion cher lecteur ? Mais si, mais si, souvenez-vous un peu de ce maigrichon et peureux petit homme avec ce duvet clairsemé au menton, fuyant à la moindre secousse inopinée, et qui, la plupart du temps, pense avoir aperçu un vilain fantôme et court se réfugier dans les bras de son comparse Scoubidou... Il s’agit de Sammy Rogers. Houlà… Il faut tout de même du temps pour vous expliquer les choses cher ami. Bon, malgré tout vous êtes tout pardonné, du seul fait de lire ce récit.

Comme à l’accoutumée ce dîner du soir s’annonçait sous de bons auspices, et Cédric avait pris soin de préparer à la femme de sa vie, le plat dont elle raffolait tant. Serait-il devenu à ses heures perdues un cuisinier modèle ? Pas vraiment. Mais il y mettait du sien, car vu ses nombreux ratés, cela ne lui laissait aucun doute sur le fait qu’il avait encore à s’améliorer. Conclusion, un homme qui s’affaire en cuisine c’est forcément un homme amoureux. Mais s’il y avait des détails qui la poussaient à le féliciter, cela restait de très courte durée.

Le moment de se raconter le déroulement de leur journée était un rituel pour Carole et Cédric, et ils s’en donnaient à cœur joie, se charriant sur les détails les plus amusants.

– Que je te dise avant tout que j’ai promené le petit pendant ton absence, ma chérie.

Carole, visiblement attendrie, frappa dans ses mains tout en le congratulant.

– Oh que c’est mignon Cédric, t’es trop chou… 

– Et ce n’est pas fini, j’ai pu aussi faire de super téléchargements qu’on pourrait peut-être regarder en amoureux ce soir, qu’en penses-tu ?

– Ah ! Par contre, ça c’est moins bien chéri, je te l’ai pourtant déjà souligné à maintes reprises : le téléchargement gratuit est illégal et tout à fait frauduleux, et tu le sais ça en plus...

– T’en fais pas va, ils n’y verront que du feu ! Je fais extrêmement attention tu sais. Mais alors quoi d’autre... Ah si, j’ai aussi discuté, et dans le même temps, fait connaissance avec notre nouveau facteur, et m’apercevant que j’avais laissé le bébé sur la table…

Suite à cette confidence, sous le choc, Carole renversa par mégarde le jus de fruits qu’elle tenait à la main. L’air de s’étouffer, elle fixa Cédric avec la plus grande sévérité ; à tel point qu’il se leva avec précipitation pour fuir ses remontrances.

–Cédric !!! Non, reste là ! Alors là, ça va vraiment pas, tu exagères, mais tu exagères à un point !

–Écoute, sois doublement rassurée mon cœur, car quand j’y ai pensé je me suis très vite précipité afin de le récupérer, et comme tu peux le constater, il n’a aucun bleu, ni la moindre blessure. Ok, ok... Vu qu’on s’est promis de tout se dire, alors disons les choses comme elles sont. Je t’avouerai Carole, que j’ai eu drôlement peur moi aussi, lui répliquait-il pendant que Carole, offusquée, ouvrait grand les yeux.

–Mais franchement Cédric, c’est inimaginable… Te rends-tu compte une seule seconde que notre enfant aurait pu glisser de cette table et faire une chute tout en se fracturant, ou encore pire, qu’il aurait pu perdre la vie ?

Conscient qu’il avait encore du travail à fournir pour parfaire son rôle de père, Cédric n’hésita pas à solliciter l’aide et l’attention de Carole. Et plus que jamais, elle était sur le point de devenir une grande aide pour son mari, l’initiant avec une patience hors norme même si elle n’y allait pas toujours de main morte, et se promettant à tout prix de réveiller le père qui sommeillait en lui. Mais cependant, il fallait amorcer le turbo pour pouvoir progresser dans cette tâche, qui n’était vraiment pas de tout repos.

Une chose est sûre : on est toujours sur la corde raide lors de rencontrer son nouveau voisin et toutes ces questions qui nous trottent dans la tête ne peuvent nous laisser indifférents : faut-il frapper à leur porte tout en leur offrant en guise de bienvenue un gâteau chocolat fait maison ? Ou encore : un jus premier prix acheté à la hâte dans une épicerie de bord de route ? Et la question qui reste à nos yeux très compromettante : oser se présenter sans fautes de maladresse sur le palier d’un parfait inconnu ?

Suite à ces nombreuses questions, les plus courageux ne démordent pourtant pas, et foncent droit au but : « Bonjour, on a remarqué que vous étiez nos nouveaux voisins, et c’est un peu pour cette raison que nous osons nous présenter à vous ». Quel courage, mais quel courage, mais quand même, le plus dur c’est d’entendre dire derrière la porte de ce voisin en question : « Il est bien gentil, mais de quoi se mêle-t-il celui-là ». Oh oh, je dirais que ce n’est vraiment pas très gentil de penser ainsi. Et derrière cette porte, désarmé, pareil à une feuille jetée dans une corbeille vide, vous vous voyez froissé, touché en plein cœur... Et pourtant, vous n’aviez pas tant espéré un moment purement solennel, qu’un instant de pure convivialité.

Et pour les plus réservés qui n’oseraient surtout rien risquer, il leur resterait cette deuxième option qui serait d’espérer les croiser fortuitement. Mais en ce qui concerne la troisième option, pour celui qui s’y prête, cela relèverait d’une monumentale astuce : faire mine de laisser sa porte entrouverte, et ainsi un voisin qui s’apprêterait à rentrer chez lui, lancerait au coin de la porte : « Bonjour, vous avez dû oublier de bien fermer votre porte ». Quel stratège, mais quel stratagème. Mais n’en déplaise à certains, il est si important d’être en paix avec tout le monde. C’est exactement ce qu’avaient compris Carole et Cédric : ils pensaient qu’il était plus judicieux d’être en harmonie avec ses voisins, plutôt que de se donner une image de féroce rabat-joie.

Plus qu’ils ne l’auraient imaginé, les jours s’étaient drôlement écoulés, et ils devaient enfin décider du prénom à attribuer à leur premier enfant. Mais il y avait un petit hic ; ils avaient toujours du mal à se départager par rapport à ces deux prénoms. Cédric optait toujours pour Clément, et Carole pour Léo. Deux prénoms pour un enfant n’est-ce pas trop ? À mon propre avis, oui. Mais Carole proposa une alternative à Cédric dans le but de mettre fin à cette bataille fratricide. Une pièce à la main, elle lui proposa de s’en remettre au destin, en quelque sorte, de faire appel à un tirage au sort via une pièce de monnaie. Et d’un sourire narquois, Cédric acquiesça immédiatement.

–Alors Cédric, es-tu plutôt pile, ou plutôt face ?

L’instant était grave. En acceptant la proposition de Carole, ils s’en remettaient tous les deux au destin. Le gong était prêt à sonner, et plus décidée que jamais, Carole était prête à lancer le compte à rebours.

–Je vais compter jusqu’à trois, et je lancerai cette pièce, entendu ? Et surtout Cédric, pas de tricherie, ok ?... 1, 2, et 3... Allez c’est parti mon chouchou.

Carole lança la pièce vers le plafond avec une si grande détermination, qu’effrayé, Cédric ferma les yeux en signe de résignation. La pièce prit son envol en tournoyant ; et tournoyant encore, elle glissa sur le mur du salon, puis roula et roula à nouveau, jusqu’à se loger sous une vieille chaise offerte par sa grand-mère dans le but de s’en débarrasser.

–Ça y est, la pièce s’est enfin arrêtée… et sous la chaise que m’a offerte ma défunte grand-mère. Alors Cédric, remue-toi un peu... Tu restes muet ?... Alors dis-moi, qui de toi ou moi osera aller chercher cette pièce hein ?

L’air complètement paralysé, Cédric se leva lentement de sa place et se dirigea vers le bout du salon, avec cette ferme espérance que la chance tourne en sa faveur. Puis, il se baissa timidement, sans trop y croire, et ferma les yeux le temps de ramasser cette pauvre pièce de vingt centimes d’euros. Mais quelle ne fut pas sa surprise en s’apercevant que pour une fois la chance lui souriait. Les mains levées, dans un affolement le plus total, il brandit comme un trophée le petit bout de métal.

–J’ai gagné, j’ai gagné ma Carole ! Son prénom sera définitivement Clément ! Wahou ! Mais quel suspens ! Impensable, pour la deuxième fois en deux ans, la chance me sourit ! La réussite à mon concours, et voilà que maintenant j’ai pu obtenir gain de cause en ce qui concerne le prénom de notre fils !

Cédric s’arrêta net dans son élan en voyant la triste mine de Carole.

–Ha, quand même... Désolé pour toi ma petite Carole.

Mais quelle galanterie, mais quelle galanterie… Bréffons, bréffons, car je me suis promis, cher lecteur, que vous ne me forcerez jamais à rajouter quoi que ce soit sur ce fameux Cédric, comprenez bien une fois de plus que cela ne me concerne en rien, et que ça soit clair. Parlons plutôt ainsi ; petit « a » quand un couple est dans l’impasse on doit les soutenir. Petit « b », quand ils se chamaillent on devrait rapidement les en empêcher, afin d’éviter qu’ils ne se tapent dessus. Mais j’en conviens, cela peut des fois être très éprouvant d’hériter d’une claque qui ne nous était pas à l’origine destinée, me diriez-vous sans doute ? Je ne vous le fais pas dire, mais comme il est bien d’être courageux de temps à autre, ne pensez-vous pas ? En tout cas, j’ai toujours trouvé cela très dur, lorsque deux personnes d’un couple ayant vécu de nombreuses années ensemble, se retrouvent du jour au lendemain, l’une séparée de l’autre, sans prévenir, ni même avoir rédigé une lettre d’adieu qui rassurerait le conjoint : « Salut, je pars demain chérie, la mort est venue me prévenir qu’elle viendra me chercher demain à 17 heures précises avec un bouquet de fleurs. Sachant où elle m’emmènera, sois tranquille ». Dans bien des cas, pas le temps de se dire ni un « pardon », ni un « au revoir », ni même le temps d’avouer à ses proches le mal qu’on a pu leur causer. Même pas eu le temps non plus de se pardonner mutuellement de ces nombreuses disputes survenues pendant ces années passées. Et pourtant le pardon reste une grande chose que l’on ne devrait surtout pas négliger.

C’était un dimanche ordinaire comme tant d’autres, et Carole, accompagnée de Cédric, allait faire son tout premier marché. À sa longue liste de courses se mêlaient divers produits qui leur permettraient de tenir un bon mois. Et la liste était vraiment longue : il fallait donc absolument s’y mettre pour éviter de s’y perdre et d’y passer plus de deux heures. Foncer dans ces nombreux rayons dans le but d’espérer remplir le caddie dans un temps record, relevait presque de l’exploit, et de ce fait, ils étaient bien conscients, qu’un vrai marathon s’offrait à eux, tout en sachant qu’ils venaient d’accueillir une troisième bouche dans la famille. C’était certain, ils ne pouvaient plus se contenter de faire des courses pour deux bouches, mais autant qu’ils le sachent, pour trois. Après quarante-cinq minutes de longues consultations sur les choix à prendre en compte pour les petits soins de bébé, leur course effrénée était malgré tout loin d’être à son terme, comme se rendait bien compte Carole.

–Ah la la, trop c’est trop... Mais qu’est-ce qu’ils sont compliqués dans cet hypermarché, tout est à l’ouest, ici !! Tiens, Cédric, va demander à ce monsieur !

–Monsieur, monsieur, excusez-nous mais où pourrait-on trouver le rayon des produits d’hygiène corporelle ?

Pas si évident... En incluant à leur liste, leurs produits personnels, les produits pour bébé, et autres produits pour la maison, il ne leur fallut pas moins de deux heures quinze de grande débrouille.

À côté de cela, Carole avait un grand faible pour les brocantes. Elle appréciait énormément tout ce qui était un peu de l’Ancien Empire, et elle nourrissait une vraie passion pour ces mobiliers anciens, tout particulièrement les mobiliers Louis XVI, et s’amusait à dénicher les perles rares de ces années lointaines. Et s’il y a une chose à savoir lorsque l’on est comme elle, plongée dans une course effrénée ayant pour seul but de réunir le plus grand nombre possible d’objets uniques : c’est qu’il faut se lever tôt. Et si toutefois le bruit courrait qu’on viendrait lui proposer telle affaire, même à un prix exorbitant, elle ne rechignait pas. Cédric essayait tant bien que mal de la raisonner sur ces achats compulsifs, mais rien n’y faisait, c’était comme attiser un feu déjà embrasé. Mais dites-moi ; comment expliquer que dans un couple, les défauts personnels viennent si souvent mettre le désordre à tout bout de champ ? Comment espérer une osmose totale ?... Vous n’avez pas la réponse... Bien... Et si, pour Carole son défaut principal restait ses achats obsessionnels, Cédric lui, était carrément bien à l’opposé de cela.