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Hugo, célèbre écrivain en proie à la page blanche, est contraint par sa maison d’édition de quitter son quotidien à la recherche de l’inspiration. Il se retrouve, de force, à faire du bénévolat pour une jeune entrepreneuse. Ce qu’il ignore encore, c’est que ce voyage forcé lui réserve bien plus que de simples idées pour son prochain livre. De son côté, Luce, une jeune femme marquée par les épreuves et les vicissitudes de la vie, décide de prendre en main son destin en ouvrant un café littéraire dans sa ville natale. Mais elle doit affronter les fantômes de son passé qui refont surface. Pour réussir à avancer, elle devra apprendre à les apprivoiser et à composer avec eux. Ensemble, ils découvrent que l’inspiration et la guérison peuvent naître des rencontres les plus improbables. Trouveront-ils les mots et la force de tourner la page vers un avenir prometteur ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Depuis son enfance,
Alex Loren est captivée par les histoires d’amour. Elle retranscrit à travers l’écriture ces sentiments qu’on ne ressent que peu de fois dans une vie. Malgré le rythme effréné de ses journées, elle trouve toujours le temps, le soir venu, de se consacrer à l’écriture.
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Alex Loren
From you to us
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alex Loren
ISBN : 979-10-422-4034-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Aux amoureux de l’amour.
Aux âmes sœurs qui finissent toujours par se retrouver.
Un court moment passé avec une personne qu’on aime
Et que l’on ne voit pas souvent,
On pourrait dire que c’est un court moment dont
On savoure le souvenir longtemps.
Jules Renard
Je contemple une dernière fois mon travail, ravie de voir mon café littéraire prendre forme ; par un miracle que je ne m’explique pas, j’ai réussi à rénover un mur de briques rouges et à peindre les trois autres en bleu canard. Des ampoules sont accrochées à des fils qui tombent bas du plafond pour apporter une lumière tamisée. Depuis le temps que je rêve de ce nid rien qu’à moi, le voilà ; mon endroit, mon cocon.
J’attrape une caisse de romans de développement personnel, quand j’entends un tambourinement incessant à l’avant de la boutique. Je dépose le tout à la hâte et me dirige vers l’entrée.
Je m’arrête et observe mes deux meilleurs amis dehors dans le froid qui tapent sur la vitrine comme des dingues tout en chahutant. Inutile de dire que les passants les regardent d’un air étrange. Mais Matt et Louisa sont comme ça, ils se fichent de tout et assument toutes leurs âneries. Nous nous connaissons depuis la fin du lycée et nous sommes inséparables, et ce malgré les années qui passent.Nous sommes toujours là, les uns pour les autres.
Je m’empresse de sortir de ma rêverie et d’aller leur ouvrir.
Matt s’empresse de me coller à lui pour me dire bonjour, je tire la langue à Louisa pour la faire taire et cette dernière lève brièvement les yeux au ciel puis entre au chaud. Je me défais des bras musclés de mon meilleur ami et le détaille discrètement ; son mètre quatre-vingt-cinq me surplombe facilement. Et je ne peux retenir un sourire affectueux en constatant le désordre dans ses cheveux blonds au même titre que de sa barbe de quelques jours. Ses yeux bleus me cherchent et s’ancrent en moi pour attirer toute mon attention.
Matt me fait un signe de tête pour approuver et rigole tout en me passant devant.
En entrant, je ne suis surprise qu’à moitié en découvrant ma meilleure amie déjà installée sur une des chaises hautes près du comptoir, en train d’engloutir les muffins au chocolat que j’avais pourtant confectionnés pour mes futurs clients.
Comment fait cette nana pour manger tout ce qu’elle veut sans prendre un seul gramme ? Je ne sais plus si ça me désespère ou me ravit pour elle, en même temps je l’ai toujours connue telle qu’elle ; grande, fine, avec ses longs cheveux noirs à la Pocahontas. Elle est d’une beauté renversante.
Matt s’approche d’elle et lui pique un bout de son gâteau sans même l’accord de cette dernière. Erreur, cette fille déteste partager sa nourriture.
Je pouffe de rire devant sa gourmandise qui la mène par le bout du nez, et attrape un carton et le lui fourre dans les mains.
Après avoir indiqué à Matt où installer les canapés, fauteuils et petites tables, je rejoins Louisa pour l’aider à remplir les bibliothèques.
Je détaille avec fierté tous les livres d’occasion que j’ai réussi à acquérir pour de modestes sommes au fil des mois. Quand j’ai enfin décidé de me lancer à mon compte, la première chose à laquelle je pensais était de continuer à faire vivre ces œuvres dont plus personne ne voulait. Ensuite, j’ai fait en sorte de permettre à mes futurs jeunes ou moins jeunes lecteurs d’avoir accès à moindre coût à des ouvrages en tout genre. Bien évidemment, un coin de ma boutique est réservé aux livres neufs, mais les plus beaux trésors restent, selon moi, les livres déjà touchés, déjà cornés. Chaque roman d’occasion a une histoire à raconter et en mettant en avant ce concept, j’espère attirer du monde. On verra bien, de toute façon, d’ici quelques heures la boutique sera ouverte et je ne pourrais plus faire marche arrière.
Je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase que déjà ma réponse tombe.
Je veux enfin m’affirmer, montrer mes talents de pâtissière, raviver les papilles de mes futurs clients et partager avec eux, au détour d’une conversation un coup de cœur littéraire.
Tout le monde se remet au travail avec le sourire et l’esprit léger. Matt lance une playlist de Noël et « Holly Jolly Christmas » résonne dans ma boutique. Louisa chantonne tout en remuant, je ne peux que la rejoindre et danser avec elle. Matt se met à rire et nous rejoint dans notre chorégraphie totalement ridicule.
Après avoir passé la matinée à ranger, danser, rigoler et accessoirement agencer, il est enfin l’heure de mettre les machines à café en route et de manger avant la grande ouverture.
Nous la dévisageons, totalement hilares.
Matt abdique et Louisa lui envoie un bisou dans les airs. Ces deux-là sont continuellement en train de se chercher. Je me suis souvent demandé pourquoi ils n’essayaient pas de se mettre ensemble. Sûrement à cause de notre trio infernal vieux comme le monde. Ou peut-être que Lou a tout simplement peur de se retrouver avec le cœur brisé. Au détour d’une conversation, j’essayerai de lui en parler.
Matt parti, ma meilleure amie finit de remplir la dernière étagère tout en fredonnant les airs que diffuse la radio. De mon côté je m’active à mettre les menus sur les tables, déposer les plaids de toutes les couleurs sur les canapés et passer un dernier coup sur mon merveilleux comptoir en chêne couleur miel et son encadrement en fer peint en noir.
Quelques instants plus tard, Matt revient avec notre somptueux repas et nous nous mettons à table dans un silence religieux.
Je les observe tous les deux, dans mon chez-moi. Dans ce café que j’ai mis un temps fou à remettre en état. Ils m’ont tellement aidé. Bon… plus en squattant et en racontant des bêtises qu’en m’aidant à gratter la vieille tapisserie ou à poncer le vieux parquet. Mais ils ont toujours été là pour me remonter le moral quand il était au plus bas, toujours là pour me booster quand je n’avais plus le courage pour les travaux. Nous ne sommes pas du même sang, mais ils sont comme mon frère et ma sœur. Mes deux piliers dans la vie de tous les jours. Ma famille.
Le carillon de l’entrée me sort de ma rêverie. Je me retourne doucement presque heureuse d’avoir mon premier client avant l’heure d’ouverture quand je l’aperçois. Mon sang ne fait qu’un tour dans mon corps.
En un coup d’œil, je sais que la situation est sur le point de m’échapper. Il est là, devant moi, alors que ça fait des semaines que je m’évertue à l’éviter.
Mon ex.
Mon passé.
Mon pire cauchemar.
Cet enfoiré se tient devant nous, un air satisfait collé au visage alors qu’il sait qu’il n’a plus le droit de s’approcher de moi.
Léo et moi sommes sortis ensemble pendant quelques mois, et puis j’ai compris avec le temps que ce n’est pas un homme fait pour moi. Il déteste mes amis, déteste que je puisse travailler et tout ce qui se rapproche d’une quelconque forme d’indépendance. J’ai mis du temps à trouver son étiquette, mais aujourd’hui je sais qu’il n’est ni plus ni moins qu’un pervers narcissique. Quand j’ai mis fin à notre relation, les premières semaines ont été atroces ; il me suivait, m’envoyait des messages et des mails en quantité, mais face à son obstination je n’ai rien lâché. Quand je me suis rendu compte qu’il ne s’arrêterait pas, mes amis ont fini de me convaincre d’aller demander une injonction d’éloignement à la police. Depuis ce jour, plus rien, enfin, jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce moment où ses yeux, toujours autant chargés de colère, s’abattent de nouveau sur moi.
Je me tourne vers mes amis. Louisa est totalement décontenancée par sa présence. Matt, fidèle à lui-même, se tient debout devant moi comme un bouclier vivant, prêt à lui sauter à la gorge.
Des excuses. Il se moque de moi ?
Je l’observe serrer les mâchoires. Mauvais signe. Louisa trouve alors nécessaire de se racler la gorge et de chuchoter à l’oreille :
Il acquiesce.
Bon… En y réfléchissant, si c’est pour avoir la paix une bonne fois pour toutes, je peux bien perdre cinq minutes à écouter ses balivernes. Je lève alors les yeux au ciel et cède à sa requête.
Il me suit sans discuter et se rapproche de moi. Un peu trop près. En m’arrêtant devant la porte de la réserve, il se donne le droit de me caresser l’épaule seulement couverte d’une bretelle de débardeur. Mon corps entier frissonne de dégoût pour cet homme. Face à cette réaction, son souffle s’intensifie, se fait court et un son rauque sort de sa bouche.
Je me retourne comme une furie, le sang pulsant dans mes veines, prête à lui arracher les yeux et lui faire avaler son sourire salace.
Je crois qu’il est temps de sortir l’artillerie lourde, parce qu’à ce rythme on dirait que son cerveau ne va pas percuter que je ne veux plus de lui. Pourtant, il a l’air sincère.
Allez du courage, Luce.
Affronte-le et mets un terme définitif à cette ancienne relation toujours autant étouffante.
Il avale presque péniblement sa salive et acquiesce.
Sans avoir le temps de réagir, il m’empoigne le bras et me force à entrer dans la réserve.
Il plante son regard bleu acier dans le mien, un sourire mauvais apparaît sur son visage. Léo se penche, ses lèvres près des miennes et y dépose un baiser. De la bile me remonte dans la gorge, mais je reste tétanisée sous l’emprise de cet homme.
Ses mains s’aventurent sur mon corps et je suis incapable du moindre geste. Sa main droite glisse le long de mon cou jusqu’à ma poitrine, pendant que la deuxième malmène mon bras. Je sais trop bien ce dont il est capable, même avec mes amis dans la pièce d’à côté. Je prie de tout mon cœur pour qu’ils sentent que ça tourne au vinaigre.
Merci mon karma !
Léo relève la tête doucement, mais n’a pas le temps de se dérober que Matt l’attrape par le col et lui assène un coup de poing qui fait craquer sa mâchoire. Mon cœur bat à mille à l’heure et je sens le sol se dérober sous mes pieds. Mon corps n’ose plus bouger, mais mon cerveau reprend un peu les commandes et je hurle à Louisa d’appeler les flics.
Léo toise Matt avec une lueur de défi dans les yeux, mais ce dernier se détourne, se dirige vers la sortie, un rictus au coin des lèvres.
Il se retourne lentement avant de passer la porte, regarde Matt à peine impressionné. À cet instant, un sentiment profond de crainte naît en moi. Léo est imprévisible et totalement incontrôlable.
Matt se met de nouveau entre nous afin de couper le contact visuel et Louisa vient à ma rencontre puis me serre dans ses bras. Le grand gaillard sur le trottoir se frotte les mains, me lance un dernier regard noir, enfourche sa moto et disparaît. Lorsqu’il quitte notre champ de vision, Louisa m’étreint encore plus fort et me demande tout bas :
Je peine à réaliser ce qui vient de se produire. J’inspire profondément afin de me reconnecter à la réalité et expire pour chasser tout ce qui vient de se passer. Cette ordure ne peut pas me gâcher cette si belle journée. Il ne peut pas ruiner le rêve de ma vie. Je me tourne vers mes amis, plaque un faux sourire sur mon visage et prends sur moi pour ne pas montrer mon trouble.
J’acquiesce et pouffe comme une ado. Je regarde l’heure et, oh, mon Dieu ! il reste si peu de temps avant l’ouverture.
Dans une demi-heure, je vais ouvrir la page d’un nouveau chapitre. Et je suis excitée comme une puce malgré la petite ombre au tableau de tout à l’heure.
Après m’être changée dans mon appartement à l’étage, je redescends et ma surprise est immense.
Au moins une trentaine de personnes est là pour l’ouverture de mon petit nid douillet.
Après avoir donné les consignes de service et expliqué à Louisa comment fonctionne la caisse, j’ouvre la grande porte vitrée, accueille et remercie chaque client d’être venu. Je jubile d’avoir réussi ce premier pari. Le monde afflue et chaque client semble ravi. Vers dix-neuf heures, mon café se vide. Je suis épuisée par cet après-midi à courir partout et tout ce stress qui, enfin, redescend. En entrant dans la réserve pour mettre une machine de nappes à laver, je surprends Louisa en grande conversation au téléphone. Waouh elle a l’air sacrément furax. Sûrement un prétendant qui annule au dernier moment. Elle raccroche et pousse un long soupir.
Oulala. Mais quelle mouche m’a piquée pour lancer le sujet comme ça, moi, de but en blanc. Louisa me fixe un peu déconfite, comme si je l’avais pris la main dans le sac. Mais elle hoche mollement la tête et vu le sourire en coin dont elle se pare, je pense que je ne suis pas loin de la vérité.
Elle me répond du tac au tac :
Son téléphone sonne et je devine à son regard qu’elle hésite à répondre. Sûrement son patron ou encore un auteur en mal d’inspiration. Elle me fait signe de ne pas faire de bruit.
Je lui mime un violoniste, et elle se retient de rire. Je quitte la pièce pour lui laisser l’espace nécessaire pour son appel. M. Lange… Il me semble que Louisa m’a déjà parlé de cet auteur à l’ego surdimensionné. Après avoir lu tous ses livres et les avoir tous adorés, je serais curieuse de voir à quoi ressemble cet homme qu’elle caractérise de « pas son style ».
Je rejoins l’avant du café pour finir de mettre tout en ordre pour le lendemain matin et découvre un texto de Matt disant qu’il a dû partir rapidement pour un dépannage et qu’il reviendra dans la semaine.
Louisa me rejoint quelques instants plus tard, ramasse ses affaires et s’avance vers moi d’un pas bien décidé. Son assurance à cet instant précis me fait presque peur. Qu’est-ce qu’elle va encore m’annoncer ?
Je rigole, mais je me demande ce qui va encore me tomber sur la tête. Alors que j’essaie d’imaginer ce qu’elle va bien pouvoir m’annoncer, elle démarre avec sa petite voix mielleuse :
Elle respire un grand coup et se lance.
Pincez-moi ! Dites-moi que c’est un rêve. Je la laisse parler, pensant que je vais bien finir par me réveiller, jusqu’à ce que la conclusion tombe.
Je lui tourne le dos pour la faire poireauter et pour réfléchir une demie seconde à sa proposition.
Sur ces belles paroles, elle me prend dans ses bras, me murmure un gentil « merci » à l’oreille et me claque une bise. Elle attrape son manteau, l’enfile et se dirige vers la sortie quand soudain, une question de la plus haute importance me vient en tête.
Elle me regarde de son air malicieux, franchit la porte, laisse passer sa tête dans l’entrebâillement et glisse un simple « au moins deux mois ».
Elle rigole et disparaît aussi sec. Quelle traîtresse ! Vous parlez vous d’une meilleure amie. D’ici deux semaines, je vais devoir partager mon quotidien avec un inconnu. Il va avoir intérêt à vite retrouver l’inspiration, ce Monsieur Lange.
J’éteins les lumières de mon nouveau bébé, ferme tout à clé et prends le chemin de mon appartement. J’y suis en moins de deux minutes ; tel est l’avantage d’habiter juste au-dessus de son lieu de travail. En arrivant chez moi, je me mets à l’aise, adieu gros pull gris et slim noir, au revoir les vans. J’enfile ma combinaison panda et m’affale dans mon canapé. Je me commande un repas chez le japonais du coin de la rue et dix minutes plus tard je peux enfin manger et me détendre. La sonnerie de notification de mes mails retentit, j’attrape mon téléphone et lis à plusieurs reprises le message sous mes yeux, avant que mon cerveau ne percute réellement. Apparemment, ce n’était pas une mauvaise blague.
« Bonsoir,
Je me présenterais à votre café le 28 octobre.
Cordialement.
Monsieur Lange. »
Au moins, ça ne peut pas être plus clair. Des millions de questions se bousculent dans ma tête. Qu’est-ce que je vais pouvoir faire de lui ici ? Un auteur… Et s’il a toujours la tête ailleurs ? D’ailleurs, c’est possible de faire récurer des plats et les toilettes à un homme aussi célèbre que lui ? Je sens que cette histoire va être un joyeux bordel, surtout avec le retour soudain de Léo dans l’équation !
Je soupire et me laisse aller dans mon canapé, prête à sombrer dans le sommeil après cette interminable journée.
Je relis une dernière fois le mail que je prévois d’envoyer à cette fameuse Luce – quel prénom original quand j’y pense – que mon éditrice m’a recommandé pour deux mois off. Me recentrer sur une vie ordinaire, sur le quotidien. J’ai grand espoir que cela me permettra de retrouver l’inspiration pour écrire ce fichu roman que tout le monde attend avec, apparemment, beaucoup trop d’impatience. Louisa, mon éditrice, a beau être canon, elle n’en reste pas moins un tyran quand il s’agit de travail. Et à bien y réfléchir, je pourrais parier qu’elle est aussi un bourreau dans la vie de tous les jours.
J’appuie enfin sur « envoyer ». Voilà, impossible de faire marche arrière. Dans quelques jours, je serais dans l’ouest de l’Angleterre, perdu dans la campagne avec une nana que je ne connais même pas.
Il ne me reste plus qu’à trouver des vêtements adéquats pour la vie rurale, et dieu sait que je déteste le shopping, mais je doute que me pointer en costume trois pièces soit idéal pour ce genre d’endroit, même si Louisa m’a dit je cite : « Aider une amie dans le café littéraire qu’elle vient d’ouvrir proche de la campagne ». Bon, peut-être que proche de la campagne ne veut pas forcément dire à la ferme. J’appelle Sam pour nous organiser une dernière soirée avant mon départ, il répond au bout de deux sonneries.
Il rigole nerveusement à ma dernière phrase, puis bâille à travers le combiné du téléphone.
J’attends qu’il se moque de moi, qu’il rigole haut et fort, mais plus aucun bruit ne me vient du combiné.
Et cet idiot se met à hurler de rire. Beh oui, vas-y, moque-toi de moi… Ce n’est pas comme si je n’étais pas déjà assez stressé de partir là-bas sans rien savoir de ma destination. Louisa m’a expliqué quelques heures plus tôt au téléphone qu’il me suffisait juste de prendre un avion au départ de Londres et d’atterrir à Liverpool. Elle viendra me chercher en personne et me conduira directement chez son amie. J’ai juste espoir de ne pas être trop loin de la ville. Pitié, faites qu’elle ne m’emmène pas dans la cambrousse.
Sam soupire lascivement dans le combiné. Après un petit blanc, il reprend finalement.
Je m’affale dans le canapé en poussant un long soupir. Pourquoi il a fallu qu’il me mette cette idée en tête ? Pourquoi est-ce qu’il m’a parlé de mon passé ?
Par réflexe, j’attrape mon ordinateur, lance le moteur de recherche et tape le nom de la ville qui m’a accueilli pendant des années. Le doigt en suspens au-dessus de la touche entrée, je réfléchis deux secondes. Est-ce une bonne idée de me replonger dans ces souvenirs alors que j’ai tout fait pour laisser tout ça derrière moi ? En dix ans bien sûr que ça m’a déjà traversé l’esprit de reprendre contact avec ces personnes que je devais tenir à distance, j’en ai souvent eu envie, mais j’ai préféré ne pas regarder en arrière et avancer.
Exaspéré par mes réflexions et les battements de mon cœur, je referme l’ordinateur et décide d’aller me coucher sans me polluer l’esprit par les fantômes du passé.
*
La semaine passe beaucoup plus vite que je ne l’aurais cru. Ma dernière soirée avec Sam aussi. À 20 h, il vient me chercher comme prévu et m’emmène dîner dans un burger shop. Notre QG spécial soirée mecs. Un endroit douillet où l’alcool coule à flots, où la nourriture est juste dingue et accessoirement « the place to be » pour les rencontres sans lendemain.
Samuel commande des bières, et quand la serveuse revient avec notre commande il trinque avec moi.
Je me retourne discrètement ne sachant pas à quoi m’attendre. Puis mes yeux se posent sur deux jeunes femmes très élégantes. L’une blonde, l’air d’être très mal à l’aise dans sa tenue et son amie, rousse, provocatrice dans sa robe noire moulante et ses cuissardes. Je soupire d’exaspération. Sam en face de moi me dévisage ahuri par mon indifférence.
Je fais non de la tête en buvant une nouvelle gorgée de ma bière bien fraîche.
On se jauge deux secondes avant d’exploser de rire à l’unisson, quand les deux filles du bar arrivent à notre table en roulant des hanches.
Sam la dévisage un instant puis m’observe afin d’avoir mon approbation. Je hausse les épaules avec indifférence et reporte mon attention sur ma boisson. Mon meilleur ami adore la compagnie des femmes, et même s’il n’est pas très porté sur le sexe opposé, ce soir ne déroge pas à la règle. Ce qui n’est pas du tout mon cas. Sam les invite donc à s’asseoir avec nous pensant me faire plaisir. La rousse dont je n’ai pas écouté le prénom jette son dévolu sur mon ami. La blonde qui n’a toujours pas ouvert la bouche reste en retrait à côté de moi. Les minutes puis les deux heures qui défilent sont d’une longueur à mourir.
Je décide de mettre fin à ce cinéma et fais signe à Sam qui est en pleine discussion avec sa nouvelle amie, que je m’en vais. Il vient me faire une accolade et me souhaite bonne chance pour ma prochaine aventure. Je m’excuse auprès des deux femmes et file enfin vers la sortie.
Dehors la nuit est fraîche et humide. Mi-octobre est tellement agréable à Londres. Je marche de longues minutes pour retrouver ma maison située dans un quartier chic de Mayfair. En arrivant, je ne me couche pas tout de suite, me sers une nouvelle bière et vérifie une dernière fois – la cinquième fois – que je n’ai rien oublié. Après avoir zoné une heure sur les réseaux sociaux sans but précis, il est enfin temps de dormir et d’essayer de ne pas penser aux visages qui me hantent depuis quelques jours.
*
Après un vol d’une heure dans un avion remplit de bébés qui ne faisaient que pleurer, nous atterrissons et j’aperçois enfin ma chère éditrice dans le hall. Toujours aussi canon Mademoiselle Miller. Elle ne m’a pas encore vu, mais j’ai le temps de la détailler de haut en bas ; malgré le mois d’octobre bien avancé, elle porte un petit chemisier rose ou peut-être vieux rose, une jupe cintrée à la taille. Waouh ça met sacrément bien ses formes en valeur. Alors que je la mate ouvertement, elle lève enfin les yeux de son téléphone et je me fais littéralement griller. Pris en faute, je baisse les yeux rapidement, mais en les relevant elle me regarde avec un sourire moqueur.
Certains voyageurs se retournent pour me regarder avec étonnement. Et puis je me rends compte qu’elle vient de crier mon nom d’auteur dans le terminal d’un aéroport blindé de monde. Je me presse d’aller à sa rencontre.
OK, Louisa a raison. Elle a vraiment un putain de caractère et je sens qu’elle va m’en faire voir de toutes les couleurs… Je lève les yeux au ciel et prends conscience que j’ai peut-être fait une connerie en venant ici…
Elle attrape ma valise et tourne les talons en direction de la sortie. Alors qu’elle avance d’un pas décidé je l’observe partir, puis elle se retourne et cri bien assez fort pour que tout le monde entende :
Presque tous nos échanges se font par mail et téléphone, alors c’est vraiment un plaisir de la retrouver et de pouvoir de nouveau travailler avec elle en chair et en os. Je sens que ce séjour va être explosif.
Je lui grommelle que j’arrive et lui emboîte le pas.
Arrivés dans le parking, je la suis jusqu’à ce qu’elle s’arrête devant une ridicule petite Fiat 500. Pendant une fraction de seconde, je crois qu’elle me fait marcher, mais lorsqu’elle actionne sa clé pour ouvrir la voiture, je me rends compte qu’elle ne bluffait pas du tout. Donc, moi, un mètre quatre-vingt-cinq, je vais devoir me contorsionner pour entrer dans sa boîte de conserve. Pas du tout perturbée par cette éventualité, elle balance ma valise dans le coffre puis s’installe derrière le volant. Je l’imite en essayant une première fois de rentrer. Je me cogne la tête, du coin de l’œil, je la vois pouffer de rire en silence. Je tente une deuxième fois et arrive enfin à m’installer tout en me cognant le crâne au plafond de l’habitacle.
Je décide de la couper avant d’en entendre trop sur le compte de cette certaine Luce.
Je tourne la tête rapidement vers elle. Ce n’est pas possible, j’ai rêvé, elle n’a pas dit ce que je pense qu’elle a dit. Ce n’est juste pas possible. Cette ville est celle de mon enfance, celle de mon passé et de mes désastres. Si j’avais su que c’était là-bas qu’elle comptait m’envoyer, ça aurait été non. Des millions de questions me passent par la tête. Et si ceux que j’ai laissés derrière moi étaient encore là-bas ? Et si je les croisais ? Non, ce n’est pas possible. Et pourquoi atterrir à Liverpool ?
Je réponds par la négative d’un signe de tête et nous nous insérons facilement dans la circulation.
Plus les paysages défilent et plus je suis bien contraint d’admettre que nous nous dirigeons vers des souvenirs que j’aurais préféré oublier. Jamais je n’aurais cru que ça aurait pu arriver. Mon téléphone bipe, c’est un message de Sam. Putain il ne va jamais me croire. Je me passe nerveusement la main dans les cheveux. Mon éditrice me regarde du coin de l’œil à plusieurs reprises.
Mon téléphone se met à sonner au moment où elle s’apprête à rajouter quelque chose. Sam.
Silence au bout du fil. Il me connaît trop bien pour laisser passer mon ton dur et maussade.
Le dire à voix haute rend les choses un peu trop concrètes, et mon excitation tout comme mon stress montent en flèche. Le petit silence qui s’installe me prouve que je ne suis pas le seul en pleine réflexion et Louisa me regarde du coin de l’œil.
Il marque un temps de pause, soupire et une forme d’agacement monte en moi. Il a sûrement raison. Les chances de la croiser sont infiniment minces.
Je raccroche avant qu’il ait autre chose à ajouter concernant Louisa, le lieu vers lequel je me dirige, celle qui hante mes pensées ou celle que j’ai perdue il y a longtemps.
Un peu plus d’une heure de trajet et nous voilà presque arrivés. J’entends Louisa pester presque silencieusement contre les bouchons qui nous accueillent. Je me redresse et décide de passer la ville au peigne fin. Je capte tous les visages comme pour y croiser son regard. Pour me rappeler les bons souvenirs. Mais en dix années, Oldham a tellement changé. On dirait qu’il y a beaucoup plus de commerces et beaucoup plus de bouchons aussi. Une chose qui est toujours intacte, le sourire des gens. À travers la fenêtre, je les observe tenir des discussions animées, se faire la bise et parler fort. C’est quand même super bon d’être ici malgré les fantômes du passé.
Je me retourne d’un coup vers Louisa, aussi surpris qu’elle par les mots qui viennent de sortir de sa bouche. Puis elle me lance un regard de biais en ajoutant le plus simplement au monde :
Elle expire d’un coup, comme si ce que je pense pouvait avoir une quelconque importance, même si, elle l’a bien souligné, je suis son client.
Deux rues plus loin, nous voilà enfin garés, sortis de cet enfer de voiture miniature. Ma valise, mon futur roman et moi sommes enfin prêts à tenter une nouvelle aventure.
Après deux minutes de marche, nous voilà devant le Charlie&Co. D’extérieur, la devanture bleu marine est très belle, et lorsque je regarde à travers les vitrines j’aperçois des bibliothèques remplies de livres. À défaut de trouver l’inspiration, je pourrai lire autant que je veux. Enfin, tout est relatif puisque je suis là aussi pour aider la gérante, donc on repassera pour la lecture compulsive.
J’aperçois une bande de six jeunes installés dans de grands canapés qui, à vue d’œil, ont l’air vraiment très confortables. Avant d’entrer et de suivre Louisa à l’intérieur, je m’arrête sur le pas de la porte et imagine avec délice l’odeur qui doit régner à l’intérieur. Ce doux mélange de café et de vieux livres. Je crois que Louisa m’a trouvé le meilleur endroit du monde.
Elle entre d’un pas décidé, me prenant probablement pour un grand perché en pleine contemplation. Peu importe. Le son d’une clochette retentit. J’ai l’impression d’être sur la terrasse de mes parents. Des carillons dans tous les sens, bercés par le vent. Au moins si j’ai le mal du pays, j’aurais ça pour me ramener un peu chez moi.
Après une dernière grosse et grande inspiration, je me décide enfin à pousser la porte. C’est parti pour deux mois loin de chez moi. Deux mois à faire autre chose que ruminer et procrastiner devant mon ordinateur. Et même si cela ne m’enchante pas des masses d’être dans cette ville, face à une page de mon passé, je suis certain de passer un excellent moment ici.
En pénétrant dans la salle, la première chose que je remarque c’est cette délicieuse odeur de gâteaux. Putain que ça sent bon les petits gâteaux de Noël aux épices ! Mes yeux cherchent d’où provient cet exquis effluve, et s’arrêtent sur le comptoir sur lequel se trouvent des dizaines de pâtisseries différentes. Mon Dieu ! Je vais finir obèse ou diabétique ! Cette Luce a un talent caché qui me plaît déjà.
Mes yeux s’attardent ensuite sur le mobilier et surtout sur cette bibliothèque à ma droite. Je m’approche et remarque que rien n’est organisé. Tout est rangé au hasard sans suivre de réel classement.
Mais qui fait ça, sérieusement !
Voilà une mission que je m’attribue : ranger ce bordel. Au moment où je m’apprête à détourner le regard, je l’aperçois, tout en bas de l’étagère. Mon premier roman. Une joie s’empare de moi, et je me demande aussitôt si cette Luce l’a lu et si oui, ce qu’elle en a pensé. Avec un peu de chance, peut-être qu’elle voudra me partager ce qu’elle attend du prochain.
La salle est belle, la lumière qui y baigne est douce pour une mi-octobre. Je repère immédiatement Louisa qui est au téléphone, m’approche d’elle et lui demande où est Luce et ce que je peux faire.
Je me dirige vers la réserve qu’elle m’a indiquée par plusieurs gestes approximatifs. Mon premier essai n’est pas fructueux : j’atterris aux toilettes. Au deuxième essai, j’arrive dans une pièce sombre dans laquelle bon nombre d’étagères trônent. Je me laisse surprendre par un petit cri étouffé.
Même si elle lui ressemble pas mal, je viens de quitter Louisa dans la salle, donc la seule possibilité, c’est que cette voix soit celle de ladite Luce. Je suis mal si cette nana parle comme un camionneur. Je m’approche sans faire de bruit afin d’observer la personne à qui je vais avoir à faire.
Je m’exécute, faisant deux pas en arrière. Après ce qui me semble une éternité, elle se redresse, lâche sa tête et relève enfin le nez.
Et quand le visage de cette femme m’apparaît enfin, mon cœur manque littéralement de lâcher. Je n’ose plus bouger, plus rien dire, j’ai la bouche sèche et l’estomac dans les talons.
Elle s’approche de moi, plisse ses paupières et ses yeux se transforment très rapidement en deux billes bien rondes.
Je n’en crois pas mes yeux. Elle est devant moi. En chair et en os. Et le seul réflexe que je parviens à faire c’est de prendre mes jambes à mon cou et faire demi-tour.
Merde. Elle m’a reconnue. Putain, elle m’a reconnue !
J’hésite deux secondes, puis me retourne, conscient que la lumière qui passe sur mon visage peut lui confirmer ma véritable identité. Elle se rapproche lentement et se plante face à moi, l’air grave.
J’opine d’un mouvement de tête et elle réalise enfin où je veux en venir.
Elle me contourne et sort de la pièce tout en me laissant planté comme un con dans l’entrée de la réserve.
Mon seul réflexe est d’envoyer un message à Sam pour lui faire état de la situation.
« Je suis en enfer pour deux mois ou plus avec celle dont on ne prononce pas le nom. »
Non, mais dites-moi que je rêve. Pincez-moi, s’il vous plaît. Il ne peut pas être là, devant moi. Ça ne peut pas être lui l’auteur, c’est impossible ! Je n’arrive ni à l’envisager ni à y croire. En aucun cas, je ne pourrais accepter ni même tolérer sa présence des semaines ici. C’est une blague que la vie me fait ou quoi ? Et aujourd’hui en plus, veille de mon anniversaire !
Ma conscience me chuchote que, quelle que soit la date, on reste en colère contre lui et on le déteste. Il ne pouvait pas ne plus exister ?
Je retourne d’un pas ferme et décidé dans le café avec pour objectif de dénicher Louisa et de lui demander de reprendre son auteur en herbe et de partir loin, très loin d’ici. Lorsque j’arrive à hauteur du comptoir, elle est là, le téléphone toujours vissé à l’oreille. Elle me remarque et me fait signe qu’elle a bientôt terminé. J’attrape un torchon et essuie nerveusement la vaisselle.
Je sursaute en entendant sa voix. Et merde… Ce n’était définitivement pas un cauchemar. Il est bien là, accoudé au comptoir avec son regard vert et son demi-sourire. Je le hais.
Entendre mon prénom français avec la bonne prononciation provoque en moi un sentiment de bonheur, mais c’est lui qui le prononce et ça, ça me rend furieuse.
Je frotte de plus en plus fort le verre que je tiens et ferme les yeux en implorant silencieusement un quelconque dieu de la disparition. Disparais. Disparais. Disparais !
Il acquiesce à ma question en ancrant son regard au mien. Pitié, pas ces yeux verts.
Ma réplique faisant mouche, je tourne le dos pour couper court à cette improbable conversation. Louisa choisit ce moment pour arriver à notre hauteur, le sourire jusqu’aux oreilles. Elle va me rendre dingue. Son regard passe de cet énergumène à moi.