From you to us - Alex Loren - E-Book

From you to us E-Book

Alex Loren

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Beschreibung

Hugo, célèbre écrivain en proie à la page blanche, est contraint par sa maison d’édition de quitter son quotidien à la recherche de l’inspiration. Il se retrouve, de force, à faire du bénévolat pour une jeune entrepreneuse. Ce qu’il ignore encore, c’est que ce voyage forcé lui réserve bien plus que de simples idées pour son prochain livre. De son côté, Luce, une jeune femme marquée par les épreuves et les vicissitudes de la vie, décide de prendre en main son destin en ouvrant un café littéraire dans sa ville natale. Mais elle doit affronter les fantômes de son passé qui refont surface. Pour réussir à avancer, elle devra apprendre à les apprivoiser et à composer avec eux. Ensemble, ils découvrent que l’inspiration et la guérison peuvent naître des rencontres les plus improbables. Trouveront-ils les mots et la force de tourner la page vers un avenir prometteur ?

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis son enfance, Alex Loren est captivée par les histoires d’amour. Elle retranscrit à travers l’écriture ces sentiments qu’on ne ressent que peu de fois dans une vie. Malgré le rythme effréné de ses journées, elle trouve toujours le temps, le soir venu, de se consacrer à l’écriture.


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Alex Loren

From you to us

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alex Loren

ISBN : 979-10-422-4034-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Aux amoureux de l’amour.

Aux âmes sœurs qui finissent toujours par se retrouver.

Un court moment passé avec une personne qu’on aime

Et que l’on ne voit pas souvent,

On pourrait dire que c’est un court moment dont

On savoure le souvenir longtemps.

Jules Renard

Chapitre 1

Luce

Je contemple une dernière fois mon travail, ravie de voir mon café littéraire prendre forme ; par un miracle que je ne m’explique pas, j’ai réussi à rénover un mur de briques rouges et à peindre les trois autres en bleu canard. Des ampoules sont accrochées à des fils qui tombent bas du plafond pour apporter une lumière tamisée. Depuis le temps que je rêve de ce nid rien qu’à moi, le voilà ; mon endroit, mon cocon.

J’attrape une caisse de romans de développement personnel, quand j’entends un tambourinement incessant à l’avant de la boutique. Je dépose le tout à la hâte et me dirige vers l’entrée.

Je m’arrête et observe mes deux meilleurs amis dehors dans le froid qui tapent sur la vitrine comme des dingues tout en chahutant. Inutile de dire que les passants les regardent d’un air étrange. Mais Matt et Louisa sont comme ça, ils se fichent de tout et assument toutes leurs âneries. Nous nous connaissons depuis la fin du lycée et nous sommes inséparables, et ce malgré les années qui passent.Nous sommes toujours là, les uns pour les autres.

Je m’empresse de sortir de ma rêverie et d’aller leur ouvrir.

— Putain Luce ! Il fait un froid de canard !
— Bonjour à toi Madame râleuse, dis-je enjouée tout en lui faisant une bise qui claque sur sa joue. Mais qu’est-ce que vous fichez là, à cette heure si matinale un samedi ?
— Matt ne voulait pas te laisser finir de déballer tout ton bazar seule, dit-elle en pointant du doigt les cartons derrière moi et les étagères encore vides. Alors, en preux chevalier qu’il est, nous voici.

Matt s’empresse de me coller à lui pour me dire bonjour, je tire la langue à Louisa pour la faire taire et cette dernière lève brièvement les yeux au ciel puis entre au chaud. Je me défais des bras musclés de mon meilleur ami et le détaille discrètement ; son mètre quatre-vingt-cinq me surplombe facilement. Et je ne peux retenir un sourire affectueux en constatant le désordre dans ses cheveux blonds au même titre que de sa barbe de quelques jours. Ses yeux bleus me cherchent et s’ancrent en moi pour attirer toute mon attention.

— Tu m’as manqué, ma Luce ! dit Matt en me serrant de nouveau contre lui. Et ça ne sert à rien de me faire ces yeux, je sais qu’on s’est parlé au téléphone hier soir et que nous nous sommes vus lundi, mais j’ai tout de même le droit de dire à ma meilleure amie qu’elle m’a manqué.
— Est-ce que tu m’as entendue dire quelque chose ? fais-je avec une moue perplexe. Mais toi aussi mon Mattou, tu m’as manqué ! Allez, maintenant entrons au chaud avant que la tornade Louisa passe à l’attaque et dévore toutes mes pâtisseries.

Matt me fait un signe de tête pour approuver et rigole tout en me passant devant.

En entrant, je ne suis surprise qu’à moitié en découvrant ma meilleure amie déjà installée sur une des chaises hautes près du comptoir, en train d’engloutir les muffins au chocolat que j’avais pourtant confectionnés pour mes futurs clients.

Comment fait cette nana pour manger tout ce qu’elle veut sans prendre un seul gramme ? Je ne sais plus si ça me désespère ou me ravit pour elle, en même temps je l’ai toujours connue telle qu’elle ; grande, fine, avec ses longs cheveux noirs à la Pocahontas. Elle est d’une beauté renversante.

Matt s’approche d’elle et lui pique un bout de son gâteau sans même l’accord de cette dernière. Erreur, cette fille déteste partager sa nourriture.

— Ça va Matt, je ne te dérange pas trop ? Remballe tes sales pattes et ne touche pas à ma bouffe ! grommelle Louisa.
— Alors techniquement mon petit chat, c’est MA bouffe… lui dis-je en récupérant ledit muffin, et si tu le veux vraiment il va d’abord falloir que tu donnes de ta personne en m’aidant à ranger ces cartons.
— Attends, à la base c’était lui, dit-elle en pointant notre ami du doigt, qui voulait venir t’aider. Moi, j’espérais juste pouvoir passer mon samedi matin tranquillou dans mon lit et en tête à tête avec Netflix. Mais bon, en y réfléchissant bien, qu’est-ce que je ne ferais pas pour pouvoir m’empiffrer de ces délices ? ajoute-t-elle en lorgnant un peu plus mes sucreries.

Je pouffe de rire devant sa gourmandise qui la mène par le bout du nez, et attrape un carton et le lui fourre dans les mains.

Après avoir indiqué à Matt où installer les canapés, fauteuils et petites tables, je rejoins Louisa pour l’aider à remplir les bibliothèques.

Je détaille avec fierté tous les livres d’occasion que j’ai réussi à acquérir pour de modestes sommes au fil des mois. Quand j’ai enfin décidé de me lancer à mon compte, la première chose à laquelle je pensais était de continuer à faire vivre ces œuvres dont plus personne ne voulait. Ensuite, j’ai fait en sorte de permettre à mes futurs jeunes ou moins jeunes lecteurs d’avoir accès à moindre coût à des ouvrages en tout genre. Bien évidemment, un coin de ma boutique est réservé aux livres neufs, mais les plus beaux trésors restent, selon moi, les livres déjà touchés, déjà cornés. Chaque roman d’occasion a une histoire à raconter et en mettant en avant ce concept, j’espère attirer du monde. On verra bien, de toute façon, d’ici quelques heures la boutique sera ouverte et je ne pourrais plus faire marche arrière.

— Tu sais Luce, m’apostrophe Louisa, plus tard quand tu seras bien installée j’aimerais beaucoup t’aider à faire venir des auteurs pour des lectures ou des dédicaces. Je pourrais même t’en présenter quelques-uns d’assez sexy. Elle m’envoie un clin d’œil appuyé ainsi qu’un immense sourire.
— Dites donc Mlle Miller&Publishing ! Vous me proposez de m’aider à me faire connaître tout en promouvant vos auteurs ! Sérieusement Louisa ? demandé-je, dubitative.
— Ça pourrait t’apporter du monde… lance Matt.

Je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase que déjà ma réponse tombe.

— Merci, mais non merci. Je n’ai pas envie de me mettre la pression. Je veux vivre les choses simplement et apporter à mes futurs clients plus de Lucile. Mais, on verra plus tard, fais-je avec un clin d’œil.

Je veux enfin m’affirmer, montrer mes talents de pâtissière, raviver les papilles de mes futurs clients et partager avec eux, au détour d’une conversation un coup de cœur littéraire.

— Comme tu voudras Luce ! claironne Louisa.

Tout le monde se remet au travail avec le sourire et l’esprit léger. Matt lance une playlist de Noël et « Holly Jolly Christmas » résonne dans ma boutique. Louisa chantonne tout en remuant, je ne peux que la rejoindre et danser avec elle. Matt se met à rire et nous rejoint dans notre chorégraphie totalement ridicule.

Après avoir passé la matinée à ranger, danser, rigoler et accessoirement agencer, il est enfin l’heure de mettre les machines à café en route et de manger avant la grande ouverture.

— Restez au chaud, les filles, je vais nous chercher des pizzas pour le déjeuner, nous informe Matt.
— Ooooh oui ! Je meurs de faim ! lance mon amie. Par contre, ne va pas à celui du bout de la rue, ils ne sont pas très sympathiques et ils ne font pas de supplément olive.

Nous la dévisageons, totalement hilares.

— Beh quoi ? Vous savez à quel point j’aime les olives ! explique-t-elle.
— OK, alors pas la pizzeria du bout de la rue et un supplément olive pour Lou. Autre chose, mesdames ?
— C’est bon ! File et arrête de jouer le parfait gentleman, on sait tous les trois quel genre de briseur de cœur tu es !

Matt abdique et Louisa lui envoie un bisou dans les airs. Ces deux-là sont continuellement en train de se chercher. Je me suis souvent demandé pourquoi ils n’essayaient pas de se mettre ensemble. Sûrement à cause de notre trio infernal vieux comme le monde. Ou peut-être que Lou a tout simplement peur de se retrouver avec le cœur brisé. Au détour d’une conversation, j’essayerai de lui en parler.

Matt parti, ma meilleure amie finit de remplir la dernière étagère tout en fredonnant les airs que diffuse la radio. De mon côté je m’active à mettre les menus sur les tables, déposer les plaids de toutes les couleurs sur les canapés et passer un dernier coup sur mon merveilleux comptoir en chêne couleur miel et son encadrement en fer peint en noir.

Quelques instants plus tard, Matt revient avec notre somptueux repas et nous nous mettons à table dans un silence religieux.

Je les observe tous les deux, dans mon chez-moi. Dans ce café que j’ai mis un temps fou à remettre en état. Ils m’ont tellement aidé. Bon… plus en squattant et en racontant des bêtises qu’en m’aidant à gratter la vieille tapisserie ou à poncer le vieux parquet. Mais ils ont toujours été là pour me remonter le moral quand il était au plus bas, toujours là pour me booster quand je n’avais plus le courage pour les travaux. Nous ne sommes pas du même sang, mais ils sont comme mon frère et ma sœur. Mes deux piliers dans la vie de tous les jours. Ma famille.

Le carillon de l’entrée me sort de ma rêverie. Je me retourne doucement presque heureuse d’avoir mon premier client avant l’heure d’ouverture quand je l’aperçois. Mon sang ne fait qu’un tour dans mon corps.

En un coup d’œil, je sais que la situation est sur le point de m’échapper. Il est là, devant moi, alors que ça fait des semaines que je m’évertue à l’éviter.

Mon ex.

Mon passé.

Mon pire cauchemar.

Chapitre 2

Luce

Cet enfoiré se tient devant nous, un air satisfait collé au visage alors qu’il sait qu’il n’a plus le droit de s’approcher de moi.

Léo et moi sommes sortis ensemble pendant quelques mois, et puis j’ai compris avec le temps que ce n’est pas un homme fait pour moi. Il déteste mes amis, déteste que je puisse travailler et tout ce qui se rapproche d’une quelconque forme d’indépendance. J’ai mis du temps à trouver son étiquette, mais aujourd’hui je sais qu’il n’est ni plus ni moins qu’un pervers narcissique. Quand j’ai mis fin à notre relation, les premières semaines ont été atroces ; il me suivait, m’envoyait des messages et des mails en quantité, mais face à son obstination je n’ai rien lâché. Quand je me suis rendu compte qu’il ne s’arrêterait pas, mes amis ont fini de me convaincre d’aller demander une injonction d’éloignement à la police. Depuis ce jour, plus rien, enfin, jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce moment où ses yeux, toujours autant chargés de colère, s’abattent de nouveau sur moi.

— Lucile, j’aimerais juste pouvoir discuter avec toi quelques instants. Je sais que j’ai merdé et je veux m’excuser… dit-il, d’un ton anormalement doux.

Je me tourne vers mes amis. Louisa est totalement décontenancée par sa présence. Matt, fidèle à lui-même, se tient debout devant moi comme un bouclier vivant, prêt à lui sauter à la gorge.

Des excuses. Il se moque de moi ?

— Écoute Léo, c’est fini. C’est tout. Il n’y a rien à rajouter. Tourne la page, fais autre chose, mais s’il te plaît, fiche-moi la paix.

Je l’observe serrer les mâchoires. Mauvais signe. Louisa trouve alors nécessaire de se racler la gorge et de chuchoter à l’oreille :

— Luce, laisse-le s’expliquer. On ne sait jamais… Quant à toi, dit-elle en le pointant du doigt, une fois les excuses faites, tu dégages ! l’averti mon amie.

Il acquiesce.

Bon… En y réfléchissant, si c’est pour avoir la paix une bonne fois pour toutes, je peux bien perdre cinq minutes à écouter ses balivernes. Je lève alors les yeux au ciel et cède à sa requête.

— OK pour cinq minutes, mais pas plus. Lou, Matt, je compte sur vous pour ranger tout ce bazar, dis-je en balayant de la main toutes les miettes. Et toi, dis-je en regardant l’homme devant moi droit dans les yeux, suis-moi.

Il me suit sans discuter et se rapproche de moi. Un peu trop près. En m’arrêtant devant la porte de la réserve, il se donne le droit de me caresser l’épaule seulement couverte d’une bretelle de débardeur. Mon corps entier frissonne de dégoût pour cet homme. Face à cette réaction, son souffle s’intensifie, se fait court et un son rauque sort de sa bouche.

— Tu vois bébé, tu as toujours envie de moi. Et même si tu essaies de te convaincre du contraire, ton corps, lui, dit carrément autre chose.

Je me retourne comme une furie, le sang pulsant dans mes veines, prête à lui arracher les yeux et lui faire avaler son sourire salace.

— En fait Léo, ma tête et mon corps n’éprouvent que du dégoût pour toi. N’ai-je pas été assez claire quand je t’ai dit que c’était fini et qu’il n’y aurait pas de retour en arrière possible ? Je ne t’aime plus. Je ne t’apprécie plus. Et surtout, surtout, je ne veux plus de toi dans ma vie. Alors tu es prié d’oublier où se trouve mon café, et de passer à quelqu’un d’autre.
— Je ne veux personne d’autre que toi ma jolie Lucile… murmure-t-il tout en portant ses doigts à ma joue, que j’intercepte avant qu’il ne puisse les poser sur ma peau.
— Arrête de m’appeler Lucile. Tu es le seul imbécile qui persiste avec ce prénom. Arrête Léo.
— Qu’est-ce que je dois faire pour que tu comprennes que nous sommes faits l’un pour l’autre ? s’acharne l’homme en face de moi, pensant qu’une chance de se rattraper l’attend.

Je crois qu’il est temps de sortir l’artillerie lourde, parce qu’à ce rythme on dirait que son cerveau ne va pas percuter que je ne veux plus de lui. Pourtant, il a l’air sincère.

Allez du courage, Luce.

Affronte-le et mets un terme définitif à cette ancienne relation toujours autant étouffante.

— Rien. Surtout, ne fais rien. Écoute-moi bien et si tu n’entends pas très bien, regarde mes lèvres articuler ce que je vais te dire. Je vais le dire une fois, pas dix. M’as-tu bien comprise ?

Il avale presque péniblement sa salive et acquiesce.

— C’est fini. Il n’y aura plus de nous. Juste toi d’un côté et moi de l’autre. Je ne veux pas de toi dans ma vie. Et si tu te pointes à nouveau ici, compte sur moi pour appeler les flics et leur dire qu’apparemment la mesure d’éloignement t’est complètement égale et…

Sans avoir le temps de réagir, il m’empoigne le bras et me force à entrer dans la réserve.

— Maintenant, tu vas la fermer ! vocifère-t-il. Tu crois que tu me fais peur avec tes petits discours d’adolescente ? Compte sur moi pour ne jamais te laisser tranquille. Tu es à moi ! À moi !
— Je n’appartiens à personne, Léo ! dis-je plus pour me convaincre moi-même, que l’individu en face de moi.

Il plante son regard bleu acier dans le mien, un sourire mauvais apparaît sur son visage. Léo se penche, ses lèvres près des miennes et y dépose un baiser. De la bile me remonte dans la gorge, mais je reste tétanisée sous l’emprise de cet homme.

Ses mains s’aventurent sur mon corps et je suis incapable du moindre geste. Sa main droite glisse le long de mon cou jusqu’à ma poitrine, pendant que la deuxième malmène mon bras. Je sais trop bien ce dont il est capable, même avec mes amis dans la pièce d’à côté. Je prie de tout mon cœur pour qu’ils sentent que ça tourne au vinaigre.

— Luce ? Ça va ? dit Matt en entrant dans la pièce plongée dans la pénombre.

Merci mon karma !

Léo relève la tête doucement, mais n’a pas le temps de se dérober que Matt l’attrape par le col et lui assène un coup de poing qui fait craquer sa mâchoire. Mon cœur bat à mille à l’heure et je sens le sol se dérober sous mes pieds. Mon corps n’ose plus bouger, mais mon cerveau reprend un peu les commandes et je hurle à Louisa d’appeler les flics.

Léo toise Matt avec une lueur de défi dans les yeux, mais ce dernier se détourne, se dirige vers la sortie, un rictus au coin des lèvres.

— Si tu remets les pieds ici, je t’assure que la prochaine fois je serais bien moins courtois. Dégage connard ! hurle Matt à l’attention de mon ex.

Il se retourne lentement avant de passer la porte, regarde Matt à peine impressionné. À cet instant, un sentiment profond de crainte naît en moi. Léo est imprévisible et totalement incontrôlable.

— On se reverra ma petite Lucile, compte sur moi, dit-il d’un ton laconique.

Matt se met de nouveau entre nous afin de couper le contact visuel et Louisa vient à ma rencontre puis me serre dans ses bras. Le grand gaillard sur le trottoir se frotte les mains, me lance un dernier regard noir, enfourche sa moto et disparaît. Lorsqu’il quitte notre champ de vision, Louisa m’étreint encore plus fort et me demande tout bas :

— Luce ? Ça va mon petit chat ?

Je peine à réaliser ce qui vient de se produire. J’inspire profondément afin de me reconnecter à la réalité et expire pour chasser tout ce qui vient de se passer. Cette ordure ne peut pas me gâcher cette si belle journée. Il ne peut pas ruiner le rêve de ma vie. Je me tourne vers mes amis, plaque un faux sourire sur mon visage et prends sur moi pour ne pas montrer mon trouble.

— C’est moi ou j’ai vraiment la poisse avec les mecs ? J’ai l’impression de toujours attirer les cons, dis-je légère pour ne pas les inquiéter.
— Sauf moi ! affirme fièrement Matt.
— Toi c’est différent Matt, tu es mon meilleur ami. Tu es donc le meilleur de tous les hommes. Merci d’être intervenu. Vous êtes mes anges gardiens.
— Les amis sont faits pour veiller les uns sur les autres, me chuchote ce dernier à l’oreille.
— N’empêche, moi je connais un super auteur, qui, je suis certaine, est un véritable gentleman. À l’occasion, fais-moi penser de te le présenter, lance Louisa avec un clin d’œil appuyé.

J’acquiesce et pouffe comme une ado. Je regarde l’heure et, oh, mon Dieu ! il reste si peu de temps avant l’ouverture.

— Bon, les gars, vu l’heure, faut vraiment qu’on s’active.
— Oui cheffe ! disent-ils en chœur tout en s’affairant.

Dans une demi-heure, je vais ouvrir la page d’un nouveau chapitre. Et je suis excitée comme une puce malgré la petite ombre au tableau de tout à l’heure.

Après m’être changée dans mon appartement à l’étage, je redescends et ma surprise est immense.

Au moins une trentaine de personnes est là pour l’ouverture de mon petit nid douillet.

Après avoir donné les consignes de service et expliqué à Louisa comment fonctionne la caisse, j’ouvre la grande porte vitrée, accueille et remercie chaque client d’être venu. Je jubile d’avoir réussi ce premier pari. Le monde afflue et chaque client semble ravi. Vers dix-neuf heures, mon café se vide. Je suis épuisée par cet après-midi à courir partout et tout ce stress qui, enfin, redescend. En entrant dans la réserve pour mettre une machine de nappes à laver, je surprends Louisa en grande conversation au téléphone. Waouh elle a l’air sacrément furax. Sûrement un prétendant qui annule au dernier moment. Elle raccroche et pousse un long soupir.

— Ça va ? demandai-je à Louisa.
— Non. Encore un de ces auteurs à qui on a fait une avance pour son prochain roman et qui n’est pas foutu d’écrire une ligne. Les mecs sont payés des milliers de livres sterling pour écrire et ils ne sont pas foutus de faire leur job ! râle-t-elle. Sauf que, putain, derrière je dois arrondir les angles.
— Ah oui… en effet. Allez, sois indulgente. Ça peut arriver, la panne d’inspiration.
— Oui, et bien il a intérêt de se trouver une muse qui joue de ses charmes pour lui redonner l’inspiration ! C’est moi qui te le dis.
— Tu pourrais peut-être te porter volontaire, fais-je avec un clin d’œil.
— Non merci. Canon, mais pas du tout mon style.
— Canon, mais pas ton style ? Depuis quand, toi, tu as un style ? Et puis d’ailleurs, c’est quoi ton style ?
— Mais si ! J’ai toujours préféré les mecs style surfeur. Bien bâti.
— Ouais… Comme Matt, quoi… lâché-je naturellement.

Oulala. Mais quelle mouche m’a piquée pour lancer le sujet comme ça, moi, de but en blanc. Louisa me fixe un peu déconfite, comme si je l’avais pris la main dans le sac. Mais elle hoche mollement la tête et vu le sourire en coin dont elle se pare, je pense que je ne suis pas loin de la vérité.

— J’ai donc vu juste ? dis-je au bord de l’hystérie.
— T’emballe pas Luce ! Mais… Plus on vieillit et plus… il m’attire, confie-t-elle en détournant le regard, gênée.
— Eh ! Ne sois pas gênée. Moi, je trouve ça génial ! D’ailleurs pas plus tard que ce matin j’y pensais et je me disais que vous seriez parfaits ensemble.
— Mais on ne peut pas.
— Et pourquoi ça ? je lui demande un peu agacée.

Elle me répond du tac au tac :

— Notre amitié, tu y penses ? Tu te vois toi tenir la chandelle ?
— Ce n’est qu’un détail ça Lou. Si vous devez être heureux ensemble c’est tout ce qui compte. Je finirais bien par ne plus être un cœur à prendre.
— Mouais. De toute façon, je doute que ce soit réciproque du côté de Matt.

Son téléphone sonne et je devine à son regard qu’elle hésite à répondre. Sûrement son patron ou encore un auteur en mal d’inspiration. Elle me fait signe de ne pas faire de bruit.

— Louisa Miller, j’écoute… Oui, rebonsoir M. Lange, bien sûr que non, vous ne me dérangez pas. Désolé pour tout à l’heure si j’ai été un peu virulente…

Je lui mime un violoniste, et elle se retient de rire. Je quitte la pièce pour lui laisser l’espace nécessaire pour son appel. M. Lange… Il me semble que Louisa m’a déjà parlé de cet auteur à l’ego surdimensionné. Après avoir lu tous ses livres et les avoir tous adorés, je serais curieuse de voir à quoi ressemble cet homme qu’elle caractérise de « pas son style ».

Je rejoins l’avant du café pour finir de mettre tout en ordre pour le lendemain matin et découvre un texto de Matt disant qu’il a dû partir rapidement pour un dépannage et qu’il reviendra dans la semaine.

Louisa me rejoint quelques instants plus tard, ramasse ses affaires et s’avance vers moi d’un pas bien décidé. Son assurance à cet instant précis me fait presque peur. Qu’est-ce qu’elle va encore m’annoncer ?

— Luce… je pense que tu risques de me détester… débute-t-elle.
— Ah ? Je suis curieuse de savoir pourquoi… dis-je moqueuse.

Je rigole, mais je me demande ce qui va encore me tomber sur la tête. Alors que j’essaie d’imaginer ce qu’elle va bien pouvoir m’annoncer, elle démarre avec sa petite voix mielleuse :

— Tu sais… l’auteur que j’avais au téléphone tout à l’heure…
— Celui en panne d’inspiration ? Oui, je vois très bien, dis-je indifférente.

Elle respire un grand coup et se lance.

— Il va venir pendant deux mois t’aider. Ici. Je ne sais pas ce qui m’a pris de…
— Pardon ?! Attends, je ne le connais même pas. Et je viens juste d’ouvrir, je ne peux pas embaucher quelqu’un ! Et puis à quoi ça lui servirait de travailler dans un café à faire le service et la plonge ?
— Il m’a dit avoir besoin de faire autre chose. Que tant que son esprit est focalisé sur son futur livre, il n’y arriverait pas. Du coup, prise dans mon élan de colère envers lui et pensant qu’il rigolait, je lui ai dit que j’avais une amie qui venait de créer son entreprise et qu’elle avait sûrement besoin de mains pour faire la plonge.

Pincez-moi ! Dites-moi que c’est un rêve. Je la laisse parler, pensant que je vais bien finir par me réveiller, jusqu’à ce que la conclusion tombe.

— Donc, il a accepté. Prétendant que ça lui ferait du bien. Il arrive dans deux semaines. Il m’a demandé tes coordonnées mail afin de communiquer avec toi avant son arrivée.
— Dis-moi, à quel moment tu me demandes mon avis ? dis-je un peu agacée.
— Oh allez… Lucile… Pour ta vieille amie qui a vraiment, vraiment besoin que tu lui rendes ce service, supplie-t-elle.
— Tu sais que tu abuses quand même ? hurlé-je à moitié en soufflant.

Je lui tourne le dos pour la faire poireauter et pour réfléchir une demie seconde à sa proposition.

— Mais… OK. C’est bien parce que c’est toi. Mais retiens bien que tu me revaudras ça Miller !
— Oh merci tu es la meilleure ! dit-elle en me sautant dans les bras. Allez. Maintenant, il faut que je file. J’ai des manuscrits en retard et trop de travail. Mais on se revoit super vite, ma BFF !

Sur ces belles paroles, elle me prend dans ses bras, me murmure un gentil « merci » à l’oreille et me claque une bise. Elle attrape son manteau, l’enfile et se dirige vers la sortie quand soudain, une question de la plus haute importance me vient en tête.

— Louisa ! Attends. Tu m’as dit qu’il compte rester combien de temps ici ?

Elle me regarde de son air malicieux, franchit la porte, laisse passer sa tête dans l’entrebâillement et glisse un simple « au moins deux mois ».

— QUOI ? Louisa revient tout de suite ! Ce n’est pas possible ! Louisa ! MILLER !

Elle rigole et disparaît aussi sec. Quelle traîtresse ! Vous parlez vous d’une meilleure amie. D’ici deux semaines, je vais devoir partager mon quotidien avec un inconnu. Il va avoir intérêt à vite retrouver l’inspiration, ce Monsieur Lange.

J’éteins les lumières de mon nouveau bébé, ferme tout à clé et prends le chemin de mon appartement. J’y suis en moins de deux minutes ; tel est l’avantage d’habiter juste au-dessus de son lieu de travail. En arrivant chez moi, je me mets à l’aise, adieu gros pull gris et slim noir, au revoir les vans. J’enfile ma combinaison panda et m’affale dans mon canapé. Je me commande un repas chez le japonais du coin de la rue et dix minutes plus tard je peux enfin manger et me détendre. La sonnerie de notification de mes mails retentit, j’attrape mon téléphone et lis à plusieurs reprises le message sous mes yeux, avant que mon cerveau ne percute réellement. Apparemment, ce n’était pas une mauvaise blague.

« Bonsoir,

Je me présenterais à votre café le 28 octobre.

Cordialement.

Monsieur Lange. »

Au moins, ça ne peut pas être plus clair. Des millions de questions se bousculent dans ma tête. Qu’est-ce que je vais pouvoir faire de lui ici ? Un auteur… Et s’il a toujours la tête ailleurs ? D’ailleurs, c’est possible de faire récurer des plats et les toilettes à un homme aussi célèbre que lui ? Je sens que cette histoire va être un joyeux bordel, surtout avec le retour soudain de Léo dans l’équation !

Je soupire et me laisse aller dans mon canapé, prête à sombrer dans le sommeil après cette interminable journée.

Chapitre 3

Hugo

Je relis une dernière fois le mail que je prévois d’envoyer à cette fameuse Luce – quel prénom original quand j’y pense – que mon éditrice m’a recommandé pour deux mois off. Me recentrer sur une vie ordinaire, sur le quotidien. J’ai grand espoir que cela me permettra de retrouver l’inspiration pour écrire ce fichu roman que tout le monde attend avec, apparemment, beaucoup trop d’impatience. Louisa, mon éditrice, a beau être canon, elle n’en reste pas moins un tyran quand il s’agit de travail. Et à bien y réfléchir, je pourrais parier qu’elle est aussi un bourreau dans la vie de tous les jours.

J’appuie enfin sur « envoyer ». Voilà, impossible de faire marche arrière. Dans quelques jours, je serais dans l’ouest de l’Angleterre, perdu dans la campagne avec une nana que je ne connais même pas.

Il ne me reste plus qu’à trouver des vêtements adéquats pour la vie rurale, et dieu sait que je déteste le shopping, mais je doute que me pointer en costume trois pièces soit idéal pour ce genre d’endroit, même si Louisa m’a dit je cite : « Aider une amie dans le café littéraire qu’elle vient d’ouvrir proche de la campagne ». Bon, peut-être que proche de la campagne ne veut pas forcément dire à la ferme. J’appelle Sam pour nous organiser une dernière soirée avant mon départ, il répond au bout de deux sonneries.

— Salut mon pote ! Alors tu as retrouvé l’inspiration ? lance Sam du tac au tac.
— Salut à toi l’ami et non pas encore, mais j’ai peut-être une destination surprenante qui va pouvoir m’aider.
— Surprenante ? Vas y raconte, c’est quoi encore cette histoire ?
— Mon éditrice m’a conseillé de faire un break et m’a proposé d’aller aider une de ses amies qui vient d’ouvrir un café littéraire…
— Attends quoi ? me coupe-t-il. Eh bah mon cochon, tu peux dire que tu es encore une fois bien chouchouté par cette bonne vieille Louisa… Et avec de la chance, l’amie en question sera canon et tu pourras allier travail, plaisir et inspiration. Si tu veux mon avis…
— Je n’ai pas spécialement besoin de ton avis vieux pervers ! dis-je pour le stopper avant qu’il n’aille trop loin avec son enthousiasme. Je n’y vais pas pour draguer. Apparemment, cette nana a vraiment besoin d’aide… Alors si en retour je trouve un peu d’inspiration, pourquoi pas. Mais, je ne dis pas non à plus si affinité… dis-je le sourire aux lèvres.

Il rigole nerveusement à ma dernière phrase, puis bâille à travers le combiné du téléphone.

— Et donc tu quittes notre beau vieux Londres pour aller où ?
— Dans l’ouest du pays.

J’attends qu’il se moque de moi, qu’il rigole haut et fort, mais plus aucun bruit ne me vient du combiné.

— Allo ? Sam ?

Et cet idiot se met à hurler de rire. Beh oui, vas-y, moque-toi de moi… Ce n’est pas comme si je n’étais pas déjà assez stressé de partir là-bas sans rien savoir de ma destination. Louisa m’a expliqué quelques heures plus tôt au téléphone qu’il me suffisait juste de prendre un avion au départ de Londres et d’atterrir à Liverpool. Elle viendra me chercher en personne et me conduira directement chez son amie. J’ai juste espoir de ne pas être trop loin de la ville. Pitié, faites qu’elle ne m’emmène pas dans la cambrousse.

— L’ouest, genre Bristol ou encore plus pourri que ça ? se moque mon ami, ne pouvant s’empêcher de rigoler.
— Genre pourri comme un peu plus au nord. Je dois atterrir à Liverpool, je baragouine dans ma barbe.
— Mais tu n’es pas sérieux mec ! Ce n’est pas vers là-bas que tu habitais et que tu as eu toutes tes emmerdes ? demande-t-il innocemment alors qu’il sait très bien. Putain si ça se trouve…
— Ne recommence pas avec ça ! je le coupe. En plus, je n’y pensais même pas. Et puis je doute qu’après autant d’années l’emmerde en question soit encore dans la région et si tel est le cas, la chance pour que je croise cette personne est infime.

Sam soupire lascivement dans le combiné. Après un petit blanc, il reprend finalement.

— Passons. Donc, je suppose que si tu m’appelles c’est pour qu’on se fasse une dernière soirée avant ton grand départ chez les bouseux ?
— Enfin ! Tu as tout compris sans que je parle pendant des heures ! Quand ? Où ? Quelle heure ?
— On se dit vendredi prochain. Je viendrais te chercher vers 20 h et après tu n’auras qu’à te laisser porter.
— Sam, je déteste les surprises, surtout les tiennes en fait !
— Fais-moi confiance, mon pote ! Allez, y en a qui ont un vrai boulot ! À plus !
— C’est ça… À plus.

Je m’affale dans le canapé en poussant un long soupir. Pourquoi il a fallu qu’il me mette cette idée en tête ? Pourquoi est-ce qu’il m’a parlé de mon passé ?

Par réflexe, j’attrape mon ordinateur, lance le moteur de recherche et tape le nom de la ville qui m’a accueilli pendant des années. Le doigt en suspens au-dessus de la touche entrée, je réfléchis deux secondes. Est-ce une bonne idée de me replonger dans ces souvenirs alors que j’ai tout fait pour laisser tout ça derrière moi ? En dix ans bien sûr que ça m’a déjà traversé l’esprit de reprendre contact avec ces personnes que je devais tenir à distance, j’en ai souvent eu envie, mais j’ai préféré ne pas regarder en arrière et avancer.

Exaspéré par mes réflexions et les battements de mon cœur, je referme l’ordinateur et décide d’aller me coucher sans me polluer l’esprit par les fantômes du passé.

*

La semaine passe beaucoup plus vite que je ne l’aurais cru. Ma dernière soirée avec Sam aussi. À 20 h, il vient me chercher comme prévu et m’emmène dîner dans un burger shop. Notre QG spécial soirée mecs. Un endroit douillet où l’alcool coule à flots, où la nourriture est juste dingue et accessoirement « the place to be » pour les rencontres sans lendemain.

Samuel commande des bières, et quand la serveuse revient avec notre commande il trinque avec moi.

— Allez mon vieux. Ne fais pas cette tête ! Skoll ! Ça va être génial ta petite balade dans la pampa.
— Vas-y, continue de te moquer ! dis-je sur la défensive.
— Mais même pas ! Je pense même venir quelques jours par-là bas. Histoire de surfer un peu sur la côte, draguer quelques spécimens et venir voir comment avance ton roman, lâche-t-il avec un clin d’œil appuyé.
— Tu peux te gratter ! Tu n’en liras pas une ligne avant la parution !
— Pfff tu parles ! Je suis le premier que t’appelles quand tu n’as plus d’idée. Il s’arrête net et fixe son regard derrière moi. Oulala, gazelles à trois heures.

Je me retourne discrètement ne sachant pas à quoi m’attendre. Puis mes yeux se posent sur deux jeunes femmes très élégantes. L’une blonde, l’air d’être très mal à l’aise dans sa tenue et son amie, rousse, provocatrice dans sa robe noire moulante et ses cuissardes. Je soupire d’exaspération. Sam en face de moi me dévisage ahuri par mon indifférence.

— Tu ne vas pas me dire que l’une ou l’autre ne te convient pas quand même ?

Je fais non de la tête en buvant une nouvelle gorgée de ma bière bien fraîche.

— Hugo, qu’est-ce que t’as ? C’est une des rares fois où je te vois aussi bizarre ? T’es stressé de partir ? questionne Sam inquiet.
— Mais non couillon ! Je n’ai juste pas envie de m’amuser ce soir. On n’est pas bien là tous les deux entre mecs ?
— Bon OK, tu as gagné, ce soir on reste entre potes. On peut aussi s’organiser une soirée pyjama avec cette connerie de Bridget Jones si ça te dit ?

On se jauge deux secondes avant d’exploser de rire à l’unisson, quand les deux filles du bar arrivent à notre table en roulant des hanches.

— Bonsoir, dit la rousse, on peut se joindre à vous ?

Sam la dévisage un instant puis m’observe afin d’avoir mon approbation. Je hausse les épaules avec indifférence et reporte mon attention sur ma boisson. Mon meilleur ami adore la compagnie des femmes, et même s’il n’est pas très porté sur le sexe opposé, ce soir ne déroge pas à la règle. Ce qui n’est pas du tout mon cas. Sam les invite donc à s’asseoir avec nous pensant me faire plaisir. La rousse dont je n’ai pas écouté le prénom jette son dévolu sur mon ami. La blonde qui n’a toujours pas ouvert la bouche reste en retrait à côté de moi. Les minutes puis les deux heures qui défilent sont d’une longueur à mourir.

Je décide de mettre fin à ce cinéma et fais signe à Sam qui est en pleine discussion avec sa nouvelle amie, que je m’en vais. Il vient me faire une accolade et me souhaite bonne chance pour ma prochaine aventure. Je m’excuse auprès des deux femmes et file enfin vers la sortie.

Dehors la nuit est fraîche et humide. Mi-octobre est tellement agréable à Londres. Je marche de longues minutes pour retrouver ma maison située dans un quartier chic de Mayfair. En arrivant, je ne me couche pas tout de suite, me sers une nouvelle bière et vérifie une dernière fois – la cinquième fois – que je n’ai rien oublié. Après avoir zoné une heure sur les réseaux sociaux sans but précis, il est enfin temps de dormir et d’essayer de ne pas penser aux visages qui me hantent depuis quelques jours.

*

Après un vol d’une heure dans un avion remplit de bébés qui ne faisaient que pleurer, nous atterrissons et j’aperçois enfin ma chère éditrice dans le hall. Toujours aussi canon Mademoiselle Miller. Elle ne m’a pas encore vu, mais j’ai le temps de la détailler de haut en bas ; malgré le mois d’octobre bien avancé, elle porte un petit chemisier rose ou peut-être vieux rose, une jupe cintrée à la taille. Waouh ça met sacrément bien ses formes en valeur. Alors que je la mate ouvertement, elle lève enfin les yeux de son téléphone et je me fais littéralement griller. Pris en faute, je baisse les yeux rapidement, mais en les relevant elle me regarde avec un sourire moqueur.

— Lange ! Quand vous aurez fini de mater la marchandise peut-être qu’on pourra aller travailler ? crie-t-elle par-dessus le brouhaha.

Certains voyageurs se retournent pour me regarder avec étonnement. Et puis je me rends compte qu’elle vient de crier mon nom d’auteur dans le terminal d’un aéroport blindé de monde. Je me presse d’aller à sa rencontre.

— Non, mais ça ne va pas de crier mon nom comme ça ? Et si quelqu’un se rendait compte ou faisait un quelconque rapprochement avec mon nom d’auteur ? je lui dis à toute allure.
— Du calme l’artiste ! Étant donné que vous refusez de faire des dédicaces et de mettre votre portrait sur les couvertures de vos livres, personne ne sait à quoi vous pouvez bien ressembler. Et puis quelle est la probabilité pour que…
— OK. OK. J’ai compris. Du calme. Je vous rappelle que vous bossez pour moi donc un peu de respect…
— Je bosse pour vous ? demande-t-elle, un sourire au coin et les bras croisés sur sa poitrine. Euuh, ce n’est pas plutôt le contraire ? Je vous signale que c’est grâce à moi que votre premier livre a été publié et vendu à des milliers d’exemplaires. Alors qui bosse vraiment pour qui ? rajoute mon éditrice en jouant des sourcils, ce qui me fait instantanément sourire.

OK, Louisa a raison. Elle a vraiment un putain de caractère et je sens qu’elle va m’en faire voir de toutes les couleurs… Je lève les yeux au ciel et prends conscience que j’ai peut-être fait une connerie en venant ici…

Elle attrape ma valise et tourne les talons en direction de la sortie. Alors qu’elle avance d’un pas décidé je l’observe partir, puis elle se retourne et cri bien assez fort pour que tout le monde entende :

— Bon vous venez ou il faut que je vous porte ? dit-elle hilare.

Presque tous nos échanges se font par mail et téléphone, alors c’est vraiment un plaisir de la retrouver et de pouvoir de nouveau travailler avec elle en chair et en os. Je sens que ce séjour va être explosif.

Je lui grommelle que j’arrive et lui emboîte le pas.

Arrivés dans le parking, je la suis jusqu’à ce qu’elle s’arrête devant une ridicule petite Fiat 500. Pendant une fraction de seconde, je crois qu’elle me fait marcher, mais lorsqu’elle actionne sa clé pour ouvrir la voiture, je me rends compte qu’elle ne bluffait pas du tout. Donc, moi, un mètre quatre-vingt-cinq, je vais devoir me contorsionner pour entrer dans sa boîte de conserve. Pas du tout perturbée par cette éventualité, elle balance ma valise dans le coffre puis s’installe derrière le volant. Je l’imite en essayant une première fois de rentrer. Je me cogne la tête, du coin de l’œil, je la vois pouffer de rire en silence. Je tente une deuxième fois et arrive enfin à m’installer tout en me cognant le crâne au plafond de l’habitacle.

— Vous voulez peut-être que j’ouvre le toit ? lance-t-elle avec compassion et une pointe d’hilarité.
— Louisa, vous croyez que j’ai l’air d’un caniche royal qui adore faire dépasser sa tête de la vitre quand la voiture roule ?
— Désolée c’était trop tentant… Mais j’avoue que l’image du caniche avec la langue pendante dans le vent est sympathique, conclut-elle en démarrant.
— Vous avez fini de vous moquer de moi ? dis-je alors qu’elle rigole à nouveau dans sa barbe.
— Oui… Allons-y avant que Luce ne s’impatiente.
— S’impatiente ? m’inquiété-je.
— Oui, vous allez voir, mon amie a tendance à être hyper stressée, très organisée, mais stressée. Ah et souvent tête en l’air. Mais ça n’enlève rien à son charme. Vous verrez, belle blonde, sportive, gentille, douce…

Je décide de la couper avant d’en entendre trop sur le compte de cette certaine Luce.

— Louisa, ne perdez pas votre temps à me vendre les qualités de votre amie, vous savez aussi bien que moi que je ne suis pas ici pour ça.
— Ça, quoi ? s’indigne-t-elle. Trouver l’amour ? Avoir une aventure ? Trouver l’inspiration ? Bien que ça m’ennuie de vous laisser avec ma meilleure amie, chez elle, près d’elle, je suis intimement persuadée que vous allez super bien vous entendre.
— Mmm. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs, vous voulez bien ?
— Allez ! bouclez votre ceinture, on y va. On devrait être là-bas dans une petite heure.
— Ai-je enfin le droit de connaître notre destination ?
— Oldham, dit-elle fermement.

Je tourne la tête rapidement vers elle. Ce n’est pas possible, j’ai rêvé, elle n’a pas dit ce que je pense qu’elle a dit. Ce n’est juste pas possible. Cette ville est celle de mon enfance, celle de mon passé et de mes désastres. Si j’avais su que c’était là-bas qu’elle comptait m’envoyer, ça aurait été non. Des millions de questions me passent par la tête. Et si ceux que j’ai laissés derrière moi étaient encore là-bas ? Et si je les croisais ? Non, ce n’est pas possible. Et pourquoi atterrir à Liverpool ?

— Pourquoi ne pas m’avoir fait venir à Manchester ?
— Parce que j’étais à Liverpool. Un problème ?

Je réponds par la négative d’un signe de tête et nous nous insérons facilement dans la circulation.

Plus les paysages défilent et plus je suis bien contraint d’admettre que nous nous dirigeons vers des souvenirs que j’aurais préféré oublier. Jamais je n’aurais cru que ça aurait pu arriver. Mon téléphone bipe, c’est un message de Sam. Putain il ne va jamais me croire. Je me passe nerveusement la main dans les cheveux. Mon éditrice me regarde du coin de l’œil à plusieurs reprises.

— Regardez la route s’il vous plaît, Louisa, j’aimerais arriver entier… Les accidents de voiture, très peu pour moi…
— Je sais… dit-elle avec une certaine compassion dans la voix. Mais, ne soyez pas grincheux, Hugo. Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Rien qui vous concerne, déclaré-je afin de couper court à cette conversation que je ne désire pas mener.

Mon téléphone se met à sonner au moment où elle s’apprête à rajouter quelque chose. Sam.

— Salut le voyageur !
— Salut, lui réponds-je fermement.
— Tu as fait bon voyage ?
— Ouais.

Silence au bout du fil. Il me connaît trop bien pour laisser passer mon ton dur et maussade.

— Oula ! Toi tu es avec la ravissante Louisa et t’oses pas parler, se fout-il de moi. À moins ! À moins que tu sois déjà bien trop occupé avec ta nouvelle patronne.
— Mais tais-toi… Tu m’exaspères Sam j’te jure. On est sur la route pour rejoindre la fameuse destination mystère. Enfin, plus si mystérieuse… je grommelle pour moi-même.
— Ah ? Alors tu sais où tu vas ? Allez, dis-moi que tu vas en bord de mer que je puisse te rejoindre ! Même si ce n’est pas la saison, tu pourras peut-être voir des…
— Oldham, le coupé-je en marquant un temps de pause, histoire de dramatiser un peu plus la situation. Mon point de chute est dans la ville d’Oldham.

Le dire à voix haute rend les choses un peu trop concrètes, et mon excitation tout comme mon stress montent en flèche. Le petit silence qui s’installe me prouve que je ne suis pas le seul en pleine réflexion et Louisa me regarde du coin de l’œil.

— Bon… Écoute, ne te prends pas la tête Hugo… Quelle est la probabilité pour qu’ils soient encore là-bas ? Aucune, si tu veux mon avis, dit Sam pour essayer de me rassurer. Ils ont forcément avancé dans leur vie et… elle doit être quelque part au bout du monde. En 10 ans, je doute qu’elle soit toujours dans ce trou paumé…

Il marque un temps de pause, soupire et une forme d’agacement monte en moi. Il a sûrement raison. Les chances de la croiser sont infiniment minces.

— Quelles sont les chances pour tu sois envoyé spécifiquement là-bas alors que tu as fui il y a quoi… Dix ans ? Franchement, même pour l’avocat que je suis, là j’ai du mal à croire à la mauvaise chance… Peut-être qu’elle a fait une incantation pour réussir à te faire venir, ajoute-t-il en se marrant. Ou alors c’est un sacré signe de Mayze…
— Samuel c’est bon. N’en rajoute pas, mon seuil de tolérance arrive à sa limite. Bon, je dois te laisser, on est en voiture et ça ne capte pas des masses par ici, je déclare pour couper court à cet appel qui me fait plus de mal que de bien.
— OK. Je te soutiens par la pensée ! Appelle quand tu veux.
— Merci ! À plus !

Je raccroche avant qu’il ait autre chose à ajouter concernant Louisa, le lieu vers lequel je me dirige, celle qui hante mes pensées ou celle que j’ai perdue il y a longtemps.

Un peu plus d’une heure de trajet et nous voilà presque arrivés. J’entends Louisa pester presque silencieusement contre les bouchons qui nous accueillent. Je me redresse et décide de passer la ville au peigne fin. Je capte tous les visages comme pour y croiser son regard. Pour me rappeler les bons souvenirs. Mais en dix années, Oldham a tellement changé. On dirait qu’il y a beaucoup plus de commerces et beaucoup plus de bouchons aussi. Une chose qui est toujours intacte, le sourire des gens. À travers la fenêtre, je les observe tenir des discussions animées, se faire la bise et parler fort. C’est quand même super bon d’être ici malgré les fantômes du passé.

— Putain ! Mais tu vas l’avancer ta bagnole ! beugle tout à coup ma conductrice.

Je me retourne d’un coup vers Louisa, aussi surpris qu’elle par les mots qui viennent de sortir de sa bouche. Puis elle me lance un regard de biais en ajoutant le plus simplement au monde :

— Ma voiture, mes règles. Je parle donc comme je veux. Elle sourit et ajoute, mais je m’excuse quand même de mon vocabulaire si peu adapté alors que vous êtes mon client.
— Ça va, ne vous formalisez pas. Moi aussi je déteste les embouteillages et les ramollos en voiture !

Elle expire d’un coup, comme si ce que je pense pouvait avoir une quelconque importance, même si, elle l’a bien souligné, je suis son client.

— Ne vous inquiétez pas, nous y sommes dans deux minutes. Enfin, si la voiture de devant se décide à avancer bien évidemment, dit-elle avec un sourire crispé par l’agacement.

Deux rues plus loin, nous voilà enfin garés, sortis de cet enfer de voiture miniature. Ma valise, mon futur roman et moi sommes enfin prêts à tenter une nouvelle aventure.

Après deux minutes de marche, nous voilà devant le Charlie&Co. D’extérieur, la devanture bleu marine est très belle, et lorsque je regarde à travers les vitrines j’aperçois des bibliothèques remplies de livres. À défaut de trouver l’inspiration, je pourrai lire autant que je veux. Enfin, tout est relatif puisque je suis là aussi pour aider la gérante, donc on repassera pour la lecture compulsive.

J’aperçois une bande de six jeunes installés dans de grands canapés qui, à vue d’œil, ont l’air vraiment très confortables. Avant d’entrer et de suivre Louisa à l’intérieur, je m’arrête sur le pas de la porte et imagine avec délice l’odeur qui doit régner à l’intérieur. Ce doux mélange de café et de vieux livres. Je crois que Louisa m’a trouvé le meilleur endroit du monde.

— Hugo ? Eh oh ? Vous avez fini de rêvasser ? dit-elle en claquant des doigts devant mon visage pour que je revienne à elle. Suivez-moi à l’intérieur, installez-vous et moi je m’occupe de trouver Luce pour vous la présenter.
— Encore deux minutes…
— Deux minutes pour quoi ? Vous les pelez dehors ?
— Louisa, cessez d’être speed. Je veux juste rester encore deux minutes devant pour m’imprégner.
— OK, me coupe-t-elle. Alors ce qu’on va faire c’est que moi je rentre au chaud et quand vous serez prêt vous me rejoindrez.
— Faisons ça.

Elle entre d’un pas décidé, me prenant probablement pour un grand perché en pleine contemplation. Peu importe. Le son d’une clochette retentit. J’ai l’impression d’être sur la terrasse de mes parents. Des carillons dans tous les sens, bercés par le vent. Au moins si j’ai le mal du pays, j’aurais ça pour me ramener un peu chez moi.

Après une dernière grosse et grande inspiration, je me décide enfin à pousser la porte. C’est parti pour deux mois loin de chez moi. Deux mois à faire autre chose que ruminer et procrastiner devant mon ordinateur. Et même si cela ne m’enchante pas des masses d’être dans cette ville, face à une page de mon passé, je suis certain de passer un excellent moment ici.

En pénétrant dans la salle, la première chose que je remarque c’est cette délicieuse odeur de gâteaux. Putain que ça sent bon les petits gâteaux de Noël aux épices ! Mes yeux cherchent d’où provient cet exquis effluve, et s’arrêtent sur le comptoir sur lequel se trouvent des dizaines de pâtisseries différentes. Mon Dieu ! Je vais finir obèse ou diabétique ! Cette Luce a un talent caché qui me plaît déjà.

Mes yeux s’attardent ensuite sur le mobilier et surtout sur cette bibliothèque à ma droite. Je m’approche et remarque que rien n’est organisé. Tout est rangé au hasard sans suivre de réel classement.

Mais qui fait ça, sérieusement !

Voilà une mission que je m’attribue : ranger ce bordel. Au moment où je m’apprête à détourner le regard, je l’aperçois, tout en bas de l’étagère. Mon premier roman. Une joie s’empare de moi, et je me demande aussitôt si cette Luce l’a lu et si oui, ce qu’elle en a pensé. Avec un peu de chance, peut-être qu’elle voudra me partager ce qu’elle attend du prochain.

La salle est belle, la lumière qui y baigne est douce pour une mi-octobre. Je repère immédiatement Louisa qui est au téléphone, m’approche d’elle et lui demande où est Luce et ce que je peux faire.

— Elle est derrière, dans la réserve. Allez-y, je l’ai prévenue que vous étiez là, chuchote-t-elle par-dessus son téléphone.
— Merci.

Je me dirige vers la réserve qu’elle m’a indiquée par plusieurs gestes approximatifs. Mon premier essai n’est pas fructueux : j’atterris aux toilettes. Au deuxième essai, j’arrive dans une pièce sombre dans laquelle bon nombre d’étagères trônent. Je me laisse surprendre par un petit cri étouffé.

— Putain de bordel de chiotte de crotte de merde, entends-je.

Même si elle lui ressemble pas mal, je viens de quitter Louisa dans la salle, donc la seule possibilité, c’est que cette voix soit celle de ladite Luce. Je suis mal si cette nana parle comme un camionneur. Je m’approche sans faire de bruit afin d’observer la personne à qui je vais avoir à faire.

— Vous allez bien ? Je suis désolé, je ne voulais pas vous effrayer, je lui dis à la hâte.
— Putain ! Mais vous êtes con ou quoi, pour ne pas vous annoncer en entrant dans une pièce ? dit-elle énervéeet toujours le crâne entre les mains.
— Luce, je suis vraiment désolé. Ça va votre tête ?
— C’est bon, ça va ! Reculez, laissez-moi respirer cinq minutes, demande-t-elle plus calme.
— Vous êtes sûre ?
— Reculez, Monsieur Lange. Ça va, je vous dis, insiste-t-elle.

Je m’exécute, faisant deux pas en arrière. Après ce qui me semble une éternité, elle se redresse, lâche sa tête et relève enfin le nez.

Et quand le visage de cette femme m’apparaît enfin, mon cœur manque littéralement de lâcher. Je n’ose plus bouger, plus rien dire, j’ai la bouche sèche et l’estomac dans les talons.

Elle s’approche de moi, plisse ses paupières et ses yeux se transforment très rapidement en deux billes bien rondes.

Je n’en crois pas mes yeux. Elle est devant moi. En chair et en os. Et le seul réflexe que je parviens à faire c’est de prendre mes jambes à mon cou et faire demi-tour.

— Je… Euh… Hugo ? s’étonne-t-elle sous le choc.

Merde. Elle m’a reconnue. Putain, elle m’a reconnue !

J’hésite deux secondes, puis me retourne, conscient que la lumière qui passe sur mon visage peut lui confirmer ma véritable identité. Elle se rapproche lentement et se plante face à moi, l’air grave.

— Mais qu’est-ce que tu fous là ? demande-t-elle paniquée.
— Je te retourne la question. Je cherche une certaine Luce.
— Luce, Lucile. Ça ne fait pas tilt dans ton esprit ? Et pourquoi tu me cherches ? Je te demande ce que tu fiches dans mon café !
— Ah… je crois qu’il y a un malentendu… Louisa ne m’avait pas…
— Attends ! Quoi ? Tu connais Louisa ? s’énerve-t-elle encore plus.

J’opine d’un mouvement de tête et elle réalise enfin où je veux en venir.

— Ne me dis pas que tu es l’auteur presque connu qu’elle m’a mis dans les pattes ?
— J’ai bien peur que si. Et je ne suis pas presque, je suis connu, je rétorque vexé qu’elle remette en question ma notoriété.
— Si tu le dis, répond-elle exaspérée. Je ne veux pas de toi ici, reprends tes affaires et repars d’où tu viens ! crache-t-elle.

Elle me contourne et sort de la pièce tout en me laissant planté comme un con dans l’entrée de la réserve.

Mon seul réflexe est d’envoyer un message à Sam pour lui faire état de la situation.

« Je suis en enfer pour deux mois ou plus avec celle dont on ne prononce pas le nom. »

Chapitre 4

Luce

Non, mais dites-moi que je rêve. Pincez-moi, s’il vous plaît. Il ne peut pas être là, devant moi. Ça ne peut pas être lui l’auteur, c’est impossible ! Je n’arrive ni à l’envisager ni à y croire. En aucun cas, je ne pourrais accepter ni même tolérer sa présence des semaines ici. C’est une blague que la vie me fait ou quoi ? Et aujourd’hui en plus, veille de mon anniversaire !

Ma conscience me chuchote que, quelle que soit la date, on reste en colère contre lui et on le déteste. Il ne pouvait pas ne plus exister ?

Je retourne d’un pas ferme et décidé dans le café avec pour objectif de dénicher Louisa et de lui demander de reprendre son auteur en herbe et de partir loin, très loin d’ici. Lorsque j’arrive à hauteur du comptoir, elle est là, le téléphone toujours vissé à l’oreille. Elle me remarque et me fait signe qu’elle a bientôt terminé. J’attrape un torchon et essuie nerveusement la vaisselle.

— Tu sais, ce n’est pas en frottant tes tasses comme si c’était une lanterne magique que tu vas réussir à me faire disparaître… lance taquin, Hugo à quelques centimètres de moi.

Je sursaute en entendant sa voix. Et merde… Ce n’était définitivement pas un cauchemar. Il est bien là, accoudé au comptoir avec son regard vert et son demi-sourire. Je le hais.

— Lucile…

Entendre mon prénom français avec la bonne prononciation provoque en moi un sentiment de bonheur, mais c’est lui qui le prononce et ça, ça me rend furieuse.

— Ne prononce pas mon prénom. Ne me parle pas. Ne me regarde pas et surtout ne respire pas le même air que moi, dis-je le plus calmement possible pour ne pas me faire remarquer des clients.
— Eh beh…
— Eh bien, quoi ?

Je frotte de plus en plus fort le verre que je tiens et ferme les yeux en implorant silencieusement un quelconque dieu de la disparition. Disparais. Disparais. Disparais !

— Si je m’étais attendu à un tel comité d’accueil…
— Quoi ? Tu ne serais pas venu ? lui dis-je en lui faisant face.

Il acquiesce à ma question en ancrant son regard au mien. Pitié, pas ces yeux verts.

— Personne ne te retient, tu peux donc disposer et rentrer chez toi.
— Louisa m’a assurée que j’allais être très bien ici, alors, je n’ai l’intention d’aller nulle part ailleurs.
— Bizarre, pourtant ta spécialité c’est la fuite, il me semble, non ? lancé-je pour le piquer.

Ma réplique faisant mouche, je tourne le dos pour couper court à cette improbable conversation. Louisa choisit ce moment pour arriver à notre hauteur, le sourire jusqu’aux oreilles. Elle va me rendre dingue. Son regard passe de cet énergumène à moi.

—