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Flottant dans une semi-pénombre, des yeux d’un vert émeraude l’attiraient dans les profondeurs. Qui était cette personne qui l’appelait ? Réveillée brusquement, elle fut happée par la lumière crue de l’hôpital, révélant une réalité cruelle : son corps meurtri, ses souvenirs effacés. Parviendra-t-elle à reconstituer le puzzle de sa vie et à démêler les fils de sa mémoire morcelée ? Dans cette quête pour raviver son passé, découvrira-t-elle l’origine de ses blessures sans replonger dans l’amnésie ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Créative et authentique,
Sabrina Nazzani donne vie à un monde imaginaire à travers ses écrits. Déterminée à concrétiser l’un de ses rêves d’enfance, "Fugue – Les murmures du passé" marque le début d’une merveilleuse aventure.
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Seitenzahl: 384
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Sabrina Nazzani
Fugue
Les murmures du passé
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sabrina Nazzani
ISBN : 979-10-422-3108-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Où étais-je ? Tout était noir autour de moi, j’avais froid. Au loin, j’entendais un bruit sourd de voix, on m’appelait ? Que me voulaient-ils ? Mes sens s’éveillaient comme des frissons parcourant tout mon être et j’avais des fourmillements dans toutes mes extrémités. Aspiré par une force mystérieuse, mon corps flottait au-dessus de moi ; le noir se dissipant lentement et les voix prenant de l’ampleur. Un bip incessant faisait écho dans mes oreilles comme un signal constant de vie. Non, je n’étais pas morte ; je dormais et je devais me réveiller, mais je n’y arrivais pas.
Je me sentais seule, tellement seule ; j’avais peur aussi ; peur de ce tourbillon autour de moi. Pourtant, m’aspirant vers le confort du sommeil, dans la pénombre, une forme se dessinait à peine perceptible : une silhouette vaporeuse aux contours tendres m’entourait avec bienveillance. Au cœur de cette semi-obscurité, un éclat captivant m’attirait : des yeux d’un vert émeraude. Son aura, envoûtante, comme un refuge dans lequel je souhaitais rester, semblait me happer pour me garder. Qui était cette gardienne de l’obscurité ?
C’était plus agréable de retourner dans le noir, il était plus doux, moins bruyant, plus confortable et surtout : elle était là. Elle m’attendait, me regardait, me souriait, me soutenait, me réchauffait. Pourquoi remonter vers cette lumière et ces bruits, alors qu’ici, tout en bas, je sentais cette présence qui réveillait en moi la vie qu’il me semblait avoir perdue ?
Un éclair, un deuxième et je fus arrachée violemment à cette douceur, je souhaitais crier, mais je ne pouvais pas ; j’avais envie de m’agripper à elle, mais on me tirait si fort vers le haut que je n’en avais pas la force. Mon corps, engourdi par un sommeil profond, réagissait avec de violentes secousses, et la souffrance s’immisçait en vagues déchirantes à travers chaque fibre de mon être. Chacun de mes mouvements semblait être accueilli par des larmes de tourment, comme des coups de hache, résonnant douloureusement à l’intérieur de ma tête. Mon réveil était une expérience douloureuse de contraste entre la lumière éclatante et ma douleur intérieure lancinante. Mes paupières luttaient contre l’éblouissement, comme si la clarté était une intrusion brutale dans un monde que j’avais quitté depuis longtemps. Je me sentais étouffée petit à petit.
Dans un éveil abrupt, la réalité m’assaillit avec une cruauté déconcertante. L’éclairage de la pièce me frappa de plein fouet, provoquant un picotement désagréable dans mes yeux, qui semblaient peiner à s’adapter à ce nouvel environnement. Mon corps réagissait avec une lenteur douloureuse à la sensation de quelque chose dans mon larynx, un intrus indésirable. Un tuyau froid en plastique semblait s’étendre depuis ma gorge, provoquant un sentiment étouffant et oppressant. À chaque tentative de mouvement, la présence étrangère déclenchait des réflexes de déglutition. Une vague d’anxiété s’insinuait, accentuée par l’incapacité momentanée de m’exprimer ou de comprendre la raison de cette intrusion médicale. Ma main se dirigea instinctivement vers ma bouche.
Je me sentais totalement paniquée et désorientée, lorsqu’une main apaisante se posa sur mon bras, j’entendis murmurer une femme :
— Mademoiselle, vous êtes à l’hôpital, calmez-vous, ne bougez pas ! Nous allons retirer la sonde qui est dans votre bouche.
Et d’un coup sec, elle l’enleva. J’eus l’impression que la vie explosait en moi. Mes poumons se gorgèrent de l’air ambiant, et ma respiration reprit immédiatement son rythme naturel, mes yeux s’ouvrirent pour découvrir deux personnes autour de moi : une jeune femme au teint de porcelaine, une infirmière, et sûrement un médecin d’une cinquantaine d’années dont je n’arrivais pas à lire le nom sur sa blouse. Curieusement, leurs regards rassurants et réconfortants eurent le pouvoir de me calmer immédiatement.
— Vous étiez dans le coma depuis trois jours après avoir fait un arrêt cardiaque. Comment vous appelez-vous ? annonça doucement le médecin.
Comment je m’appelais ? Aucune idée. Un abîme noir. Comment était-ce possible ? Oublier mon prénom, mon nom, mon histoire. Impensable. Perdue dans un océan d’incertitude, je cherchais désespérément dans les recoins de ma mémoire, mais elle était vide de toute information.
Un voile opaque obscurcissait mes souvenirs, les confinant dans l’ombre. Une angoisse diffuse montait en moi comme un sentiment de panique face à l’absence de réponse. Mon esprit était comme un miroir brisé, et chaque tentative de reconstitution échouait lamentablement. Des lambeaux de pensées dérivaient, hors de ma portée, tandis que je tentais de m’accrocher à ses fragments.
Étourdie par le vide qui occupait ma tête, je ressentais une chaleur familière, une présence qui tentait de me consoler. C’était elle, cette inconnue qui était apparue dans le noir, dont les yeux avaient capturé mon être dans le sommeil. La pensée de la perdre, même dans mes souvenirs défaillants, me provoqua une angoisse immédiate. Une vague de détresse m’envahit, mais la lutte pour comprendre et assembler les morceaux manquants était plus forte. Je m’efforçais de retrouver des bribes, de chercher des pans de ma vie disparue, mais chaque pensée semblait échapper à ma prise. La seule constante dans ce tumulte mental chaotique était cette chaleur, cette lueur réconfortante, comme un phare dans l’obscurité de mon amnésie.
— Mademoiselle, comment vous sentez-vous ? murmura le médecin d’une voix professionnelle et assurée.
— Je ne me souviens de rien, annonçai-je au bord de larmes, je ne sais plus qui je suis.
— Nous n’avons aucune information sur vous. Vos empreintes ont été cisaillées, détruites. La police n’a rien dans ses fichiers, et nous n’avons que les rapports des examens effectués.
— Quoi ? C’est totalement dingue ! dis-je totalement paniquée.
— Nous concevons que cela peut être déconcertant. Une personne inconnue vous a déposée aux urgences en pleine nuit. Il n’y a malheureusement aucune caméra qui puisse l’identifier.
— Je ne sais pas quoi vous dire, docteur, je me sens totalement vide.
J’étais totalement dans le flou, désorientée. Perdre la mémoire était déjà assez difficile ; mais être totalement méconnue de tous représentait un tout autre niveau de solitude. Mon lit d’hôpital semblait m’aspirer vers le néant, une sensation au-delà de l’isolement, presque comme si je n’existais pas. C’était jusqu’à ce qu’une pression sur mon bras me fasse soudain revenir à la réalité. Le docteur attira mon attention vers une inscription sur mon poignet, identique à des scarifications.
— Les inscriptions sur votre bras, cela vous parle-t-il ?
Je scrutais avec perplexité les incisions partiellement cicatrisées. La zone était rouge et encore boursouflée comme si quelqu’un ou quelque chose avait tenté de masquer le contenu. Les marques ressemblaient à des lettres et des chiffres, mais leur lecture était rendue difficile par leurs natures irrégulières et artisanales. Mon regard se fixa intensément sur les caractères étranges, mais la confusion s’emparait de moi. Les éléments, presque entrelacés, restaient flous, indéchiffrables, même si mon esprit luttait pour trouver une signification.
Mon front se plissait dans une expression de concentration profonde, tandis que mes doigts glissaient doucement sur les cicatrices, s’attachant à suivre la forme des marques. Une frustration grandissante se mêlait à mon trouble, chaque tentative de lecture aboutissant à une impasse.
— Je ne parviens pas à lire.
— Voici exactement ce qui est écrit sur votre bras, mademoiselle. Cela, vous évoque-t-il quelque chose ?
Le médecin me tendit une feuille où était noté : NOUSX49.34774 Y2 .904954 18EL21AN23JN.
— Non, pas du tout.
— Très bien, nous verrons plus tard. Il se racla la gorge et sa voix se fit plus grave : vous présentez également des ecchymoses sur le corps, et vous avez plusieurs cicatrices. Quand vous en serez capable, vous pourrez les regarder ; peut-être cela vous apportera-t-il quelques réponses.
L’infirmière prit le devant, et contrôla l’ensemble des appareils qui étaient branchés : la perche à perfusion reliée à mon bras, le petit objet sur mon doigt qui permettait de voir mes constantes sur un écran vieillot et ce que je pensais être : un moniteur cardiaque.
— Je suis Marjorie, votre infirmière. Vos constantes sont normales. Si vous souhaitez vous lever, vous pouvez enlever ces deux instruments. N’hésitez pas à appuyer sur ce bouton en cas de besoin.
— Nous vous surveillons de près Mademoiselle, maintenant, reposez-vous, clôtura le médecin.
Il m’enveloppa d’un sourire sincère, sûrement pour me rassurer. Avec l’infirmière, ils partirent de la chambre après avoir pris le temps de noter quelques informations sur mon dossier médical. Ils éteignirent les lumières vives des néons blancs, restait le rayonnement du couloir, me laissant seule avec mes pensées et mon corps douloureux.
Je me sentais extrêmement perdue et submergée de questions, tout en regardant bêtement mon bras mutilé. Qui avait bien pu me faire cette chose artisanale et monstrueuse ? Quelle en était la signification ? Je ressentais chaque membre endolori et partiellement endormi étalé dans le lit. Pourquoi rester allongée, immobile à regarder le plafond ? Une force soudaine me poussa à me redresser avec précaution, ressentant chaque fibre de mon corps après trois jours d’inertie. Il fallait que je me découvre dans un miroir, que je voie mon visage. J’enlevai délicatement les petits engins connectés pour me libérer de tous ses fils.
Mes pieds frôlant le sol froid, je m’accrochai fébrilement à la perche où étaient accrochées des poches pleines de liquide que l’on m’injectait en intraveineuse. Je me sentais particulièrement faible, j’avais l’impression de devoir fournir un effort immense juste pour avancer de quelques pas. Il me fallut déployer une force surhumaine pour me lever.
Mon souffle était court, mes jambes tremblaient, j’avançai un pas après l’autre comme si je traînais d’énormes boulets à chaque cheville. J’entendais des bourdonnements dans ma tête, mais mon objectif était juste là, après la porte ouverte de la salle d’eau. Je m’accrochai de plus en plus fort à la perche, m’appuyant au passage sur une table à roulettes dans l’angle.
J’arrivai enfin dans la salle de bain, l’interrupteur était là. Je détestais cette lumière blafarde des hôpitaux, le bruit sourd des néons qui leur donnait un côté glauque et pesant, et cette odeur de désinfectant qui agrippait mes narines, me donnait envie de vomir. Le miroir était devant moi, enfin. J’apparus tel un fantôme devant le reflet d’une inconnue, comme si je regardais un film dont je découvrais le personnage principal. Je parcourus lentement les contours de mon visage, pour y apercevoir chaque courbe.
Le contact avec ma peau me révélait étrangère à moi-même, faisant naître une frustration profonde. Je percevais mon propre reflet comme la photo de quelqu’un d’autre, une étrange sensation comme si j’avais usurpé son identité. Un reflet me renvoyant une figure empreinte de perplexité, presque sans vie, sans passé, se mouvait devant moi. Des mèches brunes épaisses, frisées et hirsutes, usées par le temps passé, allongée, tombaient en désordre autour de mon visage.
Mes yeux, grands et bleus, paraissaient explorer ma propre existence. Ma peau, excessivement pâle, était parsemée de taches de rousseur et encore plus sur mon visage, ajoutant une note espiègle à cette étrange rencontre avec moi-même. Mes yeux parcoururent le reste de mon reflet. Ma silhouette, élancée et fine, semblait avoir subi les effets de l’hospitalisation, témoignant d’une perte de poids. Mes lèvres rose pâle s’étiraient légèrement dans une expression indéfinissable. Je devais avoir aux alentours des vingt ans, peut-être vingt-deux, maximum.
Un silence pesant alourdissait cette introspection, comme si mon propre reflet retenait les secrets de ma mémoire déchue. Face au miroir, je m’interrogeais sur la femme que j’étais avant mon amnésie. Avais-je une confiance en moi, avais-je une appréciation de mon propre physique ? Je ne savais même pas si je me trouvais belle, à vrai dire. Scrutant mes traits, je me perdis dans la contemplation de la forme de mes yeux, des marques qui racontaient des histoires dont je ne me rappelais pas.
Ces ridules, au coin de ma bouche, suggéraient-elles des moments de bonheur, des éclats de rire, des moments de tristesse ou de souffrance ? J’étais incapable d’en faire des déductions. Étais-je une personne confiante en moi et heureuse avant ce trou noir ? Pourquoi personne n’était venu depuis trois jours, étais-je si seule ? N’avais-je pas de famille ou d’amis qui me cherchaient ? Je n’entendais que mon souffle et le son lointain des infirmières de nuit qui s’affairaient dans les couloirs de l’hôpital.
D’une main tremblante, je cherchai sur mon corps le moindre indice de mon passé. Je laissai mes mains parcourir mes jambes, dévoilant des empreintes du passé dont je ne me souvenais pas. Des traces bleues sur mes jambes et d’anciennes griffures sur mes bras. Intriguée, je baissai ma blouse, révélant des marques brunes sur ma poitrine, accompagnées d’une longue cicatrice sur le ventre. Je passai mes doigts le long de sa courbe, légèrement gonflée, elle était sensible. Un mystère corporel auquel j’étais totalement étrangère.
À l’intérieur de mon poignet droit, je regardai les marques de ma scarification, espérant un flash, une idée, une bribe de souvenir. Quand soudain, une douleur intense au cœur se fit ressentir : comme une trahison profonde, une souffrance qui remontait des entrailles, un sentiment refoulé qui essayait de se matérialiser. J’essayai d’associer ce que je ressentais à des images ou des sons, mais rien ne vint… rien de plus qu’une impression qui me faisait peur.
Je m’effondrai sur le sol carrelé et froid, seule dans cette chambre qui sentait l’alcool et l’éther, frissonnant sous ma mince blouse d’hôpital, avec la sensation glaciale du sol perçant à travers du tissu fin, accentuant mon sentiment de désorientation. À proximité, la perche à perfusion semblait être mon seul ancrage avec la réalité, comme un compagnon silencieux dans cet univers incertain.
Mon regard errant se fixa sur le mur impersonnel de la salle de bain, les carreaux blancs reflétant la froideur de l’inconnu qui m’entourait. Je me sentais engourdie, mes frissons persistaient, mais ce n’était pas seulement le froid qui me secouait. Une terreur résiduelle imprégnait mes pensées, laissant une empreinte indélébile sur ma mémoire défaillante.
Chaque inspiration était une bataille pour retrouver un équilibre dans ce monde étrange que je ne reconnaissais pas. Je tentai de rassembler des souvenirs, mais ma mémoire était un labyrinthe sombre. J’appelai à l’aide au plus profond de moi, sans un mot, sans un son. Je hurlais secrètement sans larme, pour qu’elle revienne. J’appelais celle qui m’avait apaisée avant mon réveil, je cherchais dans ma mémoire ses yeux vert émeraude, mon émeraude… Emelys, oui, elle s’appelait Emelys.
Je me forçais, mais je ne la distinguais pas, je ne la voyais pas clairement, je ne savais pas où elle était, ni ce qu’elle faisait. Je ne sentais que son aura qui me rassurait et doucement, comme un murmure entre les airs, « Calme-toi, Charlie, tout va s’arranger ».
— Merci, murmurai-je.
Grâce à elle, je me souvenais que je m’appelais Charlie.
Je m’effondrai dans l’obscurité une fois de plus, et retournai dans ce trou noir où la présence familière d’Emelys émergeait. J’allais retrouver ses yeux verts, et son réconfort qui me rassuraient. Ses contours se dessinaient peu à peu dévoilant une amie, une complice des moments sombres.
Ses murmures résonnaient, comme une symphonie relaxante dans le néant. « Charlie, tu es forte. Souviens-toi, nous avons traversé des tempêtes bien plus sombres que celle-ci ». Ses mots s’insinuaient lentement dans l’obscurité, tels des rayons de lumière perçant l’ombre. Sa présence, aussi insaisissable, soit-elle, me donnait la force de combattre l’incertitude qui me piégeait.
Au fur et à mesure que je m’enfonçais dans l’abîme, je m’accrochai à chaque souffle, à chaque vibration de cette présence. Un rêve, une illusion, peu importe, tant que cela m’empêchait de sombrer dans l’inconnu terrifiant. Dans cette chambre silencieuse, dans le recoin obscur de ma propre existence, je m’agrippais à ce fil ténu de réconfort. Un murmure dans le chaos, une lumière vacillante dans l’obscurité de l’oubli.
La frontière entre le rêve et la réalité devenait floue, mais même dans cet état incertain, une certitude émergeait : Emelys était ma lueur d’espoir, même si je ne pouvais la voir clairement, même si elle n’était qu’une ombre bienveillante. Dans ce monde étrange et effrayant, je m’accrochais à elle, à ce lien invisible qui me ramenait à la vie. La voix de l’infirmière dans le couloir s’estompait, remplacée par le doux murmure d’Emelys, m’invitant à trouver la force de me relever une fois de plus. Difficilement, je rejoignis mon lit pour y sombrer.
Je fus réveillée par l’entrée de Marjorie, l’infirmière, et à ses côtés, les médecins. Le premier, attentif, celui qui était là à mon réveil – rond, avec quelques cheveux poivre et sel – avait un regard bienveillant qui exprimait une grande expérience médicale, il dégageait de la sympathie renforçant mon sentiment de confiance.
Le second médecin, plus jeune, grand et brun, attirait l’attention par sa prestance. Je lus son nom sur son étiquette de blouse : Dr Julien Lefevre, cardiologue. Son visage sérieux, mais encourageant, témoignait d’une détermination à mener des recherches approfondies pour comprendre mon état. Son regard perçant laissait entrevoir une intelligence aiguisée, renforçant ma conviction d’être entre de bonnes mains.
— Bonjour, mademoiselle, avez-vous passé une bonne nuit ? annonça-t-il.
— Bonjour, docteur, le réveil a été pénible, je me sens assez faible, je me suis levée hier, pour découvrir mon visage. Le moment a été difficile, mais je me souviens de mon prénom, il me semble que je m’appelle Charlie.
— Très bien, Charlie, c’est une très bonne nouvelle ! Les souvenirs vont revenir petit à petit dans les jours qui suivent. En revanche, si vous souhaitez vous lever, il faut appeler Marjorie. Vous risqueriez de tomber et de vous faire mal. Il va falloir plusieurs jours avant que vous ne retrouviez plus de force.
Le cardiologue, se pencha légèrement en avant, vérifia les battements de mon cœur avec son stéthoscope et poursuivit avec un ton rassurant, mais professionnel :
— Pendant votre coma, nous avons réalisé plusieurs imageries médicales : nous avons exploré votre cerveau à la recherche d’anomalies et d’indicateurs qui pourraient expliquer votre état. Nous n’avons rien trouvé et les résultats se sont avérés bons. Vous n’avez aucun problème cardiaque grave.
Je me sentais soulagée en partie, pour autant inquiète, car rien n’expliquait mon amnésie.
— Je suis jeune pour faire un arrêt cardiaque, d’où pensez-vous que cela pourrait venir ?
— Vos examens sont normaux, nous avons étudié vos artères, qui ne présentent aucune thrombose, pas de signe d’arythmie non plus. Il semblerait que votre infarctus soit lié à un choc émotionnel intense, débita le cardiologue.
— Nous avons opté pour cette option, car vous présentez de nombreuses contusions, marques et cicatrices sur votre corps. Il semblerait cependant que vous ayez une amnésie importante. Nous allons travailler ensemble pour lever ce voile, mais cela prendra du temps, de la patience. L’objectif est de vous donner les outils nécessaires pour affronter ce qui a été caché et vous permettre de retrouver une compréhension plus claire de votre propre histoire, c’est pour cela que vous allez commencer des séances avec un psychologue spécialisé dans les traumatismes afin de vous aider à explorer ces souvenirs enfouis, annonça le premier médecin.
— Docteur, quelle est cette cicatrice sur mon ventre ?
— Vous êtes fatiguée, Charlie, nous aborderons ce sujet lors des prochaines séances. Pour le moment, il est trop tôt, vous venez de vous réveiller d’un coma, les réminiscences vont se bousculer, vous secouer, nous devons surveiller votre état. Nous irons petit à petit.
Il posa sa main sur la mienne, pour me rassurer. Je pris une grande respiration, même si je restais sans réponse. Je lui faisais confiance après tout.
La porte s’ouvrit doucement, révélant un troisième personnage qui entra avec une aura chaleureuse.
— Voici le Dr Camille Moreau, elle est la psychologue qui va vous suivre, Charlie.
Elle était d’une élégance discrète, les cheveux bruns encadrant son visage souriant. Son regard bienveillant semblait capable de percer les mystères de mon âme. Dès qu’elle entra, l’atmosphère changea, et une sérénité s’installa.
Posée sur mon lit, je ressentais immédiatement une connexion avec elle. Nos regards se croisèrent, et une étincelle de compréhension mutuelle naissait. Il y avait quelque chose dans la manière dont cette psychologue me regardait, comme si elle pouvait comprendre les profondeurs de mon esprit tourmenté. Sa présence inspirait confiance, et je ressentais que je pourrais me confier en toute sécurité à cette personne qui était là pour m’aider à retrouver ma mémoire perdue.
Pendant que l’infirmière notait consciencieusement mes constantes, les trois médecins échangeaient sur mon cas dans leur jargon médical puis ils prirent congé afin de me laisser seule avec la psy.
— Bonjour, Charlie, c’est bien ça ? Je suis le docteur Moreau, psychologue clinicienne, spécialisée en activation de conscience et hypnose médicale, entre autres. C’est l’une des techniques que nous allons utiliser pour vous aider tout au long de votre processus de guérison.
— Je n’ai jamais fait d’hypnose, enfin je crois, dis-je un peu angoissée.
Le médecin prit le temps de m’expliquer avec une simplicité bienveillante les tenants et aboutissants de l’hypnose, dissipant mes éventuelles inquiétudes. Elle souligna les avantages que cette approche pourrait apporter à mon bien-être. Les explications se transformèrent en une sorte de jeu, une invitation à la détente. Imaginer le processus comme une exploration guidée de mon monde intérieur, où la respiration deviendrait un fil conducteur et les rêves, des terrains propices à l’exploration.
— Vous sentez-vous prête pour faire une courte séance ?
— Oui, je suis prête.
— Vous allez fermer les yeux et vous concentrer sur votre respiration.
À la demande de la psychologue, je m’apprêtais à plonger dans l’inconnu, à explorer les recoins obscurs de ma mémoire. Mes paupières se fermaient délicatement, isolant le monde extérieur. Une première inspiration profonde, suivie d’une expiration lente, m’invitait à me connecter avec mon souffle.
Dans l’obscurité derrière mes paupières closes, des images floues semblaient faire émerger des morceaux de ma vie prêts à se dévoiler. La voix envoûtante du Dr Moreau guidait ma concentration, créant un espace intérieur propice à l’exploration. Je me laissais emmener dans cette atmosphère de calme, me préparant mentalement à accueillir ce qui pourrait remonter à la surface.
Les questions simples de la psychologue résonnaient dans ma tête : une invitation à revisiter le passé, à ouvrir des portes longtemps scellées. Des émotions oubliées commençaient à remonter, créant une mélodie silencieuse de sentiments contradictoires. C’était un voyage introspectif, une plongée délicate dans les méandres de ma propre histoire, sous sa guidance rassurante. La séance débutait, et je me préparais à explorer les profondeurs de mon esprit à la recherche des clés perdues de mon identité. Mon esprit commençait à former des images.
— Je me souviens d’une vieille balançoire dans le jardin. Les après-midis d’été, je m’asseyais là, les pieds touchant à peine le sol. Il y avait un arbre, un grand chêne, je pense. Les feuilles bruissaient doucement avec le vent.
— C’est un excellent début, Charlie. Continuez à explorer, laissez venir les images, les sons, les couleurs, peu importe le sens.
— Il y avait une odeur aussi, quelque chose de sucré. Peut-être que ma mère faisait des biscuits à l’intérieur. Et il y avait un chat, je crois. Un chat tigré qui venait fréquemment s’asseoir à côté de moi sur la balançoire. J’ai l’impression d’entendre ses ronronnements.
— C’est excellent. Nous allons continuer à creuser, à explorer chaque recoin de votre mémoire. N’ayez pas peur si tout ne revient pas d’un coup. C’est un processus graduel, et chaque infime parcelle que vous retrouvez est une victoire.
J’acquiesçais, les yeux encore empreints d’une certaine mélancolie. Ce moment avec elle me faisait passer de la réalité à mes rêves d’une manière simple et presque naturelle.
— C’est étrange, docteur. Ces souvenirs sont comme des éclairs vifs. On dirait que j’essaie de les attraper, mais ils glissent entre mes doigts.
— C’est tout à fait normal, Charlie. Ne vous précipitez pas. Je suis là pour vous soutenir à chaque étape. Avec le temps, tout cela formera une image plus complète. Soyez patiente avec vous-même.
Elle me parlait en articulant chaque mot, avec des pauses savamment dosées, des intonations musicales m’amenant à voyager. Chaque syllabe qu’elle prononçait semblait être un réconfort, apaisant les tensions qui flottaient dans la pièce. Le dialogue entre elle et moi devenait une exploration méticuleuse, un voyage au cœur de ma propre histoire, cherchant à ramener à la lumière, ma mémoire ensevelie dans l’ombre de l’amnésie. Chaque question, chaque tentative de réponse, était un pas de plus vers la reconstruction de mon identité perdue.
— Que voyez-vous, Charlie ?
Je me retrouvai dans le jardin de mon enfance, un lieu qui me semblait lointain, pourtant si proche dans cet étrange labyrinthe intérieur. L’herbe sous mes pieds était fraîche, le soleil caressait ma peau et une brise légère dansait dans les feuilles des arbres. Mon chat, une boule de poils tigrée, m’accompagnait, créant une vague de chaleur et de sécurité. J’étais une enfant. Je le câlinais tendrement.
Alors que j’avançais dans ce lieu, une mélodie me parvenait. C’était comme si la musique elle-même était imprégnée des rires et des éclats de bonheur. Intriguée, je me retournai et distinguai la silhouette floue de celle que je savais être ma mère, à la fenêtre de la cuisine. Elle était une figure bienveillante, ses cheveux bruns encadrant son visage souriant. Elle avait toujours su concocter les meilleurs petits plaisirs sucrés.
— Viens, Charlie, c’est l’heure de prendre ton goûter, résonnait sa voix comme une invitation à laquelle je ne pouvais résister.
Je me voyais courir vers la maison, avec mes petites jambes roses, j’étais si heureuse. Pourtant, alors que je m’apprêtai à franchir le seuil de la maison, une voiture attira mon regard. Elle était là, dans l’allée, un modèle qui avait bercé mes rêves d’enfant. Mais soudain, une ombre s’immisça, une présence oppressante qui s’insinuait dans mon bonheur. La peur m’envahit, une sensation étrange et dérangeante qui me poussait à fuir vers l’intérieur, abandonnant l’objet de fascination pour me réfugier dans la lumière de la cuisine.
J’exprimais chaque image, chaque ressenti à la psy, chaque morceau de mon passé à la fois savoureux et troublant, où la musique du bonheur se heurtait à l’ombre d’une voiture.
— Nous allons en rester là pour aujourd’hui, Charlie, c’est un excellent début et très prometteur pour nos prochains échanges.
— Merci, docteur. Avant de finir, j’aimerais connaître l’origine de cette cicatrice que j’ai sur le ventre.
— Je comprends, Charlie, mais nous devons attendre et faire remonter les souvenirs en douceur, ne vous inquiétez pas, nous en parlerons très vite.
Je me résiliais à lui poser des questions face à son expérience. Après qu’elle eut pris congé en me recommandant de me reposer, je me retrouvai seule, plongée dans une introspection troublante. Dans cet éveil troublé, je commençai à toucher des bribes d’une enfance marquée par la tristesse et la perte. Pourquoi cette voiture m’avait-elle fait autant peur ?
Je me forçai à y retourner, je voulais savoir. Les ombres du passé dansaient devant mes yeux, révélant des bouts d’une vie que j’avais oubliée. La trace d’une tragédie planait, les contours de mes parents disparus émergeaient telles des silhouettes dans le brouillard. Des éclats s’infiltraient, des visages flous se dessinaient, mais la clarté demeurait insaisissable. Des émotions, des sensations, mais pas encore une compréhension totale.
Des images fugitives de moments passés s’entremêlaient, créant un tableau émotionnel complexe. Une chambre silencieuse où le murmure des pleurs résonnait, des jouets abandonnés témoignant d’une innocence brisée. Une brume persistante de mélancolie semblait flotter autour du flou tapis dans ma mémoire.
Pourtant, la vérité complète restait encore voilée, une révélation qui attendait son heure. Mon esprit était en cours de reconstitution, chaque pièce une clé vers la compréhension de ma propre histoire. La patience devenait un allié dans cette quête intérieure, une exploration des recoins sombres de mon passé, même si cela signifiait affronter des vérités douloureuses.
Je me permis un soupir, la tête reposant sur l’oreiller de l’hôpital, les yeux fixés sur le plafond blanc. La route vers la découverte de soi semblait longue et sinueuse, mais une détermination silencieuse s’alluma en moi. J’étais prête à plonger plus profondément dans mes propres abysses et à affronter les fantômes de mon passé pour retrouver le fil de mon existence perdue.
Dans la douceur oppressante de la chambre d’hôpital, un souvenir sombre s’insinua dans les recoins de ma mémoire réveillée. Et d’un coup, les images déchirantes d’un accident de voiture refirent surface, me plongeant dans un passé douloureux que j’avais soigneusement enfoui.
J’étais une enfant, à peine cinq ans, assise sur la banquette arrière d’une voiture. L’air était rempli d’innocence, de rires enfantins qui résonnaient dans l’habitacle. Mes parents, les silhouettes bienveillantes devant moi, partageaient un moment de bonheur familial. Puis, tout bascula.
Un bruit assourdissant, le monde tourna dans un chaos indistinct. La violence du choc secoua chaque fibre de mon être, une secousse qui traversa l’habitacle comme une déferlante destructrice. Les images se fragmentèrent, se brisèrent comme du verre, et la réalité devint une mosaïque de souffrance.
Je voyais mes parents, leurs visages figés dans une expression d’effroi, des cris de terreur qui se mêlaient à l’agonie du métal déformé. La voiture devint un amas de tôles froissées, laissant échapper des volutes de fumée. Des éclats de verre volaient dans l’air, comme des étoiles filantes trahissant la catastrophe.
Il y avait du sang, beaucoup de sang. Des ombres floues de secours arrivaient, des sirènes stridentes déchirant le silence qui succéda au chaos. Mes petites mains étaient tachées de rouge, une couleur qui ne devrait jamais être associée à l’innocence enfantine.
Le souvenir se teintait de douleur, de l’odeur métallique du sang, de la confusion qui régnait après l’impact. Mes parents, mes repères, étaient là, mais déjà en train de glisser hors de ma portée. La réalité cruelle s’installait, et une compréhension amère me submergea.
La petite fille que j’étais, fragile et impuissante, faisait face à la perte effroyable de ses parents. La douleur, initialement lointaine, se réveilla en moi, révélant une cicatrice que j’avais ignorée. La tristesse, la solitude, et l’injustice de perdre ses parents à un si jeune âge émergèrent comme des vagues assaillant le rivage de ma conscience.
Alors que ce souvenir cruel se dévoilait, je sentis une déchirure profonde dans mon être, un poids que j’avais porté inconsciemment pendant toutes ces années. La trame de ma vie se dénoua, et la réalité brutale se fraya un chemin à travers l’opacité de l’amnésie. Mes yeux, jadis aveugles à cette réalité, s’ouvrirent sur une vérité déchirante. Je comprenais maintenant que ce traumatisme, cet accident brutal, était peut-être à l’origine de ma perte de mémoire, peut-être un mur mental construit pour me protéger de cette douleur intolérable.
Au creux de ma conscience, le poids insupportable de l’isolement persistait. Mes parents, les piliers de mon monde, semblaient s’évanouir dans un lointain passé. La réalité me heurta cruellement : j’étais seule, abandonnée dans un monde, qui, même avec ses lumières, me paraissait plongé dans une obscurité infinie.
Des larmes, longtemps retenues, avaient enfin trouvé le chemin de mes yeux. Des gouttes salées roulaient silencieusement sur mes joues, un témoignage muet de la douleur que j’avais ignorée. La chambre d’hôpital était devenue le théâtre silencieux de mon chagrin, chaque recoin résonnant avec le poids de la solitude.
Je regardais autour de moi, espérant peut-être voir une figure familière, un parent éloigné ou un ami oublié. Mais la chambre restait vide, à l’image de mon cœur déserté. Aucune présence réconfortante, aucun sourire familier pour apaiser la douleur. Seule la lumière blafarde des néons éclairait ce désert émotionnel dans lequel je me tenais.
C’est là que résonnait le cri silencieux de mon âme, une complainte mélancolique qui se mêlait aux murmures du silence. Mes mains cherchaient instinctivement un réconfort invisible, mais il n’y avait rien d’autre que le drap froid du lit d’hôpital sous mes doigts tremblants.
La froideur de la réalité me saisit. Mes parents étaient morts, et j’étais à la dérive dans un immense océan vide. Aucune main aimante ne guidait la mienne, aucun regard protecteur ne veillait sur mon sommeil troublé. J’étais une île désolée, naufragée dans les sinuosités de ma propre existence.
Après des heures de contemplation inerte dans mon lit, comme anesthésiée, le sentiment de solitude semblait m’imprégner de décennies, transformant la douleur initiale en une tristesse plus calme, plus résignée. Dans cette introspection douloureuse, je m’efforçai de trouver la force de regarder au-delà du chagrin, de comprendre que la vie continuait malgré l’absence dévastatrice. Mes parents demeuraient à jamais dans les recoins de ma mémoire, des étoiles éteintes éclairant ma nuit intérieure.
Avec le temps, peut-être, la lassitude apparente se transformerait en une forme de résilience. Mais pour l’instant, dans cette chambre silencieuse, je décidai de ne plus me faire de mal. Je ne souhaitais plus ressentir cette perte.
Il était temps de me lever de mon lit. Mes pieds touchèrent le sol avec hésitation, comme si je craignais que le poids de mes souvenirs me fasse chanceler. Je me dirigeai vers la fenêtre, cherchant une échappatoire visuelle à la douleur qui persistait en moi.
Où étais-je ? À travers les carreaux de la fenêtre de l’hôpital, la ville s’étalait avec son tumulte habituel. Des rues pavées chargées d’histoire, des façades élégantes qui racontaient des récits du passé, et le flot ininterrompu de la vie quotidienne qui défilait en bas. Les voitures circulaient avec une cadence régulière, les passants se pressaient sur les trottoirs, chacun plongé dans sa propre histoire.
Le quartier, mélange éclectique de tradition et de modernité, offrait un spectacle contrasté. Les toits s’étendaient à l’horizon, témoins silencieux de tant d’histoires vécues. Un rayon de soleil tentait de percer les nuages, créant des reflets scintillants sur les fenêtres des bâtiments avoisinants.
Pourtant, malgré la vitalité de la ville qui s’animait sous mes yeux, mon âme demeurait plongée dans une introspection silencieuse. La fenêtre devenait mon portail vers l’extérieur, un écran qui me permettait de m’évader temporairement de mon monde intérieur complexe. Et dans cette vue, entre les bâtiments chargés d’histoire, je cherchais peut-être une lueur d’espoir, une perspective qui me rappelait que, même au cœur de l’agitation urbaine, la possibilité de guérison et de renaissance persistait.
Je repensais à maman ; elle me tendait les bras, et je me retrouvais enveloppée dans une étreinte réconfortante. Son parfum emplissait l’air, une fragrance mélangeant la légèreté de la vanille et la chaleur d’un foyer. C’était un parfum qui évoquait la sécurité et l’amour, un baume pour mon âme. Les souvenirs, autrefois flous, reprenaient vie dans cette étreinte maternelle, chaque sensation, chaque émotion gravée dans la trame de notre lien. Elle fredonnait une chanson, une mélodie qui avait bercé mon enfance. Les notes résonnaient dans la pièce, créant un cocon intime où le présent et le passé se fusionnaient.
Nous restâmes ainsi, mère et fille, dans une danse silencieuse du temps. La chaleur de l’étreinte dissipait mes angoisses, révélant des moments précieux de notre histoire partagée. Chaque battement de cœur, chaque tendre caresse, tissait un fil invisible entre nous, un lien indissoluble forgé dans l’essence même de l’amour maternel.
Quand l’étreinte prit fin, le regard complice entre ma mère et moi persista, une complicité qui dépassait les barrières du temps. La chambre semblait imprégnée de cette douceur éphémère, une empreinte indélébile laissée par la présence aimante de ma maman.
J’avais besoin de dormir. Je retournais avec précaution vers mon lit, mes jambes portant le poids non seulement de mon corps, mais aussi de l’incertitude qui habitait mon esprit. Chaque pas semblait être un effort, comme si la gravité elle-même avait augmenté depuis que mes pieds avaient touché le sol.
En glissant sous les couvertures, je ressentis le contact apaisant du tissu contre ma peau. La fatigue m’envahit lentement, un poids supplémentaire qui s’ajoutait à celui de mes pensées tourbillonnantes. Mes paupières s’alourdissaient progressivement, réticentes à rester relevées. Les bruits de l’hôpital se fondaient en une aubade lointaine, une berceuse monotone qui me guidait doucement vers le sommeil.
Mon esprit, toujours agité par les remous de ma mémoire troublée, trouvait un moment de répit. Les souvenirs tumultueux reculaient, laissant place à l’apaisement. Mes paupières se fermaient finalement, laissant derrière elles le tumulte de la journée. Je me perdais dans les profondeurs de l’assoupissement, cherchant refuge dans l’inconnu de mes rêves. Et dans cet entre-deux, entre la veille et le rêve, je m’abandonnais à l’étreinte réconfortante du sommeil, espérant que demain apporterait une nouvelle lumière à l’obscurité de mon intérieur.
Cela faisait trois jours que j’étais réveillée de mon coma et je me sentais déjà beaucoup mieux. Les médecins m’annoncèrent mon transfert dans un nouveau service à l’hôpital, quittant l’austérité pour une atmosphère plus chaleureuse. Les couloirs étaient ornés de fresques, des œuvres d’art qui insufflaient une vie nouvelle à l’endroit. En entrant dans ma nouvelle chambre, mes yeux furent attirés par une peinture colorée qui ornait le mur, une fenêtre virtuelle agréable vers un monde en dehors de ces murs blancs.
La pièce elle-même était plus spacieuse, la lumière naturelle filtrant à travers des rideaux aux couleurs douces. Le lit était soigneusement fait, et l’atmosphère générale respirait la bienveillance. Un contraste saisissant avec l’unité précédente, c’était comme si je passais de l’obscurité à la lumière.
Alors que je m’acclimatais à mon nouvel environnement, un membre du personnel entra dans la pièce. Son sourire contagieux illumina l’espace.
— Bonjour, je m’appelle Laura ! dit-elle avec une voix douce et amicale. Comment te sens-tu aujourd’hui, Charlie ?
Son prénom résonna agréablement à mes oreilles, et je lui répondis avec un sourire timide.
— Bonjour, Laura. C’est un changement agréable ici. Plus lumineux, plus accueillant.
— Content que ça te plaise. On fait de notre mieux pour rendre l’endroit aussi confortable que possible.
Lorsque Laura se présenta en tant que nouvelle venue à l’hôpital, son enthousiasme pour son métier était visible. Passionnée, elle prit le temps de m’expliquer son rôle, soulignant une approche moins médicale et davantage centrée sur l’échange. Malgré son sourire affiché, il émanait de sa présence une subtile teinte de stress ou d’appréhension, une émotion probablement liée à sa récente arrivée et à son désir profond de s’intégrer avec succès.
Sous la surface de son assurance professionnelle, je décelais une volonté sincère de bien faire, de s’adapter rapidement à son nouvel environnement. Cette tension légère qui animait ses gestes et son expression révélait une forme de vulnérabilité, une humilité touchante qui contrastait avec son discours de présentation.
Nous prolongeâmes notre conversation pendant quelques minutes, alors qu’elle feuilletait le dossier soigneusement posé au pied de mon lit. Ses yeux parcouraient les pages avec une attention minutieuse, s’immergeant dans les détails de mon historique médical. Les mouvements subtils de ses sourcils trahissaient une réaction émotionnelle, une oscillation légère qu’elle tentait de dissimuler.
Sous la surface de son professionnalisme, je percevais une réflexion en cours, des nuances de compréhension ou peut-être de préoccupations. Les légers frémissements de ses sourcils révélaient une immersion profonde dans la lecture du dossier, comme si elle découvrait des éléments inattendus ou potentiellement délicats.
— Je vois qu’il va être l’heure de ton rendez-vous avec le Dr Moreau, elle ne devrait pas tarder, dit-elle en reposant le dossier.
Cette dernière phrase marqua la fin de notre échange, elle quitta la chambre, me laissant avec cette rencontre. La familiarité immédiate du tutoiement m’avait interpellé. Peut-être, songeai-je, cela découlait de notre proximité d’âge, ou éventuellement était-ce une stratégie délibérée de sa part. Son choix de m’aborder avec une approche amicale semblait viser à instaurer une atmosphère de confiance, à faciliter le partage et, potentiellement, à m’aider à révéler davantage de détails de ma mémoire enfouie.
L’idée sous-jacente était évidente : créer une connexion personnelle, une alliance entre nous. Le tutoiement suggérait une proximité, une camaraderie qui allait au-delà du cadre strictement médical. Possiblement, espérait-elle que cette complicité encouragerait un dialogue plus ouvert de ma part, favorisant ainsi le processus de récupération de la mémoire. Les questions qui tournoyaient dans mon esprit faisaient écho au mystère de cette rencontre, laissant entrevoir une stratégie réfléchie de la part de Laura, mêlée à l’aspiration empathique de me guider vers la redécouverte de mon passé.
Le Dr Moreau entra dans la chambre avec un sourire bienveillant, éclairant l’espace comme un soleil. Je me sentis rassurée par sa présence, qui dégageait une certaine sérénité, j’avais cette impression qu’elle était gardienne de mes souvenirs et qu’elle détenait, je l’espérais, les clés qui m’aideraient à me souvenir de mon histoire.
— Bonjour, Charlie. Comment allez-vous aujourd’hui ? demanda-t-elle d’une voix suave et engageante, reprenant là où Laura avait laissé un vide.
— Bonjour, docteur. Je vais mieux, merci, esquissant un sourire timide.
— C’est merveilleux à entendre. Avant de commencer, y a-t-il quelque chose que vous souhaitez partager avec moi ? dit-elle en tirant une chaise vers elle.
J’hésitai un instant, puis je me mis à lui parler des fragments de souvenirs émergés depuis notre dernière séance. Des images floues, des voix lointaines, ainsi que mes émotions brèves.
— C’est comme si des portes s’ouvraient lentement, mais j’ai du mal à voir clairement.
Elle inclina légèrement la tête, marquant un geste de compréhension.
— C’est normal, Charlie. Ces parcelles de réminiscences sont des pistes, des indices. Nous allons les explorer davantage aujourd’hui. Allongez-vous et prenez une profonde inspiration.
Je m’installai plus confortablement sur le lit, mes yeux fixés sur le plafond. Le Dr Moreau prit place sur la chaise, ses yeux exprimant une profonde concentration.
— Commencez par vous détendre. Sentez le poids de votre corps sur le lit. Fermez les yeux et concentrez-vous sur votre respiration. Inspirez profondément, puis expirez lentement.
Je m’exécutai, me laissant guider par sa voix calme. Les premières minutes furent consacrées à l’apaisement, à la conscience de ma respiration régulière. Le Dr Moreau articulait lentement, créant un rythme régulier qui devenait une sorte de mantra relaxant.
— Imaginez-vous dans un endroit sûr, un lieu qui vous procure du bonheur. Peut-être un paysage, une plage, ou même une simple pièce confortable. Visualisez chaque détail, ressentez la chaleur, les odeurs, les sons.
Les images affluèrent doucement, une plage paisible, le bruit des vagues, une lumière matinale. Je me sentis enveloppée d’une quiétude réconfortante.
— Maintenant, Charlie, plongez dans ces souvenirs, laissez-les venir à vous, observez-les sans jugement. Qu’est-ce qui émerge ?
Je me trouvais sur une plage immaculée, le sable fin caressant doucement la plante des pieds. Le soleil projetait des reflets scintillants à la surface de l’eau cristalline qui s’étendait à perte de vue. Des parasols colorés dansaient au gré du vent, offrant des zones d’ombre bienvenues. Je me tenais là, les pieds immergés dans l’eau tiède, comme une sensation de bonheur absolu. Les vagues venaient effleurer la plage, jouant une mélodie hypnotique. Des rires d’enfants résonnaient au loin, ajoutant une note joyeuse à cet instant de quiétude.
Les contours de montagnes se dessinaient, formant un paysage majestueux qui s’étendait jusqu’à la mer infinie. Des bateaux à voile glissaient gracieusement sur les eaux azur, ponctuant l’horizon d’une touche d’élégance.
Alors que je m’imprégnais, de la beauté tranquille qui m’entourait, une voix masculine, lointaine, mais familière, se faisait entendre derrière moi. Les mots se mêlaient avec le murmure des vagues, créant une mélodie douce et réconfortante.
— C’est ici que nous vivrons un jour mon amour, murmura-t-il d’une voix chaleureuse.
L’image de l’homme demeurait floue, comme une silhouette bien-aimée dont le visage restait dans l’ombre. Je me tournai pour tenter de croiser son regard, mais il demeurait insaisissable, comme une brise légère qui effleurait à peine ma conscience.
Pourtant, la présence de cet homme éveillait en moi une profonde tendresse, une connexion indéniable avec un passé empreint de bonheur. Même si les détails restaient voilés, l’émotion persistait, et je me laissai emporter par cette vision apaisante, savourant chaque instant de ce paradis côtier où le temps semblait suspendu.
Je décrivais les lieux, ce que je ressentais et ce que je voyais au docteur. Elle insistait sur les paysages comme s’il était important de retrouver cet endroit, et que chaque détail devenait un indice de mon passé.
— Il y a la mer, la montagne et derrière nous, des arbres, comme une petite forêt, dis-je à voix haute pendant mon hypnose.
Une forêt ? La forêt !
Ces mots déclenchèrent un voile noir et les ténèbres apparurent comme si on m’interdisait de vivre ce bonheur. Une convulsion secoua mon corps dans le lit d’hôpital, comme si chaque fibre de mon être était en proie à une résurgence violente du passé. Je me retrouvai plongée au cœur d’une nuit impénétrable, éclairée seulement par la lueur capricieuse de la lune. L’air moite du bois s’insinuait dans mes narines, et sous mes pieds, j’entendais des craquements sinistres. Les ombres s’animaient, dansaient et me pourchassaient à travers l’obscurité oppressante.
Et d’un coup, des cris déchirèrent la clairière, des échos de frayeurs lointaines qui m’accompagnaient dans une fuite effrénée. Mes jambes, muses par une terreur viscérale, me propulsaient à travers les bois sombres. L’obscurité, étouffante, devenait un linceul m’enveloppant sans pitié.
La peur me tenait, chaque fibre de mon être frémissait. Les sens aiguisés par l’adrénaline, je percevais le bruissement des feuilles et le murmure du vent nocturne. Les odeurs terrestres de la forêt, la terre mouillée, les feuilles en décomposition me rappelaient que cette nuit était plus qu’une simple course éperdue.