Full moon races - Yoann Genouvrier - E-Book

Full moon races E-Book

Yoann Genouvrier

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Beschreibung

L'univers rock'n'roll des motos préparées attire ceux qui vivent pour les sensations fortes et l'adrénaline. Le meurtre de Mickey, apparemment apprécié de tous, jette un froid dans cette communauté insouciante. Surnommé Denver, un journaliste se lance dans une enquête sous forme de reportage pour un magazine. Il découvre que, à chaque pleine lune, les plus audacieux s'affrontent lors de courses interdites, connues sous le nom de Full moon races. Réservées aux initiés, ces courses sont non seulement l'occasion de paris importants, mais aussi de deals lucratifs entre trafiquants. Au fil de ses rencontres, Denver dévoile l'existence de ces rendez-vous secrets et les enjeux qu'ils représentent. Jusqu'où ira-t-il pour découvrir la vérité ? Quels secrets encore plus sombres se cachent derrière ces courses clandestines ? Parviendra-t-il à dévoiler les responsables du meurtre de Mickey ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Journaliste et spécialiste de la custom culture, Yoann Genouvrier utilise son expérience pour nous entraîner dans une aventure hors du commun. "Full moon races", son premier roman publié, est une œuvre littéraire imprégnée de l’esprit rock’n’roll.

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Yoann Genouvrier

Full moon races

Roman

© Lys Bleu Éditions – Yoann Genouvrier

ISBN : 979-10-422-3566-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes grands-parents, Huguette et Jean, qui ont su m’aimer,

À mes parents, Sophia et Yves, qui ont su m’élever,

À mes frères, Benji et Seb, qui ont su me supporter,

À mes amis, tous, qui ont su me soutenir,

À ma femme, Malee, qui a su m’aimer, m’élever,

me supporter et me soutenir…

Prélude

Il est tard en cette chaude nuit de mai. La banlieue endormie laisse flotter çà et là quelques lumières dans les appartements tels des phares en mer, comme pour attester d’une certaine forme de vie. Hormis ces quelques témoins lumineux, pas un bruit, pas une âme qui vive. La lune brille de toute sa froideur, blanche, étincelante, pleine comme un œuf. Elle irradie tant que des ombres se forment au pied des façades, comme en plein jour, sauf que hormis quelques chats errants, personne n’en profite. Au loin pourtant, on aperçoit des feux qui serpentent dans la colline, ils approchent à vive allure et en paquet tels les cavaliers de l’enfer. À mesure qu’ils déchirent le rideau noir, un grondement se fait sentir. De plus en plus fort, les mécaniques viennent perturber le calme de la cité endormie. Ils sont une petite dizaine, et roulent en quinconce, à un rythme soutenu. Deux, trois, quatre cylindres, les moteurs se distinguent peu tant le vacarme de cette concentration de bêtes mécaniques forme une unité. Pourtant, personne ne réagit, l’heure tardive peut-être et la vitesse élevée à laquelle ils passent… Pas un stop, pas un feu ne leur résiste, ils ne s’arrêtent pas, et continuent leur route sans la moindre baisse de régime. Ils se rendent dans la zone industrielle du coin, loin de tout ce qui pourrait les déranger comme la police ou les noctambules un peu trop curieux. Tel un ballet classique de Béjart, chacune des montures se range de part et d’autre de l’allée principale avec une certaine chorégraphie. Sur les trottoirs sont disposés une petite centaine de spectateurs, amis, mécaniciens… L’agitation est à son comble, les pilotes débriefent avec leur staff, les bookmakers se promènent entre les visiteurs de la nuit, arrachent des billets à qui leur tend et multiplient les mises. Quelques excités repeignent le bitume à grands coups de gomme. Burns, roues arrière, ils assurent le show pour le public sans que cela ne perturbe les pilotes, concentrés sur leur course. Il faut dire qu’ils ont intérêt à assurer. Après ce tour de reconnaissance, ils n’ont qu’un seul run pour prouver qu’ils sont meilleurs que les autres, pas un seul tour de plus. Les machines ne ressemblent pas à des motos de course traditionnelles, le style est ici tout aussi soigné que la mécanique. Ducati, Triumph, Harley-Davidson, Kawasaki, Honda, Yamaha, Suzuki… on trouve de tout et de tout âge. Les aficionados de cette épreuve sauvage prennent un malin plaisir à offrir une bonne dose d’hormones à des motos sur lesquelles un non-initié ne parierait pas un sou. Juste pour le kif de passer la ligne en tête à la force d’un pilotage hors norme, les riders sont prêts à prendre le départ au guidon de modèles au look vintage assumé. Ce que l’on ne voit pas sur ces prépas au look de café racer pour la plupart, c’est que les moteurs renferment une véritable usine à gaz, que la partie-cycle à savoir la suspension ou le freinage est ultra-performante et qu’aucun kilo superflu n’a été conservé. Véritables bêtes de course camouflées, les motos que l’on voit s’aligner sur la ligne de départ des full moon races n’ont rien en commun avec les modèles de série, même les plus sportifs.

Accroupi sur le côté de sa 999 entièrement reconfigurée, Mickey vérifie la tension de sa chaîne.

« Alors ce warm-up ?! Tu le sens comment ce tracé » demande un grand blond musclé par-dessus la moto. Tatoué, percé, Samuel, 35 ans, a une tête de dur, mais affiche un léger sourire. Comme si la question revêtait une forme de provocation vis-à-vis du pilote. Sans même lever la tête, toujours aussi concentré, le regard sur le pignon de sortie de boîte, Mickey lui répond, froidement : « Je le sens aussi bien que d’habitude ! »

Puis il se relève et lui sourit : « ce sera une promenade de santé, mon p’tit Sam ! » Une réponse affective quand on sait que le blond mesure bien une tête de plus que Mickey.

« Fais gaffe quand même, y a des rageux », ajoute Sam en regardant les autres concurrents. « OK, y en a qu’on connaît bien et qui auront beau avoir le pilotage le plus fin du monde, on les verra jamais devant ! » dit-il en montrant cinq membres d’un club de bikers s’afférer autour d’un V-Rod muscle surpréparé. Leur pilote, un petit teigneux au crâne rasé sur les côtés, leur jette un regard provocateur avec un demi-sourire de travers laissant entrevoir une canine supérieure en or.

« C’est pas faux », répond Mickey en rigolant et prenant la bière fraîche que Sam venait de lui tendre. Et d’ajouter « s’il arrive à prendre les virages comme nous je m’en coupe une » !

Les deux amis trinquent avec le sourire quand leur concentration se porte sur deux types poussant leur machine au ralenti, juste devant eux. Le premier, un jeune brun rasé d’origine algérienne, tient le guidon. Il tourne la tête vers eux et leur adresse un clin d’œil. Le second, plus jeune encore, pousse derrière, concentré pour ne pas faire tomber la Suzuki, un GSX-R 1000 sans carénage inférieur.

« Ils n’ont toujours rien compris, ces nases », jette Sam à l’oreille de Mickey. « Ils pensent qu’il suffit d’avoir un avion de chasse pour gagner, ils feraient mieux de prendre des cours plutôt que de s’entraîner sur le bitume avec des cross trafiqués ! »

« T’inquiète pas pour ça », lui répond Mickey, « c’est parfait pour notre business et je me ferai toujours un plaisir de leur taper leur pognon durement gagné en arrachant des sacs à main ou en dealant petit », ajoute-t-il en enfilant son cuir. Un beau blouson noir replica 70’s avec empiècements gaufrés aux coudes et aux épaules et en formes de carrés au niveau des reins.

« Prêt à en découdre mon chéri », intervient une voix douce mais ferme. C’est Sonia, la femme de Mickey, une belle brune piquante d’origine marocaine dont on sait à son regard de braise qu’elle a du caractère. Les cheveux longs et lisses, détachés, elle traverse l’allée en regardant droit devant, posant les pieds l’un devant l’autre tel un mannequin sur un podium. Fine, moulée dans son pantalon en cuir marron, juchée sur les talons hauts de ses bottines pointues, elle fend la foule, ignorant les regards excités des hommes comme ceux des femmes à leurs côtés. Son body moulant sa forte poitrine laisse entrevoir le creux de ses seins dans lequel un pendentif en diamants tente quelques incursions. Elle vient se coller à Mickey qui a à peine le temps de passer ses mains sur les hanches de la belle brune, juste sous son blouson à la coupe cintrée et courte.

« J’ai confiance en toi », ajoute-t-elle à mesure qu’elle lui remonte le zip du blouson. Puis termine par un « bouffe-les » les yeux dans les siens et les mains tenant sa nuque avant de l’embrasser sur les lèvres.

Puis elle se retourne avant que Mickey ait le temps de répondre et hurle à qui veut l’entendre : « cinq minutes avant le start ! Alignez vos machines ! »

D’un coup d’un seul, l’air tiède de cette soirée de pleine lune se charge d’électricité. Les spectateurs s’agitent pour se placer le long de la ligne droite de départ. Les pilotes et leur staff poussent leurs engins jusqu’à la ligne. Après avoir applaudi frénétiquement, Sam tape sur les épaules de Mickey avant d’enlever la béquille de stand de la Ducati qu’il tend à Emma qui vient d’arriver. La jolie métisse moulée dans son cuir arrache la béquille des mains de Sam, dépose un tendre baiser sur la joue du pilote avant de s’évanouir dans la foule en direction de la ligne de départ. Mickey sourit, chausse son casque sur la tête puis suit le mouvement, en poussant sa belle Italienne, guidon en main.

Côte à côte, la dizaine de pilotes entend sans écouter les derniers ordres de la maîtresse de cérémonie, qui telle une panthère enragée défile dans les phares des chevaux mécaniques : « Bienvenue à la full moon race ! Ce soir vous avez découvert le parcours d’une vingtaine de kilomètres, le premier arrivé remporte la mise. Pour rappel, il n’y a qu’une règle, arriver en vie ! Et celui qui ramène les flics n’aura pas le temps de parler que je l’aurai égorgé. Riders, start your engines ! »

Au milieu des sifflets et cris des excités présents, les mécaniques s’ébrouent. Chacun y va de son coup de gaz, concentré sur la ligne droite et le virage serré qui suit. Mickey jette un œil sur ses rivaux. À gauche une connaissance, Pitt, un ancien mécano de chez Honda en compétition qui a préparé elle-même la CB1000 sur laquelle il est penché tant les demi-guidons sont placés bas. Concentré, la tête enfoncée dans son intégrale, il ne fait attention à rien si ce n’est le régime moteur de son 4 cylindres boosté par des pièces HRC. À droite, le fameux teigneux et sa machine de Milwaukee. Il regarde Mickey du coin de l’œil, un œil qui laisse apparaître une larme tatouée. Il s’excite sur la poignée droite, faisant cracher le V-Twin de toute sa voix, à tel point que son voisin n’entend même plus le son de crécelle caractéristique de l’embrayage à sec de sa Ducati. Puis il fixe son regard sur la ligne droite, jetant au passage un œil à sa belle prête à donner le départ, une cigarette à la main.

Le regard fixe, Sony tire sur sa cigarette, avant de la jeter nonchalamment. Au moment où la fine pièce de papier roulé touche le sol, la course est lancée !

Dans un grondement sourd et métallique, la horde sauvage se déchaîne. Les montures s’arrachent au bitume, les pneus fument, la foule hurle, mais on ne l’entend plus. Dressées sur leurs roues arrière, les machines, tels des pur-sang, décollent, frôlant Sony, avant de disparaître dans une nuée de feux rouges au premier virage.

Encore une nuit folle, encore une course où chacun joue sa vie à la lueur de la pleine lune, encore une Full moon race.

Chapitre 1

Un sujet en or

8 h du matin, dans un petit appartement de la banlieue, doucement s’élevait la voix de Dan Auerback des Black Keys, et peu à peu flottait dans l’air « Little Black Submarines ». Ben émergea doucement de sa nuit démarrée quelques heures auparavant entre les effluves de bière. Il faut dire qu’il faisait pas mal la fête depuis qu’il était rentré de son reportage sur les surfeurs en Islande. Trois mois dans le froid, avec peu d’activités nocturnes si ce n’est quelques soirées à Reykjavik, ça fait plutôt long, même si celles-ci valent le détour. Et les gars avaient beau être sympas, coincés à six dans une baraque de pêcheurs à boire de la Reyka, à attendre les conditions idéales pour faire de belles photos de surf avec des aurores boréales en fond… ça ne valait pas les deux mois passés l’année précédente en Louisiane, à suivre Ben Harper dans son tour bus ! Quel pied ce trip ! Fixant le plafond, il tentait de se remémorer comment s’était terminée la soirée, impossible… La moto avait encore dû rentrer toute seule. De toute façon, il serait à l’hosto ou en cellule de dégrisement bien au chaud, au poste de police, si cela n’avait pas été le cas. Un coup d’œil à droite, déjà 8 h 15 sur le réveil Jaz que lui avaient offert ses parents pour ses 10 ans et qu’il n’a jamais changé, même s’il se réveillait désormais avec son téléphone. Damned, le temps passe vite le matin, toujours trop vite. Ben Harper prit le relais avec un « Gold to me ». Un sourire en coin, le journaliste repensait à cette tournée mémorable. Il avait su capter l’essence de cette tournée en réalisant des interviews décalées, au moment où le chanteur s’y attendait le moins et était le plus à même de répondre sans langue de bois. Il avait réussi à photographier le groupe dans son intimité sans jamais être intrusif ou impudique. Il se laissait aller à ses souvenirs et se dit qu’il méritait bien quelques minutes de plus de somnolence. Le piège ! Il fut réveillé par un violent reef de Jack White, d’un œil il constatait qu’il était déjà 9 h !

« Et merde ! » s’exclama-t-il en se levant en trombe direction la salle de bain. Il avait l’habitude d’être en retard, il avait sa technique ! Lancement de la douche le temps que l’eau chauffe, dentifrice sur la brosse à dents, direction le bac. Un coup de serviette pour sécher ensuite, un coup d’œil à ses cicatrices héritées de ses diverses cascades à moto en snow ou en surf, puis un boxer, des chaussettes, un jeans et un t-shirt marqué du logo Norton enfilés, il était prêt !

Ben s’est toujours habillé chichement, gageant que l’attitude prévaut sur l’accoutrement. Bien sûr dans les grandes occasions, il n’hésitait pas à faire un effort, ne serait-ce que pour faire plaisir. Ses ex lui demandaient régulièrement de porter des chemises pour faire plus adulte. Mais lorsqu’il leur répondait qu’il le ferait avec plaisir si elles assuraient le repassage, la discussion se terminait dans la minute ! Après tout, il était constamment à moto, dans des cuirs, et il préférait le confort d’un T-shirt et d’un jeans au style d’un costume. Ben était ready ! Restait à trouver ses Vans, toujours un sujet délicat le lendemain d’une soirée arrosée… Ni dans la chambre ni dans le salon, ça se compliquait… Une bière chaude à moitié entamée attira son regard sur la table basse, elles étaient là, juste à côté de ses clés de moto.

« Top efficacité ! » s’exclama-t-il face à son reflet dans la glace, en référence aux Guignols de L’Info, une émission des 90’s qui faisait partie de ses nombreuses références de l’époque. Il enfila son blouson Segura, choppa son casque jet au vol, un parmi les nombreux qu’il possédait, puis chaussa ses Ray-Ban Justin. Il vérifia s’il avait bien ses clés, son portable marqué d’une pomme, puis claqua la porte après avoir enclenché l’alarme. Il descendit au parking où l’attend, bien sagement, sa Ducati. Un Monster 1100 qu’il adore et a personnalisé au gré des chutes. Elle et lui sont devenus inséparables, il faut dire qu’il en a vécu des aventures plus ou moins respectables à son guidon. De beaux souvenirs et beaucoup d’amour même si, une fois de plus, il avait oublié de l’attacher. « Damned, mais t’es trop con, Ben », s’insurgea-t-il. Suivit une chorégraphie bien ordonnée : il la poussait jusqu’au milieu du parking, la démarrait pour qu’elle chauffe le temps qu’il s’habille. Dans un craquement mécanique, le bicylindre de Bologne s’ébroua avec ce son caractéristique de l’embrayage à sec, digne d’une crécelle ! Le double échappement fume toujours un tout petit peu au début, le temps que l’humidité s’évacue puis laisse place à un son sourd typique des gros twins. Ça lui donnait toujours le smile, même quand il était en retard comme ce jour-là. Une pression sur le bip, et la porte s’ouvrit sur une lumière puissante en cette matinée de mai. Difficile quand on a encore un peu mal au crâne, mais heureusement Ben roulait la plupart du temps avec un écran fumé ou des lunettes de soleil, une manière de rester incognito, mais aussi de se protéger d’une surdose de vitamine D. Il s’engouffra dans ce rayon de lumière puis trace direction le centre de Paris, au siège de Rockers plus exactement. Il avait rendez-vous avec le rédacteur en chef à 10 h, il ne fallait pas traîner. Non pas qu’il soit difficile d’arriver à l’heure, mais il faut dorénavant trouver une place, même à moto, depuis que la maire fait la guerre aux deux-roues. Elle a choisi son combat, celui de la démagogie, mais ce qui énerve le plus Ben c’est que ce sont toujours les mêmes qui trinquent, ces banlieusards qui salissent la belle Capitale ! Il aurait pu y aller en transports si seulement il n’y avait pas trois changements et une bonne demi-heure nécessaires pour se rendre à la station et se déplacer dans les couloirs… C’est du moins ce qu’il se dit sous son casque pour se rassurer, avec une bonne dose de mauvaise foi, parce qu’il a tellement galéré en transports étant jeune qu’il n’est pas vraiment prêt à quitter la liberté du deux-roues.

9 h 50, il se gara entre deux scooters à trois roues, la plaie ultime ! « J’espère que ces nases vont faire attention à ma belle », s’exclama-t-il d’énervement. De toute façon, il n’avait pas le temps d’ergoter, il devait déjà être dans les couloirs de la rédaction. Un coucou aux jolies filles de l’accueil puis il s’engouffra dans l’ascenseur, direction la rédaction du mag, au dernier étage d’un bel immeuble haussmannien. Il se retrouva avec deux jeunes d’environ 25 ans qui le toisaient. Bien engoncés dans leurs costumes taillés au scalpel, une petite chemise claire pour l’un et blanche pour l’autre, tous deux avec leurs chaussures marron à bouts pointus assortis à la ceinture en cuir, ils se demandaient ce qu’un ado attardé fringué en motard faisait là. « Sûrement des pubards », se dit Ben à lui-même. « Tocards ! » souffla-t-il dans sa barbe. Bien vu, l’ascenseur stoppa sa course à l’étage 8, le plateau de la régie pub. Les deux clones sortirent ensemble l’un d’eux disant à son collègue « encore un journaliste qui a oublié de grandir ». La porte à peine fermée, Ben leva les yeux au ciel et ajouta : « de vrais tocards ». Arrivé au dixième étage, il traversa l’open space du magazine en trombe, il n’avait pas le temps de raconter son trip à ses collègues. Véritable ruche, la pièce d’une bonne centaine de mètres carrés, vitrée aux extrémités, mêlait bruits de claviers et téléphones, de la bonne musique en fond, des balles qui volent, des insultes affectives… « De vrais gamins », se dit Ben dans sa tête avec un petit sourire trahissant qu’il fait partie de la bande à 100 %. Au loin, dans son bureau vitré, Guillaume l’attendait. C’est le rédacteur en chef, celui qui a droit de vie ou de mort sur les pigistes comme les journalistes bien installés. L’homme a beau être jeune pour ce poste, la quarantaine et des poussières, il a déjà pas mal bourlingué et connaît parfaitement le métier. Il connaît la ligne éditoriale du mag pour l’avoir plus ou moins remaniée. Il sait ce qui va plaire au public, ce qui va plaire aux patrons et ce qui va plaire aux annonceurs. En gros il sait quels sujets transversaux il va falloir imposer pour plaire à tous. Il règne en maître absolu sur la rédaction d’une part parce qu’il est adoubé par ses supérieurs, de vrais boursicoteurs qui n’ont pas de réelle notion journalistique, mais savent quand un produit est bon et peut rapporter gros. D’autre part, Guillaume est très respecté par ses pairs. Il a toujours défendu la qualité du travail au détriment de l’aspect vendeur que revêtent les sujets. Il est de fait devenu ultra-exigeant et seuls les gars sérieux font encore partie du navire. Lorsqu’il est sorti en kiosque pour la première fois il y a une vingtaine d’années, le magazine Rockers, largement inspiré de Rolling Stones, vivait dans l’ombre de son aîné. Pas facile de se faire une place au soleil dans un univers si concurrentiel où les Américains avaient tout fait ou presque. Guillaume a su donner un second souffle à Rockers une dizaine d’années plus tard au point d’en faire le leader en Europe auprès d’une population de lecteurs de plus en plus pointue. Le ton, les sujets abordés (de la musique aux sports de glisse en passant par des sujets de société touchy et underground) et la façon de les aborder ont permis au mag de s’imposer.

« Hello ! » dit Ben en frappant à la porte, toujours ouverte, du bureau vitré de Guillaume.

« Ah, te voilà enfin ! » lui répondit le rédacteur en chef en pointant du doigt une horloge murale indiquant 10 h 5. Cette dernière indique aussi l’heure de New York et de Pékin même si cela ne sert pas à grand-chose ! Et d’ajouter : « prends un café et assieds-toi ! »

« Bien rentré ? On est mieux au chaud non ? » dit Guillaume en s’asseyant dans son large fauteuil, posant une dizaine de pages imprimées sur son bureau déjà chargé de multiples piles de bouquins, de papiers, de feuilles volantes et stylos en tout genre.

« Je ne te le fais pas dire Boss », répondit le journaliste, curieux de savoir pourquoi il avait été convoqué à peine trois jours après son retour d’Islande.

« Bon, je vais être bref, j’ai besoin de toi pour un gros doss’, un beau sujet auquel on compte consacrer une dizaine de pages et peut-être la couv », expliqua Guillaume en ôtant ses lunettes et fixant son pigiste dans les yeux.

« Wahoo, impressionnant, mais, je ne sais pas si… » bredouilla Ben, fébrile devant une proposition si impressionnante.

« Hop hop, attends un peu, je ne t’ai rien dit ! » le coupa Guillaume. « La custom culture, dis-moi, tu connais non ? »

Ben hésita : « Euh oui, enfin, oui et non, qu’est-ce que… »

Guillaume le coupa de plus belle : « Le surf, le skate, le tatouage, la rock’n’roll attitude et surtout la moto, ça te parle non ?! »

« Oui tout à fait, j’ai déjà réalisé pas mal d’articles sur le sujet. En textes et photos, j’avais fait ça pour plusieurs mags d’ailleurs. Pourquoi, ça t’intéresse ? » tenta le jeune journaliste.

« Écoute, c’est notre ADN et on passe à côté. La préparation moto est devenue le fer de lance de la custom culture et on se doit, en tant que leader spirituel, de traiter le sujet comme il se doit. D’autant que j’ai enquêté un peu, ils remettraient au goût du jour les courses clandestines. C’est mon pote des RG qui m’a soufflé ça l’autre soir au pub. Un groupe de doux dingues situé en banlieue organiserait ce qu’ils appellent des full moon race, tu l’as compris, des courses qui se déroulent sur routes ouvertes, les soirs de pleine lune ! Romantique, non ? Mais attention, je ne parle pas d’un sujet bidon fait à la va-vite comme tout le monde peut faire sur le web. Je te parle ici d’un vrai article de fond, un sujet d’investigation à l’ancienne, en infiltré. Tu captes ? » ajouta Guillaume.

Ben hocha la tête en guise d’acquiescement.

« On joue assez gros, on dépasse les limites du lifestyle. Ces mecs se font apparemment un paquet de pognon lors de ces courses et les participants ne sont pas des tendres. Mais d’après ce qu’on m’a relaté, ça vaut le détour. Il y a des bécanes de dingues et un esprit à la Fast & Furious version deux-roues qui risque fort de nous faire sold-out en kiosque ! »

« Oui je vois, mais, la moto c’est un truc que je kiffe, pas un truc sur lequel j’ai déjà écrit… » répondit le pigiste.

Guillaume s’énerva : « Je sais, mais je pense que tu feras parfaitement l’affaire. Tu as déjà réalisé des sujets complexes à l’étranger et tu t’en es toujours parfaitement sorti. On va fonctionner à l’ancienne, avec un indic qui va te donner quelques tips pour t’infiltrer. Tu vas te fondre dans le moule et dans quelques semaines, tu me ponds l’article de ta life. Tu obtiendras le prix Albert Londres et nous la couv de l’année. T’en dis quoi ? »

Gonflé d’orgueil, Ben répondit : « J’en dis que j’en suis, mais comment ça va se passer pour ma couverture, mes frais, etc., c’est-à-dire que… »

« C’est-à-dire que tout est pris en charge ! Alors tu vas rentrer chez toi, te poser, et t’inventer un personnage. Tu as toujours voulu être reporter de guerre, là c’est du pain béni pour toi. Et je sais que tu vas y arriver, c’est le genre de challenge que tu vas relever haut la main. Alors, fais-moi honneur coco ! » ajouta Guillaume d’un ton paternaliste.

Au pied du mur, Ben se leva et tapa dans la main du rédacteur en chef. « Deal » !

« Deal ! On se fait un point quand tu as bien avancé sur le sujet que je puisse prévoir un bouclage. Maintenant, excuse-moi, j’ai du pain sur la planche. Je dois recadrer cette feignasse de maquettiste qui n’a pas compris que quand je lui demande d’être là pour le bouclage, c’est pas pour entendre ses histoires de gosses ou de panne de véhicule ou je ne sais quoi… Le jour où on les aura remplacés par des robots, ils auront que leurs yeux pour pleurer ces esprits étriqués ! » finit par ajouter Guillaume en tapant sur l’épaule de Ben.

Le pigiste traversa l’open space, la tête embrumée par le sujet qu’il venait de récupérer quand il entendit dans son dos, le rédac chef lui balancer : « Force et honneur ! ».

Ben, sorti de ses pensées, se retourna. Dans l’air, flottait Fortunate Son de Creedence Clearwater Revival. Il y avait des enceintes partout ici pour motiver les troupes. Il fit un salut militaire à son boss qui le regardait par-dessus ses lunettes en quittant la pièce par un autre couloir puis jeta un œil autour de lui. Quelques collègues curieux avaient levé la tête. Ils pinçaient leurs lèvres ou faisaient la moue en signe de respect et de compassion mélangés. Ben s’inclina pour les saluer à la manière d’un artiste en plein standing ovation, leur fit un clin d’œil avant de se retourner et d’entrer dans l’ascenseur qui venait de s’ouvrir. Les portes se refermèrent et le journaliste se trouva seul face à son reflet. Dans un souffle de soulagement, il évacua la pression avant de s’adresser à lui-même : « Allez, c’est parti, c’est toi le meilleur, c’est pas toi qui le dis non ?! »

Arrivé au rez-de-chaussée, Ben fit un signe avec son casque à la main aux hôtesses puis s’engouffra dans le tumulte de la rue. Il faisait toujours aussi beau, l’air était un peu frais, mais c’était plus qu’appréciable après le coup de chaud qu’il venait de prendre. Cette fois il le tenait son sujet, le sujet que chaque journaliste attend. Les vrais curieux qui creusent leurs sujets et n’ont jamais compté leurs heures, dont Ben faisait partie, ceux qui n’ont qu’un rêve, réaliser l’article de leur vie. Et celui que Rockers lui proposait était là, devant lui, pas question de laisser s’échapper cette chance ! Alors qu’il déambulait sur le trottoir, un peu hagard, il cherchait qui il pouvait appeler, la personne avec qui il pourrait partager cette grande nouvelle. Puis il s’arrêta net : « et merde ! ». Non, il ne pouvait pas, il devait garder le secret sous peine de faire voler son enquête en éclats. Il devait garder tout ça pour lui, ce qui marqua le début d’une longue période de frustration pour lui. Tout garder pour soi était essentiel, sinon c’était foutu. Ben se sentit grandement seul d’un coup, mais c’était le prix à payer.

Chapitre 2

Chez Mickey

Le lendemain de son rendez-vous chez Rockers, Ben était cerné, le cerveau embrumé, mais avait déjà le couteau entre les dents. Toute la soirée il s’était demandé comment il allait aborder le sujet que lui avait commandé son rédacteur en chef. Allait-il devoir s’inventer un personnage ? Aurait-il juste quelques mensonges à raconter ? Serait-ce dangereux ? Devrait-il être armé ? Autant de questions qui allaient trouver leurs réponses dès que le fixeur entrerait en contact avec lui, mais qu’il n’arrivait pas à chasser de ses pensées pour l’instant. Assommé à coup de Donormyl, il s’était laissé aller dans les bras de Morphée vers minuit devant un docu sur Lenny Kravitz en tournée. Un enregistrement qu’il n’avait pas encore terminé parmi les divers docs qu’il stockait dans sa box. Ce n’était manifestement pas pour cette fois non plus ! Profondément endormi sur son canapé, il fut surpris par une sirène de police sur les coups de 5 h du matin. Décidé à terminer sa nuit dans son lit après un verre d’eau, il n’a plus réussi à fermer l’œil, stressé par son appel. On se dit souvent dans ce cas qu’il vaut mieux se laisser aller, et surtout ne pas commencer à cogiter. Et c’est souvent le contraire qui se passe. Ben venait de passer quatre longues heures à ressasser les tenants et aboutissants de son article, les diverses tâches administratives qu’il remettait toujours au lendemain et même ces satanées vitres qu’il n’avait pas nettoyées depuis six mois… Des heures à s’embrumer le cerveau, quand le téléphone vibra. Un appel masqué bien sûr. Ben décida alors de laisser la personne s’entretenir avec son répondeur comme lui, avait précisé Guillaume par SMS en soirée. Il se leva et se servit un expresso en capsule avant de prendre son téléphone, calepin et stylo en main, pour écouter le message de l’indic.