Glaive du cœur - Mehrnoushe Solouki - E-Book

Glaive du cœur E-Book

Mehrnoushe Solouki

0,0

Beschreibung

Glaive du cœur examine minutieusement la religion à travers les légendes et les traditions millénaires qui renaissent dans les faits réels. Celle de Zahhak, symbole de destructeur des cerveaux, est la trame de fond de ce récit, processus d’investigation mystique dans lequel les personnages se découvrent. Cette recherche se déploie avec insistance dans les lieux saints et à travers les rituels, interrogeant la crise de l’ontologie dans le monde musulman.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Sur la voie de l’expression littéraire, Mehrnoushe Solouki cherche à découvrir les formes de violence qui émanent des sectes religieuses et menacent la vie humaine. Dans sa lutte contre l’esprit de mort, elle souhaite avec le glaive de la langue française déchirer les nuées de l’obscurantisme et faire briller ses pensées mouvantes, en explorant le concept illuminateur de Femme-Vie- Liberté qui ouvre une nouvelle page de l’Histoire.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 270

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Mehrnoushe Solouki

Glaive du cœur

Qui tue Zahhak,

le destructeur des cerveaux ?

© Lys Bleu Éditions – Mehrnoushe Solouki

ISBN : 979-10-422-2140-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Des images nocturnes

Hier soir, j’ai eu en rêve qu’un homme avait installé son spectacle. Les tours résidentielles étaient en tumulte. Les voisins hurlaient. La langue des peuples se mélangeait.

Les locataires sortaient de leurs appartements d’un pas léger. Les cris se répandaient dans les escaliers et les jambes se multipliaient sur les marches. Les langues se mélangeaient. Un gros serpent a été apporté du désert. Le dragon rugissait et la foule l’applaudissait.

Les rangs s’alignaient devant l’éleveur du serpent. Les mains s’étaient tendues vers le panier. Le vent des invocations soulevait des poussières. À ce moment, le soleil s’éclipsa derrière des nuages et les applaudissements de la foule se sont arrêtés. Le quartier était devenu la bouche béante du serpent. Les vêtements s’emparaient des corps, le déchirement des chaires, les craquements des os résonnaient dans les ténèbres. Tandis que là-haut, le dompteur du serpent ouvrait la bouche en criant : « Ha ! Ha ! J’ai entendu les supplices d’un Babel effrayé, à la chair d’agneau, d’une cité sur laquelle apparaît le spectre du serpent. »

J’étais livrée aux mains du cauchemar que d’emblée l’aurore endormie s’était éveillée du ciel nocturne, un poignard à la main. La lumière de l’aurore m’a poignardée. Derrière mes paupières, le soleil était brillant. La brise répandait un étrange parfum à travers la fenêtre ouverte de ma chambre. Ma chambre exhalait la senteur des fleurs de Āmol.

La pensée consciente me dit que ce rêve est un avertissement. Or, c’est la récolte des fruits empoisonnés. L’horizon est un voile de nuées noires. Depuis les minarets, la tempête des prêches parvient des ténèbres des âges, des pollutions s’étendent et aveugle les habitants qui ne voient pas le feu noir qui flamboie dans les yeux de l’animal. Groupe par groupe, la foule s’avance. Sur la place du marché, les lampadaires nomades brutalisent les regards et la navette se remplit des pèlerins de la terre d’Arabie. Le serpent est sorti de son panier. Son œil lance des feux de l’enfer. Mais son estomac est ailleurs. Cette bête flottante a pris large au cœur de l’Europe et nulle part je ne suis en sécurité.

Qui suis-je ? Un cyprès séparé du jardin des ancêtres et son parfum m’avaient accompagné au cours de mon parcours migratoire, son frémissement imprégnait toutes les épreuves de route. Je suis un cyprès digne de la nourriture du maître-jardinier. N’est-ce pas vrai ce qu’il avait dit : « Notre jardin est le pays de Jamshid, terre de prospérité et d’amitié. » Plus tard, sous la domination des occupants de Notre-Dame, la préfecture avait coupé de l’eau qui descendait des rivières de Polour. Nos feuilles avaient été fanées, mais la racine résistait toujours à la sécheresse de la saison d’Ahriman ; la racine de l’honneur et la dignité étaient ancrées dans les profondeurs de la terre ancestrale, ainsi était notre existence.

Mon grand-père, Mirza Davoud, avait brisé les colonnes du sanctuaire de son père théologien. Ainsi, l’école primaire mixte avait été construite et sa voûte étincelait l’azur de Niaki dans la ville de Āmol. Le soleil brillait en un coin du ciel, mais dans les cours de littérature, la lumière du Livre de Roi resplendissait dans le cœur des élèves. Ferdowsî avait composé soixante mille distiques au prix de trente années de sa vie. Livre de Roiest un monument d’une hauteur éblouissante par lequel, on arpente l’histoire d’Iran.

Nous voici, les cavaliers à la chasse des mythes. Le maître chevauchait sur une route qui se situait au-delà de l’Histoire officielle. Le premier chapitre nous donnait des nouvelles de Jamshîd. L’image de fondateur de Cité de l’Iran derrière son armure de métal tournait sans cesse aux confins d’un monde prospère. Un nuage intercepta la lumière du soleil.La poussière surgit de la voie de roi du désert. Lorsque les mages émettent la fatwa de mort de Jamshîd, ils se précipitèrent en terre d’Arabie pour inviter leur élu. Zahhak obtient le droit divin de posséder le trône de l’Iran. Les acclamations hypocrites des mages mirent le voile sur les yeux d’un mystique humble et vertueux jusqu’au jour où sous l’emprise des baisers de Ahriman déguisé en un saint homme, deux serpents se poussèrent sur ses épaules. Le malade ne resterait en vie qu’en nourrissant les serpents. Leur appât fut le cerveau des jeunes. Il en était ainsi durant des milliers d’années, les cuisiniers de Zahhak fouaillaient les cerveaux à l’état purs sans pitié. Et voici que Kaveh s’était adonné à battre au déferlement de despotisme. Au milieu de ténèbres d’Ahriman, il a eu une inspiration. Grâce à son savoir occulte, il échafaude sa flamme cachée sous son armure. L’étendard de Kaveh, la plus puissante, la plus brûlante des armes, mit le feu aux calamités de Ahriman. Enchaîné par Fereydūn, Zahhak est ligoté au fond d’un gouffre boueux de Damavand jusqu’au jour du jugement dernier. Les Iraniens n’avaient pas fini avec Zahhak, il gisait, mais il fut vivant.

Ce chapitre du Livre des rois était une source que Mirza Davoud murmurait à ses élèves. La lumière du soleil perçait le pays de Jamshîd et les élèves chantaient : « Si l’Iran n’existait pas, mon corps n’existerait pas. » Le vent apportait la mélodie des chants des élèves et les feuilles des cyprès dansaient avec le bruissement de la rivière.

Mais le chant de l’amour n’a pas duré longtemps. La vie de Mirza Davoud était la flamme d’une bougie qui s’était éteinte en même temps que se sont éteint les étoiles du ciel du Livre de Roi.

Aujourd’hui, une femme exilée raconte : c’est un temps étrange, une foule d’évènements imprévus arrive. En novembre 2019, lorsque le sang de deux mille cinq cents jeunes avait étincelé dans la nuit et le visage de Zahhak a été apparu. Il s’est élevé à un rang plus terrifiant de la légende. Le corbeau croasse et les cyprès de Christmas se sont pliés aux tempêtes venues du fonds des âges qui envahissent tout, la citadelle de Dieu, le rosaire d’Amour, signe d’adieu de sacré.

La maison est insalubre et les murs continuent à s’effondrer sous les regards apeurés. Les sauterelles du désert attaquent les cités en ravageant les champs fertiles que le Fermier du temps ancien avait cultivés. Les vents asséchants du désert brisent les barrières interdites. Leurs versets de terreur traversent montagne après montagne. Sur la place du marché au cœur de l’Europe, les peuples regardent le spectacle d’un dompteur de serpent.

Et moi, dans mon coin, je regarde les flots qui descendent de Damavand. Sa source est le cours du Livre du Roi. Les mots sont la brise qui souffle du pays des Aryennes et les flots qui se soulèvent à l’appel de la révolte. Un étendard vibre comme la chevelure d’une femme la voûte de montagne de souveraineté. L’aube s’approche et la brise frappe la poitrine palpitante de Polour qui continue son cours aux profondeurs de l’Histoire. Le Kaveh me hèle de son atelier rayonnant. Il me réclame de répondre à son appel. Pourquoi rester resserré par des moisis ? Combien d’années rester retenu dans le silence, le pourrissement de l’exil ?

La navette est arrivée et le chauffeur sonne à la porte. Il ne doit pas rater ses voyageurs de l’aéroport. L’inspiration me dit : « Tu as ton arme de combat par l’entremise des mots en français. À quoi bon rester dans cette maison emplie de l’odeur de moisissure où les pensées vaines courent de tous les côtés. À quoi bon laisser entasser des couches de moisi. Sors de cette maison effondrée ! »

Je suis lasse et je vais me mettre à l’épreuve avec le précieux glaive de la langue française. Certes que le travail est acharnant, mais il ne faut se céder aux conditions de l’exile. C’est lâche de se résigner. Ce voyage est une porte ouverte à l’atelier de forgerie, c’est l’acier des mots que je mets sur le feu pour qu’enfin se liquéfie, ce silence glacé qui m’avait figée pendant des années dans l’inertie.

Le rendez-vous est donné sur la place du marché. J’ouvre la fenêtre aux rayons du soleil pour aérer les couches de pourriture, insupportable insalubrité. Tout le quartier est en tumulte. Mais moi, mes sensations sont remplies de la fraîcheur du printemps, la brise aère les couches de championnes. Je sors comme un soldat cuirassé en marche vers le champ de bataille. Livre de Roi est ma lanterne sans vraiment me faire connaître la destination.

La route aérienne dure environ six heures. Mais, là où je vais n’est qu’une forme. Le rideau se lève et l’invisible devient visible, l’inexistant devient existant, la légende devient la réalité. Zahhak le roi d’Arabie porte sur ses épaules les œuvres d’Ahriman. Ses serpents s’avancent triomphalement de cité en cité, de continent en continent.

Un métal brille d’une profondeur ténébreuse, voici la langue de témoignage apporté dans son temps. C’est ce métal que je veux mettre sous la gorge de Zahaak. C’est moi qui juge et c’est moi qui exécute à travers les mots.

Des nouvelles de Zéphire

Ce matin dans la vallée des chauves-souris, l’aube s’est précipitée pour voir ce que subit le pauvre oiseau dans les griffes d’un cauchemar, alors qu’il faisait encore nuit et c’est l’ardeur du soleil de Damavand qui avait fondu la glace de la peur.

Je suis dans la cage aérienne et je regarde les eaux paisibles du golfe Persique. De la marée noire du détroit d’Humouz, les verdures de l’île de Kish se détachent nettement des bords désertiques arabes. Du côté oriental, le Petit Tomb et Grand Tomb, la fumée blanche de leur rocher repose sur une mer qui miroite au couchant. Une houle se soulève dans un assaut brûlant. Un long trait blanc s’y étend.

Pour la première fois, je donne ma poignée de main à la mer au point d’une rencontre entre le soleil couchant et le golfe Persique.

L’avion survole les flots infinis, englouti par une nuit de clair de lune où le regard blanc des étoiles a illuminé la mer de la patrie dans le silence angoissé de minuit. Maintenant, c’est moi qui dans ce silence et cette solitude me souviens de Toi, ô pays des ancêtres ! Je ne me réjouis que de parler de Lui.

Un instant, en levant la tête, mes yeux rencontrent un barbu sans moustache qui me dévisage sévèrement. Les passagers ont déjà entamé la prière du midi hormis lui.

Depuis mon foulard, une cascade de mèches est tombée sur la frange. En apercevant le flot noir, sa joue pâle rougit et transpire. Finalement à mainte grimace, le barbu quitte sa place accompagné des coups de coude donnés à la tête de la chaise. Il a l’air d’un voleur qui avait attaqué une taverne, il a rempli son sac sans se rendre compte qu’il avait volé l’eau salée au lieu du vin, et maintenant, il a pris la fuite, en colère contre sa débilité. Devant l’invasion de voleurs, le seul bouclier était les cheveux échappés qui avaient le pouvoir de démolir le projet d’un bandit. Ce matin, la mèche noire a été libérée de sa prison et la lionne sème la terreur chez les renards. Je ne suis pas le masque modelé à la queue de l’âne. Les geôliers ne peuvent pas enfermer cette femme dans le tombeau. Voici la chevelure qui étincelle les nuits de tristesse. Sa noirceur couvre les vagues d’une mer tourmentée. Nul bord n’apparaît.

Suis-je vraiment réveillé du rêve de la nuit dernière ? Puis-je tenir l’étendard du Kaveh ? Mon arme risque-t-elle de se briser en mille éclats ? À tout instant, la peur barre le chemin. Je n’ose pas l’attaquer, l’emprisonner. Pourtant, la peur avait été morcelée avant mon départ et maintenant elle déborde dans mon corps.

Une petite femme vient de s’asseoir à mes côtés. Elle dit :

— Pour un Kebab délicieux, le livreur le couvre pour que les affamés de la rue ne l’attaquent pas !

Je dis : La femme n’est pas Kebab ! Lavez vos yeux.

Avec un sourire nerveux, elle réplique :

— Baissez votre foulard qu’on n’attaque pas vos jolies mèches !

Il lui semble que j’ai soulevé le couvercle pour exposer un bon gâteau aux yeux des animaux affamés.

Elle marmonne :

— Nous sommes en terre d’Allah pour chasser le péché. Couvrez vos cheveux !

Je ne dis plus rien. Je suis devant un chasseur expérimenté qui guette le poisson libre. Le chasseur veut le renfermer dans un bassin stagnant. La langue est son filet.

Horizon de Mirza Davoud

À l’horizon d’une vallée aride, une masse de nuit était dressée, un amas en chair au milieu des milliers de corps vêtu en blanc. Aucun doute que ce monument rectangulaire est un patrimoine qui répond aux attentes des gestionnaires du ministère de Guidance. Aucun doute qu’au point de vue commercial, ce cube noir était une caisse de revenu. Dans cette mer de vagues tourbillonnantes, l’affaire des théologiens païens et monothéistes était bien en marche. Il y a des milliers d’années, les générations d’hommes accomplissent des tournées autour de sa pierre noire, ils invoquent leurs souhait, espoir et désespoir puis ils rentrent chez eux.

N’est-ce pas vrai ce qu’avait dit le maître de Āmol ? « Quand je L’avais appelée, mon cœur a répondu. »

Ces mots de Mirza Davoud furent un orage qui avait mis le feu à la caisse de revenu des théologiens. Mon regard s’envole encore plus loin. N’est-ce pas que dans le cœur qu’Il nous invite à venir dans Sa maison ? Qui pourrait comprendre, ce qu’il cherche est en lui, et que l’honneur de Le rencontrer est un voyage gratuit. Qui pourrait comprendre que la destination est le cœur et le pèlerinage est une rencontre sans distance ni frontière. Bienheureux, celui qui brûle des ficelles du palmier d’un paradis forcé.

Lorsqu’il se précipite au purgatoire, l’enfer le supplie : ne passe pas à côté de moi, car ton feu éteint le mien. S’il restait dans le paradis de l’ignorance, il serait dans l’angoisse. Il ne faut pas que l’inquiétude casse son aile. Il ne faut pas qu’il craigne de se mettre à l’épreuve en voyageant au cœur de ses obscurités. J’avais cru qu’en venant en France, je serais en sûreté, je marchais tranquillement en suivant les règles de bien-être tel que rien n’échappe pas à un caractère normal. Bien entendu, le bonheur n’est pas indispensable pour une vie normale et équilibrée. Il suffit de se sentir contente. La vie ressemble à une cuisine correctement aménagée si on apprend à connaître la place des ustensiles. À ce moment-là, tous les objets serviront à une bonne recette, aussi appétissante que bonne pour la santé. Mais avant ça, il faut bien tenir goût aux plats, meilleurs antidépresseurs que n’importe quelle ordonnance pour les pharmacies.

Certes que la vie en exile m’avait privé de courage pour nager dans une mer tourmentée, alors que je savais nager. Le passage des années avait rouillé l’étendard de Kaveh. Toutes les nuits, une pensée pragmatique me disait : « Joue l’ignorante. Celui qui vient de temps en temps chez toi, ne parle jamais de lui aux autres. Ne fais jamais ses louanges. Les voisins se fâchent et te traitent d’insolente. Protège-toi par l’habit que je t’offre. »

Enfin, le cauchemar de la nuit dernière m’a réveillée, comme si les images avaient jeté l’eau glacée sur mon visage, et mes yeux s’étaient ouverts, écarquillée. Un homme avait ramené un serpent à la foire de mon pays d’accueil. D’emblée, toute ma vision était tombée au sens dessus dessous. Ce réveil était trop brutal pour moi, il faut une sagesse aiguisée qui me met face à face d’un monde en voie de destruction.

Ce soir, malgré les nuées de gaz, le soleil d’une bonne pensée brille. Le vin de la rivière déborde à travers les feuillages du palmier aux multiples branches et rameaux. C’est l’appât de fruit défendu qui me ramène au bord de l’aventure. J’ai cassé le tambour de pensée pragmatique qui me mettait en garde contre les risques de la route. Qu’importe si ce cheminement devient la rivière de mon sang. Je sais ! Je sais cacher mon secret et de ne pas divulguer. Mais mentir ; je ne sais plus.

Zâl, orphelin aux cheveux blancs

Le lendemain de l’arrivée à l’hôtel, j’ai rencontré Arame. Lui aussi n’était pas d’une nature docile pour porter la foi à un voyage routier. Mes sourcils se sont tordus, lorsqu’il m’a d’abord parlé du jeune de l’avion et les rumeurs des habitants du quartier à son sujet. Je n’ai aucun intérêt à connaître la vie intime de cette personne, aucune tristesse pour son comportement brutal, comme si par mes cheveux libérés du voile, j’avais fracassé son crâne qui m’avait barré la route.

La vie de ghetto est un virus qui se dégénère. Salman le Français a peur qu’en venant à Paris ses yeux rougissent en tombant sur les bras et les jambes nus des femmes, comme quoi leur ombre l’accompagne à son retour à la maison. Il dit qu’une fois, il était allé au parc de Montsouris, les jambes des femmes lui rappelaient d’autres organes. La nuit, il a eu en rêve qu’il se roulait avec une ânesse sur les pelouses du parc et se besognaient ensemble à qui mieux mieux.

— Je ne sais pas. Hormis l’Arc de Triomphe et le Louvre, y a-t-il d’autres choses à voir à Paris, je ne sais pas.

Mais si les bras nus des femmes brûlent ses yeux, il peut demander un traitement à un psychiatre.

Arame insiste sans remâcher :

« Lui, il croit que les malades sont les hommes blancs. Il dit qu’un homme qui passe à côté d’une femme nue sans être excité, c’est un malade sexuel. S’il vous plaît, ici, on n’est pas à Paris, pensez donc à votre sécurité.

— Mais pourquoi ?

— Hier, il disait que dans la navette, la noirceur des cheveux échappés d’une Majûs l’avait ramené à la nuit de ses égarements. »

Arame me regarde avec inquiétude dans l’attente d’une réaction de ma part. Mais, j’ai déjà égorgé ma peur. Il pose donc une question dans l’attente que cette fois, son tir cible bien son objectif :

« Comprenez-vous que vous n’êtes pas en France ?

— Justement, je suis venue dans un pays de risque pour chercher des coups.

— Mais, la brutalité des individus pareils à ce garçon est-elle un coup qui vaut la peine d’en mourir ? Au moment où l’assassin enfonce sa lame dans le cœur de l’enfant digne d’Adam, c’est ça la vie éternelle dans la mort. Par exemple en France, dessiner la caricature des personnages saints est un fruit de l’arbre que ces types nous interdisent de manger.

— La lame glacée de sainte ignorance n’est pas un coup sérieux pour un amoureux qui a décidé de vivre une existence enflammée. »

On a la chance que la navette ne soit pas arrivée :

« Quand l’insalubrité envahit une maison, il faut détruire la maison tout entière. Dites-lui cette vérité dans un langage que vous estimez plus compréhensible.

— Il n’est pas mon compatriote, heureusement !

— J’ai compris que vous êtes turque de souche.

— Vous croyez ! réagit Arame avec un rire épanoui. Sincèrement, je ne connais pas mes souches. »

Jusqu’alors, Arame parlait d’un ton ferme qui vient de disparaître, pourtant il garde son éloquence : « Vous me permettez de dire d’où je viens ? »

Il était élève d’une école laïque de Mantes-la-Jolie, dans la commune des Yvelines. Le père s’était montré satisfait des résultats prometteurs de son fils unique, il l’avait promis à une belle carrière. Si le talent du fils avait remonté une entreprise franco-turque, le cœur du père battait de fierté. Le fœtus de l’Empire ottoman avait grandi dans le ventre de Marianne. Mais hormis un fil ombilical pour se nourrir, l’embryon de l’immigration n’avait pas d’autre dispositif pour se former dans un corps français.

C’est la raison pour laquelle le père avait incombé au fils d’accomplir les ambitions des aïeuls. Vaincre le marché des produits français, voilà le jihad économique. Ses projets défiaient le fils hypersensible qui n’avait pas de volonté de participer à la Post-Ottomans sans nier que le concept de « Pauvre-moi, Main-d’œuvre ! » est démodé. Dans son entourage, les enfants de la migration des pays du soleil couchant, Maghreb, ont brisé la coquille de « Pauvre-moi, le colonisé ! » Après avoir détruit la coquille de « Communauté », ils sont devenus le noyau « Me voilà ».

Quoi que ce soit, le père avait organisé l’inscription du fils à l’École des hautes études commerciales. La nuit, il ramenait à son studio de la cité universitaire, la nuée de son enfance. Il se battait dans le chaos des images que le père lui avait dessiné, le pays des ancêtres victorieux, la gloire du califat. Il avait besoin d’un éclair qui déchire les files que son père avait cousues comme le costume d’un Sekban. Son corps aspirait à une sorte d’explosion pour vriller ses gènes millénaires. Mais quelle matière fallait-il pour un projet de guerre intérieure ? Il cherchait en lui une raie de lumière, mais pour la trouver, il doit connaître sa propre substance. Le psychologue l’aidait à fouiller la jungle de mentale. La psychothérapie verbale n’était que le fourmillement dans les branches et rameux. Plus il pénétrait la jungle, plus les ramures s’alignaient l’un contre l’autre, assiégeaient toute chose : le langage, les comportements et les rêves nocturnes.

Les nuits, un rêve cauchemardesque le renvoyait à une vie antérieure à sa vie actuelle. Le monde avait été transformé en baignoire de liquide amniotique d’une femme. Il était jeté dans un utérus sombre entre le sang et la boue, se contentait de se nourrir aux aliments fades. Ses souhaits se dissolvaient dans la tiédeur d’un ventre. Avec le passage des semaines et mois, le rêve et la réalité se confondaient. Pendant des nuits, les images se renouvelaient. Il revoyait son évolution intérieure dans les rêves qui se précédaient l’un à l’autre. Lentement, les entrailles maternelles avaient commencé à palpiter, la douleur de délivrance s’était emparée du corps. L’enfantement, voilà la transcendance de l’intellect. Le fœtus de l’esprit était arrivé à la maturité. C’est vrai que dans la durée, ce fût un tourment, mais finalement pour le fœtus, la migration devint une nécessité, sinon, il serait asphyxié. Mais quelle délivrance alors que la main du père le retient ? Voilà la question qu’il se posait dès son réveil et pendant la journée la réflexion l’accompagnait dans les couloirs de l’école de commerce. Et quand le soir, il ouvrait la fenêtre de son studio, il pensait à un acte :

— Nuit après nuit, je me livrais aux mains du rêve. Je ne désire rien, aucun souhait, ni vœu, ni espoir, aucune voix ne venait plus me troubler, hormis mon cœur quipalpitait à mon réveil. Quelque part, il existe un monde en dehors de la Turquie du Califat et de la France de Marianne. Mon pays étincelait au rythme des battements du cœur. J’imaginais, le sublime Danêa qui tendait sa main comme une sage-femme brillante pour me faire sortir de cette matrice remplit de sang et de boue. Ce ventre obscur n’était pas mon pays !

Lorsque le matin, je me regardais, le miroir montrait un autre que moi. J’ai su que mon vrai visage est ailleurs, j’aspirais à me rencontrer. Pendant des nuits, mon intellect galopait et galopait et enfin, je vis mon Danêa, ma conscience secrète.

Aussitôt, Arame remonte son discours sur la réorientation de ses études vers la philosophie illuminative. Désormais, le projet paternel irritait le fils par son caractère inadapté à l’aventure intellectuelle qu’il avait commencée dans son studio à la cité universitaire.

« Avez-vous tué le père dans votre ego ? dis-je, amusée de la métaphore. Quel courage quand on connaît le sort d’un orphelin ! »

Arame dissimule sa gêne en faisant semblant d’une résolution fatale :

« Mon père était un chiot qui mangeait les os des cadavres Ottamans. Et moi, j’ai bu le vin du maître de l’illumination. Cela a transformé un enfant en un homme. Quelle stupidité quand un jeune musulman flatte des conquêtes terrestres de Salah Eddine Ayoubi ou la mise en feu des bibliothèques de la Perse par l’armée de l’islam. L’épée des conquérants d’Andalousie était en bois. La seule épée que j’ai reconnue fût Raison de Shahab al-Din Sohrawardi qui avait enflammé les ténèbres de Salah Eddine Ayoubi.

— Vous savez comment Sohrawardi avait été exécuté ? En prison, ils l’ont étouffé avec de l’argile dans sa bouche.

— C’est évident que les fascistes de l’époque avaient pris cette ivresse comme la révolte contre Allah. Quant à moi, malgré le risque, je suis prêt à sceller mon sang dans cette coupe que Sohrawardi m’avait offert. Seulle vin nous lave des mensonges de l’Histoire. Seule l’ivresse nous rend notre dignité. Mon crâne était prêt comme une vase pour l’instant que le ravissant Échanson vient me remplir de Son vin ; un vin sans couleur, intouchable. Il y a des années que mon cœur attendait ce breuvage sans avoir aucune idée à propos de cette coupe. L’heure vient qu’un choix m’a ramené à l’épanouissement. J’ai détruit derrière moi tous les ponts que le père avait fondés vers la Turquie de la dictature glorieuse. Mon père avait beau croire qu’il pourrait mettre son projet économique dans un crâne vide de cerveau. Non, je n’étais pas un Turc attendu devant le cimetière Ottaman des ancêtres ? Et quelle ivresse au moment où j’ai tué le père avant qu’il me ramène à ce cimetière rempli des cadavres des sultans conquérants. »

Jour après jour, je menais l’action de l’esprit dans la vie réelle plutôt que rester un simple observateur en poste d’étudiant en philosophie. Jour après jour, le concept de l’identité turque s’était réduit à l’obscurité de nihilisme. Ce faux visage du miroir était mort. Désormais, nier les ADN me tenait à cœur, toutes ces théories, tous les arguments avaient été réduits aux déchets fumants, rien qu’un fumier qui monte des poubelles. Je remercie Sohrawardi et son interprète, le professeur Henri Corbin, ces secouristes qui ont sauvé ce « je » qui errait sur les eaux stagnantes et polluées de l’exil.

— Et qui était votre mère ?

— Je ne sais pas. Mais je sais que Mère-Patrie était une vieille femme au visage ridé qui avait couché avec de nombreux hommes. Mon père n’avait pas tué sa vieille pute, et moi je n’avais plus envie d’entrer en conflit avec les hommes avec qui elle avait partagé sa couche.

Les universités ouvrent toujours une vitrine sur l’orient géographique. Mais le parfum de fleur ne donne pas l’ivresse à quelqu’un dépourvue d’odorat. À l’instar du clerc qui gagne leur pain par le commerce de la foi, les enseignants touchent leur salaire en papier et leur récompense sous la forme de bourse universitaire. Jadis, une enseignante d’Inalco avait présenté le Livre Dedans de Djalâl ad-Dîn Rûmî comme une œuvre poétique. Cette dame, spécialiste de la littérature, est un exemple de quelqu’un qui ne connaît pas ce qu’est l’ivresse. Qui ose entrer à l’océan, s’aventurer au-delà des vagues qui risquent de devenir rouges du sang ?

Arame goûte le fruit mûr de désobéissance au père biologique : « Loin de ma communauté, j’étais Zâl, le nourrisson nimbé de chevelure blanche,rejeté par son peuple à cause de sa différence. Ces mêmes cheveux blancs balayent la poussière de l’âme, et Sîmorg me protégeait et me nourrissait. C’était en haut dans les montagnes de Damavand que l’ascension avait été accomplie. La foudre d’Ahurâ brûlait le palais du roi. Et moi, j’étais Zâl et Simorg m’avait accueilli dans ses bras. »

— Et quel flambeau avait dirigé Zâl ?

— L’amour n’est pas le feu ?

— L’amour tout seul est une femme captive sous les griffes de l’animal féroce de sensualité. Je pense qu’il nous faut des pensées lumineuses qui battent les ténèbres de nos sensualités. Pour dire qu’il n’y a que les belles pensées qui font resplendir l’amour.

— Et l’amour et la connaissance ne sont pas deux ailes de Simorg ? Vous venez du pays où la Confrérie de l’amour et la connaissance avait illuminé la nuit de l’islam.

— Stop, ne m’énervez pas ! Depuis quatorze siècles, les Tazians ont obscurci le ciel de l’Iran !

— Je comprends combien leur barbarie vous dégoûte en tant qu’enfant de la terre d’Iran, mais moi, au cœur de ténèbres de banlieue, j’ai perçu cet éclat. Parlez-moi, des astres qui ont étincelé la nuit d’occupation des Tazians.

— Ah non ! Ce n’est pas propice d’allumer le feu dans une jungle. Pourquoi parler de ces bêtes féroces que la révolte de 79 avait ressuscitées ?

— La politique ne me regarde pas. Pourrais-je entendre à travers votre voix, les bruissements des ailes de Simorgh ?

— N’insistez pas, ma peine est semblable à Rostam qui meurt parce que l’Iran meurt sous les sabots des soldats ennemis. Lorsque Rostam parle, on croit que c’est l’Iran qui parle.

— Pourquoi, vous ne voulez pas être ses échos ? Vous parlez bien en français.

— D’accord. Pourtant, méfiez-vous ! Je ne suis pas historienne et vous n’entendrez que l’écho de ma peine.

— Je vous écoute !

« Au sixième millénaire après Jésus Chris, l’étendard immaculé de Kaveh est tombé du toit du palais Ctésiphon. La chute du royaume Sassanide n’était qu’un flot qui venait de la mer enténébrée de domination des mages et de leur injustice sociale. La flamme du temple mazdéen avait été obscurcie, Mazdak et Mani avaient été exécutés sous la fatwa des mages. Afin de se venger des répressions des religieux mazdéens, les peuples aryens se précipitèrent vers la tempête, ils se jetèrent sur les flots des Tazians. Le déluge des drapeaux noirs les emporta. Le vent de vengeance éteint le feu des temples de Mazdéennes et le Déluge avait arraché les vêtements des dignes héritiers de Zarathoustra. Mais, les baleines de mer ne tombent jamais au filet des chasseurs. À partir du moment où le Déluge s’était retiré et les ruines apparaissaient, les héritiers de Zarathoustra ont mis le feu de Barzine-Mehr dans leur temple. Livre de roi était le temple d’Ahura Mazda que les disciples de religion de l’amour y avaient pris le refuge. Livre des Rois était l’abstraction de l’Arche des disciples de Zarathoustra délivrées de la mer enténébrée des Tazians. »

Arame m’écoute en silence. Ses yeux brillent sans y déceler la moindre variation. Malgré le fait de ne pas percevoir un brin de curiosité dans son regard, je continue à me donner le courage pour me replonger dans la mer en m’interrogeant : supposons que le plongeur de trésor sous-marin trouvera des coquilles qui valent la peine qu’on les ouvre, est-ce que le hasard nous dira que dans l’une d’elles est la perle et dans une autre, un mollusque bivalve ? Quoi que ce soit, c’est moi qui ouvre la coquille avec la volonté d’ouvrir et voir ce qui est dedans ; voilà mon interprétation des mythes fondateurs de l’Histoire.

Après l’échec du royaume Sassanide, les hypocrites ont présenté Ahriman de ténèbres comme lumière de Dieu. Ceux qui ont répondu « non » à ce dieu