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"Histoire d’une effraction – De l’image du monde au monde des images" est une immersion dans les profondeurs de l’histoire de l’image, traçant son évolution depuis ses origines jusqu’à sa transformation en un puissant outil de manipulation et de contrôle. Cet ouvrage interroge le rôle de l’image dans la société moderne : est-elle un simple moyen d’élargir notre perception du monde ou il s’agit d’un stratagème utilisé pour augmenter les profits des grands possédants ? Vers quoi se dirige-t-on ? Les nouvelles images sauront-elles participer à ce renouveau de l’être et du savoir ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Maurice Koster, après avoir rejoint le CERIS – Centre d’Études et de Recherche de l’Image et du Son, a dirigé et programmé plusieurs cinémas Art et Essai dans la région parisienne. Jadis professeur d’histoire du cinéma à l’Université d’Évry, il choisit de partager une approche pragmatique de l’image avec ses lecteurs.
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Maurice Koster
Histoire d’une effraction
De l’image du monde au monde
des images
Essai
© Lys Bleu Éditions – Maurice Koster
ISBN : 979-10-422-3352-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Il faut deux visages à la vérité : l’un pour notre aller, l’autre pour notre retour.
René Char
Et Dieu créa l’homme à son image. Ce détour permit à l’homme de concevoir Dieu à la sienne.
René Huyghe
Un célèbre scénariste italien, Tonino Guerra, raconte sa rencontre avec le cinéaste Andrei Tarkovski. Ce dernier était en repérages en Italie, pour les besoins du film qu’il préparait. Il s’était adressé à Tonino Guerra afin que celui-ci l’aide à trouver les paysages et les décors dont il avait besoin.
Guerra commença par l’emmener visiter la Toscane. Ses plaines vallonnées, et couronnées de cyprès qui en dessinent les courbes. Ses monastères nimbés de lumière. Ses musées, où une part de la beauté du monde s’est réfugiée.
Au bout d’un certaintemps, Tarkovski s’étonna : Tout ce que tu me montres est très beau, mais ce n’est pas mon film ! Moi, ce que je recherche, ce sont des paysages vides et désolés, des espaces secs et arides, pourquoi me montres-tu cette luxuriance ?
Guerra lui répondit alors : Je vais t’expliquer. Dans cette région de Toscane où nous sommes, vivait il y a plus de deux siècles, un peintre renommé qui avait des disciples. Afin de les former, il leur donnait un exercice à faire. Il plaçait dans leur main gauche une sphère métallique, puis il leur demandait de dessiner un cercle avec leur main droite. L’exercice accompli, il leur disait : « Voyez-vous, ce trait que vous avez tracé n’est pas un simple trait. Toute la force, la perfection et la beauté de cette sphère que vous teniez dans votre main gauche sont passées et se sont incarnées dans le trait que votre main droite a tracé.
S’adressant de nouveau à Tarkovski, Guerra conclut alors : Et pour toi, il en est de même ! Je sais bien que ces riches vallées et ces musées n’apparaîtront pas dans ton film, mais si je te les montre, c’est afin que les moindres gestes de tes personnages, le moindre regard qu’ils porteront sur les choses et sur les gens soit empreint de cette beauté que je t’ai montrée, et leur donne une dimension et une profondeur supplémentaires.
Je me suis souvent demandé ce qui différenciait un grand film d’un autre plus commun ? Cette immédiate certitude que nous avons d’être en présence d’une œuvre, là où d’autres ne produisent qu’une histoire ?
Sans doute peut-on comprendre dans le récit qui précède que certains films sont « habités », et d’autres désespérément lisses, et de ce fait, que ce qui constitue la force d’une œuvre, ou d’une image, est cette même faculté qu’elle va avoir de renvoyer à un contenu plus vaste que l’aspect qu’elle présentede prime abord. De la profondeur de ce renvoi, de l’espace qu’il fera parcourir à nos sens, dépendront la qualité et la force de l’œuvre.
Nous sommes tous habités par des images, et les portons souvent même en dépit de nous. Est-ce cela que l’on appelle « culture » ?
Au cours de notre vie, elles s’accumulent et vont constituer un formidable stock qui nourrira les plus infimes de nos choix. Nous héritons en outre des images de nos proches, qui, comme par osmose, nous sont transmises et conditionnent notre regard et nos savoirs.
Une partie de ce que la psychanalyse nomme « inconscient » est forméed’images venues de notre enfance, parfois de plus loin encore, qui cimentent nos acquis, et dont nous ne maîtrisons que ce qui ne vient pas heurter la morale et les convenances sociales. Le reste est, dit-on, notre part sombre, à laquelle nous devons cependant nos plus beaux rêves !
On est en droit de s’interroger sur la part véritablement consciente qui préside à la gestion de notre quotidien. Ne sommes-nous pas, à notre insu, manœuvrés par des images venues d’ailleurs, je veux dire du dehors de nous-mêmes ?
Notre libre arbitre sur lequel se basent les lois républicaines nous appartient-il vraiment ? Ou n’est-ce qu’une illusion savamment entretenue par l’oligarchie médiatique et le consensus démocratique ?
En sommes-nous arrivés àcet état qu’Orwell appréhendait, dans lequell’homme, privé de toute vie personnelle, est épié de toute part, et jusque dans ses rêves, par un œil électronique guettant toute déviance ?
Et sinon, comment avons-nous pu donner tant de pouvoir et d’emprise sur notre quotidien à l’image ? Pourquoi lui avons-nous permis de pénétrer nos espaces publics et privés, de se substituer à notre pensée ? Car à la différence de nos anciens, si nous pensons encore par images, celles-ci n’ont plus nila même teneur ni la mêmesignification que celles qui régissaient leur vie.
Les images changent, les mécanismes demeurent.
Par quelles perversions de l’Histoire en sommes-nous arrivés à nous laisser guider par ce que nous avons sécrété ? Car ne nous y trompons pas, nous sommes asservis par les images, cernés à tous les coins de nos désirs et de nos vouloirs. Incapables que nous sommes de choisir nos vêtements, nos voitures, voire même nos destinées, sans les modèles qui en fixent les normes.
Si l’image, dans un premier temps, nous a permis de nous reconnaître en fixant et désignant les valeurs et les modèles de nos communautés, elle est bien vite devenue un enjeu esthétique, puis commercial.
Abandonnant la dimension du sacré, l’image s’est confrontée à l’homme, qui l’a réduite à sa propre dimension.
Avec l’apparition du Cinématographe à la fin du siècle dernier, ce sont nos existences mêmes qui sontmenacées d’incertitudes, car pour la première fois dansl’histoire de l’humanité, la machine à projeter des images nous a invitésà vivre par procuration.
Ainsi sommes-nous devenus une génération de voyeurs1.
Dans La nuit américaine, François Truffaut, qui interprète le rôle d’un metteur en scène – son double dans la vie –, dit en s’adressant à Jean-Pierre Léaud :
Je sais, il y a la vie privée. Mais la vie privée, elle est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie. Il n’y a pas d’embouteillage dans les films, il n’y a pas de temps mort. Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le cinéma.
Le cinéma plus grand que la vie : Bigger than life ! C’est pour ça qu’on y va. On y va pour se voir tel qu’on aimerait être : plus grand que la vie !
Le cinéma fabrique une mémoire factice.
Au fur et à mesure qu’il déploie son gigantisme, aussi bien par la taille de ses salles que par les effets de ses images, ce sont nos vies qui rétrécissent d’autant.
Nous nourrissons encore l’illusion qu’en allant au cinéma, nous voyons un film, alors que c’est lui qui nous regarde. C’est le film qui nous observe et qui se gausse de nous. Nous ne sommes qu’un reflet appauvri des images que nous avons magnifiées.
De plus, par sa fonction symbolique, l’image renvoietoujours à quelque chose d’autre, à un ailleurs. Cependant, au cours des siècles, ce renvoi s’est inversé. Là où, obéissant à son sens premier, l’image symbole nous permettait d’appréhender une vérité métaphysique, d’en comprendre les mécanismes afin d’ordonner notre réel, l’image actuelle ne renvoie plus qu’à son avatar inférieur. Elle n’a plus mission de témoigner ni d’enseigner, mais de vendre, et par là même, participe de la confusion générale.
Les causes en sont multiples. Certaines analyses démontrent qu’au cours des âges l’image est passée par différents stades correspondant à chaque fois à un appauvrissement de sa signification.
La médiasphère, apparue avec le développement des systèmes de communication modernes, veut nous faire croire à l’immédiateté et à l’unicité du monde, alors que dans un même temps, le Moyen-Âge et la cybernétique se côtoient dans la plus grande indifférence !
Vers quoi allons-nous ? L’image participe-t-elle de la reconnaissance du monde, ou n’est-ce plus qu’un leurre destiné à accroître les marges bénéficiaires des grands possédants ?
Si l’image se vend, est-ce parce qu’elle s’est vendue ?
Est-il alors pertinent d’invoquer une image vierge de tout regard qui viendrait la flétrir ? L’image du premier jour, de la première fois. Cet oubli de nous-mêmes qui nous mène à nous fondre avec la chose vue.
Comment faire pour réinventer la première fois ?
Est-il possible dequestionner l’image depuis son origine et de rendre compte des grandes mutations qu’ont induites les métamorphoses du regard ? De comprendre comment l’image est constitutive du réel et de l’imaginaire de nos sociétés ? Comment la « modernité » vaapprendre à la fabriquer, l’analyser, la faire circuler, la manipuler, jusqu’à en faire un outil de pouvoir et d’aliénation.
L’Histoire nous enseigne que l’on peut juger une civilisation à la manière dont elle utilise les images qui procèdent d’elle (ou dont elle procède ?) et, que de ce fait, le moment actuel apparaît comme celui du plus grand développement matériel, associé au plus grand dénuement spirituel.
Le cinéma, à sa manière, rend compte de son temps. Il est révélateur des grands mouvements historiques de l’art et de la société, il en illustre ses mutations. Ainsi l’avènement et l’expansion de la publicité ont de toute évidence introduit un autre rapport au temps et à la lecture de l’image, dans lequel se sont engouffrés nombre de cinéastes qui ne se réfèrent plus qu’à cette esthétique commerciale.
Il a fallu vingt siècles à notre civilisation pour que l’image se dote du mouvement. Nous avons ainsi créé une « créature » à l’image de celle imaginée par le rabbin Loewe de Prague au XVIIIe siècle : un Golem. En lui donnant la parole, nous en avons fait un Dieu !2
Nous avons divinisé le cinéma et placé ses acteurs au firmament, dans un ciel dont ils sont devenus les « stars », les étoiles, retrouvant la fonction première de ces astres : indiquer le chemin à l’égaré.
Ces étoiles-là n’indiquent plus d’autres chemins que celui qui mène à elles.
Y a-t-il quelques fondements au pessimisme que l’on voit poindre chez de nombreux esprits ?
Les choses ne cessant de se dégrader de génération en génération, prédire des catastrophes est une activité normale, un devoir de l’esprit.3
Verrait-on cependant se préfigurer une nouvelle intelligence du quotidien avec quelque espoir que cela profite à notre espèce ? Les nouvelles images sauraient-elles participer de ce renouveau de l’être et du savoir ?
Y aurait-il encore quelque pertinence à invoquer l’interdit mosaïque de la représentation, en ce début du XXIe siècle, dont tout nous porte à croire qu’il démultipliera les technologies liées à la communication de masse, et dont on peut redouter une plus grande détresse individuelle ?
Les récits fondateurs
Les mythes sont les premières images transmises, source de récits qui ne sont ni de la fiction, ni de la littérature, mais l’expression authentique de la représentation du monde à partir de quoi vont s’élaborer les rites.
La pensée des anciens était « cosmo-mimétique » :Que faut-il comprendre de cette affirmation empruntée à l’orientaliste françaisPaul Mus, qu’il n’y avait pas de pensée individuelle ? Certes, non ! Mais que la représentation que ces hommes se faisaient du monde était une représentation collective à laquelle tous adhéraient. Que cet ordre était fondé sur l’immuabilité de l’agencement des planètes et de la pensée mythique qui le constituait.
Levant les yeux au ciel, l’homme voyait ce qu’il était, ce qui le reliait aux autres hommes et au temps qu’il traversait. Le modèle était le monde ; le monde dans sa globalité était enseignement. La pensée était image. Le ciel était dans sa totalité, écran permanent.
Chaque civilisation se référait à des images mythiques pour inscrire la compréhension de son monde et l’ordre auquel elle devait se conformer sous peine d’y perdre sa cohésion, son sens, et de basculer par là même dans le chaos.
Pour l’homme religieux des cultures archaïques, toutecréation, toute existence commence dans le temps : avantqu’une chose n’existe, son temps à elle ne pouvait exister. Avant que le Cosmos ne vînt à l’existence, il n’y avait pas de temps cosmique. Avant que telle espèce végétale ne fût créée, le temps qui la fait maintenant pousser, porter fruits et périr n’existait pas. C’est pour cette raison que toute création est imaginée comme ayant eu lieu au commencement du temps, in principio. Le temps jaillit avec la première apparition d’une nouvelle catégorie d’existant. Voici pourquoi le mythe joue un rôle si considérable ; c’est le mythe qui révèle comment une réalité est venue à l’existence4.
Mais la fonction du mythe outrepasse de beaucoup le simple récit fondateur des origines dans la mesure où chacune de ses évocations réactive ce temps. On comprendra alors qu’il ne s’agit pas d’une simple histoire de l’ordre du divertissement, ou de la mise en sommeil de l’enfant, mais de ce que les modernes pourraient aujourd’hui qualifier de « psychodrame collectif », destiné à ramener au réel et à rendre opérationnels les principes dont il n’est que le médiateur.
Le mythe n’est pas coupé du temps, mais lui donne sa véritable mesure, en le ramenant à l’essentiel de sa signification, qui n’est pas l’écoulement des jours, mais le rappel constant du récit des origines. Réactiver le mythe, c’est revenir périodiquement au commencement des choses. C’est se faire « acteur ». En prenant part à la création du monde, les anciens se régénéraient constamment, car ils mettaient chaque fois en scène leur propre naissance.
Le temps sacré est par nature, même un temps réversible. Toute fête religieuse, tout acte liturgique consiste dans la réactualisation d’un événement sacré qui a eu lieu dans un passé « mythique » : au commencement.
Cosmologie d’une part, rationalisme et évolutionnisme d’autre part. Le devenir des choses et les différentes formes que nos sociétés ont empruntées pour se constituer à une histoire.
Les modernes veulent y voir le triomphe de l’apprentissage sur l’obscurantisme. Les traditionalistes n’y voient que l’oubli suicidaire des relations qui unissent l’homme au grand tout cosmologique dont il n’est que le maillon infime et indispensable. Dès lors où le temps nous éloigne du mythe fondateur, son principe n’opère plus : le monde n’a plus de sens ni de centre.
Les productions d’images
Les mythes sont des images mentales qui servent de point de repère au réel. Les premières productions d’images seront des substituts de la mort, mais tous ne sont pas égaux devant la mort.
La fonction première de l’image n’est ni ornementale ni encore moins décorative. Elle est magique dans la mesure même où les images sont « investies », chargées de forces et de pouvoirs.
Les premières images sculptées, peintes, façonnées, ont servi d’intermédiaire entre le monde d’ici et celui de l’au-delà, entre les vivants et les morts, entre l’univers du visible et celui des forces invisibles que le gouvernent depuis les sphères impalpables. L’image n’est pas un produit de l’homme pour l’homme, elle est, dit Régis Debray, « Un moyen opératoire »5.
L’image a une fonction sacrée qui rend indispensable sa participation à la vie communautaire. L’image est deïphore, porteuse de Dieu. On l’invoque et la vénère. Non pas le support, mais ce à quoi il renvoie. Cependant, en raison de sa nature même « sacrée », tous n’y ont pas un égal accès.
Celui qui possède l’image est investi de sa puissance. Parce qu’elle est un enjeu de pouvoir, elle a d’abord été réservée aux morts illustres, puis aux puissants décédés, avant de représenter les puissants en vie.
Quel orgueil a dû connaître celui qui le premier confisqua l’image à ses propres fins !
C’est que l’image outrepasse l’individu, elle le sublime, il y a transfert d’âme entre le représenté et sa représentation. Par ce transfert s’établit un mécanisme qui échappe au temps. Avoir son image, c’est faire un pied de nez à la mort.