Iggy Salvador - Antoine Zebra - E-Book

Iggy Salvador E-Book

Antoine Zebra

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Beschreibung

Découverte d'un phénomène musical révolutionnaire : Iggy Salvador et ses Bootlegs !

La première fois que je l'ai vu, il était à poil, perché sur sa table de DJ, torse nu et pantalon baissé, les bras levés en signe de victoire, visiblement ravi d’arborer fièrement sa tige devant 5000 personnes. Mon voisin était hilare. Il le trouvait sûrement ridicule, à juste titre. Moi aussi, j’aurais dû, mais non, au contraire, je lui trouvais même une certaine classe. Oser faire ça sur la grande scène, avant l’arrivée d’Iggy Pop, le roi du déballage de paquet, putain quel cran !»
Iggy Salvador est un DJ rock mélomaniaque et exhibitionniste. Au début des années 2000, il rejoint le Pirate Music Club, une bande de remixeurs sauvages installée sur les forums internet et dans les clubs de Paris, Londres et San Francisco. Ensemble, ils bouleversent les codes de l’industrie de la musique grâce à des mixes improbables : les Bootlegs, des productions de contrebande circulant illégalement.
Mais tout ceci était-il bien réel ?

Entre réalité et fiction, on découvre l'univers des créations musicales, des remixes et de l'ambiance des clubs. Un récit atypique et fascinant !

EXTRAIT

À la fin du concert, je l’ai perdu de vue. Il s’était envolé, l’oiseau. Merde, je voulais lui payer un coup, et… HEY, c’est LUI ! Il était remonté sur scène, toujours aussi goguenard, face au public encore surexcité par la déflagration punk-rock qui venait de s’abattre en plein cœur du 91. Pendant qu’une équipe technique lui réinstallait son kit d’ambianceur, il s’agitait en devant de scène, il haranguait, il faisait tout pour capter l’attention en attendant qu’on lui ouvre le son. Puis il a rejoint ses platines, dans le coin gauche de la scène, et il a envoyé Are you gonna be my girl de Jet. Cette fois, il avait tapé dans le cinq mille. Le public a clamé sa joie, place au rock’n’roll nightclub !
Sa playlist était impeccable : The Strokes, The Clash, The Libertines, Queens Of The Stone Age, et aussi des mixes incroyables entre des chansons complètement différentes.
Des bootlegs.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Antoine Zebra est un auteur et musicien français. En tant que DJ Zebra, il a popularisé le Bootleg (ou Mashup) en France, sur les radios (Zebramix sur Oüi Fm, Virgin Radio, France Inter, ...) et les scènes de nombreux festivals. Également chanteur et comédien, il est actuellement membre du duo Bootleggers United.

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Antoine Zebra

Iggy Salvador

Chœur de pirate

Nous on fouille les poubelles de la musique !

Vive les pillards, les bandits et les pétards.

Nous on met les doigts partout !

Vive les pillards, les bandits et les pétards.

Nous on fait pipi dans tous les coins !

Vive les pillards, les bandits et les pétards.

Nous sommes les gamins en folie !

Pour l’instant, on se contente des pétards.

Attention, bientôt, on sort le lance-flammes, attention, bientôt.

Nous on colle des bites sur tous les murs !

Vive les pillards, les bandits et les pétards.

Tu sais, la nuit, les affiches se défigurent.

Vive les pillards, les bandits et les pétards.

Plus c’est moche, plus ça nous plaît.

Plus c’est moche, plus ça nous plaît.

On ne comprend rien, on ne respecte rien.

On ne comprend rien, on ne respecte rien.

On ne comprend rien, on ne respecte rien.

On ne comprend rien, on ne respecte rien.

1er avertissementde Billy Ze Kick & Les Gamins en Folie*

La rencontre

« Ahahaha, regarde-moi ce guignol ! »

La première fois que je l’ai vu, il était perché sur sa table de DJ, torse nu et pantalon baissé, les bras levés en signe de victoire, visiblement ravi d’arborer fièrement sa tige devant 5 000 personnes. Mon voisin était hilare. Il le trouvait sûrement ridicule, à juste titre. Moi aussi, j’aurais dû, mais non, au contraire, je lui trouvais même une certaine classe. Oser faire ça sur la grande scène du festival Les Effervessonne, avant l’arrivée d’Iggy Pop, le roi du déballage de paquet, putain quel cran !

Ça s’est passé très vite, dix secondes de mise à l’air à la fin d’une chanson des Hives - très bon choix -, puis il a bondi par-dessus les platines et est retombé comme un félin, il a remonté son futal, a salué la foule et s’est cassé. Comme ça, aussi sec.

Pas d’applaudissements, pas de rappel.

J’ai adoré.

Les nombreux festivaliers qui attendaient le concert d’Iggy & The Stooges s’en foutaient royalement. Les fans étaient impatients, bouillonnants, ils ne voulaient que lui, LUI, WE WANT IGGY, et pendant ce temps-là, DJ Guignol faisait le mariole ! Un simple pousseur de disques placé dans un coin de la scène pendant les changements de plateaux, une ambiance musicale pour animer le ballet des techniciens allant et venant installer le matos des groupes, des musiciens, des VRAIS !

Tout le monde l’avait déjà oublié quand Ron Asheton, le guitariste des Stooges, est entré sur scène. Il a allumé son ampli, l’a fait gueuler jusqu’au larsen, puis la batterie a entamé le riff de No fun, l’icône a déboulé comme une avalanche en hurlant « HELLO MOTHERFUCKERS ! », et moi je me demandais encore « mais c’était qui, ce type ? »

Le groupe cassait la baraque et perçait les tympans. Ça tranchait du hit au kilowatt, 1969, TV Eye, Search and destroy... les trois premiers albums cultes revus et non corrigés, aussi bruts et abrupts.

C’est pendant Down on the street que je l’ai aperçu dans la foule, à trois mètres de moi. Je ne pouvais pas le rater, il se tortillait frénétiquement en mimant le solo de guitare. Il fallait que je lui parle.

–Hey, c’est énorme ce que tu as fait, tout à l’heure.

–Ha ?

–Le coup de faire ton Iggy à la place d’Iggy.

–Moi aussi, je m’appelle Iggy.

–Quoi ?

–Iggy Salvador.

–Ah bon ?

–C’est marrant, non ? Iggy comme Pop et Salvador comme Henri. Mes potes ont trouvé que ça m’allait bien et… non mais t’entends CE SOLO comment il DÉCHIRE !!!

Je dirais même plus : il lacérait. Ron-le-gratteux-taciturne avait encore monté le volume de son ampli, j’étais obligé de hurler dans l’oreille de mon voisin pour discuter.

–Je te paye une b…

–T’entends ? ÉCOUTE comme c’est BON !

J’ai fermé ma gueule et je l’ai regardé prendre son pied. Scène étrange : Iggy admirait Iggy, et Iggy le lui rendait bien.

À la fin du concert, je l’ai perdu de vue. Il s’était envolé, l’oiseau. Merde, je voulais lui payer un coup, et… HEY, c’est LUI ! Il était remonté sur scène, toujours aussi goguenard, face au public encore surexcité par la déflagration punk-rock qui venait de s’abattre en plein cœur du 91. Pendant qu’une équipe technique lui réinstallait son kit d’ambianceur, il s’agitait en devant de scène, il haranguait, il faisait tout pour capter l’attention en attendant qu’on lui ouvre le son. Puis il a rejoint ses platines, dans le coin gauche de la scène, et il a envoyé Are you gonna be my girl de Jet. Cette fois, il avait tapé dans le cinq mille. Le public a clamé sa joie, place au rock’n’roll nightclub !

Sa playlist était impeccable : The Strokes, The Clash, The Libertines, Queens Of The Stone Age, et aussi des mixes incroyables entre des chansons complètement différentes.

Des bootlegs.

Je connaissais ce genre de mixes joyeusement décadents, associant des styles complètement différents. Certaines radios en diffusaient, mais je n’avais encore jamais vu de DJ en jouer sur une scène de concert. Lui faisait plus que les jouer, il les incarnait physiquement, en adoptant les gestuelles des musiciens originaux détournés, comme un Air-Band à lui tout seul. De leur musique il faisait sienne. Sa transe était communicative.

De temps en temps, il fixait la foule puis, sous le coup d’une inspiration soudaine, il fouillait brusquement dans son bac à disques, et en saisissait un, comme un joueur de poker prêt à claquer son meilleur atout. En quelques secondes, il calait sa sélection puis la balançait effrontément, sûr de son coup. Je n’avais jamais vu un « pousseur de disques » aussi impliqué. Ce mec savait JOUER. On ne l’avait pas mis sur cette sacrée scène par hasard.

Un paquet de danseurs était amassé face à lui. Sans doute les mêmes qui l’avaient ignoré une bonne heure auparavant, mais la donne avait changé, dès la nuit tombée. Le disc-jockey était devenu leur guide, il leur donnait un cours de swing, go Iggy go, Iggy be good. Personne ne faisait plus attention aux allers-retours en pleine bourre des techniciens affairés par la mise en place du concert suivant.

Une vingtaine de minutes plus tard, il a fini son set avec un mix de Fatboy Slim, Von Bondies et la voix d’une rappeuse qui gémissait « Fuck me on the dancefloor ». Princess Superstar, m’a soufflé une voisine. Le message était explicite, j’ai cru qu’il allait se déboutonner à nouveau. C’était limite... mais non. Point trop n’en faut.

Fin du show.

D’en bas, je gueulais :

–HEY IGGY ! Je t’offre une bière ?

–Carrément !

Il a rangé ses disques et son casque dans son sac, puis il a pris son élan, a sauté par-dessus la barrière, et il est retombé droit devant moi.

–Une pinte ?

–Et même deux. Je veux savoir... t’es qui, toi ?

–Oula... Il en faudra au moins quatre, alors.

Et il a éclaté de rire.

Un rire sonore, tonitruant.

SALVADOR ! Mais oui, bien sûr.

Chezlui

Une collection de disques en dit beaucoup sur les gens. Encore faut-il en avoir une.

Il y a ceux qui n’en ont pas, ou qui n’en ont plus, qui ont tout revendu, ou rangé, à la cave, au grenier.

Il y a ceux qui en ont peu, quelques compilations de bars branchés placées entre des albums insipides de Texas ou Moby, et un vinyle des Doors encadré dans le salon parce que c’est design.

Et puis il y a ceux QUI EN ONT, les acheteurs compulsifs, les boulimiques insatiables, les drogués. Pas besoin de chercher, on ne voit que ça chez eux : leurs meubles dégueulent de vinyles et de CDs, il y en a partout, près du canapé, contre la table basse, sous le bureau, dans la chambre et jusqu’aux toilettes. Voilà à quoi ressemblait l’appartement d’Iggy Salvador.

Je ne l’avais plus lâché depuis sa flamboyante dépantalonnade festivalière. Après avoir descendu quelques bières, on était devenu potes. La bière est un désinhibiteur efficace. Il m’avait raconté un tas d’histoires, sans liens apparents mais qui, si on essayait de les assembler, pouvaient définir un parcours, un caractère. Est-ce qu’il avait tout inventé, ça, je n’en savais rien. J’avais gobé ses bonnes paroles, parce qu’elles me plaisaient, et puis je me disais qu’il serait bien temps, un jour, de délier le faux du vrai.

Puis le service de sécurité nous a poussés vers la sortie. Il m’a demandé si j’étais venu en voiture, oui, alors dans ce cas, est-ce que je pouvais le ramener chez lui ? On était tous les deux un peu bourrés, et quelque chose me disait qu’avec cet énergumène-là dans ma caisse, j’avais des chances de me faire contrôler par les flics. Une belle rencontre contre un retrait de permis... ainsi va la vie. Heureusement, avec son statut de participant au festival, il avait accès à la sortie des artistes, plus tranquille, de l’autre côté du site.

Ça valait le coup de connaître une star.

Sur la route du retour, nous écoutions l’album de Kasabian, à plein volume, en hurlant des mélodies dignes d’un stade de foot : « Laaaaaaaa la laaaaaa lalalalalaaa lalaaaa, oh come on ! We got our backs to the wall ! », et c’est dans cette ambiance de Champions League que je l’ai déposé devant chez lui.

J’étais trop claqué pour le suivre toute la nuit, alors il m’avait laissé son numéro.

-Passe quand tu veux, je te ferai écouter des trucs.

-Avec plaisir. Dis-moi, c’est quoi ton vrai nom ?

-Iggy.

Grand sourire.

Je n’avais pas attendu longtemps.

Trois jours plus tard, j’étais chez lui, allongé sur le tapis de son salon, au milieu de son bordel, pendant qu’il virevoltait devant moi, saisissant un disque après l’autre, selon ce que notre conversation lui inspirait. Sa façon de chercher les vinyles, de les prendre et de les poser était aussi fascinante que la musique qu’il me jouait. On aurait dit qu’il cuisinait, et tout ce que j’entendais ouvrait mon appétit, ma curiosité et mon esprit.

Rock, punk, funk, soul, « Fishbone ! L’album Truth and soul, 1988, melting-pot révolutionnaire par une bande de blacks surexcités de Los Angeles » et hop on passait au hip-hop, Public Enemy « Night of the living baseheads, un sample envoûtant, la colère en dansant, I’m talking ‘bout BASS », deux trois pas de boxe, puis du reggae, rub-a-dub, Yellowman, « une sale gueule, salace, qui groove sur de grosses basses, zungguzungguguzungguzeng, irresistible », et le ska, rocksteady, « The Ethiopians, Train to skaville, tchou tchou ! », et du jazz, swing, Duke Ellington période big band, Harlem, New York, bebop, « Dizzy Gillespie, sa période latino, Manteca, avec Chano Pozo aux bongos, c’est chaud », il dansait et chantait devant moi, faisant son cirque, son cinéma, puis il envoyait la sauce pimentée, salsa, timba cubana, « Los Van Van, Esto te pone la cabeza mala, ce break de percus ! allez lève ton cul », détour par James Brown, « toujours James Brown, la musique qui parle à tout ton corps », et il m’emmenait au Brésil, samba, bossa, carnaval de Bahia, avant de partir en Italie, « Mina, écoute-la, Tintarella di luna, c’est l’amour, c’est la joie », court silence, temps suspendu, vinyle in, vinyle out, main sur le bras de la platine, diamant dans le sillon, ballade romantique de Richard Hawley, « Oh my love..... splendide, j’en ai les poils qui se dressent », enchaînée à une longue suite orchestrale égyptienne de Mohammed Abdel Wahab, voyage dans le désert, ciel bleu aux étoiles claires, puis Nino Ferrer, retour en France, les vacances et la chienlit, « car je suis dans la merde, et je vous emmerde », pour accompagner Katerine, en braillant dans son appartement, avant de rallumer les gaz avec les Chemical Brothers, « back with another one of those block rockin’ beats ! », le son à fond, ça tremblait de partout, les voisins tambourinaient à la porte, BAM BAM BAM, faites quelque chose, appelez la police !, mais Iggy était lancé, que la fête continue, plus sale, plus sauvage, le rock graisseux de Black Rebel Motorcycle Club, « c’est bon comme une bière chaude ouverte avec les dents, whatever happened to my rock’n’ roooooooll !!! », son blitzkrieg bop faisait autant de bruit qu’un moteur d’avion au décollage, ravageant tout sur son passage, « je suis chez moi, vous entendez, CHEZ MOI, c’est MA musique », et c’était reparti, soul swing and carnaval, il passait par tous les états, par tous les styles.

TOUS !

Ce mec écoutait vraiment tout.

Ce qui est le contraire de « un peu de tout ».

Comment peut-on définir quelqu’un qui est aussi excité par Angel of death de Slayer, Slow love de Prince, et Mwin malad aw du Grand Méchant Zouk ?

–Mais pas n’importe quelle version, celle enregistrée en live au Zénith 1988 ! Tu entends ça ? Le son de la foule ! On a envie d’entrer dans le disque et de gueuler avec le public : Tout le monde est Makoko !!

–Oh tu sais, moi, le zouk...

–C’est pas LE ZOUK, ici, c’est CETTE CHANSON, celle-là, précisément. Hors d’âge !

Je regardais son mur de disques comme s’il s’agissait d’un monument historique. Il m’a observé malicieusement.

–Vas-y, mets tes mains dedans !

–Je peux ?

–Évidemment, sinon ça sert à quoi ?

Le premier que j’ai retiré était The no comprendo des Rita Mitsouko.

–Mon gars, on va être copain. C’est mon album fétiche, je le connais par cœur. Il pourrait être parfait s’il n’était pas aussi génialement imparfait. Chaque chanson transpire, chaque note glisse et se maintient à la suivante dans un déséquilibre harmonieux, et pourtant tout est homogène. Voilà la définition du groove. Tu comprends ?

–Je ne demande qu’à comprendre.

–En même temps, il n’y a rien à comprendre. Il faut juste être curieux. C’est ce qui t’a amené jusqu’ici, non ?

–Oh tu sais, je voulais surtout te piquer tes disques.

–Connard !

Éclat de rire simultané.

Dans mon garage

Iggy était un joyeux, un marrant qui aimait rentrer dedans. Un amuseur fouteur de merde. On pouvait le prendre comme ça et en rester là, ça aurait été dommage. Il en faisait des caisses pour cacher ses secrets. Un après-midi avec lui, parmi ses disques, permettait d’entrevoir une profondeur insoupçonnée. Faire l’imbécile, c’est à la portée de tout le monde, mais le faire avec du sens et de l’esthétisme, est une « question de savoir-rire », comme il disait.

Les filles du Pulp l’avaient bien compris, quand elles lui avaient proposé de devenir le DJ résident de leur nouvelle soirée rock.

Christine, la programmatrice de « Dans mon garage », avait longtemps cherché un DJ qui saurait mixer du rock, groovy et électro, pas trop branché et très dansant, au contraire de ce qu’avaient proposé quelques journalistes branchouilles des Inrockuptibles ou Technikart prétendus platinistes, aux goûts trop élitistes. Iggy, qui était déjà venu jouer au Pulp, de temps en temps, avait un style fourre-tout débridé qui pouvait faire l’affaire. Un soir, Christine l’avait pris à part : « Les filles veulent se marrer, alors faire ton carnaval avec du rock, c’est possible ? »

Il avait accepté le challenge, avec plaisir, alors elle lui avait filé le job.

Un soir, Iggy m’invita à le voir là-bas.

–Viens, ça va te faire délirer !

–Évidemment que je vais venir. Mais... c’est une boîte ? Tu joues dans une cabine ? Tu dois te sentir à l’étroit, non ?

–Non, pas là-bas, ça ne me gêne pas, je n’ai pas besoin d’en faire des caisses. Seule la musique compte. Et puis, tu verras, il y a un concert rock à chaque soirée, sur la piste. Tu vas prendre ta baffe.

–Encore ? J’ai l’impression que je vais avoir les joues gonflées à force de te suivre.

–Mais oui ! C’est ça la vie !

Le mercredi suivant, nous voilà sur le boulevard Poissonnière, Paris 9e, devant un club qui ne payait pas de mine. Mais là-dedans, c’était une tout autre histoire. Le Pulp était une boîte de filles tenue par des filles, lesbiennes, aventureuses et généreuses, avec des filles aux platines, des filles à la programmation, des filles au bar, à la sécu, sur la piste... où les garçons aiment bien venir aussi, hétéro ou gay, tout le monde était bienvenu. Super ambiance, conviviale, entrée gratuite, pas de carré VIP, musique qui défonce... tout pour plaire.

Le club idéal.

La cabine DJ était au fond d’un petit dancefloor, sur lequel les filles dansaient sur toutes les musiques, absolument toutes, pointues et populaires, parce qu’elles en avaient envie, sans snobisme et sans retenue, pour leur plaisir et celui du DJ.

Depuis minuit, Christine était aux platines, elle jouait des standards rock, Red Hot Chili Peppers, The Clash, Joan Jett. Quelques mecs étaient scotchés au comptoir du bar, mais toutes les nanas étaient déjà en train de danser, en évitant de se cogner aux amplis et instruments installés sur la piste, devant la cabine.

Ainsi, c’était là qu’Iggy s’exprimait ! Ou plutôt qu’il s’exerçait. Lui qui n’avait jamais acheté de matériel de DJ, ni de mixette ni de platines CD, s’entraînait à mixer dans un des meilleurs clubs de Paris, un mercredi par mois.

–Ça te plaît ?

–C’est super ! Si tu ne m’en avais pas parlé, je n’aurais jamais imaginé que...

–Oui, c’est ça le drame, on n’imagine jamais assez.

–Quand vas-tu jouer ?

–Après le concert. Ce soir, c’est The Stupid Cupids, un trio qui joue vite et fort, j’ai hâte de les voir.

Moi aussi, du coup.

Iggy avait l’enthousiasme contagieux. On pouvait adhérer ou pas à ses élans passionnels, chacun ses goûts. Mais cette fois, la baffe promise m’a percuté en pleine face. Putain, ce groupe !! D’où sortait-il ? Un trio punk, de haut niveau, qui jouait vite et fort, et super bien ! Les trois furieux envoyaient tout ce qu’ils avaient dans le ventre, en pleine nuit, devant nous, à même le sol, batterie et amplis dans la gueule, ici même, sur la piste d’une boîte de nuit !

J’ai halluciné.

Et puis, dès la fin du concert, Iggy Salvador a balancé un remix electro-rock des Sex Pistols Anarchy in the UK, qui s’est répandu dans les enceintes du club comme une poudre incandescente. Je dansais au milieu d’une foule joyeuse, de plus en plus compacte, de tous bords, de tous genres, des filles au masculin, des garçons au féminin, rockeurs échoués et clubbers perchés partis en vrille jusqu’au bout de la nuit.

Elles et Ils étaient dans leur garage !

Tout pouvait arriver. Quand Iggy a joué Jean Genie de David Bowie, les corps sont entrés en fusion dans une danse frénétique et sexy, et je l’ai vu sortir précipitamment de sa cabine pour participer à l’orgie pendant quelques minutes, avant d’être happé par une partie du public qui l’a empêché volontairement de retourner à ses affaires, préférant le retenir un instant au cœur de leurs excentricités.