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« Mes pensées m’ont ramené à la voix de N. qui s’harmonisait si bien avec la mienne. Elles m’ont également replongé dans cette sensation désagréable de ses lèvres contre les miennes, de sa langue froide dans ma bouche. Elle ne semblait pas être une mauvaise fille juste un peu perdue au milieu de ses vêtements en désordre. À quoi d’autre ai-je pensé avant de sombrer dans le sofa ? »
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dans ce récit à portée universelle, sans fioritures et sans concession envers lui-même,
Jean-Pierre Grimaldi revient sur une relation amoureuse de vingt-six ans. Une plongée vertigineuse dans les mécanismes de l’aveuglement volontaire et dans le vide.
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Jean-Pierre Grimaldi
Il y a une ombre
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Grimaldi
ISBN : 979-10-422-2920-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Nous ne nous connaissons pas, nous qui cherchons la connaissance ; nous nous ignorons nous-mêmes : et il y a une bonne raison pour cela. Nous ne nous sommes jamais cherchés – comment donc se pourrait-il que nous nous découvrions un jour ?
F. Nietzsche
Un soir de juillet chaud et humide comme tous les soirs de juillet au Québec, quand la canicule s’éternise à Montréal et qu’on cherche une idée pour se rafraîchir lorsqu’on n’a pas l’air climatisé chez soi. Le téléphone retentit dans mon trois-pièces, un sous-sol minable où je me suis enterré après mon divorce. C’était Norm, un copain prof de français dans un collège qu’il avait bien hâte de quitter parce que, disait-il, ses élèves ne l’écoutaient pas… Enfin, c’était Norm au téléphone qui m’invitait à venir pêcher avec lui sur les bords des Prairies, une rivière polluée à l’extrême où les poissons, une fois sortis de l’eau, ne prient pas pour y retourner. J’acceptai son invitation, non pour l’amour de la pêche ; Norm venait me prendre en compagnie d’une caisse de vingt-quatre bières bien froides. C’était un soir de juillet chaud et humide, un soir de petite déprime, comme ça, sans raison apparente, ce qui m’arrivait rarement depuis que je vivais seul.
Nous n’avons rien attrapé. Restait-il des poissons dans cette rivière ? Nous avons bu, nous avons parlé. À sa sixième bière, Norm eut le courage de me dire que mon ex-femme avait rencontré quelqu’un. So what...? Pour moi, la page était tournée, le livre fermé, balancé à la poubelle. J’avais vécu dix-huit ans avec mon épouse, dix-huit années évaporées de ma mémoire, il n’en restait rien, rien que l’amour pour l’enfant, la petite fille que nous avions mise au monde, sans doute pour sauver notre couple qui battait de l’aile, notre couple sous respiration artificielle. La venue d’un enfant ne fait pas repartir un cœur.
La nuit se déposait par mèches noires sur la rivière des Prairies. Nous avons ramassé nos bouteilles de bière vides. Les cannes dans les mains et un fort taux d’alcool dans le sang, nous avons pris place dans la voiture de Norm. Elle nous a ramenés miraculeusement dans notre quartier. Nous avons terminé la caisse de bière dans mon minable trois-pièces en parlant des poissons que nous aurions dû prendre, que nous étions heureux de ne pas avoir pris.
Et puis, le fou rire s’était emparé de nous comme à chaque fois. La vie était belle depuis que je vivais seul, deux années à rire, à sortir avec les amis, à voir des spectacles, à prendre le temps de lire, d’écouter la musique que j’aimais. Chaque fois que j’étais disponible, ma fille venait déjeuner avec moi, elle n’avait qu’à traverser la rue. Je la guettais par le vasistas en préparant le repas. Libre ! Je me sentais libre, sensation oubliée. Aucune envie de rencontrer quelqu’un.
Je m’étais remis à la composition de chansons, j’avais renoué avec les amis d’une autre époque. Nous nous réunissions quelquefois, chantions nos dernières créations, juste pour le plaisir, aucun de nous n’ayant l’ardent désir de faire « carrière ». Nous avions atteint et même dépassé la quarantaine sans regret pour nos échecs, nos manques de chance ou d’opportunité. Tout cela était derrière nous. Tout cela était derrière moi. Je gagnais ce qu’il me fallait pour vivre en m’étant inscrit comme serveur chez plusieurs traiteurs de Montréal. Je travaillais sur appel sans aucune attache, sans aucune contrainte. Aucune envie de rencontrer quelqu’un. Aucune envie… Un mantra pour ma vie retrouvée.
Par un autre après-midi de paresse, je suivais en direct la première guerre du Golfe à la télé lorsque le téléphone sonna. Tout de suite, je n’eus pas envie de décrocher, pensant qu’on m’appelait pour du travail. Je finis par répondre. C’était l’ex-musicien d’un groupe qui avait eu ses heures de gloire au Québec dans les années 70 et 80, avec qui j’avais pris un cours d’écriture de chansons, il y avait de cela deux ou trois ans. Il voulait que je m’inscrive à son nouveau cours intitulé « Écriture d’un opéra rock ». J’en trouvais le prix un peu trop élevé, c’était à cause de sa durée, m’expliqua-t-il, on ne pouvait pas créer de toute pièce un opéra rock en trois mois à raison d’un soir par semaine. Le sujet n’en était pas encore décidé, il fallait écrire le livret, la musique, et surtout mettre d’accord tous les participants sur le choix des chansons à garder, ce qui, disait-il, ne serait pas une mince affaire. Le projet ne m’emballait pas ; ce ne serait pas du gâteau de travailler avec une douzaine d’ego plus ou moins compétents en la matière, la plupart n’ayant carrément rien à faire dans ce cours. Pourquoi ai-je accepté ? Sûrement parce que j’avais beaucoup d’estime pour ce musicien de talent qui m’avait convaincu de m’embarquer dans cette galère. Avec le recul, ce fut vraiment la galère : quinze participants qui ne se sont jamais entendus sur rien et qui ont finalement accouché d’un triste spectacle de dix chansons donné un seul soir dans la cafétéria d’un collège.
Il y avait trois femmes sur les quinze participants à la création du « Fiasco rock ». L’une d’elles s’appelait N. Je ne faisais absolument pas attention à elle, jusqu’au jour où elle s’était mise à chanter devant tout le monde, et je dois dire que je restai stupéfait, comme les autres d’ailleurs. Une voix, une voix singulière, profonde et émouvante. À cette époque, j’avais besoin d’une voix féminine pour interpréter et enregistrer deux chansons que j’avais composées en collaboration avec une jeune auteure qui voulait tenter sa chance dans la chanson. Je me débrouillai pour m’asseoir à côté de N. le cours suivant. C’est ainsi que nous commençâmes à échanger quelques mots, à nous rapprocher. Sans détour, je lui parlai rapidement de ce projet d’enregistrement. Elle était partante.
Il nous fallait nous rencontrer en dehors du groupe. Elle m’invita plusieurs fois chez elle afin que nous répétions les chansons en question. Nous avions rendez-vous la semaine suivante chez notre professeur. Il s’était proposé de faire une démo que nous aurions remise par la suite à l’auteure qui disait avoir un projet… (je n’en ai plus jamais entendu parler de celle-là.) Je n’aimais pas son appartement du Plateau Mont-Royal, il m’angoissait. Il est des lieux où l’on se sent mal à l’aise sans aucune raison apparente, son appartement était de ceux-là. Elle me confia plus tard, alors que je lui parlais de mon angoisse du début, que le propriétaire de l’immeuble avait été à l’agonie dans l’appartement du dessous, qu’il avait beaucoup souffert avant de mourir. Nous faisions de la musique pendant que le propriétaire vivait ses derniers instants. Je suis persuadé que ce n’est pas cela qui m’angoissait. J’avais hâte de partir sitôt arrivé. Il n’y avait pas de porte à sa salle de bains, je devais me retenir pour ne pas me retrouver à uriner devant elle. Elle disait que les membres de sa famille qui venaient la voir trouvaient ça très drôle de faire ses besoins devant tout le monde. Drôle de famille… Bien que gêné, et un peu dégoûté aussi par la chose, je me suis entendu lui dire que je trouvais cette absence de porte complètement géniale. Je n’en pensais pas un mot bien sûr. Je ne voulais pas la froisser. J’avais juste besoin de sa voix, je n’avais nul autre projet nous concernant.
Les vêtements de N. étaient entassés un peu partout dans l’appartement. Il était impossible de s’asseoir sur le canapé du salon qui ressemblait à une péniche chargée à pleine capacité et prête à partir. Je pouvais voir sa chambre, les pièces étant disposées l’une à la suite de l’autre en « salon double » comme on dit au Québec. Une pagaille indescriptible y régnait, des vêtements, des vêtements partout sur le lit, sur les fauteuils, débordant des armoires, des tiroirs… « C’est cute chez toi ! » lui ai-je dit, bien que ne trouvant rien de mignon dans cet intérieur sens dessus dessous. Elle me répondit que c’était son côté bohème. Ce côté bohème qui pouvait se refléter aussi dans le mobilier style vide-greniers. Elle avait dû écumer les marchés aux puces et les poubelles du mercredi, jour où, à Montréal, les gens déposent sur les trottoirs de la ville tout ce dont ils veulent se débarrasser. Elle m’avait dit qu’elle trouvait ses meubles chez les antiquaires.
Physiquement, N. n’était pas belle, sans être laide, petite, grassouillette, un visage sans beauté particulière, le teint mat qui, ajouté à son absence d’accent québécois, m’avait fait soupçonner une origine maghrébine. Non, elle venait de la campagne québécoise, élevée dans une petite ferme laitière, d’une famille de huit enfants. Le père était mort à quarante-neuf ans, emporté par une crise cardiaque après avoir assuré l’avenir de tous. N. avait débarqué à Montréal voilà cinq ans, son diplôme de psycho-éducatrice en poche, métier qu’elle n’a jamais exercé. Elle travaillait comme éducatrice dans une garderie ; elle s’occupait d’un groupe d’enfants entre deux et trois ans. Il m’a fallu lui arracher les vers du nez pour savoir tout ça, elle n’aimait parler ni de son passé à la ferme ni de son travail actuel auprès des enfants, job qui était pour elle strictement alimentaire. Elle voulait chanter ou peindre ou sculpter, enfin, tout ce qui lui ferait oublier d’où elle venait. Elle voulait devenir « artiste ».
La séance d’enregistrement s’était bien passée. N. avait réussi deux bonnes interprétations. Notre professeur était content du résultat. Il avait mis une bouteille de vin blanc au frais pour fêter ça. Nous nous sommes un peu éternisés en parlant chanson. Pourquoi ne monteriez-vous pas un spectacle tous les deux ? lança le prof avec un sourire indéfinissable. N. et moi nous nous sommes regardés d’un air qui voulait dire : chiche ! L’idée d’un spectacle en duo avait commencé à germer à cet instant précis, et l’appréhension qui va avec. Le trac m’a toujours paralysé avant un spectacle. Je n’avais pas hâte de ressentir ça de nouveau. J’avais raccompagné N. en voiture. Devant son immeuble, avant de se séparer, elle m’avait enlacé et plaqué ses lèvres sur les miennes, un vrai french kiss, avec la langue. Je n’ai pas apprécié. Je n’aimais pas son odeur. Je n’ai pas voulu monter chez elle comme elle m’y conviait, prétextant la fatigue.
Veux-tu rester encore seul longtemps ? me suis-je demandé dans mon sous-sol assis devant la télévision. Je me suis mis à penser en regardant Des chiffres et des lettres. Ce cours d’opéra rock était peut-être un signe, le début de quelque chose. D’abord, je participais à l’écriture d’un opéra, j’avais composé la musique de deux chansons qui risquaient de se retrouver sur un CD, la perspective de monter un spectacle avec N. qui interprétait mes textes à ravir. Je pensais que je pourrais composer pour nous deux, que nous pourrions nous produire dans des bars pour commencer, puis dans des salles plus grandes, de plus en plus grandes… J’avais soudain l’impression qu’il se passait des choses nouvelles dans ma vie, même si je l’aimais bien ma vie de troglodyte faite de petits bonheurs. Je pensais à ce baiser dans la voiture. N. avait trente ans, j’en avais quarante-trois, j’étais encore pas mal, je plaisais aux femmes. Dans les deux ans qui ont suivi mon divorce, j’ai eu quelques aventures sans lendemain. Je savais ce que je ne voulais pas : une femme avec des enfants, une femme ayant du mal à se défaire de son ex, une fofolle psychologiquement dérangée. J’ignorais ce que je voulais. J’avais – je peux le dire – gâché dix-huit ans de ma vie sur une fausse impression. À la première soirée passée avec celle qui allait devenir ma femme, je m’étais laissé bluffer par une déclamation déchirante de « Barbara », le poème de Prévert. J’étais convaincu d’avoir rencontré quelqu’un qui me ressemblait, qui aimait la poésie, la lecture, quelqu’un qui s’intéressait à la culture. Combien de temps s’est-il écoulé avant que je réalise que cette femme n’aimait que l’argent ? Pendant les dix-huit ans que nous avons passés ensemble, mon ex-femme n’a jamais ouvert un recueil de poésie. De temps en temps, elle marmonnait devant les copains « Barbara » qui s’émiettait avec le temps. La seule chose que je savais faire d’à peu près bien, c’était écrire des chansons. J’ai fait trente-six métiers pendant ces dix-huit ans, mais jamais de ce côté-là… J’ai gagné de l’argent, et quand elle a estimé que je n’en gagnais plus suffisamment, notre mariage est parti à vau-l’eau.
Mes pensées m’ont ramené vers la voix de N. qui s’accordait si bien avec la mienne. Elles m’ont ramené aussi à cette sensation désagréable de ses lèvres sur mes lèvres, de sa langue froide dans ma bouche. Elle n’avait pas l’air d’être une mauvaise fille, peut-être un peu paumée au milieu de toutes ses fringues en bataille. À quoi d’autre ai-je pensé avant de sombrer dans le sofa ?
Une fois par semaine, après le cours d’opéra rock, N. et moi finissions la soirée au restaurant delicatessen du coin. Parfois, d’autres élèves du cours se joignaient à nous, mais la plupart du temps nous nous arrangions pour être seuls. Le projet de monter un concert nous emballait. Elle disait qu’elle aimait beaucoup mes chansons, que ce serait un plaisir pour elle d’en interpréter quelques-unes devant un public. Elle se voyait avec moi sur une scène. Je sentais qu’elle était sincère. Comme bien des gens au début d’une relation, elle restait silencieuse sur ce qu’elle n’aimait pas. Elle faisait partie d’un groupe de jazz vocal qui interprétait des standards américains, ce qui était très loin de ce que j’écrivais. Je suis toujours resté fidèle à la chanson dite française, avec un texte qui se tient autant que possible et une mélodie agréable, sans avoir en tête de révolutionner le monde de la chanson. N. découvrait, j’en étais persuadé, quelque chose de nouveau. Elle buvait mes paroles. J’étais intarissable à cette époque quand j’évoquais les grands auteurs-compositeurs de la chanson francophone. Je me lançais dans des monologues interminables où je mêlais mes passions à de grands pans de ma vie passée. Pour N. en revanche, c’était laborieux de raconter les cinq dernières années de son existence, après être arrivée, un peu perdue, dans le grand Montréal. Elle n’y était pas arrivée seule. Son « amoureux » comme elle disait (chum en québécois), l’avait rejointe quelques jours plus tard. Ils ne vivaient plus ensemble à ce jour.
À ce stade de mon récit, je fais une pause, comme j’aurais dû en faire une il y a vingt-six ans. Pourquoi entrer dans cette histoire ? N. avait quelqu’un dans sa vie. Je n’en avais rien à faire, je voulais juste monter un concert avec elle, c’est tout. J’ai voulu jouer les psychologues à trois sous, parce qu’elle m’avait avoué que sa relation avec ce type était quelque peu « sordide », c’étaient ses mots. Un glandeur, son mec, doublé d’un drogué qui lui tapait de l’argent afin d’assouvir son vice. Elle en avait pitié, disait-elle, elle avait du mal à le laisser tomber. À ce moment précis, j’aurais dû prendre mes jambes à mon cou, faire une croix sur le spectacle. Mais voilà, j’avais suivi une thérapie pendant une dizaine d’années avec un psychologue qui, à force, était devenu un ami. À son contact j’avais pris moi-même, comme instinctivement, cette attitude psy qui consiste à jouer les Saint-Bernard à tout bout de champ. « Flush moi ça », m’avait pourtant conseillé mon psy le jour où je lui avais parlé de N. Je ne l’ai pas écouté. J’ai continué à la voir.
Nous avons commencé à travailler les chansons de notre premier spectacle baptisé « Personnages », titre qui s’est imposé. Plusieurs personnages hantent mes chansons. J’attendais avec impatience ces répétitions qui avaient lieu le plus souvent chez moi, son appartement m’angoissait trop. Pour la première fois peut-être je ressentais une profonde satisfaction à entendre ce que j’avais composé et cela, je le devais en grande partie à N., à sa voix qui décidément avait le don de m’émouvoir. Après nos répétitions, devant une tasse de verveine, j’étais plus enclin à écouter N. parler de sa relation déchirée avec son chum. Un soir, elle me dit qu’elle ne l’aimait plus, elle en était sûre, qu’elle le laisserait tomber. Ce fut ce soir-là que N. ne rentra pas chez elle. Nous avons passé la nuit ensemble.
Rien n’a marché dans cette première relation intime. Rien. Jusqu’au bout, je n’ai pas su retrouver les gestes de l’amour. Comme égarées en terre étrangère, mes mains ne reconnaissaient pas le corps de la femme. Mes lèvres refusaient de s’abandonner aux baisers. Son odeur. Son haleine. Ma peau semblait vouloir fuir le contact de sa peau. Cela ne m’était jamais arrivé. Et dès cette première relation, en panne de désir, j’ai dû penser à un autre corps, à une autre femme.
Le lendemain, dès l’aurore, j’ai entendu N. se glisser discrètement hors du lit. Elle ne voulait pas me réveiller. C’était un vendredi, elle partait travailler. Je lui ai demandé si elle avait le temps de déjeuner avec moi, elle m’a dit oui à condition que je la conduise au boulot avec ma voiture. Dans son sac à main, elle avait une brosse à dents et tout ce dont elle avait besoin pour faire un brin de toilette. Ils sont mystérieux les sacs à main des femmes, un chapeau de magicien ; elles y plongent la main et en retirent exactement ce qu’elles cherchent. J’ai fait du café et grillé des demi-bagels que j’ai garnis de fromage à la crème sous une couche de confiture de cassis. Ça faisait belle lurette que je n’avais partagé ce moment intime avec quelqu’un. Malgré cette nuit qui m’avait laissé comme un sentiment de dégoût, j’étais content de ne pas être seul, encore une fois, dans les ténèbres de mon sous-sol. Je l’ai regardée, attendri, verser à ras bord du lait froid dans sa tasse déjà pleine aux trois-quarts de café, tenter de la porter à ses lèvres et en mettre partout comme une enfant maladroite. Ma cuisine ce matin-là était animée comme toutes les cuisines de Montréal. J’ai conduit N. à son travail. Avant de nous séparer, nous nous étions donné rendez-vous pour le soir même au Petit Bar de la rue Saint-Denis. L’un de mes amis y donnait un spectacle.
Le soir donc lorsque j’ai rejoint N., je lui ai souri, j’ai posé un petit bec