Irish Draft - Lawrence Aragon - E-Book

Irish Draft E-Book

Lawrence Aragon

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Beschreibung

Lawrence, 46 ans, divorcé, passionné d’équitation a déniché en Irlande le cheval de ses rêves. Entre Kate, l’éleveuse qui le lui a vendu et Lawrence, va naître alors une romance inattendue. Un soir, au téléphone avec Kate il va vivre en direct, l’agression sauvage dont la jeune femme va être victime de la part de son conjoint, un homme brutal. La « petite ballade irlandaise » anodine va alors plonger dans le chaos.

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Lawrence ARAGON

IRISHDRAFT

Nous avons tous une histoire à raconter. Ou bien à cacher. Ou bien lesdeux…Voici la mienne. Une belle histoire. Et son côté sombre.Ce roman s’appuie sur des faits réels, cependant certains noms ont été modifiés

Avant-propos

Oui, nous avons tous une histoire à raconter.

Oui, cette histoire s’appuie bien sur des faits réels.

Oui et même trop réels sont parfois, les faits racontés ici par Lawrence Aragon. Pourtant Lawrence, lui, les a vécus au jour le jour et a bien dû, au jour le jour pendant qu’il les vivait, continuer à aller travailler chaque jour de la semaine. Et pas n’importe quel travail, puisqu’il est cardiologue. C’est en septembre 2014 que j’ai fait sa connaissance, alors qu’il me posait un pacemaker après sept malaises cardiaques que j’avais faits, à la suite d’un surmenage, un « burn-out » comme on dit aujourd’hui. L’heure était sérieuse, sinon grave. Et pourtant, j’ai rarement vécu de moments aussi plaisants que lorsque, partiellement endormi durant l’opération, seuls mes yeux avaient tout loisir de contempler le savoir-faire de cet homme efficace à la grande conscience professionnelle. Mais souvent, il avait un peu de mal à se concentrer sur son job, tellement je le faisais rire avec mes délires d’anesthésié, lui et son assistant. Une complicité était née. L’opération se passa bien. Je ne revis Lawrence qu’une quinzaine plus tard, pour le contrôle postopératoire. Puis, régulièrement ensuite tous les six mois, pour le contrôle du pacemaker. C’était à chaque fois le même plaisir de se retrouver. Un plaisir visiblement partagé. Entre deux manipulations, j’aimais m’attarder plus qu’à mon tour, pour discuter avec cet homme séduisant et attachant, souvent de tout, comme de rien. Le trouvant bien sympathique, je lui offris mes livres. Il les lut. Les trouva drôles et m’avoua alors que lui aussi aurait bien aimé écrire, mais qu’on ne pouvait pas tout faire dans la vie.

Jusqu’au jour où, peu avant mon départ définitif en Grèce, lors d’une dernière visite à la clinique, je le trouvais pour la première fois, préoccupé. Moins disponible que d’habitude. Il avait l’air inquiet. Il me dit qu’il aurait bien aimé me rencontrer ailleurs, pour me raconter quelque chose qui était en train de lui arriver. Quelque chose de spécial. De très spécial. Je lui donnais rendez-vous au Buttes-Chaumont, le samedi suivant en début d’après-midi. Il ne vint pas. Il avait été appelé pour une urgence. Je déménageais donc en Grèce sans que nous ayons convenu de continuer à communiquer soit par mail, soit par téléphone. Je l’appelais plusieurs fois d’Athènes, lui de Paris ou de Dublin où il faisait des aller-retour et nous finîmes par nous le joindre. Ce jour-là il me raconta ce qu’il avait vécu et était encore en train de vivre. Il était grave. Je ne le plaisantais pas, comme à mon habitude. Je ne le coupais pas et l’écoutais attentivement. De plus en plus effaré par ce que j’entendais me raconter en détail, au cours de son récit. En bon médecin, il me laissa reprendre mes esprits et avant de raccrocher, me demanda de l’aider à « donner vie » ou plus exactement, à « donner écriture » à tout ce qu’il venait de me confier. Il ressentait le besoin de le faire partager à un plus grand nombre de personnes afin de leur montrer qu’il n’était pas un cas isolé. Afin de les prévenir que tout ce qui s’était passé pour lui pouvait, un jour ou l’autre, toucher n’importe qui.

Je lui promis de l’aider. Non pas à structurer son récit. Pour cela, il n’avait nul besoin de moi. Mais pour l’aider à le rendre « plus audible » ou, disons « plus lisible, puisque c’était un peu mon métier » ! Nous travaillâmes plusieurs années sur son projet. Chacun de nous avec le sérieux que nécessitait le sujet abordé. Mais, en nous promettant que Lawrence laisserait assez d’espace à son sens naturel de l’humour et de l’autodérision, afin de donner un peu de temps à son lecteur pour qu’il puisse respirer entre deux montées d’adrénaline. Un peu comme le ferait, par exemple, un pacemaker avec le cœur fatigué d’un cardiaque, afin de le laisser un peu respirer et battre quelques instants à sa place !

Patrick Schindler, Athènes, février 2023

La « raclée »

Dimanche 2 septembre 2018,21h40

J’ai attendu toute la journée. Des heures. Des plombes ! Trop impatient qu’elle m’appelle. Je n’ai rien fait de la journée, sinon voleter comme un canari déprimé dans sa cage. D’un perchoir à l’autre. Du salon au balcon. En tous cas, rien d’utile. J’en étais incapable. Je ressassais sans cesse ce qui s’était produit la veille. Rien de trop grave « en apparence ». Rien de « cassé » non plus. Un coup de semonce malgré tout. Mais auquel il allait me falloir m’adapter. Car il a l’air futé le bougre ! Pour moi, ce n’est vraiment pas une surprise, je connais bien les « ruraux ». Parce que j’en suis. C’est de là que je viens. Si leurs esprits ne semblent pas éclairés par nos Lumières citadines, ils savent parfaitement lire entre les lignes…

Le temps s’égrainait trop lentement dans mon appartement. Plus encore dans ma chambre surplombant le boulevard. Séparé, je m’y étais installé depuis quelques mois et je m’y sentais bien. J’y jouis de l’essentiel sans superflu et cela me convient parfaitement. L’appartement a été rénové. Un bon coup de blanc. Pas de tapis sur le parquet. Quelques meubles. Une télévision. Les murs seraient capables de supporter un peu plus de fantaisie. A minima, j’ai accroché mon aquarelle polonaise dans le séjour, un tableau bleu de Persillon dans ma chambre, au-dessus du lit. C’est un collage laissant deviner un bord de mer à Nice, ses chaises longues, ses palmiers sur la promenade des Anglais et des vagues. Dans le couloir, une reproduction d’une gravure de Lautrec : le cavalier et son chien. Çà et là, quelques lithographies, une série limitée de fresques représentant les plafonds des arcades de la place du Capitole à Toulouse. Chers sous-verre qui me sont fidèles depuis déjà une vingtaine d’années. Une odeur de café flotte dans l’appartement. J’en ai pas mal bu toute la journée : il a fait chaud.

Le soir tombé, j’ai ouvert pour faire entrer un peu d’air frais, l’occasion de faire un petit tour sur le balcon. Dans leurs pots, les plantes aromatiques ont souffert de la chaleur. Mais, les fraisiers eux ont l’air toujours bien hardis ! Je verse sur ces pauvres plantes le contenu d’un petit arrosoir. L’air est encore moite, poisseux. En bas, le long du fleuve, des familles ou bien quelques promeneurs solitaires flânent sur l’ancien chemin de halage, depuis peu reconverti en promenade bucolique. Ils rentrent chez eux. Dans la pénombre, les canards noctambules en profitent pour piquer entre les immeubles, virer au ras de l’eau et amerrir tels des hydravions sur leurs flotteurs. Dans ce calme bras du fleuve, entre le boulevard Stalingrad et l’île Saint-Germain, où sont amarrées d’anciennes péniches reconverties, avec plus ou moins de succès, en House-boat par des amoureux de la nature en ville.

Je retourne dans le salon et me laisse choir dans le canapé convertible récemment livré. Le salon devient ma chambre lorsque Victoire débarque un week-end sur deux, l’humeur rebelle et revendicative des adolescentes. Un coussin sous la nuque, les jambes croisées sur l’accoudoir, la télécommande en main, j’allume la télé. Machinalement. Je zappe sans réfléchir. Compulsivement. J’ai l’air d’un décérébré. Le téléphone sonne. Enfin ! Je bondis sur mes pieds. Je me coince la main dans la poche en tentant de l’extirper ! Quel idiot ! Dans la précipitation, je manque de le faire tomber. Je me fais penser à un clown jonglant avec une patate chaude. Pourtant, ce n’est pas le moment. L’indicatif 353 précède le numéro : c’est elle. C’est mon anglaise d’Irlande, c’est Kate !

« Hi gorgeous one! You OK? »

« Brilliant! Évidemment je vais bien ! What about you, my Frenchness?? »

Impatient, j’attends qu’elle me détaille sa journée. Elle vient tout juste de rentrer. Elle est « rincée », épuisée. Elle a commencé de bonne heure. La route a été longue, route qu’elle connaît par cœur. Chaque virage, le moindre bas-côté, ses pièges, de jour, de nuit, sous la pluie. Elle vient de décharger les chevaux, chacun dans son box. Pour ce faire, elle a probablement coincé son portable entre l’épaule et l’oreille. Elle s’active. Elle n’a probablement pas encore dîné. Derrière elle, je devine le bruit caractéristique des bat-flanc du camion, de la rampe ou peut-être celui du coffre où elle range le matériel. Bruits métalliques et familiers.

« Il ne me reste plus qu’à décharger mes affaires du camion ! » me dit-elle.

Tout excitée malgré la fatigue, elle parle très vite, elle a l’air joyeuse et heureuse de me dire que tout s’est bien passé, aujourd’hui, que les chevaux ont fait de bons tours - dont ce brave Jolly, son cheval de grand prix.

« Et la jument a été exceptionnelle !! Tu aurais dû voir ça Lawrence ! »

Elle rit, insouciante, nageant dans le charme de ces quelques minutes clandestines qui s’offrent à nous. Bientôt elle devra rentrer, probablement faire à dîner, coucher sa fille et dormir quelques heures avant une nouvelle et longue journée. Il nous faudra alors encore attendre un temps infini pour arriver au lendemain soir et avoir de nouveau le plaisir de jouir de ces quelques minutes de bonheur. Peut-être même, aura-t-elle l’occasion ce soir, d’avant de s’effondrer de fatigue, de m’envoyer quelques brefs SMS. Et demain matin à l’aube, fidèle à notre petit rituel, elle m’enverra un message depuis ces mêmes écuries, avant le breakfast.

Sa jeune groom, « My Oh so reliable staff ! » comme elle dit, l’a plantée depuis vendredi. Elle a cependant eu la délicatesse de l’avertir qu’elle ne serait pas là de la semaine. Je suis à présent confortablement assis sur mon lit. Mes muscles ont commencé gentiment à se relâcher. Je m’allonge sur les coussins posés derrière moi. Un soupir m’échappe, trop heureux de l’entendrerire.

C’est alors qu’une voix virile et autoritaire coupe court à nos échanges si innocents. Walter était probablement embusqué à l’espionner. Il a sans doute surgi à brûle-pourpoint dans l’écurie et lui demande qui est au bout du fil. Par un réflexe idiot, je retiens ma respiration, comme si je me trouvais sur place. Tous mes sens se réduisent à ma seule ouïe. Je guette le moindre indice. J’entends Kate avancer avec peu de conviction : « C’est ma mère, c’est ma mère. »

Je devine que Walter n’est plus qu’à quelques centimètres d’elle, car je l’entends prendre une grande inspiration avant d’avancer un : « Mais, je me suis déjà excusé. » Une seconde plus tard, il hurle : « JE ME SUIS EX-CU-SE !! » sur un ton sans appel.

J’ai l’impression que sa colère va faire péter les gonds de la porte, ainsi que sa glotte. Il a lancé la dernière syllabe comme un projectile. J’entends dans le même instant un premier coup s’abattre probablement sur la joue de Kate. Elle pousse un hurlement aigu à déchirer cœur et tympans, suivi d’un cri de douleur, de panique. Derrière, je perçois un peu plus distante, une petite voix fluette, une voix de petite fille effrayée qui crie : « Mumy ? MU-MY ?? »

Et moi, pauvre pantin à l’autre bout du fil, séparé par plus d’un millier de kilomètres, je ne puis rien faire d’autre qu’entendre ces cris d’effroi et de douleur qui s’enchaînent sur la même séquence. Les coups pleuvent. Le bruit peu distinct de certains parvient avec difficulté jusqu’à mon oreille. D’autres, bien nets, témoignent d’un impact plus franc et plus brutal. Visiblement, Kate ne tient plus son portable, elle l’a probablement dissimulé afin qu’il échappe à son agresseur. Le son se fait plus distant, de plus en plus éloigné. Hasard ? Acte manqué ? Kate n’a pas eu le réflexe de l’éteindre. Une chance : le téléphone ne s’est ni éteint ni brisé en tombant. Du coup, mon oreille est comme collée au sol de l’écurie et entend ses hurlements à intervalles réguliers. Mon estomac se serre à chaque coup de pied qu’elle doit recevoir. J’entends également les cris de l’enfant qui supplie son père d’arrêter. Puis, certains bruits paraissent plus étouffés : elle a probablement entouré sa tête pour se protéger des coups. Ce sont des minutes atroces. Je suis tout bonnement tétanisé par cette scène à laquelle j’assiste à distance, un peu comme le ferait un aveugle. Que faire ? Je crie dans l’appareil. « Kate, KATE ?!? Ça va ? Que se passe-t-il ? Réponds-moi !! Kate, que se passe-t-il bon Dieu ?!? Il t’a frappée ?? »

Quel faux naïf je fais : « Évidemment imbécile, qu’il est en train de la tabasser, de lui flanquer une raclée monumentale ! Il te faudrait une explication de texte, avec ça, grand couillon ? »

Bien sûr que j’avais compris dès l’instant où Walter a fait irruption dans l’écurie. J’avais eu une prémonition avant même que les premiers coups ne pleuvent, avant même qu’il n’ouvre la bouche. Et même à plus de 1 500 kilomètres, je me suis assis, aux premières loges, j’assiste à cette scène de cauchemar. Raide d’effroi, je tremble comme une feuille. Il me semble même que j’ai parlé, alors qu’aucun son n’est sorti de ma gorge. Et je prends conscience qu’elle ne pourrait pas m’entendre même si je hurlais. Hors de question de raccrocher. Si je le fais, j’abandonne Kate à son funeste sort ! Mais quoi faire d’autre ? Essayer n’importe quoi et maintenant !!! Kate est coincée au fond d’une écurie, totalement isolée, personne ne peut la voir sinon son tortionnaire et une pauvre petite fille affolée. Un seul autre témoin aussi impuissant qu’inutile : MOI. Pas une seule fois, Kate a essayé d’appeler à l’aide ni moi ni personne ! Aux sons de plus en plus indistincts, je devine qu’elle doit s’être recroquevillée sur le sol froid en béton des écuries. Je l’entends, son bourreau s’acharne. C’est insupportable. Une bonne minute s’est écoulée, autant dire des siècles, une éternité qui risque bien de lui coûter la vie ou de la rendre infirme.

Cette idée agit comme un électrochoc dans mon cerveau qui, tel un moteur en hyperréactivité, reprend le dessus et se remet à fonctionner de nouveau, de manière froide et rationnelle. Déterminé, je raccroche sans plus réfléchir. C’est agir qu’il faut à présent. Chaque seconde compte. Je me lève d’un bond et saute sur mon Mac qui est allumé sur mon petit bureau, assis en équilibre instable sur la chaise en plexiglas. Je me frotte vigoureusement le visage comme on le fait lorsqu’on doit se jeter dans l’eau glacée, puis lance mes doigts sur le clavier. En moins d’une minute, j’ai trouvé le numéro de téléphone du poste de police de la ville la plus proche, Letterkenny, dans le comté de Donegal, à la frontière de l’Irlande du Nord. Cela me semble tenir du miracle : un agent de police décroche, décline son identité et son grade, c’est une femme. Elle me confirme être au bon endroit et me demande le motif de mon appel.

« How can I help you ? »

Mon corps est secoué de spasmes. Tremblements incontrôlables. L’adrénaline. Heureusement, ma tête reste froide, ma voix claire et déterminée.

« Hi, my name is Lawrence.J’ai rencontré une personne il y a quelques mois, Kate Williams. Elle m’a vendu un cheval, elle est devenue… une amie… J’étais en ligne avec elle, à son retour de Navan… Il s’est passé quelque chose de grave là-bas… Ce soir, son compagnon… il s’appelle Walter McKenzie… il est entré dans l’écurie et il s’est jeté sur elle… Elle s’est mise à hurler de peur et de douleur… Je suis certain qu’il la frappe toujours au moment où je parle… J’ai entendu les coups… Je viens à peine de raccrocher, je suis très inquiet… S’il vous plaît, faites envoyer une patrouille, je vous en prie, je pense qu’elle est en danger… Je suis vraiment très inquiet. »

« OK… », après une légère pause elle reprend « Quelle est l’adresse Monsieur ? »

Ouf ! elle a pris mon appel au sérieux !! En deux secondes, je mets la main sur le passeport du cheval où l’adresse de Kate est indiquée. Je donne le nom du patelin, enfin du lieu-dit de la ferme…

« Très bien, Monsieur, on envoie une patrouille. ».

« Pourrez-vous me rappeler pour me donner des nouvelles ? S’il vous plaît ? ».

« On envoie une patrouille, Monsieur. Restez près de votre téléphone, s’il vous plaît. » Et elle raccroche. Sec.

Presque immédiatement elle me rappelle.

« Allo ? Pourriez-vous me donner des précisions sur l’adresse ? Me décrire l’endroit ? »

La tuile : je n’y ai jamais foutu un pied ! Sur l’onglet Google encore ouvert, j’ouvre Google map, la vue satellite, la 3D. J’indique la position de la ferme, « half a mile » à la sortie de St-Andrews, direction ouest, en haut d’une colline, sur la droite dans le virage.

« Pouvez-vous me décrire la maison ? ».

Je place un repère et décris une maison à un étage, murs crépis gris, contours de fenêtres vert foncé. Je signale à mon interlocutrice que juste avant la ferme, on aperçoit des bâtiments agricoles, les étables du bétail, un marcheur pour les chevaux. L’entrée est séparée.

« Merci. On vous rappellera. » Elle raccroche de nouveau.

S’en suit un épais silence. Petit à petit, je reprends conscience de l’espace qui m’entoure. L’éclairage qui a changé. À présent, il fait complètement nuit. J’ai l’impression d’entendre flusher mes pulsations dans les tempes. Je baisse le bras, mais suis bien incapable de lâcher mon portable. J’ai l’impression que chaque mouvement réclame une forte dose de volonté mentale. Seule la respiration est autonome. Les secousses et les tremblements ont cessé. Un froid glacial m’enveloppe, mes pieds sont gelés malgré la température estivale. Doucement, je retourne m’asseoir au bord de mon lit, les coudes aux genoux, la tête entre les mains. Les battements de mon cœur ralentissent. Il n’y a plus qu’à attendre… Le téléphone de Kate ne répond pas. Alors je texte : « Il t’a battue ? » « Je viens d’appeler la police. Ils sont en route » Allongé sur le lit, je patiente, tant bien que mal. Interminable attente, j’essaie de refroidir mon cerveau en ébullition. Vers 23 heures 30, un numéro inconnu appelle. C’est Kate qui m’appelle de la cuisine depuis sa ligne fixe. D’une voix lente et calme, étrangement soulagée, elle m’explique être couverte de bleus, un œil presque fermé, « Mais ça va »… Les officiers qui ont déboulé à la ferme quelques minutes après le déluge de coups ont bien constaté les contusions et les hématomes et ont embarqué Walter.

« Il était furieux du dérangement, il n’a cependant pas opposé de résistance », me dit-elle.

« Il faut que tu ailles porter plainte, Kate.» 

« Non… non, je ne peux pas. »

« Il faut que tu y ailles, il va recommencer Kate. » J’ajoute, naïvement «Une fois, c’est déjà une fois de trop, crois-moi ! »…

Sombre idiot que je suis, je me prends pour un expert, comme ceux de l’émission Sept à Huit du dimanche !

« Je ne sais pas. Les officiers de police m’ont demandé si je souhaitais faire une déposition ou bien aller à l’hôpital. Mais ça va, ne t’inquiète pas. Et puis je ne peux pas laisser ma fille toute seule. Elle a beaucoup pleuré ce soir, elle vient tout juste de se calmer et c’est endormie. La pauvre, elle a tout vu… C’est pour cela que je n’ai pas pu t’appeler plus tôt. J’irai demain. J’ai besoin d’aller me reposer, d’essayer de dormir un peu, je suis épuisée. »

« Je comprends… ».

C’est ce que je lui dis, mais en fait, non, je ne comprends pas, je ne comprends rien ! Tout ce que je comprends ce soir, c’est qu’il est inutile d’insister.

« OK, mais alors tu m’appelles demain ? Promis ? »

« OK, OK…, mais je n’ai pas mon téléphone, il l’a pris »

« As-tu eu mes messages ? »

« Non, il a pris mon téléphone et l’a jeté dans la nuit, Dieu sait où, de colère. »

« Rappelle-moi depuis le fixe. D’accord ? 9 heures demain matin, OK ? »

« OK, c’est promis, je te rappelle demain. »

« Take care of you. I love you. »

« Je t’aime aussi… Et puis merci d’avoir appelé la Police… Talk to you tomorrow »

De nouveau le silence. Je regarde en bas, à travers les lattes du volet roulant. Le trafic sur boulevard s’est calmé. Il fait nuit noire. Afin de respirer, je quitte la chambre et me dirige vers le balcon. J’ai l’impression que mes orteils sont crispés, comme au bord d’un gouffre vertigineux qui vient de s’ouvrir devant moi : je réalise ce qui vient d’arriver. Il me semble que je viens de faire le premier pas sur un chemin qui risque bien d’être long, très long. Sans aucun doute. Je me dis que s’il n’y a pas de « bon moment pour un tsunami », là, franchement ce n’était pas du tout le bon moment ! Maintenant ça, en plus de tout le reste ! Moi qui avais bêtement imaginé une jolie petite histoire tranquille, simple et qui prendrait son temps et ses marques : distances obligent. Pour l’Irlande, aller au bout d’un continent, puis traverser la Manche. De l’autre côté, une île. Puis une autre mer et puis encore une île. Bref, de quoi calmer trop d’ardeurs. Mais à présent ? N’étais-je pas finalement le premier responsable de tout ce beau bordel ? Un rêve devenu un cauchemar, bien réel. Dans quel merdier étais-je allé me fourrer ?

Je remontais le temps. Hier encore, Kate et moi n’étions que deux êtres insouciants, comme deux ados qui se rencontrent le dernier jour des vacances et réalisent qu’ils doivent quitter une chose agréable et nouvelle, mais qui en l’état, ne mène nulle part, sinon à l’espoir de se revoir aux vacances prochaines. Et à présent, nous deux, qu’allons-nous faire ? Que va-t-elle devenir là-bas et moi ici ? En tirant le drap sur moi, je me rassure : le pire est passé, la catastrophe a été évitée. Si Kate est couverte de bleus, au moins, elle est vivante. Elle m’appellera demain matin et j’essaierai encore de la convaincre de porter plainte contre ce gros connard et puis tout ça sera fini. Le cauchemar sera terminé. Malgré ces pensées que je veux rassurantes, je n’arrive pas à m’endormir. Les yeux grands ouverts, je fais le point : « … Elle m’a dit qu’elle n’avait pas reçu mes messages parce qu’il a jeté le portable… Alors comment se fait-il qu’ils aient été lus ?? Et par qui ? Serait-il possible qu’il ait gardé le téléphone ? Pas chez les flics, quand même, ils ont bien dû lui confisquer ? Alors, l’aurait-il récupéré ? Serait-il déjà de retour à la ferme ? Après ce qui vient de se produire ? Que de questions sans la moindre réponse ! »

Et si le gouffre ne s’arrêtait pas à mes orteils ? Et si les amants étaient tombés du jardin d’Eden, à se geler à poil dans le chaos éternel ? Et si ce n’était pas la fin du cauchemar, mais seulement le début ? … Pourtant tout avait si bien commencé. Comment avais-je connu Kate ? Pour cela, je dois revenir quelques mois en arrière…

Cinq mois plustôt 

Avril 2018, 10 heures 20, unlundi

Il fait beau. Le soleil pénètre généreusement dans la salle de consultation de la nouvelle section, récemment ouverte à l’hôpital Pershing. Belle extension collée à l’ancien bâtiment d’origine, datant de la fin des années 1920. Mon bureau près de la fenêtre, le fauteuil à roulette lui tourne le dos. Je sens sur ma nuque les rayons du soleil qui atteignent ensuite mes épaules et les réchauffent. Ça fait du bien. À l’autre extrémité de la pièce, la porte d’entrée. Sur la gauche, un porte-manteau. Face à la porte, une armoire métallique à volet roulant. Le mobilier n’est pas signé Philippe Starck, mais est fonctionnel. Contre le mur, la table d’examen. Sur un chariot, deux rangées de programmateurs pour interroger les stimulateurs et défibrillateurs cardiaques. Les quatre murs sont blancs, neufs et sans aucune fantaisie. Tout est rationnel. Minimaliste. Style austère, chic et froid. Heureusement qu’aujourd’hui, il y a le soleil pour aider les patients qui défilent à sourire un peu. Je suis un peu en avance dans ma consultation : un patient vient d’annuler son rendez-vous semestriel. J’ai donc un trou à combler.

Mon épaule me fait mal. Elle est raide. Il y a à peine plus d’un mois, je me la suis démise lors d’une chute de cheval. La faute à ce maudit « Grisou » qui avait déjà refusé deux fois de sauter le dernier obstacle du triple à l’entraînement, il y a un mois. Ce jour-là, je n’étais pas « tout à fait dedans » non plus, il faut bien l’admettre. Les foulées me paraissaient trop longues et je manquais de jambes. C’est un peu mon problème. Et puis le CSO, ça m’emmerde. Je préfère le cross. Mais pour faire du cross, il faut faire du concours complet. La jument de concours des trois dernières années me manque beaucoup, mais elle est en préretraite. Elle a tout de même tenu 18 ans en activité, quelle générosité ! Elle adorait ça, sauter ! Tandis que Grisou, je ne le sentais pas. Bien qu’il ne me fût pas inconnu et que je savais qu’il avait du métier. Non, je pense tout simplement qu’il en a marre du club et des cavaliers qu’il trimballe à longueur de journée sur son dos. Ou peut-être fait-il tout simplement un nervous breakdown, en tout cas c’est plus le même. Déjà lors du dernier concours, j’avais failli « finir au tas ».

Sur le troisième et dernier abord ce soir à l’entraînement, on était légèrement trop court, il manquait une demi-foulée et ce maudit canasson n’a pas fait d’effort. J’ai manqué de jambes pour une meilleure impulsion, alors il a esquivé à gauche et baissé l’encolure, puis il a pilé et amorcé un mouvement de recul. J’ai plongé à droite. Je préparais déjà mon bras à s’enrouler, comme j’avais appris à le faire au judo, il y a des années. J’avais mentalement déroulé ma chute à l’instant où j’ai senti que je ne rattraperais pas la perte d’équilibre. Dès que mes doigts auraient touché le sol, ma nuque aurait fléchi en avant suivant le menton contre la poitrine, engageant ainsi un mouvement de roulade avant l’obstacle si je finissais dans les barres. Ainsi, mon gilet de protection amortirait l’impact sur le dos ou sur les cotes. Trop près ou trop loin. Pas la place. Mon épaule a heurté la barre supérieure, mais la barre n’est pas tombée. Gros impact. J’ai senti le choc se répercuter en amont, mais ma clavicule a résisté. Mon épaule s’est bloquée, comme serrée dans un étau. Bien avant de bouffer le sable, j’ai compris ce que j’avais. Rien de cassé, mais, épaule bloquée en avant et doigts qui commençaient à s’engourdir : luxation antérieure avec compression du plexus brachial. Heureusement, les super mamans des plus jeunes cavaliers du groupe « CCE », mes copines de concours, étaient assises au bord de la carrière. L’une d’elles a ramené ma voiture avec son mari et l’autre est venue me chercher à la clinique et m’a reconduit chez moi. Entre-temps, mon collègue chirurgien orthopédiste m’a remis l’épaule en place. Pour résumer : je m’étais vautré dans le sable à 21 heures 30, avec une épaule démise, j’étais dans mon lit à 23 heures 30 et le lendemain matin, j’étais à l’heure au bloc, à 8 heures, comme si… enfin, presque comme si de rien n’était.

Aujourd’hui, mon épaule droite ressemble à une aile de poulet. J’ai commencé la rééducation, mais je ne remettrai pas les fesses sur un cheval avant des mois. Comme ça commence déjà à me démanger, je me connecte sur Irish Horse Gateway, un site spécialisé dans la vente de chevaux irlandais. Juste comme ça, afin de tuer le temps, histoire de me faire une idée plus précise du marché pour ce que je recherche : un Irish Draught (Draft). Dans le genre de ceux que j’avais tant admirés en action à la chasse à courre, un an plus tôt en Irlande. Ce sont de magnifiques chevaux, rustiques, mais terriblement élégants, massifs et pourtant légers dans leurs mouvements. Le pied sûr, un coup de saut incroyable et un mental incomparable. J’étais alors persuadé que je l’aurais un jour cet Irish Draught, j’en avais d’ailleurs déjà parlé à mes amis du comté de Meath, n’ayant aucune confiance dans les annonces en ligne. Pas question d’acheter un cheval par ce biais ni quoi que ce soit sur Internet. Trop peur de me faire pirater ma carte ! De plus, j’aime trop le contact avec les gens, me faire mon idée en discutant avec eux et savoir si je peux ou non leur accorder ma confiance. C’est peut-être complètement débile, mais je suis un tactile… C’est d’ailleurs ce qui m’avait entraîné à faire un petit périple en Angleterre, en plein mois de janvier de cette année, aux pieds des Pennines enneigées dans le nord du Yorkshire, à quelques miles de Harrogate ! Ce petit bout de campagne anglaise aussi pittoresque que proche du cliché comme on peut l’imaginer, ce qui pour moi est le top de l’exotisme.

Bref, pour l’heure, j’étais sur le Net. Et pour une fois, ce site-là me semblait très bien ficelé. Il suffisait de faire quelques clics sur les menus déroulants pour sélectionner la race, la taille, la gamme de prix et, en fin de course, actionner « Entrée ». Magique. La liste s’affiche. Les deux premières annonces ne m’emballent pas. Quant à la troisième : c’est une évidence : c’est lui ! Ce sera lui. Je l’ai trouvé ! Je reste sans souffle devant son image. Il répond parfaitement à tous mes critères ! Âge, taille, morphologie ainsi qu’aptitude, si je me fie aux quelques photos de « monté en extérieur ». Et cette robe ! D’un gris magnifique.

Tout à coup, je me trouve projeté très loin de la salle de consultation. L’annonce ne date que de quelques jours et présente une trentaine de vues. Impulsion. J’envoie un message sur le site… Ce qui est totalement stupide, car en imaginant qu’il soit toujours disponible à la vente, avec mon épaule bien fragilisée, je ne pourrai même pas aller l’essayer… Moins de deux heures plus tard, je reçois cette réponse : « Oui, nous l’avons toujours. Nous l’avons depuis qu’il est yearling. Il est actuellement au pré, depuis six semaines, repos bien mérité après la saison. Voulez-vous d’autres renseignements ? Il est très gentil et son nom d’écurie c’est ‘Cuddles’. Kate Williams. »

Et voilà comment en vingt minutes, exactement, le temps d’une consultation annulée, ma vie venait de basculer. Le rêveur éveillé que j’ai toujours été, l’optimiste pragmatique, mais naïf est soudain animé d’une grouillante excitation. Gai comme un pinson, je termine ma journée à l’hôpital, consciencieusement, comprenez « mon enveloppe corporelle », tandis que mon second moi a déjà largué les amarres et traversé la mer d’Irlande.

De retour dans mon petit logement, je me mets à gamberger sec. A faire des plans sur la comète. J’imagine ce que nous allons pouvoir faire avec mon cheval irlandais. Je n’en ai jamais croisé un seul en France en compétition et pourtant combien les talents de ces chevaux seraient dignes d’y être connus. J’ai bien conscience qu’un essai ne correspond, la plupart du temps, qu’au désir de planer à dix mille comme un gosse dans un magasin de jouets qui jette en passant un œil de pseudo-expert sur la bête qu’il convoite. Mais de là à oser l’essayer ! À moins d’être un expert en dressage, tout ce qu’un cavalier lambda de mon espèce pourrait en conclure serait : « Suis-je assis dans un fauteuil ou bien monté sur un tréteau ? » Car je sais déjà que ces chevaux sont de véritables tracteurs qui passent partout, qu’ils sont confortables comme des fauteuils Pullman, capables de vous supporter des heures sans fléchir, munis d’une robuste santé, dociles et déjà doués d’intelligence dès l’âge de deux ans ! Mais ce n’est certainement pas un hasard si les Anglais les importent massivement pour la chasse à courre (je veux dire le Drag-Hunt, car les renards y sont épargnés depuis 2004) et le cross ! Mais je me dis, « et si je tombe sur un vendeur malhonnête ? » Je tentais de me rassurer à moitié sur ce point puisque mes amis du comté de Meath m’avaient affirmé qu’en Irlande : « Tout se sait, surtout ce qui ne vous regarde pas. Mais dans le pays, tout ce qui touche les chevaux est une chose très sérieuse avec laquelle on ne plaisante pas ! Si un producteur ou un éleveur cache un problème à un acheteur : c’est mort pour son business et ceci pour un bon moment »…

De plus, j’ai aussi relevé sur l’annonce une chose qui me paraît très importante : la vendeuse de ce cheval, enfin, de « mon cheval » est aussi productrice, il ne s’agit donc pas d’une « maquignonne ». Deuxième point positif, elle l’a élevé depuis l’âge d’un an et il en a cinq à présent. Elle l’a donc, « débourré ». Il n’a pas été monté par une autre personne qu’elle. Il a chassé de surcroît. Un passage initiatique très bénéfique pour les jeunes chevaux. Ça vous dégrossit un cheval. Une activité salubre qui a tout pour « dépuceler » les plus craintifs d’entre eux. Chevaux autant que cavaliers ! De plus, il passera obligatoirement par la case vétérinaire, mais cela est déjà moins probant, car sur ce point aussi, on peut toujours se faire pipeauter… Du coup, je me dis qu’il ne sert à rien de s’emballer et de sauter dans un avion pour me rendre immédiatement dans le nord-ouest de l’Irlande. Mieux vaut d’abord me renseigner sur le sérieux de la vendeuse… 

Allons-y. Je rallume l’ordinateur qui rame un peu. J’ouvre le moteur de recherche et tape son prénom et son Nom, suivi de « Irlande ». Apparaît alors une page entière d’articles, de photos, agrémentée de deux vidéos. Beaucoup de liens sur des résultats de concours. Kate Williams est une cavalière professionnelle de show Jumping. Elle évolue en Grand Prix au niveau international, deux étoiles. Essentiellement en Irlande et en Angleterre. Elle a notamment gagné les Masters d’Irlande du Nord. Une des vidéos datant de quelques années montre un tour de Jump-off. Second tour plus court dans lequel le « sans faute » le plus rapide l’emporte, parmi les cavaliers ayant réalisés un « sans-faute » lors du premier tour. Kate Williams est la dernière à s’élancer avec un cheval nommé « Charles ». Le commentateur tente d’anticiper les décisions de la cavalière, présage les options qui s’offrent à elles, commente chacun de ses sauts, notamment les plus audacieux. Un « sans-faute », meilleur temps : elle a gagné. Elle exécute un tour d’honneur en musique après la remise des prix et se prête à une petite interview. Je découvre alors un petit bout de femme, vêtue d’une veste de concours bleu marine. Elle porte toujours son casque, duquel dépassent quelques mèches blondes encadrant un joli petit minois au teint clair aux pommettes roses d’excitation (self-contrôlée), certainement dues à sa victoire, mais aussi au froid qui semble régner sur la carrière de CSO indoors, à en juger par la grosse doudoune qui la recouvre. Le tout, So British, tout comme son accent. Je suis immédiatement conquis. Je me dis que ce ne sont certainement pas les gains qui la motivent ou qui la font vivre (ceux-ci doivent à peine couvrir les frais engagés). Mais gagner un concours donne surtout une bonne carte de visite, pour donner des leçons. J’ai relevé qu’elle est Coach HSI niveau 2. C’est qui n’est pas rien. J’en conclus qu’elle vit de la production de chevaux de sport, de sauts d’obstacle et de concours et autres « production » d’Irish drauhgt, eux, plutôt destinés à la chasse, dont « le mien » ! Race pure et magnifique qui a bien failli disparaître. Si elle ne vaut pas des millions, elle représente en tous cas, une valeur sûre. Les Irish draught sont plus faciles à élever que les autres chevaux. Ils ne sont pas fragiles, sont plus rapides à débourrer, parce que beaucoup moins bourrins que les champions qui sautent des barres en couleurs à 1.50 mètre. Ces chevaux de sport qui ne découvrent que sur le tard qu’ils ont, en fait, quatre pattes, une crinière, une queue, un corps et qui ne fonctionnent qu’avec deux neurones ! Une fois que ces derniers ont enfin compris comment s’en servir, qu’une flaque d’eau ne cache pas le monstre du loch Ness, c’est alors qu’ils deviennent enfin des vrais athlètes. Champions en puissance, leur prix n’a plus qu’à s’envoler. Arguments qui me laissent supposer que Madame Williams n’a aucun intérêt à cacher un vice à la vente, y compris pour un Irish Draught, emblème équin de ce pays, ce qui nuirait à sa réputation… Cette autre interview qu’elle a donnée au correspondant de la BBC pour Irlande du Nord, dans laquelle elle relate un terrible accident a fini de me convaincre. Lors d’un concours en Irlande du Nord, son cheval trébuche en méjugeant l’obstacle. Ses antérieurs percutent la barre supérieure. Il est fauché dans son élan et s’affale à genoux projetant Kate au sol, la tête la première. Inconsciente, secouée de plusieurs crises d’épilepsie, celle-ci est transportée d’urgence à Belfast. Les cervicales sont touchées, la moelle épinière comprimée, mais heureusement, pas sectionnée. Incapable pendant quinze jours de porter une cuillère à sa bouche, sa tétraplégie initiale ne sera miraculeusement que temporaire. Après une intense rééducation et un mental hors du commun, elle obtient le feu vert du neurochirurgien et dix mois plus tard, elle est de retour en compétition de haut niveau, à l’emblématique Dublin Horse Show…

C’est avec cette histoire incroyable à l’esprit que je la contacte pour la première fois. Elle décroche et j’entends pour la première fois sa voix. Chaleureuse, décontractée. Je lui pose une ou deux questions débiles sur l’Irish Draught, trop admiratif, je ne peux m’empêcher d’évoquer son accident non sans sortir deux ou trois niaiseries, alors que cet événement relève plutôt de l’intime et que nous ne sommes l’un pour l’autre, que de parfaits inconnus. Pourtant, ma maladresse semble avoir fait tilt. Petite incorrection qui semble avoir agi à l’inverse, déclencheur de quelque chose de rare. Ma naïveté proverbiale aurait-elle fait sauter un verrou entre nous ? Avant de raccrocher, j’essaie de me convaincre que je n’ai pas besoin d’aller essayer « mon cheval » : une telle personne ne peut qu’être digne de confiance. Voilà pour notre premier contact.

Week-end à Bréhat

Week-end de Pâques2018

Vent fort. Courant fluide. Soleil généreux. Ciel bleu pur immaculé. La vedette-navette qui fait la liaison entre la pointe de l’Arcouest et l’Île de Bréhat accoste sur la jetée inférieure, puisque nous arrivons à marée basse. C’est là que nous passons le week-end avec mes mômes. Nous traînons nos valises le long du chemin sinueux en béton, bordé de magnifiques rochers de granits roses, vert d’eau et gris de soie. Et cette forte odeur iodée ! Le décor est à couper le souffle du premier petit parigot venu. Le coefficient de marée est d’au moins six mètres et nous avons l’impression de marcher au fond d’une mer disparue. Dire que dans moins de six heures, après les mortes-eaux, ce paysage sera totalement recouvert par les vives-eaux, ne laissant dépasser que quelques récifs sur lesquels sont scellées des balises jaunes pour aider à la navigation en pleine mer. Nous rejoignons notre hôtel qui se trouve assez loin sur le quai et qui se fait pratiquement lécher les pieds à marée haute. Durant les tempêtes d’hiver, bien qu’abrité, on imagine les grosses vagues venant se fracasser au pied des maisons portuaires. Mais heureusement, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Comme mes ados, j’ai à peine le temps de jeter mes bagages sur mon lit que nous partons, enivrés par le petit vent breton, à la découverte de notre nouveau territoire. Et quel bonheur ! Sur l’île de Bréhat, les voitures sont interdites. Seuls sont tolérés les quelques tracteurs des derniers paysans, ceux des ramasseurs d’algues et naturellement le camion des pompiers. Tout se fait donc à pied ou à vélo. Comme c’est reposant. Juste le cri des mouettes, des fous de Bassan, des macareux moines et des goélands, les oiseaux des marins si bien chantés par « la Grande Damia ». Les ruelles du village sont minuscules. Les routes et sentiers de randonnée, bordés de murs en pierre contre le grand-vent. Bréhat jouit d’un microclimat qui a fait beaucoup pour sa réputation, et ceci grâce à la proximité du Gulf Stream. Déjà en cette saison, les chemins sont parsemés de mimosas en fleur et il paraît qu’en é