Jeux mortels - Pascal Richin - E-Book

Jeux mortels E-Book

Pascal Richin

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Beschreibung

En l’an 2024, alors que les cinq anneaux olympiques flottent majestueusement au-dessus de la tour Eiffel, un tableau dystopique se dessine dans ce polar captivant, où se mêlent énigmes mystérieuses et course contre la montre haletante, le tout enveloppé dans les reflets déformés par le miroir des relations humaines. Au cœur de l’intrigue, une directrice d’ONG, un journaliste d’investigation et un inspecteur de police du « 36 » se retrouvent liés par une relation d’amitié profonde. Mais dans ce monde où la vérité semble changeante et les alliances fragiles, à qui peuvent-ils réellement accorder leur confiance pour résoudre cette enquête complexe, alors qu’un dédale d’embûches se dresse devant eux ?




À PROPOS DE L'AUTEUR

Du premier roman, une œuvre de vie et d’émotions, à l’univers des polars, les ouvrages de Pascal Richin s’inspirent de notre quotidien et des événements qui façonnent notre monde. Alimenter des histoires imaginaires avec des mots tout en évoquant en arrière-plan les problèmes et les défis de la société est sa manière de susciter des rêves, de procurer du plaisir et de stimuler la réflexion. Il harmonise tous ces éléments dans ses publications pour le plus grand bonheur des lecteurs avec lesquels il aime les partager.

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Pascal Richin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeux mortels

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Pascal Richin

ISBN : 979-10-422-2202-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

 

 

 

Lyon, lundi 22 juillet 2024, 22 h 10

Dans un quartier de Lyon, un téléphone sonna. L’homme dans l’appartement décrocha. Aux premières paroles de son correspondant, il perçut la tension de celui-ci.

— Bonsoir. On a un problème !
— Bonsoir. Que se passe-t-il ? On ne peut pas avoir de contretemps aussi près du but.
— Je n’ai pas pu le récupérer. Il n’était plus là.
— Tu as vérifié qu’il avait bien été déposé ? Tu l’as appelé ?
— Oui, je viens de le joindre pour vérifier. Il l’a bien déposé comme prévu. Je ne t’aurais pas appelé autrement. Putain, c’est la première fois que ça arrive ! Juste à cause d’un tout petit retard.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Combien de temps avant que tu te rendes sur place ?
— Je dirais quinze à vingt minutes au maximum. J’ai été bloqué par un bus de touristes stationnant au milieu de la rue pour permettre au groupe de descendre. J’ai dû me garer plus loin pour revenir à pied. Je n’étais pas synchro du coup et ça a laissé un temps de latence.
— Il fallait m’appeler plus tôt ?
— Je ne voulais pas prendre le risque de tomber au mauvais moment.
— Merde ! C’est tout simplement improbable. Il faut qu’on le récupère dans les plus brefs délais. Sinon je ne sais pas comment on va faire. Il faut absolument que tu le retrouves.
— On va le récupérer. Heureusement, c’est abscons pour n’importe qui d’autre que nous.
— Il n’empêche que pour la dernière étape du processus c’est impératif de l’avoir pour que tout se passe bien.
— Tu penses pouvoir faire quelque chose ?
— J’ai peut-être une idée pour résoudre la situation. Je te rappelle dès que j’ai une information exploitable.
— OK, j’attends ton appel. À n’importe quelle heure. Le temps presse. La date approche rapidement.
— Je ne le sais que trop bien. Tu as raison. Et puis, tu es le premier concerné. À plus tard.
— À plus tard.

Son interlocuteur raccrocha et posa son téléphone sur la table. Il venait juste de rentrer et n’avait même pas pris le temps de mettre la lumière dans la pièce avant que la sonnerie de son portable se fasse entendre. Il s’approcha de la baie vitrée, regarda les lumières de la ville à travers, et finit par ouvrir la porte-fenêtre pour accéder à la terrasse. Le bruit l’assaillit. Le bruit des gens qui s’agitaient dans cette tiédeur du soir. Le bruit de tous ceux qui courraient chaque jour dans leur quotidien. Le bruit de ceux qui le soir profitaient d’un moment festif pour se détendre. Le bruit de la vie. Tout simplement. Ce moment où la richesse de la vie semble enfin offrir à celui qui la consomme l’espoir de vivre comme il en a envie. Le quotidien et le festif l’emportaient souvent sur les grandes décisions du monde que certains devaient prendre.

Lui, il faisait partie de ceux qui devaient les prendre, enfin le pensait-il.

Il réfléchit, mais c’était trop tard pour changer d’avis. La roue du changement devait continuer à avancer. Ensemble, ils avaient lancé cette roue et maintenant ils ne faisaient que la suivre et la guider. Chacun connaissait son rôle et avait accepté de le jouer, quels que soient ses doutes, quels que soient les imprévus et surtout quelles que soient les conséquences pour n’importe lequel d’entre eux. Leur but avait plus d’importance. Demain, les choses sérieuses commençaient. Mais pour l’instant, il fallait qu’il corrige cette erreur de trajectoire. Le fameux grain de sable qui pourrait faire gripper la roue du destin et faire dérailler le projet initié depuis dix-huit mois.

 

 

 

 

 

Chapitre I

 

 

 

Lyon, lundi 22 juillet, quelques heures plus tôt

Le soleil était déjà haut dans le ciel de Lyon quand Vincent Klensky sortit de l’interview qu’il avait menée auprès du vice-président de la région en charge de la sécurité pour l’arrivée des migrants dans la capitale des Gaules. L’accueil de migrants autour du projet d’intégration humanitaire prônée par le gouvernement dans le cadre des Jeux olympiques était sur la sellette au niveau régional. Imaginer de faire participer des migrants, dont la présence était déjà très controversée, aux actions bénévoles pour aider les sportifs des différents pays participants, aurait dû sembler constructif pour tous. Mais beaucoup y voyaient une manière de diluer l’impact visuel des « persona non grata » dans la grande capitale qui sera sous les feux des projecteurs du monde entier. Et ce, loin de prendre en compte les difficultés pour les régions d’organiser le déroulement des opérations pendant toute la période des jeux. La région n’y était pas très favorable.

Un peu plus tôt, Vincent avait quitté Le Progrès après son entretien avec son rédacteur en chef qui avait souhaité le voir pour fixer le cadre de cette interview. Les dernières élections européennes, quelques semaines plus tôt, avaient bouleversé l’échiquier politique international européen. L’émergence au grand jour de ce qui avait gravi dans l’ombre, dans de nombreux pays. Des échelons politiques nationaux, pour atteindre au fur et à mesure le pouvoir à l’échelon du continent, cette mouvance perturbait énormément la classe politique française dans son ensemble et encore plus celle qui dirigeait la région. Dans quelques mois, l’horizon des élections présidentielles américaines laissait entrevoir de futures tensions entre les nouveaux dirigeants du vieux continent et ceux du pays de l’oncle Sam ou à l’inverse en de bien curieuses alliances avec des attraits communs qui pouvaient se dessiner des deux côtés de l’atlantique. La nouvelle donne politique du vieux continent risquait de bouleverser les équilibres politiques au niveau de la planète tout entière.

La crise sanitaire, commencée quatre ans plus tôt, avait été quasiment résorbée même s’il restait encore des traces des conséquences des choix politiques et médicaux pris à cette période. En plus de tout ça, les gens s’étaient recentrés sur eux, sur leur quotidien, sur les besoins de leur vie, voire de leur survie et les craintes des autres n’avaient pas disparu. Bien au contraire. Offrant un terreau pour le développement de ceux qui voulaient un monde nouveau.

Le souvenir des conséquences des Jeux d’hiver de Pékin était encore dans toutes les mémoires. L’étranger sous toutes ses formes devenait celui par qui le scandale arrive. Enfin le scandale, non pas vraiment, mais les emmerdes, oui. D’une vitrine sportive à l’échelle mondiale, cet évènement s’était transformé en guerre stratégique autour de la pandémie et de la capacité de la Chine d’endiguer toutes situations provenant de l’afflux des sportifs du monde entier. Une situation montrant la domination chinoise dans de nombreux domaines. Celui du sport évidemment par les résultats spectaculaires, que certains relativisaient du fait de l’absence d’autres grandes puissances ayant boycotté les compétitions. Celui de l’économie où ils avaient fait étalage de leur capacité d’organisation au stade de la préparation mais aussi pendant le déroulement sur tous les lieux des manifestations sportives. Celui, moins glorieux diront certains, de la sécurité pour un confinement proche d’une rétention administrative des athlètes. Et enfin celui politique pour prendre pleinement son rôle dans le futur, celui du nouveau leader mondial en opposition économique aux États-Unis. Les aspects militaires des années d’avant n’avaient pas été oubliés et les tensions du monde dans le pacifique restaient sous-jacentes à la lumière médiatique des Jeux.

L’enjeu des jeux de Paris était avant tout de repositionner l’évènement dans le contexte sportif et de faire en sorte que les conflits entre certaines nations deviennent des combats sportifs. Le gouvernement français avait cette lourde tâche de repositionner l’olympisme dans son rôle de fédérer l’humanité autour de l’hommo-sporticus garant de son devoir d’être l’emblème de son pays. Mais les liens entre la population et l’État étaient proches de la rupture depuis de nombreux mois. Au sommet du gouvernement, on espérait que cette période sportive décompresse la situation sociale. Mais rien n’était moins sûr.

Le rédacteur en chef du Progrès connaissait Vincent depuis le début de sa carrière. Son caractère lui avait souvent valu les remontrances de son chef. Il avait le don d’énerver les politiques en les titillant sur les sujets qui fâchent. Vincent lui rétorquait, à chaque fois que son rédacteur revenait sur le sujet, qu’il était journaliste d’investigation et pas commis aux faits divers des chiens écrasés. Il avait eu son sermon préparatoire matinal et réussi à l’utiliser comme un leitmotiv lors des deux heures d’entretien avec son interlocuteur. Ce dernier, même s’il n’était pas vraiment proche de la nouvelle mouvance européenne, en validait certaines approches. Le sujet était sensible, mais l’olympisme devait servir de lien entre les hommes, lui avait assené plusieurs fois son interlocuteur tout autant que son chef deux heures plus tôt. Vincent savait qu’il était probable que son patron partagerait pour le moins l’apéritif si ce n’est le déjeuner avec son interlocuteur à la pause médiane de la mi-journée. En voisins professionnels et habitués à se croiser dans les restaurants du nouveau quartier de Confluence, ils auraient tôt fait d’en venir sur le sujet. Il ferait probablement les frais de la discussion et ne doutait pas que son article serait scruté à la loupe, si ce n’est édulcoré pour être politiquement correct.

Il venait de sortir de l’Hôtel de Région, débouchant sur l’esplanade François Mitterrand, où le soleil cuisait les dalles de granit qui en faisait le tour. De l’autre côté du boulevard, les bâtiments en bois du Centre commercial Confluence projetaient un voile légèrement ombragé sur le parvis au moyen des structures ajourées le surplombant. La proximité de l’eau du bassin aménagé à ses pieds et communiquant avec le Rhône ajoutait un peu de fraîcheur. De nombreuses personnes avaient pris place sur les bords de l’eau pour leur pause, choix plus agréable que de rester enfermé dans les bureaux à cette heure de mi-journée.

L’été s’annonçait caniculaire. Cela faisait plusieurs années que tout le monde savait que ça serait de plus en plus le quotidien de la période estivale surtout en milieu urbain. Les rues de Lyon étaient brûlantes à cette heure. Tous les passants courageux, bravant la chaleur torride, cherchaient à cheminer sous les ombres des bâtiments. Vincent regarda sa montre, il avait le temps de faire le trajet à pied avant son prochain rendez-vous. Il leva les yeux vers le ciel bleu chauffé à blanc, aucun espoir d’un petit nuage à l’horizon pour le préserver. Il hésita et finit par choisir l’option transport en commun. Il prit le tram jusqu’à la place Carnot puis le métro jusqu’à Bellecour. Il aurait assez de son parcours pédestre dans le vieux Lyon des quais de Saône pour transpirer. Sa destination, le Musée des Arts de la Marionnette, le MAM jumelé au MHL, le Musée d’Histoire de Lyon, n’était pas desservie par les transports en commun sur voie dédiée et à cette heure les bus qui auraient pu le rapprocher n’étaient pas un choix envisageable au regard du flux urbain.

Vincent préférait l’ancien nom du lieu, celui de Musée Gadagne, nom marqué de l’histoire de l’endroit et de ses liens notamment avec les marchands italiens. Ses derniers propriétaires, banquiers florentins, lui avaient donné son nom, connu de tous les Lyonnais.

Son prochain entretien avait pour but d’entendre l’autre partie concernée par le sujet. Et il se trouvait que la personne responsable de l’accueil des migrants dans le coin était une vieille connaissance, enfin pas si vieille que ça. Si elle l’entendait, elle lui aurait rappelé qu’ils avaient le même âge et lui aurait probablement arraché les yeux avec ses propres ongles.

La traversée de la place Bellecour et du pont Bonaparte pour rejoindre le parvis de la Primatiale Saint Jean Baptiste fut laborieuse sous les rayons de midi. La place Saint-Jean était en plein soleil à cette heure-ci mais les touristes envahissaient quand même le secteur. Ils s’avançaient pour monter les quelques marches de l’entrée du lieu saint dans l’objectif d’être aux premières loges lorsque la majestueuse horloge astronomique de la cathédrale sonnerait les douze coups de la mi-journée. La magnificence des façades de l’horloge installée à proximité du cœur et notamment la principale avec son calendrier perpétuel et son astrolabe offrait un spectacle unique aux visiteurs. Une précision d’horlogerie qui n’était remontée que tous les cinq jours, mais qui demandait une énergie infaillible pour les quatre cent vingt tours nécessaires à son fonctionnement. Chaque heure, le spectacle des automates au niveau de la tourelle octogonale émerveillait les personnes présentes. Les enfants ne quittaient pas des yeux les personnages qui se déplaçaient suivant le même rituel depuis sa création au quatorzième siècle. Vincent la connaissait depuis son enfance, période où il venait passer là de longs moments dès qu’il le pouvait. Ça n’avait jamais été un fervent défenseur de la foi mais la puissance de l’église, de son décorum et de cet objet ayant traversé le temps et les guerres ne pouvait laisser insensible toute personne franchissant le seuil de la primatiale. Il lui arrivait encore parfois de faire une petite halte dans les lieux. Ce ne serait pas le cas aujourd’hui.

Il poursuivit son chemin dans les rues piétonnes en direction du musée, le lieu de sa prochaine rencontre. Enfin surtout le Jardin de Gadagne, salon de thé et de restauration qui surplombait le musée et les toits du quartier, offrant une vue exceptionnelle sur le cœur de Lyon. Ce jardin perché sur les toits et les contreforts de la butte de Fourvière était un havre de paix au milieu du brouhaha de la ville.

Il serpentait entre le flot incessant de touristes et de Lyonnais travaillant dans le quartier qui se pressaient tous pour déjeuner dans un des « bouchons », emblèmes culinaires de la ville et qui émaillaient les rues des couleurs vives de leurs vitrines et de leurs présentoirs des spécialités locales. Il était un peu en avance et patientait à l’ombre du musée sur la place du Petit Collège.

Il était tout à l’observation du va-et-vient des passants quand le bruit d’une porte qui claquait attira son attention. Il prit conscience de la présence du passe-livre aménagé dans l’ancienne cabine téléphonique, attiré par les reflets du soleil sur cette porte qui rebondissait. Un homme venait d’en sortir, semblait-il pressé ou bien énervé, il n’aurait su le dire. Vincent le regarda avec attention. Il lui semblait le connaître ou au moins l’avoir déjà vu.

Il se dirigea vers le vestige d’une période révolue où il fallait trouver une de ces cabines pour pouvoir joindre quelqu’un par téléphone. À cette époque où pour téléphoner, il fallait que le combiné soit attaché par un fil à une prise murale. Cette époque où le son était véhiculé sur les fils qui serpentaient à travers les villes et les campagnes. Cette époque où pour un journaliste la transmission de ses papiers se faisait par une dictée orale à un scribouillard de la rédaction quand le journaliste n’avait pas le temps ou la possibilité de revenir directement sur place avant l’heure fatidique de mise sous presse du journal. Maintenant, internet débitait les informations bien plus rapidement et d’un bout à l’autre de la planète. La vie d’active était passée à trépidante pour devenir totalement folle.

Il s’approcha de la cabine et en ouvrit la porte. Il regarda les différents ouvrages présents. Les romans policiers et les romans de gare remplissaient la plupart des rayons aménagés. Son regard fut attiré par un petit livret qui dépassait. Il ne devait pas avoir plus d’une cinquantaine de pages et ressemblait plus à un bloc-notes ou un journal intime qu’a un livre, si ce n’est qu’il semblait dactylographié au regard du titre visible en couverture. Sa curiosité journalistique l’obligea à s’en saisir quand une voix l’interpella.

— Bonjour Vincent. Qu’est-ce que tu farfouilles dans cette cabine ?

Il se retourna, le livre dans la main, pour voir Clarisse qui lui souriait. Il glissa le livre comme par réflexe dans sa besace.

Toujours élégante, elle arborait une robe légère et fleurie, pleine de transparences ensoleillées. Des sandales à talons de couleur rouge, accordées à ses lunettes de soleil, ajoutaient une version moderne à une toile des représentations féminines sous les douceurs estivales digne des grands impressionnistes.

— Bonjour Clarisse. Comment vas-tu ? S’approchant d’elle pour l’embrasser.
— Très bien et toi ?
— Très bien aussi. Tu es prête à m’exposer ton point de vue sur la situation actuelle. Je t’avoue que mon entrevue avec Monsieur le Vice-président ce matin à la région a été pour le moins tendu. Mais tu t’en doutes, je pense.
— Allez, viens. J’ai réservé une table pour deux au jardin. On sera plus au frais dans la verdure et en hauteur. Encore une journée de fournaise en perspective.

Ils se dirigèrent vers le porche donnant accès au musée. Un homme bouscula Vincent en passant à côté de lui. Vincent s’excusa sans avoir de réponse en retour. Il soupira de cette impolitesse qui devenait tellement quotidienne dans le monde actuel. L’homme pressé se dirigea vers la cabine téléphonique mais Vincent n’y prêta pas attention.

Ils pénétrèrent dans le musée, ou plus exactement dans l’Hôtel de Gadagne, comme tous les Lyonnais l’appelaient encore. La grande cour avec ses couleurs d’ocres enchantait, dès les premiers instants, les visiteurs levant le nez vers les coursives reliant les bâtiments, lui donnant un air de Toscane de son histoire italienne. L’hôtel était le plus bel exemple de l’architecture Renaissance de Lyon. Escaliers à vis, cheminées monumentales, son fameux plafond peint étaient les composantes de référence sans parler de la non moins fameuse horloge Charvet, l’horloge aux guignols, personnages symboliques de la capitale des canuts. Mais celui qui aimait à se perdre dans la visite du musée découvrait les nombreuses surprises architecturales dissimulées dans les recoins et dont seul un œil averti arrivait à en prendre connaissance.

Ils empruntèrent l’ascenseur qui menait aux jardins en terrasse et après avoir parcouru quelques marches de l’allée serpentant au milieu de la verdure, prirent place autour d’une table. Clarisse était une habituée de l’établissement et quand elle faisait sa réservation le personnel savait quelle table elle préférait. Elle s’était donc tout naturellement dirigée vers sa table. Comme à l’accoutumée, le restaurant était plein. Le serveur apporta les menus et leur sourit comme aux personnes qu’il connaissait bien. Chacun avait ses petites habitudes et ils commandèrent immédiatement. Le serveur s’éloigna avec son carnet et ils l’entendirent commander l’apéritif qu’ils avaient choisi. Vincent attrapa sa besace posée à ses pieds et en sortit un carnet et un stylo.

— Bon, alors, dis-moi ce que tu penses de la situation, vis-à-vis des migrants.
— Ah ben là, tu es direct ! Même pas un petit mot pour prendre de mes nouvelles. Ça fait pas mal de temps qu’on ne s’est pas vu pourtant.
— Mais non, juste que je veux expédier le professionnel et après on parlera du bon vieux temps.
— Comme tu veux. Alors, parlons boutique ! L’idée initiale pourrait paraître bienveillante. Mais on sent, derrière, la volonté d’évacuer ceux qui sont installés à proximité de certains quartiers de Paris qui vont être très fréquentés par les visiteurs et les journalistes du monde entier. En plus que va-t-il arriver à ces gens quand la période des Jeux olympiques sera terminée ? Bien sûr, cela va leur permettre pendant quelques jours d’avoir l’impression d’exister et d’avoir un toit et de quoi manger. Pour autant, ça ne résoudra pas le problème de fond et ils retourneront dans la difficulté de leur quotidien.
— C’est amusant. Ce matin, le vice-président m’a tenu à peu près le même discours.
— Attends ! Ne me compare pas avec lui. Nos objectifs sont très différents. Lui veut qu’on les envoie à la campagne et surtout pas dans sa ville. Moi je m’inquiète des conséquences sur leur perception de la situation et ce que cela va provoquer chez eux. Ils vont s’imaginer être un peu intégrés et nourrir l’espoir d’un lendemain dans le pays qui les accueille mais les laisse sans avenir. Alors que ce n’est que de la poudre aux yeux.
— Mais est-ce que tu penses qu’il faut s’insurger contre ça et refuser cette possibilité ?
— Non, bien sûr et en plus c’est bien trop tard puisque tout est orchestré depuis plusieurs semaines par le gouvernement. En plus, ils en ont fait un argument marketing et leur présentation en fait une manipulation que personne ne peut contredire sans passer pour un nationaliste anti-migrant. Ceux qui ont été sélectionnés sont déjà chouchoutés, logés, nourris et formés depuis trois semaines. Ils sont instrumentalisés pour montrer au monde que le gouvernement souhaite faire participer la population comme si les bénévoles, ce n’était pas suffisant.
— Clarisse, combien as-tu de personnes concernées pour la seule ville de Lyon ?
— On a eu quarante personnes, enfin dix familles et quelques hommes seuls qui sont arrivés de Paris. Ce qui représente en fait en personnes actives une petite vingtaine. Plus ceux que nous avons identifiés sur la ville de Lyon elle-même et les alentours qui ont bénéficié du dispositif, soit environ une quinzaine de plus. Ils seront tous en doublon avec des bénévoles et serviront pour beaucoup d’interprètes. Ils avaient déjà suivi un parcours d’intégration et des cours de français. La sélection s’est faite sur ces critères en priorité mais pas exclusivement.
— Ils sont hébergés où ?
— Un hôtel en périphérie de la ville a été réquisitionné. Ils pourront y séjourner tout le temps des Jeux olympiques. Ils participeront sur les sites de Lyon et de Saint-Étienne. Les échanges que nous avons eus avec eux démontrent bien qu’ils n’ont pas vraiment compris ce qui allait se passer après les jeux. Ce retour à l’ignorance de la part des collectivités et de l’état, le potentiel retour dans la rue pour certains. L’effet en retour sera plus dévastateur que la période bénéfique qu’ils vont avoir.
— Tu penses qu’il aurait été mieux de ne pas les mettre dans cette démarche ?
— Non, comme je te le disais, je pense qu’ils auraient subi pire si le gouvernement avait souhaité les éloigner de Paris sans ce simulacre de compensation de les faire participer.

La conversation se poursuivit encore une vingtaine de minutes autour de l’apéritif que le serveur venait de déposer. Ils conclurent l’entretien au moment où l’entrée faisait son arrivée sur la table. Vincent rangea son carnet et son stylo. Il annota quand même sa rencontre du jour dans son calepin avant de retrouver Clarisse.

Voilà déjà plusieurs mois qu’ils ne s’étaient vus. Se promettant à chaque coup de fil de prendre le temps de déjeuner ou de dîner. Depuis le départ de Melvyn pour Paris, leur trio d’enfance, né vingt-cinq ans plus tôt, se disloquait lentement au gré du temps. On se promet toujours de garder les choses telles qu’elles sont, mais la vie, le quotidien, la distance et le temps font leur office et amenuisent les sensations et les relations. Non pas qu’ils ne s’aimaient plus mais simplement que souvent, à chaque rencontre, il en manquait un. Ce n’était plus pareil. Ce fragile équilibre de leurs relations tenait de la particularité de leur triptyque. Ils s’étaient connus au lycée des Lazaristes dans le cinquième arrondissement de la ville.

Ils venaient d’horizons différents et rien n’aurait dû les faire se rencontrer. Clarisse venait du très chic quartier du Parc de la Tête d’Or. Elle y habitait encore. D’une famille plutôt aisée et qui avait choisi l’institution privée pour la qualité de ses résultats. Pour elle, ou plutôt pour ses parents, c’était un parcours tout tracé. Une garantie sur l’avenir, même si ses choix, son orientation n’avaient pas correspondu à ceux que ses parents auraient aimé la voir suivre. Ils l’avaient laissée prendre librement son chemin, sachant qu’elle mènerait sa barque vers des rivages toujours en correspondance avec sa manière d’être. Son père était décédé depuis quelques années mais lui avait dit toute sa fierté de père avant de partir. Avec sa mère, il y avait toujours eu plus de tensions. L’écart de génération. Elle ne comprenait pas pourquoi sa fille ne se mariait pas et n’avait pas le souhait d’enfants, d’une vie de famille. Tous les rêves de la génération précédente étaient le miroir que Clarisse ne voulait pas contempler pendant toute sa vie. Depuis plus d’un an, sa mère était en maison de retraite impotente et sans plus de connexions avec la réalité. Elle allait la voir régulièrement mais à chaque fois, elle comprenait qu’elle était devenue une étrangère à ses yeux.

Vincent, lui, à l’époque, habitait le quartier de la Gorge de loup, beaucoup moins coté, socialement parlant. Un de ses quartiers de la ville où la mauvaise graine poussait sans retenue, comme disaient certains. Dernier fils d’une fratrie de cinq, la vie n’avait jamais été bien facile. Ses parents ouvriers faisaient tout pour subvenir à leur famille. Il n’avait jamais eu à se plaindre de manque ou de maltraitance. Juste que la vie se résumait à une survie au quotidien. Il avait eu un peu plus de chance que ses frères. En tant que dernier larron du groupe, son frère aîné avait insisté pour qu’il fasse des études. Lui avait été obligé de travailler très jeune et il avait eu la chance de trouver un poste de cuistot dans un des bouchons des quais de Saône. Remarqué par sa capacité en cuisine à inventer, il avait fini en quelques années par prendre un poste de chef dans un restaurant huppé. Il aidait ses parents financièrement. Il avait imposé à ses deux derniers frères de poursuivre leurs études au-delà de l’obligatoire. L’inscription de Vincent à l’institution des Lazaristes était venue d’une pochette surprise. Enfin plus exactement, il avait bénéficié d’un programme de mixité sociale mis en place par la région pour donner une chance à certains « élus » identifiés grâce à la qualité de leur parcours scolaire.

Le troisième larron, Melvyn, connaissait Clarisse bien avant le lycée. L’histoire familiale de ses parents, migrants polonais ayant redescendu l’échelle sociale après leur exode de leur pays vers un monde meilleur. Ils avaient ensuite mis énergie et volonté pour mieux la grimper en quelques années vers des perspectives d’une amélioration sociale et économique lors de leur installation en France. Cette France qui les avait généreusement accueillis et qui offrait à leur fils un avenir. Cette volonté était toujours ancrée au tréfonds de Melvyn. Clarisse et Melvyn vivaient dans le même quartier. Ils étaient dans la même classe depuis leurs premiers jours d’école et tout naturellement avait intégré le même collège.

Au début, leur tri-relation avait été compliquée. Peut-être une pointe de jalousie de Melvyn qui voyait en Vincent un bad-boy, charmant, charmeur, plein d’humour avec un peu de sombre en lui. Un cocktail toujours attirant pour les jeunes filles de bonne famille. Alors que ses sentiments pour Clarisse dataient de plusieurs années et qu’il n’avait jamais osé les lui avouer.

Puis ils avaient construit une amitié où chacun apportait une part de cet équilibre nécessaire aux autres. Depuis, ils avaient maintenu cette relation, et ce, même si chacun des deux hommes avait, à un moment, partagé un peu de la vie de Clarisse. À la sortie du lycée, chacun avait suivi sa route.

Vincent avait choisi la voie du journalisme, de petits boulots de pigiste jusqu’à son poste actuel au Progrès. Il avait aussi dégotté un poste de free-lance pour un mensuel d’investigation international, basé à Londres. Il intervenait de temps en temps pour Reporters sans Frontières dans les pays où la misère du monde devait être portée à la connaissance de ceux qui ne la voyaient que derrière leur télévision. Ses convictions sur le droit de chacun d’être égal à l’autre, relents de la période difficile de sa jeunesse, faisaient en sorte qu’il ne transigeait jamais sur la vérité et sur son engagement à mettre au grand jour les sombres histoires du monde.

Clarisse avait toujours eu la fibre humanitaire, sauvegardant tous les chiens battus qu’elle pouvait. C’est un peu cet aspect qui l’avait attiré vers Melvyn au début. Il lui avait raconté l’histoire de ses parents et quand elle les avait connus, elle avait senti en eux toute la bienveillance des gens qui ont souffert et tendent pourtant la main aux autres. Du bénévolat associatif au départ, elle finit par en faire sa carrière et son poste actuel sur la région n’était qu’une faible partie de ses actions. Elle faisait partie d’une ONG internationale qui agissait un peu partout dans le monde. Ses actions humanitaires avaient même parfois croisé le chemin de son journaliste préféré. Les rapprochant plus que leur amitié de jeunesse, il y avait quelques années.

Quant à Melvyn, il avait toujours été passionné par la police pour ce que cela symbolisait pour lui. Cette fonction de protection de la population, de chacun au même niveau. Ses parents, soumis au dictat de la grande période des pays de l’Est, avaient choisi de venir en France, pays des droits de l’homme, pour se préserver des dérives des représentants de l’ordre de leur pays d’origine. Ils avaient inculqué à Melvyn l’importance de la justice, du droit et du respect de leurs représentants. Naturellement, celui-ci s’était investi de cette fonction d’avenir, de ce devoir né de l’histoire parentale, de défendre la veuve et l’orphelin, comme il disait. Il avait fait ses classes brillamment et intégré les forces de police de la ville de Lyon. Son classement lui avait permis de choisir son affectation à la fin de ses études. Certains de ses formateurs n’avaient pas compris pourquoi il n’avait pas coché une des cases disponibles en région parisienne qui aurait offert à ce jeune homme une première marche vers un avenir brillant. Il eut la possibilité de se rattraper quelques années plus tard.

Pour eux trois, tout avait changé il y avait quatre ans. Melvyn avait quitté Lyon pour intégrer le « 36 » à la suite d’une promotion. Le fameux Quai des Orfèvres lui tendait les bras, fantasme de beaucoup de policier, même si l’adresse et les locaux avaient changé. Son nom restait encore comme le symbole historique de la puissante force de police de Paris. Celle qui était de tous les coups durs, toujours disponible et efficace. Melvyn avait brillé lors d’une grosse affaire sur la région lyonnaise. On l’avait remarqué en haut lieu et on lui avait fait une proposition qu’il ne pouvait pas refuser.

Le serveur avait débarrassé le dessert et revenait leur apporter un thé aux agrumes pour Clarisse et un café pour Vincent. Ils prirent le temps de les déguster en se remémorant certaines anecdotes de leur trio. Une fois terminés, ils redescendirent par l’escalier à vis de la tour majeure de l’hôtel de Gadagne. Le quotidien reprenait ses droits et le rythme de chacun les emporterait bien vite vers leurs obligations respectives. Arrivés au rez-de-chaussée, Clarisse proposa à son ami.

— Vincent, j’aimerais bien que l’on persuade Melvyn de venir passer un week-end à Lyon. On pourrait aller faire un tour dans les Alpes tous les trois, comme au bon vieux temps, pour prendre le frais dans nos vies. Je crois que l’on en a tous besoin et que ça nous ferait du bien.
— Ce serait super mais je pense qu’en ce moment, il ne doit pas avoir une minute à lui avec les Jeux olympiques qui vont commencer. Je pense qu’il va falloir être patient. Tu le connais. Il est toujours à fond dans son travail. Mais je suis d’accord, je trouverai très cool de se faire ce petit week-end. On va le travailler au corps. Je l’aurai bien au téléphone ces prochains jours. Je lui en parle. Et si tu l’as de ton côté, remets-lui-en une couche.
— Je n’y manquerai pas. C’est une vraie tête de lard, alors, on ne sera pas de trop à deux. J’ai hâte de voir ton papier. Il paraît quand ?
— Dans l’édito de jeudi, en préparation de l’ouverture des J.O.
— Bon courage avec ton boss. Je ne t’apprends rien en te disant qu’il connaît très bien ton interlocuteur de ce matin.
— Oh non, tu ne m’apprends rien. Je suppose même qu’ils ont déjeuné ensemble. J’ai eu les oreilles qui sifflaient tout à l’heure, lui dit-il en souriant. Je te laisse, j’ai un autre reportage à faire pour le journal de demain. Bonne fin de journée. Et il l’embrassa.

Vincent se dirigea vers sa prochaine destination. Direction la place Bellecour pour rejoindre le stade Gerland pour participer à une conférence de presse sur les matchs de football joués à Lyon.

 

 

 

 

 

Chapitre II

 

 

 

Paris, lundi 22 juillet, 15 h

Melvyn Cerval arriva au « Bastion » et salua les policiers en faction à l’accueil. Il était arrivé dans « la maison » quelques années après le déménagement du mythique « 36 ». Le « Quai des Orfèvres » était devenu le « Bastion » après son déménagement pour intégrer ses nouveaux locaux. Mais il était resté le « 36 », un fait incontournable. Pour tous les flics de Paris et de France, il ne pouvait en être autrement. La numérotation de la rue du bastion avait été probablement adaptée, faisant une petite entorse à la règle. En toute vraisemblance, la numérotation standard aurait affecté un autre numéro au bâtiment.

Trente mille mètres carrés flambants neufs sur dix étages avaient remplacé les locaux vétustes du Quai des Orfèvres. Pourtant de nombreux flics de la Parisienne gardaient des souvenirs importants dans ses bureaux décrépis, ses escaliers emblématiques, ses cellules vétustes et surtout la spectaculaire vue des toits de Paris depuis celui du bâtiment le long de la Seine. Vue, dont tous les locataires du lieu profitaient les soirs de garde et encore plus lors de celles effectuées les jours des grands évènements de la capitale, comme les feux d’artifices du quatorze juillet ou du jour de l’an.

Depuis un siècle, le cœur de Paris avait connu ce lieu comme le centre névralgique des forces de police de la ville. Facilitant les interventions dans les cas d’urgence jusqu’aux plus douloureuses pour la capitale, comme celles qui touchèrent en 2015 les symboles de la liberté et de la vie nocturne de la ville lumière. Un siècle de l’histoire du site avait naturellement amené une réflexion en haut lieu sur le besoin de maintenir une force de police de réaction rapide au cœur de Paris. Il avait été décidé de maintenir la BRI 1 dans les locaux du Quai des Orfèvres pour lui garantir cette capacité d’intervention qui contribuait à la renommée des gars du « 36 » en cas de coups durs qui pourraient encore frapper la capitale.

Melvyn y avait pris ses marques. Il avait pris son poste de capitaine nouvellement promu en arrivant de Lyon et même si certains se demandaient au début comment il était arrivé ici, maintenant, pour tous, il semblait être là depuis toujours. Tout le monde le connaissait. Comment ne pas remarquer le gabarit du personnage, du haut de ses un mètre quatre-vingt-dix, de ses quatre-vingt-quinze kilos sur la balance, les meilleurs jours, de sa tignasse brune et de ses yeux noirs, il en imposait sans effort. Pourtant, ce n’était pas ce que chacun retenait de lui, il était d’une nature joviale et conviviale, son sourire démentait la première impression visuelle de l’homme. Mais il était surtout connu et respecté pour sa redoutable ténacité et son efficacité quand il devait mener une enquête. Il ne lâchait jamais rien. Son équipe lui était dévouée car il l’était tout autant envers eux. Ces trois dernières années, de nombreux flics avaient espéré intégrer son groupe.

Voilà un peu plus de dix-huit mois, on avait modifié son affectation pour l’intégrer comme chef de groupe dans une unité à « durée déterminée ». Il faisait partie avec ses hommes d’une des unités en charge de la sécurité et du bon déroulement des Jeux olympiques qui allaient se tenir d’ici quelques jours dans la capitale française. Les Jeux stressaient toutes les forces de police de France mais celles de Paris étaient sur des charbons ardents depuis de nombreux mois. On avait réaffecté provisoirement des ressources de tous les SRPJ2 de France et de leurs différentes unités d’intervention pour constituer une force multi-service sous l’égide du ministère de l’Intérieur et du SDLP3. Le nombre de V.I.P. allait exploser d’ici la fin de la semaine. Le projet de la cérémonie d’ouverture rendait fous les dirigeants du ministère de l’Intérieur et de celui des Affaires étrangères. Chacun avait des exigences contradictoires à celles des autres ou des impératifs parfois ubuesques provenant des dirigeants de certains pays en visite en France à cette occasion. Le rôle de cette cellule était de coordonner tout ça pendant les prochaines semaines.

Melvyn savait que les derniers jours qui restaient avant l’évènement, que le monde entier regarderait à la télévision, seraient chargés de réunions, de briefings, de visites des lieux des compétitions et des manifestations associés. Le monde entier du sport se donnait rendez-vous sur les pavés des rues parisiennes pour redonner des couleurs aux anneaux olympiques. Les derniers jeux avaient été très compliqués. Tiraillés entre les problématiques sanitaires, imposant modification de date et des versions dégradées des compétitions pour ceux de Tokyo et en y ajoutant les boycotts internationaux pour ceux d’hiver de Beijing. Les tensions politiques s’étaient entremêlées avec les duels sportifs, tout au moins pour ceux qui étaient venus.

Le monde entier attendait de Paris, de la France et de l’Europe que ces jeux soient à la hauteur de l’histoire de l’olympisme. L’enjeu était de taille pour le centenaire de l’organisation française. La pandémie était quasiment terminée mais la crainte de voir refleurir un variant à la suite du mélange de population du monde entier, restait une source d’angoisse pour les dirigeants de tous les pays. Les menaces terroristes continuaient à parvenir par tous les canaux du monde des renseignements, l’alerte était maximum. Les nouvelles donnes politiques dans de nombreux pays ajoutaient aux tensions internationales des grandes puissances, comme si chaque pays avait besoin d’affirmer son souhait belliqueux sur la scène internationale.

Melvyn était toujours très sarcastique sur le fait qu’un pays s’engage dans une telle démarche, huit ans avant la date de l’évènement lui-même. Il comprenait que la réalisation des moyens nécessaires demandait du temps. Mais il était dubitatif sur le fait que des dirigeants engagent leur pays en sachant qu’il y avait de fortes chances que ce soient leurs successeurs qui se démerderaient de la situation. Les dernières décennies avaient mis en avant que les grands évènements sportifs étaient le plus souvent des gouffres financiers pour les villes les accueillant. D’ailleurs, de moins en moins de pays le souhaitaient et le choix du C.I.O.4 allait maintenant vers ceux qui avaient avant tout les moyens de s’offrir cette vitrine médiatique et d’en assumer les coûts. Ces pays se rachetant ainsi, parfois, une virginité de réputation en oubliant leur fonctionnement pas toujours respectueux de leur population. Cette évolution ou plutôt révolution dans le monde du sport olympique était décriée par certains des représentants sportifs, les membres d’associations de protection des droits de l’homme, mais encore plus par les populations subissant les effets indirects des choix des dirigeants.

Il arriva au cinquième étage où le cœur de la cellule de direction de cette unité avait regroupé ses bureaux. Il avait une petite heure devant lui avant d’entamer son marathon de réunion de la journée.

 

 

 

 

 

Chapitre III

 

 

 

Lyon, lundi 22 juillet, 15 h

Le Lieutenant Éric Dubois grimpait quatre à quatre les marches de l’escalier du SRPJ de Lyon pour rejoindre le bureau de son chef, le Commandant Didier Gariverg. L’allure athlétique d’Éric ne passait pas inaperçue. De taille moyenne mais une boule de muscles bien découpés. Son côté d’ange blond, à première vue, s’estompait rapidement quand on croisait son regard bleu acier plein de détermination et d’intensité. Personne n’aimait le soutenir quand il braquait ses yeux sur vous. Il avait eu différents postes avant d’intégrer le SRPJ de Lyon. Certains s’interrogeaient sur son parcours. Il avait gravi les échelons rapidement occupant, après ses premières années à la criminelle à Paris, un poste important au sein du SDLP gérant la sécurité de personnalités du monde entier en visite en France. De la reine d’Angleterre, en passant par les Présidents Américain ou Russe, ou encore les chefs d’état chinois et japonais, les cadres photographiques de son bureau étalaient les poignées de main de remerciement de tous ces hauts personnages. Personne ne savait pourquoi il avait quitté ce poste important et personne non plus, n’osait le lui demander. Il avait disparu du devant de la scène policière pour réapparaître au SRPJ de Lyon. Il y avait maintenant environ quatre ans. Des bruits couraient à son sujet sur la raison de son évincement de la crème de la sécurité nationale, mais aucune information de la part de l’intéressé n’avait jamais transpirée, ni pour les confirmer ou les infirmer.

Éric toqua à la porte de son chef et pénétra sans autre formalisme.

— Salut patron. Tu m’as fait appeler ?
— Salut Éric. Oui, c’est exact. Assieds-toi. Il faut qu’on fasse le point sur ton détachement. J’ai reçu ton ordre de mission. Ta dernière réunion préparatoire, la semaine dernière, c’est bien passé ?
— Oui, très bien. Évidemment, il y a toujours quelques affolements pour certaines visites un peu controversées, surtout le premier jour. Mais de toute façon, on fera le nécessaire. Ça fait plus de cinq ans qu’ils réfléchissent sur le projet de la cérémonie d’ouverture. Malheureusement, ils ont attendu longtemps avant de poser les questions aux principaux intéressés, ceux qui seront au feu pendant l’évènement. En plus, il y a eu des changements de tête au commandement, résultat, on revoie, on modifie, on revient en arrière et on recommence.
— Oui, j’imagine que c’est un sacré bordel. Bon courage à toi et à tous ceux qui vont être dans le bain pendant les semaines à venir.
— Je pense que ce sera pas mal aussi sur Lyon et que vous n’allez pas chômer pendant la période des Jeux.
— Oui, c’est sûr. Mais les enjeux et les foules seront moindres.
— Le football attire aussi pas mal de problèmes, même si au J.O. ce n’est pas aussi suivi que la Coupe du Monde.
— En plus, il n’y a que quelques matchs. Le déroulement est partagé entre plusieurs villes, ce qui allège les choses. Je voulais revenir sur ton détachement. Tu vas être absent pendant plus d’un mois. Tu vas manquer à l’équipe. Mais je n’ai pas eu le choix de valider ou pas ta candidature. Ton expérience parle pour toi. Est-ce que tu auras besoin de renforts techniques ou humains ?
— Normalement, non. Mais si j’ai besoin de ressources de confiance, je solliciterai probablement les gars.
— Tu restes de toute manière dans l’équipe, alors pas d’hésitation. Tu vas être à la disposition du commandant Delrieux. Il t’attend comme prévu. Je crois que tu le connais ?
— Oui. On a bossé ensemble, il y a quelques années. J’ai reçu mon billet de train. Je pars après-demain à la première heure. On a une réunion en début d’après-midi. On va déjeuner tous ensemble pour que chacun s’organise avec les autres. Jeudi, on revoit les sécurisations des parcours et les dernières consignes des affectations de chacun. Je vais prendre ma journée demain pour finir mes préparatifs.
— OK, pas de problème. Tu as des questions ?
— Non, ça ira. Ce n’est pas ma première danse, même si là dans le cadre des Jeux c’est un peu différent. Surtout lors de la cérémonie d’ouverture. L’organisation est un peu compliquée. Leur idée de faire ça sur la Seine ne facilite pas les choses et surtout en cas de pépin ce sera problématique pour évacuer tout le monde en toute sécurité. On a fait des simulations et chaque fois il y a un évènement nouveau qui se produit et perturbe le déroulement. Il faudra surtout que chacun tienne son poste et réagisse avec les bons réflexes en cas de problème.
— Tu vas avoir une équipe de combien ?
— J’ai six gars avec moi, dont deux que je connais bien. Le premier jour, ce sera tendu surtout avec la personnalité que j’ai sous ma responsabilité.
— Ne me dis rien, je ne veux pas savoir.
— Pas de risque, c’est top secret, tu imagines bien. Bon j’y vais j’ai une bricole à régler avant de partir. Je te tiens au courant si j’ai besoin de quoi que ce soit.
— Éric, fais gaffe à toi. Je ne voudrais pas que tu nous reviennes amoché.
— Je n’en ai pas l’intention. Merci Didier.

Éric se leva et tendit la main à son chef. Puis se dirigea vers la porte pendant que derrière lui, il entendait un « Bonne chance » pour clore la discussion.

Didier Gariverg regarda son adjoint partir. Il savait qu’il allait le revoir bien vite. Mais c’était un bon élément qu’il ne voudrait pas perdre. Il espérait que tout se passerait bien.

 

Lyon, lundi 22 juillet, 19 h

Vincent rentrait à pied chez lui à travers les rues animées de Lyon en cette fin de journée. L’ombre de la colline de Fourvière se projetait déjà sur les contreforts du parc des hauteurs. Elle ne tarderait pas à atteindre le quartier du vieux Lyon, apportant un semblant de fraîcheur en cette fin de journée. Il allait couper par la longue traboule pour profiter à la fois du côté raccourci mais surtout d’un peu de fraîcheur dans ce passage couvert typique de la ville. L’accès à la traboule était généralement ouvert la journée au flot incessant des touristes qui la visitaient dans les deux sens de passage. Les habitants des appartements intérieurs étaient souvent dérangés par le bruit des discussions de tous ceux qui l’empruntaient. Beaucoup oubliaient que ce n’était pas une attraction touristique ou un monument à visiter, mais bien un lieu de vie surgi de l’histoire de la ville mais encore bien vivant dans le quotidien des Lyonnais qui y résidaient. Un peu de savoir-vivre aurait permis une cohabitation de meilleure qualité. Au fil du temps, les habitants avaient même équipé de portes sécurisées les escaliers de desserte car certains touristes irrespectueux n’hésitaient pas à gravir les marches pour venir au plus près des appartements.

Ce passage lui permettrait d’arriver plus rapidement au pied de son immeuble. Il avait pris cet appartement peu de temps après la fin de son école de journalisme. Il était voisin du groupe scolaire « Aux Lazaristes » qui avait été le point de départ de sa vie actuelle. Il devait absolument se mettre à la rédaction de son article sur les équipes de foot pour que ça passe dans l’édition du lendemain. On lui avait attribué une demi-page sur le supplément spécial consacré aux différentes compétitions des Jeux olympiques. La conférence avait pris du retard et le temps de retraverser Lyon à cette heure pour revenir du stade n’avait pas amélioré les choses.

 

Quelques minutes plus tard, il grimpait déjà les quatre étages de son immeuble pour rejoindre son appartement. Les vieux immeubles du centre de Lyon n’étaient pas équipés d’ascenseurs et le choix d’un appartement se faisait souvent en tenant compte de l’étage de celui-ci. La jeunesse investissait les étages supérieurs pendant que les plus âgés, ceux à proximité de la rue.

Il s’installa à son bureau et alluma son ordinateur. Il passa plus d’une heure à rédiger son article, sans vraiment de conviction. Certains sujets n’avaient pas sa prédilection, et celui-là en faisait partie. Il avait déjà reçu deux SMS du responsable d’impression du supplément pour avoir le texte à insérer dans la page concernée. Mais ceux-là n’étaient rien au regard de ceux de son rédacteur en chef qui voulait absolument avoir son article sur l’intégration des migrants avant qu’il l’envoie en presse. Visiblement, le déjeuner avait été émaillé de commentaires de son entrevue matinale. Ça attendrait demain. Il regarda l’heure à la pendule et décida de passer une commande pour son dîner. Le repas de midi avec Clarisse avait été copieux. Il décida de joindre le restaurant asiatique au bout de la rue pour quelques douceurs plus légères qu’une pizza ou les autres cochonneries, comme disait Clarisse, qu’il ingurgitait certains jours de bouclage tardif de ses articles. En plus, c’était les seuls qui voulaient bien lui faire la livraison en haut des escaliers. Il apprécierait bien de pouvoir gagner quelques minutes en cette fin d’après-midi bien chargée, et de nombreuses marches à descendre et à remonter. Il passa commande. On le livrerait dans une vingtaine de minutes.

Il en profita pour se servir un petit verre de vin pour patienter et alluma la télévision. Les nouvelles du monde étaient éclipsées par l’évènement mondial qui commençait en fin de semaine. Il ne trouva pas grand-chose d’intéressant dans les échanges formatés que chaque reporter servait aux spectateurs. Il finit par éteindre quand la sonnette résonna à l’entrée. Il alla récupérer son repas et s’installa dans son salon en mettant un peu de musique.

Moins de quinze minutes plus tard, il débarrassait le tout et se fit couler un café. En revenant, il attrapa sa besace pour regarder les notes qu’il avait prises durant ces deux entretiens sur le sujet sensible des migrants aux J.O. Il ne savait pas encore comment il allait tourner son article.

Il réfléchissait pour savoir par où il devait commencer quand il aperçut le livret qu’il avait récupéré presque inconsciemment dans le passe-livre. Il venait de glisser de sa sacoche sur le canapé. Il regarda la couverture toute simple, blanche et juste un titre « Avenir ». Il le retourna pour voir la quatrième de couverture très succincte.

« L’avenir n’est jamais écrit mais chacun à sa page vierge pour le faire. Pour que demain soit meilleur. Chacun peut lire ce dont il a envie dans chaque ligne d’un livre. Sans décrypter la substance de celui qui l’a écrit. Sans pouvoir se mettre à sa place au moment où il l’a écrit, nul ne pourra découvrir l’avenir qu’il lui révèle. »

 

Cette courte présentation le surprit mais l’interpella en même temps. Il ouvrit la première page. Il y avait un marque-page avec une photo de la tour Eiffel d’un côté et de l’autre un bout d’un tableau connu. Il le posa à côté de lui sur son calepin. Il lut les premières lignes imprimées sans y trouver d’intérêts. Il feuilleta les pages suivantes et fut, là encore, surpris de ce qu’il trouva. Les pages impaires étaient écrites de textes rythmés comme des poèmes mais sans régularité de pieds ou de rimes. Les pages paires étaient, quant à elles, quasiment vierges, à peine tracées de dessins au crayon sans liens avec les textes à côté. Ou des liens qu’il ne détectait pas en tout cas. En plus, certains des lecteurs, qui l’avaient eu en main, avaient fait des ronds dans les dessins un peu n’importe comment. Il se demanda si ce n’était pas un de ces nouveaux jeux où chaque lecteur met un petit signe pour dire qu’il l’avait lu, espérant qu’une œuvre collective naisse de cet imbroglio visuel. Si tel était le cas, c’était franchement un loupé magistral. Vincent imagina aussi la possibilité que ce soit peut-être un jeu de piste dont il ne connaissait pas les règles. D’un coup, il se trouva vieux ou tout au moins décalé avec son temps. Il soupira et jeta le livret sur sa besace au bout du canapé.

Décidément, la journée avait été bien médiocre. Il avait quand même eu le plaisir de voir Clarisse de qui il s’était un peu éloigné ces derniers temps. Il avait été stressé, ce qui n’avait pas été très positif. Il devait reconnaître qu’il avait encore quelques rancœurs de leur histoire passée. Les affres de ces relations qui apportaient tellement dans une vie et qui se diluaient avec le temps, ne laissant que des relents malodorants. Il avait souvent espéré dans son adolescence avoir une aventure durable avec Clarisse. Et puis cette histoire du bout du monde qui avait fait naître leur relation. Au retour en France, elle avait perduré, dans un premier temps, dans l’ombre. Puis ils avaient avoué la situation à Melvyn. Melvyn qui s’était séparé de Clarisse un an plus tôt, avait fait bonne figure mais au fond de lui, tous les trois le savaient, il souffrait de ça. Il n’avait pas imaginé quand c’était l’inverse, que lui, Vincent, avait pu souffrir également. Finalement, Clarisse avait fini par rompre. Une aventure ne devait rester qu’une aventure. Moins d’un an plus tard, le trio avait repris ses positions en maintenant leurs liens. Dans leur cas, l’amitié avait tenu le choc mais était restée quand même un peu comme le couvercle retenant les effluves avariés de relations perdues. Il décida de refermer cette boîte de Pandore. Condition impérative s’il souhaitait passer une nuit paisible.

 

 

 

 

 

Chapitre IV

 

 

 

Lyon, lundi 22 juillet, 23 h 30

Le Lieutenant Éric Dubois badgea à l’entrée principale du service de police. Il était revenu pour vérifier les derniers points de son programme des prochains jours. Les locaux étaient presque déserts sauf le service de permanence de nuit pour les interventions du quotidien et Dieu sait combien le quotidien pouvait être prenant. Il allait sortir de tout ça pendant quelques semaines. Ses souvenirs affluaient de la période de sa vie où son quotidien se conjuguait à l’opposé de celui actuel. Cette période où sa vie se rythmait d’hôtels de luxe, de restaurants étoilés, de réceptions d’ambassades ou de ministères, mais de ces lieux qu’ils ne connaissaient pas comme client privilégié mais comme garde du corps des personnalités dont il avait la charge. Il profitait quand même de miettes de ce luxe dans ce quotidien. Des miettes que certains lui auraient jalousées. Son nouveau poste lui avait offert des responsabilités plus importantes et il aimait ça. Mais à l’époque, son instinct de flic était plus aiguisé, ses choix pouvaient être la clé d’une situation compliquée. Mais cette foutue erreur de jugement, il l’avait payée cher. Il emprunta les escaliers pour rejoindre son bureau.

Les bureaux dans les étages étaient éteints et seules les veilleuses à ras du sol coloraient de pinceaux lumineux les circulations. Les pas d’Éric résonnaient sur le carrelage du sol. Il entra dans son bureau et s’installa devant son écran. Il prit le temps de respirer profondément.