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Oumou Kalsoum Sow
Justice au prix de la vengeance
Roman
Copyright
© Lys Bleu Éditions – Oumou Kalsoum Sow
ISBN : 979-10-422-4630-3
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Justice au prix de la vengeance
Voilà l’horloge parfaite qui ne retarde jamais à réveiller les habitants du village. Le chant des coqs est le signe montrant qu’il est l’heure pour rejoindre les activités quotidiennes dans le village. Les femmes nettoient les maisons et les hommes empruntent le chemin des champs, les jeunes filles épaulent leurs mères dans les travaux domestiques. Les garçons vont à l’école ou secondent leurs pères dans les travaux champêtres, ce qui les motivait était l’ambiance sur le chemin et les chants traditionnels qui leur permettaient d’oublier les soucis et de s’évader.
Comme toujours, Zeyna, la fille unique de ses parents s’occupe de leur maison malgré son jeune âge. Elle prépare le petit déjeuner, fait la lessive, va au marché pour le repas de midi et après la corvée, elle suit le chemin de la gare pour liquider les haricots et les arachides que cultive son père.
Ce dernier, Souleymane, un digne paysan fier connu dans tout le village. Un homme respectueux et pieux. La seule chose qui faisait qu’on lui pointe du doigt était son autorité et sa complication. Sa femme Rokya est une femme modèle dans tout le village, une brave dame vertueuse respectueuse et fidèle à son mari qui tient beaucoup à l’éducation de sa fille Zeyna, qui très correcte est appréciée de tous. Beaucoup de parents dans le village rêvent d’avoir une fille comme elle. Ce qui explique la jalousie et le dépit des jeunes filles du village qui la snobent, se moquent d’elle et refusent sa compagnie.
Elle rejoint son père aux champs après chaque repas de midi pour récupérer sa marchandise. Beaucoup de voyageurs la connaissent, donc cela n’était pas difficile pour faire écouler sa marchandise. Moussa Diop, un homme de grande taille, élancé, qui doit mesurer à peu près un mètre-quatre-vingts, tenant dans sa main une petite valise noire, est l’un des voyageurs, mais dès qu’il a aperçu la petite Zeyna, il n’a pas pu s’empêcher de l’interpeller.
— Hé ! Hé ! jeune fille.
Et il lui fait un geste avec sa main pour lui demander de s’approcher.
— Oui monsieur, que désirez-vous prendre, des haricots ou des arachides.
— Non merci. En fait, je voulais discuter avec toi.
— Je suis désolée monsieur, mais je n’ai pas le temps pour des discussions. En plus, je n’aime pas parler aux inconnus sauf s’il s’agit d’un client.
— Je comprends tout à fait, jeune fille. Tu as bien raison de t’inquiéter et d’éviter les inconnus, car dans ce monde, faut se méfier de tous. Nul n’est à l’abri.
— Puisque vous le savez, c’est bien et moi je dois prendre congé, je n’ai pas que ça à faire. J’ai un panier à finir, en plus le temps ne m’attend pas.
— Quel caractère ! je vois que tu as la tête sur les épaules tu es très intelligente. Actuellement, tu fais quelle classe ?
— Pour faire court, je ne suis pas scolarisée.
— Comment une fille si intelligente peut ne pas être scolarisée ?
— Mon père dit que la place d’une fille c’est dans son foyer et non à l’école ou au bureau. Sinon qui s’occupera de l’éducation des enfants ?
— Comment ça ? moi qui pensais que c’est révolu, que les gens ont finalement pu comprendre l’intérêt de s’instruire !
Mon père est un dur à cuire, il ne veut rien comprendre et entendre concernant la scolarisation des jeunes filles. En plus dans les villages comme le mien, ce n’est pas tout le monde qui dispose d’un téléviseur pour savoir ce qui se passe en ville ou dans le monde, car il n’y a même pas de l’électricité pour s’alimenter. Et beaucoup de gens ignorent même notre existence. Dans ces conditions-là, les parents ne sauront guère les informations et à quel niveau se situe le monde. Il n’existe que notre radio locale et ça ne parle que de notre environnement.
— J’ignorais tout ceci, je n’étais juste que de passage, je dois retourner en ville. Je suis enseignant, on vient de me muter ici, donc je crois que je pourrai discuter avec ton père pour qu’il comprenne l’importance d’aller à l’école et de s’instruire, car s’il y a une arme indestructible à laquelle tout le monde a droit, c’est le savoir. La plus grande des richesses.
— Je comprends parfaitement et merci pour votre aide. S’il y a une chose que je peux vous dire, ce sera de ne pas gaspiller votre temps pour venir discuter avec mon père. Tel que je le connais, il n’acceptera jamais de m’envoyer à l’école et il déteste que l’on défie son autorité.
— Ne t’inquiète pas pour cela. Discuter avec des parents fait partie de mon boulot, je saurai comment procéder avec lui. J’ai rencontré tout genre.
— Si vous le dites. Mais quoi qu’il arrive, ne me dites pas que vous n’avez pas été prévenu, car le connaissant…
— Donne-moi juste ton adresse et je passerai le voir.
— Pas besoin. Demandez juste Souley féroce et on vous y conduit. Il est connu de tous par son autorité.
— Haha ! d’où vient le « féroce » ?
— C’est le surnom qui lui a été attribué par les enfants du village.
Lorsque Moussa voulut ajouter un mot, l’apprenti appela les voyageurs qui n’étaient pas sur leurs sièges, car le véhicule était plein et s’apprêtait à partir. Vu que Moussa lui avait pris beaucoup du temps, elle lui demanda d’acheter un pot d’arachides :
— Vous devez acheter au moins un pot, car vous m’avez pris beaucoup de mon temps.
Moussa rigola et acheta un pot d’arachides et un pot de haricots, puis prit congé.
Zeyna continua son commerce jusqu’à l’avancée de l’horizon pour se préparer à se mettre en route, tout en évitant que le crépuscule la devance, vu que son père lui a interdit d’être dehors jusqu’à pareille heure. À son arrivée à la maison, elle salua ses parents, se baigna, pria, puis s’approcha de sa mère pour lui remettre les bénéfices. Sa mère prend l’argent et attend l’arrivée de son époux pour poser l’argent dans sa main.
Comme toutes bonnes mères, Rokya appela sa fille pour discuter avec elle :
— Zeyna !
Il suffisait de l’appeler une seule fois et elle arrêtait tout ce qu’elle faisait pour répondre.
— Oui mère, m’avez-vous demandé ?
— Je voulais juste savoir comment s’était passée ta journée aujourd’hui.
— Bien mère et la tienne ? j’espère que tu ne t’es pas trop ennuyée.
— Non ma fille, j’ai passé une bonne journée à part m’inquiéter pour toi.
— Mère je te l’ai toujours dit, tu n’as pas à t’inquiéter pour moi, je vais bien je sais me protéger et comment me comporter.
— Zeyna, je ne veux que ton bien. En plus, je ne suis qu’une mère donc c’est normal que je m’inquiète pour toi. Je veux que tu saches aussi que maintenant tu es mon unique enfant depuis la mort de ton défunt frère Issa à cause de ses amis qui avaient des quiproquos avec lui. Je suis sûre qu’il n’y était pour rien et depuis lors ton père n’adresse plus la parole à oncle Dioum et ne veut plus avoir affaire à personne. D’où sa férocité et sa méfiance envers tous. Je te parle de tout ceci parce que tu n’es plus une gamine, tu es dans la puberté…
Au moment où Rokya voulut continuer son sermon, Souley entra. Après sa salutation, il jeta son grain de sel dans leur discussion :
— Ne te laisse pas faire, méfie-toi de tous, les hommes sont tous mauvais ! ils ne connaissent que leur mère, sois ferme, catégorique, déterminée et garde tes distances. Ils sont tous grands menteurs, que de fausses promesses et tous des beaux parleurs. N’ouvre pas facilement ton visage et n’oublie jamais d’où tu viens c’est très important. Cela te permettra de maintenir tes valeurs et ta dignité. J’espère que tu as bien compris et que ceci n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde.
— J’ai bien compris et entendu, je tiendrai toujours compte de vos propos.
— Il commence à se faire tard femme, va vite servir le repas du soir, je meurs de faim et votre discussion m’a assoiffé. Zeyna tu ne m’as pas offert de l’eau aujourd’hui qu’attends-tu ?
— Je ne voulais pas vous interrompre, raison pour laquelle je ne me suis pas levée pour vous rafraîchir. Mais ce sera la dernière fois, excusez-moi père.
Après le repas, il reprend sa discussion en commençant par :
— Merci femme, le repas est bien servi, je me suis régalé. Je suis content aujourd’hui d’apprendre que tu discutes avec ta fille. Le monde actuel est tel qu’au moindre faux, pas les parents risquent de perdre le contrôle sur leurs propres enfants. L’importance est de garder ses valeurs, préserver sa dignité et se rappeler toujours de ses origines. L’argent ne doit pas vous pousser à faire quelque chose de regrettable un jour. Dépensez-vous à la sueur de votre front pour survivre, n’attendez rien de personne. La vie est précaire et la réussite n’est pas facile. Ayez foi et courage, croyez au bon Dieu et continuez de prier, tout en faisant des efforts et ce dernier payera un jour.
— Père puis-je vous poser une question ?
— Je t’écoute.
— Pourquoi nous détestons-nous alors que l’on est tous humains ? personne ne veut voir son prochain le devancer, d’où provient cette jalousie ?
— Ma fille, je veux que tu retiennes bien ce que je vais te dire. La vie est un long combat. En ce qui concerne ta question, tu peux trouver la réponse dans la jungle.
— La jungle, vous dites ? là-bas il n’y a que des animaux.
— Tu as la réponse maintenant. Si tu prêtes bien attention, tu verras que c’est pareil chez les humains. La forêt est vaste, on y trouve différentes espèces, ils sont tous ensemble dans la forêt, mais les uns vivent sur les autres tandis que d’autres dévorent les uns pour survivre.
— Que voulez-vous dire par là exactement père ? je ne comprends pas trop bien.
— Chez nous les humains aussi, il se passe la même chose, nous vivons tous ensemble et chacun ne connaît que son intérêt. Les uns sont mal intentionnés, d’autres jaloux et d’autres, pour devancer leurs prochains, sont prêts à tout, même à envoûter pour être riches. Certains vivent aux dépens des autres, tu vois et…
— Ah je vois je viens de comprendre, maintenant j’ai saisi, répliqua Zeyna.
— Donc ma fille, fais bien attention et n’accorde pas trop vite ta confiance. Ne sois pas naïve, ne te fie à personne et garde tes à un stade où personne ne peut dissocier l’ennemi de l’ami, tous faux, et les proches sont même plus dangereux.
Comme d’habitude, les parents ne cessèrent de sermonner Zeyna et lui montrer la cruauté de la vie. Un jour, son père et sa mère discutaient durant son absence et Souley dit à sa femme :
— Femme, depuis que Issa nous a quittés, je ne dors presque plus, je m’inquiète de plus en plus pour notre fille, d’autant plus qu’elle est notre seule héritière. Faudra discuter souvent avec elle, surtout concernant les réalités de la vie pour qu’elle puisse apprendre et savoir un peu plus. Les enfants ne peuvent aller sans les adultes à côté.
— C’est entendu, mon cher époux. Vous avez parfaitement raison, d’autant plus qu’elle n’est plus une petite fille. J’ai remarqué qu’elle n’arrête pas de questionner concernant la vie et le comportement humain depuis la perte de son frère. Je prie que le tout-puissant la protège.
— Le temps passait et la petite Zeyna comme d’habitude s’occupait de la vente des haricots tandis que sa mère gérait la maison. Souley continuait ses travaux champêtres tout seul, vu que son unique fils qui l’aidait n’était plus de ce monde. Après le déjeuner, Zeyna se rendit à la gare pour écouler sa marchandise. Sur la route, elle croise les jeunes filles du village et ces dernières se moquèrent d’elle « vendeuse de haricots, fille analphabète sans éducation ». Lorsqu’elle voulut ouvrir la bouche pour leur répondre, elle se rappela les conseils que lui donnèrent ses parents, soupira et reprit sa route sans se retourner. À sa grande surprise au retour, elle trouva Diop dans leur cour avec ses parents. Bouche bée, elle laissa tomber le panier qu’elle avait, ouvrant grand ses yeux. Elle ne dit mot, avança, les salua puis elle se précipita pour entrer dans la case où elle trie les haricots en prêtant l’oreille. Son père comprenant son jeu et connaissant bien sa fille l’appela pour qu’elle les rejoigne. Il lui dit :
— En parlant du loup, le voici qui remue sa queue. Zeyna, ce jeune homme-là dit te connaître et il nous a expliqué beaucoup de choses. Comment se fait-il que tu ne nous aies rien dit, ta mère et moi ?
— Père ce n’est pas ce à quoi vous pensez ou croyez. Ce monsieur, je l’ai rencontré à la gare un jour. C’est un des clients et il m’a questionné au sujet de ma scolarisation et je lui ai dit que vous étiez catégorique sur ce point-là.
— Donc toi Diop, qu’est-ce que tu n’as pas compris là-dedans, ne vous a-t-elle pas donné mon avis concernant ce sujet ? ou dites-moi ce que vous n’avez pas compris, que je vous l’éclaircisse.
J’ai bien compris monsieur, mais je ne veux pas que vous rejetiez la chance que vous avez. Votre fille est intelligente, courageuse et dégourdie. Je me suis dit que si elle a un bon encadrement scolaire, elle pourra devenir un cadre de notre société et pourra vous aider et vous soutenir dans vos conditions. Une fille comme elle ne devrait pas rester sans s’instruire, et dans le monde actuel, on ne reconnaît la valeur de quelqu’un que de par ses diplômes. Si vous êtes sans diplôme, inutile de chercher un bon travail descend, parce que tu ne l’auras pas.
— Êtes-vous en train de me dire ce qui est le mieux pour ma famille, ou comment éduquer ma fille ? Petit, tu es trop loin de la sagesse pour me donner des conseils concernant l’avenir de ma fille. Je te remercie quand même d’avoir perdu ton temps pour venir me voir, mais ma fille n’ira pas dans votre entreprise de lavage de cerveau. Nous avons nos valeurs et je ne laisserai personne nous les arracher. Pardon, mais c’est mort. Changez de stratégie, car celle-ci est périmée.
— Je vous comprends, monsieur. C’est très normal que vous réagissiez ainsi, je ne vous force pas à scolariser votre fille, mais, j’ai bien peur que vous regrettiez de ne pas vouloir scolariser votre fille et tout ce qui arrivera un jour souvenez-vous, vous en serez l’unique responsable et ce jour-là, il sera trop tard. Et lorsque viendra ce moment-là, vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous. Tout ce que je vous dis n’est que dans votre intérêt et celui de votre fille. Monsieur n’oubliez pas qu’un jour viendra et vous ne serez plus là pour la soutenir et au moment venu, elle devra se battre pour survivre sans pour autant compter sur vous, car vous serez déjà loin.
— Petit, si vous avez fini, vous pouvez disposer. Personne n’entre dans ma demeure pour me dire ce que je dois faire et sachez que je ne suis pas encore mort et rappelez cela à votre père, peut-être qu’il est le prochain sur la liste d’Israfil, qui sait.
— Souley ! vous allez trop loin, je pense qu’il ne veut que notre bien. Il pouvait ne pas venir nous parler…
Lorsque Rokya le raisonna, il l’interrompt sur le coup et lui dit :
— Que vient faire le mot d’une femme dans une discussion d’hommes ? Je t’interdis de prononcer mot, je suis le père de famille ici et personne n’a le droit de me contre dire.
— Ne vous en faites pas ma tante, je le comprends parfaitement, réplique Diop.
— Heureusement pour toi que tu es bien éduqué, sinon j’allais te donner des coups de poing.
Zeyna et sa mère se regardent, bouche bée. Souley, qui vit leur regard, ajouta :
— J’ai pratiqué un peu d’arts martiaux, que croyez-vous, la force est toujours présente.
Elles rigolèrent discrètement en mettant leur main sur leurs lèvres pour cacher leur rigolade.
— Bon, il est temps pour moi de prendre congé. C’était un plaisir d’échanger avec vous, monsieur j’espère que l’on se reverra un jour.
— Attendez petit, je ne vous promets rien, mais je vais y réfléchir.
Zeyna le devança à la porte lorsque Diop sortit de leur salon. Elle lui dit avec gêne :
— Je vous avais prévenu, mon père est un dur à cuire, donc soyez pas étonné.
— T’inquiète, je m’étais préparé avant ma venue, raison pour laquelle j’étais zen. J’ai déjà eu à discuter avec des personnes de son genre, donc j’ai su comment réagir.
— Je vois cela, mais avouez, vous avez eu peur, lui dit Zeyna en souriant.
— Du tout, je n’ai peur de personne moi, mais d’accord avouons, il m’a fait un peu flipper. On dirait un vieux soldat ou plutôt un tirailleur.
— Respect, il s’agit quand même de mon père. Bon, je vous remercie d’avoir essayé de le convaincre et je m’excuse de son comportement déplacé.
Zeyna sachant ce qui l’attendait une fois comme si de rien n’était et s’assied auprès de sa mère. Souley la regarda et jeta un petit sourire en remuant sa tête. Il ne dit rien et alluma sa radio pour leur montrer que le débat est clos, se retourna et rappela Zeyna :
— Seynabou, n’as-tu rien à faire ?
— Si, père.
— Alors qu’attends-tu ou bien le travail se fait tout seul ?
Plusieurs jours passèrent et Zeyna avait l’air triste et était devenu moins bavarde, sa mère la remarqua et ne dit rien. Un jour, elle attendit la tombée de la nuit puisque l’on dit que la nuit porte conseil et les sages décisions se réfléchissent la nuit. Elle rejoignit son époux couché sur la natte dans la grande cour, alluma sa radio en observant les étoiles. Elle s’approcha de lui et lui dit :
— Vous profitez de l’air ?
— J’essaye un peu de méditer en profitant de l’air pur bien sûr.
— En fait, j’aimerais que l’on discute sérieusement à propos de notre fille. J’ai constaté que ces temps-ci Zeyna ne parle presque plus et n’a plus d’appétit, on dirait qu’elle est attristée par quelque chose.
— Femme, moi aussi j’ai fait ce constat je n’ai voulu rien dire me disant que tu es une femme, une mère donc tu seras la mieux placé pour discuter avec elle. Ce que tu viens de me dire me prouve donc que tu n’as pas pris la peine de discuter avec elle pour savoir ce qui l’intrigue. Alors que tel est le rôle d’une femme de s’occuper des enfants et de veiller à leur éducation.
— Je ne veux guère vous contre dire et vous offenser, mais alors qu’elle est votre rôle à vous ?
— Qui vous donne la dépense ? Qui amène à manger ? répond moi.
C’est bien vous et je le sais. Mais, ce que j’essaye de vous dire est que nous partageons la responsabilité des enfants, les femmes ont des droits sur les enfants tout autant que vous. Vous ne nous laissez pas parler, vous dites que le dernier mot vous revient, la prise des décisions vous revient, s’il y a du bienvous dites que c’est grâce à vous et s’il y a ne serait-ce qu’une petite faille vous accuser les femmes. Je ne…
— Halte ! que voulez-vous dire, que je dirige mal ma maison et que tout est de ma faute ?
— Loin de là. Je veux juste dire que si tu étais moins nerveux et plus ouvert envers ta famille, les enfants n’auraient pas à nous cacher et viendraient discuter avec toi le plus souvent.
— Qu’est-ce qui les en empêche ?
— La peur ! répondit Zeyna derrière eux.
— Qu’as-tu dit, Seynabou ? demanda Souley.
La peur, j’ai dit. Père on n’ose vous dire quoi que ce soit à cause de votre comportement. Vous nous avez terrorisés, personne ne peut vous convaincre ni vous faire entendre raison, tout vous revient on est comme des marionnettes rien que vos ordres, père on n’est pas dans un camp militaire vous avez le sang chaud trop nerveux et beaucoup d’ardeur, avec de tels comportements qui osera vous dire son avis ou vous parler ou vous…
Et las, Souley l’interrompt :
— Tu la fermes Seynabou !
— Mais père je ne fais que vous dire la véri…
Et c’est une gifle qui ferma sa bouche. Les larmes commencèrent à couler et elle colla sa main sur sa joue gauche, fixa son père avec ses yeux mouillés.
— Je ne voulais pas en arriver là, mais aujourd’hui tu m’y as obligé n’essayes plus de me parler sur ce ton lorsque je te parle.
Sa mère n’arrêta pas de crier en pleurant :
— Seigneur, qu’ai-je fait pour mériter ça, Souley pourquoi, pourquoi vous êtes ainsi ?
— Ne vous inquiétez pas mère, c’est retenu. Père, je ne vous ai jamais parlé ainsi, mais si c’est arrivé, revoyez-vous.
Et elle tourna le dos, s’en alla se coucher suivie par sa mère. Le pauvre père tenant sa main sur son menton remua sa tête et retourna sur sa natte, ce jour-là il a passé la nuit aux belles étoiles.
Au réveil le petit matin, il toqua à la porte de Zeyna et personne ne répondit, il pénétra dans la case et personne ne s’y trouvait. Il cria partout le nom de Zeyna, en vain. Finalement, il appela sa femme pour le lui demander et cette dernière non plus ne la trouvait pas. Il resta debout un moment et dit à sa femme :
— Où est-ce qu’elle peut bien aller ?
— Zeyna n’a pas de fréquentation à part la maison d’oncle Dioum pour voir sa copine Coumba, mais elle n’y va plus depuis que tu le lui as interdit.
— De toute façon, je la connais bien peu importe là où est-ce qu’elle est je sais qu’elle passera la nuit avec nous, dit Souley.
De l’autre côté Zeyna était dans les champs de son père sous un grand manguier à méditer et tout d’un coup elle aperçoit de loin une femme qui était dans les quarantaines assied sur un brique. Elle l’observa pendant un instant avec ses mains courbées sur ses joues puis elle s’approcha d’elle.
— Bonjour tante !
Cette dernière ne l’entendit pas et elle lui répète à trois reprises. C’est lorsqu’elle l’a touché que la dame a sursauté.
— Seigneur ! Qui es-tu ? tu as failli me faire fuir.
— Excusez-moi si je vous ai fait peur. Telles ne sont pas mes intentions.
— Je comprends et je ne t’en veux pas.
— Tante, pourquoi êtes-vous pensive ?
— Rien, ma fille, juste des problèmes de la vie, mais ça va aller.
— Quels genres ? parce que moi-même j’en ai on dirait que c’est devenu un phénomène apparemment.
La dame rigola un peu et lui dit :
— Tu es trop jeune pour avoir des problèmes, je suis sûre que t’as tenu tête à un de tes parents.
— Waw ! comment le saviez-vous ?
— À ton âge, pas besoin que l’on te demande, on devient révolté, on pense que l’on a toujours raison, nos idées nous suffisent. Quant à mon problème à moi ce sont des affaires d’adultes tu ne pourras pas comprendre maintenant, mais un jour viendra et tu sauras beaucoup de choses de la vie surtout lorsque tu te marieras et que tu auras des enfants.
— Vraiment ! et comment le saurais-je ?
— L’avenir nous le dira ma fille, l’avenir nous le dira. Travailles bien, il te reste du chemin s’il y a un conseil que je peux te donner c’est d’écouter les conseils de tes chers parents, ils sont les amis les plus fidèles et ne te trahiront pour rien au monde. Applique leurs dires, sois obéissante, c’est le seul moyen d’obtenir leur bénédiction et ainsi, aucun obstacle ne pourra t’arrêter, sois-en sûre. Excuse-moi, mais je dois m’en aller.
La dame s’en alla comme un destin et la petite Zeyna se promena dans les ruelles de son village. Tout à coup, elle vit une foule, par curiosité, elle s’approcha. Elle vit un homme abattu, traîné par terre, les habits déchirés. Étonnée, elle resta comme une statuette, ouvrit gros les yeux. Elle ne pouvait plus se retenir sans ne rien dire et elle s’insurgea en criant :
— Ça suffit ! ne pensez-vous pas que vous allez trop loin.
Quelle audace ! tu es culottée petite insolente mal élevée, dit une vieille dame en se faisant aider par les autres. Elle ne leur répondit guère tout en continuant ses propos. Un garçon à côté lui dit :
— C’est un voleur, donc il mérite son sort. Si toi aussi t’avais fait pareil, on te fera pareil.
— Je ne vous contre dis pas, mais, qu’est-ce qui vous prouve qu’il a volé ? Qui l’a vu ?
Tout le monde se mêla de l’affaire, les cris par ci, les insultes par-là, les injures de ce côté, les menaces de l’autre côté, personne ne s’écoutait. Un vieillard qui était à côté avait pris le temps d’observer la scène et soudainement il s’avança avec une canne à la main en criant.
— Pouvez-vous vous calmer ?
Le silence revenait, la petite Zeyna très audacieuse prit la parole.
— Enfin un sage qui pourra trancher.
— Ferme-la ! depuis quand les enfants se mêlent de la discussion des adultes. En fait, l’ancien le jeune homme-là est un voleur recherché, il a volé le téléphone de cette pauvre fille.
— Tu as des preuves ? demanda le vieux.
Personne n’osa ouvrir sa bouche pour répondre et la dame baissa la tête avec sa main droite sur sa nuque. Un homme répliqua de l’autre côté :
— On a composé le numéro de téléphone de la fille et il s’avère qu’il se trouvait dans son sachet. On l’a su à cause de la sonnerie. Alors ceci n’est-il pas suffisant comme preuve ?
Les hurles recommencèrent chacun parlèrent de son côté on entendit le bruit partout le vieux frappa sa canne deux fois au sol et le silence revint.
— Cela ne suffit pas, fallait demander au jeune homme sa version des faits pour voir ce qu’il dira et là on verra ? dit le vieillard. Laissez-le s’exprimer maintenant au moins vous lui devez cela non.
Le vieillard l’interrogea :
— Comment le téléphone s’est retrouvé dans votre sachet ?
— Ancien, celui-là n’est qu’un voleur, il ne mérite pas de se prononcer, dit la victime.
— Chacun a droit de s’exprimer, laisse-le nous racontez sa version tout comme toi.
— Merci ancien de me donner l’occasion de m’exprimer pour éclaircir les faits. Je vais tout vous dire. La dame que voici était ma promise, mais elle m’a tourné le dos dès qu’elle en a eu l’occasion. Je ne suis qu’un fils de paysan et lorsque le nouveau boutiquier l’a vue il est tombé sous son charme et a fini par la courtiser, à cause de sa richesse elle a accepté en mangeant son argent, il l’a financée ainsi que sa famille. Le boutiquier en a profité et l’a engrossée.
La victime l’arrêta et lui fit :
— Cela n’a rien à voir avec cette affaire et ceci ne justifie pas ton acte.
— Laisse-le finir et on saura, dit le sage.