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Tout semblait être un présage de destin glorieux pour Faramanko Kégnou, selon les prophéties du célèbre devin Thiékoroba Dioncounda Mankhané. Originaire d’Horodougou, son chemin l’a conduit à vivre des aventures extraordinaires, le transportant de sa terre natale jusqu’en France, en passant par le Portugal. Cependant, des circonstances tout à fait exceptionnelles surgiront pour bouleverser sa vie de manière inattendue. Sera-t-il en mesure de concrétiser ses aspirations ? Les prédictions du devin demeureront-elles toujours aussi infaillibles ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Mahamadou Diakhité explore des thèmes tels que le réveil de l’Afrique, le dialogue interculturel et la question de l’immigration ou de l’émigration. Sa formation dans plusieurs pays, dont le Sénégal, le Portugal et la France, a profondément influencé sa créativité, ce qui se reflète dans le présent ouvrage.
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Mahamadou Diakhité
Kabiladougou
Une enfance africaine
Roman
© Lys Bleu Éditions – Mahamadou Diakhité
ISBN : 979-10-422-1556-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À la mémoire de ma chère et regrettée maman,
le grand Amour de ma vie : Fanta Camara.
À mon cher papa, l’homme probe, ma référence absolue : Hamidou Diakhité.
Aux amours de ma vie : Diénéba Ndiaye, Hawa Sy, Fatoumata Bintou Diakhité, Mouhammad Bachir Diakhité, El Hadji Malick Diakhité.
À mes tantes Nanding Camara, Mariama Camara ; à Fodé Diaby partis regagner le monde des essences immuables.
À mes chers frères et sœurs : Hawa Diakhité, Ouleymatou Diakhité, Fatou Diakhité, Boubacar Diakhité, Ibrahima Diakhité, Alphousseynou Diakhité et Abdourahmane Diakhité.
À mes nièces et neveux.
À Mame Bou Kounta, mon frère, guide et ami fidèle.
Au Dr Thierno Thiam, Professeur à l’Université Tuskeegge, aux États-Unis d’Amérique pour notre amitié et notre compagnonnage politique indéfectible.
À mes cousines et cousins tant au Sénégal, en France, qu’ailleurs à travers le monde.
À tous mes collègues et étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, plus particulièrement ceux du Département de Langues et Civilisations romanes.
À Madame le Professeur Maria Graciete Besse, de l’Université Paris IV-Sorbonne, ma directrice de Thèse de Doctorat.
À Messieurs les Professeurs Michel Riaudel et José Leonardo Tonus de l’Université Paris IV-Sorbonne.
À Monsieur Paul Hartmann, Responsable-Coordinateur chez Emmaüs-Toulouse, France.
À Madame Sylvie Gèze, Présidente de l’Association Roqueclair, Roque, France.
À Monsieur le Professeur Momar Camara, Professeur en Médecine et psychanalyste à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et au CHU de Fann, Dakar-Sénégal.
Mes sincères remerciements
ainsi que ma profonde gratitude à chacun de vous
Dans un monde où chacun se grime, c’est le visage nu qui paraît fardé.
André Gide
S’agit-il d’un roman, s’agit-il d’un essai, de fragments autobiographiques, d’un témoignage personnel partiellement fictionnalisé ? Peut-être un peu tout cela, selon le moment et l’humeur de l’auteur…
Quoi qu’il en soit, on sent au fil des pages une gourmandise de langage, qui savoure dès le titre la liberté de ton, apostrophant familièrement son lecteur, aussi bien qu’une écriture appliquée et chantournée, jusqu’à l’invention et la réinvention de la langue. On s’amusera d’une phrase telle que « À l’époque nos cousins Gaulois, descendants directs d’Astérix et d’Obélix, ne pouvaient pas reconnaître les Africains ni les distinguer les uns des autres. » Clichés et méconnaissance de l’autre s’y répondent en miroir, sans doute avec malice.
Le propos colle au style, tantôt polémique, tantôt laudatif, c’est-à-dire la plupart du temps empreint d’un regard moral sur le monde, ponctué de considérations politiques et de sentences religieuses. Quel avenir pour l’Afrique, en particulier cette Afrique de l’Ouest ? Comment se positionner envers les années de colonisation ? Quel sens donné à sa vie ? À quels types de rapports sociaux aspirés, quels modèles familiaux ?
Ici ou là résonnent les échos de quelques modèles rêvés de la littérature francophone africaine, Kourouma, Senghor et autres, assaisonnés de pittoresques références au mafé et au domoda, en passant par le margouillat, le tout-venant épicer une prose qui fourmille de leçons de vie et de réflexions sur les destinées du monde, tout en se délectant de sa saveur et de sa vivacité.
Michel Riaudel
Un écrivain est un homme comme les autres. Il rêve. Mon rêve est à dire, après la rédaction de ce livre : ceci est un livre sur l’Afrique. Des rêves. Beaucoup de rêves. De l’optimisme. Du réalisme certes, mais de la critique aussi. Une terre. Des drapeaux. Des histoires d’amour, beaucoup d’amour. Quelques disparitions ou drames. Le sous-bassement historique est l’Afrique des grands empires : le Mandé certes, mais l’Égypte aussi. Des périodes historiques telles que l’ère coloniale, les années immédiates postindépendances africaines, les moments actuels y occupent une place charnière. L’espace se réfère au Horodougou (le Sénégal, peut-être), le Kabiladougou (l’Afrique ?), mais aussi l’Europe (le Portugal et la France). Le roman, de par ses thématiques et son style, emprunte au roman historique, aux mémoires. Il s’enracine dans la réalité tout en restant une œuvre de fiction aux relents autobiographiques, sans s’y limiter. C’est aussi le roman d’une génération, celle des jeunes et moins jeunes Africains nés au moins entre 15 et 20 ans après l’accession de l’immense majorité des pays africains, singulièrement de l’aire francophone, à l’indépendance. Par ses thématiques et sa forme, il emprunte également au pamphlet, au roman engagé, tel que pensé par le philosophe et homme de lettres français, Jean Paul Sartre, ou sur la droite ligne des écrivains communistes soviétiques d’obédience marxiste-léniniste. Sur le plan idéologique, des recoupements avec la pensée de Cheikh Anta Diop, et dans une moindre mesure, de Léopold Sédar Senghor et Édouard Glissant, peuvent être constatés. Sur le plan strictement formel ou esthétique (pas sur celui du fond), des ressemblances criantes de nature dialogique avec l’Enfant noir de Camara Laye, Mémoires de porc-épic d’Alain Mabanckou ou Allah n’est pas obligé de Ahmadou Kourouma ne se sont pas à nier, mais ne pourront en aucun cas le définir ou le délimiter exclusivement.
Le roman retrace les aventures et mésaventures de Faramanko Kégnou, ou Faramanko le Beau, en langue malinké, dont le nom renvoie à l’un des tout premiers monarques africains, celui de l’empire Mandé : un des tout premiers et plus importants de l’histoire africaine, voire universelle. Le roman raconte ses péripéties du Horodougou, son pays natal, à la France, en passant par le Portugal. Il est promis à un bel et brillant avenir, selon les prédictions du devin Thiékoroba Dioncounda Mankhané. Tout va bien dans le meilleur des mondes, car, brillant élève, il est attributaire d’une importante bourse d’études qui lui permit de quitter son continent natal en proie à toutes sortes de maux –, tribalisme, clanisme, corruption, gabegie et clientélisme politique, copinages, courtisaneries aux relents moyenâgeux, dépravation des mœurs au sein des élites politiques et intellectuelles, pertes des valeurs, guerres fratricides, la montée des extrémismes violents religieux (ou autres) de tous gabarits –, pour l’immigration (au Portugal d’abord, puis en France principalement) où il se retrouva sans papiers ; les siens étant subtilisés par un larron, un pickpocket de la pire espèce, qui usurpa son identité. Commencèrent alors ses déboires. Il y découvre ainsi la triste réalité de l’émigration. Réalisera-t-il ses rêves ? Le devin Thiékoroba Dioncounda Mankhané se serait-il trompé dans ses prédictions, lui, l’oracle ne manquant jamais à ses promesses ? La prophétie se réalisera-t-elle ?
La lecture du roman nous permettra, sans ambages, d’apporter des éléments de réponse convaincants à tous ces questionnements soulevés.
Nous sommes décembre. C’est la fin de l’année. Mais pas la fin de l’histoire. C’en est également le début d’une autre, d’une nouvelle, dans le parcours existentiel des humains, des bestiaux, des solides, des liquides et des gazeux de toutes natures. Une année s’éclipse. Et une autre se profile à l’horizon ou, mieux, point et se fait jour. C’est le mois des résolutions et des prises de décisions importantes, ou presque. On fait le point de l’année tirant à sa fin, nous attardant sur les ratés et les succès de celle-ci. Ce qu’il faut faire. Mais surtout ce qu’il ne faut plus refaire.
D’aucuns font une croix sur la prise et la consommation d’alcool, sonnant le glas des irrévérences et des passions les plus insensées, éculées ou périlleuses. D’autres décident de faire un sevrage tabagique ou à la drogue systématique et de s’y tenir, contre vents et marées, et contre les pulsions dévastatrices de l’habitude, qui n’est rien d’autre qu’une seconde nature. Celui qui boit un verre aujourd’hui pourra en boire une bouteille demain. La limite est vite dépassée, c’est bien connu. Et prenons garde ! Car qui vole un œuf volera un bœuf. D’autres, encore, décident de rompre avec l’oisiveté et la sédentarité et de reprendre l’exercice et la pratique sportive régulière pour évincer le surplus pondéral ou, pour les idéalistes, se sculpter un corps de rêve, cage de santé et d’équilibre.
Un des mérites de la Covid, au cours de ces longs, pénibles, douloureux et derniers mois, c’est de nous avoir rappelés, à nous autres hommes et femmes du 21e siècle, de la quatrième révolution scientifique, où la science est presque érigée en religion, la fragilité humaine face à la maladie, la souffrance et les lois de la biologie.
Mais la pandémie à coronavirus nous a surtout instruits qu’avoir une bonne santé, une santé du diamant, soit certes plus important qu’amasser, puis thésauriser des millions au sortir d’un tirage à la loterie nationale ou à l’euro millions. Car, mine de rien, avoir un corps sculpté et athlétique, parfois bien galbé, ou des formes généreuses et plantureuses, pour les dames s’adonnant au fitness, semble très à la mode, sous nos tropiques, de nos jours, loin des stéréotypes, des stigmates et des clichés de divers ordres hérités des téléfilms yankees ou des séries télévisées brésiliennes et latino-américaines, très à la mode, et qui assaillent et prennent d’assaut nos ménages et nos petits écrans à des heures de grande audience télévisuelle où médusés, presque hypnotisés par les coins et recoins obscurs de la vie fictive de ces êtres de papier. Ou mieux de contrastes des jeux de sons et de lumières (que les frères lumières ont bien daigné doter l’humanité du plus tardif dix-neuvième siècle avec, pour le compte de l’une des découvertes scientifiques les plus ahurissantes, surprenantes et incroyables qui soient).
Ces personnages de télénovelas nous sont, souvent, plus chers et plus choyés, consciemment ou inconsciemment, que des visages d’ami(e)s d’enfance chers, mais ennuyeux, par lesquels, tous, bon gré, mal gré, donnons vie à nos rêves et fantasmes les plus fous, tel dans le royaume de la liberté, de l’insouciance, de l’innocence et du paradis perdu de l’enfance (que nous regrettons tous, tel un mythe inversé de l’éternel retour théorisé, expliqué et rendu célèbre par un penseur de la dimension de Mircea Eliade).
D’autres, enfin, pensent que le célibat est un chemin de croix, et décident, à l’orée de cette année nouvelle qui éclora à la lumière diffuse du jour, quelques matins après, c’est-à-dire, en janvier, d’y mettre un terme provisoire ou définitif, en mettant la bague à l’annulaire gauche d’une femme, importe peu que celle-ci soit une demoiselle ou une dame ayant déjà goûté aux délices ou aux affres de la vie conjugale. Et quand le muezzin ou le prêtre vient pour sceller l’union des deux, en voulant donner l’onction et la bénédiction à deux, les concède, très souvent, à trois. En témoigne le rond du bourrelet abdominal, que beaucoup de regards indiscrets, pas forcément experts, parviennent à identifier, à déceler et à détecter par-devers le haut de la jupe ou à travers la robe de la mariée. Loués soient-ils ! Mais ce qui est risible et drolatique dans l’histoire, c’est que ça a tout l’air d’une histoire cocasse, mais vraie, que m’a racontée, une nuit, ma grand-mère, de la lignée de ma chère maman, paix à son âme. Sani Kégniba, elle s’appelait.
« Du temps du Fama Mady Cissokho, un des amis du Père fondateur, Léopolos Annakis, on a voulu assainir la cité et nettoyer les mœurs. Parce que, cela peut vous paraître paradoxal, mais avoir une femme en mariage, à l’époque, n’était pas à la portée de tout le monde. Il fallait avoir des proximités familiales. Et, pour ceux qui n’avaient pas cette chance, en plus de l’aptitude physique, il fallait avoir la poche bien pleine, suffisamment garnie, pour payer des présents pour sa dulcinée et sa belle-famille. Mais, surtout, pour pouvoir payer la dote qui est une quasi-obligation non seulement du point de vue de la doxa religieuse, mais également au regard des us et coutumes. Raison pour laquelle nombre de jeunes gens, pour des raisons diverses et variées, se maintenaient dans le célibat et s’y plaisaient et s’y complaisaient. De surcroît, à l’époque, le Horodougou était également une terre d’immigration, du fait qu’il abritait la capitale de l’ancienne A.O.F (l’Afrique-Occidentale Française), qui n’était ni plus ni moins que Dakar. Mais également eu égard au fait qu’on y pratiquait la culture puis la traite de l’arachide, une plante oléagineuse et une culture de rente capable d’enrichir, de nourrir et de vêtir très vite quiconque s’y adonnerait. La légende dit souvent que rien ne se perd dans l’arachide. Les racines (les graines), la tige, les feuilles et le foin. Rien, absolument rien, ne s’y perd. Ce qui fit accroître considérablement la population des jeunes gens, masculine en particulier, ne trouvant pas chaussure à leurs pieds et qui n’avaient d’autres alternatives, si ce n’est contracté des amantes clandestines, s’adonner au concubinage ou pire à la débauche en se livrant à l’adultère ou en soudoyant, voire se payant les services et les faveurs de demoiselles et jeunes dames de joie, s’adonnant au plus vieux métier du monde, la prostitution, avec son corollaire de dépravations et d’écueils.
Qui plus est, on voulut enraciner les potentiels candidats au mariage, en faire des citoyens officiels, à part entière, en leur offrant la nationalité Horodougoise. En dépit de cette bonne décision des politiques, les passions et les pulsions libertines n’eurent guère de répit. Au contraire, elles connurent une recrudescence significative. Ce qui ne fut guère du goût de Fama Mady Cissokho. Pour ceux qui ne le savent pas, Fama en mandingue ou en Bambara, veut dire roi ou celui qui est investi d’une autorité politique et/ou religieuse régalienne. Il savait que pour évincer un royaume, un empire ou un État, aussi puissant soit-il, il n’est guère besoin de lui livrer une moindre guerre, une moindre campagne, une moindre bataille, pour un minime soit-elle. Il suffit de saper son éducation, de saborder ses mœurs –, fondements divins et profanes de toute nation – puis de les avilir. Laissant les effets corrosifs de l’inculture, de l’ignorance, de l’amoralité et de la dépravation des mœurs s’installer lentement puis étaler leur éventail d’effets venimeux et destructeurs. Il suffit, dès lors, d’attendre pour voir toute l’infrastructure sociale du royaume, de l’empire et de l’État en question mourir de sa belle mort, dégringoler, puis s’affaisser, lentement, d’elle-même, tel un château de cartes. Cette situation offusqua profondément le Fama, Mady Cissokho, et provoqua chez le bras droit du Père Fondateur, son ire et une colère noire. Très ancré dans les valeurs culturelles et sociétales traditionnelles de son terroir, tout comme de celles de tout le pays, le Fama Mady Cissokho, connu pour être d’un caractère bien trempé, d’une forte personnalité, presque impitoyable, décida, par conséquent, de sévir, prenant des décisions fortes et en posant des actes puissants (qui feront date dans l’alors jeune histoire du pays) ».
« Ça alors ! Ça va barder… Parbleu ! » s’esclaffa la jeune Binguini Bakhaba, une jeune adolescente de 16 ans, à la mise impeccable et aux hanches de gazelles, mais ayant toutefois de l’embonpoint et quelques rondeurs se trouvant là où il sied le mieux, lui conférant, curieusement, un charme envoûtant et irrésistible. Elle était si prometteuse de corps qu’on lui aurait attribué volontiers les 20 ans là où elle n’est qu’adolescente. Binguini est également collégienne à Tamba, la capitale régionale, située à quelques encablures, environ 9 à 10 kilomètres à l’ouest de mon village natal de Kouroukanfouga.
— Allons, patience, j’en viens ! Un peu de patience n’a jamais fait un quelconque tort à qui que ce soit. J’y viens, voyons !
Interjeta la vieille dame sage, non sans avoir mâché insidieusement, mais savamment un morceau de cola blanc – qu’elle extirpa de l’un des bouts attachés du pan supérieur du pagne ceignant et ajustant son torse au niveau de la ceinture. Elle le mâcha, le mâcha encore et le mâcha sans répit, sans même jamais se presser. Elle répéta l’opération, une, deux, puis trois fois. De bonnes minutes semblèrent s’être égrenées sur le long chapelet du temps que nous autres, humains, semblons incapables de contrôler malgré les progrès spectaculaires de la science et notre connaissance affinée de la matière et de ses propriétés.
La brave dame le mâcha une dernière fois et, d’un trait, ingurgita la bouchée, qui en réalité n’était pas aussi grosse que ça. Elle semblait, tout de même, en tirer un malin plaisir, semblable au plaisir oral d’un nourrisson tétant les seins de sa maman. Après l’avoir avalée, elle s’éclaircit et se gargarisa la voix stridente, mi-grave, mi-aiguë, absorba au minimum, trois, quatre, voire cinq gorgées d’eau. Satisfaite, presque apaisée, elle continua la narration de son histoire, la commençant là où elle l’avait laissée temporairement, laissant tout l’auditoire conquis.
« Mady Cissokho, un Fama, de la lignée des dignitaires mandingues, était devenu un fonctionnaire de la plus haute administration moderne et contemporaine du pays. Il décida de marier, bon gré, mal gré, tout célibataire endurci, invétéré ou pas, de quelque bord qu’il puisse se situer. Homme ou femme, noir, blanc, jaune, rouge, vert importaient peu toutes ces conditions. La seule qui valait vraiment, à ses yeux, était que l’impétrante ou l’impétrant fût majeur(e) et en bonne santé. Encore que… peut-on s’assurer à cent pour cent de l’état de santé bon ou défaillant d’un sujet, de surcroît à cette période correspondant au lendemain immédiat des indépendances africaines et où les populations se trouvèrent très peu alphabétisées et très peu au parfum de certaines merveilles que nous offrent la médecine moderne, de nos jours, telles que la vaccination et certaines analyses biologiques du sang ; et j’en passe. Les listes sont loin d’être exhaustives, tant s’en faut ».
— Comment procéda-t-il et quel stratagème ourdit-il pour appâter tout ce beau monde ? s’enquit Jolieden, une jeune fille de la bourgade, également élève, mais n’ayant pas froid aux yeux. Et dont les traditions et le côté conformiste – trop protocolaire à son goût de certaines coutumes au village rebutent. Elle est tout le contraire de Binguini Bakhaba – plus respectueuse de la tradition et des aînés. Jolieden a, souvent, la particularité de ne pas verser dans la langue de bois. Et de ne pas mettre des gants quand elle assène ses vérités, ne ménageant ni cadets ni aînés. Ce qui va à l’encontre des bonnes mœurs de la commune rurale et lui a valu souvent beaucoup d’inimitiés.
— On envoya des crieurs, des hérauts, dans les marchés, les places publiques, les rues et les ruelles, pour annoncer la bonne nouvelle ; arguant que, soucieuses du bien-être des populations, les autorités du pays à la tête desquelles le Fama, Mady Cissokho, organisent une grande fête en l’honneur de nos vaillantes populations, femmes et hommes, toutes et tous, des travailleuses et des travailleurs acharnés et dévoués qui suscitent le respect et forcent l’admiration. Que toutes et tous viennent parés de leurs plus beaux atours. Une kermesse, une tombola et un barbecue gigantesque et des mets gourmands seront étalés et mis à dispositions, pour le bonheur des palets. La fête aura lieu le samedi o4 avril dans la Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville, place de la Nation, à Fougaba. La présence de tous n’est pas seulement souhaitée, mais aussi obligatoire. Tout absent, donc tout contrevenant, sera passible d’une amende de 10 000 dalasis, et d’une peine de prison ferme assortie de travaux forcés, sept jours sur sept, de jour comme de nuit, pour une durée d’au moins égale à trente jours, en application de l’article 27, alinéa 04 du 06 avril 1961, modifié par décret présidentiel du Père fondateur, le Magnanime Léopolos Annakis, en date du 04 août de la courante année. À une époque où les populations du Horodougou commerçaient au moyen du troc ou des cauris. L’argent était l’apanage des seuls très nantis, d’une rarissime et minoritaire élite. On comprendra aisément que ces 10 000 dalasis d’amende étaient une fortune colossale, hors de portée, qu’aucun contrevenant à la loi, en ces lendemains immédiats de la colonisation, n’était à même d’honorer. Rares étaient même les sujets de ces États disposant, dans leurs tirelires, ou en dessous des paillassons de leurs lits (car souvent c’est là-bas qu’on cachait les très maigres ressources financières), d’une économie de 5 dalasis. L’argent étant presque inexistant. C’est dire donc que cette amende valait la peau des fesses, ou mieux, la prunelle des yeux, qui sont souvent les choses au monde auxquelles un humain tient le plus. Le Fama, Mady Cissokho, et le Sous-lieutenant C’est-Lé-Talons de la brillantissime brigade des mœurs et de la bastonnade de Forocari et ancien spahi de l’armée coloniale et tirailleur de son état, tous, en ce qui les concerne, individuellement ou collectivement, doivent veiller à l’application, à la lettre, du présent décret qui sera publié dans le journal officiel de la république du Horodougou. Fait à Guédiawaye, le commis d’État-Civil, Ngor Mack Mballo. »
— Quelques jours après, le moment tant attendu arriva. On mit tout le monde dans la même salle de fêtes et en éteignit les lumières. Ce qui s’ensuivit ne me plut guère. Faut-il que je le dise, que je lâche le morceau et passe à table, tel un morceau de viande qu’on jette aux chiens, ou la carcasse d’un coq ou d’un poulet rouge immolé que l’on jette en offrande aux ancêtres, dans une mare infestée de crocodiles, parmi les plus affamés et aux dents acérées qui soient ?