L'épouse Du Mackinnon - Tanya Anne Crosby - E-Book

L'épouse Du Mackinnon E-Book

Tanya Anne Crosby

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Beschreibung

Descendant des puissants fils de MacAlpin, Iain MacKinnon refuse de se soumettre à l’Angleterre. Pourtant, quand son jeune fils est fait prisonnier, le fier chef de clan écossais est prêt à tout pour retrouver son enfant. Rendant la pareille à son ennemi, il enlève sa fille, prévoyant de faire un pacte avec le diable.La fille de FitzSimon a passé toute sa vie dans l’ombre de celui qu’elle appelle « père », mais elle n’aurait jamais pu concevoir que ce dernier repousserait son unique fille. Même si Page en veut à son ravisseur d’avoir rompu l’entente passée avec son père, elle soupçonne la vérité… Les ombres abritent bien des secrets. À présent, seul l’amour de son réticent protecteur pourra sauver l’épouse du MacKinnon.

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L'épouse du MacKinnon

Tanya Anne Crosby

Traduction parAngélique Olivia Moreau

Table des matières

Mentions légales

Dédicace

Quelques critiques de L’épouse du MacKinnon

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Livres de Tanya Anne Crosby en français

À propos de l’auteur

Tous droits réservés.

Aucun extrait de cette publication ne saurait être utilisé, reproduit ou transmis de quelque manière que ce soit, électroniquement ou sous format papier, sans le consentement préalable par écrit d’Oliver-Heber Books et de Tanya Anne Crosby, excepté dans le cas de brèves citations illustrant des articles critiques ou des chroniques.

NOTE DE L’ÉDITEUR : Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont le produit de l’imagination de l’auteur et sont utilisés à des fins narratives. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé, des organismes commerciaux, des événements ou des lieux relèverait de la pure coïncidence.

“L'épouse du MacKinnon”

Écrit Par Tanya Anne Crosby

Copyright © 2016 Tanya Anne Crosby

Traduit de l’anglais par Angélique Olivia Moreau. Titre original : The MacKinnon’s Bride.

Publié par Oliver-Heber Books

Réalisé avec Vellum

Pour ma mère, la superbe Isabel, qui m’a transmis son amour des histoires

Quelques critiques de L’épouse du MacKinnon

Bestseller n˚1 dans la catégorie fiction historique

Bestseller n˚1 dans la catégorie roman d’amour historique

Nominé au titre du roman historique de l’année auprès de RT Book Reviews

4,5 étoiles. Prix K.I.S.S et Choix des lecteurs !

« Une fois encore, T.A. Crosby offre à ses lecteurs une vision passionnante du cœur humain. Vibrant d’humour et empli d’une incommensurable tristesse, L’épouse du MacKinnon restera dans votre cœur longtemps après que vous l'ayez refermé. »

RT Book Reviews

« Une intrigue palpitante au cœur de l’Écosse médiévale. »

The Atlanta Constitution

4,5 étoiles et un prix K.I.S.S.

« Tanya Anne Crosby est connue à juste titre pour ses romances historiques… C’est un roman de première classe écrit par un auteur majeur. »

RT Book Reviews

5 Étoiles !

Chroniques littéraires de Heartland

« Les personnages de Crosby passionnent les lecteurs… »

Publishers Weekly

« Tanya Anne Crosby veut nous faire passer un bon moment et elle y réussit avec un brin d’humour, une intrigue relevée et la dose parfaite de romantisme. »

The Oakland Press

« Une histoire d’amour emplie de charme, de passion et d’intrigue… »

Affaire de Coeur

« T.A. Crosby sait user de la dose parfaite d’humour… C’est fantastique, aguichant ! »

Rendezvous

« Tanya Anne Crosby nous livre une histoire qui touche l’âme et vivra pour toujours dans votre cœur. »

Sherrilyn Kenyon, auteur à succès, n˚1 au classement du New York Times

« Cela fait plus de vingt ans qu’elle est pour moi la reine du roman historique et elle me laisse toujours impatiente d’en lire davantage ! »

Barb Massabrook, fidèle lectrice depuis 1992

« Vous ressentirez parfois des pincements au cœur… et parfois vous éclaterez de rire. »

Leah Weller, fidèle lectrice depuis 1993

Prologue

Chreagach Mhor, Écosse, 1118

Iain, laird des MacKinnon, descendant des puissants fils de MacAlpin, faisait les cent pas dans la grande salle, en dessous de la chambre, comme un jeune homme impatient.

Cette naissance cristallisait tant d’espoirs.

À présent, enfin, trente ans de conflit avec les MacLean allaient prendre fin. Oui, car le vieux MacLean pourrait-il vraiment poser les yeux sur son petit-fils sans désirer faire la paix ? Après une année d’hostilité de la part de sa jeune épouse MacLean – une année passée à essayer de lui faire plaisir, pour ne recevoir en retour qu’une froide désapprobation et des accusations muettes – même Iain se prenait à espérer, car, comment pourrait-elle regarder leur nouveau-né, cette vie qu’ils avaient créée ensemble, sans ressentir, toute ténue qu’elle soit, une certaine affection ?

Malgré les hostilités passées entre leurs clans, son propre ressentiment se dissipait à l’approche de cet événement bouleversant, et même s’il ne pouvait pas affirmer l’avoir aimée avant ce moment, il se dit que c’était peut-être le cas, à présent qu’elle était étendue, au-dessus de sa tête, se battant – et quelle bataille féroce c’était – pour offrir à leur bébé cette merveilleuse première goulée d’air.

Elle accouchait de son enfant.

Ach, comme il était fier d’elle.

L’accouchement était délicat, et elle avait supporté la douleur presque sans un cri, presque sans une plainte, bien qu’il ne les lui aurait pas reprochés. En vérité, des hurlements auraient presque été plus faciles à supporter. Son silence le tourmentait. Ses nerfs se tendaient malgré lui quand il pensait à sa jeune épouse dans les affres de l’enfantement, car c’était ainsi qu’avait péri sa propre mère. Cette culpabilité l’assaillait encore.

Iain allongea le pas.

Et si cette naissance allait la tuer ?

Et s’il l’avait tuée ?

C’était une peur qu’il avait portée en lui dès la première fois où il avait posé ses mains sur elle, durant les plaisirs de la chair, et elle ne s’apaiserait que lorsqu’il poserait à nouveau les yeux sur son visage. Devant Dieu, il aurait, à l’instant présent, presque accueilli ses regards maussades. Il les supporterait jusqu’à sa mort, si seulement elle survivait à cette éprouvante naissance ! D’ailleurs, il jura que si son contact lui était tellement insupportable, il ne la toucherait plus. Il lui octroierait tout ce que désirait son cœur – absolument tout – et, si elle n’avait pas envie de lui, alors il en serait ainsi.

Si elle mourait… Où, alors, trouver la paix ?

Damné soit MacLean, car tant qu’il vivrait –

Le glorieux son du hurlement d’un nouveau-né résonna dans les pièces du dessus, une sirène éclatante qui coupa l’élan d’Iain.

Soudain, il ne put plus bouger, ne put rien faire d’autre que de fixer les marches de pierre qui menaient à sa chambre, la joie et la peur le clouant sur place.

Une éternité passa avant qu’il n’entende la lourde porte s’ouvrir, puis des pas précipités.

Maggie, la servante de sa femme, apparut dans l’escalier.

— Un fils, Laird ! s’exclama-t-elle joyeusement. Vous avez un fils !

Ces mots magiques tirèrent Iain de sa stupeur. En glapissant de bonheur, il gravit les marches deux par deux, dans l’impatience de poser les yeux sur sa femme et – moment mémorable – sur son fils nouveau-né.

— Un fils ! s’émerveilla-t-il, croisant Maggie qui se dépêchait de descendre pour aller répandre la bonne nouvelle. Elle hocha la tête, et une vague de joie déferla sur lui. Il aurait voulu lui donner un baiser passionné – eh oui ! Même à Maggie, tiens !

Même la sage-femme, à la porte, qui lui bloquait le passage, n’aurait pu faire retomber son enthousiasme. Celle qui, il y avait si longtemps, avait aidé à le mettre au monde, tendit les bras en avant pour l’empêcher de pénétrer dans sa chambre.

— Elle ne veut pas te voir, Iain. 

L’expression de pitié qu’il lut sur son visage lui donna des frissons.

— Pas tout de suite. Elle ne le désire pas.

Il se prépara à entendre le pire.

— Est-elle… ? 

— L’enfant a tellement tardé à venir. 

Elle baissa les yeux, détournant le regard.

L’enfant s’était arrêté de pleurer.

— Qu’est-ce qui se passe, Glenna ? 

La terreur le saisit. Il ne put se retenir de la saisir par les épaules et lutta contre l’impulsion de l’écarter, afin qu’il puisse voir par lui-même.

— Et le bébé ?

Elle lui jeta un regard de sympathie.

— Tu ne l’as pas entendu, mon garçon ? Ton fils est un beau bébé ! Écoute un peu, l’enjoignit-elle.

C’est ce qu’il fit, et il entendit les petits roucoulements tremblants de l’enfant.

Son regard était attiré par l’intérieur de la chambre obscurcie.

La sage-femme devait avoir perçu sa tension, son indécision, son exaltation, sa confusion, car elle campa sur ses positions quand il tenta de l’écarter gentiment.

— Iain… Non, le pria-t-elle. Tu ne voudrais pas la voir dans cet état… Donne-lui un peu de temps. 

Iain la lâcha et fit quelques pas en arrière, anesthésié par le désespoir.

— Me déteste-t-elle toujours ?

— L’enfantement a été long et difficile, expliqua Glenna. Cela passera. Allez, maintenant ; attends en bas. Je viendrai te chercher dès que possible… Tu as ma parole.

— Octroie-lui cette faveur, Iain MacKinnon, car elle ne semble pas être elle-même à cet instant, ajouta-t-elle avec plus de fermeté devant son hésitation.

Iain était tiraillé entre l’envie de faire plaisir à sa femme, même s’il était peiné qu’elle ne souhaite pas le voir, et le besoin de prendre son fils dans ses bras. Ce désir était presque tangible.

— Elle ne souhaite réellement pas – sa voix se brisa – me voir ? 

La sage-femme secoua la tête.

— Je… J’avais espéré que… marmonna-t-il.

— Ach, mais on ne peut pas lui demander de changer d’avis aussi vite, Iain ! Donne-lui du temps ! Donne-lui du temps !

— Très bien – il serra la mâchoire. Mais je n’attendrai pas longtemps, lui assura-t-il. J’ai bien l’intention de voir mon fils, Glenna ! Elle ne peut pas m’interdire indéfiniment de le voir !

— C’est tout ce qu’elle te demande, mon garçon, dit la sage-femme, en plissant les yeux en signe de compréhension.

Iain était incapable de parler, ni pour acquiescer, ni pour refuser.

Il fit demi-tour et redescendit les escaliers, maudissant l’acte de fierté qui avait attisé cette maudite querelle, il y avait tant d’années, entre son père et celui de sa femme. Il ne connaissait même pas, pas plus que personne d’autre, le crime atroce qui avait engendré une telle animosité. Peut-être était-ce simplement que le chien de son père avait un jour pissé sur la botte du vieux MacLean. Vieux fous entêtés !

Il n’eut pas longtemps à attendre, à son grand soulagement. Glenna l’avait à peine appelé qu’il se trouvait déjà à la porte, choqué de voir sa femme debout, au milieu de la chambre, le bébé dans les bras, le visage décomposé et la chevelure en bataille. Il trouva qu’elle tremblait un peu sur ses jambes, mais elle s’avança vers lui, une expression indéchiffrable sur le visage, pour lui mettre le nouveau-né dans les bras. Ce geste le toucha tant que le reproche qu’il s’apprêtait à lui faire de n’être pas restée alitée mourut sur ses lèvres quand il serra son enfant contre lui.

Il regarda avec enchantement le petit visage tout ridé de son fils.

Tout espoir n’était peut-être pas perdu, après tout ?

— Ce sera tout, Glenna, dit Mairi.

Iain entendit à peine l’ordre sec de son épouse et la porte qui se refermait sur Glenna, tant l’incroyable cadeau que venait de lui faire sa femme le bouleversait.

Sa gorge se serra tandis qu’il examinait son fils… si petit… si incroyablement beau… Il se mit à compter les orteils, puis les doigts, n’osant pas toucher son nez minuscule, sa bouche… sa peau tellement douce.

— Un fils ! murmura-t-il, émerveillé, et il jeta un bref regard à sa femme qui se tenait près de la fenêtre.

— Mairi, éloigne-toi de là, lui dit-il doucement, la voix pleine d’émotion, avant que tu n’attrapes la mort.

Son cœur battit joyeusement quand il retourna à l’inspection de son bébé.

— J’avais envie de te montrer quelque chose, Iain. 

Sa voix était lasse, impassible. Il leva les yeux et la vit regarder par la fenêtre, la brise soufflant doucement à travers sa chevelure en désordre. Une jolie lumière l’entourait, pensa-t-il… elle, la mère de son enfant.

— Tu devrais te reposer, lui conseilla-t-il. Tu me montreras plus tard, Mairi. Retourne te coucher.

À cet instant-là, elle tourna la tête vers lui, et son expression contenait quelque chose d’indiscernable.

Les poils de sa nuque se hérissèrent.

Elle pencha la tête et fit un léger sourire.

— Je voulais que tu voies que porter ton enfant ne m’a pas tuée, après tout. Je suis toujours là, tu vois ! 

Elle tituba comme un ivrogne, et la culpabilité tordit les entrailles d’Iain.

— Cela m’a pris deux jours, mais je suis là ! ricana-t-elle doucement, prise par l’émotion.

— Merci, mon Dieu ! dit-il, et il le pensait sincèrement. Il baissa la tête vers leur fils, incapable de supporter son regard accusateur un instant de plus. Le dégoût de lui-même lui parcourait le corps.

— Merci, murmura-t-il, ne sachant pas ce qu’il était censé dire. Je te revaudrai cela, Mairi. Je te le promets !

— Je ne désire qu’une seule chose de ta part, cracha-t-elle.

— Tout ce que tu voudras.

Il dut se forcer à prononcer ces mots, mais il jura qu’il lui donnerait ce qu’elle semblait tant désirer. N’importe quoi. Elle n’avait qu’à demander.

— Je voulais simplement que tu me voies de tes propres yeux… rien que de penser à t’en donner un autre – à supporter ton étreinte !

Elle frémit et s’écarta abruptement de lui, se penchant par la fenêtre de la tour. 

— Mon Dieu ! sanglota-t-elle. Je ne le referai jamais ! Jamais !

Les bras d’Iain étaient engourdis par le poids de leur enfant. Il fut pris d’un pressentiment. Elle se pencha plus en avant, et un frémissement le secoua.

— Mairi, écarte-toi de là, tout de suite !

— Je veux que tu le saches ! 

Il sentit perler une sueur froide.

— Tout de suite ! aboya-t-il. Écarte-toi de là, Mairi ! Glenna ! cria-t-il en s’approchant de sa femme, portant toujours le nouveau-né dans ses bras, ne sachant s’il devait reposer l’enfant.

— C’est la pensée que tu puisses poser à nouveau les mains sur moi qui est responsable ! Tu m’as tuée, Iain ! 

— Mairi, non !

Elle s’était jetée par la fenêtre avant qu’il n’ait pu la rattraper.

Iain tomba à genoux, serrant très fort leur bébé contre son cœur battant.

L’enfant.

Son fils.

Il aurait pu la rattraper s’il ne l’avait pas eu dans les bras.

Surpris par son hurlement, le bébé se mit à hurler et Iain ne put que regarder, hébété, la fenêtre ouverte où, il y avait un instant encore, sa femme s’était tenue.

Chapitre 1

Northumbrie, 1124

Quelqu’un l’observait ; elle le sentait.

Page s’immobilisa tandis qu’elle remettait sa chainse.

Une branche craqua, étouffée par les fougères qui recouvraient la terre de la forêt, et elle tira d’un coup sec sur le revers, ses yeux fouillant les ombres mouvantes des bois tout proches.

Elle n’aperçut rien dans la noirceur de minuit, et le silence qui seul lui parvint s’installa comme le brouillard nocturne, informe et surnaturel. Elle commença à claquer des dents et resta immobile pendant un bon moment, glacée et méfiante, mais elle n’entendit rien d’autre que les sons familiers de la nuit : le coassement des grenouilles, le chant des criquets et le hurlement distant d’un loup.

Un frisson lui descendit le long du dos, car elle aurait pu jurer qu’elle avait entendu quelque chose.

Il conviendrait mieux, décida-t-elle, de regagner la sécurité qu’offrait le donjon, et peut-être de remettre en question la prudence d’une promenade solitaire en pleine nuit. Avoir pu s’échapper sans rencontrer de problèmes pendant ces derniers mois lui avait fait baisser la garde.

Comme elle l’avait fait une centaine fois, Page était sortie pour aller nager, sans se donner la peine d’informer quiconque de sa destination – non pas qu’on s’en serait préoccupé, se rassura-t-elle rapidement. Dieu lui en soit témoin, le seul avantage d’être la fille d’un homme qui n’aurait souhaité avoir que des fils était qu’elle avait la liberté de faire ce qui lui plaisait. Cependant, cela signifiait aussi que personne ne se préoccupait de l’endroit où elle se trouvait, de ce qu’elle faisait, ou de ce qui pouvait lui arriver. Et elle ne pensait pas que ce soir aurait pu s’avérer différent.

D’un autre côté, elle s’en préoccupait, elle ! Et même beaucoup, et elle n’avait certainement pas l’intention de devenir la proie de quelqu’un… ou de quelque chose !

Elle s’assit à toute hâte sur la pierre près de laquelle elle avait laissé ses vêtements, et elle tendit la main pour ramasser ses chausses posées sur le sol humide. Elle en passa une rapidement, marmonnant des jurons quand son pied mouillé ralentit son geste, et puis elle changea d’avis et décida de ne pas gaspiller plus de temps à s’habiller.

Le brouillard rampait autour de ses pieds, ses doigts nébuleux lui entourant les chevilles, assez pour l’inquiéter. Elle ne se considérait pas comme une personne fantasque, mais, à cet instant, elle aurait très bien pu être une timide souris d’église tant son cœur battait fort. Jetant un œil au copeau de lune qui flottait dans le ciel, elle se dressa d’un bond, se dépêchant de ramasser le reste de ses vêtements.

Ses yeux cherchèrent l’éclat métallique de sa dague sous sa robe, et le duvet de sa nuque se hérissa quand elle ne parvint pas à la trouver.

Pour l’amour du Christ, où avait-elle bien pu la mettre ?

À quoi lui serviraient des vêtements quand elle serait morte ? Jetant ceux qu’elle tenait, roulés en boule, elle prit sa deuxième chausse pour chercher à l’intérieur, se disant qu’elle y avait peut-être placé la dague, mais elle n’y était pas et elle étouffa un juron, craignant que Dieu ne la bannisse au purgatoire pour toute l’éternité à cause de son irrévérence. Mais, qu’on la damne donc, elle ne pouvait se retenir.

Où pouvait-elle bien être ?

Une autre branche craqua, plus près, cette fois, et Page décida qu’elle n’avait pas besoin de sa dague, après tout. À l’instant où elle se décida, elle entendit une clameur affreuse. Un instant après, elles apparurent – trois silhouettes à peine visibles qui se précipitaient hors de la forêt.

Elle ne s’attarda pas pour découvrir leurs intentions.

Poussant un cri de terreur, Page se mit à courir, jetant sa chausse derrière elle. Un juron lui répondit, mais elle ne se retourna pas pour évaluer les dégâts qu’elle avait faits, car, elle le savait, ils ne pouvaient être que minimes : la semelle était molle et usée par l’âge. Quel dommage ! Elle aurait espéré avoir pu crever un œil avec !

Jetant des injures qu’elle n’aurait jamais avoué connaître, elle courut de toutes ses forces vers le château, appelant à l’aide, espérant qu’Edwin, le gardien, ne soit pas si saoul qu’il prenne ses appels à l’aide pour une simple création de ses rêves saugrenus. Pauvre imbécile ! S’il avait été à son poste, d’abord, elle ne se serait pas retrouvée dans une telle situation – elle n’aurait pas été en mesure de sortir du château si facilement. Et pourtant, elle savait que ce n’était pas de la faute du gardien, mais de la sienne. Elle aurait dû s’y attendre – maudite soit sa malchance !

Son cœur battait plus vite à chaque enjambée.

Comme un glas, le son de leurs pas se faisait plus rapide.

Plus proche.

Elle accéléra le pas, se précipitant en avant avec toute l’énergie de la terreur. Ignorant la douleur qui lui saisissait le flanc, Page prit garde à longer le ruisseau pour éviter d’entrer en collision avec le chêne immense qui gardait l’entrée du château. Que Dieu lui pardonne, mais elle espérait qu’ils ne le voient pas et qu’ils s’y brisent le cou pour ce qu’ils essayaient de faire !

Sa poitrine se soulevait. La douleur dans son flanc devint plus vive tandis qu’elle dépassa le vieux chêne en courant. Ils restaient pourtant sur ses talons, leurs pas rattrapant ses courtes enjambées sans grand effort.

Elle n’allait pas y arriver ! Elle n’allait vraiment pas y arriver !

Page aurait voulu pleurer de peur et de désespoir.

Devant elle, le château d’Aldergh se dressait, sa silhouette lointaine se détachant sur le ciel d’ébène.

Distant et inaccessible.

Comme son père.

Son cœur battait la chamade.

Elle n’allait pas y arriver !

Mais elle courait toujours, manquant de tomber tête la première dans l’eau quand le chemin prit un tournant trop abrupt devant elle.

Leurs voix la pourchassaient, indiscernables et étranges, comme des chauves-souris dans l’obscurité d’une caverne, volant vers elle de tous les côtés.

Jésus, où étaient-ils à présent ?

Devant elle ? Derrière ? Où donc ?

Elle n’allait pas s’en sortir !

Le ruisseau serpentait devant elle, couvert par une couche de brouillard. Elle ressentit une lueur d’espoir. Et s’ils ne savaient pas nager ? Elle ne connaissait pas grand monde qui en était capable ! Elle aurait peut-être pu leur échapper sous la brume !

Une main se tendit et frôla sa jambe, manquant de saisir son jupon ; s’ensuivit une profusion de jurons indiscernables quand son poursuivant comprit qu’il l’avait ratée. Mais le choc de ce toucher précipita la décision de Page. Elle ne pouvait pas se permettre de prendre le temps de réfléchir aux conséquences. Les bras battants, elle se jeta dans le ruisseau. Ses jambes suivirent comme un poids mort. Elle fit un plat sur le ventre, l’eau glacée la frappant en plein visage. L’impact se propagea à travers elle, engourdissant ses sens, mais Page retrouva vite l’usage de ses facultés. Ignorant la morsure du froid, elle nagea de toutes ses forces vers la rive opposée, tout en écoutant les bruits que faisaient ses poursuivants derrière elle. Quel soulagement quand elle n’entendit rien !

Merci, mon Dieu ! Je vous remercie ! pria-t-elle.

Même après qu’elle eut atteint la rive, il n’y avait toujours aucune trace de ses poursuivants, seulement des cris et des jurons qu’elle ne pouvait discerner, et qui provenaient d’un endroit situé sur le rivage opposé. Mais elle n’osa pas se dire qu’elle avait gagné. S’ils connaissaient vaguement la disposition du terrain, ils sauraient qu’à quelques centaines de mètres de là, ils arriveraient à la fin du ruisseau et qu’ils se retrouveraient à nouveau sur la route du château. Page n’avait aucune intention de courir ce risque. Sortant de l’eau, trempée jusqu’à l’os, elle se dirigea au contraire vers le sanctuaire de la forêt. Ils s’attendaient à ce qu’elle regagne le château, comme son instinct lui criait de faire. La logique lui dictait cependant qu’elle ferait mieux d’agir de façon inattendue.

Si elle parvenait à atteindre le couvert du bois, pour, peut-être, grimper dans un arbre, elle n’aurait qu’à attendre qu’ils se lassent de leur poursuite, puis elle pourrait rentrer chez elle. Ce n’était probablement que des brigands, et elle était leur malchanceuse proie. Elle était certaine que s’ils avaient le choix de passer la nuit à chercher des noises à une femme inconnue, ou à traquer des victimes plus rentables, ils finiraient par se lasser et la laisseraient tranquille.

Recouvrant son courage, elle se mit à courir, essoufflée, le cœur battant. Son jupon mouillé lui collait aux jambes. Elle essayait de ne pas tomber quand elle regardait derrière elle pour s’assurer qu’ils ne la suivaient pas, et une fois encore, elle sentit une poussée de soulagement quand elle ne vit pas le moindre signe de ses agresseurs.

Une vague d’euphorie la submergea.

Elle allait s’en sortir, après tout !

Ce fut, malheureusement, sa dernière pensée cohérente, avant qu’elle ne se retourne et entre en collision avec un arbre.

Du moins, Page crut que c’était un arbre.

L’impact la projeta sur le dos et la laissa chancelante. Elle ne put que rester figée, stupéfaite, à regarder cet homme à la carrure d’un Goliath.

Doux Jésus, qu’est-ce qu’il était grand !

En une seconde, elle fut entourée par le reste de la bande. Dans son engourdissement, leurs visages flous semblaient la reluquer et leurs dents désincarnées brillaient au clair de lune.

— Ach, allons bon, on lui a fait perdre la raison ! entendit-elle l’un d’eux proclamer.

— Eh bien, elle reprendra ses esprits, assura un autre.

Des Écossais.

Des bougres d’Écossais.

Elle reconnaissait leur parler, mais ce fut sa dernière pensée avant que l’obscurité ne l’engloutisse.

Chapitre 2

L’odeur du blé l’entourait… Des champs dorés en floraison… Page courait parmi eux… courait… courait…

Pendant quelques instants d’incertitude, elle crut qu’elle était morte et qu’elle avait franchi les portes sacrées du Paradis.

L’avaient-ils déjà tuée ?

Non… Elle ne le pensait pas.

Un grognement parvint à ses oreilles et elle se dit qu’il aurait très bien pu s’échapper d’elle. Son corps était… écrasé… cassé, détaché, en quelque sorte.

Au moins elle était capable de sentir !

Cours, s’ordonna-t-elle à elle-même – cours !

D’un coup, elle retrouva le plein contrôle de son corps… pour découvrir qu’ils la trimbalaient entre eux dans un sac de nourriture – un sac de nourriture, pour l’amour de Dieu ! De petits grains de blé lui collaient au visage.

Elle se demanda presque convulsivement s’ils allaient la tuer tout de suite, après l’avoir enveloppée, comme un chat importun que l’on noie dans une rivière !

Au moins, le sac n’est pas rempli de pierres, raisonna-t-elle.

Mais il lui semblait qu’ils s’éloignaient du rivage… entraient dans la forêt… Elle sentait l’obscurité se refermer sur eux et elle lutta en vain, poussant des cris jusqu’à ce que sa gorge lui fasse mal. Que Dieu les maudisse ! Ses ravisseurs restaient insensibles à ses protestations.

Un rire incontrôlable bouillonna du plus profond d’elle.

La prophétie de son père allait s’avérer vraie. Jésus ! Il avait toujours dit qu’elle serait un jour l’instrument de sa propre ruine. Et ce jour était arrivé.

Elle n’aurait jamais dû aller se baigner seule, en pleine nuit. Elle aurait dû emmener Cora avec elle – et à présent, elle allait mourir pour son imprudence.

Comme elle avait été stupide !

— Libérez-moi ! cria-t-elle, s’attaquant au sac avec une détermination redoublée. Libérez-moi sur-le-champ ! 

Le cœur battant, Page se contorsionna et se débattit comme une sauvage, les frappant du pied et leur lançant des ruades à travers le sac.

— Libérez-moi tout de suite, sales vermines païennes – laissez-moi partir !

Ils éclatèrent de rire, mais se gardèrent bien d’obéir !

Eh bien ! Elle n’allait pas leur faciliter la tâche ! Continuant de gesticuler et de se retourner dans tous les sens, elle jura que, lorsqu’ils finiraient par la laisser sortir, elle leur arracherait les yeux !

Si seulement elle avait sa dague !

Mais elle était restée sur la rive avec… Mère de Dieu !

Elle cessa soudainement de se débattre quand il lui vint à l’esprit qu’elle était à moitié nue, par-dessus le marché ! Elle sentit une panique extrême monter en elle. Ils n’auraient pas trouvé plus facile de la posséder puis de l’assassiner que si elle leur avait envoyé un carton d’invitation !

Et elle ne manquerait à personne.

Son estomac se serra.

Oui, elle aurait de la chance si son père s’apercevait de sa disparition au bout d’une semaine. L’attention qu’il prêtait à ses invités écossais était largement supérieure à celle qu’il aurait jamais pensé lui accorder. Eh bien, se désespéra-t-elle, peut-être s’en rendra-t-il compte plus tôt, puisqu’elle semblait avoir le don malvenu de s’attirer sa défaveur – tout comme elle avait un certain talent pour se retrouver dans des situations impossibles ! Elle avait la poisse, c’était évident ! Il ne se rendrait pas compte de sa mésaventure.

Poussée par une nouvelle vague de désespoir, Page recommença à se débattre, ce qui lui valut de recevoir un coup de genou.

Que le diable prenne leurs sales carcasses de païens !

Même s’ils devaient meurtrir son corps jusqu’à ce qu’elle ne soit plus que plaies ouvertes, elle n’allait certainement pas rester allongée là tranquillement pendant qu’ils la violaient et l’assassinaient !

Le son de voix nouvelles coupa net ses débattements.

Soudain, sans avertissement, on renversa le sac et on la fit tomber sur le sol sans plus de cérémonie.

Page poussa un cri de protestation.

Chancelante, elle se dressa d’un bond, avant qu’un vertige ne la fasse retomber sur le derrière, ahurie, les yeux braqués sur la paire de jambes les plus nues qu’elle avait jamais eu l’occasion de voir.

Des jambes d’homme musclées.

C’était bien sa veine.

Un autre géant.

Elle leva les yeux et rencontra les siens, qui brillaient d’amusement à ses dépens ; des yeux trahissant l’arrogance et un dédain glacial. Doux Jésus, elle avait vu ce regard assez souvent pour pouvoir le reconnaître entre mille ! Comme tout le monde, il avait daigné jeter un œil sur elle et en avait été déçu.

Très bien ! Elle n’avait que faire de ce que ce sale Écossais pensait d’elle ! Tout particulièrement parce qu’il allait probablement planifier sa mort, à présent qu’il avait renoncé à l’idée du viol.

Elle ne ressemblait pas vraiment à la fille d’un comte, plutôt à une miséreuse détrempée, pensa Iain – à part pour les yeux. Nichée au plus profond d’eux, il y devinait toute la superbe de sa descendance.

Imprudente jeune femme.

Comme un lièvre acculé et effrayé, elle paraissait prête à se jeter sur lui. Et pourtant, pendant une brève seconde, quand elle avait posé les yeux sur lui pour la première fois, un éclair de douleur avait assombri ce regard sombre et mélancolique. Un reflet du clair de lune, sans doute, car cette expression disparut aussi vite qu’elle était apparue, remplacée par l’air furieux et plein d’un mépris évident qu’elle portait à présent sur le visage.

Ça, et pas grand-chose d’autre sur le corps, ne put-il s’empêcher de remarquer.

Un frisson soudain lui parcourut l’échine, parce que son appréciation hardie de ses jambes ne lui avait pas échappé. Si elle s’était par chance trouvée plus près de lui et avait pu regarder sous sa tunique, elle aurait eu l’occasion inespérée de se rincer l’œil. Malgré son apparence débraillée, il dut avouer que sa présence l’excitait profondément. Jésus-Christ, quel corps ! Même masquées par la brume et l’obscurité, ses courbes gracieuses étaient plus qu’apparentes. À travers les ombres soyeuses, ses seins parfaits se dressaient pour mieux le tenter, leurs aréoles sombres parfaitement visibles, titillées par l’air froid de la nuit.

Il fronça les sourcils en observant sa quasi-nudité. Vêtue de guère plus qu’une chainse détrempée, elle semblait n’avoir nulle conscience, dans sa colère, de la vision qu’elle offrait à ses hommes.

Secouant la tête devant tant d’impudence, il fit l’effort de dissiper les images qui se présentaient à lui : de longues jambes fuselées lui agrippant la taille… des seins lourds et potelés qui se tendaient sous le coup de la passion, appelant ses lèvres… Il savait qu’ils auraient le goût d’une manne tombée du ciel.

Par les reliques de tous les saints, il n’était qu’un homme, après tout !

Quelle sorte de père aurait permis à sa fille d’errer à sa guise ? Et une fois la nuit tombée, qui plus est ?

— Elle était là où on nous avait dit qu’elle serait, lui révéla son cousin.

— C’était donc vrai. 

La voix d’Iain était rauque d’un désir qu’il ne parvenait pas entièrement à repousser.

Non, il n’avait pas envie d’elle, se dit-il, se secouant de sa rêverie. Désirer cette impertinente demoiselle ne lui amènerait rien de bon.

Il croisa les bras et lui lança un regard noir.

— Vous avez l’habitude de vous baigner devant Dieu et aux yeux des hommes ? 

Il n’était pas certain de savoir pourquoi il lui avait posé cette question ; il était persuadé qu’elle le faisait. C’était ainsi qu’ils avaient réussi à la trouver, après tout ; et pourtant, cette idée le contrariait, sans qu’il comprenne pourquoi.

Elle leva le menton, refusant de répondre, ses yeux sombres brillant d’une colère non dissimulée, et Iain essaya de ne pas rire de son courage. Elle, qui n’était qu’une faible femme, lui tenait tête devant ses hommes, alors que même ses ennemis n’osaient le regarder en face.

Ils étaient tous des idiots, car il avait bien l’intention de découvrir le nom de ce Judas qui avait osé troquer son fils à ses satanés Anglais. Il comptait arracher la langue de ce serpent et la lui fourrer là où le soleil ne brillait pas !

Ce sombre rappel de son affaire avec la fille de FitzSimon le fit basculer une fois de plus de la bonne humeur à la rage. Sa mâchoire se crispa et il lui demanda d’un ton tranchant :

— Vous n’avez pas de langue, femme ? 

Comme le phénix légendaire renaissant de ses cendres, elle se dressa pour lui faire face, serrant les poings contre ses flancs.

— N’avez-vous aucune éducation ? lui répondit-elle d’un ton cinglant. Écossais ! 

Elle lui hurla cette épithète avec un haussement de sourcils impérieux et, malgré sa colère, Iain dut se retenir d’éclater de rire devant cette insolence inattendue.

— En quoi est-ce que l’endroit où je me baigne vous concerne-t-il ?

Iain ne put croire à son effronterie, à sa témérité. S’il était un tout autre homme… Christ ! Ne saisissait-elle pas sa folie ? Son regard la parcourut, commençant par sa tresse mouillée, pour descendre vers ses longs membres gracieux, que révélaient entièrement sa chainse trempée, et finit sur ses orteils nus, avant de revenir à son visage, prenant garde d’éviter sa poitrine délicieusement tentante ; puis il ajouta :

— Vous avez la langue bien pendue, jeune fille. Devrais-je vous rappeler… 

— Oui, et vous n’aurez plus de langue du tout quand mon père l’apprendra ! lui retourna-t-elle carrément.

Repoussant l’envie de reculer de quelques pas prudents, Page se campa sur ses positions et se redressa de toute sa taille. Pendant un instant, sa réponse sembla l’avoir amusé, puis il leva un sourcil.

La défiait-il ?

— Vraiment ? demanda-t-il, et son sourire se glaça.

Page frissonna à la façon intrépide dont il considérait son corps, une nouvelle fois. Aucun homme n’avait jamais osé la regarder ainsi, avec un tel désir non dissimulé. Cela lui causa un sentiment d’alarme qui lui traversa le corps ainsi qu’à sa plus grande inquiétude, un brin d’excitation.

Un autre tremblement la saisit.

Peut-être avait-elle perdu l’esprit quand elle était entrée en collision avec le monolithe qui lui servait de complice ?

Elle jeta un regard aux autres et les découvrit tous occupés à les observer, la bouche ouverte. Page espéra que leur bêtise n’était pas contagieuse. Quelle bande d’imbéciles ! Tous autant qu’ils étaient !

— Vous cherchez à attraper des lucioles ? demanda-t-elle.

Ils avaient tous l’air ridicule ; ils froncèrent les sourcils à l’unisson, se lancèrent des regards surpris, puis chacun ferma la bouche.

— Par les reliques de tous les saints, bonne femme ! Pas étonnant que votre père vous laisse vous promener au beau milieu de la nuit, dit leur chef. C’est comme s’il espérait que vous perdiez votre chemin. 

Le cœur de Page se serra à cette remarque blessante. Elle la brûla comme l’aurait fait une gifle en plein visage. Elle ravala sa fierté et cligna des yeux pour sécher ses larmes de colère, bien déterminée à ne pas afficher ses émotions devant ces barbares sans cœur. Il n’avait aucun moyen de savoir à quel point il avait visé juste, ni combien la vérité la blessait.

Et il ne s’en serait même pas préoccupé, elle en était certaine.

Ses yeux brûlaient.

— Mon père vous fera décapiter pour m’avoir insultée ! jura-t-elle et elle ne put s’empêcher de remarquer son regard qui parcourait son corps une fois de plus – cette fois plus lentement et avec un rictus qui la mettait en rage autant qu’il la désolait.

La rendait perplexe.

Un autre frisson lui descendit le long du dos.

Diable, cet homme avait une bouche trop délicieuse pour que ce soit permis ! Elle cligna des paupières.

Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? Comment pouvait-elle rester à contempler sa bouche, alors que sa vie était en jeu ? Ou tout du moins son honneur !

Pourquoi donc ne se sentait-elle pas davantage terrifiée ?

Elle aurait dû l’être, à tous les points de vue. Tout dans cet homme impliquait du danger – tout, de ses jambes barbarement nues à son expression féroce qui révélaient qu’il était un sauvage Écossais. Si elle avait cru son ami grand, alors celui-ci était immense, se dressant au-dessus de tous les autres.

Et pourtant… quelque chose chez lui semblait inoffensif… et vaguement familier.

Page plissa les yeux, étudiant les contours ombragés de son visage. Il lui était pourtant inconnu, n’est-ce pas ?

Il faisait nuit. Son esprit lui jouait peut-être des tours. Ou bien s’était-elle complètement écervelée après s’être cogné la tête. Certainement, elle était folle de se demander si ces lèvres-là étaient aussi appétissantes à la lumière du jour.

— Qui êtes-vous ? exigea-t-elle de savoir, en croisant les bras sur sa poitrine, se sentant soudain totalement exposée, malgré la combinaison qu’elle portait et le voile d’obscurité qui les entourait.

Il ne lui répondit pas, se contentant de rester immobile, à la regarder, avec ce rictus exaspérant, et Page demanda :

— Vous n’avez pas de langue, Écossais ? 

L’espace d’un instant, il sembla surpris pas la question, abasourdi, même, puis il la surprit par le timbre riche de son rire.

Ses hommes ne semblaient pas si amusés et, bénis soient les saints, Page ne savait pas pourquoi lui, aurait dû l’être. Son père lui aurait déjà retourné une bonne gifle. Elle ne se serait jamais montrée si impertinente avec lui !

— C’est au MacKinnon que vous parlez, gronda un de ses sbires. Et vous feriez mieux de tenir votre langue, femme, au risque de la perdre !

— MacKinnon !

Surprise, Page fit un pas en arrière – moins en réaction à son avertissement que de choc. Elle avait immédiatement oublié toute indignation, dans sa crainte.

Ce n’était pas un simple sauvage d’Écossais qui se tenait devant elle, mais le plus sauvage d’entre eux !

C’était à son fils que son père avait donné refuge ; une faveur faite à David d’Écosse. Le garçon devait être placé sous tutelle de la couronne d’Angleterre. Page avait passé assez de temps avec l’enfant pour comprendre qu’il avait été maltraité. Comment ce monstre avait-il osé traiter son fils de façon si cruelle que son propre roi avait été forcé d’intervenir ? Pauvre petit enfant ! Pas étonnant que ce sale chien lui ait paru si familier ! Le fils et le père avaient les mêmes traits, malgré leur différence d’âge.

Ce visage-là était dur et sans pitié, malgré le rire qui avait adouci ses lèvres exquises. Et, impitoyable, il l’était véritablement ! La rumeur voulait qu’il ait assassiné sa jeune épouse après qu’elle lui ait donné un fils.

— Canaille ! cracha-t-elle. Comment osez-vous vous montrer ici !

— Je suis venu récupérer mon fils, femme. Vous pensiez que je n’allais pas le faire ? répondit-il en haussant un sourcil.

Venu pour récupérer son fils, tiens donc !

Page était si folle de rage qu’elle aurait pu le battre à coups de poing. Sa colère était telle qu’elle n’avait que faire des conséquences.

— Ah oui ? Eh bien, vous partirez sans lui ! rétorqua-t-elle. Mon père ne vous le rendra jamais !

Malgré tous ses défauts, son père n’était pas un imbécile. Il ne ressentait sûrement aucune tendresse pour le garçon, mais il n’aurait jamais risqué de provoquer la colère d’Henri en rendant l’enfant maudit à son horrible père. 

— Ne lui avez-vous pas déjà fait assez de mal comme ça ? 

Le MacKinnon se raidit à cette accusation.

Très bien ! Qu’il se sente coupable, s’il possédait un cœur dans sa poitrine de géant !

— Abandonnez l’idée qu’il puisse rentrer en Écosse avec vous, parce que votre fils est sous la protection du roi Henri lui-même ! persista-t-elle, quand elle discerna dans son regard un sentiment d’alarme. Demain, il sera hors de votre portée et à l’abri de vous pour toujours !

Les muscles de sa mâchoire se crispèrent et, pendant un bon moment, il sembla incapable de parler.

Page espéra qu’il ressente du regret. Le pauvre garçon leur était arrivé battu et muet, craignant même de rencontrer son regard. Malgré tous ses efforts pour tirer un son de sa bouche, il gardait toujours le silence.

— Qu’avez-vous fait à ce pauvre enfant pour qu’il craigne même de parler ? Vous devriez avoir honte de vous, Messire !

Il retrouva soudainement la parole, et Page grimaça en entendant le tonnerre dans sa voix.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? Malcom ne veut pas parler ?

Il s’avança vers elle, le regard s’assombrissant, les bras battant ses flancs, les poings serrés.

Page tituba en arrière devant son expression meurtrière et la menace visible dans tout son être.

— Vous… Vous de… devez bien le savoir, balbutia-t-elle. Prudemment, elle fit un autre pas en arrière.

— Qu’avez-vous fait à mon fils ? lui demanda-t-il, continuant d’avancer.

Page en eut le souffle coupé et elle sauta en arrière, sa main volant vers sa poitrine.

— Moi ? Vous ! Que lui avez-vous fait ? – Quel culot de rejeter la responsabilité de l’affliction de son fils sur elle ! – Il nous est arrivé comme ça !

— Qu’avez-vous donc fait à mon fils, au nom de Dieu ! persista-t-il.

Le MacKinnon la dépassait, baissant un regard noir vers elle, et Page crut qu’elle n’arriverait jamais à reprendre sa respiration. Son cœur lui était remonté dans la gorge, manquant de l’étrangler.

Il était trop proche !

Elle grimaça en remarquant son expression inquiète, et elle n’était plus certaine que les histoires qu’on lui avait racontées sur lui fussent vraies – du moins celles qui l’accusaient de maltraiter son fils, parce qu’il semblait prêt à la mettre en pièces à la moindre idée que son fils soit blessé.

Les autres rumeurs étaient plus faciles à croire, car l’homme qui se tenait devant elle lui apparaissait plus que capable d’arracher le cœur de n’importe quel homme – ou n’importe quelle femme – sans le moindre effort.

Devant Dieu, comme elle avait peur, à présent !

Son cœur battit follement entre ses côtes au point qu’elle crut défaillir.

Il cracha une bordée de jurons incompréhensibles et ordonna à ses hommes :

— Saisissez-la ! Attachez-la à l’arbre le plus solide que vous trouverez ! Je veux être certain qu’elle soit encore là au petit matin !

Ils la saisirent par les bras.

— Non ! Mon père vous écorchera vif, MacKinnon !

Elle poussa un cri d’indignation quand il osa lui tourner le dos et s’en aller, la laissant à la merci de ses hommes. 

— Brute ! Mufle ! Il va vous arracher les yeux !

Il s’arrêta soudain et se tourna pour la considérer une fois de plus, cette fois sans la moindre prétention de civilité.

— Vous lui êtes précieuse, alors ? 

Était-ce un défi ? Page crut que son cœur éclaterait de tristesse à cette question. Il lui fallut quelques secondes pour composer une réponse.

— Bien entendu, que je compte pour lui !

Elle sentit les larmes lui brûler les paupières, mais elle refusa de les verser. Les pleurs étaient pour les faibles, ce qu’elle n’était pas. Oui, son père le lui avait correctement enseigné. Elle leva le menton, le mettant au défi de la réfuter.

— Je suis sa fille, n’est-ce pas ?

Il ne répondit pas.

Doux Jésus ! Était-il au courant ? Pouvait-il l’être ? Était-il en train de se moquer d’elle derrière ce regard turbulent ?

Cette satanée crapule ! Elle savait que c’était le cas.

— Bien, dit-il en continuant de la scruter, plissant les yeux. Vous dites que le roi Henri viendra demain pour récupérer mon fils ? Où prévoit-il de l’emmener ?

Page se redressa de toute sa taille, ses lèvres reflétant une suffisance qu’elle était loin de ressentir.

— Oui, il viendra, canaille ! Et quand il arrivera, il… 

— Quoi ? 

Son cœur se tordit. C’était vrai, qu’allait-il faire ? Rien, détermina-t-elle, car elle ne connaissait pas Henri et elle se doutait bien qu’il ne se dérangerait pas pour elle si elle ne comptait pas pour son propre père. Et c’était le cas. Elle ravala le nœud qui s’était formé dans sa gorge et se débattit pour se libérer de ses ravisseurs. En vain.

— Où pense-t-il emmener mon fils, femme ?

— Mon père vous arrachera le cœur et je resterai pour regarder et rire de vous ! 

— Où ? demanda-t-il, impassible, en s’avançant vers elle.

— Je… Je ne sais pas ! dut céder Page.

Son regard la scruta à travers les ombres de la nuit. Reconnaissait-il le mensonge ?

— Pour de vrai ? 

Sa voix résonna trop faiblement à ses propres oreilles d’un « Oui. »

— Cela ne fait rien, concéda-t-il. Henri ne posera jamais les yeux sur mon fils. Fais-la taire, à présent, Lagan ! Je ne veux pas entendre une autre parole sortir de la bouche de cette Sassenach !

Chapitre 3

Iain n’avait jamais de toute sa vie rencontré une femme aussi pénible… ou si impertinente ! Il était bien content de parlementer avec son père le lendemain matin, parce qu’il avait hâte de se débarrasser d’elle.

Le plus tôt serait le mieux.

Et pourtant, malgré son désir de tirer FitzSimon de son lit en pleine nuit afin de récupérer Malcom au plus vite, si la jeune fille avait dit vrai et que le roi Henri arrivait le lendemain, alors c’était un avantage de plus qu’il pourrait faire jouer si le besoin s’en faisait sentir.

Il n’avait pas l’habitude de laisser filer des opportunités. On disait que, délaissant son confort au profit de la vitesse, le roi anglais chevauchait avec une suite minimum. C’était ce sur quoi comptait Iain. Il avait près de quarante hommes sous ses ordres – plus que ce que la plupart des nobles emportaient avec eux – c’était largement suffisant pour que FitzSimon y réfléchisse à deux fois.

Demain conviendrait parfaitement.

En attendant, il lui faudrait garder cette pipelette attachée et bâillonnée, pour ne pas risquer d’inciter ses hommes au meurtre.

Ou lui-même à un acte plus vil.

De toutes les femelles impudentes, téméraires et… courageuses…

Elle avait défendu son fils ! Contre lui ! C’était une notion ridicule et pourtant…

Elle avait dit que Malcom restait muet.

Iain essaya d’aborder cette information rationnellement, pour le bien de Malcom. Cela n’aurait servi à rien de perdre la raison au moment où il en avait le plus besoin.

Le fait que la fille de FitzSimon le crût responsable des maux de Malcom le poussait à croire qu’elle, de son côté, n’avait joué aucun rôle dans son affliction.

À moins qu’elle ne protège son père…

Bien qu’au vu de ce qu’elle disait de lui, Iain doutait qu’il ait eu besoin d’une quelconque protection. Elle parlait de son bâtard de père comme d’un vénérable champion ! À l’entendre se vanter, elle ne craignait guère les représailles d’Iain contre lui. Au contraire, elle espérait que son père l’écorche vif. Il secoua la tête avec étonnement devant l’immaturité de sa réponse.

C’était peut-être tout simplement la crainte qui empêchait Malcom de parler. Son fils aimait à se considérer comme un homme, mais il n’était qu’un petit garçon, avec un cœur d’enfant.

Christ, quand il découvrirait le traître qui…

Sa mâchoire se crispa.

Cela devait forcément être quelqu’un de leur clan, parce que le bâtard n’avait laissé aucun témoin, aucune preuve qui aurait pu l’incriminer. Il avait simplement débarqué comme un voleur, en pleine nuit, avait kidnappé Malcom et s’était enfui, sans que personne ne s’en rende compte.

Elle avait défendu son fils.

Iain, ne sachant que penser, secoua la tête. Il ne savait pas s’il devait l’embrasser pour avoir si honnêtement pris la défense de Malcom, ou bien l’étrangler sur place.

Par les cornes du diable, c’était une friponne à la langue bien pendue comme il n’en avait jamais rencontré de toute son existence. Il sourit malgré lui, car il peinait à croire qu’elle ait pu se montrer si effrontée.

Attraper des lucioles ? Vraiment ?

Il ricana. L’expression sur le visage de ses hommes avait valu son pesant d’or.

Oui, il résolut de rester près de la jeune femme, mais il fallait commencer par le commencement. Il avait d’abord l’intention de récupérer ses vêtements sur la rive où elle avait dû les laisser – il se disait bien qu’elle portait plus d’atours que ce qu’elle avait sur le dos à l’heure actuelle. La dernière chose dont il aurait eu besoin était d’une telle distraction.

Par les dents de Dieu ! Il ne serait pas parvenu à penser correctement avec des seins si appétissants sous les yeux. Et, damnation ! Comment aurait-il pu s’empêcher de les contempler alors qu’elle se tenait presque nue devant lui ?

Ce qui le poussa à se redemander… Quelle sorte d’homme permettait à son unique fille d’errer librement dans la nature, nue comme au premier jour ?

Ach, mais il y avait des filles qui étaient gouvernables, et d’autres qui ne l’étaient pas, se disait-il.

Si cette capricieuse avait été sa fille, Iain l’aurait enfermée dans la sécurité d’une tour jusqu’au jour où elle aurait prononcé ses vœux !

Fille impertinente et langue de vipère !

Alors que toute cette satanée bande était étendue sur le dos à ronfler, Page était assise, tremblante, le dos contre un arbre, les bras tordus et attachés derrière le dos, un chiffon au goût aigre logé dans la bouche.

Répugnants Écossais !

Elle n’aurait pas pu s’endormir, de toutes les façons, taraudée qu’elle était par l’inquiétude et le remords. Bon sang, elle n’aurait jamais dû sortir seule. Pourquoi ne pouvait-elle se contenter de rester assise dans le solarium à coudre, comme les autres dames ?

Pourquoi ne parvenait-elle pas à être ce que son père désirait qu’elle soit ?

D’un autre côté, se dit-elle amèrement, elle aurait pu connaître la réponse à cette question si seulement elle avait su ce que son père attendait d’elle.

La vérité était que Page ne parvenait pas à obtenir ses bonnes grâces, et n’en avait jamais été capable. Et le pire, c’était qu’elle n’était plus certaine d’avoir envie d’essayer.

Elle n’aurait peut-être plus à le faire après cette nuit.

Cette pensée fit naître un frisson en elle.

Qu’allaient-ils lui faire une fois qu’ils découvriraient que son père ne voulait pas d’elle ? La vérité était que son père ne leur aurait pas plus rendu le garçon qu’il aurait craché à la figure du roi – et surtout pas pour elle, non.

Allons, se dit-elle, cela lui importait guère.

Elle le pensait vraiment.

Mais ses yeux brûlaient de chaudes larmes de colère.

Eh bien, elle découvrirait assez tôt quelles étaient leurs intentions… si elle ne parvenait pas à s’échapper… alors elle concentra tous ses efforts sur ce but. Essayant de ne pas se pencher sur les horreurs qui lui arriveraient si elle échouait, elle observa ses ravisseurs.

À sa grande consternation, les quatre du début n’étaient pas venus seuls, comme elle l’avait d’abord soupçonné. Pis encore, elle ne parvenait pas à déterminer leur nombre exact, parce que leurs membres et leurs corps se mélangeaient dans l’obscurité, comme des cadavres jetés ensemble dans une fosse commune.

Ils étaient très nombreux, présuma-t-elle.

Ils l’avaient traînée, hurlant comme une poissonnière, dans leur camp, et les regards salaces qu’elle avait reçus de tout le groupe lui avaient fait jurer de ne plus jamais regarder un homme dans les yeux.

Rustres arrogants !

Et le MacKinnon en particulier !

Elle frissonna, se rappelant la façon dont il l’avait dévisagée, avec un regard qui en disait long.