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Lorsqu’on lui demandait où il se voyait dans cinq ans, Mike se retrouvait dépourvu de toute réponse. Autrefois, la réponse aurait fusé sans hésitation : chanteur. Cependant, après avoir été sur le point de signer un contrat avec une maison de disques, il avait dû abandonner son plus grand rêve sous la pression de sa famille. Aujourd’hui, Mike se sentait égaré, incapable de répondre à cette question. Cette prise de conscience le secoua profondément, le poussant à entreprendre un voyage à travers le monde pour retrouver la lumière en lui-même et découvrir ce qui contribuait réellement à son bonheur. Sa quête aboutira-t-elle ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après le succès de son roman "Immortel" en 2019,
Ben Riguet Bassa revient sur le devant de la scène littéraire avec une nouvelle œuvre significative. Cette fois-ci, il abandonne le genre fantastique pour renouer avec une veine plus traditionnelle, où se conjuguent rationalité, parcours professionnel et inventivité.
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Ben Riguet Bassa
L’équation du bonheur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Ben Riguet Bassa
ISBN : 979-10-422-3256-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Le temps était venu. Après plus d’une trentaine de minutes de retard, son train entrait enfin en gare.
Finalement, la marge qu’il s’était octroyée en arrivant en avance ne serait pas de trop. En ce jour si spécial où il n’avait pas le droit à l’erreur.
Pour la première fois de sa vie, il avait pris un risque en refusant de faire ce qu’on lui avait dit de faire. Après avoir longuement réfléchi aux conséquences de ses actes, il avait néanmoins décidé de partir et de tenter sa chance. Peu importe les répercussions et peu importe ce qu’il risquerait par la suite. Animé par l’envie de réussir et le désir de réaliser ses rêves, il avait désobéi aux règles.
Ce train, dans lequel il monta, mettrait plus de trois heures à se rendre vers sa destination : Paris.
Le jeune Mike venait d’avoir dix-sept ans et allait entrer en terminale cette année. Mais à l’aube de sa dernière année de lycée, ses études n’étaient clairement pas sa priorité. Il avait une passion qu’il cultivait depuis sa plus tendre enfance. Une passion qui l’animait.
Mike, stressé comme jamais, croisa son reflet dans l’une des vitres du train qui venait d’arriver face à lui.
Ses cheveux bruns en bataille totalement désordonnés mériteraient un aller simple pour le coiffeur. Son visage, lui était encore celui d’un enfant. Ses grands yeux marron et ses fossettes lorsqu’il riait laissaient paraître une grande gentillesse, pouvant être confondue de prime abord avec une grande naïveté.
À son grand regret, sa barbe naissante n’était pas encore bien dessinée. Les quelques boutons qu’il avait encore sur son visage lui donnaient un air négligé et le complexait tant qu’en général il n’osait même regarder ses interlocuteurs dans les yeux par peur de subir leurs moqueries.
Fils de deux parents avocats qui s’étaient rencontrés sur une affaire les ayant opposés, il avait reçu une éducation stricte où ses études et sa future carrière passaient avant tout. Ses parents l’aimaient beaucoup, mais ne le comprenaient pas. Son père, habile orateur, lui, avait ordonné de ne pas se rendre à Paris aujourd’hui. Sa mère, Christine, plus sensible, était restée silencieuse durant toute leur discussion et s’était rangée comme presque toujours à l’avis de son mari. Depuis longtemps elle n’exerçait plus, elle avait renoncé à sa carrière d’avocate pour les élever, lui, ses deux petits frères : Nathan et Lucas ainsi que sa sœur aînée Lola.
George, son père, n’avait qu’une obsession : que Mike se concentre sur ses études et ses examens pour l’année à venir. Maintenant que les choses devenaient sérieuses, son fils n’avait, selon lui, plus de temps à perdre avec la musique. Pourtant là-dessus George ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, c’est lui-même qui l’avait poussé dès l’âge de sept ans au piano et à la guitare. Mais à ses yeux ce passe-temps qui s’était transformé en véritable raison de vivre pour son fils aîné, se devait rester uniquement un loisir. À l’aube où son futur se décidait, la musique menaçait de l’éloigner de ses objectifs. Son fils devait se reprendre en main sous peine de tout gâcher.
Mike toute sa vie avait écouté ce que son père lui disait. Son autorité avait toujours été naturelle avec lui. Jamais Mike ne lui avait désobéi. Par exemple, lorsque son père avait voulu qu’il arrête le basketball, il l’avait fait, lorsqu’il lui avait ordonné de s’inscrire à la boxe, il s’était exécuté, lorsque celui-ci avait voulu qu’il apprenne à programmer sur un ordinateur à l’âge de quatorze ans, il s’était exécuté. Leur relation avait toujours fonctionné ainsi : George ordonnait et Mike s’exécutait.
Ainsi son père avait une nouvelle fois ordonné, mais son groupe aussi avait essayé de l’influencer. Cela faisait désormais plus de deux ans qu’il avait rejoint ce groupe dont il était de loin le membre le plus talentueux et le plus polyvalent. À l’aise au piano, à la guitare et à la basse, il était aussi devenu depuis plus de huit mois le chanteur principal du groupe. Pour cette scène ouverte à Paris, ils ne pourraient donc pas se passer de lui. Mike leur était indispensable. Leur futur succès dépendait essentiellement de lui.
Tiraillé entre la volonté quasi divine de ses parents et les velléités de son groupe, Mike avait choisi le blasphème et d’aller à Paris contre l’avis de ses géniteurs pour réaliser ses rêves. Ayant utilisé une partie de ce qu’il avait gagné en travaillant comme caissier chez Carrefour au mois de juillet, il s’était acheté un billet de train et avait pris son courage à deux mains. L’un de ses collègues Roger avait accepté de le remplacer pour la journée, Mike serait de retour le soir même dans sa ville natale. Ses parents n’y verraient que du feu. Installé dans le train, le visage collé contre le train à grande vitesse qui roulait vers Paris, il espérait être à la hauteur aujourd’hui. La pression était là sur ses épaules, mais pour une raison qu’il ignorait il s’en moquait et n’avait qu’une seule idée en tête : monter sur scène et montrer de quoi il était capable. Son groupe de rock alternatif, les « Kill and burners » s’inspirait des classiques rock du début des années 2000. La scène sur laquelle ils monteraient cette après-midi dans le sixième arrondissement avait lieu une fois par an pour détecter les jeunes talents. Le groupe avait envoyé une démo et avait été présélectionné. Les groupes retenus dans la liste finale joueraient devant certains grands labels qui auraient ensuite à leur guise le choix de les recontacter ou non. La chanson qu’ils joueraient sur scène avait été écrite par Paul, le fondateur du groupe. Mike n’avait pas encore eu le courage de leur montrer ce qu’il avait écrit. Pour l’instant, il suivait et se contentait de chanter ce qu’ils avaient décidé de chanter.
Dans ce groupe Mike s’était toujours senti à part. Les trois autres se connaissaient depuis leur enfance, tandis que lui avait simplement pris le train en route. Peu complice avec eux, il n’était pas parti en train avec eux. Il n’osait pas toujours donner son avis sur leurs choix. Comme sur le choix de la chanson qu’ils allaient jouer aujourd’hui. À moins de quelques heures de la scène ouverte, il serait inutile de lancer le sujet sur la table. Mike détestait les conflits et luttait perpétuellement contre lui-même pour maintenir le consensus. D’autant qu’il ne leur avait jamais dit qu’il avait écrit deux chansons pour le moment. Il voulait donc éviter de faire de vagues. Dans le train le temps fila encore plus rapidement que le paysage qui défilait à travers la vitre. Mike avait déjà vécu à Paris de nombreuses années, il savait donc comment rejoindre le lieu de la scène depuis la gare de Lyon. Dans le métro pour s’y rendre, il écrivait une nouvelle chanson sur un bout de papier, mais son téléphone détourna son attention. Son père l’appelait, mais il ne pouvait pas répondre maintenant dans le métro alors qu’une voix féminine annonçait leur arrivée à l’arrêt « Odéon ». Son groupe avait transporté en voiture leur matériel et les instruments pour jouer, Mike était donc simplement venu avec un sac à dos vide contenant uniquement son lecteur MP4 au cas où il aimerait regarder un film pour son retour en train.
Ne voulant pas mentir à son père, il ne le rappela pas. Paris comme toujours semblait vide au mois d’août, désertée par ses habitants partis à la recherche de soleil et de la mer. Soulagé de ce monde incessant qui se confinait habituellement dans les métros et de ces vagues de stress qui circulaient dans l’atmosphère le reste de l’année, Paris respirait. Mike qui avait déjà vécu dans cette ville sentait aussi ce calme. Les métros étaient vides, les rues moins fréquentées, l’ambiance était détendue. Mais en opposition avec l’extérieur, son moi intérieur montait lentement en ébullition à mesure qu’il se rapprochait du bar où aurait lieu leur prestation. Son groupe, déjà sur place, lui envoyait des messages pour savoir ce qu’il pouvait bien faire, alors qu’il était en avance. Ils ne lui laissaient jamais aucun répit, Mike ne voulait pas les décevoir.
Ce n’était sans doute pas bon signe, mais il sentait plus encore ce décalage avec eux. Arrivé dans la queue près de l’entrée, il vit au loin le videur recaler deux personnes encore mineures, son stress ne redescendit pas, lui aussi dans ce cas-là avait oublié sa fausse carte d’identité chez lui !
Se sentant idiot, il tenta d’appeler chacun des membres de son groupe pour trouver une solution. Au bout de quelques minutes, Paul le batteur, un garçon blond au visage banal, dont les écarteurs sur les oreilles l’avaient toujours horrifié, vint à son secours. Afin d’être repéré le plus rapidement possible, Mike se détacha de la foule. Paul qui ne le souriait jamais ne dérogea pas à cette règle, lui reprochant même son retard. Paul, plus âgé, avait toujours fait preuve de froideur et de distance envers lui. Très vite jaloux du talent et de la voix de Mike, il avait toujours cherché à réduire son épanouissement dans le groupe, l’excluant volontairement de plusieurs de leurs sorties hors musique. Il avait besoin de son talent, mais sa présence le gênait.
Si Mike ne se sentait pas intégré au groupe, Paul y était pour beaucoup. Mike avait dès le début recherché son approbation, mais Paul voulait garder son emprise sur lui et le maintenait à l’écart. C’était son groupe et non celui de Mike. Une nouvelle fois le consensus prenait le pas sur ses envies. Mike vivait une vie dont il était spectateur.
Ainsi donc accompagné de Paul, Mike entra directement dans les coulisses pour retrouver les autres membres du groupe, assis sur des canapés rouges au milieu de la salle, qui l’accueillirent par de légers sourires. La tension et la pression se lisaient dans leurs regards et s’entendaient jusque dans leurs notes lorsqu’ils accordaient leurs instruments.
Plus jeune, moins expérimenté de la vie que les autres membres du groupe, Mike avait pourtant une approche différente de cette pression.
Monter sur scène et performer devant un public ne lui avait jamais fait peur, au contraire il parvenait à se nourrir de cette ambiance pour se galvaniser. Mike ne se sentait jamais aussi vivant que lorsqu’il se produisait sur scène.
Paul, en tant que leader du groupe, tenta de remotiver ses amis en proie au stress alors que leur passage était programmé dans un peu moins de trente minutes. Mike quant à lui observait l’environnement autour de lui. Cette salle qui servait de coulisses n’était pas très grande, très sombre et poussiéreuse. Elle poussait ses occupants à l’occuper le moins longtemps possible. Quelques instruments supplémentaires longeaient les murs, les groupes autour de lui semblaient assez homogènes dans leurs compositions physiques et musicales. Doté de l’oreille absolue, il analysa très rapidement leurs styles et se sentit confiant pour leur prestation. À travers les murs de cette salle, on pouvait aussi entendre les prestations des groupes sur scènes ainsi que les réactions du public qu’elles suscitaient.
Paul et David, le bassiste, allèrent installer leur matériel sur scène quelques minutes avant leur prestation. Mike, concentré sur sa guitare et les paroles de la chanson de Paul qu’il allait chanter, fit le vide en lui. Son père lui vint inconsciemment à l’esprit, mais il le chassa aussitôt de son esprit. Le temps était à la concentration et non à la justification. Mike dégageait l’impression d’être absent, timide de nature, il était difficile au premier abord de l’imaginer se produire sur une scène devant un public. Son jeune âge et son visage d’enfant ne l’aidaient pas.
Paul revint les chercher lui et Samuel le dernier membre du groupe qui semblait terrifié. Mike le sentit et lui donna une tape dans le dos pour le calmer.
Mike souleva le rideau qui sépara les coulisses et de la scène et scruta le public expert qu’il avait en face de lui. Cette salle de concert fut l’une des plus vastes devant laquelle il avait joué. En tout, plus de trois cents personnes les écouteraient. Le grand moment approchait, avant de se lancer généralement, il aimait analyser l’environnement autour de lui. Certaines personnes au premier rang l’encourageaient, d’autres plus en retrait, bras croisés, attendaient de voir avant de montrer un quelconque signe bienveillant. Ces derniers perturbèrent la sérénité et la confiance de Mike qui haïssait se faire juger. Plus le doute se lisait sur son visage, plus les sourires condescendants de ces personnes grandissaient.
Mike clôt les yeux le temps d’un instant, prit une profonde inspiration et fit le choix de les ignorer. À la place il décida de se concentrer sur le positif en se focalisant sur un jeune couple face à lui, qui voyant son stress, redoubla d’applaudissements pour l’aider.
Dans cette salle Mike était un nouveau-né, la moyenne d’âge se rapprochait plus de 25 ans. Il ferma une nouvelle fois les yeux un instant pour se concentrer et trouver l’Énergie en lui. Malgré un ou deux cris d’encouragements, il régnait un silence de plomb dans cette salle hostile qui s’attendait à voir cet enfant s’écrouler face à eux d’une minute à l’autre. Mike senti la pression face à lui, appuyant sur ses épaules et qui tentait de le faucher. Mais il mit la main sur la perche qui tenait son micro, se tourna tour à tour vers les autres membres du groupe et d’un sourire détaché leur donna le départ.
David et sa basse lança alors la première note, rapidement suivi par Samuel à la batterie chez qui la peur en lui s’échappait à mesure qu’il jouait. Paul suivit à la guitare, puis ce fut au tour de Mike d’ouvrir la bouche.
En une fraction de seconde, le public composé d’experts hostiles absolument pas convaincus par ce qu’ils s’apprêtaient à voir changea d’un extrême à l’autre. Initialement sceptiques, ils avaient basculé dans une euphorie en découvrant la voix en or de ce jeune garçon à l’air timide, boutonneux et à la chevelure totalement hasardeuse. La puissance et l’amplitude de sa voix électrisaient la foule. Mike, métamorphosé, ressentait leur énergie et se nourrissait de chacun de leurs cris encourageants. Les mouvements de corps et de têtes qu’il avait face à lui attestaient de la réceptivité de leur public cette après-midi. Les textes de la chanson écrite par Paul n’étaient pas brillants, sa composition n’était pas transcendante, mais l’interprétation de Mike conjuguée à son solo à la guitare époustoufla leur auditoire.
Comme à chaque fois il donnait tout pour la musique.
Une étoile était née sous les yeux d’un public conquis.
La musique avait toujours donné à Mike une liberté et un bonheur qu’il n’avait jamais ressenti ailleurs, ni de près ni de loin… Avec elle il prenait confiance, avec elle il laissait tous ses doutes et des peurs derrière lui. Avec elle il se sentait imbattable.
Lorsqu’ils eurent terminé leur chanson, une chose exceptionnelle se produit alors.
À la demande du public, le groupe enchaîna alors sur une seconde chanson, elle aussi écrite par Paul, mais le public n’avait d’yeux que pour Mike dont la présence scénique et la voix éclipsaient les autres. Voilà la raison pour laquelle Paul l’avait toujours rabaissé, voilà pourquoi il avait constamment brutalisé son ego pour le manipuler. Paul était un garçon intelligent, il savait qu’en réalité ils avaient besoin de lui pour réussir, mais l’inverse n’était pas vrai.
Au fond de la salle, un homme vêtu d’un blazer aux lunettes rondes prenait beaucoup de notes sur son carnet. Mike malgré l’euphorie ambiante ne perdit pas le but de leur présence ici aujourd’hui. Ils étaient là pour intégrer la liste finale des groupes qui rencontreront les labels.
Il donnait absolument tout ce qu’il avait en lui pour quitter cette scène sans le moindre regret. Dans une autre dimension, il entraîna le reste de son groupe avec lui qui avait élevé son niveau de plusieurs crans.
À la dernière note jouée par Paul, ils quittèrent le public sur la plus belle standing ovation de ces auditions. Mike d’un sourire les remercia de leur accueil et du rôle qu’ils avaient joué cette après-midi pour lui. Les applaudissements et les cris accompagnèrent sa sortie, tandis qu’il quittait la scène en premier avec le sentiment du devoir accompli.
Paul, Samuel et David s’attardèrent quelques secondes supplémentaires sur la scène, Mike lui était déjà en coulisse. L’excitation parcourait encore chaque fibre de son corps. Il ressentait l’adrénaline d’un boxeur qui venait de décrocher la ceinture de champion du monde, alimenté comme par une puissante onde de choc. La musique avait toujours eu une place à part dans son développement et dans sa vie. Commencée comme un simple passe-temps, continué par passion, Mike eut aujourd’hui pour la première fois la certitude qu’elle était peut-être sa raison de vivre.
La réaction du public l’avait gonflé à bloc, les sourires de son groupe témoignaient de leur respect. Mike par sa prestation était leur leader naturel. Même Paul le félicita longuement à son arrivée dans les coulisses. À la vue de la réaction du public, il était persuadé de figurer dans la liste finale. Il fallait simplement attendre la décision finale du jury.
Mike assis sur l’un des canapés sentit la tension redescendre en lui. David lui tendit une bière fraîche qu’il ne se fit pas prier pour entamer, rattrapé par Paul qui les incita à trinquer tous les quatre. Mike s’attendit à ses reproches habituels sur son manque de justesse sur les notes hautes par moment, mais il n’en fit rien. Paul ne pouvait rien lui reprocher sur ce coup-là.
Face à l’évènement, Mike s’était sublimé.
La tension était retombée, mais désormais ils devaient savoir.
Quelques dizaines de minutes seulement après leur prestation, l’homme au blazer qu’il avait aperçu en chantant vint à leur rencontre pour se présenter. Parmi tous les juges de cette scène ouverte, c’est lui qui aurait le dernier mot. Mettant rapidement fin à tout suspense, il leur annonça sans surprise qu’ils faisaient partie de la liste finale et qu’ils rencontreraient des labels.
Paul laisse échapper un cri de joie.
— On fête ça ce soir les gars ! annonça-t-il en attrapant Mike par les épaules.
Mike fut ravi de voir qu’il avait enfin son aval, cela faisait des mois qu’il y courrait après. Mais brutalement la réalité rattrapa celui qui ne pouvait pas rester à Paris ce soir. Cette journée intemporelle l’avait éloigné des réalités. Il devait rentrer ce soir pour éviter que son père ne découvre le pot aux roses. Son père se ficherait bien de savoir qu’ils avaient réussi la sélection finale du concours, il se ficherait de savoir que son fils avait passé la meilleure journée de sa vie. George voulait évidemment le bonheur de son fils, mais il voulait que ce bonheur soit trouvé dans une voie plus standard et plus en phase avec les aspirations qu’il avait pour lui. George avait une vision du chemin vers le bonheur qui était à des années-lumière de celle de son fils.
Même si pour être honnête, Mike, trop jeune ne savait pas grand-chose de ce qui faisait son bonheur.
Le retour à la réalité fut ainsi brutal. Mike en regardant son téléphone découvrit 17 appels manqués de ses parents. Instinctivement il comprit que quelque chose n’allait pas. Il était censé travailler cette après-midi, en temps normal, jamais ces parents ne l’auraient dérangé à moins, pensait-il, que son père avait découvert la vérité. La panique montait en lui.
Paul et les autres, près de lui, discutèrent du plan de la soirée.
— Je connais une fille qui pourra nous faire rentrer gratuitement si on va là-bas ! se vanta Paul.
Mike qui les écoutait à peine sentit son cœur battre la timbale en découvrant les messages envoyés par son père furieux qui avait tout découvert. Retombé de son nuage après avoir vécu un véritable ascenseur émotionnel, il comprit que son compte était bon. Son train partirait de la gare à 17 h, soit dans moins de quarante-cinq minutes.
— Les gars… Désolé, je ne vais pas pouvoir être des vôtres ce soir, je dois rentrer…
David et Samuel semblaient déçus. Mike sortait très rarement avec eux. Après sa prestation exceptionnelle du jour, ils auraient bien voulu faire la fête avec lui pour mieux le connaître.
— Pourquoi ? tenta d’ailleurs David.
Ayant trop honte de révéler la vérité, il raconta le premier mensonge qui lui vint en tête.
— Urgence familiale. Je dois prendre le train dans une heure.
Ce qui n’était pas totalement faux… David fit une grimace. Samuel tentait de le faire changer d’avis. Paul de son côté eut une réaction très égoïste, très fidèle à son personnage.
— Ah… Déclara-t-il avec une grimace. Au moins on ne va pas galérer à te faire rentrer ce soir, ajouta-t-il dans un sourire faux.
Mike abasourdi ne comprenait pas sa réaction. Il n’en croyait pas ses oreilles et ne comprenait pas où Paul voulait en venir.
— Comme tu es mineur et que tu n’as pas de fausse carte d’identité… se justifia-t-il.
Samuel regarda Paul d’un air grave, comme s’il venait de découvrir le fond de la personnalité de pervers narcissique, insensible et égocentrique de celui qui pensait être le leader du groupe.
Paul était vraiment abject et ne montrait pas la moindre considération envers celui qui leur avait permis de passer les sélections. Paul ne le reconnaîtrait jamais, mais sans lui ils n’auraient eu aucune chance. Avec plus de caractère et une personnalité plus affirmée, Mike aurait dû lui rentrer dedans, mais comme à chaque fois il voulait éviter de faire des vagues et il s’écrasa pour le consensus, ne laissant échapper rien d’autre qu’un léger rictus gêné quelque peu pathétique.
Paul était le leader du groupe, Mike ne voulait pas se disputer. Il ramassa donc son sac en vitesse, dit brièvement au revoir aux autres membres avant de faire le chemin inverse vers la gare pour rentrer affronter son père. En sortant du bar, il croisa de nombreux regards admiratifs de sa prestation, plusieurs personnes lui tapaient sur l’épaule pour lui témoigner leur sympathie. Mike aux anges croisa le regard d’une jolie jeune fille blonde qu’il avait repéré lorsqu’il avait été sur scène. Toujours très timide et peu à l’aise avec le sexe opposé, il se gratta le coude gauche avec sa main droite. Touchée par ce changement d’attitude chez lui, elle lui tendit un morceau de papier avec son numéro. Cela ne lui était d’ailleurs jamais arrivé.
Cette journée aurait tout eu pour être parfaite, mais Mike ne put la savourer pleinement, le temps jouait contre lui, rater son train de retour n’était pas une option envisageable. Son père l’appelait encore, mais lui ne répondait toujours pas. Mike passa par sa sœur Lola pour annoncer qu’il serait à la maison pour 20 h 30. Son père recevrait à dîner son nouvel associé au cabinet, il aurait quelques heures de répit avant de l’affronter. Une fois à la gare, Mike courut le sprint de sa vie pour avoir son train à temps. C’était moins une il monta juste avant la fermeture des portes !
Une fois sa place trouvée, Mike put se mettre à l’aise et déposa son seul sac à dos sous ses pieds. Dans sa folle course pour trouver sa place, il n’avait même pas eu le temps d’acheter une bouteille d’eau. Le train dans ce sens était plus rempli eu celui qu’il avait pris quelques heures auparavant. Mike, installé dans un bloc de quatre passagers, décortiquait ce qu’il venait de vivre. Par messages, David et Samuel l’avaient encore félicité pour son incroyable prestation. Sur cette scène, Mike s’était senti plus vivant que jamais, l’énergie qu’il avait mise dans sa musique aujourd’hui l’avait mis en transe. Voir cette foule réticente à son arrivée l’acclamer ensuite l’avait rendu plus fort que jamais. Pour lui la musique n’avait jamais été qu’un simple loisir il était encore jeune pour le comprendre, mais la musique était la voie qu’il avait choisie pour s’exprimer et pour se libérer. La musique le rendait heureux.
Son père lui ne l’avait jamais entendu de cette oreille. Ce dernier savait que son fils était sur le chemin du retour et avait donc cessé de le harceler au téléphone. Sa sœur par SMS lui avait confirmé à quel point il était furieux. Dans ce train, beaucoup de personnes défilaient autour de lui entre chaque arrêté, ses pensées aussi allaient à toute allure dans son esprit. La jeune fille blonde qui lui avait donné son numéro en sortant du bar était mignonne, plus âgée que lui, il appréhendait de lui envoyer un message. Il avait entendu un de ses amis d’école mentionner une certaine règle de 48 heures à attendre avant de la contacter.
Que faire donc… Bien que cet ami plein de bons soi-disant conseils n’ait jamais été aperçu auprès de la moindre fille, Mike choisit de le croire et ne lui enverrait pas de message ce soir.
Par message toujours, Roger, son collègue caissier lui raconta comment il avait dû avouer la vérité à son père passé à l’improviste au supermarché. Connaissant très bien l’effet que son père pouvait faire aux personnes qu’il croisait, Mike ne lui en tiendra pas rigueur. C’était sa décision, il connaissait les risques lorsqu’il l’avait prise. La nuit dans la ville où il vivait ne tomberait pas avant deux bonnes heures. Envahie par les touristes, Mike croisa beaucoup de personnes en descendant de son train. Un jeune garçon portugais aux cheveux bouclés l’arrêta pour lui demander où était situé le bar qu’il recherchait. Mike ne parlant pas sa langue, lui expliqua son chemin dans un anglais très approximatif. Son père marquait au moins un point, Mike gagnerait à être plus appliqué dans ses cours de langue.
Le chemin qui reliait la gare de l’appartement de ses parents était court. Fait et refait des centaines de fois, il ne lui avait pourtant semblé aussi périlleux, sachant très bien ce qui l’attendait au bout du chemin. Les derniers commerces encore ouverts fermèrent, quelques personnes sortaient leurs chiens avant de dîner, tandis que certaines personnes assises sur les bancs publics refaisaient la face du monde. Tel un condamné qui se préparait pour son dernier repas, Mike trembla en enfonçant sa clé dans la porte d’entrée de l’immeuble. Le vieil ascenseur en bois était déjà là, Mike pressa le bouton trois pour se rendre à son étage.
Son appartement était juste assez grand pour sa famille nombreuse. Lola et lui avaient chacun leur chambre tandis que les jumeaux Nathan et Lucas âgés de 10 ans partageaient la même chambre. Pour recevoir son nouvel associé, son père avait impliqué tout le monde pour faire en sorte que l’appartement, et surtout leur vie, paraisse impeccable.
Heureusement lorsqu’il arriva ses parents, ses deux frères et sa sœur n’étaient pas seuls à table. Steve l’associé de son père, sa femme Maria ainsi que leur fille Carla les accompagnaient dans la salle à manger. Pour faire honneur à son époux, sa mère avait sorti la vaisselle des grandes occasions.
Sa mère Christine était une élégante femme brune aux cheveux bouclés. Mike avait hérité de son menton et de ses jolis yeux marron. Très sportive, elle avait gardé une silhouette fine. Malgré les quelques rides de son visage qui apparaissaient lorsqu’elle souriait, elle donnait l’impression d’être plus jeune qu’elle ne l’était vraiment.
— Ah il rentre enfin du travail, mentit-elle en le voyant alors qui était pourtant au courant des aventures de son fils.
Son père avait un visage plus marqué que son épouse. Ses cheveux initialement noirs tendaient aujourd’hui vers le gris.
Mike s’introduit alors auprès du nouvel associé de son père et de sa femme. Pris d’un sentiment de timidité, il dégagea une expression hésitante en saluant leur fille du même âge que lui. Clara était pourtant d’une beauté quelconque. Elle avait certes de jolis yeux marron assortis à ses cheveux bruns, mais son nez épais ainsi que sa mâchoire légèrement proéminente allongeaient son visage. Les traits de son visage la vieillissaient, elle avait paru satisfaite en découvrant la timidité de Mike qui se comportait pourtant exactement de la même manière avec 95 % des membres de la gent féminine.
Son père voulant faire bonne figure n’aborda pas son escapade du jour. Il avait pour règle de ne jamais déballer son linge sale en public. Mike n’était pas à son aise dans ce dîner. La bombe ne tarderait pas à exploser. Il évitait de regarder vers on père, préférant se concentrer sur son assiette.
Par moments il croisa le regard de Clara. Mis à part sa chevelure qui partait dans tous les sens et ses boutons symptomatiques de la puberté, Mike était un garçon charmant. Simplement il manquait de confiance en lui et ne prenait pas soin de son apparence. Jusqu’à maintenant il avait été incapable d’inviter la moindre fille à sortir avec lui. Ne sachant jamais comment s’y prendre, il avait été souvent catalogué dans le rôle du meilleur ami.
Mike regardait par moments vers son père qui découpait sa viande avec une telle maîtrise et une telle agilité qu’il espérait ne pas connaître le même sort que ce rôti. La discussion pour le moment tournait davantage sur la ville et ses activités afin de la présenter sous son meilleur jour à Steve et sa famille. Christine questionna ensuite directement Mike sur son lycée, Clara y étudierait cette année. Il voulait en dire du bien, mais son école n’avait rien d’exceptionnel. Il peinait à générer de l’entrain dans ses paroles. En somme son lycée était des plus classiques : des salles de classe, un gymnase, une cantine, un terrain de football et… Un studio de musique pour répéter !
Pour la première fois depuis qu’il avait pris la parole, son visage s’illumina ! Maria et Clara remarquèrent la passion qu’il avait dans le regard. Sa mère regardait vers son plat, tandis que le couteau de son père ripa sur le bord de son assiette créant un son strident qui fit sursauter tout le monde autour de cette table. Steve, intrigué, se rappela alors ce que son nouvel associé lui avait un jour dit à propos de son fils.
Mike lui sourit. Mais intérieurement, il avait tous détesté ce genre de raisonnements qui consistait à mettre les gens dans des cases et qui refusaient ce genre de complémentarités et de contrastes dans leurs hobbies.
Steve, impressionné, ne remarqua pas la grimace de son nouvel associé et invita Mike à lui en dire davantage. Christine en mangeant ses légumes ben cessait de jeter des regards vers son mari qui n’aimait pas voir son fils se vanter de perdre son temps avec son groupe. Mike de son côté ne se faisait pas prier et en profitait pour s’adresser indirectement à ses parents, quitte à jouer de nouveau avec le feu.
L’occasion était trop belle. Sa sœur Lola qui ne savait pas ce qu’il avait donné aujourd’hui attendait sa réponse avec appréhension.
Mike regarda vers sa sœur une ravissante jeune fille aux cheveux noirs qui ressemblait davantage à son père que lui. Mais Lola avait hérité des mêmes yeux marron que lui.
Mike, fier de ce qu’il avait accompli aujourd’hui, posa ses couverts autour de son assiette, puis s’essuya avec sa serviette avant de répondre.
— Eh bien… C’est tout frais. Nous avons récemment intégré la liste finale d’une scène ouverte, assez connue. Nous nous sommes bien débrouillés puisque nous avons été sélectionnés pour rencontrer des labels professionnels. Très bientôt nous allons leur présenter nos chansons, termina-t-il plein d’entrain. Si tout se passe normalement, nous allons sortir un disque.
Le changement dans l’attitude de Mike en parlant de sa musique était saisissant.
Lola était aux anges, même leurs petits frères pourtant trop jeunes pour comprendre tout ce qu’Il se passait autour de cette table étaient fiers de lui. Clara ne le quittait plus du regard. Tandis que George, les nerfs à vif, fit de nouveau riper sa fourchette sur son assiette, les regards qu’il échangeait avec sa femme n’annoncèrent rien de bon. Steve qui ne voyait pas la tension dans les gestes de son associé, félicita Mike, puis poussa davantage le bouchon allant même jusqu’à impliquer George.
L’assurance de Mike le quitta aussitôt rattrapé par la réalité.
Gêné, le regard perdu entre son assiette et ses parents, il redoutait leur prochaine parole.
Cette fois-ci Steve réalisa que le sujet était sensible et détourna la conversation sur les études de médecine de Lola.
Mike regarda alors sa sœur brune aux mêmes yeux que lui, leur raconter fièrement son entrée en deuxième année de médecine. Lola avait terminé dixième de sa promotion lors de son premier essai autant redouté concours de première année, pour la plus grande fierté de Georges.
Le dîner approchait de son terme, sous les conseils directifs de leurs deux pères, Mike et Clara échangèrent leur numéro pour aider cette dernière à faire ses premiers pas dans leur lycée.
Clara, fille de bonne famille, intelligente et tranquille en apparence, était tout ce que George désirait pour son fils. Dans sa vie, il n’y avait que très peu de domaines où Mike pouvait décider pour lui-même. Voilà encore pourquoi il aimait tant la musique, lorsqu’il était sur scène il était libre d’être qui bon lui semblait, personne, hormis Paul par instants, ne lui dictait ce qu’il devait faire. Sur scène Mike avait le contrôle, sur scène, il était libre. C’était son échappatoire.
Steve et sa famille les quittèrent une fois le dîner terminé. Mike était loin d’être un expert dans les signaux envoyés par le sexe opposé, mais il remarqua que Clara lui avait fait une bise plus longue que celle de leur présentation. Il lui avait répondu d’un sourire gêné lorsqu’elle lui avait dit « À très bientôt »
Lola alla ensuite mettre un film à leurs petits frères dans leur chambre, tandis que Mike finissait de remplir le lave-vaisselle. Sentant la foudre arriver, il prit tout son temps pour bien aligner chaque assiette et bien tourner chaque couvert dans le bon sens.
Son père, George, assis sur le canapé, réfléchissait à ce qu’il allait dire et surtout sur la façon dont il allait le dire. Comme tout bon avocat, il connaissait l’importance d’un discours structuré et ordonné.
Mike mit le dernier verre à laver et se dirigea hors de la cuisine vers sa chambre, croyant échapper au sermon du siècle.
Le ton de son père était léger et complètement déconnecté de ce qu’il ressentait.
Mike fut coupé net dans sa marche. Dos à son père, il laissa échapper un soupir. En grand optimiste il espérait au fond de lui que son père lui laisserait un peu de répit. Dans son esprit, il se préparait à l’affronter, mais redoutait ce qui allait se passait. Avant aujourd’hui il ne lui avait jamais désobéi.
Christine, assise près de son mari, regarda son fils approcher d’eux. Leur salon simple ne contenait qu’une télévision, une table basse, deux tableaux de nature morte aux murs ainsi que deux canapés disposés en L. Mike prit place sur celui à gauche de ses parents.
— Où étais-tu aujourd’hui ? demanda George sans perdre de temps. Je suis passé au supermarché cette après-midi pour acheter de la lessive, mais tu n’étais pas là…
Mike, le regard baissé, n’eut pas le courage de répondre. Son père savait très bien ce qu’il avait fait aujourd’hui puisque Roger lui avait tout dit.
Au point où il en était, Mike ne pouvait plus mentir et leur raconta la vérité. Plus Mike avançait dans son récit, plus le visage de ses parents se raidit. Leurs sourires de façade au dîner semblaient déjà loin. L’inquiétude principalement se lisait sur le visage de sa mère tandis que son père lui semblait déçu. L’atmosphère devint alors pesante à mesure qu’il leur racontait sa journée ; la tempête approchait à grands pas.
Mike embraya alors sur le concours, sa performance et donna des détails sur leur passage à venir devant les labels. Ses parents impassibles l’écoutaient parler. Sa mère laissa échapper un sourire, mais très en colère, son père désapprouvait totalement ce qu’il avait fait.
— Si je comprends bien tu es parti en douce à Paris alors que je t’avais strictement interdit de t’y rendre.
Mike tête basse fixait ses pieds incapables de regarder son père en face. La peur de ce qui allait suivre avait pris le pas sur le lui.
— Regarde-moi dans les yeux quand je te parle Mike !
Mike brutalisé par son père daigna enfin regarder vers lui.
— Je ne veux plus que tu te produises avec ce groupe Mike, déclara-t-il simplement en fixant son fils. Il est temps d’arrêter. Ça n’a que trop duré ces bêtises.
La peur de Mike se transforma alors en incompréhension. Il n’aimait pas spécialement ses membres, mais Mike aimait faire partie de ce groupe. Faire partie de ce groupe était de loin la chose qu’il préférait dans sa vie.
L’incompréhension laissa place à un début de colère.
Mais George ne croyait pas à ce genre de vie. À ses yeux son fils devait grandir et arrêter de vivre dans un conte de fées.
Mike voulait se battre, mais George pour la première fois sortit de son calme et ne pouvait plus tolérer la naïveté de son fils.
Mais Mike ne voulait pas se laisser faire alors que son père voulait lui retirer ce qui comptait le plus à ses yeux. George, en bon avocat, changea de stratégie pour atteindre son fils qui tremblait de colère et de rage.
Mike écoutait son père lancé dans son monologue.
Mike n’aurait pas pensé à ces deux points-là pour décrire ce que la musique lui avait apporté.
Évidemment Mike reconnaissait la part de vérité dans les arguments de son père. Il n’était pas naïf et connaissait de loin l’extrême concurrence de ce milieu, mais lui croyait en ses chances. Il avait vu comment le public l’avait acclamé. Il n’avait pas peur et croyait dans ses capacités. Il avait ce qu’il fallait et l’avait toujours su au fond de lui.
La veine du front de son père menaçait d’exploser à tout moment. Sa mâchoire serrée, sa respiration rapprochée et ses yeux prêts à lancer des éclairs attestaient de sa colère. En le désobéissant et en lui répondant ce soir, Mike l’avait poussé à bout.
Mike bégayait et était incapable de former la moindre phrase pour se défendre. Il n’eut pas le temps de répondre que son père toujours debout enchaînait. Le plus grand avocat de la ville avait perdu son calme.
Mike, insulté, tremblait d’impuissance et ne savait pas quoi répondre pour se défendre. La colère se transforma alors en peine. Incapable de s’exprimer, des larmes coulèrent sur ses joues, son père allait lui retirer la chose qui comptait le plus dans sa vie. C’était profondément injuste. Sa mère touchée à la vue de son fils meurtri prenait la main de son époux pour l’inciter à prendre des pincettes. George, pas très à l’aise pour montrer ses émotions, regarda vers son épouse et son fils aîné qui pleurait sur le canapé face à lui.
Évidemment Il ne voulait pas le blesser, mais devait agir aujourd’hui pour son bien et lui offrir le meilleur avenir possible. Toujours debout, réalisant qu’il était sans douter aller un peu fort, il se rassit, soulageant sa conscience en pensant qu’au moins le message était passé.
Mike regarda tour à tour vers ses parents, mais il était clair que leur décision était prise. Rien de ce qu’il pourrait leur dire n’y changera rien.
La discussion était close, son père déjà levé n’entendrait aucun autre de ses arguments. Mike liquidé, le cœur brisé, à bout de nerfs, parti s’enfermer dans sa chambre. Sa mère lui apporta une boisson avant de dormir, mais il lui refusa l’entrée.
Allongé sur son lit au milieu des feuilles volantes sur lesquels il écrivait ses musiques, il était trop choqué pour pouvoir faire quoi que ce soit.
Pendant plusieurs jours il ne prononça aucun mot, se contenant de partir travailler et de s’enfermer dans sa chambre restant allongé la majorité du temps sur son lit à contempler les posters d’artistes qu’il avait sur ses murs. Sa PlayStation était devenue sa meilleure amie, le soir, ses frères et sa sœur lui tenaient compagnie devant des films. Sa guitare posée près de son bureau ne bougea pas de place pendant des semaines. Le piano situé sur la gauche de sa fenêtre finirait par être débarrassé par ses parents pour lui faire plus de place. George lui-même était parti annoncer à son groupe que son fils devait les quitter et qu’il devait se concentrer sur ses études. L’humiliation était totale, il n’avait pas eu la force de répondre à leurs messages.
George avait gagné son combat, son fils vivrait selon ses règles. Ce dernier n’irait pas contre son autorité et renonça à contrecœur à la chose qui lui procurait le plus de bonheur dans la vie.
Six années s’étaient écoulées depuis ce fameux soir où son père lui avait ordonné de quitter son groupe pour se concentrer sur ses études. Mike lui avait obéi, aujourd’hui plus rien dans sa vie ni même dans sa chambre ne faisait mention de son ancienne passion pour la musique. Les posters sur ses murs avaient été arrachés, les instruments de musique avaient disparu et les seules feuilles volantes qui traînaient en vrac dans sa chambre ne contenaient rien d’autre que des exercices de mathématiques ou bien des tentatives désespérées d’écrire son discours.
Durant des années Mike par déception s’était lui-même convaincu que la musique ne lui aurait rien apporté. La page avait été tournée depuis longtemps. Depuis ce fameux soir où son père lui avait ordonné de quitter son groupe, il n’avait plus touché au moindre instrument ni même composé la moindre musique. George ne lui avait jamais interdit de jouer. Mais s’il avait été contraint quitter son groupe alors que son rêve lui avait tendu les bras, à quoi bon cela aurait-il bien pu lui servir de continuer à jouer ? Renoncer à la musique avait été comme une petite mort pour lui. Toutes ces heures à pratiquer pour essayer d’atteindre la perfection musicale n’auront finalement servi à rien.
Aujourd’hui la passion et l’optimisme l’avaient quitté.
Lors de ces six dernières années à aucun moment, il n’avait connu un sentiment comparable à celui qu’il avait connu sur scène. Cette énergie, cette volonté de se surpasser, cet instant de communion avec le public Mike n’avait jamais retrouvé ça nulle part ailleurs.
Revenu sur terre, il avait tout en cette année 2016 pour vivre une belle carrière. Malgré un retard à l’allumage où il avait obtenu son baccalauréat de manière très laborieuse, Mike avait décroché son diplôme en mathématiques et statistiques avec les honneurs, terminant même major de sa promotion.
Aujourd’hui marquait le jour de sa cérémonie de diplôme. Assis avec une robe et un chapeau de diplômé, sur une chaise en plastique au bout d’une estrade en bois aux côtés de cinq autres personnes, il regardait de dos le doyen de leur université confesser sa fierté de voir face à lui ces rangées d’élèves diplômés, souriant, motivés à l’idée de rentrer dans la vie active.
Son campus occupait un vaste domaine bâti autour d’un ancien château où l’administration avait aujourd’hui trouvé refuge. Ce château avait vu directement sur un grand parc et un lac où les étudiants avaient l’habitude de piqueniquer lors des belles journées de printemps. L’allée qui liait le portail d’entrée au château était entourée de palmiers donnant un décor tropical au domaine.
Durant ses années d’étude, Mike avait traversé des centaines de fois ce parc pour passer d’un amphithéâtre à l’autre ; il aurait voulu en profiter une dernière fois en le regardant, mais il ne voulait pas être ici.
Répartis en plusieurs bâtiments, cette université proposait à ses élèves plusieurs spécialités, voici pourquoi Mike n’était pas seul sur scène. Des rangées de chaises avaient été disposées sur la pelouse du parc. Mike avait face à lui tous les élèves de cinq promotions différentes accompagnés de leur famille. Derrière ces personnes assises sur des rangées de chaises, la lumière du soleil éclatant se reflétait sur le lac. C’était une très belle journée pour être diplômé.
Pourtant, assis sur sa chaise en compagnie des quatre autres majors, Mike n’avait aucune envie de délivrer son discours qui faute d’inspiration manquait cruellement de profondeur. Le thème n’avait pas été libre, ce discours devait tourner autour de ses aspirations futures et devait répondre à la problématique suivante : « Où se voyait-il dans cinq ans ? ».
Cette question bateau, a priori simple à laquelle il avait été habitué de répondre par le passé au cours de sa scolarité et lors de ses précédents entretiens de stage, lui avait toujours donné du fil à retordre. À chaque fois sa réponse avait été hypocrite, totalement déconnectée de ses réelles aspirations et donnée en fonction de la personne qui lui avait posée, de manière totalement démagogique. Mais cette fois-ci Mike avait voulu y répondre sérieusement en se montrant honnête, mais sa vision au long terme était floue, imaginer ce que sa vie serait dans cinq ans relèverait de la pure spéculation. Son doyen aurait dû poser cette question à son père… Au moins il aurait eu une réponse rapide. Même si ce dernier fût moins sur son dos maintenant que Mike avait respecté sa part du contrat en lui obéissant.
Jouant avec son chapeau, sur sa chaise, Mike avait du mal à savoir ce qu’il désirait vraiment. Toute sa vie ou presque s’étalait devant lui. Ses parents, fiers de vivre enfin ce jour, avaient sorti leurs habits de cérémonie du placard. Au fond sur sa gauche, son père en costume souriait, satisfait de voir que son fils avait réussi. Sa mère à ses côtés savourait aussi cet instant avec son appareil à photo. Le temps avait été plus dur avec le visage de son père que celui de sa mère qui avait conservé son sourire bienveillant et la jeunesse de son visage.
À côté d’eux Mike pouvait aussi apercevoir ses deux petits frères bruns plus âgés, aujourd’hui lycéens, en costume qui semblaient comme toujours se chamailler. Malgré son stress, les imaginer se battre encore une fois pour savoir qui de Lionel Messi ou de Cristiano Ronaldo était le meilleur, lui procura un sourire. Derrière eux sa sœur Lola était venue avec son petit ami Marco rencontré lors de son année d’échange dans un hôpital de Milan. Contrairement à lui, Lola semblait épanouie. Elle venait de passer le concours de sixième année de médecine et attendait de savoir dans quelle ville et quelle spécialité elle terminerait. Lola réalisait son rêve d’enfance de devenir médecin et de sauver des vies de plus, son petit ami était un homme bien, Mike était content pour sa sœur.
Si la question sur ses rêves futurs lui avait été posée six ans en arrière, la réponse aurait été évidente. Il aurait répondu musicien sans la moindre hésitation, il serait vu parcourir le monde de scène en scène à jouer sa musique devant des publics conquis. Mais en cette année 2016 il était devenu plus pragmatique, ses anciens rêves l’avaient quitté, aujourd’hui il aspirait à une belle carrière et à vivre sans manquer de rien. Le bourrage de crâne de son père avait parfaitement fonctionné. La société avait fait de lui ce qu’elle avait toujours fait de la majorité des cas comme lui. Elle l’avait recadré et enfermé dans un nouveau rôle où il confondait dorénavant aspirations personnelles et ambitions professionnelles le poussant à reléguer sa partie créatrice au second plan. Ses rêves, sa créativité et son désir vis-à-vis de celle-ci avaient été massacrés par la vision que la société avait de lui.
Assis sur cette chaise, en pleine introspection, il réalisa que tout dans sa vie depuis le lycée avait été une course : son entrée à l’université, son intégration dans une association étudiante, ses recherches de stage et de premiers emplois. Mike avait tout subi sans prendre le temps de réfléchir à ce qu’il désirait.
Il avait toujours suivi les règles, sur le papier, il était sur la voie du succès. Mais dans le fond il s’était éloigné du chemin menant à son épanouissement personnel et ignorait totalement qui il était vraiment. La preuve avec ce simple discours où on lui avait simplement demandé quels étaient ses rêves pour les années à venir. Après toutes études et toutes ces heures d’apprentissage, il était pourtant incapable de répondre à cette simple question pour la simple raison qu’il en ignorait la réponse. Mike ne se connaissait pas lui-même et ne savait même pas ce qui le rendrait heureux.
La musique lui avait un jour montré une partie de qui il était, mais il avait laissé tomber sous la pression de son père et du regard de la société.
Mike avait une nouvelle fois renoncé à être sincère et avait rédigé sur un bout de papier qu’il avait dans la poche sa réponse classique où il décrivait ses ambitions de s’épanouir dans un grand groupe et d’avoir une belle carrière. Au moins son discours ferait un heureux dans l’assemblée avec son père.
Trois autres étudiants venaient de délivrer leurs discours. Sonnant plus faux les uns que les autres, Mike les avait à peine écoutés. Son regard se porta de nouveau vers l’assemblée face à lui et notamment vers une jeune fille brune au nez refait dont le menton toujours proéminent allongeait encore son visage. Il y avait une autre raison pour laquelle Mike n’avait pas voulu monter sur cette estrade aujourd’hui. Carla, vêtue elle aussi d’une robe de diplômée, était assise près d’un garçon aux cheveux châtain clair. Mike déstabilisé par sa présence jouait avec ses mains et soupira lorsqu’il croisait son regard.
Dernièrement les temps avaient été difficiles pour lui. Après être sorti avec la fille de l’associé de son père, pendant pratiquement six ans, il avait surpris cette dernière avec ce même garçon, assis à côté d’elle, dans un lit lors d’une fête organisée par des étudiants de son campus dans leur collocation.
La voir assise face à lui rappela l’immense peine qu’elle lui avait causée. Mike humilié depuis ce jour avait noyé sa peine dans sa salle de sport qu’il avait fréquenté tous les jours depuis cinq semaines. Ses parents ne savaient même pas pourquoi Carla et lui s’étaient séparés. Son père trouvait même la situation dommageable, triste de voir que le mariage qu’il avait toujours publiquement espéré entre eux ne se ferait jamais. George avait vu en elle une fille ambitieuse capable de tirer son fils vers le haut et lui permettre de s’épanouir professionnellement et socialement.
Mais son père avait eu tout faux, cette fille lui avait brisé le cœur. Carla n’avait jamais été une fille pour lui, Mike n’avait pas encore le recul pour le comprendre, mais il était resté tout ce temps avec elle, plus par convenance que par amour.
Obsédée par le regard des autres, Carla se pourrissait elle-même la vie en donnant autant d’importance à ce que les autres pouvaient penser d’elle. Mike ne lui avait jamais confessé à quel point la musique lui avait manqué dans sa vie. Mike ne s’était jamais vraiment livré avec elle. En fin de compte les deux n’avaient jamais communiqué.
Leurs parents, leurs études ainsi que leurs amis communs avaient longtemps alimenté cette relation superficielle vouée à l’échec.
Carla avait longtemps pris le relais de son père en lui dictant ce qu’il devait faire et comment il devait se comporter.
Elle lui avait toujours reproché son manque de confiance en lui ainsi que ses difficultés à s’affirmer en public et son manque d’affirmation. Six ans après Mike se laissait toujours beaucoup faire et fuyait toujours autant le conflit. Carla préférant le rabaisser sans cesse ne l’avait jamais aidé là-dessus.
Même après avoir fauté, elle l’avait rattrapé en pleine rue non pas pour s’excuser, mais pour le blâmer. Sous le regard de beaucoup de ses camarades pressés aux fenêtres, il l’avait entendu dire qu’elle ne pouvait plus rester avec un garçon qui n’avait pas de réelles ambitions et qui n’en voulait pas assez. Elle lui avait dit qu’il ne parviendrait jamais à rien dans la vie. Ses mots avaient été durs, le ton accusateur qu’elle avait utilisé n’était pas mérité. Mike avait été sonné en les entendant. Voilà pourquoi il redoutait de délivrer son discours devant cette fille qui lui avait brisé le cœur. La voir sourire avec son nouveau petit ami n’arrangeait rien. Il aurait tant aimé trouver les mots parfaits pour lui faire comprendre qu’elle avait commis la pire erreur de sa vie. Mais il n’y était pas parvenu.
Son tour approchait, Mike relit une dernière fois son discours.