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Âgé de dix-sept ans, le jeune Franck se retrouve subitement, et contre son gré, à jouer les pirates pour survivre. Ainsi, de nombreux événements le poussent à fuir et à rejoindre la mer des Caraïbes. Alors qu’il fouille une épave, il fait la connaissance de l’étrange Michel, dit le Breton, qui l’embarque dans la quête d’un trésor. L’aventure que s’apprête à vivre le Capitaine Franck William n’est pas celle à laquelle il aurait pu s’attendre. Entre catastrophes, mauvaises rencontres et fiascos, Michel l’emmènera bien au-delà de la simple découverte de l’or promis.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Sandrine M. Buttin a toujours été fascinée par les histoires de pirates. Avec humour et légèreté, elle fait intervenir des parts de vérités historiques dans ses récits. Fortement influencée par les chasses au trésor, les voyages et les épopées surprenantes des héros de son enfance, elle apporte des éléments inédits dans
L’étrange aventure du Capitaine Franck William - Tome I.
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Sandrine M. Buttin
L’étrange aventure
du Capitaine Franck William
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sandrine M. Buttin
ISBN : 979-10-377-6441-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Véronique Lanuzel, ma marraine de cœur.
Pour bien comprendre comment l’on devient « Pirate », il faut se remettre dans le contexte. Je n’ai pas choisi de devenir un flibustier. Ce « métier » s’est imposé à moi. Je suis né à Saint-Andrews en Écosse en 1690. Mon père était pêcheur et ma mère une simple femme de chambre. J’ai eu une petite sœur que j’ai à peine connue. Notre différence d’âge était importante et, vu les difficultés financières de mes parents, elle a été élevée par une famille éloignée et plus riche vivant dans les terres. C’était sans doute mieux pour elle.
Très vite, je me suis retrouvé à aider mon père, en jouant les petites mains à son retour de pêche, puis en m’intéressant à toutes les manœuvres qu’il effectuait dans le port, mais mon envie de prendre la mer à ses côtés s’est manifestée très vite. Mon premier jour sur son morutier1 est gravé dans ma mémoire. Je voulais par-dessus tout lui prouver que j’avais ma place, malgré mes onze ans. Mais c’était sans compter le mal de mer et mon manque d’expérience. J’ai vécu l’enfer sur l’eau durant plus de douze heures. Malade comme un chien à vomir mes tripes, parfois par-dessus bord, parfois dans un seau en bois et tantôt sur le pont. Je n’ai causé que des tracas à mon « vieux, » sans parler des deux matelots qui l’accompagnaient à chaque sortie. Cependant, je ne me suis pas débiné pour autant. Je voulais apprendre, il était hors de question que cette eau à remous m’empêche de découvrir le monde.
Une éducation à la dure a de bons côtés, mais elle peut aussi être à double tranchant. J’étais déjà extrêmement borné et le lendemain de cette malheureuse aventure, je suis reparti avec mon père. C’est ainsi que le mal de mer a, petit à petit, laissé la place à ma volonté.
Ce n’est que quelques mois plus tard que j’ai vraiment pu savourer mes sorties. Attraper les morues est une chose, mais sentir la liberté en est une autre. L’odeur de l’iode qui vous frappe en plein visage aux aurores, l’humidité de la brume qui transperce vos vêtements, le froid, le vent et les tempêtes, qui vous rappellent votre misérable condition humaine et votre infinie petitesse, vous apprennent le respect et l’humilité.
L’apprentissage de la pêche a été relativement facile, mais ce que je voulais moi, c’était apprendre à naviguer. Comprendre les manœuvres, anticiper les vents, et me diriger à l’aide des étoiles et du compas me fascinait.
Acharné et téméraire, n’ayant aucune notion scolaire, je me suis débrouillé pour apprendre à lire et à compter avec les faibles notions de mon cher père et les discussions avec les autres marins de Saint-Andrews qui me montraient et m’apprenaient ce qu’ils savaient.
Je pense que ce sont mes plus belles années dans l’insouciance. Certes, il y avait la Grande Guerre du Nord qui faisait du tapage et les bagarres de tavernes qui me rappelaient que la vie n’était pas simple, mais ce n’était rien, comparé à ce qui m’attendrait quelques années plus tard.
À l’âge de seize ans, nous partîmes en mer du Nord. Le voyage fut long, nous devions faire un détour par les Îles Shetlands puis nous rendre au Danemark. Ma mère, je m’en souviens, était très inquiète. Elle m’avait fait maintes recommandations et avait tenté de dissuader mon père de m’emmener. C’était peine perdue ; sans doute avait-elle pressenti quelque chose.
C’était la première fois que je quittais les zones de pêche habituelles et j’étais tiraillé entre l’anxiété et l’excitation de découvrir de nouveaux mondes. Je savais que plusieurs semaines nous attendaient en mer et j’espérais que le temps serait clément avec nous. La remontée jusqu’aux Îles s’est très bien passée. Nous devions rejoindre l’équipage de mon oncle qui possédait un plus gros navire et naviguer jusqu’à Esbjerg récupérer une cargaison d’épices et de papier pour le compte du Duc d’Édimbourg. Mon père avait été mandaté pour effectuer cette traversée en sus de la pêche, ce qui rapporterait une entrée d’argent non négligeable. C’était une première pour lui et il se mettait une pression que je ne comprenais pas encore.
Mon oncle, que je n’avais vu que quelques fois, était un homme brusque mais très organisé. Il ne perdait pas de temps en explications et en discours inutiles. Les ordres étaient les ordres et il ne fallait pas le contrarier. La veille de notre départ pour le Danemark, nous sommes sortis à la taverne. Cette soirée-là fut arrosée plus que de raison et mes oreilles de jeune homme absorbèrent une quantité astronomique de dialogues et d’échanges. Ces vieux loups de mer étaient terrifiés par ce qui les attendait. Les mots « pirates » et « flibustiers » se glissèrent à plusieurs reprises dans les discussions et cette peur que j’ignorais jusqu’alors finit par m’envahir également. Nous n’étions que très peu armés et James, le commis aux cuisines, qui avait fait quelques mois au sein de la Royal Navy, possédait un pistolet à Silex. C’était bien maigre face aux dangers que nous risquions de croiser en chemin. Mon père s’absenta durant plusieurs heures avec son frère et nous restâmes à les attendre avec James et plusieurs autres aux gars que je ne connaissais pas encore.
À leur retour, ils avaient obtenu, Dieu sait par quels moyens, plusieurs fusils et épées que nous emportâmes avec nous. Je n’avais jamais tiré avec une arme et je ne m’étais jamais battu avec une lame. Durant les deux premiers jours de la traversée, James nous expliqua ce qu’il savait des armes à feu, comment les charger et comment tirer. Nous nous exercions en visant les vagues. Quant aux épées, personne ne savait s’en servir et nous tentions maladroitement d’user de dextérité en simulant des combats avec un vieux sac en jute rempli de pelure de pomme de terre et de sable.
Nous savions au fond de nous que si nous nous faisions attaquer, nous perdrions. C’était une évidence. Seule la prière nous apportait le maigre espoir de passer entre les gouttes.
La traversée jusqu’au Danemark fut très calme. Plus les jours avançaient et nous rapprochaient de notre destination, plus nous relâchions notre vigilance. Après plus de trois semaines avec comme seule vision l’eau à perte de vue, les premières mouettes annonciatrices de la terre nous accueillaient et nous guidaient jusqu’à notre point d’arrivée.
Le calme avant la tempête s’était achevé.
Nous restâmes plusieurs jours à Esbjerg. Le temps pour le « vieux » de réunir ce qu’il devait transporter pour le voyage du retour et nous repartîmes.
***
Une semaine s’était écoulée depuis notre départ du Danemark. Une mer d’huile et un soleil de plomb nous rendaient léthargiques. Pas une brise de vent pour nous faire avancer. Nous étions des proies faciles et l’agitation de mon oncle rendait l’équipage nerveux et à raison.
Ils sont arrivés par surprise, nous n’avons rien pu faire. C’était un abordage minable et sans que nous ayons pu comprendre ce qui se passait, un équipage de barbares nordiques prenait le contrôle de notre deux-mâts. Une quinzaine de brutes nous tenait en joue. C’était fini. L’angoisse me tétanisait. Mon père tentait vainement de discuter avec ces étrangers et de sauver sa cargaison. Mais c’était trop tard. Pauvre vieux, il aurait mieux fait de se taire.
Leur chef empoigna mon père par le bras et aidé de deux de ses sbires, ils l’attachèrent au premier mât. En quelques secondes, mon paternel fut égorgé devant nous.
Le sang coulait sur le pont. Rien ne vous prépare à vivre cela. Je connaissais la rudesse de la mer et des pirates, mais cela restait des murmures pour moi jusqu’à ce jour.
C’est ainsi que le capitaine Björk, dit capitaine « Bones »2, un homme imposant, aux cheveux d’or et à la barbe blanche, prit le commandement de notre navire. Nous fûmes détournés de notre route et dirigés vers Oslo.
Prisonniers de pirates norvégiens, nous n’avions d’autre choix que d’obéir. James mourra durant le trajet, ainsi que mon oncle et cinq autres matelots. En deux jours, nous n’étions plus que quatre à avoir survécu. Aucune sépulture n’est offerte aux marins. Tous les cadavres avaient été balancés par-dessus bord, aucun sentiment ni adieu. Juste la mort donnée gratuitement pour avoir été là au mauvais endroit au mauvais moment.
Je ne savais comment réagir ni ce que je devais faire, mais ce que je savais au fond de moi c’était que je voulais vivre et, peu importait la manière dont j’y arriverais, s’il fallait que je devienne pirate, je le deviendrais.
J’ai donc changé ma manière d’aborder ces étrangers et j’ai tenté d’apporter mon savoir à Bones, afin de me rendre utile à ses yeux. Je ne connaissais pas grand-chose, mais ce que j’avais c’était la volonté, la force et mon intelligence. C’est ainsi qu’un jour où la tempête faisait rage, il cherchait sur une carte comment se rendre sur l’Île des Ours, mais impossible, vu la météo, d’y accéder. C’est là que je pris mon courage à deux mains et m’imposai vers lui. Je plantai ma dague sur la carte pour lui indiquer une autre Île qu’il n’avait pas vue et que je connaissais pour avoir écouté des marins dans une taverne aux Shetlands3. Je lui indiquais les coordonnées et tentais de lui faire comprendre que cette île n’était pas encore répertoriée. Il finit par céder et ordonna qu’on s’y rende. J’avais gagné quelques heures de sursis.
Arrivés sur le caillou, les vents s’étaient calmés et sans que je m’y attende, Bones se montra reconnaissant avec moi. Il m’offrit à boire et un siège à ses côtés. Son anglais était rudimentaire, mais je comprenais que cet homme avait été lui-même pêcheur avant de devenir pirate. Il me raconta son histoire, elle faisait écho en moi. Sa femme avait été exécutée sous ses yeux par l’armée anglaise et il avait fui avec son fils aîné. Ils avaient pris la mer, et furent engagés par l’armée norvégienne, d’abord pour combattre durant la guerre de Trente Ans, puis pour se défendre contre les voleurs des mers. Il n’avait eu d’autre choix que de tuer pour vivre. Dent pour dent. J’appris de lui, ce qui fut l’une de mes premières leçons. Chacun pour soi et Dieu pour tous. Il n’y a pas de place pour les sentiments. Ma haine pour cet homme devait être canalisée. Je me vengerai de lui tôt ou tard. Mais pour l’heure, je devais faire profil bas et m’adapter à mes nouvelles conditions de vie.
Nous restâmes plusieurs jours sur cette petite île, le temps que ce dernier devienne plus clément. Puis nous repartîmes pour Dublin. Arrivés dans cette ville, que je ne connaissais pas, ce salopard de capitaine vendit toutes les marchandises qu’ils avaient volées à mon vieux père et mena la grande vie le temps de tout dilapider. Mais il restait les papiers que nous étions venus chercher au Danemark. Ces documents devaient avoir une certaine valeur. Bones me convoqua un soir dans la cabine qu’il occupait sur notre navire et me les montra. Ces titres rédigés en anglais nous informaient que le prince Frédéric IV cédait au prince de Galle, Georges I, les terres qu’il possédait en Écosse. La transaction financière avait déjà eu lieu et les titres de propriété étaient les dernières pièces manquantes pour que la transaction soit officiellement établie. Ne pas les remettre à son propriétaire aurait des conséquences désastreuses. C’est ce que je tentais d’expliquer à mon stupide hôte. L’union de l’Angleterre et de l’Écosse était sur le point d’aboutir et une telle entourloupe aurait sans doute vite fait de raviver les conflits à peine finis.
Bones me limogea de ses quartiers et revint me voir quelques jours plus tard. Il avait eu une idée brillante, dangereuse et ô combien mortelle. En substance, il voulait faire chanter la monarchie galloise en les informant qu’il détenait les papiers que le prince Christian VII devait leur remettre et qu’il les restituerait à la couronne d’Angleterre contre une rançon. Il avait planifié son plan dans les moindres détails. Nous devions voguer jusqu’à Édimbourg et faire parvenir une missive au prince Georges pour forcer ce dernier à entrer en discussion avec lui. Son idée fixe était que la transaction se fasse sur mer, avec le moins de monde possible et éviter bains sang et pertes humaines inutiles.
J’étais très mal à l’aise avec cette idée, mais je n’avais pas d’autre choix que d’obéir. C’est ainsi que je rentrais enfin chez moi. Près de six mois s’étaient écoulés depuis mon départ et je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. Bien entendu, il était hors de question que j’entre en contact avec ma mère, mais j’y pensais tous les jours. Cette pauvre femme s’était retrouvée seule du jour au lendemain. Savait-elle seulement que son mari était mort ? Parallèlement à la rédaction de la demande de rançon, je lui écrivis une lettre pour l’informer que j’étais en vie et de tout ce qui s’était passé depuis notre départ. Elle ne pourrait rien faire, mais elle saurait.
Arrivé au port de la capitale d’Écosse, Bones envoya un de ses sbires apporter la bafouille que j’avais rédigée au château. La première étape était d’établir le contact. Il avait eu tout de même la présence d’esprit de ne pas donner rendez-vous pour la transaction tout de suite. Il m’avait fait noter une première rencontre dans une taverne malfamée du port que je fréquentais avec le vieux.
Nous attendîmes près d’une semaine avant qu’un délégué de la garde d’Écosse ne daigne venir à nous. Je ne sais pas lequel de Bones ou de ce gaillard était le plus terrifié et méfiant. J’observais avec d’autres leurs échanges et me demandais quel genre de négociations allait bien pouvoir aboutir ici.
Après quelques minutes de discussion, le délégué sortit du troquet et Bones nous fit signe de le rejoindre. Ce maraud avait eu l’audace de demander en échange des titres un galion rempli de vivres pour effectuer la traversée jusqu’aux Amériques. Nous restâmes pantois devant cette surprenante nouvelle. Ce vieux tas d’os ne voulait pas d’argent, il voulait l’aventure et il l’imposait à tous.
L’échange devait se faire d’ici une vingtaine de jours. Le temps pour le Duc d’Écosse de trouver le galion, les vivres et sans doute échafauder un plan meurtrier pour tous nous exécuter. De mon côté, je pris le risque de faire parvenir la lettre à ma mère. Je n’ai jamais revu le petit à qui j’avais confié cette tâche et jamais je n’ai su si ma mère avait eu cette correspondance.
Vingt jours plus tard, un coursier de la garde royale vint à notre rencontre et nous informa que le lieu de rendez-vous, à l’extérieur du port, se passerait dans deux jours. En guise de bonne foi, il remit au capitaine Bones une caisse remplie de bières et demanda en échange qu’un titre de propriété lui soit déjà remis. Il s’exécuta.
La tension m’envahissait, je sentais au fond de moi que les choses allaient dégénérer. Aux aurores, de notre hypothétique départ, l’angoisse me tiraillait les tripes et je sentais que cette pression était contagieuse. Bones n’avait pas fermé l’œil de la nuit et s’était enivré jusqu’à devenir totalement incohérent. Aussi minable qu’il pût l’être, je compris à cet instant, que lui-même ne croyait pas en son plan et qu’il s’était fourvoyé dans ses rêves. Mais nous étions engagés et l’impasse dans laquelle ce capitaine de pacotille nous avait emmenés n’avait d’autre issue que celle d’aller au bout de cette pathétique exécution.
Le silence nous accompagnait et nous naviguâmes jusqu’à notre lieu de rendez-vous. Nous arrivâmes en avance et observâmes les horizons jusqu’à ce qu’au loin, une flotte de trois bateaux de guerre venant à notre rencontre apparut. Muni de la longue-vue que le capitaine arracha à son guetteur, il se mit à rire de joie et d’espoir. La garde royale avait tenu parole, un galion aux couleurs différentes les accompagnait. Leur approche fut interminable et la crainte me tétanisait. J’aurai tout donné pour être ailleurs qu’ici.
Une première corvette nous accosta et un « perruqué-empoudré » nous dévisagea de la tête aux pieds. À ses côtés, deux gardes armés le protégeaient et il fit un bref signe de tête à Bones pour que ce dernier le rejoigne. J’observais la scène dans ses moindres détails attendant le piège, attendant l’attaque. Ivre, notre misérable capitaine manqua de tomber à l’eau tant sa démarche n’était pas assurée. Il finit par arriver vers son interlocuteur.
Selon l’accord convenu, le galion, qui nous accompagne, est dorénavant votre propriété.
À cet instant précis, je me retrouvais sur le devant de la scène, nommé et impliqué officiellement dans cette affaire. Diable ! Voilà où j’en étais. Je devais assumer une tâche que je ne voulais pas, face à des gens armés et en qui je n’avais aucune confiance. Je me retrouvais pirate sans que je le veuille. On m’avait poussé à être mêlé à tout ceci. Je n’avais pas dix-sept ans que je me retrouvais à devoir assumer les décisions d’un autre qui avait tué mon père, tué certains de mes compagnons d’infortune et m’imposait encore sa prise de risque.
Bones me fusilla de son regard vitreux et hurla après moi.
Chancelant, je pris le coffre et m’avançai en direction de notre partie adverse. En me dirigeant sur la passerelle qui liait nos deux bateaux, je constatai avec effroi que j’étais mis en joue par pas moins de quinze soldats et qu’eux-mêmes étaient sous la surveillance des vingt pirates qui m’accompagnaient.
J’arrivai enfin vers monsieur Perruque et lui tendis la précieuse petite boîte en bois. Sans un regard et de ses mains gantées, il prit le coffret. Un vague sourire se dessina aux commissures de ses lèvres et il plongea son regard dans le mien.
Interloqué et ignorant, si tel était bien le cas, je regardais brièvement le capitaine Bones qui semblait dormir debout. Impossible pour moi d’obtenir un quelconque soutien de ce guignol.
Abasourdi, comment cet inconnu pouvait-il me connaître et connaître mes origines ?
Comme vous vous en doutez certainement, nous nous sommes renseignés sur les identités des personnes qui naviguent aux côtés de Björk. Le Duc d’Édimbourg avait une profonde estime pour votre père, c’est pour cette raison que la mort ne vous sera pas donnée. Cependant, s’il manque ne serait-ce qu’un document dans ce coffret, vous serez tous éliminés séance tenante.
À peine monsieur Perruque avait terminé sa phrase qu’un grand fatras se fit entendre. Bones s’était écroulé sur le pont.
À la moindre entourloupe, il me suffit d’un clignement de paupières pour que tous les gardes armés sur ce bateau et ceux qui nous accompagnent fassent feu.
Le regard médusé, je me retournai vers mes acolytes et leur fis signe de venir sans heurts.
Nous étions tous réunis sur leur navire quand Bones fit son retour parmi nous et de la plus désastreuse des manières.
Chancelant, il se baissa et attrapa son mousquet qu’il avait dissimulé dans sa botte droite. D’un geste brusque, il pointa son pistolet à dix centimètres de la tête de monsieur Perruque. Personne n’avait anticipé cette attaque.
Les deux hommes armés placèrent immédiatement en joue notre capitaine, lequel, par crainte, se mit à hurler et chargea son arme. Le coup de feu parti presque immédiatement, explosant la tête de monsieur Perruque comme une pastèque, sa chevelure tomba à terre, comme une crêpe sautant en l’air et qui aurait manqué la poêle. Monsieur Perruque s’effondra face contre terre. Tel un fin ruisseau, son sang se mit à couler entre les jambes de Bones. Il prit soudain conscience de son geste et dans un ultime combat pour sa misérable existence, et peut-être pour la nôtre, il se mit à tirer sur toutes les personnes se trouvant dans sa ligne de mire. Je m’accroupis et fis signe aux autres d’en faire autant. Les mains sur ma tête, je ne voyais que ceux qui tombaient sur le pont. Quelques coups de feu plus tard. La tête du capitaine Björk alla rejoindre celle de monsieur Perruque. Me relevant, je ne pus que constater le massacre, Bones avait abattu pas moins de trois personnes, dont une de notre camp. Les négociations étaient terminées et nous nous retrouvâmes coincés sur cette corvette encerclée par douze hommes armés.
De notre côté, nous nous étions quelque peu préparés à une éventuelle attaque, nous avions pris avec nous nos demi-piques et des coutelas. Ne voulant pas payer le prix fort pour les erreurs de Bones, nous dégainâmes, sans nous concerter, nos armes de poing. Acharnés et nous battant pour nos vies, nous attaquâmes à notre tour. Pour la première fois, je découvris le goût du sang. Je devais me battre et ne pas réfléchir aux conséquences de mes actes. Je me mis à planter le soldat qui se trouvait proche de moi, lequel n’avait pas eu le temps de charger son arme. Le sang traversa ses vêtements, mes mains en étaient couvertes. Mes doigts collaient sur mon couteau, je continuais de planter ce malheureux jusqu’à ce qu’il ne se débatte plus. Sans m’attarder sur son sort, je cherchais des yeux ma prochaine victime et ainsi de suite. Attaquant sans relâche tous ceux qui n’étaient pas avec nous, aucune pitié ne nous animait ; impossible d’écouter les supplices ni les râles. Nous gagnâmes notre liberté par le prix du sang et de la mort. Les deux autres corvettes qui accompagnaient feu monsieur Perruque avaient quitté les lieux, laissant le galion à la dérive. Sans doute étaient-ils repartis chercher de l’aide.
Nous avions tué pas moins de huit personnes. De notre côté, trois furent légèrement blessés et un mort alla rejoindre Bones. Abandonnant la corvette mortuaire, nous embarquâmes avec nous les quelques survivants, un maximum d’armes et leur nourriture. Laissant le coffret et les documents proches de Björk et de monsieur Perruque, nous regagnâmes notre navire pour aller récupérer le galion qui nous fuyait.
J’avais basculé dans la piraterie la plus barbare. Mais l’heure n’était pas à l’analyse de mes actes. Nous devions partir et vite. La peur au ventre, nous n’avions que très peu de temps. La course ne faisait que commencer. À peine avions-nous regagné notre bateau pour chasser notre proie que l’un des soldats, qui avait embarqué avec nous, eut la brillante idée de tirer dans la coque de notre navire. Penché par-dessus bord, il tira à six reprises avant que l’un de nous ne le balance à la mer. Trop tard, quatre trous, les uns à côté des autres, se trouvant à hauteur de mer, laissaient suffisamment d’eau s’infiltrer. Dans peu de temps, le bois commencerait à céder et le naufrage serait notre seule issue. Il fallait faire vite. Je sautai dans la barque d’appoint, accompagné de deux de mes amis, et nous nous mîmes à ramer comme des diables, tout en promettant aux autres que nous reviendrons les chercher avec le galion.
Le temps était contre nous dans tous les sens du terme. Les vents commencèrent à se lever, la barque tanguait, le galion s’éloignait et nous devions nous dépêcher de le rejoindre. Epuisés et trempés jusqu’aux os, l’eau de mer brûlait notre peau et nos blessures quand nous nous approchâmes suffisamment du navire. Nous nous hissâmes avec toutes les peines du monde à bord de notre nouveau vaisseau. Mais l’heure n’était pas encore au repos, à peine avions-nous posé un pied sur le pont que nous entendîmes nos amis hurler de terreur. Notre ancien navire piquait du nez dans les eaux noires de cette mer en colère. Cependant, ils étaient restés accrochés à la corvette de la mort. Cette situation était on ne peut plus dangereuse. Alors que le navire de guerre déserté maintenait notre bateau à flot, il n’était plus dirigé et le moindre coup pouvait briser notre embarcation et, non seulement entraîner sa perte, mais également celle de la corvette. Un choix cornélien devait se faire et vite. Il fallait rompre les liens sans attendre.
Pendant ce temps, nous nous démenions pour faire avancer le galion. Je ne connaissais rien aux manœuvres de ce gigantesque vaisseau, à nous trois nous étions démunis et totalement ignorants. Les voiles, Dieu merci, étaient abaissées, mais nous devions les hisser. Après plusieurs tentatives, nous parvînmes à gonfler la grande voile. Je me mis à la barre, et, après des minutes interminables, nous nous approchâmes de notre équipage, lequel s’efforçait de sauver ce qui pouvait l’être en balançant par-dessus bord des tonneaux remplis de vivres. La corvette s’était éloignée, la mer la balançait comme une coquille errant sur l’écume. Dieu seul pourrait l’amener à bon port. Nous avions pris la bonne décision. Il fallait la laisser partir et permettre à l’armée de la récupérer, enterrer ses morts et mettre la main sur les papiers. Du moins, c’est ce que je souhaitais.
Pour ne rien arranger, la pluie vint rejoindre la tempête. Les hommes à la mer tentaient de s’accrocher aux cordes rêches et coupantes. Certains mettaient toute leur énergie à attacher les tonneaux, lesquels roulaient sur l’eau. Épuisés et à bout de nerfs, plusieurs de mes amis abandonnèrent et sombrèrent.
Au final, après nous être tant battus pour nos vies, nous nous retrouvâmes dix-huit à bord du galion le « Silver Deer »4. Nous avions pu sauver deux tonneaux et perdu au total une dizaine d’hommes.
La mer se calma enfin et un peu de répit nous fut accordé.
Pour la plupart d’entre nous, c’était la première fois que nous montions à bord d’un vaisseau pareil. Notre excitation et notre anxiété à manœuvrer un tel bâtiment nous effrayaient. Il devait mesurer pas loin de cinquante mètres. Sur son pont principal, plusieurs écoutilles pouvant accueillir une trentaine de canons étaient toutes vides. Aucune arme à feu n’était à notre disposition. Sur le château arrière se trouvait le mât d’artimon, ainsi que le gouvernail. Sur le pont principal, se trouvaient naturellement le grand mât, ainsi que le cabestan5 et enfin sur le château avant, dominé par cette magnifique proue représentant un buste de cerf argenté, se trouvait le mât de misaine. Chacun des mâts portait trois voiles. Un réseau complexe de cordes maintenait tous les liens entre eux. Nous étions impressionnés par la technique à laquelle nous allions devoir faire face.
Nous partîmes ensuite explorer le vaisseau. Juste sous les ponts y étaient installées une très vaste cuisine et deux grandes chambres. L’une devait être celle du commandant et l’autre de son état-major. Elles étaient sommairement meublées, mais l’essentiel y était. Un lit, une grande table faisant office de bureau, quelques cartes maritimes, des instruments de navigation, et quelques livres. Dans une armoire dissimulée près du bureau, une réserve de bougies était stockée dans une caisse en bois.
Nous continuâmes la visite. À l’étage du dessous, les soultes de l’équipage y avaient été aménagées. Plusieurs hamacs étaient déjà installés. Deux autres soultes plus petites semblaient être les chambres, ressemblant plus à des cellules, elles étaient destinées soit pour un éventuel ennemi, soit pour y entreposer des vivres.
Nous descendîmes au dernier niveau, le plus important. Nous espérions y trouver des stocks de nourriture, des biscuits secs, de l’eau ou encore pourquoi pas du vin. Rien. La cale était totalement vide, hormis une faible quantité de corde moisie.
L’armée anglaise n’avait pas manqué sa mission. Certes, elle avait tenu parole en « offrant » ce galion, mais elle l’avait bien entendu donné vide et sans doute n’était-ce pas notre seule surprise. Nous devions vérifier impérativement l’état du bateau. Fourbes comme ils étaient, il n’était pas impossible que ce navire soit une tombe en sursis, prête à couler à la moindre catastrophe.