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Christophe se retrouve brutalement dans une étrange aventure. Après avoir perdu le contrôle de son véhicule, il découvre une autre forme de vie. Par son métier de chasseur de fantômes et sa fascination pour le paranormal, il comprend vite qu’il n’appartient plus au monde des vivants. Entre la recherche de la vérité sur la vie après la mort et un bilan profond de son existence terrestre, Chris va ouvrir des portes auxquelles il ne s’attendait pas. Rencontres étranges, prises de conscience… les conséquences de son accident auront un impact majeur sur les événements qu’il expérimentera.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Sandrine M. Buttin s’est toujours intéressée aux questions métaphysiques. Entre documentaires sur les EMI – expériences de mort imminente –, témoignages sur les apparitions de fantômes et lectures sur le paranormal, elle apporte dans cette aventure particulière un regard différent. Ouvrir le champ des possibles par l’imagination pour laisser la réponse à cette éternelle question à l’interprétation de chacun avec, peut-être, un petit plus. L
a nuit de ma mort est le quatrième roman de l’auteure.
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Sandrine M. Buttin
La nuit de ma mort
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sandrine M. Buttin
ISBN : 979-10-377-6288-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma sœur, Véronique Keatley qui a toujours cru en moi.
Je n’ai pas compris ce qui s’est passé. Tout est allé tellement vite. En une fraction de seconde, ma vie a basculé dans les obscurs sentiers du trépas.
Il devait être aux alentours de minuit, je rentrais chez moi en empruntant une route sur laquelle je ne circulais jamais entre Satigny et Ferney-Voltaire. J’étais épuisé. J’avais passé une bonne partie de la journée et de la soirée chez des gens pour prendre des mesures sur les esprits occupant leur maison. Drôle d’histoire, j’y reviendrai.
Je n’ai pas vu ce renard ou cette biche courir sur la chaussée devant ma voiture. La nuit était sombre, je venais de quitter le tunnel qui traversait une partie de la forêt. Les arbres qui la bordaient filtraient toute source de lumière, seuls les phares de ma voiture me guidaient. J’étais seul. D’ailleurs, je ne me souviens pas si l’animal a survécu ou non. Je ne l’ai jamais revu.
Étrangement, je ne me rappelle pas non plus la douleur, non aucune souffrance. Mais cette singulière sensation de rêver, d’être somnolent. Je suis resté à côté de mon corps, observant les secours s’affairer autour de ma voiture, la désincarcérant comme on éventre une épave. Les cris, le bal des gyrophares, les bruits du métal, tout ceci me concernait, mais aussi bizarre que cela puisse paraître, je ne réalisais pas la gravité de la chose.
Il paraît que le cerveau coupe l’analyse des chocs et qu’il fuit tout ce qui a trait à sa propre mort. Un individu ne peut pas penser de manière saine à sa disparition. Il peut l’envisager et la comprendre pour les autres, mais pas pour lui-même. Je me rappelle avoir lu cela dans un article d’une revue scientifique. C’est passionnant ce que le corps humain est capable de faire.
Ce qui ressemble le plus à ce que je peux vous décrire, c’est que la réalité dans la mort est proche des images que l’on regarde sur les écrans. Tout semble être en deux dimensions. Mais à bien y réfléchir, je pense que c’est parce que la personne morte se trouve elle-même dans une dimension supérieure à celle des vivants. Un filtre de plus, juste un !
Puis, je me suis retrouvé dans l’ambulance, j’étais l’ambulance, je regardais mon enveloppe charnelle qui était déjà recouverte d’un drap blanc. Je ne voyais pas mon visage. J’écoutais le personnel soignant qui discutait à voix basse, j’étais avec eux, j’étais entre eux. Je n’étais pas triste, je n’ai pas pensé une seconde à la suite, je n’avais plus peur. Comment suis-je arrivé à accompagner ma dépouille à la morgue ? Aucune idée. Sans doute de la téléportation, comme dans les films de science-fiction. Dans le monde des morts, il suffit de penser à l’endroit où l’on veut se rendre pour s’y trouver ; c’est instantané. Le temps n’existe pas, cette notion disparaît et on ne le réalise pas tout de suite. On continue à se fier à ce repaire, mais il n’est plus tangible.
En revanche, il me semble avoir assez vite intégré que j’étais mort. Il n’y a pas eu de lumière ni de « tunnel » ; pas tout de suite en tout cas, comme dans les documentaires sur les expériences 1de mort imminente que j’avais pu voir. Il s’est passé quelque chose de similaire, mais après ma mise en terre.
Les jours qui ont suivi mon décès, je me suis baladé au gré de mes envies, j’ai expérimenté cette facilité de déplacement et m’en suis délecté. C’est comme dans les rêves, ceux où l’on vole, sauf que c’est réel. C’est une liberté, une joie permanente. J’en ai profité pour rendre visite aux personnes que j’avais connues dans ma vie, je voulais savoir si ma disparition les touchait. Par contre, j’ai mis plus de temps pour me confronter à mes proches, je n’étais pas prêt à être face à leur tristesse ni à ressentir cette douleur. J’avais peur de la vivre et qu’elle me ramène dans cette réalité que je fuyais.
J’ai revu ma famille le jour de mes obsèques, mais je ne suis pas resté. À la place, je suis allé rendre visite à celle que j’avais quitté le soir de mon accident, car je voulais des réponses. Je savais que ces personnes souffraient de phénomènes paranormaux et que des fantômes, soit des âmes comme moi – du moins je le supposais – s’y trouvaient.
Ma surprise fut une déception.
J’ai erré dans cette maison, j’ai essayé de toucher des objets, de déplacer des meubles, d’appeler à l’aide, mais en vain. Je suis simplement resté là, constatant mon impuissance à me faire entendre et remarquer. Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé.
Il me semble que cette période de solitude et d’apprentissage a dû durer trois semaines. Ce qui me permet de me rappeler ceci, ce sont les dates. Ma mort est arrivée fin février, le 25. Je m’en souviens, car il faisait froid, et la neige était tombée quelques jours auparavant. Mon enterrement est intervenu une semaine après. Puis, il me semble me souvenir de ma première rencontre avec un autre défunt, le 10 mars.
J’ai cherché mes semblables partout où je pensais les trouver. Je suis retourné au cimetière, à l’hôpital, dans les églises. Je me suis rendu sur des lieux d’accident. Personne, pas âmes qui vivent. Quelle ironie.
Finalement, j’ai croisé Marie en vieille ville de Genève, assise sur un banc à attendre le bus. J’ai su qu’elle était un fantôme quand j’ai vu quelqu’un s’assoir sur elle, la faisant disparaître comme un hologramme. J’ai attendu que le vivant s’en aille pour m’approcher.
Elle semblait être là depuis longtemps. Sa tenue vestimentaire rappelait celle de la belle époque des années 30. Sa coiffure remontée en chignon épinglé sous un chapeau ne laissait pas de doute sur son temps.
Ne sachant comment l’aborder, j’ai voulu commencer par me présenter et là, ce fut le blanc.
Planté devant Marie, elle me regardait sans vraiment me voir, puis elle me parla.
Et vous ne savez plus comment on vous nommait.
Les cimetières ne sont pas là uniquement pour que les vivants se souviennent des morts, mais aussi pour que les morts se rappellent qui ils ont été.
Certes, ils sont vides, mais il n’en demeure pas moins qu’ils restent des lieux de passage…
En un clignement de paupières, nous nous retrouvâmes à côté de ma pierre tombale au cimetière Saint-Georges. Elle pointa du doigt.
« Christophe Meyer, 1980 – 2020 »
En me regardant d’un sourire plein de douceur et de compassion, la vieille femme me salua.
Je me nomme Marie Von Hart.
Venez ! Je vais vous montrer, mon corps se trouve de l’autre côté de la parcelle.
Sa stèle était là depuis plusieurs décennies, l’érosion avait fait son travail et les ravages du temps s’étaient inexorablement attaqués à la décrépitude de la pierre. Cependant, je pouvais encore distinguer de faibles écritures sous la mousse et les feuilles mortes.
« À notre bien-aimée mère et épouse, Marie Von Hart, née Gaillard, 1877 – 1929 ».
Pourquoi êtes-vous encore sur Terre ? Il n’y a donc pas d’issue, nous sommes bloqués ici, où sont les autres ?
Marie, le regard perdu dans le vague, ne me répondit pas immédiatement.
En me regardant, Marie me sourit puis s’évapora dans le crépuscule.
Seul, posté à côté de cette pierre, l’unique personne avec laquelle j’avais été en mesure de communiquer me laissa sans réponse.
Étrangement, aucune anxiété ne vint me tirailler, j’observais ce champ de mausolées à l’affût d’autres spectres qui, comme moi, seraient en quête d’explications.
En m’approchant du portail, je fis ma seconde rencontre. Un homme d’une cinquantaine d’années vêtu d’un costume militaire et coiffé d’une casquette m’interpella bruyamment.
Marie vous a amené ici et je prends le relai. Suivez-moi, l’instruction va commencer dans quelques minutes.
Le gradé fit mine d’ignorer ma question et, flottant au milieu de ce champ de repos, me guida sans que je comprenne comment, dans un immense hall industriel grouillant d’ectoplasmes de toute nature.
Un personnage s’adressa à nous par télépathie. Jamais je n’avais connu une telle expérience. Sans que je puisse le réaliser pleinement, cette étrange sensation s’était imposée à moi. Si je tente de l’expliquer, c’est comme des pensées qui viennent s’immiscer dans votre imaginaire, mais par le biais d’un narrateur externe. À ce jour, je ne sais toujours pas qui a communiqué avec moi. Dieu ? Un être de lumière, ou un extraterrestre ?
Tout est allé tellement vite, on ne peut pas apprécier l’événement. Quand j’en parle et j’y pense, c’est comme retenir un nuage avec un filet. Il s’évapore, il disparaît. Tout ceci paraissait extrêmement logique et fluide. Il ne m’en reste qu’un souvenir bref et instantané.
En substance, j’ai compris que nous étions réunis pour nous rendre dans l’autre monde, que les guides viendraient chercher chacun d’entre nous. Mais je suis resté à quai. J’ai vu une sorte de tunnel, j’ai vu la lumière, mais j’ai refusé de suivre ce chemin. Je sentais que je devais rester sur Terre. Quelque chose manquait.
Je devais poursuivre mon travail dans une vie parallèle.
Lors de ma mort, j’ai perdu tous mes repères, mon identité, mes connaissances. En voyant mon nom gravé sur le marbre, une partie de mes souvenirs est revenue. Mais c’est quand j’ai rencontré mon guide que les choses se sont enfin éclairées.
Après avoir refusé de prendre le passage, un « ange », qui s’est présenté à moi sous le patronyme de « Vic », m’a expliqué qui j’étais et pourquoi il était préférable que je reste encore un peu sur Terre.
Je me suis souvenu de ma vie humaine. Depuis mon adolescence, je chassais les fantômes. Je visitais tous les lieux abandonnés chargés d’histoires. Je ressentais les énergies et cela me fascinait, voire m’obsédait. J’ai suivi une formation universitaire en histoire et en biologie. Puis, j’ai continué mes recherches dans le paranormal où j’ai rencontré des scientifiques qui, tout comme moi, étaient déterminés à percer le mystère de la vie après la mort. Je me suis remémoré les prénoms de deux de mes amis : Yves et Frédéric.
Des flashbacks de nos aventures m’ont été remémorés. Comme les scènes d’un film qui ont été choisies, ciblées ; des piqures de rappel en quelque sorte.
J’ai cru comprendre au travers de ces souvenirs que ma mission en tant que chasseur de fantômes devait continuer dans l’au-delà pour aider l’humanité à comprendre la mort et en percer son mystère.
Je devais trouver le moyen de communiquer avec les vivants. Après m’être retrouvé seul dans cet étrange hall d’usine. Je me rendis chez Yves. Je savais que mon ami ingénieur aurait tout l’attirail me permettant de lui parler.
Fort de cette idée, j’atterris au centre de son labo. Il ne s’y trouvait pas.
Je me mis à observer la pièce. Des câbles, des ordinateurs, des appareils de mesures, des enregistreurs numériques, des radios, une planche Ouija, des caméras et des lampes infrarouges étaient soigneusement rangés. Sur son bureau, un article de presse parlant de mon accident était étalé, une tasse de café posée dessus. À côté de son ordinateur principal, une photo de nous avec Frédéric que nous avions prise lors de notre première mission. Je me suis surpris à ressentir une émotion de tristesse et de mélancolie. Je ne pensais pas qu’en étant devenu fantôme de tels sentiments me seraient encore donnés. Les stigmates de cette première aventure revenaient en un éclair, les rires et les voix se firent entendre, je revivais chaque moment, je voyais la maison, je sentais l’odeur de moisi, je ressentais la chaleur étouffante de cet été qui imprégnait l’intérieur de cette bâtisse. Comme si cette séquence de vie était mon présent. Après cette étrange parenthèse temporelle, les mots de Marie me firent échos. « Le temps n’est qu’illusion ». Je vivais une expérience quantique sans que je ne puisse l’expliquer rationnellement. Frustré, ce que j’aurais voulu absolument décrypter et analyser, si j’avais vécu un tel événement vivant, s’évanouit comme un rêve au réveil.
En attendant Yves, je me suis exercé à toucher les objets qui habillaient la pièce. D’abord, je tentais de déplacer une photo, puis d’attraper un crayon. Rien. Mes mains traversaient chaque bibelot et j’en ressentais leur structure moléculaire. Je compris, là également, de manière complètement intuitive que l’énergie qui constituait la matière n’était plus la même que la mienne.
Il fallait que je trouve un moyen pour modifier mon carburant spectral pour entrer en interaction avec les sens de ce monde. Mon ancien univers.
Peu à peu, je réalisais à quel point il était difficile, voire impossible, de communiquer avec les humains.
Je me mis à la place des fantômes que j’avais pourchassés toute ma vie. Sans doute que la plupart d’entre eux entraient en contact avec les vivants de manière involontaire. Comment pouvaient-ils maîtriser leur énergie ? Nous avaient-ils observés ? Avons-nous réellement pu entrer en contact avec eux ? Je me mis à remettre en question toutes mes expériences, même les plus folles.
Cependant, j’étais intimement persuadé qu’Yves et Frédéric devaient essayer avec moi ! Peut-être l’avaient-ils déjà envisagé ?
La nuit était tombée, j’avais passé ma journée, enfin c’est ce que j’imaginais, à attendre mon ami chez lui. Par moment, en tant qu’ectoplasme, j’ai des absences. Je pars, je me déconnecte. Mais je ne sais absolument pas où je suis. Rester sur terre est un acte très gourmand. Est-ce que ces absences sont une sorte de sommeil ?
Yves arriva enfin, en regardant la montre de la cuisine, il était 22 heures 30. Je l’observais depuis le fauteuil du salon et je me mis à l’appeler. C’était la première fois que je fis l’effort de prononcer des mots. Car le langage se fait uniquement par la pensée dans le monde des morts. On ne réfléchit absolument pas à notre manière de communiquer.
Ma propre voix me surprit. Je l’appelais dans le vide. Je me mis ensuite à un parler plus fort, toujours aucune réaction. Puis, je hurlais son prénom au milieu de son salon. Il tourna la tête, il avait entendu quelque chose. Je recommençai.
Ce dernier, qui avait allumé la radio, l’éteignit. Il demeura dans le silence à l’affût du moindre bruit.
Je l’appelai à nouveau. Contemplant mon ami, je vis son visage s’illuminer, m’avait-il entendu ?
Fou de joie, j’aurais pu en pleurer. Mais cette sensation disparut comme un souvenir. Je crois que le fait d’être décédé, par moment, c’est comme une personne qui est amputée d’un membre. Son cerveau se rappelle des sensations, alors que la jambe n’est plus. Mais un esprit n’a plus de corps, plus de cerveau non plus. Nous ne sommes que le produit de notre propre imagination et de notre conscience. Apprendre à vivre, si j’ose m’exprimer ainsi, en tant que spectre, n’est pas une mince affaire.
Premièrement, notre identité physique disparaît, notre corps ne nous appartient plus. Nous n’avons plus aucune prise sur quoi que ce soit, nous flottons dans une atmosphère sans oxygène, plus d’apesanteur, comme dans l’espace en quelque sorte. Nous traversons tout, nous ne sommes qu’énergie. Un concentré d’énergie telles de minuscules supernovas ayant implosé sur elles-mêmes. Aucun sentiment de lourdeur, plus de limites. Intégrer toutes ces nouvelles données prend du temps. Après l’exaltation de la découverte, il y a l’apprivoisement et l’apprentissage. Cependant, nous sommes tout de même attirés par une sorte de force. Au début, je ne comprenais pas ce que c’était, je pourrais les décrire comme étant semblables à la force magnétique des aimants. Les pôles positifs et négatifs positionnés de telle manière à nous attirer ou nous expulser.
Soudain, je me rappelais nos dernières découvertes. L’énergie nucléaire, bien qu’extrêmement dangereuse, était notre solution pour enfin entrer en contact avec les défunts. En effet, nous suivions de près les découvertes sur le boson de Higgs, communément appelé « particule de Dieu » et son influence sur l’énergie électromagnétique et nucléaire. Cet élément était pour nous la clé qui nous permettrait de faire le lien entre les énergies des mondes qui nous entourent et qui sont inaccessibles à la constitution humaine.
Frédéric s’était procuré des coupes et des vases en ouraline2. Datant du XIXe siècle, ces derniers dégageaient une petite quantité de radioactivité grâce à l’uranium dont ils étaient constitués et, avec laquelle nous avions bon espoir de pouvoir attirer et communiquer avec les esprits. L’idée d’Yves était de combiner les objets en verre d’ouraline avec d’autres sources électroniques, pour créer un une sorte de catalyseur à spectre.
Nous n’avions cependant pas encore pu tester ce projet. Fred s’était longuement renseigné sur les propriétés de l’ouraline et les raisons pour lesquelles on avait jugé opportun d’intégrer de l’uranium dans du verre. Selon la théorie, cet élément avait pour but de renforcer le verre et lui permettre de supporter des températures très élevées, par ailleurs cela lui donnait des couleurs étranges et variées et conférait au verre une brillance sans égal. Dans les années 1830, jusqu’en 1940, on donnait au verre d’ouraline des propriétés médicinales et il était régulièrement utilisé dans les cures thermales et autres thérapies. Ce n’est qu’après 1940 que la dangerosité de l’uranium a été confirmée.
Étant mort, je me demandais quelles conséquences aurait ma constitution énergétique face à une infime, mais non des moindres, influence radioactive. Laissant mon ami, je me rendis immédiatement dans le labo et je trouvais le fameux coffret. En m’approchant de la boîte, je ressentis des électrochocs, comme si mon ectoplasme vibrait. Voulant en savoir davantage, je pénétrais dans la boîte. Mon étonnement fut tel, que ce que je m’apprête à exprimer est, je pense, l’une des expériences les plus dingues et bizarres que j’ai testées dans cette nouvelle forme de vie.
Quand je me suis retrouvé à l’intérieur de l’écrin, l’énergie que je dégageais se mit à devenir phosphorescente. Je me mis à distinguer les contours de ma forme spectrale. Je pouvais me moduler à souhait. Il n’y avait aucune limite. Avec la couleur et la brillance que je dégageais, je voyais comme de mon vivant.
Je sortis du coffre et je constatai que la lumière de mon énergie demeurait. Je continuais de briller comme une étoile au milieu du labo. J’étais chargé comme une batterie sortant de charge.
Nous avions eu l’idée du siècle. Cela marchait ! J’étais persuadé que mes amis allaient non seulement m’entendre, mais également me voir.
Fort de mes convictions, je me transportai immédiatement au salon. La lumière était éteinte et plus personne n’était assis sur le canapé. Cherchant du regard une horloge, il était 3 heures du matin.
Encore une fois, la notion du temps terrestre m’avait échappé. Dans mon esprit, je n’étais parti qu’une poignée de minutes. Seul dans la maison, je sentis un immense abattement et un désespoir m’envahir.
Je n’appartenais plus à ce monde.
Mes idées, mon identité tout disparaissait inexorablement, je devenais un souvenir, même pour moi.
Il fallait que je me raccroche à ma source. Je n’étais jamais retourné chez moi depuis mon décès. Je ne savais pas ce qu’il était advenu de mes affaires et de mon logement.
J’aurais aimé marcher ce matin-là, j’aurais aimé sentir l’odeur de l’humidité vivifier mes narines. J’aurais tant aimé respirer. L’euphorie que j’avais éprouvée en découvrant ces nouvelles facultés dans la mort était retombée comme un soufflé. La vie me manquait.
Pourquoi n’avais-je pas pu éviter cette bête qui avait surgi de nulle part cette fameuse nuit, pourquoi avait-il fallu que ma mort arrive à ce moment-là. Je repassais le film de mon accident dans mes pensées, je revoyais les arbres défiler à la lumière des phares de ma voiture, je revivais cette fatigue, les émotions que j’avais vécues avec cette famille remplie d’angoisse et de peur. J’analysais chacune de mes paroles et de mes réflexions, je réalisais à quel point je n’étais absolument pas concentré sur mon trajet. La colère, la tristesse et l’angoisse liées à cet événement sur lequel je n’avais eu aucun contrôle me ramenèrent instantanément dans cette forêt. Brusquement dans la pénombre, les phares d’une voiture se firent apercevoir au travers des branches. Je me postai au bord de la route.
De l’autre côté de l’asphalte, je crus entendre des bruits de pas et des craquements de branche. La voiture arrivait. J’espérais que l’animal n’allait pas bondir au milieu de la chaussée et causer un accident identique au mien.
Pris de panique, je courus pour traverser la route et chasser cette bestiole.
Au même moment, je vis le véhicule se rapprocher et freiner sans pouvoir s’arrêter. Il finit sa course en s’encastrant dans le sapin juste à côté de moi.
Je n’en croyais pas mes yeux. Cette voiture ne m’était pas inconnue. C’était la mienne.
*
Observant cette scène avec effroi, je mis du temps à réaliser ce qui s’était passé. J’étais arrivé sur les lieux de mon propre accident. J’avais voyagé dans le temps et j’étais précisément apparu à ce moment-là. Ce souvenir s’était ravivé avec une telle intensité, que j’avais revécu la scène de l’extérieur.
Je me suis approché de l’épave. Les phares éclairaient la forêt, de la fumée sortait du capot. Les bips d’alarmes sonnaient, la radio fonctionnait encore. Un calme régnait tout autour de la voiture. Pas âme qui vive n’était venue. Je me demandais combien de temps mon cadavre était resté seul au milieu de cette forêt avant que des gens n’arrivent et n’appellent les secours.
Je n’osais poser mes yeux sur le chauffeur. Je ne voulais pas le voir ni avoir la confirmation que la personne au volant n’était autre que moi.
Un moment d’hésitation qui semblait durer une éternité m’empêcha de tourner mon regard sur cet homme. Mais, je le fis.
Je fixais cette enveloppe charnelle meurtrie et couverte de sang, mon visage était tellement tuméfié qu’il en était méconnaissable. Mon nez avait explosé contre le volant. Je me souvins du choc qui m’avait alors écrasé la tête et la ceinture de sécurité bloquant mon sternum avec une violence telle que toutes mes côtes s’étaient brisées lors de la collision. Les yeux de la dépouille étaient restés ouverts. Mon regard, qui de mon vivant était d’un bleu ciel, avait viré couleur émeraude. Les yeux de verre d’une poupée en porcelaine, figés sur le tableau de bord, avaient cependant gardé une expression de surprise et d’effroi. Je compris à ce moment-là pourquoi l’on referme les yeux des morts. Ils gardent l’émotion ressentie avant la mort.
Je fis le tour de la voiture à la recherche de l’animal que je pensais avoir chassé ; mais aucune trace de pattes, aucune branche cassée. Perplexe, je scrutais l’horizon, le jour semblait commencer à se lever quand une voiture finit par croiser l’accident. Elle s’était arrêtée en face de l’épave, un homme d’une cinquantaine d’années était sorti de son véhicule, puis s’était approché de ma voiture. Il avait vu mon corps inerte. Il avait alors pris son téléphone portable pour appeler la police et les secours.
Pauvre homme ! Quel choc cela avait dû être pour lui de se retrouver ainsi au milieu des bois, au lever du jour, et assumer cette tâche à laquelle il ne s’attendait pas. Combien de personnes seraient passées sans s’arrêter par peur de se confronter à l’horreur et de prendre un rôle qui aurait pu les marquer à vie.
Lui, il l’avait fait sans hésiter. À y regarder de plus près, je m’apercevais que cet homme portait un col blanc. C’était un prêtre ou un homme d’Église. Seigneur, moi qui ne croyais en aucune religion, voilà qu’un homme de foi s’était occupé de moi. Quelle ironie.
Il avait attendu les secours et s’était mis à genoux sur le rebord de la chaussée et avait commencé à prier. L’avait-il fait pour lui ou pour moi ?
Cette parenthèse temporelle s’évanouit tel le brouillard se dissipant dans une fin de matinée automnale. Sans que je le comprenne comment, je me trouvais dans mon logement.
Des cartons étaient faits ; quelques bibelots traînaient encore ici et là. J’errais entre ces quatre murs, cherchant désespérément des informations pour me rattacher à celui que j’avais été.
J’entendis des voix se diriger vers moi, c’était ma sœur et son mari. Mon Dieu, j’en avais presque oublié leur existence.
Je me mis à hurler !
Bien sûr, elle ne réagit pas. Je décidais de les observer et de participer à mon déménagement.
Yves doit passer en fin de matinée les chercher.
Mon cher ami venait récupérer mon travail. J’étais soulagé et ému.
Je me rendis à l’entrée. Excité, je fus surpris de constater qu’en arrivant vers mes affaires, la porte d’entrée se claqua brusquement. Gaël hurla de peur.