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Partir seule avec un sac à dos, se laisser guider par le destin et chercher à découvrir ce que la vie réserve de plus beau, cette expérience, l’auteure de cet ouvrage l’a vécue et vous la raconte. Pendant son voyage à travers divers pays d’Afrique de l’Ouest, elle était motivée par une seule idée : rencontrer des personnes, explorer la terre et comprendre pourquoi ce continent l’attirait tant depuis toujours. Dans ce qui s’apparente à un carnet de bord, vous pourrez vous immerger dans ses découvertes, les récits de vie des personnes rencontrées et dans certains aspects de son cheminement intérieur.
À PROPOS DE L'AUTRICE
À l’origine,
Léa Gauthier envisageait de réserver le récit de son parcours extraordinaire à son cercle intime. Cependant, elle a finalement choisi de partager son aventure avec un public plus vaste. À travers "L’importemps sait maintenant", elle compose un hymne à la vie qui vous incite à saisir chaque instant.
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Léa Gauthier
L’importemps sait maintenant
© Lys Bleu Éditions – Léa Gauthier
ISBN : 979-10-422-2766-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
J’ai volontairement fait le choix de ne pas employer l’écriture dite inclusive. Je ne trouve pas de fluidité dans la lecture des textes dits inclusifs, mettre des points dans des mots n’a pas de sens pour moi. L’inclusion, le respect de chacun et la connaissance de qui nous sommes passent selon moi par d’autres actions. Pour moi, nous portons tous en nous le féminin et le masculin, c’est ce que j’essaie d’appréhender chaque jour.
Je me souviens du jour où en CM1, la maîtresse nous donne cette règle de français : le masculin l’emporte sur le féminin, la classe devient bruyante et moi je pense c’est bien, comme ça nous, quand on est qu’entre nous, on le sait ! Oui, dans la phrase « elles vont au cinéma », on sait qu’il n’y a que des femmes, dans la phrase « ils vont au cinéma », peut-être, y a-t-il des femmes dans le groupe. Il y a des avantages à tout. Tout dépend du regard. Aujourd’hui, au regard du fait que le masculin et le féminin sont présents en chacun de nous, je me sens pleinement concernée par ce masculin, même en tant qu’individu portant un sexe féminin.
Je crois à la diversité, à la force de nos différences, à la puissance du féminin, à la puissance du masculin et à l’importance de leurs différences. Je crois à l’équité plutôt qu’à l’égalité, c’est pourquoi j’ai fait ce choix strictement personnel. Je suis désolée pour tous celles et ceux qui ne se sentiront pas reconnus dans cette écriture.
Levoyage
Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.
MarcelProust
J’ai appris en voyage. J’ai souri en voyage. J’ai ri, j’ai pleuré, j’ai sauté, j’ai dansé. La vie est un voyage, à nous, de choisir la route qui est la nôtre.
Levoyage, il y en a de toutes sortes. Longs ou courts. Touristiques ou professionnels. En mouvement ou en pensée. Accompagné ou en solitaire. Dans son pays de naissance ou à l’étranger. À chacun de trouver le sien, celui qui lui correspond. Je crois bel et bien que le voyage est une merveilleuse voix vers l’apprenti-sage.
Au Mali, j’ai été accueillie, nourrie, abreuvée, gratuitement sans rien attendre en retour.
En Bolivie j’ai été orientée, informée, dirigée sans avoir à le demander.
Envoyageant dans la montagne française, j’ai mis à l’épreuve mon goût de l’effort et j’ai ainsi pu renforcer l’estime de moi-même.
Envoyageant en musique, j’ai rencontré des idées qui s’approchaient des miennes et je me suis sentie plus forte.
En voyage je cherche ma route, je sors de mes habitudes, je découvre de nouvelles manières de penser, de vivre, de croire, d’être sûre ou de ne plus l’être. Voyager c’est sortir du cadre et sortir du cadre pour moi, c’est une nécessité, c’est découvrir de nouveaux possibles. Aller vers moi-même. M’ouvrir au nouveau. Casser certains schémas inculqués en moi, conditionnés. Et, me rendre compte que d’autres voix/voies existent.
Voyager c’est ouvrir mes yeux autrement. Voyager c’est prendre un risque, c’est sortir de ma zone de confort. Souvent cette zone de confort, c’est celle qui me sécurise, car c’est celle que j’ai toujours connue. Mais, est-ce que c’est celle-là qui me rendra heureuse pour le restant de ma vie ? La sécurité et le bonheur restant deux éléments bien distincts…
Souvent en voyage, je pars avec peu de choses. C’est alors que je me rends compte que tout ce que je possède matériellement ne me rend pasplus légère, aufonddemon cœur.
Souvent en voyage mes idées reçues sur l’autre, sur l’ailleurs, sur la différence ou sur moi-même se décalent.
Souvent en voyage je m’éloigne de ceux que j’aime, de ce que je connais et je reviens en mesurant réellement la chance que j’ai d’avoir ou de vivre là où jevis.
Voyager permet de m’interroger. De revenir différente. Autre. Me changer moi-même. Le voyage peut-être une sublime voix vers le mieux-être. Car, même s’il est bien préparé, même si je pense savoir pourquoi je pars ; au retour, je me rends souvent compte qu’en réalité, je ne savais pas que c’était « ça » que j’étais venue trouver !
Quelques précisions avant de démarrer !
L’Afrique m’a toujours appelée, fascinée. Mon père est né au Gabon, a vécu au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Petite, il me parlait de l’Afrique, d’Abidjan, de Douala, de la joie de cueillir des mangues dans les arbres et j’en ai fait un rêve. Enfant, je me souviens regarder des reportages à la télé et être fascinée par ces femmes transportant de l’eau sur leur tête, par les enfants portés au dos. La musique africaine et ses rythmes m’enivrent, ils font bouger mon corps. Les gens, les enfants, les femmes et les hommes, je les trouve remarquablement beaux, depuis toujours. Oui, je crois bien que j’étais destinée à fouler ce sol et à en découvrir une partie de ses mystères.
Dans ce récit, je conte une aventure. Celle où j’ai voyagé au Cameroun en mai 2018, puis en France de juin à août 2018 et où je suis finalement repartie en terre africaine d’août 2018 à mai 2019. À partir de mon second départ, en août, j’ai commencé à écrire, à conter mon chemin, mes questionnements, mes rencontres. Initialement, c’était pour donner des nouvelles à mes proches (et pour raconter que passer par la route pour aller en Afrique c’est possible), et également pour moi, pour mieux ancrer le souvenir. En chemin, nombre de personnes connues ou inconnues m’ont dit que je devrais en faire un livre. Au Sénégal, des gens m’ont appelé de loin dans la rue et m’ont dit : « toi, tu dois écrire, raconter ce que tu vois ». Alors, je me suis appliquée, j’ai écrit jour après jour d’août 2018àmai 2019.
Àmonretour,jemesuisdit :« allez,feu,écris-letonlivre ».
Pourquoiécrire ce livre ? Ce voyage m’a été précieux et je crois qu’il mérite d’être conté, d’honorer toutes ces personnes qui m’ont demandé d’écrire. Qu’une blanche, seule avec un sac à dos ait vadrouillé en Afrique là où le vent la porte, avec pour seul objectif de rencontrer les gens n’est pas quelque chose de commun. En toute modestie, je mesure le courage nécessaire pour entreprendre un voyage de la sorte, alors, j’ai envie de le partager. Partager ce que j’ai vu, partager les rencontres, partager les histoires de vie, les nombreuses individualités, personnalités uniques, différentes, atypiques, partager mes questionnements, mes doutes, ma vision de notre relation France-Afrique…
J’ai écrit les mois d’avril à août 2018 avec plusieurs mois de recul, ce n’est donc pas le même regard que celui porté sur la suite du voyage. Les souvenirs diffèrent, ils ont été modifiés par l’œil qui a rencontré d’autres apprentissages. Ceux d’août 2018 à mai 2019 ont été écrits au fil du voyage, jour après jour ou semaine après semaine. Ils ont été un peu retravaillés, remis en forme afin de les fluidifier. Je me suis aussi permis d’y ajouter certaines réflexions qui sont venues plus tard ou que je n’avais pas notées lors de la première écriture ainsi que quelques paragraphes initialement écrits dans un carnet personnel, le « carnet noir ». Cela amènera peut-être quelques anachronismes et une différence dans le style, mais je pense et j’espère que tu garderas le fil.
Je n’énonce aucune vérité générale dans ce livre. Il n’est que le fruit de mes rencontres, de mes discussions et de mes pensées personnelles. Je n’ai pas vérifié toutes les informations qui m’ont été transmises, je n’en ai ressenti ni le besoin ni l’envie. Je ne présente qu’une partie de mon humble vision du monde, de mon état d’esprit pendant ce voyage, je ne prétends en rien détenir la vérité.
Au retour de voyage, il m’a fallu atterrir, revenir à mon ancienne réalité, être confrontée à une autre partie de moi-même, aux réflexions de mon entourage et prendre le recul nécessaire pour finalement me lancer. Écrire. Modifier. Me replonger dans les souvenirs. J’ai travaillé sur cet ouvrage à différentes périodes, faisant des allers-retours entre des phases d’écriture, de relecture et des pauses. J’ai notamment pris du temps pour faire un choix. Initialement, je souhaitais refaire le voyage afin de demander à toutes les personnes rencontrées l’autorisation pour publier ce que j’ai écrit sur elles et/ou publier leurs photos. Après des mois de réflexions j’ai dû me rendre à l’évidence, je n’étais pas prête à repartir en voyage à ce moment-là de ma vie. J’ai donc échangé avec différents amis rencontrés pendant mon voyage et j’ai pris la décision de publier le livre sans refaire le voyage. J’ai fait le choix de garder le véritable prénom des personnes rencontrées, comme pour leur rendre hommage, d’enlever leur nom de famille, pour préserver leur anonymat et de demander l’accord à distance pour les personnes dont j’ai décidé de publier le portrait. Je suis désolée pour toutes les personnes qui auraient préféré que leur prénom ne figure pas dans ce texte, qui auraient préféré que les choses soient autrement.
Il y a beaucoup de personnes dans ce récit, beaucoup de gens rencontrés. La plupart sont seulement de passages sur mon chemin. Pour ceux avec qui j’ai échangé davantage, qui m’ont hébergé ou que j’ai revus plusieurs fois, je les ai mis en gras, ça t’aidera sûrement à suivre le fil de mes rencontres.
Ce voyage a été comme un chemin spirituel pour trouver Dieu au fond de moi. J’ai besoin de préciser que dans toutes les lignes qui vont suivre, lorsque je parle de « Dieu », tu peux aussi y lire « la source, la vie, l’univers, l’unité, le grand esprit, l’amour, la force de vie, la lumière, Allah, Jah, la création, la bonne étoile, la chance » ou tout autre terme qui parle à ton cœur et qui fait appel à l’invisible… Pour moi tout ça c’est pareil. Alors, à toi pour qui le terme « Dieu » renvoie à une sombre idée (guerres de religion, endoctrinements, manipulations ou autre) je t’invite à remplacer ce mot par celui qui parle à ton cœur.
Et finalement, mon père est un photographe amateur passionné. En décembre 2018, il me demande de lui faire un cadeau : prendre en portrait tous les gens que je rencontre. Il a été mon excuse pour garder en souvenir le visage de tous ces gens qui m’ont hébergée, nourrie ou que j’ai seulement croisé dans la rue. Mais à mon retour, triste résultat, mon appareil était un peu gâté1 et les photos sont souvent floues, sur ou sous-exposées. Il me propose d’utiliser un procédé ancien pour les transformer : le procédé Van Dyke2. Il leur donne ainsi une seconde vie. Pour l’édition j’ai dû faire une sélection de quinze d’entre elles afin de pouvoir les mettre dans cet ouvrage.
C’est parti, bon voyage !
Je m’appelle Léa Gauthier, je suis née le 14 avril 1988 à Paris, je suis bélier et guerrier jaune planétaire selon le calendrier maya. À deux mois, avec mes parents et Martin, mon frère de deux ans mon aîné, nous migrons aux Pays-Bas. Trois ans plus tard mon frère Étienne né. Étienne est, dans notre société, dit « handicapé ». Il forge petit à petit une grande partie de mon être et de nos liens familiaux. Il nous apporte joie et difficultés, pesanteur et légèreté. Cinq ans plus tard encore, nous rentrons en France, dans l’Essonne. Je grandis, j’apprends. École et collège puis lycée en sport-études judo. Ce sport forge une autre partie de moi-même, m’apprend que le plaisir peut apparaître dans la souffrance et me transmet la force de la persévérance et de la combativité. Les années passent, je cherche ma voix et me confronte à une partie de qui je suis : ne pas être d’accord, interroger les règles et vouloir penser par moi-même. Fin 2009, je pars en voyage avec Martin, sept mois et demi en Amérique latine. Ce voyage est une nouvelle découverte de moi-même, de parties inconnues et de tant d’autres possibles à découvrir encore. Je découvre notamment que tout ce qui est « habitude » ou « normalité » s’interroge. Il y a une multitude de manières de vivre et de penser que je ne pouvais soupçonner.
Je rentre en France et poursuis mes études. En 2013, j’obtiens mon diplôme d’éducatrice spécialisée et je n’écoute pas la voix qui me dit de repartir en voyage, mais celle de construire un lieu de vie pour Étienne. Il n’a de place digne nulle part, il faut la créer. Il dit qu’il veut vivre en colocation. Je me dis : « Prends un an, construis le lieu et repars en voyage. » J’embarque donc des amis dans l’aventure et l’association T’HandiQuoi voit le jour. Trois ans et demi plus tard, une colocation pour trois adultes prend vie. Parallèlement, j’exerce mon métier dans un village d’enfants placés par l’Aide Sociale à l’Enfance. J’apprends beaucoup, au village comme avec T’HandiQuoi. La force des rencontres, la puissance des projetscommuns,l’importancedela diversité, labeautéde l’enfanceetdel’adolescence…
Donner aux autres c’est bien, mais je ne sais pas encore que me donner à moi-même c’est fondamental. Je finis cependant par le comprendre coûte que coûte…
Ainsi en août 2017, je quitte mon travail avec beaucoup de tristesse, avec un sentiment d’avoir encore tant à apprendre et à transmettre aux enfants du village, avec la sensation d’abandonner une partie non terminée, mais j’ai compris l’urgence à faire de moi la priorité de ma vie. Décembre 2017, je quitte mon logement, deviens nomade et en avril 2018, je quitte mon rôle au sein de l’association T’HandiQuoi. J’éprouve une certaine culpabilité à laisser les autres bosser et porter à ma place, mais il m’est nécessaire de prendre soin de moi et de mesrêves.
Avril 2018, mes 30 ans, c’est le début de cette année de voyage. Je n’ai pas tellement envie de les avoir ces 30 ans, pas tellement envie de perdre la jeunesse de la vingtaine, mais bon, je n’ai pas trop le choix et une partie de moi me dit tout de même « la jeunesse, c’est dans la tête ».
Tout est encore incertain et mon année à construire. J’ai postulé à Seuil, une association pour partir marcher avec un jeune à travers toute l’Espagne ou toute l’Italie. L’idée est de permettre à un jeune au parcours souvent chaotique de vivre une expérience hors du commun. Je rêve d’être disponible pour ce projet depuis de longues années, c’est enfin possible. Je suis dans l’attente de la réponse post entretien d’embauche, partirmarcherou partir voyager. L’Assemblée générale de notre association a lieu, je passe officiellement le relais de la présidence à mon amie Marie et on fait le point sur cette belle année. Le lendemain, je fête mes trente ans avec tous mes proches. Je lie pour la première fois ma vie au village et ma vie personnelle et ça me fait du bien. Je suis gâtée et je mesure encore un peu plus combien je suis bien entourée. Tout le monde n’est pas des plus rassurés, beaucoup de gens me disent que je suis folle de faire ce voyage seule, mais je suis sereine, je sais que c’est ma route.
Quelques jours plus tard, j’apprends que ma candidature à Seuil a été retenue, mais que le départ de la marche ne sera pas pour tout de suite. Ils espèrent avant l’été, mais ils ne peuvent pas me donner de date pour le moment. Ni une ni deux, je décide de partir au plus vite, je n’ai plus d’objectif ici, la page de mon ancienne vie est tournée. Trois jours plus tard, après les démarches pour le visa et le billet, je suis dans l’avion pour le Cameroun. Je pars rejoindre Marion, une amie qui est volontaire à Yaoundé. Pour ma découverte de l’Afrique noire, être accueillie par une personne connueestrassurant.
Entre-temps, j’écris des courriers à mes proches et je réalise peu à peu que le voyage démarre. Mais le contexte n’est pas si rose. La coordinatrice de la colocation du projet de notre association est en arrêt suite à un gros problème de santé, ma maman et mon frère Étienne ne sont pas au mieux suite à une opération de ce dernier. Et moi, c’est le moment où je décide d’abandonner le navire. Une partie de moi a envie de rester, d’être là, de porter, de palier comme j’ai toujours fait jusqu’à présent. Une discussion avec Hana, ma belle’s (bah oui, on dit beau’f pourquoi ne dirait-on pas belle’s ?) me fait le plus grand bien. Elle me dit : « C’est maintenant que tu décides de casser le schéma, c’est maintenant que tu prends la place qui t’appartient. » Oui, selon moi, la vie est faite ainsi. Nos schémas de vie se répètent et se répètent encore. On garde la place que l’on a toujours eue et, bien souvent, la vie fait en sorte de nous y maintenir. Il est pourtant possible d’en sortir, encore faut-il oser le changement, oser le casser ce schéma et perdre une partie de la place que l’on a toujours eue. Celle qui nous rassure, celle que l’on connaît, mais ce n’est pas toujours celle qui nous fait du bien, dans lefond.
Alors ça y est, je pars…
Lundi 30 avril 2018
Mes pieds s’envolent. Ce n’est pas tout à fait le grand départ, le long voyage que j’attends depuis si longtemps, car, lorsque Seuil (l’association où j’ai postulé pour partir marcher avec un jeune) m’appellera, je rentrerai. Mais c’est une première étape qui me met le baume au cœur. Comme un avant-goût avant le grand départ. J’ai pris un billet aller-retour, retour prévu dans un mois. Je me dis qu’il y a des chances que Seuil m’appelle et que si jamais ce n’est pas le cas, je pourrais faire les démarches pourdécalermon billetet prolongermonvisa :allez,c’est parti !
Je monte dans l’avion. Il est l’heure pour moi d’accepter mon choix initial, faire de moi la priorité de ma vie. J’en ai le droit, je sais que cette année me sera salvatrice. Avant de partir, j’envoie à mes proches quelques lignes :
J’ai écrit ces lignes parce que j’aime parler et dire ce que je pense, parce qu’écrire m’a toujours fait du bien, parce que je vous aime et que mon cœur est triste de vous quitter.
Keny Arkana n’a pas été pour rien dans la construction de celle que je suis aujourd’hui, n’a pas été pour rien dans la force que je porte et que je tente de transmettre. Je lui ai emprunté une grande partie de ces lignes, je me les suis un peu réappropriées, mais c’est bien « fille du vent », une fille que je m’apprête à être, qui m’a inspirée…
Libre comme le vent
Plus de travail fixe, pas de voiture ni de maison
Pas de mecs ni d’enfant
Plus l’envie d’voir le bitume de cette région
Je vais mettre les voiles dans peu d’temps
Jefile, je pars, jesuis,
Vers ces instants tant attendus,
Jem’incline à la vie
Surlarouteversl’inconnu
J’écris unenouvelle pagede monrécit,
Lekm2…
LeKm0enAmérique duSudpour un1ervoyage
LeKm1s’estpoursuiviàParis,T’HandiQuoiet levillage,
Lekm2le Cameroun,lamarcheetl’Afriquejereprendsmonpaquetage
Terre chérie, mon avenir libéré
Verdure, simplicité, soleil, galères
Natureet Humanité,
Apprendre encore pour faire sauter des barrières
Loinde nosEgo,de cemondede trop
Fille du vent, de l’amour incognito
Dignement, un peu plus libre bientôt
Enpleurant, jevais partir
Làoùlesoleila lesourire
En quête de ce dont mon âme aura l’souvenir
Lavie, unhymne ausourire,
Tous à nos places ? J’veux juste en rire !
Les schémas se répètent c’est ça le pire.
J’cherche ma place en chaque instant
J’tente d’être connectéeauprésent
Car la terremèrec’estmonseulpays
Appelez-moi,appelez-moi
Parlapenséejeseraitoujoursproche…
La vie m’a appris à naviguer
D’expérience en expérience
De rencontre en rencontre
Comme une pierre à polir
Comme un être à apprivoiser
J’apprendsetespère
Qu’un jour nous soyons heureux tous différents
Ayant trouvé en chacun l’unicité de notre monde
Ouij’polis mapierre
Jusqu’à voir mes propres soleils s’aligner
Zoobda,Soussiaet lesautres,
J’aidéjàcommencé…
J’n’oublierai jamais qu’on est tous frères
Qu’onnesouillepaslesoleilavecd’lapoussière
Vivre à la marge c’est douleur et espérance
Énergie nouvelle et connexion à soi-même
Cœurouvert,jeretrouvemes ailes
M’envoulezpassilesystème jedéserte
Appelez-moi, appelez-moi
Parlapensée,toujoursproche…
J’pars à la rencontre de moi-même
J’pars à la rencontre du monde
J’pars à la rencontre des humains
Prendreencoreunpeuplusdeforce
Pour réussir à ne pas laisser mes idéaux d’ado en ch’min
Maisouimeslarmesj’essuie
Dequittertantd’amis
Jesuisdésolée
J’sais que j’suis pas la seule à pleurer,
Mais même si mes yeux se voilent
Besoin d’aller suivre ma bonne étoile
Jesuis biendans l’mouvement
J’pars,
Pour vivre mon esprit pleinement
Tellementlemondedutropestéprouvant
Maisj’penseaujourd’huiquemamissionestici
Alorsjeparsetnormalement,j’reviensplusaguerrie
J’vous souhaite joie, légèreté, fluidité
Sourire,empathie etliberté
Croyez en vos rêves et laissez-vous guider par vos idées
Je vous aime !
Jecommence souvent des lignes par « ça y est », mais là je crois que je peux vraiment le dire. Mon voyage démarre, celui que j’attends depuis 5 ans maintenant. 5 ans auparavant il n’aurait pas du tout ressemblé à cela et je suis heureuse qu’il en soit ainsi. Heureuse d’avoir su écouter mon envie profonde, l’Afrique. […] J’ai quitté Paris, mes affaires sont dans des cartons et j’ai devant moi 14 mois de voyage si je le souhaite. Ce 1er voyage est un peu étrange, un départ précipité, mes proches sont absents, je suis seule, mais cela m’a permis de tout boucler dans les grandes lignes… […] Malgré les circonstances non idéales, j’ai réussi à partir et à m’écouter. Réussi à accepter que j’avais le droit à ce voyage et qu’il m’était nécessaire. Nécessaire pour revenir plus légère, plus sereine et en ayant trouvé la possibilité de prendre une place plus juste, une place qui me convienne et qui me permette d’être moi à 100 %. Être seule ou plus exactement loin de ceux que je connais pour me retrouver, me trouver, accepter l’immuable et choisir d’agir sur ce qui est en mon pouvoir. […] Je sais que ces voyages m’apporteront leurs lots de difficultés, de questionnements, de souffrance face à l’injustice de ce monde. Ce sera à moi de l’accepter pour avancer avec et agir sur ce qui est en mon pouvoir. […] Lors de moments difficiles, je ne devrais pas oublier que je suis en chemin, un chemin que j’ai choisi et qui va m’apprendre tant. Il me fait du bien de savoir que ce chemin servira aussi à d’autres, que d’une manière ou d’une autre je le transmettrai à mes proches. Si j’ai voulu me laisser la possibilité de pouvoir rester là-bas, je crois aujourd’hui comme je le crois finalement depuis longtemps, que ma destinée est en France et que ce chemin me permet d’être davantage connectée au monde. Bien sûr, rien n’est figé, mais je crois avoir compris dans la difficulté de ce départ que je ne pouvais abandonner ma famille et être cohérente avec moi-même. L’avenir me le dira ! […]
30avril,carnet noir,dansles airs
Si la diversité est une richesse, pourquoi partout dans le monde, on tend à se ressembler ?
Si la diversité est une richesse, pourquoi avons-nous peur de ce que l’on ne connaît pas ?
Si la diversité est une richesse, pourquoi tuons-nous notre biodiversité ?
Si la diversité est une richesse, pourquoi avons-nous tant de mal à accepter l’autre différent ?
Si la diversité est une richesse, pourquoi être soi-même différent est-il si lourd à porter ?
Si la diversité est une richesse, pourquoi avoir si souvent envie d’être d’accord les uns les autres ?
Je n’ai pas les réponses, mais je continue de me poser les questions
Le Cameroun
Capitale :Yaoundé.
Devise : Paix – Travail –Patrie.
Lesexpressionsouphrasesquireviennentque jenepeuxpasoublier :
Du30avrilau29 mai2018
Dans l’avion je profite de ces instants tant attendus. Je rêvasse, je laisse mes pensées me remercier et je goûte ce puissant flottement de l’agréable attente. Je regarde un film camerounais où une dame est embêtée à la frontière, car elle n’a pas son carnet de vaccination… Euh… Et moi, mon carnet de vaccination ? Et merde, merde, merde ! J’ai oublié le mien. J’en échange avec mon voisin qui me dit qu’il essaiera de m’aider. Du coup, je discute un peu avec lui. Après avoir enchaîné plusieurs bières et quelques verres de whisky, il me raconte ses projets entre la France et l’Afrique. L’avion atterrit, je trépigne d’impatience. Je foule enfin ce sol, la chaleur monte, moite et sucrée. Je suis arrivée à Yaoundé. Comme je n’ai pas mon carnet, les autorités de santé veulent me vacciner. Je ne suis pas d’accord, je discute. Ils veulent aussi que je devienne leur femme ou la femme de leur frère. Je ne suis pas d’accord non plus. Mon voisin de vol tente de m’aider, mais, en vain. N’ayant pas de smartphone, l’infirmier en chef me prête finalement son compte WhatsApp pour que mes parents puissent m’envoyer la copie de mon carnet. Ouf, je m’en sors sans vaccin supplémentaire ni sans un billet.
Marion, monamievolontaireà Yaoundém’attendàlasortiede l’aéroport,jesuisheureuse delavoir.
Il fait nuit, c’est assez frustrant. J’aimerais bien voir où je viens d’atterrir. À première vue, je me dis que ça ressemble aux rues vivantes d’Amérique du Sud. Dans le taxi, je suis surprise quand Marion parle avec le chauffeur de taxi, elle prend l’accent camerounais. Je ne comprends pas trop la raison decetteaction.
Dèsmonarrivée, on part rejoindre des amis et manger chez Suzy, un magnifique poisson grillé, banane plantain et riz. On boit des bières. Ici, la bière « normale » c’est 50 cl ou 65 cl, et tout le monde en boit au moins deux ou trois. C’est le tarif. Une belle arrivée.
Trèsvite,àlalumière du jour et en me baladant un peu dans Yaoundé, je constate que ma sensation nocturne est erronée, je suis loin des villes d’Amérique du Sud, le décor n’est franchement pas le même. C’est le bordel ! Un gigantesque bordel. Des embouteillages presque 24 h/24, pas d’office du tourisme, 3 h pour trouver une carte de la ville datant de Mathusalem (donc inutile), pas ou très peu d’infrastructures, une galère pour avoir quelconques informations, des décharges à ciel ouvert dans la ville, du coup, des odeurs parfois plus que nauséabondes, des coupures d’eau ou d’électricité fréquentes et qui peuvent durer plusieurs jours, des pschitt pschitt, eh la blanche constamment, des demandes en mariage à tous les coins de rue, parfois même par des femmes qui cherchent à caser leur frère, l’impression de n’être qu’une opportunité de gagner des sous ou de se marier, des « fais attention, ici c’est dangereux, il y a la guerre, tu ne peux pas aller où tu veux »,régulièrement…
Pfff,maisqu’est-cequejefouslà ? Oui, je dois le reconnaître, les premiers jours je me suis demandé pourquoi. Pourquoi moi, femme, blanche, seule, j’ai choisi l’Afrique pour partir voyager plusieurs mois ? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ? J’ai souvent été adepte de cet adage, mais quand même… Soit j’ai besoin de recul sur ma vie, soit j’ai besoin de changer d’air et de prendre du temps pour moi, mais ai-je vraiment besoin de me lancer un tel défi ?
Jesuis perdue. Oublier la France n’est pas si simple, la culpabilité d’avoir laissé d’autres porter à ma place revient de temps en temps. Je sais que ça ne sert à rien, mais je ne le contrôle pas. La place de l’argent n’est pas si simple non plus, quoi donner, comment, à qui. J’ai un positionnement à trouver. Et puis, je suis aussi face au temps, au temps libre et j’apprends doucement à le prendre. Moi qui ai toujours quelque chose à faire, dans une vie bien trop remplie, je reviens de loin, c’est dur !
Je me demande tout de même ce que j’ai vraiment besoin de trouver ici. Car prendre le temps, la conscience de mon corps, le recul sur ces années… peuvent bien s’effectuer dans une partie du monde moins difficile. Je crois qu’il n’y a que le chemin parcouru qui pourra répondre à cette question. C’est difficile d’accepter de ne pas faire grand-chose dans un pays nouveau où j’aimerais tout arpenter. Difficile réalité d’un monde inégal et de dangers si proches. Tant de gens ici ont perdu un ou plusieurs membres de leurs familles, tant de bébés qui ne vivent pas, tant de gens qui vivent au jour le jour[…]
8mai2018, carnet noir, Yaoundé
Les jours ont défilé et la chaleur africaine a pris le dessus sur cette première sensation. Voilà quelques années que je travaille consciencieusement à éloigner la peur de mon chemin. J’essaie de différencier la peur qui m’indique un danger immédiat, de celle qui est construite, réfléchie, instrumentalisée par ceux qui nous dirigent ou tout simplement celle ancrée de génération en génération et qu’il m’appartient de transcender, de transmuter. Reconnaître la peur utile, celle où c’est souvent mon corps le 1er informateur, de la peur que j’appelle inutile où c’est souvent mon mental le 1er informateur. L’une m’est vitale et m’invite à fuir ou à agir, l’autre tue la vie en moi et m’invite à la dépasser.
Il n’est pas aisé de choisir entre la sécurité et la prise de risque. Mon frère me manque pour faire ces choix. L’avis des Français est souvent alarmiste, celui des Camerounais à l’opposé. Difficile de me faire mon propre avis.
Carnet noir,Dshang,15 mai 2018
Alors,danscecontexte,j’aiunjoliterrain d’étude.Ainsi,j’aipoursuivil’apprentissageetjen’aipuqueconstater que :laconfiance,çamarche !
J’aidébutémon séjour par passer du temps à Yaoundé, découvrir cette ville, découvrir l’environnement de Marion, rencontrer ses proches et amis. M’acclimater. Faire la connaissance de toutes ces personnes qui entourent mon amie.
Madeleine,c’estlamaman de Marion au Cameroun (et un peu la mienne aussi), c’est la nourrice de son fils Liam. Madeleine, c’est celle qui te dit : « T’as pas oublié ta crème solaire ? »quand je l’ai effectivement oublié la veille et que je suis rentrée bien rouge. Madeleine c’est une femme forte, belle et remplie d’amour à partager. Elle vit dans une toute petite pièce avec sa fille. C’est humide partout, des fois, elle est inondée, mais le propriétaire s’en moque, il vient juste pour prendre le loyer. Elle ne peut rien faire. En plus, depuis peu, des gens ont installé un petit poulailler juste à côté de chez elle, ça embaume tout le coin. Là encore, elle ne peut rien faire.
J’aussifaitconnaissanceavecLionel,leprof de sport et le pote de Marion et de Florent (le conjoint de Marion qui vient au Cameroun une semaine par mois environ). Lionel passe souvent à la maison, boire un coup ou discuter. J’aime bien parler avec lui, il me permet de mieux comprendre la réalité du Cameroun et plein d’éléments associés. Parfois, les différences sont telles que je ressens l’impossibilité de nous comprendre. Lionel n’a pas de compte en banque, il a 32 ans, il vit chez sa mère avec frères, sœurs, neveux… Il a grandi dans la brousse, a vendu du cacao pour pouvoir s’acheter une moto-taxi, arriver en ville et s’entraîner au MMA (arts martiaux mixtes ou combat libre). Il fait le taxi à moto, donne des cours de sport et s’arrange comme il peut pour joindre les deux bouts. Lionel rêve de pouvoir voyager avec le MMA, mais il a deux identités. Enfin deux dates de naissance. La seconde a été créée pour qu’il puisse continuer à étudier. Aujourd’hui, s’il veut avoir un passeport, il doit effacer sa double date de naissance et payer le passeport trois fois plus cher. Il ne peut donc pas voyager, même si c’est le MMA qui paierait pour ses déplacements, il lui faut un passeport. Il a perdu un frère. Lui, il a eu la tuberculose, la typhoïde et j’en passe. Il a le sourire et aime le fromage français !
Josiane,uneamiecouturière de Marion. Josiane est drôle, sympa, et elle nous emmène au marché pour négocier les tissus. Elle m’a cousu de beaux habits. Elle s’occupe de son neveu et de sa nièce au domicile de sa mère. Sa sœur, leur mère les a abandonnés. Les deux sont traumatisés, car ils ont assisté à des scènes de cul tout petit. Elle fait de son mieux pour leur apporter le meilleur. Pourtant, elle aussi a vécu les coups, « comme tout le monde ». Un jour, à l’âge de huit ans, elle a pris un coup de ceinture dans la tête. La boucle est restée dans son crâne. Elle a toujours un trou à l’endroit où la boucle est entrée, souvenir ineffaçable de cette horrible souffrance. Sa tête lui fait mal encore aujourd’hui.
Jonaz, le gardien de Marion a toute sa famille au village. Il travaille la nuit ici et le jour il fait la sécurité dans un immeuble. Il ne voit sa famille que très rarement, seulement quand il estenvacances.Ici,ilestpayé30000FCFA3par mois pour garder toutes les nuits les appartements de l’immeuble. Un jour, n’ayant pas eu sa paie depuis plusieurs jours, il hésite, mais se permet humblement d’appeler le propriétaire pour venir aux nouvelles. Ça n’a pas plu à ce dernier, Jonaz est renvoyé sur le champ au motifqu’il« a fait quelque chose de grave ».Quand Marion, affolée, se demande comment il va faire, il répond calmement« çavaallermaman ».C’estluiquinousrassure.
Ahmed,chauffeurdetaxiquivientdeperdresasœurdupalu.Ellelaissederrièreelledeuxenfantsorphelins.
Charlotte, une amie de Marion. Elle vit ici au Cameroun depuis plusieurs années, avec son mari camerounais et son fils Malik, un joli métis. Elle est institutrice dans une école française. J’aime passer du temps avec elle, elle a un regard différent des autres blancs. Elle a accouché ici, elle n’a pas le regard d’une expat temporaire, elle connaît bien son pays.
Ici, il n’y a ni santé ni scolarité gratuite, des routes payantes et en mauvais état. Un président, Paul Biya, au pouvoir depuis plus de 30 ans qui vient au défilé de la fête nationale du 20 mai avec une voiture que seule la reine d’Angleterre et Poutine possèdent. Tant d’injustice. Je me demande quoi faire de ma présence ici. Comment vais-je pouvoir rendre au continent africain ce qu’il va m’apporter ? Je ne suis qu’au début, l’avenir me le dira sûrement. La question est posée…
À Yaoundé, j’ai appris à comprendre comment fonctionnent les taxis, j’ai bu des coups avec des amis, j’ai compris tant de choses sur certaines réalités du pays.
La chose qui m’a probablement le plus marquée c’est la supériorité du blanc dans la tête du noir. Bien sûr je fais ici une généralité d’une vérité non générale, mais quand même. Un jour une dame me raconte qu’elle a créé son service d’aide à la personne et très vite, elle s’empresse de medire :
Unautrejour,jesuisentrain de discuter avec un groupe de Camerounais. Lorsque je prends la parole, l’un d’entre eux s’arrête et dit attendez, écoutez, maître penseur parle. Eh non, il ne rigolait pas. Quand je lui dis que ma parole ne vaut pas plus que la sienne, il me regarde, les yeux dans le vide comme si je parlais une langue inconnue. Le lendemain, je fais part de cette réflexion à Madeleine et Lionel et ils valident tristement cette réalité. Eh oui, beaucoup pensent encore ainsi, surtout dans les petits villages. L’expression tu es habillé comme un blanc aujourd’hui, veut dire que tu es bien habillé.
Je suis étonnée, triste, désarçonnée par cette réalité à laquelle je ne m’attendais pas. Je m’attendais aux questions d’argent et de mariage, mais pas à être confrontée à cette place de supérieur. Ici, le blanc accède à tout plus facilement, aux services administratifs, aux réunions en haut de l’échelle, aux prêts bancaires… Chez nous l’égalité de nos êtres ne se questionne (presque) plus. Avant cela, je n’avais pas songé à décaler mon regard, je ne pouvais imaginer cette triste réalité. Je peine à m’en remettre.
Et pourtant, avec un peu de recul, ça semble assez logique… Les Africains sont soumis depuis tant d’années. Il a existé trois traites différentes. J’ai cherché différentes informations, pas forcément simples à trouver et pas forcément toutes cohérentes entre elles, mais pour résumer :
La supériorité du blanc sur le noir c’est donc plusieurs centaines d’années d’esclavage, des dizaines d’années de colonisation officielle, des dizaines d’années de colonisation non officielle (qui se poursuivent bel et bien à ce jour), mais pas seulement. C’est aussi le traçage de leurs frontières par nos soins, le nom donné à leurs pays, l’imposition de notre culture dite supérieure, le pillage de leurs sols et de leurs forces vives et j’en passe…
La supériorité du blanc est vécue quotidiennement ici, tant par les règles du jeu mondialisé que par les séries TV visionnées au quotidien par bon nombre d’Africains. Ainsi, tristement, je commence à comprendre. Commentpourrait-ilenêtreautrement ?
On n’a jamais fait la décolonisation des pensées. On ne fait que poursuivre la colonisation, on l’enracine encore plus subtilement, chaque jour un peu plus. Bon OK, il n’y a pas que ça, je découvrirai par la suite que beaucoup ont compris et se battent pour aller contre, mais, pour l’heure, je prends une bonne claque.
Un jour, je me balade à moto avec Lionel et il me dit : « tu sais, nous, on ne sait pas vraiment aimer ». Tout de suite, j’ai envie de lui répondre « mais non, n’importe quoi ». Une petite voix me dit tout de même de me taire. Alors, je songe. C’est quoi aimer ? Comment apprend-on à aimer ? Est-ce qu’on a la place pour aimer vraiment et pouvoir l’exprimer quand on vit tous les jours avec la peur de la maladie, la peur de ne pas savoir comment donner à manger à ses enfants, la tristesse de l’enfant déjà mort ? Si la seule éducation que l’on ait reçue nous-mêmes était le bâton, peut-on avoir la force ou la connaissance pour transmettre autre chose ? Si on travaille jour et nuit 7 jours sur 7 pour pouvoir nourrir sa famille a-t-on la place pour aimer vraiment ? Pour réussir à l’exprimer ? Pris dans une réalité tellement difficile, un quotidien au jour le jour, des galères constantes, la mort toujours là, la débrouille quotidienne… Je crois donc mieux comprendre la phrase de Lionel, ils n’ont pas de place pour aimer vraiment ou pas de place pour l’exprimer ou encore pas la même définition de l’Amour… Ces réflexions ne cessent de me poursuivre.
Le bâton a une place particulière au Cameroun, ou du moins pour ce que j’en ai vu et échangé. Un jour, je me balade dans Yaoundé, non loin de la maison et j’entends des cris d’enfants. J’avance, un portail est ouvert. Je tourne la tête. Je vois une femme, au loin, ceinture à la main frappant un enfant d’à peine 10 ans. J’ai envie d’entrer dans la cour, de donner des sous à cette dame pour qu’elle arrête de frapper cet enfant, de lui parler, de trouver une solution. Mais qui suis-je pour faire ça ? Moi, petite blanche, je vais venir donner des conseils ? Proposer de l’argent ? Non, je me ravise et poursuis mon chemin, pensive, tête baissée. Quand je raconte la scène à Marion qui est volontaire pour l’Unicef, elle me dit :« Tu sais, ici c’est la règle. L’enfant qui ne prend pas de coup, subit les harcèlements des autres à l’école qui lui disent d’un air sadique “ah toi t’es élevé dans l’amour, ah toi tu vis dans les roses…” » Ils travaillent pour faire changer les choses, mais le chemin est long. Comme leurs missions UNICEF ne sont que de deux ou trois ans, les choses changent doucement. Je ne comprends pas. On aspire à apporter notre « aide » dans un pays que l’on ne connaît pas, avec des codes, des manières de penser que l’on ne connaît pas et on pense qu’en deux ou trois ans le travail pourra être fait. Les volontaires commencent à peine à comprendre le fonctionnement du pays et tout est à recommencer.
Samedi, avec Marion et Flo, son conjoint, on part au « H ». Je ne sais pas trop à quoi m’attendre, mais ça a l’air top. Il s’agit d’une course d’orientation dans la brousse. On arrive au lieu de rendez-vous. Le groupe se réunit et s’organise pour monter dans les voitures de ceux qui en ont une. On fait plusieurs kilomètres, on sort de la ville et on se retrouve aux abords de la brousse. On s’organise rapidement et c’est le départ. Il y a deux groupes, un qui court, un qui marche. On hésite un peu et on finit par choisir celui qui court. Du coup, on est déjà à la bourre. Le principe est simple, des personnes sont venues tracer le chemin en déposant sur le sol des petits bouts de papiers découpés. Un point, on continue, une croix, on est sur le mauvais chemin, un grand rond, c’est un carrefour, on doit chercher le chemin. C’est top, c’est vert, on traverse des petits villages. Je suis hyper contente, je me dis c’est ça que je veux ! Lionel, lui, est beaucoup moins à l’aise, les souvenirs d’enfance et de la brousse semblent refaire surface et ce n’est pas une partie de plaisir. On se perd, on galère, mais on arrive à destination. En haut, la vue est magnifique, le groupe rigole, on fait connaissance. Quand tout le monde est là, on fait un cercle, on chante des chansons et on partage une boisson. Les nouveaux se présentent et gagnent le droit de boire une seconde bière cul sec !
Yaoundé c’est beaucoup d’habitations, beaucoup de monde, mais aussi beaucoup de cacahuètes délicieuses, des mangues en veux-tu en voilà et du bon jus régulièrement. Je trouve peu à peu mes habitudes et je me sens de mieux en mieux. Quand on est en manque de vert, avec Marion, son fils Liam, Charlotte et son fils Malik, on va à Adjamé. C’est un grand espace vert où les enfants peuvent courir et les adultes jouer au mölkky ou faire de la musique. Ça me fait dubien.
Je rencontre aussi pas mal d’amis expats de Marion. On se retrouve au café ou en soirée. J’avoue que je peine à comprendre. Mon regard neuf voit des blancs, ensemble, un peu fermés, qui restent entre eux. Un des amis me dit : « Oui, moi aussi quand je suis arrivé je voulais rencontrer les camerounais, mais en fait, ça fait du bien de se retrouver parfois avec des gens qui partagent les mêmes codes, ça repose. »
Endiscutant,j’enapprends aussi davantage sur les réalités administratives dans le pays. Lorsque les Camerounais font des démarches pour avoir une nouvelle carte d’identité (lorsque celle-ci est périmée ou perdue), une fois la demande faite, ils peuvent attendre, attendre et attendre encore, des mois et des mois. Du coup, si entre temps ils ont besoin de voyager dans le pays et qu’ils se font arrêter, ils paient des amendes, car leur carte n’est pas àjour.
La religion me semble très présente. Tout le monde parle de Dieu et le prie régulièrement. Madeleine, qui est protestante m’emmène un jour au culte. Quand on arrive au temple, c’est rempli. Le culte a déjà commencé. La pasteure parle, des textes sont lus, des gens viennent témoigner. Des quêtes sont organisées, plusieurs fois pour différentes raisons, chacun donne pour ce à quoi il a envie. Puis vient le moment des guérisons. Certaines personnes demandent à être soignées, d’autres sont appelées directement de la salle. La pasteure leur parle et parfois ces personnes rentrent en transe. Ils bougent, tombent au sol, continuent de trembler. L’une d’entre elles retrouve sa place dans l’assemblée tel un zombi qui ne sait où aller. C’est hyper impressionnant. Madeleine me raconte qu’elle vient ici chaque semaine, car un pasteur a un jour soigné de cette manière sa fille handicapée (d’une difficulté à la marche, je crois) et l’a sauvée. Il y a aussi beaucoup de chants, les gens dansent sur place. C’est un moment unique que je suis contente d’avoir partagé avec Madeleine.
Après deux semaines à Yaoundé, je rencontre Aprilla et Daphné, des amies de Marion qui partent sous peu voir du pays. Je décide de partir avec elles, envie de voir plus large que la capitale. Après un agréable trajet, on arrive à Nkoteng dans une association où elles avaient travaillé quelques années auparavant. On arrive le jour d’un baptême, on est invitée à manger et à faire la fête. Tout le monde est sur son 31, les enfants sont beaux, je m’amuse avec eux et je danse, je suis contente !
Puis, je découvre la ville de Dschang où je trouve l’atmosphère délicieuse, je m’y balade, visite un musée et apprends notamment que le nom du Cameroun vient de la colonisation. Ce sont les Portugais, qui, quand ils sont arrivés, ont trouvé plein de crevettes dans le fleuve Wouri. Ils ont alors décidé de rebaptiser le pays « Rio dos Camarões » ou « Rivière des crevettes ». Quand les Anglais ont pris le pays, ils ont alors anglicisé le nom et il est devenu le Cameroon. Pour être finalement francisé ensuite et devenir le Cameroun. Ça me rend triste. Je préfère l’histoire de l’ancienne Haute-Volta qui sous Thomas Sankara a rebaptisé son pays « Burkina Faso » ou « Pays des Hommes intègres ». Burkina venant du Mooré et FasoduDioula.
DeretouràNkoteng,jerencontrePascal.Pascalestguide touristique.
J’avais déjà pris contact avec lui, car j’avais très envie d’arpenter le mont Cameroun, tout le monde m’en vantait la beauté. Mais la situation est tendue entre les francophones et les anglophones et avec les élections qui arrivent, il ne semble pas bon de traîner dans ce coin-là. J’aurais envie d’une épaule, quelqu’un qui me dit : ce n’est pas grave, on y va quand même, mais je ne trouve personne. Pascal me dit bien que selon lui, il n’y a pas de danger, mais j’écoute la peur des blancs et je ne m’y rends pas… À tort ou à raison ? Je ne pourrai jamais le savoir. À la place, je profite tout de même d’une belle randonnée pour aller voir les lacs jumeaux. Même si je suis contente de la journée, le mont Cameroun reste dans ma tête…
On poursuit notre route et on passe aussi une soirée à Douala chez une amie d’Aprilla. Elle habite là depuis quelque temps. Quand on entre chez elle, il est déjà tard, son gardien est par terre, il dort sur du carton. J’aurais du mal à habiter là, dans un appart avec tout et voir mon gardien dormir parterre.Ici, ça semblenormal.
On parle de l’insécurité dans Douala. L’autre jour, à quelques pas d’ici, elle a vu une tête coupée sur le rebord d’une route. La « justice populaire » ! Ce n’est pas la première fois que l’on m’en parle. Comme il n’y a pas de justice rendue pour les plus pauvres, qu’il ne semble y avoir une justice que pour les riches, alors dans la rue c’est la justice populaire qui s’applique. Il paraît que des gens peuvent se faire brûler vifs sur une place devant la joie des autres villageois. Là, ça devait être le malfaiteur du coin qui a fini par se faire attraper. Ils exposent la tête pour servir d’exemple à qui voudrait sortir des clous… Je ne sais qu’en penser. Aprilla raconte aussi une autre histoire. Un jour, elle se baladait dans un village quand son accompagnateur lui dit en rigolant « ah oui, et là, c’est le fou du village ». C’était un homme, enchaîné que l’on nourrissait en lui jetant de la nourriture. Cet homme est fou, il a déjà fait du mal autour de lui et comme il n’y a aucune autre solution, le village a décidé de l’attacher et de le nourrir ainsi. D’un côté, je me dis : « Comment peut-on attacher quelqu’un de la sorte, et le traiter pire qu’un chien ? » D’un autre, je me dis : « Tu crois qu’ils ont d’autres solutions ? » Et comme il n’y a pas le choix, ils choisissent d’en rigoler…
Ah « triste réalité », comme diraient Amadou et Mariam. Et en même temps, sur ce même continent, nous, Occidentaux, on impose des projets dits de développement avec nos façons de penser, on pille les ressources, on implante des antennes orange partout et on vend le forfait à l’unité encore plus cher que chez nous. On laisse Bolloré y réaliser de jolis investissements à son avantage, on tue des forêts noires pour que l’on puisse boire du café et manger du chocolat. Faire grossir les plus gros. Toujours. Et, lorsqu’un président africain souhaite créer une monnaie africaine et concevoir un satellite pour ne plus dépendre de la téléphonie de l’occident, il se fait tuer sans autre forme de procès. Eh oui, j’ai souvent discuté avec des Camerounais de Kadhafi. Ils sont plutôt unanimes. Kadhafi avait un vrai projet pour l’Afrique, il voulait l’union. Il voulait l’émergence du continent. Il devenait dangereux pour nos privilèges de blancs, on a préféré le tuer. Je ne dis pas que Kadhafi était un saint, mais en tout cas la réalité est bien différente que celle qu’on nous montre.
Biensûr,iln’y a pas que ça. La chaleur des gens est merveilleuse. Le pays est beau, les gens prennent le temps de vivre et rigolent constamment. Si d’un premier regard les Camerounais me donnent l’impression d’être dur, ils sont en fait hyper drôles. Ils aiment rire, « se blaguer » et peuvent même inventer des conflits pour passer le temps. Pour eux, ce n’est pas un problème. Quelqu’un commence à monter en pression, une petite blague, et la tension redescend.
Ce voyage avec les filles n’est pas totalement celui qui me correspond à 100 %, je ne me sens pas toujours en accord avec le fond de ce que je veux vraiment. J’aimerais être plus libre, mieux connaître les gens. Je sens que je suis sous l’influence des pensées des autres. Je n’arrive pas à suivre vraiment mes envies propres ni à les identifier. Je crois bien que je dois voyager seule… Mais, j’apprends. J’apprends à faire face à certaines réalités pour mieux m’y adapter. Je réfléchis, je cherche. Je pense à mon prochain voyage, celui après Seuil. Où aller ? Comment ? Trouver la montagne, mais comment ? Marcher, mais comment ? Marcher est comme une obsession et je ne sais comment assouvir ce besoin. Ici on ne marche pas si facilement, le terrain n’est pas balisé et les services d’un guide sont souventtrèschers.
Ce séjour au Cameroun est étrange, car je suis très souvent dans la recherche de ce que je souhaite pour mon prochain départ. Comme un voyage transitionnel. Un voyage dans le voyage. Je crois que c’est une bonne chose au final. Pays francophones VS, pays anglophones ? Je ne sais pas. J’y vois des avantages et des inconvénients dans les deux. Les choix, toujours cette question de choix.
Après avoir bien profité, eu plein de discussions hyper intéressantes avec Aprilla et Daphnée, je choisis de profiter seule de ma dernière étape :Kribi.
Je me retrouve seule pour la première fois du voyage et cela me plaît. J’alterne entre des pensées, me disant que seule c’est tout de même moins drôle, et des petites rencontres ou des sourires qui m’emplissent de joie. Je ne suis pas ouverte de la même manière à l’autre et au monde quand je suis toute seule. Il est difficile de me détacher pleinement du rapport monétaire, mais peu à peu j’y arrive, enfin je l’accepte. Je pense rentrer le 28 mai, trop de démarches et d’argent potentiellement engagé et sans certitude. Revenir pour l’anniversaire de maman et sûrement aller faire les rencontres chamaniques… rien de sûr, tout peut encore bouger.
18mai,carnetnoir, Kribi
À Kribi, je pense beaucoup à ma grand-mère. Mon père, sa sœur et ses parents ont vécu au Cameroun et ma grand-mère m’a souvent parlé de Kribi, la plage et la belle vie. Mais, quelle différence entre sa vie et la mienne. Je ne sais que je ne suis pas là par hasard, tant de choses à comprendre…
Je passe faire un tour au marché. Il est somptueux, vivant,rempli, coloré.
Je cherche un endroit où planter ma tente. Je ne trouve qu’un hôtel de luxe. C’est un peu étrange de planter ma tente au milieu de l’hôtel, mais bon, je prends ce que je trouve ! La mer est bonne, l’arrêt aussi. Je pars marcher un peu plus loin le long de la mer et je rencontre un homme qui m’emmène en plein milieu d’une cascade. C’est un peu dangereux, mais la vue en vaut le détour. Il fait le chemin du retour jusqu’à l’hôtel avec moi et on se donne rendez-vous pour le soir, il va me faire goûter un poisson grillé. Le temps d’une pause, d’une douche et les gars de l’hôtel viennent me voir. Ils me disent que ce gars-là n’est pas sûr, qu’il a déjà posé problème, que je ne devrais pas le suivre. Aïe. Je suis sur une embûche. Je ne sais que faire. Quand il vient pour me chercher, j’ai le cul entre deux chaises. Alors, je lui parle franchement. Il me dit que les gars de l’hôtel veulent juste que je consomme chez eux,quedetoutemanièretoutlemondem’avueaveclui donc s’il y a un problème, tout le monde saura que c’est lui. Je trouve que c’est un bon argument, alors je le suis ! Le poisson grillé est fou. Le principe est simple et merveilleux, des poissons frais du jour sont dans une bassine d’eau, tu choisis celui qui t’allèche, la cuisinière le met sur le barbecue et quelques minutes plus tard, tu as ton poisson frais, grillé accompagné de bâtons de manioc et de pommes de terre. Magnifique ! La soirée est sympathique. Quelques discussions plus tard, je suis heureuse d’avoir fait ce choix et de retrouver matente.
Mon séjour touche à sa fin et le bus pour rentrer à la capitale va partir « bientôt ». Ah, mais c’était sans compter la signification camerounaise de « bientôt ». Aujourd’hui, bientôt, c’est en fait quand le bus sera suffisamment plein pour partir. À la vitesse où les gens arrivent, je ne crois pas que l’on ait la même définition de bientôt. J’attends, plusieurs heures. Je passe par des phases d’énervement intérieur fort et par des phases de calme et d’apaisement. Je ne suis qu’au début de l’apprentissage !
De retour à Yaoundé, je retrouve mes petites habitudes, Marion, Flo, Liam, Madeleine, Lionel et tous les autres. Mais depuis quelques jours, la pluie tombe. Les orages ici ce n’est pas à moitié, quand ça tombe, ça tombe. L’orage me fascine, je pourrais le regarder pendant des heures. Il prend une telle place, tout s’assombrit, le tonnerre gronde.
Parfois on propose à Lionel (qui vient souvent avec un ami) de nous rejoindre en soirée. Je ne connais pas trop la logique culturelle, mais je crois comprendre que quand tu proposes à quelqu’un de venir alors tu paies tout pour lui. J’ai du mal à accepter l’idée.
Cet ami a envie de rejoindre la France. Il a une fille ici alors il se demande ce qui est le mieux, mais il y réfléchit sérieusement. J’essaie de l’en dissuader, de lui raconter Porte de la Chapelle et tous ces gens qui dorment sous des tentes en plein hiver. Je peine à comprendre comment on peut préférer partir et quitter sa famille plutôt que rester et essayer de s’en sortir. Plus tard, quand on rediscute de cette conversation avec Marion, elle me dit : « Tu sais, avant je pensais comme toi, mais plus je suis ici, plus je connais la réelle situation des gens, la maladie, la mort, les conditions de vie déplorable, plus je me demande vraiment ce qu’il y a de mieux… »Je reste perplexe.
Un ami de Lionel nous invite un soir à sortir dans un endroit bien camerounais. Quelques jours plus tard, on le retrouve. Et effectivement, il paie tout pour nous. On ne peut rien payer, sinon, il le prend mal. Y a pas, on n’a pas les mêmes codes. On danse, la musique est hyper forte, on ne peut pas parler, mais on passe une bonne soirée. J’aime cet endroit, ce n’est pas le bar à français, on danse vraiment et ça me plaît. Les bières sont toujours aussi grosses, la quantité et la présence de l’alcool partout et tout le temps m’interpellent.
Quelques jours plus tard, je fais une sortie pour aller avec une amie de Marion participer à la fête de l’unité, c’est une fête nationale qui célèbre l’unité du pays. On me parle de cette fête depuis plusieurs jours, j’ai bien envie de voir ce que ça donne. On arrive chez une dame qui est chargée de faire à manger pour une centaine de personnes.
On passe la journée avec elle et toutes les autres femmes qui préparent également. C’est une organisation ! Après avoir bien regardé et bien insisté, on a le droit de filer un coup de main. Ce n’est pas facile de démêler si ça se fait d’insister, mais là je crois qu’elles sont plutôt contentes. L’ambiance est hyper bonne, on rit, on chante.
Jevoisunenfantdemoinsde quatre ans jouer avec une machette, mais tout semble normal,le petitgère.
Et puis, l’heure de la cérémonie approche. On nous passe un boubou et on va rejoindre le lieu du défilé. On se retrouve dans les rangées officielles. J’ai du mal à accepter cette place, mais je n’ai pas trop le choix, je suis blanche, j’ai donc une place de choix, c’est ainsi. C’est un défilé d’écoliers, de travailleurs, d’associations. C’est blindé de monde. Quand c’est notre tour, on va défiler pour une association pour le manioc (si mes souvenirs sont bons) et on a le droit au petit mot du speaker à notre attention. Ils sont heureux de voir des blanches défiler. Moi, je défile en babouche. Les babouches ce sont les tongs et ici c’est strictement interdit de défiler en babouche… Quand je dis ça en rentrant à Yaoundé, les gens éclatent de rire !