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La bipolarité et moi présente le parcours chaotique d’une femme face à l’adversité. Diagnostiquée à l’âge de dix-neuf ans d’une psychose maniaco-dépressive, Noëlle Desmarange s’est efforcée de mener une vie normale et standardisée. À trois reprises, elle a été internée dans des établissements psychiatriques. Après avoir subi de nombreuses thérapies, elle entrevoit enfin le bout du tunnel. Craignant une rechute et désireuse de préserver son bien-être, elle suit un traitement quotidien. Bien que les médicaments atténuent ses émotions et l’apaisent, une question fondamentale la hante : peut-on guérir de la bipolarité ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Noëlle Desmarange a trouvé dans l’écriture un moyen d’apaisement et de libération. Dans "La bipolarité et moi", elle exprime haut et fort la réalité de sa maladie, en vue de partager son vécu et de sensibiliser les lecteurs tout en restant fidèle à ses souvenirs.
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Noëlle Desmarange
La bipolarité et moi
© Lys Bleu Éditions – Noëlle Desmarange
ISBN : 979-10-422-3864-3
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En ces jours-là, on ne dira plus : « les pères ont mangé des raisins verts, mais ce sont les enfants qui ont mal aux dents ».
Jérémie 31.29-34 (verset biblique)
Un soleil chaud et généreux diffusait avec prodigalité ses rayons sur la campagne jurassienne. La moindre plante, le plus petit arbre, se délectait de cette lumière estivale chaleureuse et déployaient leur feuillage et leur ramure en hymne à la nature. La fleur s’ouvrait davantage et exhalait des senteurs suaves. L’annonce d’un été précoce avec de fortes chaleurs était prédite par les vieux agriculteurs du canton de Nozeroy. Ce canton regroupait plusieurs communes dont Bief du Four et Mignovillard. Le 22 juin 1870 sonnait le glas pour commencer la moisson. Éloi, assis sur le tracteur, de sa position surélevée, dominait la situation ; les champs s’étendaient sur une vingtaine d’hectares, droit devant, jusqu’à l’orée des bois. Ils étaient lourds du blé, leur matrice portait ce trésor fécond qui n’attendait que la délivrance.
Le blé était mûr, il le savait, il le sentait, rien qu’à voir cette étendue blonde et ondulante. Par jeu, il descendit de son tracteur et égrena un épi ; les grains sentaient l’odeur du soleil et de la terre au creux de sa main. Éloi hocha la tête, plein de satisfaction. Une émotion forte monta dans sa gorge. Cette terre nourricière, sa terre, produisait ce beau blé ; il en était fier. Demain mardi ou mercredi au plus tard, il faudra moissonner, le feu vert sera donné aux fermiers. Hippolyte Éloi s’acquittait bien de sa nouvelle situation de propriétaire terrien. Il succédait à son père Louis Adolphe Joliclerc, emporté par une embolie pulmonaire à l’âge de soixante-douze ans il y avait six mois à peine.
Éloi avait un frère cadet, Louis Constant Joseph, plus jeune de sept ans et donc la responsabilité du domaine lui revenait de plein droit. En attendant, il épaulait sa mère, Félicité, la cinquantaine sonnée, dotée d’un fort caractère et d’une énergie hors du commun. Levée dès l’aube, Félicité partait à cheval, visiter ses fermes et donner ses ordres aux métayers. Celle-ci tenait bien les rênes du domaine et ne voulait pas lâcher du lest. Elle contrôlait la rentrée des récoltes, le tonnage, ne laissait aux fermiers aucune possibilité de resquiller. Ceux-ci s’exécutaient devant la volonté implacable de leur patronne.
Des voisins agriculteurs vinrent aider à moissonner chez les Joliclerc Éloi. C’était ainsi dans le village, les uns et les autres s’entraidaient pour les gros travaux.
Félicité était présente, un pantalon de toile brune, une chemise d’homme lui tombait sur les reins et un immense chapeau de paille complétait son apparence extravagante : s’habiller en homme démontrait chez cette femme la volonté de se démarquer de ses congénères. Ainsi, elle mit la main à la pâte, ficela en bottes le blé coupé, porta sur ses épaules les ballots, elle en fit plus que nécessaire, voulant montrer sa volonté de travailler tout comme les fermiers, assurant ainsi sa suprématie. Elle était partout, donnait des ordres aux uns et aux autres, houspillait certains qui ne travaillaient pas assez vite selon son goût. À l’heure du ravitaillement, elle veilla à ce que chacun ait sa part, pas plus, et passa dans les rangées de tables pour verser du vin de sa production avec parcimonie dans les timbales.
Félicité était connue pour sa pingrerie ; les paysans se moquaient à voix basse lorsqu’elle avait le dos tourné. La moisson se déroula dans la bonne humeur et cette année fut particulièrement fructueuse. Puis la moisson était à peine terminée qu’il fallait déjà penser au battage. Pour cette occasion, Éloi rassembla une trentaine de fermiers pour cette tâche difficile. Des femmes étaient là pour servir de copieux repas arrosés de vin du pays. C’était une fête de récolter le blé : le battage consistait à séparer le blé de l’épi à l’aide d’un fléau ou d’une fourche. Éloi participa comme il put, mais il supervisa le travail. Une fois le blé séparé, il fut mis dans de grands sacs, prêt à être vendu aux minotiers de la région.
Éloi contrôla le travail, et avec l’attention qu’il portait à ses paysans, il se rendit compte qu’un paysan avait fortement ralenti la cadence. Par précaution, il s’approcha du gars et lui demanda si tout allait bien.
— Il faut que je m’arrête, mon épaule me fait mal, dit le jeune garçon.
Éloi le toisa.
— Bon arrête de battre et met toi au transport des sacs.
Le jeune homme acquiesça et se dirigea pour prendre un sac. Il le porta sur son épaule et un cri de douleur lui échappa.
— C’est bon tu es exempt des travaux lui dit Éloi.
— Comment t’appelles-tu ? demanda Éloi.
— Pierre monsieur, répondit le jeune homme.
— Il te faut du repos et voir un médecin, dit Éloi.
— Ma famille n’a pas les moyens pour le médecin.
— Je passerai dans la soirée chez toi, tu peux rentrer.
— Merci monsieur.
Pierre s’éloigna.
Le soir venu, après sa journée, Éloi se présenta au domicile de Pierre et lorsque les parents du garçon découvrirent qui il était, ils le firent entrer dans leur modeste maison et lui offrirent un rafraîchissement. Quand Éloi proposa de payer la consultation du médecin en sortant des billets de sa poche, les parents du jeune homme ne surent comment le remercier.
Éloi savait être généreux, quand il s’agissait de ses ouvriers. C’était comme sa famille. Dans le canton, il était connu pour sa bienveillance envers tous. Sa mère n’y voyait pas d’un bon œil. Son fils était trop laxiste, il laissait faire les choses et n’hésitait pas à venir en aide financièrement aux paysans. C’était la catastrophe, elle dirigeait d’une main de fer le domaine et savoir que quelques francs étaient distribués la rendait malade.
Le battage dura encore quatre jours, plein de labeurs exécutés dans la joie et la bonne humeur.
Éloi se mêla aux paysans, donna un coup de main par ci, encouragea ses ouailles par là et partagea les copieux repas. Des liens d’amitié se créèrent et Éloi ne sut pas garder ses distances.
Des paysans lui tapaient amicalement dans le dos et lui offraient un verre puis un autre.
À la fin de la journée, lorsque le soleil déclina et que la fraîcheur du soir s’installa, Éloi ne tint plus sur ses jambes. André, le doyen le chargea dans sa charrette tirée par sa jument et le ramena chez lui. Félicité reçut le paysan de façon glaciale et lorsqu’Éloi s’écroula dans un fauteuil du salon, elle se rendit compte de la gravité de la situation. Elle congédia André sans un mot et ferma à double tour la porte du salon. Demain, elle aurait une conversation avec Éloi.
Elle espérait qu’Éloi la seconde en attendant de prendre la relève. S’occuper du domaine nécessitait de la rigueur et de la fermeté. Elle douta de son fils, au vu de son comportement de la veille. Elle savait les rapports beaucoup trop amicaux qu’il entretenait avec les paysans. Demain, il faudra qu’elle le recadre.
Éloi était né avec une colonne vertébrale déviante, et cela l’empêchait de vivre avec toutes ses capacités physiques. Éloi était diminué pour tout ce qui demande d’effort physique.
Félicité connaissait sa fragilité et essayait de le protéger, mais Éloi faisait comme si de rien n’était, et s’adonnait à l’ouvrage sans compter. Parfois, il restait plusieurs jours alité, rompu de fatigue et souffrant du dos, incapable de tenir debout. En avril de cette même année, tous les jeunes gens de Bief du Four furent convoqués pour le recensement militaire. Éloi fut réformé à cause de sa colonne vertébrale.
Les jeunes appelés se préparèrent pour la guerre. Tout le monde savait qu’elle était imminente.
Le 19/07/1870, la France déclara la guerre à la Prusse.
Félicité fut soulagée que son fils ne parte pas à la guerre. Tous les bras comptaient dans ce moment où les hommes manquaient cruellement.
La guerre ne dura que quelques mois et l’année suivante, les jeunes appelés revinrent au pays. Le seigneur entendit les prières de Félicité, demandant le retour des hommes au village. Chaque dimanche, Félicité s’agenouillait devant la statue de la vierge marie, implorant sa bonté afin qu’elle intercède auprès de son fils. Félicité priait pour son intérêt, pour que son domaine continue de prospérer. Elle n’était pas une femme à s’apitoyer sur le sort d’autrui. Pour Éloi, qui avait une mauvaise conduite selon elle, elle pria et trouva une solution pour limiter ses excès d’ivresse : il revenait de plus en plus souvent éméché le soir à la demeure de sa mère. Éloi ne pouvait s’empêcher d’accepter les verres que les paysans lui offraient et une camaraderie s’installa qui déplut à sa mère. Éloi ne savait pas tenir son rang.
Aussi elle prit une décision : engager un régisseur afin de tenir à l’écart Éloi des affaires du domaine.
Ce matin de février 1871, il gelait à pierre fendre ; Éloi endurci par les travaux de plein air auxquels il s’adonnait durant tout l’été scella sa jument préférée Icare, pour parcourir les quelques lieues le séparant du lieu-dit « la chaux ». Là, les forêts de sapins demandaient une attention rigoureuse. Le cheval, après avoir pris son trot de croisière, se cabra sous l’éperon de son maître et galopa en libérant toute sa fougue. Le cavalier et la jument traversèrent de grands champs, la culture était en jachère pendant les mois d’hiver. Éloi sentit la force de l’animal et faisait corps avec lui. Les naseaux d’Icare fumaient et c’est haletant et transpirant qu’ils arrivèrent sur la parcelle. Éloi savait reconnaître les arbres à abattre, pour laisser la place à d’autres désirant pousser.
Il avança dans le bois, Icare était resté attaché à la lisière de la parcelle. Une fine pellicule de neige recouvrait les sapins. Il tendit l’oreille, seule une fauvette pépia tristement. Il était au cœur de la forêt et se sentit en parfaite harmonie avec ces beaux conifères.
Il aimait particulièrement inspecter chaque arbre, il leva les yeux, jugea la ramure des sapins et prit état de chaque arbre. Il aperçut plus vers le centre, des sapins enchevêtrés empêchant certains de pousser. Il sélectionna ceux à abattre et les marqua d’une croix à la peinture rouge.
Éloi faisait le travail de garde forestier. Il avait appris par son père, lui-même garde de son état.
Son père partit trop tôt, laissa un domaine important comprenant plus de 3000 hectares de terres agricoles, une dizaine de bois, et des métairies. Ces biens étaient hérités par les ascendants de son père.
Sa mère encaissait les loyers des fermages, veillait aux récoltes, et le régisseur gérait le reste. Depuis qu’elle évinça Éloi de la gérance du domaine, il partait souvent à cheval dans les bois.
Là, il se sentait apaisé, et la colère qu’il avait en lui s’effaça. Depuis que sa mère lui avait retiré la gérance, Éloi se sentait exclu, Félicité lui permit seulement de s’occuper des bois. Souvent au détour d’un chemin, il rencontrait un paysan qui l’invitait à boire un verre. Éloi se laissait faire par oisiveté. C’était un verre puis un autre, puis il repartait, rencontrait un autre paysan, qui l’invitait à boire puis la journée se passait ainsi verre sur verre. Félicité se rendit compte de la situation qui était pire qu’avant. Avoir ôté la gérance à son fils, n’avait pas résolu son problème d’alcoolisme.
Félicité redoubla de prières à l’église de Bief Du Four, tous les dimanches. Elle demanda que son fils ait la volonté de s’arrêter de boire. Puis en regardant la vierge Marie, une idée germa : Éloi devait se marier et fonder une famille.
Félicité, la semaine suivante, réfléchissait et passait en revue toutes les jeunes filles de bonne famille susceptibles d’être candidates au mariage dans le canton. Elle en retint seulement deux : l’une, nommée Marie Josèphe Pernet, habitait Mignovillard. Ses parents avaient un gros train de culture. L’autre, prénommée Agnès Devillard, habitait Nozeroy, le père était notaire. Par un beau dimanche de septembre, Félicité attela la calèche et partit dans le bourg de Mignovillard rencontrer les Pernet. Elle fut chaleureusement accueillie par le veuf André Pernet. Tout de suite, le courant passa bien, et après l’échange de banalités courant sur les cultures, et le bétail, Félicité décida de dévoiler l’objet de sa visite.
Elle se lança dans un monologue interminable pour faire l’éloge de son fils, dire combien il était méritant de reprendre le domaine, sans oublier pour finir de souligner l’intérêt de ce mariage pour les deux familles de garder intact leur patrimoine et de voir grandir leur fortune, il fallait le dire. Félicité repartit avec bon espoir, en disant au père Pernet qu’il faudra que les jeunes se rencontrent. Puis le dimanche suivant, elle se rendit chez les Devillard.
Lorsqu’elle annonça l’objet de sa venue, Henri Devillard prit un air hautain et la toisa du haut de son titre de notaire.
— Madame, jamais ma fille ne se mariera avec un paysan !
— Mais monsieur, mon fils n’est pas un paysan, nous avons du bien !
— Ça n’a pas d’importance, vous êtes des roturiers, j’ai de l’ambition pour ma fille.
Rouge de colère, Félicité tourna les talons en maudissant le notaire.
— J’espère que sa fille ne trouvera pas de mari, dit tout bas Félicité en sortant du salon.
Quinze jours suivant l’entrevue avec le père Pernet, Félicité organisa un déjeuner dans sa propriété à Bief du Four, afin que les deux jeunes se rencontrent.
Félicité mit les petits plats dans les grands, la belle vaisselle rutilait sur la table damassée recouverte d’une nappe blanche immaculée. Elle voulait que les Pernet sachent dans quelle famille leur fille allait entrer. La décoration, le repas servi qu’avec des mets délicieux firent le plus grand effet au Père Pernet. Après de timides présentations, Marie Josèphe et Éloi s’observèrent à la dérobée au cours du repas. Marie Josèphe était plutôt mignonne, petite, un chignon relevait ses cheveux bruns. Elle avait de bonnes manières et une bonne éducation ressortait de son attitude. À la fin du repas, tout le monde se déplaça au boudoir où café et digestifs furent servis. Marie Josèphe et Éloi eurent la permission de s’asseoir à côté l’un de l’autre sur le sofa. Éloi entama la conversation et lui demanda avec ironie si elle voulait bien devenir son épouse. Marie Josèphe répondit en hochant la tête et en rougissant légèrement. La glace sembla brisée et une demi-heure plus tard, les jeunes devisaient joyeusement. Éloi parla de son occupation sur le domaine, Marie Josèphe écoutait, de temps en temps elle glissait un mot sur ce qu’elle faisait à la ferme de son père.
Trois mois plus tard, après des fiançailles rapides et sans bruit, Marie Josèphe et Éloi s’unirent pour le meilleur et pour le pire dans l’église de Mignovillard. Peu de monde était présent, quelques amis et la famille des Pernet. Un banquet fut organisé dans la maison Joliclerc. On festoya avec modération avec du vin, mais sans excès. Éloi, n’ayant pas perdu son goût pour la boisson, s’éclipsa au milieu du repas. Au bout d’un moment, Félicité s’inquiéta, elle le chercha et le trouva dans la remise. Déjà deux bouteilles de vin jonchaient le sol à ses côtés.
Éloi regarda sa mère intensément et lui cria en pleine face :
— Je n’en veux pas de ce mariage.
— C’est toi qui as décidé, toujours tu décides à ma place ! hurla-t-il à sa mère.