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Peter émerge d’un sommeil troublé dans une cellule sombre et froide avec un masque de chat sur la tête. Malheureusement, il est déjà trop tard pour rebrousser chemin, car sa vie est en péril. Comme onze autres captifs, il doit lutter pour survivre. Félix Lecronnier, nommé inspecteur principal dans le but de les retrouver, sait que leur sort repose entre ses mains et un faux pas pourrait anéantir sa carrière prometteuse. Alors, il entreprend une enquête dévoilant les aspects les plus ténébreux de la nature humaine. La chaîne des coupables vous invite à prendre place dans un tribunal sans cour d’assises, sans audience, sans avocats ni jurés, où seul le juge détient le pouvoir.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Tsouky Burgundy ambitionne de se forger un chemin singulier dans les arts et la culture. Friande d’écriture depuis toujours, elle nourrit le rêve de vivre de sa plume. Romans, chansons, scénarios, ses projets foisonnent et son imagination est sans cesse en effervescence. Ses œuvres, riches en suspense et en intrigues, explorent les secrets, les péchés capitaux et la vie estudiantine.
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Seitenzahl: 293
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Tsouky Burgundy
La chaîne des coupables
Roman
© Lys Bleu Éditions – Tsouky Burgundy
ISBN : 979-10-422-3896-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
J’arrive au cimetière Passy et franchis la grille avec un bouquet de roses jaunes et noires que je tiens fermement dans ma main droite. Je laisse mes pas me conduire mécaniquement vers sa tombe. Je pourrais y aller les yeux fermés tellement j’y vais malheureusement… Mais c’est ma faute si je suis contraint de m’y rendre. Je frémis.
J’arrive enfin devant la tombe que je suis venu visiter et pose délicatement le bouquet. J’espère qu’il ne va pas pourrir trop vite avec cette chaleur écrasante. Sinon, je reviendrai la semaine prochaine et je le remplacerai. Je dépense beaucoup d’argent en fleurs, surtout pour les roses noires qui sont extrêmement rares et que je fais importer de Turquie. Qu’importe combien ce sacrifice me coûte : je peux le faire, et je lui dois au moins cela…
La sonnerie de mon téléphone me tire de mes pensées et affiche un message de l’un de mes amis. J’y répondrai plus tard, il sait sûrement que je suis là. Avant de quitter ce lieu qui me rend mal à l’aise, je m’adresse à elle, fixant les mots gravés dans la roche :
— Je sais que mes mots ne changeraient pas mes actes, mais si tu savais à quel point je m’en veux… J’ai été dégueulasse avec toi… J’espère que de là où tu es, tu me pardonneras et qu’un jour je serai plus apaisé.
— Dégueulasse, c’est tout ? Tu es le pire des salopards !
Avant que je puisse me retourner vers cette voix inconnue, je sens une vive douleur à l’arrière du crâne. Je tombe face contre terre et je suis incapable de me relever, ni même de tourner la tête pour identifier l’agresseur. Je suis fait comme un rat !
— Je savais que je te trouverais ici. Tu as vraiment du culot d’aller la voir après ce que tu lui as fait ! Dois-je te rappeler que tu es l’unique responsable ?
Je sens son pied dans mes côtes et je ne peux contenir un hurlement de douleur. J’essaye de bouger et de me défendre, mais il me garde plaqué au sol.
— Quel plaisir de voir l’adoré, le populaire Peter Wendenbaum dans cet état ! Eh oui mon cher Peter, il y a aussi des gens qui te haïssent, et tu ne sais pas jusqu’où ça peut aller !
Un autre coup. Cette fois, je serre les dents : crier à nouveau lui ferait trop plaisir. Ce type est probablement cinglé, et assurément sadique. Je résiste du mieux que je peux, mais je ne tiendrai plus très longtemps…
— Tu vas le payer Peter, la partie ne fait que commencer.
Cette dernière phrase me fait paniquer. Que quelqu’un vienne m’aider ! Je…
***
Lorsque je reprends conscience, je suis dans un espace noir et étroit. Mes poignets sont attachés et je sens que nous avançons. Je devine où je me trouve : dans le coffre d’une voiture. Je pense d’abord crier, mais mon assaillant reviendra m’assommer et je n’aurai plus la chance de m’échapper. La voiture s’arrête enfin et je referme les yeux. Le coffre de celle-ci s’ouvre et quelqu’un me soulève. Je me débats alors vivement, essayant de blesser mon ravisseur à coups de pied, mais celui-ci me maintient avec force. Il me repose, lie mes chevilles entre elles et sort un chiffon de sa poche pour y verser quelque chose, un liquide au vu du flacon. Il se penche au-dessus de moi. Impossible de voir à quoi il ressemble puisque son visage est recouvert d’un masque noir.
— Tiens, tu comptais me quitter ? Ce n’est pas sympa ça, dis donc.
— Libérez-moi ! Je vous jure que je ne dirai rien.
— Te libérer ? Mais c’est que tu as de l’humour ! Non Peter, j’ai besoin de toi pour mon projet, une « petite expérience ». Je ne voulais pas en arriver là, mais tu m’y obliges.
Il me plaque le chiffon sur le visage et je me sens partir. La dernière chose que je vois est son poing s’avancer vers ma tête tandis qu’il éclate d’un rire lugubre.
— On vient de nous signaler une nouvelle disparition ! Un jeune homme, même tranche d’âge que les précédents ! Je veux le maximum de monde sur cette affaire, même toi Lecronnier ! Tu vas aller interroger la dernière personne qui l’a vue pendant que l’on continue nos recherches sur les autres !
Je lève les yeux de mon écran d’ordinateur tandis que ma supérieure jette un dossier sur mon bureau. Je me sens soudain animé d’un nouvel intérêt pour cette série de jeunes adultes volatilisés dont j’avais été écarté. C’est le onzième en moins d’une semaine, autrement dit : du jamais enregistré. Les avis de recherche s’enchaînent au point où chaque personne de la capitale appartenant au profil des disparus redoute d’être la prochaine. Je me souviens de la première déposition : la victime n’était pas rentrée chez elle depuis vingt-quatre heures. Les parents étaient en larmes, argumentant que cette attitude ne lui ressemblait pas. Mais étant adulte, elle n’avait pas disparu depuis assez longtemps pour que cela soit signalé comme inquiétant. L’enquête n’a été ouverte que deux jours plus tard, lorsque les proches de trois autres victimes ont à leur tour signalé leur absence. Si cela avait été moi, j’aurais immédiatement lancé les recherches au lieu d’attendre qu’une dizaine de kidnappings nous tombent sur les bras ! Or, je ne pouvais qu’observer la posture impassible de mon collègue en serrant les dents. Je sais bien que depuis ma dernière intervention, je dois rester en arrière. Cette situation me frustre : il a suffi d’une erreur pour que je sois rétrogradé et interdit d’actions sur le terrain. Aujourd’hui, cette investigation est l’occasion que j’attendais impatiemment pour refaire mes preuves.
Après avoir examiné le dossier contenant les informations sur la victime, je ne me fais pas prier pour récupérer les clés d’une des voitures de la brigade. Je me dirige précipitamment vers le garage, ne contenant plus l’excitation présente. C’était sans compter sur la voix d’un collègue, que je ne connais que trop bien, pour stopper mon élan recrudescent :
— Félix attends-moi ! Tu sais bien que tu ne peux pas partir seul !
Je soupire bruyamment, exaspéré par la présence de mon chaperon qui ne m’a pas oublié. J’ai peut-être commis une faute, mais ce n’était vraiment pas la peine de me coller un partenaire aux basques pour me surveiller.
— Désolé, ce n’est pas moi qui ai imposé cela, lance-t-il une fois à ma hauteur.
— Épargne-moi ton discours Maillard, répondis-je acerbe sans m’arrêter.
— Je t’ai déjà dit que tu pouvais m’appeler Clément : on a le même âge, et nous formons une bonne équipe n’est-ce pas ?
— Fais pas semblant avec moi, je sais que ça t’arrange au fond…
Il ne trouve rien à redire, sûrement parce qu’il ne peut pas me contester. Il est arrivé à la brigade en même temps que moi. Malheureusement pour lui, nos supérieurs m’avaient remarqué et catégorisé comme membre prometteur, contrairement à lui. Mon opération ratée lui a finalement été favorable puisqu’il se retrouve à mon ancienne place…
Nous sortons du bâtiment dans un silence de mort. Maillard est au volant tandis que je regarde défiler les rues parisiennes par la vitre. Ce n’est qu’un simple interrogatoire, pourtant je me sens à la fois nerveux et agité. Je ne dois pas montrer que cette mission anodine m’atteint, ou je serai encore catalogué.
— Ce n’est pas de ma faute si tu es aussi impétueux.
Je ne réponds pas. Je déteste ce mot, il sous-entend que j’ai de la violence en moi. Je préfère le terme impulsif, à la limite fougueux. Il a raison dans le sens où je voulais absolument sauver tout le monde ce soir-là, mais je ne suis pas violent.
— C’est vrai, tu as agi sans réfléchir. Tu aurais dû attendre les renforts ou…
— Tu aurais fait quoi à ma place Maillard ? On l’avait enfin trouvé, mais il avait des dizaines d’otages ! Il avait commencé à tirer et tu voulais que j’attende les mains dans les poches ? Il fallait que je tente quelque chose… !
Quelle enflure à me rappeler constamment cet échec cuisant ! Je ne suis pas du tout comme lui : si les rôles étaient inversés, je n’aurais pas pris un malin plaisir à triturer le couteau dans la plaie… Je déteste les orgueilleux comme lui qui écrasent les autres pour fulgurer et accélérer leur ascension.
Le véhicule s’arrête au quartier Triangle d’Or et je me fais immédiatement une idée de ce que peut être la victime : riche, propre sur lui et pas un pli de travers. S’il est du genre à alimenter le cliché, il doit se droguer en cachette. J’ai du mal avec ces arrondissements luxueux où je ne pourrai probablement jamais résider. Nous descendons et Maillard sonne. Un jeune homme en costume nous ouvre. Il est exactement ce que je me représentais…
— Bonjour Monsieur, agents Lecronnier et Maillard. Nous souhaitons vous poser quelques questions sur votre ami, se présente mon collègue alors que nous montrons nos plaques d’identification.
— Bien sûr, je suis Léopold Rousseau. Entrez donc, nous accueille-t-il.
Nous le suivons dans un couloir aux murs blancs et au sol recouvert de parquet crème, amenant sur un salon immense de style scandinave. Rien que la cheminée et la télévision prennent la moitié de la pièce, sans compter les canapés et la table basse. Je m’installe sur l’un d’eux, plutôt mal à l’aise. Maillard prend place à côté de moi en prenant garde à laisser une distance entre nous, et notre hôte s’assoit dans un fauteuil face à nous.
— Cela vous dérange que notre conversation soit enregistrée ? interroge Maillard.
— Non pas de souci, je comprends.
— Bien Léopold, quand avez-vous vu Benjamin Cohen pour la dernière fois ? commencé-je en allumant un dictaphone.
— Nous sommes sortis avec des amis jeudi soir, le 9, il me semble. Je vous donnerai les noms pour que vous puissiez vérifier. Nous sommes allés au Glazart. La dernière fois que je l’ai aperçu, il devait être aux alentours de 4 h 30.
— Et vous ne vous êtes pas contactés depuis ?
— Il m’a envoyé un message bizarre vers 6 h pour dire qu’il rentrait, mais cela ne lui ressemble pas. D’autant plus qu’on avait prévu un after derrière.
— Pouvons-nous voir le message ? Et quelques précédents pour comparer ?
— Pas de problème, attendez deux secondes.
Il sort son téléphone de sa poche, pianote dessus et nous le tend. Je le saisis et commence à parcourir sa conversation avec Benjamin. Cela parle beaucoup de sécher les cours pour aller boire des coups au bar. La victime a un certain penchant malsain pour la gent féminine et ses méthodes ne sont pas très catholiques. Un connard en somme… Mais même s’il en est un, il est de notre devoir de le retrouver ! Le dernier message a été reçu aux alentours de 6 h comme annoncé et indique : « Je suis parti, je suis trop bourré. Ne vous inquiétez pas, pas besoin de me contacter ou autre. À bientôt. » Plutôt sec et inhabituel pour quelqu’un qui aime faire des fêtes et se mettre des coups dans le nez. Étrangement bien écrit pour une personne ivre également. Effectivement, ce message est louche… Nous échangeons un regard discret avec Maillard : celui-ci semble partager les mêmes méfiances. Avant de rendre le téléphone, il prend quelques photos de la conversation puis continue :
— Cela ne vous a pas inquiété ?
— Sur le coup, pas tellement. Il fait toujours attention à son orthographe, même bourré. Je me suis dit qu’il devait vraiment se sentir mal, c’est tout.
— Et à partir de quand avez-vous réalisé que quelque chose clochait ?
— Dès que ses parents m’ont appelé pour savoir s’il était chez moi. Ils ont appelé tout le monde parce qu’il n’est pas rentré… C’est seulement en relisant plusieurs fois le message que je me suis dit que ce n’était pas normal. Je m’en veux, personne ne sait où il pourrait être… Et avec tous ces gens qui s’évanouissent dans la nature ces derniers temps…
— Est-ce que vous connaissez quelqu’un qui pourrait lui en vouloir ?
— Je ne crois pas, dit-il en réfléchissant. Nous sommes assez proches, je l’aurais su s’il avait des ennemis. Il ne me cache rien.
La classique qui ne nous fait pas avancer. Je suis quasiment certain que le bonhomme a été enlevé. Il ne me reste plus qu’à vérifier quelque chose :
— Est-ce qu’il a tendance à laisser son verre sans surveillance ?
— Jamais ! Au contraire, il le garde toujours à la main et le lâche seulement vide.
Donc il n’a pas pu être drogué. Cela n’écarte pas la piste de l’enlèvement s’il était ivre. Mais à La Villette, il aurait très bien pu se noyer…
— Benjamin était-il alcoolisé ? Dans quel état était-il quand vous l’avez aperçu ?
— Il a enchaîné les shots dès 1 h, et trois heures et demie plus tard il avait l’air… Je ne sais pas comment vous le décrire… Il n’était pas déchiré, mais un peu dans les vapes… Comme s’il ne savait plus vraiment où il se trouvait.
— Merci Léopold, nous avons tout ce qu’il nous faut, conclut Maillard parvenu à la même conclusion que moi. Nous vous rappellerons.
— Merci à vous messieurs. Si je peux faire quoi que ce soit d’autre, je me tiens à votre disposition, nous informe-t-il en se levant.
Maillard éteint et récupère le dictaphone avant de nous engager dans le couloir. Le teint de notre hôte a viré au blanc, comprenant certainement la gravité de la situation. Il nous raccompagne sans dire un mot, tremblant.
— Au revoir, bonne journée.
— Bonne journée, j’espère que vous le retrouverez…
Nous n’attendons même pas qu’il ferme la porte pour nous précipiter vers la voiture. Prochaine étape : La Villette. J’occupe le côté conducteur tandis que Maillard téléphone immédiatement à notre supérieure :
— Cheffe, autorisation de nous rendre aussitôt à La Villette ? C’est là-bas que la victime a été aperçue pour la dernière fois ! Et d’après les propos du témoin, il y a de fortes chances qu’il soit tombé à l’eau ! Il faudrait une équipe de plongeurs ! Oui, nous commençons les recherches sur les rives avec Lecronnier… Compris !
Je frissonne d’exaltation en entendant mon nom. Enfin, la hiérarchie m’autorise officiellement à participer à une affaire criminelle !
— À ton avis, on va le retrouver ? me questionne Maillard anxieux.
— Prions pour qu’il ne soit pas trop tard…
Je ne laisserai pas passer cette opportunité ! Cette fois, je ferai en sorte qu’il y ait le moins de cadavres possible derrière moi ! Je le retrouverai, lui et tous les autres… !
Tout est en place ! Je viens d’installer le dernier dans sa geôle. Je suis tellement impatient qu’il soit 23 h 30 pour sentir l’angoisse remonter leur échine et une boule se coincer dans leur gorge. Je ne peux plus reculer à ce stade trop avancé de mon plan, à la limite de dérober des vies comme ils ont volé la mienne. Un an pour que l’idée fasse son bout de chemin et mûrisse dans mon cortex cérébral, pour trouver le lieu idéal, construire les machines et les pinces, acheter le nécessaire et préparer le sens de tout ceci, le tout en restant discret. Une semaine pour enlever mes victimes une à une et les installer dans leur nouvelle et dernière demeure. Ce n’était pas simple d’attendre qu’ils soient seuls, mais je suis parvenu à ne faire aucun témoin qui aurait gâché mon chef-d’œuvre ! Tout le pays, voire toute la planète, en entendra parler, suivra les rebondissements et suspendra son souffle au dénouement ! Quel déluge international de haine et d’injures pour celui qui endossera la responsabilité de mes actes !
Tout est calculé au millimètre : la mise en scène est prête pour les officiers de police, dommage que je ne puisse pas me délecter du cassage de crâne que je leur inflige. Jouer avec les forces de l’ordre est un risque que j’ai décidé de prendre, mais j’ai fait attention à ne rien laisser derrière moi : ni empreinte ni indice. D’autant plus que je ne serai pas sur la liste des suspects (du moins, au début) puisque je me suis inscrit sur la liste des disparus. Eh oui, autant me volatiliser dans la nature pour être tranquille et superviser les opérations là-bas ! J’avoue que j’ai souri comme un gamin en voyant mon avis de recherche placardé partout dans la région parisienne, ainsi que les reportages que je peux visionner depuis les écrans de ma salle de contrôle.
Je n’aurai pas les mêmes conditions de vie que mes martyrs, cela va de soi. Dès que le procès journalier sera terminé et qu’ils dormiront, s’ils le pourront (les pauvres, ils vont finir commotionnés !), je me faufilerai dans ma salle de contrôle où je profiterai de tout le confort matériel et de toute la nourriture nécessaire. Je retournerai dans ma cellule à temps pour ne pas éveiller la moindre suspicion. Je l’ai aménagée comme la leur, au cas où ils viendraient me voir. Le jour, je m’amuserai à les observer fonder leurs vaines alliances. Le soir, ils m’égayeront de leurs querelles et de leurs votes. Ils vont assurément tous mourir dans d’atroces souffrances, mais j’ai hâte de connaître leur ordre de passage. C’est examiner leur psychologie et leurs réactions en danger de mort qui m’intéressent le plus. À ne pas oublier que ma cible capitale ne doit pas périr, ni moi bien entendu ! Je n’ai placé aucun piège pour nous afin d’assurer notre sécurité, mais je préfère autant qu’aucun de nous deux ne récolte le plus de voix. J’ai prévu le coup pour ma personne : je simulerai mon décès. Pour l’autre en revanche, ce sera une autre paire de manches… Tant pis, j’aviserai si la conjoncture doit jouer en ma défaveur.
Je devrai prendre garde à ne pas m’emmêler les pinceaux avec les différents boutons pour activer les pièges. En effet, j’aurai ma télécommande dans ma manche, directement reliée à la salle de contrôle. Ce sont des IA de mon invention qui activeront les pièges, à condition que je leur donne l’ordre juste. Je ferai aussi attention à bien enclencher le micro à condensateur sous mon masque qui permettra de modifier ma voix pour leur communiquer les instructions. Il suffit d’un grain de sable dans l’engrenage pour qu’ils comprennent que je suis parmi eux ! À ne pas oublier également de retirer tous mes gadgets sur moi dès le retour dans la cellule et de bien les dissimuler. Cela fait énormément de détails à penser, mais j’ai confiance en mon excellente mémoire et en ma gestion du stress. Cela valait également le coup d’étudier les nouvelles technologies. Du reste, inutile de paniquer au vu de toute la préparation que ce dessein a nécessitée.
Étant relativement pointilleux, je vais malgré tout réaliser de derniers réglages avant de démarrer cette expérimentation, funeste pour eux, galvanisante pour moi. Je camoufle mon journal ici et je prendrai un temps pour relater mes impressions chaque nuit. Ce carnet pourrait causer l’effondrement de tout mon empire. Néanmoins, je ne peux pas m’empêcher d’écrire dedans : je voudrais pouvoir le relire dans quelques années et me remémorer le goût de la consécration, édifiée grâce à leur trépas !
Je me réveille dans une pièce sombre, ma joue sur le sol froid. Ma tête me lance à l’endroit où j’ai été frappé. Je me relève et la première chose que je constate par un miroir accroché sur le mur face à moi est que je porte un masque de chat noir sur la tête. Les trous des yeux sont suffisamment grands pour qu’on puisse les voir de loin. Sur ce miroir en lettres rouges dégoulinantes, il est inscrit : N’enlève ton masque sous aucun prétexte ! Les rebelles auront le châtiment qu’ils méritent. À côté de cet avertissement se trouve un rectangle noir et blanc, brillant. Je m’approche pour déterminer ce qu’il représente : ce sont des polaroids monochromes mis bout à bout. Chacun dépeint une scène différente : le premier montre des gens avec des masques d’animaux, comme moi. Puis ils les retirent sur les deux suivants et le dernier cliché les affiche morts dans une mare de sang. Le message est-il écrit avec leur sang ? Je me détourne immédiatement, écœuré. En temps normal je n’apprécie pas trop que l’on me dise quoi faire, mais cette fois je préfère obéir : je ne prendrai pas le risque de mettre ma vie en péril, mieux vaut être prudent. J’inspecte la pièce où je me trouve. Je remarque qu’il n’y a quasiment rien dans celle-ci, seulement un simple lit, une horloge qui indique près de 23 h, ce miroir répugnant et une caméra dans un angle du mur. J’ai été kidnappé, contraint de passer un temps indéfini ici ! J’imagine déjà les pires scénarios sur mon sort, compte tenu des polaroids. La caméra accentue mon malaise puisqu’elle signifie que je suis surveillé en permanence. Je distingue finalement une porte grise de la même couleur que les murs et me précipite dessus dans un élan d’espoir. J’ai beau forcer, elle ne s’ouvre pas. Je donne un coup de pied de rage dedans et plonge ma main dans ma poche, mais mon portable n’y est plus. Évidemment, cela aurait été trop simple ! Je n’ai plus qu’à attendre, c’est tout ce que je peux faire pour le moment…
***
Une sonnerie stridente me tire de ma somnolence. Un rapide coup d’œil à l’horloge m’apprend qu’une demi-heure s’est écoulée depuis mon réveil. Je me lève avec un mal de dos terrible : je m’étais assis contre le mur. De plus, il fait une chaleur étouffante sous le masque, mais il est hors de question de l’ôter. J’entends un grincement et constate que la porte s’ouvre lentement. Je reste méfiant : ce n’est sûrement pas pour me libérer et il peut se passer quelque chose à tout instant. Après quelques minutes, je finis par la franchir prudemment. La lumière m’aveugle et je cligne plusieurs fois des yeux avant de m’y habituer. Quand je parviens enfin à voir correctement, les premières choses que j’observe sont que la pièce est circulaire et que je me situe sur un petit balcon en hauteur. La pièce en comporte douze à égale distance. Il y a une petite table en bois sur le côté droit avec des fiches dessus. Douze également. Après m’être penché, j’évalue qu’il y a au moins cinq mètres entre le balcon et le sol. Le seul moyen d’accéder en bas est un petit escalier sur le côté gauche, bloqué par une grille. J’entends quelqu’un parler :
— On est où ici ?
Je m’avance et vois alors d’autres personnes sur les autres balcons. Elles ont dû arriver après moi et je ne les avais pas aperçues, trop occupé à inspecter notre environnement. Comme moi, ces individus portent tous un masque. Il y a un singe, un bélier, un lapin, un renard, un lion, un cheval, un loup, un sanglier, un ours, un âne et un chien. Nous nous fixons sans rien dire, autant dans l’incompréhension les uns que les autres. Le lapin brise ce mutisme :
— C’est quoi ce délire ? Qu’est-ce qu’on fait là ?
Personne n’est capable de lui répondre. Un grésillement se fait entendre et une voix trafiquée sort alors de nulle part :
— Tout le monde est là ? Parfait, je vais pouvoir vous expliquer les règles.
— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous nous voulez ? interroge à nouveau le lapin.
— Calmez-vous, j’allais y venir : vous avez tous un secret, un crime que vous avez commis. Vos masques ont un rapport avec votre délit. Sur la table à votre droite, vous avez toutes les informations sur toutes les actions, mais pas qui les a commises. Ce ne serait pas drôle sinon. Ce sera à vous de faire le lien. Puis vous débattrez et vous voterez pour l’infraction qui vous semble la plus condamnable. Est-ce bien clair ?
— Jamais de la vie, vous entendez ! Vous êtes un grand malade, vous méritez de crever !
— Voilà ce qui arrivera à celui qui aura le plus de voix, continue-t-il ignorant les insultes.
Nous attendons, mais rien ne se passe. Une hache sort soudain brutalement du mur et vient se planter dans le bas ventre du lapin. Il hurle sa souffrance et nous ne pouvons pas intervenir pour l’aider. Une deuxième hache enfonce plus profondément la première. Nous le regardons se vider de son sang avant de s’écrouler. Il titube puis son corps penche et tombe de son balcon. Il atterrit au sol avec un bruit sourd cinq mètres plus bas. La sueur perle de ma tempe et je réalise que je tremble violemment. Une autre voix robotique dévoile son identité et sa transgression :
Benjamin Cohen, 22 ans. Luxure. A drogué et violé une fille de sa classe lors d’une soirée étudiante. La victime n’a, par la suite, pas été crue.
La voix reprend :
— Il m’a énervé celui-là, il méritait de servir d’exemple et d’y passer le premier ! Quelqu’un d’autre souhaite s’opposer ? Dans ce cas, reprenons : si vous refusez de voter, vous serez immédiatement condamnés. Même chose si vous retirez votre masque sans autorisation. Les débats et les votes auront lieu à partir de 23 h 30 et les résultats à minuit pile. Vous êtes encore onze, seuls deux d’entre vous seront relâchés. Les autres mourront. Le premier vote se déroulera demain soir. D’ici là, je vous laisse méditer.
— Attendez ! s’exclame le loup. Pourquoi nous ? Qu’est-ce qu’on a fait pour subir ça ?
— Vous le méritez, c’est tout ! répond froidement la voix. D’autres questions inutiles ? Bien, rendez-vous demain pour le premier procès. Je vous conseille de profiter de ces heures de libres, les dernières pour l’un d’entre vous.
Un grésillement, plus rien ne se fait entendre ensuite. Nous sommes encore plongés dans un silence pesant. J’examine à nouveau les autres : tout le monde s’abstient de bouger. J’imagine que nous sommes tous trop effrayés et choqués pour faire le moindre commentaire sur la scène à laquelle nous avons assisté. Je m’avance vers mon balcon et incline la tête pour m’assurer que ce n’est qu’un cauchemar, qu’aucun corps ne gît en bas. Mais le cadavre du lapin est là, baignant dans une flaque de sang qui s’étale davantage.
— Il est vraiment mort… Murmure le chien qui a également vérifié.
— Évidemment imbécile : la chute l’a achevé, du moins tué si la hache ne l’avait pas déjà fait ! réagit agressivement le lion.
— Détendons-nous, s’embrouiller ne servira à rien dans cette situation, dit le singe.
— Abu a raison, nous ferions mieux de rentrer dans nos cellules pour réfléchir à un moyen de sortir d’ici. On ne va pas passer la nuit sur nos balcons ! À demain.
Pour appuyer ses propos, l’ours se retourne et s’en va. Je décide de faire de même, mais sans saluer les autres. Pour le moment, je suis incapable de leur adresser la parole et je ne veux pas attirer l’attention. Une fois dans ma cellule, j’entends la porte claquer et se verrouiller. Je ne prends même pas la peine de vérifier si je suis à nouveau enfermé, je m’effondre sur mon lit. Je lâche quelques larmes avant de les essuyer aussi rapidement qu’elles ont coulé. Je ne peux pas être faible maintenant ! Je me calme et m’endors avec la conviction que je ferai tout pour m’en sortir ! C’est moi qui survivrai !
— Toujours rien les gars ? demande Maillard aux hommes-grenouilles qui viennent de remonter à la surface.
— Négatif, mais on n’abandonne pas !
Ils replongent alors que nous reprenons les recherches. Je remarque bien à sa mine que mon collègue désespère de plus en plus. Nous sommes d’abord passés par le Glazart, mais nous n’avons récolté aucune information utile à l’enquête. Puis nous nous sommes rendus au parc de la Villette, espérant trouver n’importe quoi qui pourrait nous conduire à la victime.
Cela fait trois heures que les plongeurs sondent le fond du canal de Saint-Denis, sans résultat, et je commence à penser que nous nous sommes dirigés vers une mauvaise intuition. Toute la zone a été fermée au public et nous jouissons encore d’une heure et demie environ pour trouver le moindre indice. Je décide de me poser et de réfléchir quelques secondes. En admettant que toutes les disparitions soient liées, elles ne se sont pas toutes déroulées près d’un point d’eau. Le principe d’un enlèvement, c’est que le ravisseur ne doit pas être surpris, sinon il n’y a plus d’enlèvement. Les gens aiment traîner près des quais, c’est donc un endroit trop visible. Le parc de la Villette est public, mais certaines zones ont des heures d’ouverture et de fermeture. Ce serait plus cohérent d’attirer quelqu’un dans ces espaces pour l’enlever… Je choisis de couvrir la zone près de la Cité des sciences et commence à m’écarter du canal. Maillard remarque mon manège :
— Ne t’éloigne pas trop Félix, je te rappelle que je dois toujours garder un œil sur toi.
Je roule des yeux, l’ignore et amorce le ratissage du secteur. Je persévère, mais encore une fois, je ne trouve ni empreinte ni effet personnel appartenant à la victime.
Une heure plus tard, le soleil se couche et je suis aussi exaspéré que mon partenaire de ne rien avoir trouvé. Dans quelques minutes, il fera trop sombre et nous devrons laisser tomber. Je rebrousse chemin pour rejoindre mon très cher équipier, mais mon instinct me pousse à vérifier du côté du Jardin du Dragon. C’est une structure pour enfant, ce qui signifie qu’il n’y a personne en pleine nuit ! J’entre aisément sur l’aire de jeux et démarre par le plus évident : le mythique dragon qui domine tout l’espace. Enfin, je déniche quelque chose : au pied du toboggan sortant de la bouche de l’animal, il y a une photo de la victime soigneusement placée comme si elle m’attendait. Sur celle-ci, une figurine de lapin blanc tacheté de noir qui empêche la photo de s’envoler. Elle repose également sur une feuille de papier. J’enfile des gants et la saisis pour y lire : « Chaud lapin ! ». Quelque peu perturbé par cette découverte, je retrouve mes esprits et crie :
— Maillard amène-toi ! J’ai un truc !
Il ne lui faut pas plus d’une trentaine de secondes pour me rejoindre et lire à son tour le message. Nous échangeons un regard perplexe.
— Ça signifie quoi à ton avis ? s’enquiert-il de mon opinion.
— Qu’est-ce que j’en sais ? En tout cas, ce jouet n’est pas là pour faire joli…
— Je préviens les gars d’arrêter, tu appelles la patronne !
Il retourne sur les quais pendant que je place les preuves dans un sachet. Je compose le numéro de ma supérieure qui décroche directement, comme si elle attendait l’appel :
— Lecronnier ! Du nouveau ?
— Oui cheffe ! Nous avons trouvé une photo, une figurine de lapin et un message.
— Je crains le pire… Rentrez vite avec ça tous les deux : réunion d’urgence !
***
La salle de réunion de la brigade ressemble à une ruche bourdonnante. Chacun sonde son voisin sur ce qui a été découvert. Le panneau blanc n’attend qu’à être rempli pour satisfaire la curiosité de tous les commissaires. Moi, je suis installé tout au fond. Je préfère observer que prendre part aux spéculations. C’était sans compter sur Maillard qui s’installe tranquillement à côté de moi, comme si en l’espace d’une journée nous étions devenus les meilleurs amis du monde. Je me tourne vers lui pour exprimer mon antipathie à son égard à travers mon regard et alors qu’il ouvre la bouche pour faire je ne sais quel commentaire indigne de mon intérêt, je lui témoigne le fond de ma pensée :
— Ne fais pas genre Maillard, je n’ai pas envie de faire semblant d’être ton pote.
— J’allais juste te demander pourquoi la responsable fait une réunion sur notre trouvaille.
— Réfléchis : ce ne serait pas si urgent pour UN indice. Il y a autre chose derrière !
— Il était comment le ton de sa voix ?
— Enfin une question pertinente ! D’abord impatient, puis angoissé et enfin pressant.
Il opine du chef et notre supérieure fait son entrée d’un pas pressant justement. Elle tient une liasse de documents dans ses mains. Elle se poste face à nous, le dos droit et l’air affirmé. Elle cache vraiment bien son agitation ou son affolement.
— Bonjour à tous, merci de vous être réunis aussi rapidement. Si je vous ai convoqué, c’est parce qu’il y a du nouveau dans cette affaire. Et ce que l’on a trouvé est alarmant.
Elle sort des carrés de papiers qu’elle affiche sur le tableau blanc. Tous les kidnappés. Elle inscrit ensuite leur identité et leur âge sous chaque portrait.
— Pour le moment, nous avons recensé onze victimes, âgées de 18 à 22 ans. Ils sont tous étudiants à la Sorbonne Nouvelle. C’est le seul point commun qu’ils semblent avoir.
J’examine les photos. Les victimes sont majoritairement masculines : huit garçons contre trois filles. Je ne pense pas que le genre ait de l’importance ici. En revanche, ce qu’a souligné la patronne est très intéressant : des étudiants. Le ravisseur a possiblement un attrait pour les plus jeunes que lui. Ou des histoires de jeunes adultes qui dérapent et vont trop loin.
— Nous ne savons pas encore si certains sont amis, encore moins s’ils se connaissent tout court, même visuellement. Il faudra aller s’en assurer auprès de leurs camarades.
J’ai bon espoir qu’on m’envoie faire les interrogatoires. C’est une tâche moindre dans ce genre d’investigation, mais dans mon cas c’est un excellent début pour prouver que je suis un bon détective. Et alors je pourrai enfin revenir sur le terrain !