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En novembre 1199, Thibaut, le comte de Champagne, organise un grand tournoi réunissant une partie de la noblesse française.
Il veut convaincre les barons de répondre à l’appel du pape pour libérer Jérusalem, et remédier ainsi au désintérêt des souverains occidentaux accaparés par d’autres ambitions. Sa sœur Marie, devenue comtesse de Flandre et de Hainaut, va s’inquiéter des véritables raisons qui poussent Thibaut à s’engager dans une telle aventure. Elle décide alors de prendre la croix.
Pendant ce temps, à Saint-Jean‑d’Acre, Isabelle, la reine de Jérusalem, appréhende l’arrivée de cette nouvelle armée conquérante qui pourrait bien chercher à lui imposer une nouvelle alliance.
Les circonstances, les ambitions des uns, l’opportunisme des autres vont engendrer alors l’invraisemblable chute de Constantinople, la plus grande ville chrétienne du monde, par ceux qui pourtant voulaient reprendre Jérusalem.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dans "La Croisade détournée",
Jean-Luc Marchand livre le récit de la quatrième croisade qui a débouché sur la fondation de l’Empire latin de Constantinople en 1204. Un roman captivant sur les enjeux et les intrigues qui ont déclenché un bouleversement majeur dans l’Europe médiévale.
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Jean-Luc Marchand
La Croisade détournée
La Compagnie Littéraire
www.compagnie-litteraire.com
ISBN 978-2-87683-823-9
© Jean-Luc Marchand, 2024
© Illustration de couverture : Michaël Picard
© Illustrations à l’intérieur de l’ouvrage : Hélène Marchand-Cury
La Compagnie Littéraire
11/13, rue Vernier – 75017 Paris
Tous droits réservés pour tous pays. Aux termes de la loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40, toute représentation ou reproduction de cet ouvrage, tant partielle qu’intégrale et par quelque procédé que ce soit, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivant du Code pénal. Fors les analyses et les courtes citations à titre d’exemple ou d’illustration, selon l’article 41 alinéas 2 et 3, les copies ou reproductions sont strictement réservées à l’usage privé du copiste et interdites à toute utilisation collective.
La prise de Constantinople par les croisés en 1204 a été un événement extraordinaire. Les historiens ont beaucoup débattu sur les raisons d’un tel égarement de cette armée qui devait libérer Jérusalem : succession d’accidents de parcours ou intentions conspirationnistes de certains protagonistes? Il est certain que les ambitions des uns, l’opportunisme des autres, les circonstances elles-mêmes, ont engendré cet enchaînement inimaginable d’événements conduisant à la chute de la plus grande ville du monde chrétien, puis à la fondation de l’Empire latin d’Orient. Mais n’est-ce pas ainsi en fin de compte que l’Histoire est ciselée ? Les intentions des uns, les actions ou les inactions des autres, de tous ceux dont on ignore le rôle, induisent les circonstances et in fine les événements. Si l’on retient les faits les plus marquants, on méconnaît le plus souvent toutes les relations de cause à effet qui se résument dans les livres d’Histoire à une date de bataille, au nom d’un roi ou d’un empereur, parfois à l’évocation des motifs des protagonistes. Les personnages secondaires et leur rôle sont bien souvent vite oubliés.
Après leur lourde défaite face aux Arabes lors de la bataille de Hattin en 1187, les Francs ont perdu Jérusalem. Ils contrôlent toujours quelques fiefs, dont Saint-Jean-d’Acre où se sont réfugiés le roi et la reine de Jérusalem. Les souverains du monde se sont alors mobilisés pour tenter de récupérer la ville sainte, en organisant la troisième croisade (la numérotation des croisades est une invention tardive). Cette expédition a vu la mort prématurée de Frédéric Barberousse, le retour précipité de Philippe Auguste et une reconquête très partielle sous le commandement de Richard Cœur de Lion. Après ce semi-échec, les souverains occidentaux n’ont pas envie de repartir dans une telle aventure. Richard Cœur de Lion vient d’ailleurs de mourir et Philippe Auguste veut en profiter pour reprendre les fiefs anglais à son successeur, Jean sans Terre. Par ailleurs, après la mort de l’empereur du Saint-Empire romain germanique Henri VI, l’un des fils de Barberousse, son frère Philippe de Souabe assure la régence. Celui-ci entend bien défendre les intérêts de son neveu, le futur Frédéric II de Hohenstaufen. Une querelle envenime alors les relations entre le pape et Philippe de Souabe au sujet de la succession au titre d’empereur ainsi qu’à celui de roi de Sicile. Ce nouveau pape, Innocent III, cherche alors à asseoir son autorité de premier vicaire du Christ sur tous les souverains chrétiens. Ainsi, en 1198, il appelle à repartir en Palestine pour enfin reprendre Jérusalem. Il veut certainement rappeler ainsi aux rois qu’ils sont au service de Dieu et de son Église.
Thibaut III, le jeune comte de Champagne, appartient à une famille qui a une longue tradition de participation aux croisades. Son frère aîné Henri II de Champagne, mort accidentellement en chutant d’une fenêtre, a d’ailleurs été le roi de Jérusalem grâce à son mariage avec l’héritière du titre, Isabelle Ire de Jérusalem. Le jeune Thibaut veut alors pallier le renoncement des monarques européens et engager la noblesse dans une nouvelle expédition libératrice des Lieux saints. Marie, sa grande sœur et surtout son mari Baudouin, le comte de Flandre et de Hainaut, vont alors s’impliquer dans cette aventure, alors qu’en Orient la reine de Jérusalem Isabelle et son mari Aimery de Lusignan, réfugiés à Saint-Jean-d’Acre, attendent avec circonspection cette soldatesque promiscuité. Les croisés passeront par Venise, Jadres, Corfou avant d’arriver aux pieds des murailles de Constantinople. Paul Riant, historien du XIXe siècle a décortiqué les événements et les textes afférents. Même si certaines de ses hypothèses ont été remises en cause par d’autres, son livre à ce sujet (voir bibliographie) reste un ouvrage incontournable pour comprendre l’articulation des événements.
Cette histoire est donc un récit de la quatrième croisade telle qu’elle a pu être vécue par quelques-uns des protagonistes. Parmi ceux-ci, Baudouin, le comte de Hainaut et de Flandre, le comte Louis de Blois, le marquis Boniface de Montferrat ou le doge de Venise Enrico Dandolo ont tenu des rôles prépondérants. Le regard ou le rôle de quelques femmes sont le plus souvent négligés dans la chronique des événements historiques. J’ai souhaité mettre en avant deux femmes au destin particulier : Marie, la femme de Baudouin de Flandre et sœur de Thibaut de Champagne et Isabelle, la reine de Jérusalem. Tous ces personnages ont-ils été seulement entraînés dans la tourmente ou ont-ils été aussi des acteurs déterminants dans l’enchaînement qui a abouti à cet étonnant résultat?
Les faire revivre permet de rappeler leur destin et d’évoquer cet incroyable détournement de la croisade partie pour libérer Jérusalem, mais qui finit par faire tomber Constantinople.
Philippe Auguste : roi de France. Il cherche à récupérer ses fiefs après la mort de Richard Cœur de Lion (1199). Il est en conflit avec le successeur de Richard, Jean sans Terre. Trop accaparé par ses reconquêtes, il n’a pas envie de repartir en croisade.
Philippe de Souabe : roi des Germains et des Romains. Le Saint-Empire romain germanique a perdu son empereur Henri VI (1197), et son frère, Philippe de Souabe, assure la régence au nom de son neveu. Philippe de Souabe s’est fait élire roi des Germains. Il est contesté par le pape Innocent III qui veut imposer son candidat à la tête du Saint-Empire. Par ailleurs, une querelle de succession sur la couronne de Sicile les oppose. Il est marié à Irène Ange, sœur d’Alexis IV et fille de l’empereur IsaacIIAnge qui a été destitué.
Thibaut de Champagne : comte de Champagne. Il a hérité du titre après son frère aîné Henri II de Champagne, qui est devenu roi de Jérusalem et qui est mort accidentellement en 1192. Il est l’un des petits-fils d’Aliénor d’Aquitaine et de Louis VII le Jeune (roi de France). Il est le neveu de Philippe Auguste.
Marie de Champagne : (à ne pas confondre avec sa mère aussi connue sous le nom de Marie de France) : sœur de Thibaut, elle a épousé en 1186 Baudouin VI de Hainaut, comte de Flandre et de Hainaut. Elle est la nièce de Philippe Auguste.
Henri II de Champagne : comte palatin de Champagne, frère de Marie et de Thibaut. Il était parti en 1190 à l’occasion de la IIIe croisade. Il est devenu roi de Jérusalem par son mariage avec Isabelle Ire de Jérusalem. Il est mort en chutant accidentellement d’une fenêtre en 1197.
Geoffroy de Villehardouin : maréchal de Champagne. Beaucoup de faits sont connus grâce au récit qu’il a fait de la croisade.
Baudouin VI de Flandre et IX de Hainaut : comte de Flandre et de Hainaut. Une querelle de territoire l’a opposé à Philippe Auguste. Il a épousé Marie, la sœur de Thibaut et d’Henri II de Champagne.
Louis de Blois : comte de Blois, de Chartres, de Châteaudun et de Clermont. Cousin de Thibaut et de Marie de Champagne, il est aussi l’un des petits-fils d’Aliénor d’Aquitaine et de Louis VII le Jeune (roi de France).
Hugues IV de Campdavaine, dit Hugues de Saint-Pol : comte de Saint-Pol. Il avait participé à la précédente croisade (IIIecroisade).
Innocent III : il a été élu pape en 1198. Il prêche aussitôt la croisade. Il s’oppose à Philippe de Souabe pour le titre de roi des Romains (le roi des Romains est le titre du candidat élu pour devenir empereur du Saint-Empire romain).
Enrico Dandolo : 41e doge (duc) de Venise. Il a été élu à l’âge de 85 ans en 1192. Il était devenu aveugle, à la suite d’un choc à la tête.
Boniface de Montferrat : marquis de Montferrat. Il est cousin de Philippe de Souabe et de Philippe Auguste.
Isabelle Ire de Jérusalem : reine de Jérusalem. Elle descendait directement du premier roi de Jérusalem, Baudouin Ier. Elle s’est mariée quatre fois. Trois de ces mariages ont conféré le titre de roi de Jérusalem à ses époux : Conrad de Montferrat, Henri II de Champagne, Aimery II de Lusignan. Elle a eu sept enfants. Au début de l’histoire, elle est mariée à Aimery de Lusignan (son 4e mari).
Aimery II de Lusignan : il a été comte de Jaffa et d’Ascalon, roi de Chypre. Il est devenu roi de Jérusalem grâce à son mariage avec Isabelle de Jérusalem. Frère de Guy de Lusignan.
Isabelle et Aimery résident à Saint-Jean-d’Acre puisque Jérusalem est sous le contrôle des Arabes.
Guy de Lusignan : comte de Jaffa et d’Ascalon, roi de Jérusalem par son mariage avec Sybille de Jérusalem, seigneur de Chypre. Frère de Aimery de Lusignan. Après le désastre de la bataille de Hattin contre Saladin, il a perdu une grande partie du royaume et la vraie croix. Il est mort en 1194.
Alexis III Ange : empereur byzantin au pouvoir. Il avait déposé son frère Isaac II Ange en 1195 avant de l’aveugler et de l’enfermer.
Isaac II Ange : il a été empereur de Byzance de 1185 à 1195. Il s’était opposé au passage de Barberousse lors de la IIIe croisade. Il a été évincé par son frère Alexis III Ange en 1195 qui l’a aveuglé et emprisonné.
Alexis Ange : fils d’Isaac II et neveu d’Alexis III Ange. Il a été emprisonné à la suite de l’usurpation du pouvoir par son oncle. Il prétend récupérer le titre à son profit.
Irène Ange : princesse byzantine, sœur d’Alexis Ange et fille d’Isaac II Ange. Elle était devenue reine de Germanie par son mariage avec Philippe de Souabe.
«Au lieu de la conquête facile que, dans ces circonstances exceptionnelles, l’Égypte, redevenue plus tard assez forte pour faire échouer et la cinquième croisade, copie mal combinée de ce qu’eût pu être la quatrième, et l’entreprise de saint Louis, aurait offerte, appauvrie et ruinée, aux forces immenses dont disposaient, en 1202 des chefs tels que Baudouin de Flandre, Hugues de Saint-Paul, Boniface de Montferrat, Simon de Montfort, l’expédition, préparée à Venise, aboutit au pillage et à l’incendie de la seule ville qui eût conservé les traditions et les monuments de la civilisation antique, et au démembrement d’un grand Empire chrétien, sans pouvoir remplacer cet Empire par quelque chose de plus solide et de plus durable que des seigneuries éphémères, qui devaient être, pour les chrétiens de ces contrées, beaucoup moins un soutien qu’une cause nouvelle et irrémédiable de faiblesse.»
Paul Riant (1836-1888).
Depuis quelques jours, l’affluence ne cessait de s’amplifier aux abords du village d’Écry1. Venus à pied ou en charrette, transportant leurs matériels comme ils le pouvaient, les boulangers, les marchands de vins, les cuisiniers, les bouchers et leurs animaux, mais aussi les pelletiers, les forgerons et quelques autres convergeaient vers les terres du château. Toujours discrètes pour ne pas subir les diatribes des bigots, les prostituées étaient venues aussi profiter de ce rassemblement pour faire des affaires. Si des curieux avaient délaissé pour quelques jours leurs occupations quotidiennes pour venir observer cet événement assez rare, la plupart des vilains espéraient faire commerce de leur artisanat. Il leur faudrait trouver une solution pour s’assurer un hébergement. Certains pouvaient se permettre de payer quelques piécettes à des villageois pour qu’une place leur soit faite dans une grange ou dans une étable. Les moins riches dormiraient sous un abri de fortune malgré l’humidité et le froid en cette saison. Mais peu importait leur confort, car on annonçait la venue des plus grands seigneurs, accompagnés de leurs suites nombreuses. Les affaires allaient certainement être bonnes.
À la tête d’un des plus puissants fiefs de France, le comte Thibaut de Champagne, troisième du nom, avait invité quelques-uns de ses pairs pour participer à un grand tournoi, comme il y en avait eu peu ces derniers temps dans la région. Thibaut, qui avait pris la succession de son aîné Henri, mort deux ans auparavant en Terre sainte, s’était déjà imposé comme un seigneur incontournable. Même s’il n’était âgé que de vingt ans, son prestigieux sang royal lui conférait l’autorité pour faire venir à lui l’élite de la noblesse française. Le tournoi allait offrir un spectacle grandiose. On allait se bousculer pour apercevoir ces barons de grande renommée. Certains seigneurs venaient d’au-delà de la Champagne, tels le comte Louis de Blois, un cousin de Thibaut, le seigneur français Simon de Montfort ou encore le comte de Saint-Pol. Ils avaient fait connaître leur réponse favorable à cette invitation. Avec une telle assemblée de fiers seigneurs, le spectacle des combats allait assurément divertir la foule.
Le seigneur d’Écry2 s’était senti très honoré que ses terres aient été choisies par son jeune suzerain pour accueillir une telle rencontre. Mais la confiance qui lui avait été ainsi témoignée avait de facto provoqué sa très vive préoccupation de parvenir à satisfaire tous les invités prestigieux : le comte de Champagne attendait que l’événement soit réussi. Grandpré avait donc pris grand soin de superviser les moindres détails. Il comptait séduire les participants par les arrangements qu’il avait décidés, par la qualité des festins qui s’annonçaient et par le confort qu’il pourrait offrir à ses hôtes. Certes, la noblesse de Champagne prendrait ses dispositions pour se loger. Chacun viendrait avec tout un matériel nécessaire à l’intendance de quelques jours. Il regrettait cependant de ne pouvoir offrir l’hospitalité à tous dans son trop modeste château d’Écry. Il avait quand même réservé les plus belles pièces de la demeure pour accueillir Thibaut et sa femme Blanche3, car il souhaitait avant tout plaire au jeune comte. Toute la maison Grandpré allait se mettre à son service. Le seigneur d’Écry avait veillé par ailleurs à pouvoir recevoir dignement une autre invitée de marque sous son toit, Marie4, la sœur de Thibaut. Marie ne vivait plus dans la région depuis son mariage avec Baudouin de Hainaut5. Elle avait fait savoir au comte de Grandpré qu’elle se réjouissait de revenir dans la Champagne de son enfance et surtout de revoir son frère. Son mari Baudouin étant retenu par quelques affaires compliquées dans ses terres de Flandre, il avait accepté qu’elle se rende seule au tournoi pour le représenter. Baudouin ne voulait surtout pas priver son épouse aimée du plaisir de revoir les siens. Il savait en effet combien Marie serait heureuse de retrouver son jeune frère. Et puis, le comte de Champagne avait assorti son invitation de la promesse d’une annonce qui, avait-il averti, pourrait bouleverser la vie de chacun. Intriguée comme tous par cette mystérieuse déclaration, Marie n’aurait pour rien au monde voulu manquer cet événement. Elle se doutait bien que la réunion de tous ces barons et autres éminents personnages allait favoriser la tenue de débats sur la politique, les alliances, les rivalités. On parlerait du roi de France6 ou du successeur de Richard d’Angleterre7. Avec une telle assemblée, des projets, des complots même, pourraient bien naître au fil des joutes. Marie se délectait d’avance des débats qui allaient jaillir autant qu’elle s’inquiétait des conséquences possiblement néfastes de ces bavardages.
*
Thibaut et sa sœur tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Marie était très émue de retrouver enfin son petit frère. Certes, elle l’avait revu quelques mois auparavant à l’occasion de son mariage8; mais alors, bousculée par l’enchaînement des événements de la fête, entre les messes, les festins et l’afflux des importuns, elle n’avait pas pu profiter d’un moment d’intimité avec lui. Elle le considérait parfois encore comme cet enfant qu’elle avait laissé quand elle-même avait dû quitter la Champagne après son mariage. Ils éprouvaient toujours une mutuelle et profonde affection, ils avaient toujours été attentifs l’un à l’autre. Elle avait été là pour le consoler de ses petits chagrins d’enfant. Il lui avait toujours offert son affection qui l’avait souvent apaisée. Aujourd’hui, elle était une femme, une épouse estimée, aimée même par un mari attentionné, et la mère d’une fille9 laissée pour l’heure aux soins de sa nourrice. Très proche de son petit frère, elle espérait qu’il aurait un grand destin. Elle comptait bien qu’il devienne un comte de Champagne mémorable, un seigneur exemplaire, un chevalier digne des plus belles légendes, ces histoires qui les avaient tous deux tellement captivés quand ils étaient enfants. Marie ne doutait pas que son frère allait devenir exceptionnel.
—Ton mari va nous manquer! Il est dommage qu’il ne puisse pas participer à cette fête. Quant à toi, tu as très bien fait de venir si peu de temps après ton accouchement et malgré les contrariétés qui le retiennent en Flandre.
—Ne t’en fais pas pour Baudouin. Ses soucis sont a priori en passe d’être réglés, mais sa présence sur place est indispensable pour l’instant. Il te fait savoir qu’il le déplore, car il se réjouissait de rencontrer cette noble assemblée que tu as réunie.
—Il est dommage en effet que ses affaires l’empêchent de profiter de ses amis.
—Il saura tout. Compte sur moi. Dès mon retour je lui ferai un récit fidèle. Il saura qui était présent, qui a fait ou a dit quoi, qui a gagné ou perdu; il connaîtra chaque péripétie, il saura en détail ce que nous allons manger et boire… et cela le distraira de l’entendre. Crois-moi, après mon récit, il sera convaincu d’avoir participé en personne à ton tournoi.
—Ah, ah! s’esclaffa Thibaut, je te reconnais bien là, Marie. Tu trouves toujours des moyens pour atténuer les contrariétés des uns ou des autres, comme le délicat moyen de les garder sous ton contrôle. Tu aimes toujours tout diriger selon ton opinion.
—Mais non. Je veux seulement le bonheur de ceux que j’aime. À propos, dis-moi : comment va ta femme, Blanche? Es-tu heureux avec elle? Porte-t-elle déjà un enfant? Je n’ai pas encore eu le temps d’aller la saluer.
—Oui! Blanche est admirable. Elle fait beaucoup d’efforts pour s’adapter à notre Champagne, parfois un peu trop austère. Et puis elle a fait beaucoup de progrès dans notre langue. Les gens l’aiment bien et moi aussi. Et effectivement, elle est enceinte.
—Ton futur héritier…?
—On verra10.
—J’irai lui rendre visite tout à l’heure. Parle-moi plutôt des festivités que tu as organisées. Qui est là? Et quelle est cette annonce que tu veux nous faire? Dis-moi tout. Je veux savoir.
—Tu devras patienter un peu. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une annonce. Quelqu’un va venir nous parler et je voudrais que tous l’écoutent. Nous en discuterons ensuite.
—Quelqu’un? Tu es bien mystérieux. Mais de quoi s’agit-il? J’espère que tu ne prépares pas une guerre! Tu ne vas pas ajouter de nouveaux sujets de conflits avec l’un de nos oncles11 Philippe ou Jean12! Je ne voudrais pas que tu nous entraînes dans des complots inextricables et mortels. Les choses sont déjà assez compliquées comme cela entre les Français et les Anglais. Inutile d’en ajouter. Tu sais que j’ai eu pour ma part beaucoup de mal à réconcilier mon mari Baudouin et le roi Philippe13. D’ailleurs, ils discutent toujours et, même si cela est imminent, ils n’ont pas encore signé de traité. Voilà d’ailleurs l’objet de l’affaire qui le retient en Flandre. Ne va pas, quant à toi, nous entraîner dans une nouvelle querelle.
—Il ne s’agit pas de cela. Ne t’inquiète pas. Je ne compte pas nous fâcher avec nos oncles. Mes relations avec le roi Philippe sont d’ailleurs très bonnes.
—Mais quoi alors? Tu peux me le dire, je n’en parlerai pas!
—Sois patiente, ma sœur.
—Dis-moi dans quelle direction au moins je devrais porter mon regard. Car je ne voudrais pas te perdre de vue.
Thibaut hésita entre son désir de complaire à sa sœur et son idée de ne pas en parler prématurément. Il avait longuement réfléchi à la façon de présenter son projet auquel il voulait faire adhérer l’ensemble de la chevalerie française. Ce tournoi n’était qu’un prétexte pour faire venir à lui quelques-uns des hommes les plus valeureux qu’il connaissait. Mais il fallait les amener progressivement à rallier sa proposition. Chacun des barons pourrait avancer de bonnes ou de mauvaises raisons pour ne pas le suivre. Aussi fallait-il que l’évidence s’impose à eux. Il avait donc imaginé ce tournoi au cours duquel la valeur des participants, leur courage, leur force allaient être admirés par tous. Quand l’exaltation, la fierté, l’émulation seront à leur comble, il pourra alors proposer de mettre ces vertus au service d’un projet éminent.
Après un moment d’hésitation, Thibaut regarda sa sœur dans les yeux pour tenter d’y lire une réaction :
—Il s’agit de la Terre sainte.
Regrettant aussitôt d’avoir parlé trop vite, il ajouta :
—Assez! Nous en reparlerons le moment venu.
La tristesse vint subitement obscurcir la joie de Marie. À l’évocation de la Terre sainte, elle ne pouvait que songer à leur frère aîné, Henri14, mort deux ans auparavant dans cette lointaine Syrie. Ni Thibaut ni Marie ne l’avaient revu après son départ pour la croisade15. Les rares nouvelles qui leur étaient parvenues alors, les avaient tous deux fortement impressionnés. Les récits souvent imprécis des batailles dont certains échos atteignaient l’occident, la cruauté réputée excessive des Ayyoubides16 qu’on appelait les mahométans ou les Arabes, la sournoiserie féroce de leur chef Saladin17 les avaient profondément marqués. Pleins d’admiration et même de vénération pour cet aîné courageux à la foi inébranlable, ils s’étaient, chacun à leur façon, représenté un Orient empli des exploits des chevaliers français dont ils avaient eu vent. Marie ne vivait plus en Champagne alors, mais elle avait entretenu une correspondance nourrie avec son jeune frère. Tous les deux avaient loué, en l’enjolivant chaque fois un peu plus, le rôle prééminent qu’avait pu jouer leur aîné. Sa bravoure, la beauté de son âme, sa vaillance avaient même enflammé leur imagination. Ils avaient considéré Henri comme la parfaite incarnation de l’homme idéal qui sur terre devait se mettre au service de Dieu et de la foi. Il avait été un exemple pour sa famille, et, pensaient-ils, pour toute la noblesse chrétienne.
Les deux enfants avaient été émerveillés le jour où ils avaient appris que ce grand frère avait ajouté à ses titres celui prestigieux de roi de Jérusalem18. Cette extraordinaire consécration les avait emplis de joie, bien qu’ils aient considéré, après réflexion, qu’un tel honneur était mérité pour ce frère aussi remarquable. L’annonce de sa mort19 les avait accablés. Leur héros s’était consacré à une cause supérieure, aussi sa mort accidentelle leur sembla-t-elle inconcevable. Pourtant, ils durent accepter cette cruelle évidence que leur aîné n’était plus. Leur admiration ne s’était pas atténuée depuis cette tragique disparition. La douleur de sa perte était restée vive et sa mémoire était toujours chérie. Marie et Thibaut comprenaient aussi que le souvenir de ce frère exemplaire avait affermi un peu plus le lien qui les unissait. Elle ne pouvait pas non plus ne pas penser à son père20 qui avait été un pèlerin21 zélé. Sa famille était de celles qui avaient sacrifié leurs vies pour préserver les lieux saints. La Champagne était une terre de foi. Nombreux étaient ceux qui avaient pris la croix et qui n’étaient jamais revenus. Marie le savait, et l’allusion de son frère à la Terre sainte l’avait submergée d’émotion à la pensée de ce dévouement, de ce sacrifice, de ce courage dont avaient toujours fait preuve les siens.
En prononçant les mots de «Terre sainte», le jeune homme eut lui aussi une pensée émue pour son père et pour son défunt frère aîné. Il admirait toujours autant ce qu’ils avaient accompli; ils avaient été des exemples. Mais aujourd’hui, c’était lui le comte de Champagne et il voulait se montrer digne de l’honneur que son frère lui avait octroyé en le désignant comme son successeur avant son départ pour l’Orient. Se rendant compte du trouble de sa sœur, il regretta d’avoir brisé aussi vite la joie de leurs retrouvailles avec le rappel de ce douloureux souvenir. Il voulut aussitôt la distraire de sa tristesse :
—Oublie cela pour le moment! Viens avec moi! Nous allons rendre visite à tous ceux qui sont arrivés. Tu vas voir, il y en a plusieurs que tu connais bien et qui te salueront avec grand plaisir. Fais-leur bonne figure.
Plongée dans sa mélancolie, Marie suivit son frère sans rien dire.
*
Marie et Thibaut enfourchèrent chacun un palefroi pour faire la tournée des campements qui s’étaient installés sur les vastes prairies autour du château. Accompagnés du maréchal de Champagne22, Geoffroy de Villehardouin23, ils circulèrent entre les tentes, parmi les palefreniers et autres écuyers qui s’occupaient des chevaux, préparaient les équipements pour les combats du lendemain, ou s’affairaient à embellir le campement de leur maître. La bouillonnante animation qui agitait la foule, le bourdonnement des conversations qui emplissaient la plaine, les vives couleurs des pavillons ou des étendards qui flottaient partout où elle portait les yeux, eurent le mérite de distraire Marie de l’émotion qu’elle venait d’éprouver au sujet de son frère Henri et de la Terre sainte. Ils allèrent d’abord saluer Renaud de Montmirail, puis Robert et Geoffroy de Joinville. Ce fut ensuite au tour de Clarembaud de Chappe et son oncle Guy, puis bien d’autres qu’il serait fastidieux d’énumérer. Tous étaient heureux de voir Thibaut. Le jeune homme avait une aura qui attirait la sympathie de chacun. Il était aimable avec tous, plaisantant avec les uns, prodiguant des conseils toujours bien accueillis aux autres. Sa prestance, sa verve et son dynamisme avaient depuis longtemps conquis ses vassaux ou ses pairs.
Ils s’éloignèrent alors un peu du centre du campement pour rejoindre une demeure qui avait été mise à la disposition d’un grand seigneur, Louis de Blois. Comte de Blois, de Chartres, de Châteaudun et de Clermont, Louis était aussi cousin24 de Marie et de Thibaut. Il était l’un des plus puissants vassaux de Philippe Auguste, son oncle. Louis salua avec beaucoup de plaisir ses cousins. Il complimenta Thibaut d’avoir pris cette initiative d’organiser ce grand tournoi. Il comptait sur l’enthousiasme des barons et de la chevalerie rassemblée pour cet événement. Puis après s’être enquis des ennuis de l’époux de Marie, un absent de marque en ce jour, il louangea sincèrement la beauté de sa cousine. Celle-ci, pourtant flattée du compliment, chercha à détourner la conversation pour ménager sa pudeur. Elle voulut porter le sujet sur les affaires du royaume de France. Louis de Blois poursuivit toutefois ses compliments en vantant cette fois l’intelligence avec laquelle sa cousine était intervenue dans la querelle qui avait opposé son mari Beaudouin au roi de France :
—Ma cousine, tu as fait preuve d’une grande habileté pour réconcilier notre souverain et ton mari. De quel charme as-tu usé pour parvenir à ce résultat? Car notre oncle Philippe25 n’est assurément pas toujours aussi arrangeant.
—J’ai simplement fait comprendre à Philippe et à Baudouin qu’un compromis était la seule façon de sortir d’une situation qui n’aurait fait qu’empirer.
—Ont-ils signé un accord?
—Pas encore; celui-ci est en préparation. Voilà d’ailleurs ce qui le retient en Flandre.
—Espérons que le roi tiendra sa parole de mettre fin à cette querelle.
—Philippe a déjà assez à faire par ailleurs. Il a bien compris qu’il lui valait mieux se concentrer sur son différend avec l’Anglais Jean26.
—L’Anglais? Oui, sans doute…
Louis devint songeur. Ayant noté qu’une préoccupation venait de s’emparer de son cousin, Thibaut l’interrogea :
—Eh quoi Louis? Que te préoccupes-tu des Anglais? As-tu de nouveaux démêlés que j’ignorerais?
—Rien de nouveau, non. Tu connais bien ma situation et mes engagements passés.
—De quoi parles-tu? demanda Marie.
—Philippe n’a pas pardonné que certains d’entre nous ont soutenu Richard27. Il est rancunier, tu le sais. Je redoute des représailles de sa part. Il ne va pas accorder aussi facilement son pardon. Au moins t’écoute-t-il toi, Marie! Et toi aussi Thibaut. Tu as été assez habile pour te rapprocher de lui.
—J’ai effectivement rejoint son parti. Il est mon souverain, voilà tout.
—Richard aurait pu l’être tout autant.
—Oui, mais Richard est mort et son frère Jean n’est pas le même homme. J’ai choisi le Français, pas l’Anglais. Que n’en fais-tu autant?
—Ma contrition viendrait bien tardivement si je prétendais aujourd’hui rejoindre Philippe. Il ne se satisferait pas de mes déclarations d’ailleurs. Et puis, je ne suis pas sûr de souhaiter qu’il ait le dessus sur notre oncle Jean. J’ai des intérêts des deux côtés.
—Crains-tu d’avoir à choisir?
—Non. Mais je redoute que Philippe ne tente de m’imposer sa force et son droit, pour la seule raison que j’ai soutenu Richard. Il va profiter de la faiblesse de Jean pour s’approprier plus de terres encore. Il va confisquer et spolier ceux qui ne lui siéent pas. Il me menace déjà.
Thibaut savait que son cousin disait vrai. Le roi Philippe au cours de sa rivalité avec Richard d’Angleterre n’avait pas eu le temps de prendre les mesures coercitives contre ses vassaux qui n’avait pas soutenu sa cause. Mais tous savaient qu’il n’oublierait pas et qu’il ne pardonnerait pas. Risquer un conflit avec le roi de France serait insensé au vu des forces en présence. Louis de Blois était bien embarrassé par cette situation, et il était venu chercher quelques soutiens parmi la noblesse de Champagne pour plaider sa cause. Thibaut, qui avait écouté son cousin avec attention, voulut lui donner un peu d’espoir :
—Épuisons-nous dans les combats de ce tournoi. Fatiguons nos corps et vidons nos esprits. Oublie quelques instants tes préoccupations. La solution à tes contrariétés s’imposera au terme de ces journées. Nous devons avoir confiance en Dieu. Il va nous éclairer.
—Oui, je l’admets. Ta proposition est la meilleure qui soit pour l’instant.
—De quoi parlez-vous? s’enquit Marie. En quoi le tournoi va régler le conflit latent qui opposerait Louis à Philippe?
—Attends la messe de dimanche, lui répondit Thibaut.
—La messe de dimanche? De quoi parles-tu?
—Le seigneur nous guide et dimanche pourrait être le bon moment pour que nous soit révélée sa volonté.
—…
—Venez, tous les deux, voulut conclure Thibaut. Allons voir nos amis, amusons-nous, guerroyons, rendons grâce à Dieu. Profitons de ces instants.
Louis semblait comprendre de quoi parlait Thibaut, mais ne dit rien de plus. Indécise quant au sens à donner aux paroles de son frère, mais suspectant qu’elles étaient en rapport avec la Terre sainte, Marie suivit sans rien dire Thibaut et Louis pour rejoindre le grand festin qui avait été préparé en guise d’accueil pour cette première journée, préambule aux combats sérieux qui ne commenceraient que le lendemain.
Avant d’aller dîner, Marie rendit une visite de courtoisie à sa belle-sœur Blanche, l’épouse de Thibaut. Les deux femmes se connaissaient peu. La fille du roi de Navarre était arrivée en Champagne pour se marier avec le jeune comte. Elle parlait encore assez mal la langue, mais par un effort des deux femmes, elles parvinrent à échanger quelques politesses. Marie était venue évaluer si Blanche était un soutien pour son frère. Thibaut lui avait en effet laissé entendre qu’il appréciait sa jeune épouse. Mais la réciprocité des sentiments existait-elle? Elle savait que le comte de Champagne était apprécié par son entourage en général, car l’homme était aimable à bien des points de vue : énergique, jouisseur, gai, éloquent, toujours attentionné et attentif à ses interlocuteurs, amical et prévenant. Mais qu’en pensait sa femme? Pour faire face aux nombreux périls qu’un jeune comte pouvait affronter, il était important que les siens soient à ses côtés. Son épouse devait être un soutien indéfectible, comme elle-même, Marie, qui considérait devoir soutenir son mari en toutes circonstances. Si cette évidence ne s’imposait pas à Blanche, Marie était prête à lui faire la leçon pour lui expliquer en quoi consistaient les obligations d’une comtesse de Champagne. Même si leur dialogue avait été limité par les difficultés de la langue, Marie sortit rassurée de leur entretien. Le bref échange entre les deux femmes lui avait laissé un sentiment favorable. Pour confirmer son impression, Marie se promit de revenir voir sa belle-sœur et de la questionner plus longuement. Les deux femmes se joignirent alors au festin organisé ce soir-là.
*
Ce dîner avait été joyeux. Heureux de se retrouver pour ce moment de convivialité, tous les barons et autres éminents personnages avaient abondamment mangé, bu et parlé. Ils s’étaient enquis des affaires des uns ou des projets des autres, défiés jovialement en vue des confrontations du lendemain, ils avaient vanté leurs avantages, puis ils en avaient ri bruyamment. Le brouhaha des conversations avait couvert le plus souvent les quelques prestations de troubadours venus mêler leur éloquence musicale à la faconde des hâbleurs et de tous ces discoureurs. Les vins des moines de Saint-Pierre-aux-Monts avaient coulé en abondance. Certains en avaient abusé. Thibaut avait circulé parmi ses convives soit pour leur glisser un mot aimable, soit pour débattre sérieusement de sujets anodins, soit simplement pour trinquer avec eux. Ravis de partager ce moment avec cette joyeuse et fière compagnie, gagnés par la bonne humeur générale, tous étaient allés se coucher assez tardivement dans la nuit. Même Marie avait souhaité rester le plus longtemps possible pour profiter de l’enjouement général. Elle avait voulu goûter les bons mots qui avaient parfois jailli des jacasseries insouciantes. Elle avait aimé rire avec les autres de ces plaisanteries pas toujours très bonnes. Elle avait tenté de penser à autre chose, de ne pas songer à la mort d’Henri que la conversation avec son frère lui avait rappelée. Elle avait cependant fini par se retirer quand Thibaut lui-même avait décidé qu’il était temps d’aller reprendre des forces pour les épreuves du lendemain.
Dès l’aube, malgré le peu de sommeil et des esprits encore embrumés par l’abus de vin, les deux camps28 s’étaient rassemblés pour se préparer. Chaque équipe avait été constituée la veille sur la base d’un complexe équilibre qui reposait sur les affinités mutuelles, les choix des principaux barons et un peu de tirage au sort. Louis de Blois allait mener l’un des camps alors que Thibaut commanderait l’autre. Chaque équipe comptait une centaine d’hommes. La bataille allait être grandiose. Le cembel29 avait débuté la veille avec les commençailles30 qui avaient vu quelques novices s’affronter dans des passes d’armes, mettant en valeur certains bacheliers31. Ce jour, les épreuves allaient débuter par l’affrontement à la lance des plus valeureux de chaque camp. Ces duels dureraient de la tierce à la sexte32. Puis la mêlée entre les deux parties allait s’engager. L’enjeu du combat consisterait à briser la cohésion de son adversaire et à faire des prisonniers, la capture du capitaine du camp opposé mettant alors un terme à la bataille. Tous les prisonniers seraient ensuite rançonnés pour pouvoir recouvrer leur liberté. Cela permettrait à leurs vainqueurs de gagner un peu d’argent qui serait d’ailleurs vite dépensé sur place, en vin, en victuailles ou en tout autre plaisir que les artisans étaient venus proposer. D’autres épreuves occuperaient plusieurs chevaliers novices ou confirmés jusqu’au soir, seuls le goût du jeu et la présomption des plus forts exhorteraient les participants. Puis à la nuit tombée, on festoierait de nouveau pour célébrer le succès des uns et consoler la déroute des autres.
La vingtaine de jouteurs qui allaient débuter le tournoi se tenaient avec leurs chevaux au milieu des prés qui s’étendaient d’Écry à Balham33, attendant le signal. Les hommes à pied de chaque camp se tenaient quant à eux toujours rangés derrière leurs recès34. Ils allaient d’abord encourager les jouteurs de leurs cris, avant que la mêlée générale ne soit engagée. Tous ces hommes affichaient une formidable prestance destinée à intimider les adversaires du jour. La tierce allait bientôt sonner au clocher de l’église. La foule était arrivée pour observer les combats individuels et la mêlée qui suivrait. Les spectateurs pouvaient admirer l’allure de tous ces chevaliers prêts à montrer leur force, leur habileté et leur détermination. Le signal du premier duel allait être donné, mais il fallait bien sûr que l’événement soit béni avant qu’il ne commence. Ces combats n’étaient qu’un simulacre de la guerre, sans doute, mais ils devaient se tenir sous la protection divine. Il fallait rappeler à chacun que Dieu le regardait. Une bénédiction garantirait le consentement divin, quoiqu’il advienne, car un accident pouvait parfois tuer l’un des participants. Thibaut avait d’ailleurs exigé que les armes utilisées soient effectivement bien émoussées. Il avait chargé quelques-uns de ses écuyers de le vérifier. Il ne voulait pas qu’un mauvais coup puisse s’avérer mortel pour l’un de ses invités. Car il voulait pouvoir compter sur chacun de ceux qui étaient présents pour le projet dont il n’avait pas encore parlé.
Un abbé se dégagea de la foule et vint se positionner au milieu de la prairie. Il commença à faire quelques prières silencieusement avant de bénir ostensiblement les deux camps. On ne connaissait pas ce prêtre ici. Les villageois se demandaient s’il était venu avec l’un de ces seigneurs. Rapidement, la foule apprit que son nom était Foulques35, et il venait de Neuilly sur la Marne. Il se murmurait dans l’assemblée que l’homme était un proche du pape lui-même. Sa participation était donc un grand honneur pour tous les présents. Alors qu’il se retirait pour laisser la place aux combattants, tous continuaient à le regarder. La rumeur circulait déjà qu’il était venu jusqu’ici pour faire un prêche important. Une grande messe était prévue pour clôturer le tournoi. Sans doute ce dénommé Foulques allait-il s’exprimer à cette occasion. La foule serait nombreuse pour écouter cet envoyé du pape.
Au son de trompettes cuivrées souligné par la clameur des spectateurs, accompagnés par le cliquetis des armes martelant les écus de ceux qui attendaient leur tour pour passer à l’action, encouragés par les exhortations de leur camp, les premiers combattants s’élancèrent l’un vers l’autre, leurs lances dressées vers le ciel, prêtes à s’abattre au moment opportun, telle la justice de Dieu, pour mettre à terre leur adversaire. Le tournoi venait de commencer.
Le tournoi d’Écry
—Qui entendra l’appel de notre Seigneur Jésus Christ? Qui se lèvera pour effacer la honte qui lui est faite?
La puissante voix de Foulques se mit à retentir dans la nef de l’église. Le ton était grave et l’interpellation accusatrice. L’assemblée réunie était nombreuse. Tous les fidèles n’avaient pourtant pas pu pénétrer dans la modeste église d’Écry. La priorité avait été faite aux barons et autres personnalités venus participer au tournoi. Il avait d’ailleurs fallu se serrer pour faire entrer les invités de Thibaut. Le comte de Champagne avait insisté pour que tous puissent assister à cet office afin d’écouter le messager du pape. Aucun n’avait quitté Écry avant la messe, Thibaut s’en était assuré. Au cours des deux jours précédents, ces hommes, bacheliers ou guerriers confirmés, s’étaient épuisés dans des duels à la lance ou dans des combats au corps à corps, simulacres de confrontations belliqueuses, certes, mais à l’intensité vive, chacun défendant son camp comme si sa vie en avait dépendu. La soirée de la veille n’avait pas non plus été de tout repos, chaque convive voulant reconstituer sa bataille à sa façon, louant la force de l’un, moquant la déroute de l’autre, mais surtout se vantant d’avoir été lui-même héroïque. Les corps fourbus par les combats avaient été certes revigorés par la ripaille jusque très tard dans la nuit, mais le sommeil de la plupart avait été trop bref, après tous ces excès.
Après les joutes, les concours de papegaut36, les défis de luttes ou de courses à la bague37, certains, en pénétrant dans l’église pour assister à la grande messe du dimanche, avaient pensé pouvoir mettre à profit le temps des prières et des homélies pour fermer un œil et récupérer en partie de la fatigue accumulée ces derniers jours. La voix vibrante du prêcheur venait de les tirer de leur somnolence.
—Votre honneur ne peut pas se contenter de ces batailles dont le seul enjeu est de démontrer votre valeur! Je vous ai vus et je vous ai entendus durant ces trois jours. Vous êtes tous de vaillants guerriers, très courageux… sans aucun doute! Mais aussi très fiers; je l’ai constaté. Pourquoi pensez-vous que Dieu vous a gratifiés des vertus qui vous distinguent? Votre ardeur ne sera-t-elle vouée qu’à flatter votre vanité?
Thibaut, son épouse Blanche, Marie, Louis de Blois et toute l’assemblée ne quittaient pas des yeux le prêcheur monté en chaire. L’interpellation un peu provocante du curé aurait pu en irriter plus d’un. Pourtant, l’autorité avec laquelle il avait lancé sa harangue musela tout début d’indignation. N’était-il pas l’envoyé du pape après tout? Il excellait dans l’art du discours, sachant parfaitement jouer des variations d’intonation, distillant çà et là des silences pour capter l’attention de son auditoire, regardant dans les yeux ceux qui l’écoutaient attentivement, pour qu’ils comprennent bien que son message s’adressait à eux en particulier.
—La nuit, parfois, le gémissement des âmes damnées me réveille. Je veux alors tenter de comprendre ce qu’elles cherchent à me dire… et je prie la Sainte Vierge pour qu’elle m’aide à discerner ces paroles mêlées de pleurs, de sanglots et de grincements de douleur. Et souvent, Marie intercède pour que j’entende les suppliques de ces égarés.
L’évocation d’une relation directe du curé avec l’enfer et la vierge avait saisi tout le monde. Plus personne ne songeait à somnoler. Foulques avait toute l’attention des fidèles.
—Et quand je parviens à décrypter les lamentations de ces malheureux, que croyez-vous qu’ils me disent? Quelle est la première chose dont ils veulent me parler?
Le curé maniait tous les effets oratoires pour conserver l’assemblée sous son emprise. La question n’espérait pas de réponse, évidemment, chacun, mis en haleine, attendant la suite du propos.
—Ces âmes en pénitence me parlent d’une seule chose : la honte du Christ. La honte que son tombeau, que sa terre, que ce lieu qu’il a choisi pour venir nous sauver, soit aux mains des impies. Ces infidèles, ces blasphémateurs, ces envoyés du diable lui-même, ces mahométans se moquent de notre seigneur Jésus Christ. Allons-nous laisser encore longtemps durer cette insoutenable honte! …
Tout le monde avait compris qu’il était venu relayer l’appel à la croisade du pape, cet appel rédigé dans la bulle Post Miserabile38. Si le pape Innocent III39 avait cherché à détourner les rois de France et d’Angleterre de leurs querelles mortifères pour mettre leurs forces au service de la reconquête de Jérusalem après l’échec de la précédente campagne40, il avait bien dû admettre que son adjuration n’avait pas eu d’écho favorable auprès de ces souverains. Plus d’un an après son appel à la guerre sainte, pas grand-chose ne s’était passé. Son envoyé, Pierre de Capoue41, n’était pas parvenu, loin de là, à convaincre Richard d’Angleterre ou Philippede France de suivre cette injonction de mener à nouveau l’armée des chrétiens vers Jérusalem. Les deux rois avaient bien d’autres préoccupations qui les accaparaient. Et puis Richard était mort entre-temps. Le pape avait bien fini par comprendre que les rois éviteraient de renouveler les mésaventures orientales. Désormais, il comptait mobiliser la noblesse. Foulques était venu à Écry pour les convaincre de s’engager dans cette mission divine.
—Vous, l’élite de la chevalerie! Vous dont le cœur est noble et la force incontestée! Vous qui chaque jour pouvez remercier Dieu de vous avoir choisis! Irez-vous laver la honte de Jésus? Serez-vous les héros de Jésus? Honorerez-vous Jésus en libérant son tombeau de la profanation? Partez chasser les infidèles des lieux saints! Allez effacer le blasphème! Qui pourrait le faire sinon vous? Vous êtes l’espoir des chrétiens.
Les paroles du curé commençaient à exalter les barons et enflammer les esprits à la perspective d’accomplir des exploits lointains. Les simulations de combats lors des tournois devaient servir à quelque chose, après tout. Et quoi de plus louable que d’aller guerroyer pour l’honneur du Christ?
—Mettez vos pas dans ceux de Jésus. Que votre gloire consiste à avoir préservé celle de notre sauveur! Vos péchés seront absous, vos vies seront bénies. Le pape lui-même l’a certifié. Votre engagement pour cette cause vous ouvrira la porte du paradis éternel, quoiqu’il arrive. Le pape, par le pouvoir que Dieu lui confère, pardonnera tous les péchés à ceux dont la vaillance fera prendre le chemin de Jérusalem. Les souffrances de l’enfer ne seront pas pour ceux-là qui prendront la croix.
Foulques avait su flatter l’orgueil des barons, tout en assortissant sa demande d’une promesse de rédemption de leurs péchés. Le bourdonnement des murmures de l’assemblée traduisait l’enthousiasme qui commençait à saisir tout le monde. Les fidèles manifestaient leur adhésion à ces propos par des signes ostensiblement approbateurs. Les hochements de tête, les mouvements des corps qui se tournaient les uns vers les autres pour détecter le même acquiescement des voisins, les regards éloquents, toute la gestualité de l’audience traduisait la ferveur qui l’avait saisie. Foulques, par quelques paroles bien pesées, étaient en train d’emporter l’adhésion de la chevalerie pour s’enrôler dans la croisade.
Il lui fallait sceller désormais leur engagement.
—Nul besoin d’un roi pour mener l’armée en Terre sainte. Je vois ici rassemblés la vertu et le courage, seules qualités requises pour servir cette cause et devenir élu au sein de l’Église de notre Seigneur Jésus. Que les comtes et les barons de France et de Champagne, leurs sénéchaux et maréchaux, les connétables et les baillis, démontrent leur bravoure en allant reprendre Jérusalem. Vous serez alors les rois dans le cœur du Christ qui vous accueillera pour la vie éternelle!
Une telle proclamation finit d’emporter la totale adhésion. Les murmures s’étaient mués en conversation avec son voisin pour s’émerveiller qu’un tel privilège leur soit fait de défendre les chrétiens et l’honneur du Christ. Après un moment que dura ce brouhaha, Foulques fit signe à Thibaut. Celui-ci s’avança dans le chœur de l’église. Tous le regardaient et le silence revint aussitôt pour entendre ce qu’il allait dire. Il fit venir à ses côtés son cousin Louis de Blois avant de prendre la parole.
—Moi, Thibaut, comte de Champagne, en mémoire de mon père et de mon frère, le roi de Jérusalem, en ce jour, devant vous tous, je fais le vœu de libérer la Terre sainte. Je prends la croix pour la gloire et l’honneur de Jésus Christ.
Louis fit écho à la déclaration de Thibaut. Les deux s’agenouillèrent, et le chambrier42 de Champagne s’approcha pour coudre sur leurs vêtements une grande croix rouge, symbole de leur engagement devant Dieu. Thibaut avait visiblement associé son cousin à cette mise en scène destinée à convaincre l’assistance de s’engager à son tour. Ces deux grands seigneurs montraient l’exemple à suivre. Garnier de Traînel43, l’évêque de Troyes, sortit alors des rangs et déclara prendre lui aussi la croix. Il fut aussitôt suivi par le comte Gauthier de Brienne44 qui fit de même, puis les uns après les autres tous ces nobles s’avancèrent et tous prirent la croix. Chacun45 s’adressa à Thibaut et à Louis pour leur signifier qu’ils faisaient vœu de s’engager également dans cette libération de la Terre sainte. Alors que les rois se défilaient, l’aristocratie de Champagne et de France agirait. Marie comprit que son frère avait fait venir Foulques pour galvaniser les barons afin qu’ils le suivent dans son projet. Ébranlée par cette détermination qu’elle avait lue dans ses yeux, partagée entre la fierté d’un tel acte de foi et la crainte de ses conséquences, émue à la pensée des sacrifices et des souffrances que sa famille avait endurées et allait de nouveau éprouver, elle finit par se laisser entraîner aussi par l’euphorie générale, considérant que le plus bel hommage qui pût être fait à la mémoire de ceux disparus en Orient, était d’embrasser leur engagement. Elle s’avança pour déclarer que son mari Baudouin prendrait la croix. Elle l’en convaincrait dès son retour en Flandre, quand elle lui aurait rapporté ce qui venait de se passer. Étaient entrés dans cette petite église d’Écry des hommes qui avaient rivalisé dans des combats inutiles, qui s’étaient gavés de plats trop copieux et saoulés de vins entêtants. En sortaient les mêmes hommes devenus des chevaliers du Christ. Leur vie venait de basculer.
Thibaut prend la croix
*
À la sortie de la messe, tous étaient émus d’avoir vécu cet instant exceptionnel qui avait vu l’assemblée s’engager pour la gloire du Christ. Foulques, ce curé au verbe envoûtant, était parvenu à entraîner la noblesse présente pour qu’elle réponde à l’appel du pape. Thibaut était satisfait. Lui qui voulait se montrer digne de son frère aîné, allait partir pour la croisade et le contingent des Champenois montrerait au monde sa prééminence. Plusieurs pourtant avaient bien compris que ce moment d’enthousiasme allait leur coûter cher. Partir plusieurs mois, voire des années, quitter ses terres et les siens, vendre une partie de ses biens pour financer l’expédition, risquer la mort à la guerre ou succomber de la peste ou de quelque maladie inconnue, voilà ce qui les attendait dans les mois à venir. Chacun connaissait les histoires de ces hommes qui s’étaient appauvris pour financer leur voyage, et dont certains étaient morts avant même d’atteindre la Terre sainte. Le souvenir des souffrances de la première croisade restait aussi gravé dans la mémoire de tous : les combats sanglants, certes, mais aussi la terrible faim qui parfois avait tourmenté les pèlerins, sans oublier la soif, cette soif intolérable qui avait assailli ceux qui avaient voulu prendre alors Jérusalem46. Les mois qui s’annonçaient allaient être difficiles. Nul ne l’ignorait. Mais ils avaient juré. Et puis le pape allait absoudre leurs péchés. La vie éternelle valait bien quelques souffrances sur terre.
De nouveau réunis autour d’un repas pour conclure en apothéose ces quelques jours de festivités, Marie, Thibaut, Louis et quelques autres se mirent à évoquer ce long périple qui s’annonçait. Balançant entre l’inquiétude face aux périls à venir et l’enthousiasme à la perspective de vivre l’aventure de leur vie, les convives de Thibaut s’appliquaient à faire bonne figure. Tous étaient bien conscients d’avoir vécu un moment extraordinaire qui avait conduit à cet enrôlement collectif pour servir la gloire de Dieu. Mais l’euphorie commençait à s’estomper. L’appétit, malgré les succulents mets qui défilaient devant chacun, n’était plus tout à fait celui de ces derniers jours. Percevant la montée d’un certain désarroi, Thibaut voulut assurer tout le monde que leur engagement était la meilleure chose qu’ils aient pu faire, et qu’il ne fallait rien regretter :
—Eh quoi! Que ne montrez-vous un peu plus de joie? Réjouissez-vous, mes amis! Nous venons de faire le plus beau des serments. Nous allons accomplir ce que nos aînés ne sont pas parvenus à faire : reprendre Jérusalem… Jérusalem! insista Thibaut en regardant ses commensaux avec un grand sourire. Cette seule perspective de servir le Christ justifie toutes les épreuves à venir.
—Je me réjouis, mais je tremble aussi, mon frère, intervint Marie. Notre famille a déjà tellement sacrifié à cette cause. L’aventure est pleine de périls et trop peu nombreux sont ceux qui sont revenus de l’Orient.
—Mais tous en ont été récompensés. Ils ont conquis leur paradis.
—….
—En douterais-tu?
—…
—Ceux-là mêmes nous ont aussi laissé le devoir d’achever la reconquête.
—Ils nous ont aussi laissés avec nos larmes…
Marie s’en voulut d’avoir prononcé à voix haute ces dernières paroles. Elle ne voulait surtout pas que sa foi dans le bien-fondé de la croisade soit mise en doute. Elle était, comme la plupart, convaincue que les souffrances à endurer se justifiaient par la grandeur de l’enjeu. Mais il s’agissait cette fois de son petit frère qu’elle chérissait, ce petit frère qu’elle voulait protéger. Elle chercha à surmonter sa mélancolie et à faire oublier son commentaire en taquinant Thibaut.
—Mais dis-moi : ne te prendrais-tu pas pour l’un des héros de ces histoires qui nous ont tellement fascinés dans notre enfance? Tu sais, ces histoires que parfois on lisait à haute voix à notre mère47 et qui parlaient de quêtes, de chevaliers vertueux, de monstres et de plein de choses merveilleuses48? Comme nous avons été subjugués par ces aventures! T’en souviens-tu?
—Je ne me prends pas pour Arthur, rassure-toi…