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"La dernière menace" explore l’intrigue d’un gouvernement central qui cherche, en 2060, à récupérer tout témoignage sur « la grande catastrophe » survenue trente ans auparavant. Christopher est mis en demeure de remettre le récit de son père aux autorités, mais il s’interroge sur la meilleure attitude à adopter. En parcourant le manuscrit, il perçoit mieux cette période oubliée ainsi que les enjeux : le Président semble vouloir dissimuler le passé pour façonner l’avenir. Cependant, est-ce la solution appropriée pour une civilisation qui veut survivre à sa défaite ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christian Niaussat a écrit plusieurs ouvrages dont La piste chinoise. Il se distingue par un style vagabond où son imagination s’exprime librement à travers ses souvenirs de paysages et de rencontres. Son nouveau roman, d’anticipation cette fois, trouve ses racines dans sa réflexion sur le devenir de la planète, s’inspire d’événements d’actualité et pose la question de la place de la mémoire dans l’Histoire de l’humanité.
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Christian Niaussat
La dernière menace
Roman
© Lys Bleu Éditions – Christian Niaussat
ISBN : 979-10-422-2678-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce récit s’apparente à une fable, un roman d’anticipation qui trouve sa source dans la folie des hommes et les dérèglements de la nature.
Il ne prétend pas à une parfaite rigueur scientifique ; néanmoins, il s’inspire d’événements qui ont fait l’actualité et d’analyses médiatiques qui alimentent toujours le débat !
À notre Terre natale Gaïa,
ce pauvre (et si riche pourtant)
petit caillou perdu dans l’univers…
La terre est bleue comme une orange,
Jamais une erreur, les mots ne mentent pas…
Paul Eluard
Paris… décembre 2059 !
Le bruit strident de l’alarme leur vrille les tympans. Les deux hommes se sont échappés par la cage d’escalier. Ils sont poursuivis par l’escadron secret de la Police Mémorielle qui contrôle et préserve de diffusion ce qui doit être, ou pas, révélé aux populations. Les communications transitent obligatoirement par un canal officiel. De toute façon, rien ne transpire, ni de l’actualité encore moins du passé ; il n’y a pas d’informations… Donc, il ne se passe rien, dans cette contrée d’Île-de-France ni partout ailleurs dans le monde ! Les seuls témoignages, pour ce territoire, d’une mémoire évanouie, sont dans ces bibliothèques soigneusement préservées où nul ne doit pénétrer, encore moins en repartir avec des documents. Pourtant, Jeff et Maurice se sont laissé emporter dans cette tentative d’en récupérer quelques-uns. Pour quelques billets, armés de barres de fer, ils ont forcé l’entrée d’un ancien immeuble d’habitation, banalisé, mais évidemment sécurisé, qui abrite les Archives secrètes de Franconie occidentale.
Maurice s’affole en haut des marches et prévient son acolyte :
— Dépêche-toi, vite, vite… tu vois la trappe, il faut la dégager, attrapons l’échelle et virons-nous par les toits.
— Ok ! C’est bon pour moi ! Monte à ton tour, ils arrivent ! Les drones dans le ciel risquent d’informer un possible renfort ; il n’y a pas d’autre solution !
— Non, bien sûr, t’inquiète, roule… Pas d’autre alternative.
Sur les toits de l’ex-capitale de Franconie, la vue est magnifique ; on aperçoit la flèche de cristal de la cathédrale Notre-Dame, reconstruite après un nouvel incendie aux causes toujours indéterminées, on devine le Pont-Neuf et au bout les Champs-Élysées, l’Arc de Triomphe repeint aux couleurs de la Fraternité… Pas le temps, pourtant, de s’attarder à la contemplation. Il faut trouver une façon de redescendre par une autre issue, un soupirail ouvert, un carreau de chambre de bonne à briser pour s’échapper de cette souricière… ou se rendre à la Police, déterminée à en finir avec ces empêcheurs de tourner en rond, ces diffuseurs d’anciennes révélations, fausses évidemment, qui inquiéteraient la planète si elles étaient rendues publiques…
Jeff trouve un vasistas entr’ouvert sur la pente des tuiles ; il semble donner sur un couloir de desserte au dernier étage de cet immeuble ; il tente de le forcer pendant que son ami l’interpelle :
— Là, à côté, une porte qui donne sur un palier, petite terrasse sur le toit, j’essaie de l’ouvrir… Je les vois qui viennent… Par ici ! Vite ! Dégageons…
Jeff détourne son attention vers son camarade qui est en première ligne, face au commando qui arrive. Il panique, ses chaussures légères sont mal adaptées, il glisse sur une partie en zinc, essaie de se rattraper à… rien. Rien ne le retient, rien ne peut ralentir sa chute, pas même la basket de son pied droit qui hésite un bref instant en accrochant la gouttière…
Un grand cri se perd dans le vide et avertit son copain de l’accident. Jeff a fait une chute du septième étage… Que reste-t-il à faire à son complice face aux forces de l’Ordre ; il est perdu, il doit se rendre. Maurice en est conscient et lève les bras, en signe de sujétion :
— Arrêtez, arrêtez ! Je, je me…
Trop tard, une rafale le coupe en deux et brise sa vie. Maurice s’écroule sur le petit palier dont la porte n’était même pas fermée à clé. Silence pesant. Le policier a tiré, se sentant menacé par ces hommes et par celui qui s’est trouvé face à lui, avec ce pied-de-biche contondant, lui criant d’arrêter, dans le vent qui se lève !
Tout ça pour des informations qui auraient pu être divulguées auprès d’un média clandestin. Mais il n’en existait plus guère ! Bah ! Les ordres sont les ordres. Que se passait-il dans la tête de ces voyous ? Quelle idée de venir forcer les locaux des Archives officielles d’un territoire ! Et pour y trouver quoi ?
Les histoires s’écrivent. Comment deviner la sienne dans l’immensité proposée où les miroirs se brouillent ?
Bernard Giraudeau
An 2060
Communiqué du Gouvernement
La gouvernance mondiale demande à tous les administrés, quel que soit leur lieu de résidence actuel, de mettre à disposition tout témoignage sur l’épisode dit de « la grande catastrophe » qu’ils auraient en leur possession. Cela, afin d’alimenter une base de données destinée à éviter que de tels phénomènes ne puissent se reproduire. Les personnes qui refuseraient de livrer ces informations se verraient poursuivies par nos services pour obstruction à l’établissement de la vérité.
Fait en Alaska, Siège du Gouvernement mondial, Détroit de Béring.
Le 12 janvier 2060
Signé : Le Président
Février 2060, dans une île perdue, pourtant éloignée des tumultes du monde…
Lorsque le téléscripteur sonna, Christopher Barton sursauta… Depuis quelque temps, ces appels étaient de plus en plus fréquents. Pas une journée sans que ne tombât un nouveau message et tous avaient la même teneur. Ils faisaient référence à un document qu’il devait posséder dans ses archives et que la plate-forme gouvernementale voulait absolument récupérer.
Christopher – Chris pour ses proches – s’approcha de l’imprimante et prit connaissance du texte :
Monsieur,
Suite à l’enquête de nos services, il apparaît que vous détenez un document de la plus haute importance dont nous souhaiterions vous entretenir rapidement avant qu’il ne soit récupéré par des réseaux mal intentionnés… Prière de nous recontacter au plus vite à l’adresse émettrice…
Ce courrier avait de quoi surprendre. De quoi s’agissait-il ? Chris n’avait pas la moindre idée de ce « document ». Une arnaque, probablement… Cependant la récurrence et l’insistance de ces envois le troublaient !
Chris essaya de n’y plus penser et délaissa un moment son ordinateur. Par la baie vitrée, il apercevait un soleil voilé se lever sur les mornes qui environnaient la demeure. Il allait faire chaud et la climatisation ne suffirait pas à réduire la température. Il lui faudrait actionner la rotation de la maison, grâce aux vérins sur lesquels elle reposait, s’il voulait garder un peu de fraîcheur à l’intérieur.
Ce dispositif astucieux était simple à imaginer, mais avait été difficile à mettre en œuvre ; il permettait de faire pivoter la maison pour mettre la pièce à vivre à l’abri des rayons du soleil, en raison d’un réchauffement climatique persistant.
Non, aujourd’hui, il se priverait des liens virtuels qui le reliaient au reste d’un monde restreint. De toute façon, les liaisons Internet étaient coupées la plupart du temps, réservées au gouvernement mondial.
Voilà quelque temps déjà, il s’était promis de descendre dans les entrailles de l’habitation, sous le mécanisme d’orientation solaire, dans la réserve où son père avait stocké d’anciennes archives, livres et documents d’avant les grands événements… Peut-être trouverait-il là l’objet de la « curiosité » des services qui le harcelaient ?
Après un rapide petit-déjeuner, il délaissa sa douche journalière – l’eau était rationnée ; il fallait l’économiser depuis le dernier décret planétaire – et descendit jusqu’à l’entresol. Il aligna le monte-charge sur le conduit qui passait à travers la dalle ; celle-ci soutenait les engrenages actionnant le pivotement de la structure. Cet ascenseur lui permettrait d’atteindre les tréfonds de la demeure, qui servaient de remise. La machine s’ébroua dans un grincement, elle n’avait plus servi depuis fort longtemps. De cette manière, Chris s’enfonça dans les fondations de sa maison. Il ne savait pas très bien ce qu’il allait y découvrir.
*
La cave, appelons-la ainsi, ressemblait à n’importe quel espace de ce type, comme un soubassement en creux qui dégageait de la place. Il y traînait de vieilles caisses encombrées d’objets inusités, à trier au plus vite… depuis bien des années. De la poussière et des toiles d’araignées, oui, bien sûr, mais toute vie active, même à l’état de veille, semblait avoir disparu. La mince lueur qui filtrait d’un puits de lumière ne suffisait pas à dissiper un sentiment d’oppression que suscitait ce lieu clos.
Une porte déglinguée aux anciennes ferrures se confondait avec le mur et promettait une ouverture vers autre chose. Il fallait aller voir !
Après quelques hésitations, quelques tentatives maladroites, la porte céda… et s’ouvrit sur une obscurité glacée, une noirceur que seule la porte ouverte rendait moins absolue. Chris laissa passer quelques secondes afin de permettre à ses yeux de s’habituer à la pénombre. Existait-il un moyen électrique d’y mettre un peu de clarté ? Il chercha et finit par trouver un disjoncteur qui alimentait cette cavité ; lorsqu’il actionna l’interrupteur, la lumière bien que diffuse lui fit mal aux yeux et dévoila un appartement souterrain !
À l’ambiance désuète, aux tableaux délabrés et passés de mode, Chris Barton se rendit compte qu’il avait par hasard, ou bien par un curieux pressentiment, retrouvé le chemin de la première maison de sa famille. L’actuelle avait poussé à côté et au-dessus de ce logis enseveli ; ce dernier semblait avoir échappé au temps, mais sans doute pas à tous les maux qu’on devinait, confusément, à travers son abandon.
Les meubles donnaient à ce lieu une âme, comme si on l’eût quitté la veille. Une vaisselle ancienne habitait encore les placards ; la décoration, obsolète, appartenait au début du siècle. Cependant, elle lui rappelait son enfance. Il avait connu ces bibelots, souvenirs des derniers voyages de ses parents, comme rescapés, eux aussi, du monde d’avant ! Il poursuivit sa visite, tout en ayant l’impression d’enfreindre un interdit, poussa une porte derrière laquelle il reconnut le bureau de son père. Toujours très méticuleux, celui-ci avait rangé sur une étagère, désormais poussiéreuse, des documents soigneusement classés et étiquetés. Un dossier attira son attention ; assez épais, il portait un titre La grande catastrophe et était signé Teddy Barton. Cela laissait-il présager un texte romanesque ? Chris n’avait jamais eu connaissance que son père eût écrit quoi que ce soit sur un tel sujet…
Ce n’était donc pas une arnaque ! Serait-il possible que ce mémoire eût quelque chose à voir avec les documents recherchés par les services spéciaux du gouvernement ? Il fallait en avoir le cœur net… mais d’abord, remettre un peu de chaleur dans ces lieux !
Il alluma un feu de fortune dans la cheminée du salon qui, à sa grande surprise, fonctionnait ; sans doute en raison d’un conduit qui sortait sous forme d’un puits décoratif. Assis sur un vieil escabeau de bois, il se lança dans la lecture du manuscrit, ne pouvant se résigner à quitter des yeux les mots qu’il dévorait, plongé dans un abîme de sentiments mêlés…
Le texte apparaissait sur un papier d’imprimerie domestique qui avait correctement vieilli. Pas vraiment un roman, plutôt un journal de bord élaboré à partir de notes prises au jour le jour et, sans aucun doute, réorganisées, retranscrites a posteriori :
Juin 2030, quelque part en région européenne de Franconie…
Au poste d’essence où je me suis arrêté, la queue commence à s’allonger. Depuis la pénurie d’électricité (ce qui est produit est rationné et réservé à l’État), les voitures à batterie rechargeable ont été remisées, parfois abandonnées, au profit de celles qui existent encore, parfois de collections et qui fonctionnent avec un carburant à base de pétrole.
Je m’appelle Ted Barton, Teddy pour mes amis ; j’ai ressorti de la grange une ancienne Peugeot datant des années soixante-dix du siècle dernier, que j’utilise de temps en temps. Avec elle, comme d’autres personnes, je me suis mis sur les chemins.
La file n’est finalement pas si longue, ce type de véhicules est rarement en état de fonctionner. Beaucoup ont dû renoncer à un déplacement automobile et les colonnes de piétons sont nombreuses à s’étirer le long des routes. Une image filmée par un drone s’affiche sur un panneau électronique faiblement rétroéclairé ; elle montre cet exode massif quirappelle les clichés des livres d’Histoire. Les plus âgés ont vu ces photos datant du milieu du XXe siècle, les plus jeunes se souviennent du retour des conflits à l’est de l’Europe, vers 2020, quelque dix ans auparavant ; la guerre a peu changé de visage, elle est toujours aussi cruelle. Cette fois, elle semble indéfinie, polymorphe ; personne n’en connaît plus les origines exactes, mais beaucoup ont pris conscience qu’il fallait échapper à ses conséquences…
Heureusement, l’entrée de ce bourg perdu n’est pas loin d’un centre d’approvisionnement et les cuves de la station ont quelques réserves. Pour combien de temps ? Les propriétaires ont réussi à aménager une pompe à main qui pallie les fréquentes coupures d’électricité. Le service en est d’autant ralenti !
Les gens sont sortis de leurs voitures et chacun parle de son expérience. Certains sont en famille, d’autres voyagent en solitaire, tous desperados d’une folie communicative.
*
Échapper à la catastrophe qui s’annonçait de façon imminente ! Fuir avant de ne plus pouvoir se déplacer !
Il ne restait plus beaucoup de territoires où tout recommencer serait possible. Peut-être vers le nord qui devenait plus hospitalier depuis le changement climatique et la fonte de quelques glaciers. Peut-être vers le sud, en prise directe avec les mers lointaines. Quoi qu’il en soit, il fallait essayer. Aussi, lorsque j’avais chargé le coffre de mon véhicule, le saut vers l’inconnu se précisait. J’en étais fortement inquiet.
Il fallait tracer son chemin sans se retourner. Était-ce possible ? Sur quelle base construire son futur si le passé n’existait plus ?
Tout reprendre à zéro comme si une autre vie s’offrait à nouveau ?
Je n’y croyais guère et pourtant ! La route était longue, je ne savais où aller, je me contenterais de suivre la masse des fuyards. Ils allaient tous vers le nord, le sud ou ailleurs, délaissant leurs rêves et leurs ambitions pour survivre, tout simplement… Cela promettait d’être compliqué !
Quelques jours auparavant, j’avais allumé le téléviseur ; les canicules répétées avaient épuisé les nappes phréatiques, la ressource en eau s’étiolait, notamment dans les régions fortement urbanisées. Ce point crucial n’avait pas été suffisamment anticipé. Les dirigeants avaient perdu la main sur ce qu’il convenait de faire pour résoudre les problèmes qui s’accumulaient. Et puis, c’était toujours les mêmes histoires de la violence ordinaire, une société qui ne savait plus réagir aux petits et grands dérèglements qui entraînent l’exaspération, le désordre et aboutissent aux atrocités des uns envers les autres.
Les analyses défilaient en boucle sur les chaînes d’information en continu, les commentaires sur les réseaux sociaux. Imaginez d’immenses rouleaux qui tournaient en rond, sans cesse ; à l’intérieur de chacun un hamster qui grignotait notre bon sens… Nous avons été broyés par ces médias-machines où les informations contradictoires nous enlevaient tout discernement ; nous avons baissé les bras devant ces manipulations sans autre but que de nous faire perdre la raison. Nous aurions dû résister, nous n’avons pas su ! Et puis…
Et puis, ce fut le black-out ! L’obscurité était tombée sur la ville. Les réverbères un à un s’étaient éteints. La distribution d’électricité avait été coupée et n’était fournie que par intermittence ; l’on ne savait quand elle serait définitivement rétablie et si elle le serait un jour. Chacun avait ressorti les anciennes solutions. Pour ma part, j’avais utilisé une lampe de camping alimentée par une petite bouteille de gaz. Elle m’avait permis de tenir quelques jours. Ensuite, il m’avait fallu épuiser les autres sources de lumière, dont mon téléphone portable, rechargé de façon aléatoire… J’avais une petite semaine devant moi, peut-être un peu plus ; on allait vers l’été !
Les nouvelles arrivaient au compte-gouttes, de moins en moins au fur et à mesure que se vidaient les batteries. On ne savait guère ce qui s’était passé. On parlait d’un nouveau cataclysme, d’une catastrophe écologique sans pareille, d’une guerre qui s’approchait ! Un de mes amis, qui vivait sur la côte atlantique, avait dû quitter sa maison bien avant moi. Elle était construite sur une bordure de sable, une falaise attaquée par les vagues de l’océan, notamment pendant les grandes tempêtes d’équinoxe. Les fondations sur piliers s’enfonçaient en profondeur, mais cela ne suffirait pas dans le temps à assurer une parfaite sécurité. La falaise était partie, venant réduire une plage déjà restreinte, emportant avec elle le terrain de jeux des enfants, déstabilisant la balançoire dont un élément pendait dans le vide. Le trait de côte changeait et les maisons trop proches du littoral étaient menacées et abandonnées les unes après les autres. Le phénomène s’était encore accentué ces derniers mois… Pour l’heure, il fallait s’organiser. Je décidai d’appeler un autre ami dont j’étais sans nouvelles. Avec lui, j’avais autrefois fait les quatre cents coups, il était débrouillard, il aurait une idée, on en discuterait, on s’en sortirait…
L’appel tourna court ; plus personne ne répondait à ce numéro. Une angoisse soudaine m’étreignit, qu’allais-je devenir ?
*
L’étrange sensation de cette ville vide ! De mon balcon qui contemple le quartier, je n’aperçois plus de vies humaines. Tout est désespérément calme ; seul, le roucoulement d’une tourterelle adoucit le silence, chant d’oiseau auquel rien ne répond. Il n’y a plus la rumeur de jadis, le klaxon au coin de la rue, l’éclat d’une voix sur le trottoir d’en face…
Un paysage figé, comme dévasté de l’intérieur ! Une torpeur accentuée par un soleil rasant, voilé de poussières toxiques…
*
Ce n’est pas sans regrets que j’ai quitté ma maison…
Dans cette demeure était ma vie, celle de Ted Barton, ce qui en constituait le socle, la chape façonnière. J’y avais amassé des choses de l’existence, des souvenirs et des photographies. Dans des vitrines reposaient des objets oubliés, des livres esquissés, déjà écrits ou déjà lus.
J’écoutais parfois un disque, un de ces vieux 45 tours qui avaient tant fait vibrer ma première jeunesse.
J’avais décidé de mon départ lorsque Iléane, mon amie, avait, quant à elle, pris la route bien avant moi à la rencontre du berceau de sa famille. Elle possédait au centre du pays une demeure qu’elle espérait rejoindre, pour échapper, disait-elle, à cette errance qui habitait le monde. Cela ressemblait pourtant à une séparation, qui sans être définitive, pourrait le devenir si je ne m’en préoccupais pas. Heureusement, je savais où joindre Iléane si toutefois elle n’était pas emportée dans la tourmente générale.
Si la base de mon existence s’effondrait, comment pourrais-je survivre ? J’avais fait, une autre nuit, ce mauvais rêve où, justement, le plancher se dérobait et s’évaporait, les murs disparaissaient… me laissant flotter dans l’espace et dans le temps. Des lumières s’allumaient, des nuages passaient, noyés de couleurs psychédéliques, le son était puissant, la musique tourmentée. Alors mon âme se perdait ; égaré dans ma propre existence, je revoyais des instants de ma vie, passant de l’un à l’autre dans un patchwork décousu où le seul fil rouge était mon esprit vagabond !
Si les murs s’effaçaient, si le sol s’échappait, je n’étais plus rien ! Je m’étais réveillé en sursaut, dans une agitation désordonnée, le front moite et l’esprit fébrile. Le calme revenu, les battements de mon cœur ayant repris un rythme normal, j’avais retrouvé avec plaisir les objets familiers du quotidien… avant de devoir les quitter.
Au moment de partir, j’avais mis à l’abri les souvenirs de ma vie. Je les avais emportés avec moi ; archives digitales, quelques vieilles photos argentiques et des diapositives ; d’anciennes revues et journaux, quelques livres – dont certains numérisés pour gagner en volume – complétaient ma collecte. J’avais peu de place, mais, pour moi, il était important de sauver la mémoire de la vie d’avant. J’en aurais besoin si je revenais de cette aventure, afin, un jour, de la reconstituer dans son intégralité ; avant, après, une boucle acceptable, un parcours, une histoire personnelle qui ressemblerait à beaucoup d’autres, dont je pourrais retrouver les témoins inanimés qui me parleraient encore.
Je retrouvai au fond d’un tiroir un vieux foulard que j’y avais abandonné, le nouai autour de mon cou comme une cravate rebelle et quittai la maison. … /…
Christopher interrompit sa lecture, mal à l’aise, dans un état second. On ne revient pas impunément sur le passé de sa famille ; il lui fallait désormais relever le défi de cet héritage ! Jamais il n’aurait pensé que son père eût pu écrire, sur ce contexte si particulier, avec autant de détermination et de fatalisme. D’autres documents devaient exister, puisque Teddy en parlait ; il devait se mettre en quête de ces clés USB, de ces magazines dont il soupçonnait maintenant l’existence.
Juin 2030, dans une grande métropole de Franconie…
Dans la grande salle d’un royaume de pensée où étaient réunis les disciples de la « secte » millénariste – il en était plusieurs, mais elles fonctionnaient toutes, plus ou moins, selon le même rituel – le prêcheur déroulait un discours effrayant sur ce qui était en train de se réaliser. Tout le monde pouvait le voir, il fallait être inconscient pour le nier ; les nombreux signes annoncés par les prophètes étaient là, devant nos yeux. La planète était défaite, les mœurs s’étaient relâchées, la violence et la débauche régnaient au sein des populations. La vengeance du Créateur était imminente ; ce n’était pas présenté ainsi, le divin ne peut avoir de tels ressentiments, mais plutôt comme un juste retour des choses ; l’humanité n’avait pas écouté Celui qu’elle devait suivre, à qui elle devait obéir. Au contraire, le monde avait suivi la voie du Mal ; il était prévu par les Écritures que cela cessât !
Les peurs de l’an mil s’étaient répétées au début du second millénaire puis tout avait empiré dans les quelques décennies écoulées ; nous y étions. La fin du monde était à nos portes ! Personne ne s’accordait à l’envisager de la même façon : destruction de la planète, de l’humanité, des mécréants. Chacun était le maudit de l’autre, avait la Vérité, sa vérité… Ce qui était certain, c’est que le monde ne tournerait plus comme avant. Et il est vrai que les symptômes des maladies de la Terre donnaient quelques arguments à ces nouveaux prosélytes. Beaucoup avaient vu dans ces phénomènes l’accomplissement des prophéties. Selon eux, la parole de Dieu l’avait annoncé dans les livres sacrés ; il fallait bien s’y résoudre…
Certains de ces disciples, face à ce qui leur semblait inéluctable, étaient sereins, continuaient à témoigner, à prêcher comme l’orateur du jour. D’autres, moins aguerris, moins résilients, entretenus dans une foi vacillante, avaient laissé la peur les envahir tout comme elle prenait aux tripes la majorité des peuples agnostiques. La décision, dans les deux cas, serait la même ; il faudrait survivre dans ce nouveau monde qu’on voyait venir, sous l’égide de Dieu… ou peut-être du diable !
Et, là encore, chacun, chacune, selon sa croyance, sa philosophie, celle qui croyait comme celui qui ne croyait pas, chacun se mit, lorsqu’il le pouvait, en mesure de sauver son âme et surtout sa peau. En se réfugiant dans des abris, dans les bois, dans des refuges ou des attitudes de survivalistes, beaucoup dans l’exode et la fuite…
Cela avait été le cas de Ted Barton qui s’était retrouvé sur la route, à la rencontre ou le plus souvent à l’évitement des autres dont on ne pouvait prévoir les intentions.
Ces gens qui fuyaient étaient-ils tous des lâches, des pleutres ? On ne se bat pas contre le divin lorsqu’on croit ; lorsqu’on doute de Dieu, on ne résiste pas à l’évidence de la faillite des sociétés ; chacun savait que l’homme avait perdu la partie. Il ne restait qu’à espérer que l’on pourrait, collectivement, jouer le match retour si, individuellement, on en sortait vivant.
*
Christopher ignorait les débats métaphysiques qu’avaient suscités, à l’époque, de tels événements ; il poursuivait la lecture du manuscrit où son père se racontait comme le personnage d’un roman, prise de distance et coquetterie de journaliste :
… /… Sorti de ma rêverie, je remplis mon réservoir du précieux carburant et passai à la caisse. La boutique était quasiment vide. Les rayons de nourriture et de boissons sucrées avaient été dévalisés ces derniers jours. Le pompiste avait besoin de parler :
— Ils arrivent parfois de très loin, achètent ce qui reste et reprennent la route… les voitures sont chargées à bloc… ils vont vers le nord, le sud, l’ailleurs, chassés par le flux des autres, toujours plus nombreux, qui viennent des bordures…
Il attrapa un chewing-gum et mêla sa salive à la pâte parfumée ; de cette façon, il lui semblait qu’il avait moins soif. L’air était pesant et la température augmentait en raison des incendies qui illuminaient le ciel de la région.