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"La fièvre du Sam d’Issoire" vous invite à découvrir les secrets les mieux gardés des services secrets français. Lorsqu’un vétéran se voit proposer un poste qui semble n’être qu’un simple placard, il se retrouve rapidement entraîné dans une mission active aux enjeux bien plus importants. Accompagné d’une équipe d’agents et de barbouzes, il se lance dans une traque sans merci d’un réseau djihadiste, ignorant qu’une taupe s’est glissée parmi eux. Suivez son combat acharné pour démanteler cette menace, même s’il doit en payer le prix fort lors d’un combat final où la survie est loin d’être garantie.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alain Sudemont-Plingré a manifesté un attrait pour l’humour à l’âge de douze ans, en écoutant Signé Furax à la radio, suivi des matinales de Maurice Biraud. Depuis quelques années, il consigne méticuleusement ses trouvailles d’esprit, les transposant avec ingéniosité dans ses écrits, donnant ainsi vie au présent ouvrage.
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Alain Sudemont-Plingré
La fièvre du Sam d’Issoire
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Sudemont-Plingré
ISBN : 979-10-422-3258-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’auteur de cet ouvrage tient expressément à avertir le lectorat que ces lignes ne sont pas à mettre entre toutes les mains.
Ce livre est tout particulièrement déconseillé aux personnes suivantes :
Les atrabilaires, les malheureux, les consternés, les mornes, les grognons, les sombres, les sinistres, les maussades, les moroses, les mélancoliques, les lamentables, les déplorables, les accablés, les éplorés, les fâcheux, les grincheux, les renfrognés, les fades, les suspicieux, les soporifiques, les emmerdants et les emmerdeurs, sans oublier les chieurs, les chiants, les monotones, les gonflants, les casse-pieds, les pénibles ainsi que les barbants et les fatigants, sans oublier les coincés, les stressés, les angoissés, les anxieux, les dépressifs, les pisse-froid et les soupes au lait. J’en passe… et des pires.
Après tout ça, s’il reste quand même quelques lecteurs…
L’aéroport Roissy-Charles de Gaulle s’étale en dessous de nous sur des centaines d’hectares où s’entrecroisent les pistes et les tarmacs. Des dizaines d’avions parés de couleurs vives scintillent par ce beau soleil d’automne. Dans quelques minutes, je foulerai le sol de ma mère patrie, et après de rapides formalités, je prendrai la route de Paris.
Je viens de reprendre toute ma conscience après avoir somnolé pendant la plus grande partie du voyage sans toutefois avoir jamais sombré dans le sommeil. Mes pensées avaient ainsi divagué sans se fixer sur des faits ou des périodes précises. Sauf une. C’est ainsi que d’une réminiscence à l’autre, je me suis pourtant attardé sur une période particulière : mon départ de ce service qu’on appelait encore S.D.E.C.E il y a quelques années.
Mon supérieur hiérarchique de l’époque, qu’on appelle traditionnellement le Vieux dans notre jargon, était… une Vieille. Avec laquelle mes atomes étaient loin d’être crochus. Edith Moidonquinpeu était sortie de l’école nationale d’administration, établissement que le mon dentier nous envie, pour faire ensuite ses premières armes dans la préfectorale. Elle ne sortait pas du moule traditionnel de l’armée et encore moins de la moule marinière et n’avait été placée à la tête de nos services que parce qu’il fallait féminiser quelque peu, selon la mode du temps, la sphère très fermée de la sécurité et du secret.
Cette haute fonctionnaire était petite par la taille et par l’esprit. Paperassière, procédurière, tatillonne et pinailleuse en diable. À son arrivée, je m’étais promis de la mettre au pas et de ne pas me laisser emmerder, aussi avais-je lancé un trait d’esprit qui avait fait mouche dans le service : « ENA qu’à bien se tenir ! » Ce fin propos lui avait été rapporté par de bonnes âmes, ce qui ne la mit guère dans de bonnes dispositions à mon égard.
Nous avions sans cesse maints accrochages, que ce soit avant ou après chaque mission, pour lesquelles elle exigeait des rapports circonstanciés et exagérément précis, ainsi que des notes de frais et justificatifs minutieusement détaillés. J’avais fini par demander une fiche aux dames pipi à chaque fois que je sortais d’un lieu d’aisance et je me faisais un plaisir de les lui transmettre, agrafées en annexe des autres documents.
Excédé, je résolus un jour à l’issue d’une dernière mission dans les Balkans de lui coller ma démission. Je n’avais pas rédigé pour une fois le moindre compte-rendu ni fourni le moindre document, mais je lui avais offert mieux que tout ça : un petit cadeau ! J’avais déposé sur son bureau ma lettre de dem accompagnée d’un paquet bien emballé.
À l’intérieur, la tête proprement découpée, quoique qu’encore sanguinolente de Adam Labrosz, ce terroriste albanais dont Edith m’avait dit textuellement : « je veux sa tête, ici, sur ce bureau ! »
La bobine de la rombière, que j’avais prise au mot ! Elle savait se tenir et ne montra nulle émotion bien qu’elle fût très mal à l’aise devant ce présent qu’elle déballa méticuleusement, comme toujours, et dont elle ne savait que faire. Mais j’avais respecté mes ordres à la lettre… Excusez du pneu !
Vous vouliez la tête de Labrosz Adam ? La voilà. Pour la paperasse et le rapport, j’ai pas eu le temps… Bon, pour la dem, ça vous va ?
Je crus discerner en elle un très discret soupir de soulagement quand j’eus présenté ma lettre, rédigée en bon Français et de surcroît en bon uniforme. Elle fit mine, dans un tressaillement de son opulent chignon de ne pas l’accepter, et repoussa l’enveloppe en la faisant glisser sur son bureau de quelques centimètres en ma direction, puis elle arrêta son geste. Faut dire que Labrosz Adam faisait une drôle de tête à quelques centimètres de là. Il avait le regard… vide.
Là-dessus, elle s’empressa de me dire qu’après tout elle se devait de respecter ma décision. La lettre disparut comme par enchantement dans le tiroir qu’elle avait discrètement entrouvert dans un imperceptible mouvement du genou. Nous nous quittâmes donc bons amis sans que les adieux soient déchirants pour autant. J’entends qu’elle n’avait pas déchiré ma lettre de démission. Lettre qui sera cependant déchirée le lendemain par d’autres mains comme je ne tarderai pas à le savoir.
Évidemment, je n’eus pas droit à la moindre goutte de ce qu’on appelle généralement un pot de départ. La préfète est du genre à ne boire que de l’eau, voir à la rigueur du thé, mais pas avec n’importe qui ! J’en fus quitte pour aller arroser tout seul mon départ devant une bouteille de mon copain Jack Daniels, en trinquant avec moi-même, ce qui impliquait l’usage, le remplissage et la consommation du jumeau du premier verre, vous saisissez l’astuce ?
Mes trois chats ne me firent même pas la fête malgré la double part de ronron que je leur servis copieusement en l’honneur de mon retour at home. Finie la sieste féline toute la journée ! Avec moi, ça allait pulser ! Et ces feignasses à poils allaient devoir maigrir !
***
L’hôtesse de l’air me tire de ma léthargie et me réveille complètement en énonçant au micro la litanie des éternelles mesures de sécurité avant l’atterrissage. Je boirais bien ses paroles, mais je préfère boire les dernières gouttes de bourbon qui restent au fond du flasque que j’avais conservé discrètement.
J’avance le goulot au-dessus de ma bouche après avoir renversé ma tête et j’attends. Elles viennent, oui ou merde, ces dernières gouttes ? C’est tout juste si je n’entends pas une petite voix qui me murmure de l’intérieur « voilà, voilà, on arrive, t’affole pas ».
L’aérogare est pleine comme un œuf. Un premier confinement dû à une pandémie appelée Covid 19 a empêché les gens de voyager pendant plusieurs mois et voilà qu’on nous en promet un deuxième dans pas longtemps. Tout un monde masqué se précipite pour prendre un des derniers avions pour ficher le camp le plus loin possible.
Muni de mon léger bagage, je sors et cherche désespérément un taxi. J’avise une berline noire, rutilante, visiblement en maraude. C’est pas un taxi ni un chauffeur de chez Hubert, qui ne travaille que sur réservation, donc c’est un gus qui bosse au noir. Je sens tout de suite que je vais me le faire, bien que je sois d’humeur joyeuse, voire même badine, et pour tout dire un peu guillerette. L’air du pays, sans doute. Je le hèle, il obtempère…
— Vous pouvez me ramener à Paris ?
— Bien sûr Moussiou.
Je reconnais là un accent que j’ai mille fois entendu chez les Yougos et les Albanais, voire chez les Roumains, les Macédoniens sans mayonnaise et peut être même les Monténégrins. Ce type fait assurément partie de cette maffia qui escroque les clients étrangers dans tous les aéroports et toutes les gares d’Europe avec leurs faux taxis. Je lui demande de m’emmener à la place de la république à Paris et pose ma valise près de moi sur le siège arrière.
Pendant que nous roulons en cette fin d’après-midi, j’admire la végétation au bord de l’autoroute qui prend cette couleur mordorée que j’aime tant en automne. Bientôt, tous ces arbres seront déplumés et ressembleront à des squelettes plus ou moins difformes, qui découvriront l’arrière du décor, des kilomètres de béton jusqu’aux portes de Paris. Ainsi va le rythme des saisons.
J’arrive assez souvent par Roissy quand je rentre en France et je connais le prix moyen des courses en taxi. Avec ce zig au volant (s’appelle-t-il Otto ou Omar ?) je m’attends à tout. S’il me demande entre cinquante et soixante euros, je paierai sans discuter, sinon…
Il me dépose à ma demande plus loin sur le boulevard Voltaire, à la hauteur du métro Oberkampf. Lequel Oberkamp était un industriel, inventeur de la toile de Jouy. Ça vous la coupe hein ? C’est mon quartier, où je suis né et où j’ai grandi, alors, le nom des rues…
Et là, les amis, je tombe sur le cul quand il me demande deux cent vingt euros.
— Je peux vous payer en carte bancaire ? Que je fais l’air faussement naïf.
— Non, Moussiou, je prends que des espèces, qu’il me répond, un peu trop sûr de lui.
— Et cette carte-là, vous la prenez pas non plus ? que je réponds en exhibant une carte barrée de tricolore.
Le mec pâlit et commence à trembler. Je suis pressé. Cette fois, il va biens’en tirer.
— Ça va. Je te file les cinquante euros que je te devrais si t’étais un vrai taxi. Et maintenant, tire-toi.
Quand je suis sur le trottoir, je fais mine de relever son immatriculation. Sûr qu’il me voit dans ses rétros et qu’il ne va pas demander son reste. Cézigue pâteux démarre en trombe et disparaît dans la circulation vers la Bastille par le boulevard Richard Lenoir.
Pas question de me faire déposer devant chez moi. Question de sécurité. Je vais donc faire trois cents mètres à pied pour arriver at home. Je passe devant le Ba-Ta-Clan et traverse le boulevard sous un ciel qui soudain se voile. Deviendrait-il musulman, lui aussi ? Encore un bout et me voici chez moi, sur la place Saint-Ambroise.
***
Ma mission vient de se terminer et comme tout bon subordonné, je me présenterai à ma hiérarchie le surlendemain de mon retour, au rapport chez le Vieux. La féminisation des métiers est déjà en route puisqu’avant notre directeur actuel, c’est une femme qui dirigeait le service et on ne se privait pas de l’appeler « la vieille », laquelle ne fit pas de vieil os chez nous et qui fut remplacée le lendemain même de ma démission. Ma lettre fut interceptée et mise à la poubelle sans autre forme de procès par son successeur Depuis, je me suis bien juré de ne plus me laisser emmerder par personne et j’ai toujours une lettre de démission prête à servir. Déjà signée, je n’ai qu’à y ajouter une date…
***
Le bâtiment est moderne et même futuriste, ce qui change de l’ancienne caserne, mais lors du déménagement, le patron avait tenu à emporter ses meubles, ses tapis, ses tableaux. Tout ça sent toujours l’en-caustique et le vieux tabac froid, comme avant. La même plaque sur la porte, un vieux cuivre un peu roussi qu’il a tenu à faire dévisser de la porte de son ancien bureau pour l’apposer ici :
« Colonel GARMOND-PARNAS, Directeur. »
Tous les matins, en arrivant, il souffle sur sa plaque et dissipe la buée d’un revers de la manche de son veston. Elle brille : il est content.
J’évoque le tabac froid parce que le Vieux ne quitte jamais sa vieille pipe, éternellement vissée entre ses dents jaunâtres, d’où son surnom de Pipouze, entre autres sobriquets, même si d’autres collègues lui trouvant la mine blafarde et l’air absent l’ont baptisé l’Hagard du nord, allez donc savoir. En référence peut-être à des origines lilloises fièrement revendiquées ?
D’autres encore lui collent de l’Amer des sarcasmes, parce qu’il aime bien envoyer des vannes, souvent fort méchantes, avec un humour froid fort peu goûté par ses victimes.
Naturellement, il va sans dire qu’il ne faudrait pas confondre ce personnage avec l’austère Liszt. Voire avec Edgar Delest, son ministre de tutelle.
Mais je m’égare ! On ne va pas polémiquer comme disaient mes copains Paul et Mickey sur les surnoms de tout un chacun, hein ? On n’est quand même pas là pour ça !
Je note en entrant que le portrait du baron est toujours à sa place, à la place d’honneur, sur le mur derrière le bureau du boss. Le baron Larey d’Éphèse fut un prédécesseur de pipouze et d’Edith et a laissé une forte empreinte dans le service.
***
J’ai donc déballé toute mon histoire chez Pipouze qui, j’en suis sûr, la connaissait déjà : comment j’étais arrivé au Liban et comment j’avais mené grand train tout à fait officiellement. Faut vous dire que je fais des heures supplémentaires. Si je suis barbouze le jour et en semaine, je suis romancier la nuit et les jours fériés. Ma gloire littéraire est en réalité toute relative puisque mon œuvre ne se compose que d’une dizaine de polars qui ne se sont pas trop mal vendus, surtout dans les gares et les supermarchés, et de deux essais dont la diffusion fut plus que confidentielle, preuve en est que ces ouvrages sont aujourd’hui introuvables. Quoique, en cherchant bien dans une arrière-boutique, ou chez le poissonnier… pour emballer le merlan…
***
Commençons donc par le commencement : enfin, Ambrose Saint Ambrose, mon nom de plume, pour vous servir, était invité au Salon du livre de Beyrouth et se devait d’honorer cette invitation dans un pays resté très francophile et francophone malgré un contexte de guerre civile et d’insécurité permanente.
Pourquoi ce pseudonyme littéraire compliqué et ridicule, me direz-vous ? Et ben comme ça ! Mais d’abord, ça fait Britannique donc déjà un peu exotique, non ? Je n’allais quand même pas choisir de m’appeler Auguste Chinchard… Vous m’imaginez chez Pivot avec un nom pareil ?
En fait, je suis né et j’ai vécu toute mon enfance à Paris sur le boulevard Voltaire, face à l’Église Saint Ambroise, entre République et Nation et pas bien loin du Ba-Ta-Clan, qui dans ma jeunesse était un cinéma de quartier où j’adorais aller voir des westerns avec mon père, bien avant que cet endroit ne redevienne comme avant-guerre une salle de spectacles, victime tout récemment d’un abominable attentat islamiste. Ce boulevard Voltaire qui, lors de son percement par le baron Haussmann et de son inauguration, fut nommé boulevard du prince Eugène.
Il s’agissait bien sûr du prince Eugène de Beauharnais, fils de Joséphine et non d’Eugène de Savoie, grand ennemi du royaume de Louis le quatorzième.
Bon, je fais mon savant, mais je vois bien que ça en emmerdecertains. Alors, revenons à nos chèvres.
J’habite toujours dans l’appartement de feu mes parents ou j’ai passé une si heureuse enfance, sous mon vrai nom : Alain Sudemont-Plingré.
Heureuse et insouciante, cette enfance, même si… les jours de manif…
Ces gens défilaient en rangs serrés sur le traditionnel parcours République-Nation et passaient sous mes fenêtres, drapeaux rouges sur l’épaule et poing levé, en hurlant des slogans auxquels le petit garçon que j’étais ne comprenait rien. Ces foules en mouvement me terrorisaient et me fichaient une trouille insurmontable. C’est qu’à l’âge de trois ou quatre ans je croyais encore au père Noël, mais aussi au père Fouettard.
J’en ai gardé une phobie qui m’a rendu agoraphobe, pour ne pas dire misanthrope, et je garde une solide détestation des foules et de toutes les manifs, de gauche comme de droite. Je répugne, encore aujourd’hui à fréquenter un stade ou une salle de concert. Ces gens qui s’agitent et qui gueulent autour de moi…
Ça criait beaucoup, mais il me faut reconnaître qu’il n’y a jamais eu sous mes fenêtres la moindre violence en ces temps-là. Comme aurait dit Joachim du Bellay : « heureux qui communiste »… puisque mes parents me décrivaient ces manifestants comme tels, ce qui me faisait une belle jambe puisque je ne comprenais rien aux trucs en istes. Ni en ce temps-là ni maintenant.
Mais les temps ont bien changé. O tempora, O mores !
Ce qui est drôle, c’est que je n’ai jamais mis les pieds dans l’église d’en face et ce Saint Ambroise, je n’ai jamais su qui c’était. Ma famille vivait en dehors de la religion et de la politique et je ne me porte pas plus mal d’être moi aussi athée et apolitique. Tout juste m’a-t-on baptisé, dans le village natal de ma maman, dans le nord, sur la frontière belge. Bien entendu, on ne m’a pas demandé mon avis à l’âge de deux mois et c’est donc à mon corps défendant que j’ai subi cette cérémonie et que je suis devenu catholique malgré moi. D’autres sont bien devenus médecins malgré eux…
Bon, je me perds encore en ratiocinations bien inutiles.
***
Le romancier Ambrose St Ambrose porte collier de barbe et moustache ainsi que de grosses lunettes. Tout ça, c’est pour la presse, les salons littéraires et la télé, pour les rares fois où j’y apparais. Quand j’ai quitté ce soir-là le studio de la télé de Beyrouth où j’avais vendu ma salade aux Libanais, à savoir mes derniers bouquins, je me suis discrètement éclipsé, négligeant le pot offert aux invités.
Censé être raccompagné à l’aéroport après ces trois jours de festivités, je filai par une porte dérobée, et d’ailleurs volée, et me débarrassai promptement de mes poils, moustaches et touffes postiches, qui collent si mal et que j’ai toujours peur de perdre au mauvais moment, pour retrouver le visage parfaitement glabre que j’arbore en temps normal.
Il perd ses poils, comme on aurait pu dire à Persépolis. C’est presque une contrepèterie, non ?
J’avais donc quitté sans regret le monde littéraire pour m’occuper enfin de choses sérieuses : ma mission. Mon compère du service, basé au Liban, Gérard Manvussat, m’attendait dans un hall voisin et nous gagnâmes de concert baroque une antique Mercedes, blindée quand même à tout hasard, avant de disparaître dans la circulation cauchemardesque de Beyrouth. Mon boulot de barbouze allait commencer.
***
Le vieux suivait mon récit, mais tapotait souvent sa pipe sur le rebord du cendrier, ce qui était signe chez lui d’un certain agacement. Il voulait que j’aille à l’essentiel, mais j’aimais le faire bisquer en rajoutant de nouveaux détails, qui je le concède, n’avaient pas le moindre intérêt. Mais ils auraient sûrement plu à Edith Moidonquinpeu. Car un romancier, hein, faut que ça brode un peu et que ça enjolive. Il faut bien faire de la ligne. Au dix-neuvième siècle, les feuilletonistes étaient payés à la ligne et il leur fallait trois pages pour expliquer que Justine avait ses règles.
Comment j’avais fini par arriver à Kanjbandh El Ered, via Beyrouth ? Comment j’avais pris contact avec cette pourriture de Selim Nalamour, l’insaisissable terroriste ? Comment je l’avais éliminé ? Comment j’avais pu m’enfuir en traversant le désert Halakrem, poursuivi par les tueurs de Hocine Ehmacessouar. Voilà ce qu’il attendait.
Je soulignai dans mon récit le précieux concours de Gérard Manvussat, sans qui je n’aurais pas pu mener à bien ma mission. Il faut toujours faire mousser les collaborateurs les plus proches comme les seconds rôles et le petit personnel, ils vous rendent toujours le petit service utile quand vous vous retrouvez un beau jour dans la merde.
Pendant deux bonnes heures, j’ai gavé le Vieux du maximum de données géopolitiques, techniques et matérielles dont il aimait à se repaître. Il avait fait monter entre temps son collaborateur spécialisé dans les affaires du moyen orient, un dénommé Garcin, prénommé Lazare.
Ce Garcin Lazare était un type un peu à l’ouest, selon quelques sources intérieures concordantes et forcément malveillantes. Le type ne pipa mot durant tout l’entretien et se contenta de prendre quelques notes, sans entrain. C’était duraille pour lui et on voyait qu’il se mélangeait un peu dans les aiguillages de cette aventure.
Tous mes exploits enfin exposés, j’eus droit à un whisky nippon de derrière les bambous et les cerisiers en fleurs que le boss ne sortait que dans les grandes occasions. Il fallait en faire, des exploits, pour y goûter à ce breuvage si rare que dans la boîte on appelait le Japonais absent.
Avec la discrétion et le tact qui m’ont toujours caractérisé, j’évitai d’évoquer le partenariat que j’avais dû échanger avec un agent russe, chargé de la même mission que moi, bien que pour des motifs politiques différents. En fait, au départ, on avait bel et bien failli se tirer dessus.
Ce que c’est qu’une méprise, pas vrai ? Cet agent était une femme, une certaine Galina C., une sacrée cocotte, sérieuse et efficace. Cette poule ne pondait que de bonnes idées, mais n’était pas une dinde. En tout cas, j’aimais lui voler dans les plumes surtout quand elle était à poil. Et elle a aimé que je la farcisse, si je peux me permettre ce détail scabreux qui néanmoins célèbre l’amitié Franco-Russe.
Après ma traversée du désert Halakrem, j’avais gagné la Turquie puis j’étais arrivé sur les bords de l’amer noire, ou le Pont-Euxin, comme on la nommait jadis, car je sais aussi faire le savant, où Galina, arrivée sur place par un autre itinéraire me rejoignit. Elle m’invita à me reposer et me détendre deux jours avec elle chez un de ses correspondants, gérant d’un camp naturiste, un dénommé Ismet Hapoel.
Je passai ainsi les deux jours les plus épuisants de ma vie sans jamais pouvoir débander, tant la dame avait du tempérament. Heureusement, Eugène n’était pas là, et quand il y a Eugène, y a pas de plaisir. Et du plaisir, j’en pris beaucoup à lui compter les plumes à cette Gallina C.
N’allez pas croire au récit de cet épisode que je suis un crétin de macho, hein ? Je ne vais pas me mettre les ligues féministes sur le dos quand même. Surtout que j’ai toujours proclamé haut et fort que le sexe fort, ce sont les femmes. Tous les hommes, qu’ils soient balaises ou malingres, intellos ou débiles, blancs ou noirs, sortent tous du ventre d’une femme. Laquelle vit plus longtemps qu’un homme...Alors ? Si elles n’étaient pas là ?
Là, je crois que je viens de regagner la sympathie et la confiance de pas mal de lectrices, non ?
Faudra aussi que je pense à faire dans ce bouquin un couplet sur les juifs, les noirs, les Arabes, les roux, les gros, les gays, les handicapés, les chauves, les albinos, les nains, les aveugles, les boiteux et j’en passe…
Des fois que ça fasse vendre !
Ce qu’il ne faut pas dire et écrire pour se faire élire ! dit toujours mon député.
Par contre, notre grande et indiscutable supériorité, à nous les mâles, c’est notre équipement : la zigounette gonflable et orientable, qui nous permet entre autres usages de faire pipi dans les coins, en l’air et/ou à distance. La femme, elle, est astreinte à s’en tenir au principe de Newton, l’attraction terrestre : de haut en bas. Point barre. Et toc ! Je reperds des points.
Bon ! Foin de ces digressions et revenons à nos exploits, ce sidi modestement.
C’est donc complètement lessivé que je me présentai devant le vieux deux jours après mon arrivée à Roissy pour le débriefing que je viens de mentionner plus haut si vous m’avez bien suivi, ce qui avec moi n’est pas toujours évident de prime abord et même de prime d’assurance.
— Vous m’avez l’air crevé, mon cher Sudemont, avait-il lâché en m’accueillant avec un ton compatissant qui sonnait faux. Le mon Cher était de pure forme, tous ses collaborateurs y avaient droit. Il n’en avait en fait strictement rien à foutre qu’on aille se faire viander dans tous les coins du monde. On était payé (assez mal) pour ça après tout.
Savait-il pour Galina ?
On s’était donc quittés presque cordialement comme toujours et j’eus droit à une petite quinzaine de jours de vacances qui en fait ne sont qu’un petit bout de rattrapage des quatre mois de congés que l’administration, toujours chiche comme on sait, me doit. C’est que dans mon cas, je suis considéré comme un agent fantôme, qui n’existe pas officiellement.
Le vieux en prenant ses fonctions avait récupéré ma lettre de démission dans les dossiers d’Edith et l’avait promptement mise à la poubelle. Je souhaitais quant à moi reprendre depuis un bon moment mon indépendance et ma liberté de romancier, quitte à faire des piges de temps en temps pour le service. On convint que je quitterais officiellement la maison, mais que je resterais à disposition ponctuellement et officieusement pour des missions particulières. Cette espèce de mi-temps me convenait finalement, combinant alternativement l’action et l’écriture de mes romans.
Bref, j’étais devenu un vacataire, pour ne pas dire un mercenaire, voir une barbouze, puisque j’avais officiellement choisi la démission, qu’on transforma en départ à la retraite anticipée en raison de mon âge avancé, même si l’avaleur n’attend pas le nombre des années. Mes émoluments m’étaient donc versés sur des fonds secrets qui ressemblaient fort à une caisse noire, laquelle n’a toutefois rien à voir avec un tam-tam.
Je m’invitai donc pour deux semaines chez moi, où je mettais rarement les pieds et même les chaussures. Pas fâché d’en avoir fini avec mon compte rendu chez Pipouze. Je lézardai pendant plusieurs jours au milieu de mes chats, les vrais tauliers de la maison. J’avais des stocks de ronron, de croquettes et de litières et suffisamment de lait pour plusieurs semaines. Latifa, la concierge, passait une fois par jour en mon absence quand j’étais en mission pour les litières et la nourriture des chats et les laissait libres un bon moment sur la terrasse qui donne sur le boulevard Richard Lenoir à l’arrière de l’immeuble elle me faisait par ailleurs deux heures de ménage une fois par semaine. Et quand j’étais là, elle passait quand même. Pour papoter.
Une brave femme que cette Latifa, veuve très jeune d’un ouvrier du bâtiment. Le brave Mohamed avait déjà plus de quarante ans quand il l’avait ramenée du bled, tout juste nubile. À un peu plus de vingt ans, elle lui avait déjà fait quatre enfants quand il fut victime d’un accident du travail dont il décéda peu après. Elle a élevé seule ses gamins en HLM, en trimant comme une esclave, avant de trouver plus tard cette loge de concierge. Les mômes furent remarquablement éduqués, à la française, et se sont tous bien casés dans de confortables situations. Tous laïcs et parfaitement intégrés et la religion musulmane ne leur pose aucun problème, ni pour la fille, brillante styliste, ni pour les trois garçons. J’ai pu pistonner l’un d’entre eux, Smaïl, devenu officier de police. Les deux autres faisant carrière l’un dans l’encadrement sportif et l’autre dans l’informatique.
***
Je n’étais pas rentré depuis deux jours que déjà je m’étais débrouillé pour attraper un rhume mahousse qui me faisait moucher abondamment. La narine française était en danger. Heureusement, la prise de la pastille me remit vite sur pieds même si on n’était pas le quatorze juillet. La question que je me posai un temps fut Covid ou pas Covid. On parlait de plus en plus en de cette nouvelle pandémie, laquelle avait toutefois un avantage : on pouvait péter tranquillement ; ça masquait cette toux que personne ne voulait entendre. En temps normal, c’est l’inverse, quand on veut lâcher un gaz, on tousse discrètement pour couvrir ce bruit fort inopportun.
Vite retapé, et après un test au bout d’un petit bâton qu’on vous enfonce dans le nez jusqu’à la gorge et qui se révéla négatif, je commençais à tourner en rond et Cicéron, ce n’est Poincaré. Voilà que l’action me manquait déjà. J’avais bien pondu quelques lignes d’un nouveau polar, mais je sentais bien que le moment de la retraite n’avait pas encore sonné. Quoique…
Rentrant de chez monsieur Boulazed, le coiffeur de la rue de la Folie Méricourt qui venait de me déboiser la colline, j’entendis sur le palier de mon appartement la sonnerie du bigophone à l’intérieur. Le temps de trouver mes clés dans mes poches… trop tard… ils rappelleront puisqu’ils n’ont pas laissé de message.
Quinze jours que j’étais rentré, pile-poil. La journée avait commencé par un beau matin ensoleillé qui sentait la rosée, enfin presque, parce que, sur le boulevard Voltaire, hein !… C’est pas les bords de Loire non plus, mais moi, je ne suis pas Ronsard. Bref, je sentais que les vacancesvenaient de se terminer, car voilà que la sonnerie du téléphone sonne bien à propos. Paulette Lescar, la secrétaire du Vieux, me téléphone pour m’intimer d’un ton sec l’ordre de me présenter le lendemain à huit heures précises chez son boss qui par un hasard fortuit et par pure coïncidence est également le mien. Aussi revêche que son patron, cette Lescar Paulette ne m’aime pas, mais je m’en balance, et, confidence pour confidence, je ne l’aime pas non plus, cette mocheté aussi plate par devant que par-derrière.
Là, je viens de reperdre un point chez les féministes !
J’ai bossé laborieusement entre deux missions sur mon bouquin, mais je rame. Je détruis mes fiches et mes brouillons en petits tas et je classe mon manuscrit dans le fond d’un tiroir. Les tas, c’est moi, comme disait le grand Louis.
Frais et dispo, je suis prêt à affronter Pipouze. Que va-t-il me proposer ? Pour sûr, une nouvelle mission…
***
Le lendemain, un jeudi, je suis juste à l’heure. Pour le principe et pour emmerder tout le monde, je vais prendre un jus au bistrot d’en face, histoire d’être en retard d’un quart d’heure.
En sirotant mon petit noir, j’avise sur un toit voisin une équipe d’ouvriers. L’un d’entre eux porte une de ces longues plaques de zinc dont sont recouverts la plupart des toits de Paris. Je me mets à fredonner un air de Dutronc : « il est zingueur, Paris s’éveille ».
Mais comme ça, pour le principe, j’aime à être désiré. Quand je me pointe, la Lescar me regarde de travers tout en jetant ostensiblement un coup d’œil à la pendule, puis elle m’introduit. Ceci étant, s’il y en a une que je n’ai pas envie d’introduire, c’est bien elle. Ni en mêlée, ni même en groupé pénétrant, comme on dit dans le pack du Racing, le club de ma jeunesse dans les rangs duquel je n’ai fait qu’une courte carrière anonyme sans jamais réaliser d’exploit. Aucune tribune du vieux stade Yves du Manoir à Colombes ne porte mon nom, même pas les pissotières, c’est dire !
Garmond-Parnas est debout, nu-tête, dans un uniforme que je ne lui connais pas, au milieu de cette grande pièce. Il tire sur sa pipe à grand bruit et discute avec un type en civil qui a pris sa place derrière son propre bureau. La cinquantaine, l’élégance raffinée, la mine fière du type à qui on ne la fait pas, il me regarde froidement, mais je ne ressens pas d’antipathie. Plutôt de la curiosité. Le visage est buriné, les traits sont énergiques, les cheveux coupés courts en brosse, la mâchoire est carrée. Cet homme n’a pas visiblement une tête à avoir fait carrière sur les ronds de cuir du ministère, mais il a dû plutôt crapahuter une bonne partie de sa vie dans des endroits pas possibles.
Pas une parole ne sortant de ces deux bouches, je fais pareil et je les regarde tour à tour d’un air aussi détaché qu’avec de l’eau écarlate.
Le Vieux enfin daigne s’apercevoir de ma présence. Il parle :
— Mon cher, j’ai atteint et même dépassé la limite d’âge et ma demande de mise à la retraite vient enfin d’être agréée par la haute hiérarchie. Je vous fais donc mes adieux aujourd’hui même et je vous présente pour l’occasion mon remplaçant et successeur, le colonel Jean-Aymar de Cézan-Foirey.
Léger signe de tête de l’autre, toujours immobile dans son fauteuil.
— Ravi de vous connaître ! que je fais à tout hasard, tandis que l’autre ne prend pas la peine de répondre à mes salutations pourtant distinguées, et même, nonobstant, voire concomitamment, respectueuses.
Ravi ? Pas si sûr ! Et j’attends la suite.
C’est le Vieux qui reprend la parole et qui étale complaisamment mon panégyrique. Tous mes états de services y passent, mes blessures et mon rein perdu, mes maîtresses (y compris Galina C., le salaud, il savait donc) et mon goût prononcé pour le Bourbon, avec ou sans glaçons, et pour les Bourbons, ci-devant rois de France.
Le nouveau boss se lève enfin, il est grand, maigre, il fait le tour du bureau, il boite légèrement de la jambe gauche. Ou plutôt du côté gauche. Ce type n’a plus de jambe, je devine immédiatement que c’est une prothèse articulée qui lui donne cette démarche.
— Content de vous connaître, lâche-t-il enfin. On va continuer à faire du bon boulot. Et il me broie allègrement les doigts de la main droite. Seul le pouce échappera au massacre.
Garmond-Parnas pose négligemment une fesse sur l’angle de son futur ex-bureau tandis que le nouveau boss récupère le siège qui est dorénavant son fauteuil. Sur une table basse, voilà que je découvre un képi galonné avec deux magnifiques étoiles. Il y a eu de la promotion dans l’air ! Mon colon est devenu gégène.
Et voilà qu’on dialogue pour de bon. Enfin, non ! On est trois… on trilogue.
Je viens de l’inventer, celle-là : le trilogue !
J’apprends qu’on réorganise le service et que je change d’affectation. Fini le baroudeur qui court le monde. On me fait discrètement comprendre que j’ai passé l’âge de jouer au petit soldat et que je ne suis pas immortel moi, contrairement à mon indestructible collègue britannique, l’agent secret de sa gracieuse majesté dont je tairai ici le nom. Par simple jalousie, na ! Et puis, ça m’énerve de le voir toujours rouler en Aston Martin alors qu’on roule, nous, dans des caisses hors d’âge, mais bien françaises. Ces Anglais seront décidément toujours les Joyeux de la couronne.
J’ai vite compris qu’à un peu plus de cinquante balais, on me préparait un placard confortable. Mon boulot, toujours officieux et toujours à temps partiel, consistera à ce qu’on veut bien m’expliquer, à partir de maintenant et même de désormais à bosser sur le territoire national, en relation avec les Opex (opérations extérieures) dont je faisais partie. L’ennemi est solidement ancré dans notre pays et même partout en Europe et y a installé des bases bien pourvues en hommes et en matériels.
L’ennemi identifié, de nos jours, c’est l’Islam radical, me dit-on. C’est Daesh et ses multiples ramifications. L’Islam qui veut conquérir le monde après une partie de l’Asie sous le nom de Talibans ou Al quaïda. Ils sont déjà aussi en train de s’établir durablement en Afrique tels Boko haram, Aqmi ou Ansar dine. Il a déjà tenté la conquête de l’Europe au 8e siècle par l’Espagne où il est resté presque sept siècles avant la reconquista, puis plus tard par les Balkans et la Hongrie avant d’être stoppé devant l’actuelle Vienne en Autriche, mais voilà qu’il essaie à nouveau, et avec d’autres armes et surtout d’autres complicités, dixit toujours mon gégène.