La greffe, un long combat, un lourd tribut - Gaëlle Pontgelard - E-Book

La greffe, un long combat, un lourd tribut E-Book

Gaëlle Pontgelard

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Beschreibung

"La greffe, un long combat, un lourd tribut" relate le parcours difficile d’une personne en attente d’une transplantation. Il met en lumière les défis de la greffe d’organes et les relations complexes entre receveurs et donneurs.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Gaëlle Pontgelard écrit "La greffe, un long combat, un lourd tribut" pour honorer ses proches et apporter du réconfort à ceux qui en ont besoin. Elle adresse un message d’espoir à ceux qui pensent que tout est perdu, et un hommage aux soignants.

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Gaëlle Pontgelard

La greffe,

un long combat, un lourd tribut

© Lys Bleu Éditions – Gaëlle Pontgelard

ISBN : 979-10-422-2190-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon mari Anthony et notre fils Élouan,

sans qui rien n’aurait été possible…

Préface

Par le Professeur Gilles Montalescot, Institut de Cardiologie, CHU Pitié-Salpêtrière, AP-HP1 Paris.

La vie est le premier bien, le seul dont tout le monde dispose à la naissance, la seule vraie richesse pour les jours, les mois, les années qui vont suivre. Puis, immédiatement, viennent les inégalités, géographiques, sociales, familiales, les guerres pour les uns, les accidents de la vie pour d’autres et les peurs qui vont avec, celles de perdre cette seule richesse dont on dispose. La vie doit affronter tous les périls, l’abandon à la naissance, le handicap inné ou acquis, la maladie, la désespérance qui pousse certains vers la pire des morts. Comment fait-on pour traverser la vie et ses épreuves et se féliciter d’être là pour en parler ?

La chance fait partie de la vie, il faut le reconnaître. Mais il est possible que la chance sourie plus volontiers à certains d’entre nous. Les chanceux ont parfois la prétention de croire qu’ils l’ont provoquée, voire méritée. La vraie chance n’a rien à voir avec le mérite, la justice, ou la superstition. Les plus réalistes, ceux qui ont vu la mort de près et en sont revenus le savent bien. Les circonstances ont fait que le vent a tourné à temps et ceux qui étaient là pour les aider ont le visage de la chance. J’aime à penser que la chance, si elle est quelque part, est dans les yeux, les voix, les actes et les cœurs de ceux qui étaient là, ce jour-là, quand le vent a tourné.

C’est ce que nous raconte Gaëlle, qui a vu plusieurs fois tourner le vent de sa vie, et le vent, elle connaît bien la boulangère de Locmariaquer. Le vent a soufflé fort sur sa vie, mais on ne déplace pas comme cela un mégalithe de Locmariaquer. Tous ceux qui ont croisé Gaëlle connaissent son sourire et son indéfectible optimisme qui permet de tout envisager. Gaëlle nous dit ce qu’elle a vu, ressenti et compris de nos langages et attitudes de personnels soignants. J’y ai bien sûr lu entre les lignes (défaut professionnel), nos imperfections, nos errements, notre iatrogénie2 aussi et les limites de nos chaînes de soins et de notre système de santé. Elle y a vu l’humanité de chacune et chacun au sein de nos équipes. J’y ai retrouvé mes collègues, certains avec émotion, car partis trop vite au cours de ces années. Ce livre est une reconnaissance pour le travail des soignants de terrain et il vaut de l’or pour tous ces jeunes qui veulent bien encore nous rejoindre, pour ces métiers exigeants et difficiles du soin de jour, de nuit, de week-end… On dit pourtant la génération Z autocentrée, instable, plus tournée vers les loisirs que le travail. En fait, je vois tous les jours des jeunes intelligents, pragmatiques, éthiques qui veulent travailler en équipe. Voilà les qualités qu’il faut pour soigner toutes les Gaëlle qui viendront encore.

I

Les premiers signes

Nous sommes le lundi 4 février 2008, il est 5 h lorsque je me réveille ce matin-là ! Mais, impossible pour moi de me lever… Un violent mal de tête me cloue au lit. Chaque mouvement me donne l’impression que celle-ci va exploser. J’atteins difficilement mon portable posé sur la table de nuit et j’appelle Anthony, mon mari. Il est déjà parti au travail, dans son laboratoire, en bas.

Il y a moins d’un an, en mars 2007, nous avons acheté une boulangerie-pâtisserie à Locmariaquer, sur la côte morbihannaise. Anthony, passionné par son métier de pâtissier, a souhaité se lancer à son compte. Et moi, issue du commerce, je l’ai très vite suivi dans ce projet d’installation de notre propre affaire. Nous possédons les murs d’un immeuble de 300 m2 et un fonds de commerce au rez-de-chaussée. Dans notre appartement, au-dessus, nous avons trois chambres : celle d’Élouan, notre petit garçon de 4 ans, la nôtre et une chambre d’amis.

On en a pris pour 13 ans !

Tous les matins, dès 3 h sauf le mercredi, notre jour de repos, Anthony se lève pour allumer ses fours, mettre en place ses pâtons et commencer ses cuissons de pains et de viennoiseries. Il est aidé par un boulanger, Christophe, et une apprentie pâtissière. Habituellement, je le rejoins un peu plus tard au laboratoire. Là, tout en buvant un café, nous parlons de l’organisation de la journée, des commandes à honorer, etc. Comme je suis novice dans ce métier, je regarde comment les choses se préparent et ça me permet ensuite de mieux décrire nos produits aux clients. Au lieu de les disposer dans des caisses en attente, les boulangers rangent eux-mêmes leur production toute fraîche sur les étalages et vitrines réfrigérées du magasin, puis j’ouvre la boutique à 6 h 45. La vendeuse que nous avions à la création nous avait déjà quittés pour un autre emploi.

À Locmariaquer, il y a deux boulangeries. Le lundi, nous sommes en doublure de nos confrères, fermés ce jour-là. Sur les trois boulangeries des communes voisines, Crac’h et Saint-Philibert, une seule est également ouverte. Autant dire que mon mari a une sacrée masse de travail sur le dos aujourd’hui.

Je n’ai pas besoin de laisser sonner le téléphone longtemps, Anthony me répond très vite. Comme je sors tout juste d’une sinusite infectieuse, après quelques mots échangés sur mon incapacité à me lever, il monte aussitôt à mes côtés.

Pourtant, hier a été une belle journée d’hiver ensoleillée. Avec Élouan, nous sommes allés faire une balade d’une dizaine de kilomètres à Locmariaquer. Je me sentais particulièrement en forme.

Mais je suis rassurée, Anthony est là et il gère la situation. C’est un roc, il ne peut rien m’arriver tant qu’il est avec moi. Il appelle le 15 et décrit au médecin du SAMU mes symptômes : mal de tête important, une espèce de crachat d’une teinte légèrement bleu-vert… je n’avais jamais vu ça ! Et je n’ai plus aucune sensation ni dans les bras ni dans les jambes, je ne sens plus rien, comme si j’étais tétraplégique. Mais le SAMU ne fera pas le déplacement, il faudra attendre l’ouverture du cabinet du médecin traitant… pas avant 8 h.

Mon mari, dépité et ne comprenant pas cette décision, appelle le 18 sans plus de succès : ils ne prennent en charge que les personnes accidentées de la route. Il fera alors des allers-retours entre son laboratoire et notre chambre à l’étage, jusqu’au moment où le remplaçant du médecin du village arrive enfin. Il est 8 h 30 !

— C’est certainement une méningite, lui annonce rapidement le docteur. J’appelle le SAMU pour transférer votre épouse au centre hospitalier de Vannes.

L’ambulance viendra me chercher dans les 30 minutes, devant le commerce ouvert, laissant mon mari « au four et au moulin », sans pouvoir me suivre. Élouan est réveillé, mais il ne restera pas seul bien longtemps. Après qu’Anthony l’a préparé, en lui expliquant la situation, avec des mots adaptés à son jeune âge, Christophe l’emmène à l’école maternelle de Crac’h, où il est scolarisé.

Au Centre hospitalier Bretagne-Atlantique (CHBA) de Vannes, la prise en charge est rapide et efficace : on me fait passer une IRM3… et le diagnostic est donné !

C’est une double thrombophlébite cérébrale, c’est-à-dire que deux veines du cerveau ont été bouchées par un caillot de sang. Nous ne saurons jamais d’où c’est venu !

Je réponds vaguement aux questions de l’équipe médicale, je suis vaseuse, mais surtout je me retrouve dans un autre environnement, avec des gens que je ne connais pas et sans la présence d’Anthony pour me rassurer. Je suis dans une position très inconfortable, je me demande ce qu’ils vont me faire, comment ça va se passer…

Je n’ai aucun souvenir de l’attitude des soignants, mais dès qu’ils m’annoncent leur diagnostic, je me trouve tout à coup plongée dans le noir, comme une espèce de choc. C’est une nouvelle source d’angoisse pour moi : je ne vois plus rien ! Que se passe-t-il ?

Le médecin constate très vite une occlusion de l’artère centrale de la rétine… je perçois à peine la lumière. On me tranquillise en me disant qu’on va me poser une perfusion d’héparine, un anticoagulant dont l’action est immédiate. Ça a le mérite de me rassurer : j’ai le verdict et la manière dont cela va se régler. En plus, je n’aurai pas de traitement intrusif, c’est une simple perf’ avec un produit pour fluidifier le sang. Ça me va très bien !

Je reste cinq jours en réanimation. Je suis dans une chambre assez grande, avec une petite lucarne par laquelle la lumière du soleil vient me chatouiller un peu… du moins, c’est ce que je ressens avec la chaleur des rayons sur ma peau. À chaque soin ou lorsque quelqu’un doit me toucher, on me prévient en me disant ce qui va être fait. Je me sens en sécurité. Je dois dormir beaucoup, car j’ai l’impression que le temps passe vite, ce qui est plutôt confortable. Mon mari prend régulièrement de mes nouvelles par téléphone avec les infirmières ou infirmiers de nuit. C’est plus facile pour lui après sa journée de travail et, en plus, il n’a pas l’inconvénient de la ligne occupée par les appels des familles de patients.

Anthony et Élouan viennent me voir dès le mercredi, mais je ne les distingue pas encore de façon nette. Quand ils entrent dans la chambre, j’aperçois leurs silhouettes floues. Mon petit garçon semble souriant, il tient la main de son papa et ne la lâche pas de toute leur visite. Ils s’approchent de mon lit, mais Élouan n’ose pas me toucher. Tous ces tuyaux et appareils près de moi doivent l’impressionner, toutefois, il me parle naturellement, comme si tout était normal. Anthony a dû lui expliquer, pour le préparer, avant d’arriver à l’hôpital.

Alors que je suis emmenée, dans le lit à roulettes, pour aller faire un examen, ils m’accompagnent dans le couloir jusqu’à l’ascenseur.

— Maman va revenir, lui dit Anthony.

— À tout de suite, Maman ! me dit mon fils en envoyant un bisou volant, sans la moindre inquiétude.

Je les retrouve ensuite dans ma chambre, à mon retour. Ils ont attendu que je revienne avant de rentrer chez nous. Je sais que tout va bien pour eux et que mon mari gère parfaitement mon absence à la maison et à la boulangerie. À Vannes, nous ne sommes pas loin de Locmariaquer, nous aurons d’autres occasions de nous voir bientôt. Je ne m’inquiète pas, tout ira bien…

Le samedi 9 février 2008, cinq jours après mon admission, on me transfère en neurologie, vers 17 h 30/18 h. Je suis toujours sous traitement par perfusion, mais ce soir-là, j’ai droit à mon premier repas depuis mon arrivée. C’est de la pizza. Sympa ! Ça va changer de ce qu’on nous sert d’habitude dans les hôpitaux. Mais à peine ai-je fini de manger que je vomis tout en un jet puissant et direct sur les murs… il y en a partout. Une forte douleur, entre l’estomac et le milieu de ma poitrine, m’envahit alors le corps, avec une chaleur qui s’intensifie et me procure une très désagréable sensation de brûlure interne. Cela me transperce jusque dans le dos.

J’appelle l’infirmier. Branle-bas de combat, il interpelle une collègue pour venir l’aider à tout nettoyer, me changer la chemise d’hôpital, ainsi que la literie. Leurs gestes sont efficaces. Comme je ne peux pas me lever, ils me font basculer sur un côté du lit pour remplacer le drap sur une moitié, puis ils me tournent sur la partie propre, afin de finir d’étaler la housse. L’infirmier me donne ensuite du Gaviscon, mais la douleur persiste. Elle reste à un stade que j’évalue à 8 sur 10. Malgré cela, personne ne m’écoute. L’infirmier semble dépassé et il doit penser que je l’appelle sans raison, car il prend un air dérangé, presque agacé par mes sollicitations. À la télévision passe l’émission Star Academy, aussi je me concentre sur la musique que j’aime bien, pour garder le cap et tenter de détourner mon esprit de ce supplice insoutenable. Il faut que je résiste, que je sorte de mon corps, que mon cerveau lâche cette idée d’avoir mal, sinon je ne vais pas y arriver…

Deux heures plus tard, devant mes demandes insistantes, l’infirmier finit par appeler le médecin de garde, qui préconise de réaliser un électrocardiogramme (ECG) pour lever tout soupçon. Plusieurs électrodes sont collées sur mon thorax, de chaque côté de mon cœur. Le tracé de l’activité électrique ne révèle aucune souffrance cardiaque à ce moment-là. Pourtant, je viens de faire mon premier accident cardio-vasculaire !

Anthony m’appelle chaque soir. Quand il téléphone ce soir-là, je lui dis que tout va bien. À quoi bon l’inquiéter ? Je suis à l’hôpital, entre de bonnes mains… de toute façon, il ne peut rien faire de plus.

J’aurai quand même souffert pendant cinq heures avec ce spasme coronarien intermittent, alors que l’équipe médicale de nuit pensait que j’avais juste des remontées gastriques. Peut-être qu’un deuxième ECG aurait permis de déceler un problème, mais sans certitude…

Le mardi 19 février, je sors enfin de l’hôpital. Je suis fatiguée, mais sans conséquence visible dans l’immédiat. Je ne tarde pas à reprendre mon activité de vente à la boulangerie, ma vie, mon quotidien… Je n’ai pas d’autre choix, comme nous sommes entrepreneurs, c’est « marche ou crève ». Ça va bien au-delà de ce choix professionnel, je ne peux pas laisser Anthony seul dans ce bourbier plus longtemps. Tant que j’étais hospitalisée, il faisait son pain et s’occupait du magasin et, même s’il était aidé par Christophe et l’apprentie dans son laboratoire, c’était quand même bien compliqué cette double casquette. Aussi, je fais tout ce que mon état de santé me permet de faire pour ne pas le surcharger à nouveau. Et, quand je suis vraiment trop fatiguée, je lui demande s’il peut venir me remplacer le temps d’une petite pause.

Nadine, la femme de Christophe, a été très présente pour Élouan, pendant mon absence. Elle est très maternelle, comme une seconde maman pour notre fils. Elle est allée le chercher à l’école en même temps que ses deux garçons, Vincent et Lucas, avec qui Élouan s’entend très bien. Lorsqu’elle le ramenait à Anthony le soir, il avait dîné, il était douché et, en pyjama, prêt à aller se coucher. Élouan n’a pas semblé perturbé par cette organisation, puisque, dès notre installation, Nadine s’en occupait déjà, notamment les jours fériés et les week-ends. Cela nous a été d’autant plus précieux que nos parents habitent loin. À cette époque-là, elle était d’ailleurs enceinte d’une petite fille, Élisa, qui est venue agrandir le cercle familial de ces trois « frères ». Car, c’est bien ainsi qu’Élouan est considéré par cette famille.

Une autre personne a également beaucoup d’importance pour Élouan : c’est sa maîtresse Patricia. Chaque année, l’académie l’a fait changer de niveau de classe au fur et à mesure de l’évolution d’Élouan, ce qui lui a permis de le suivre dans sa scolarité. Un jour, elle m’a raconté avoir retrouvé notre fils en pleurs, assis sur une marche, dans la cour de l’école. Il était triste que je sois encore hospitalisée. Le hasard est d’ailleurs étonnant. Son garçon se prénomme comme le nôtre, mais sans accent sur le E. De plus, la prononciation est légèrement différente en se terminant par « an » [e-l-u-ã], tandis que chez nous, nous prononçons avec le son « ane » final [e-l-u-a-n].

J’aime ce genre de personnes qui, lorsqu’elles disent qu’elles sont disponibles, le sont vraiment et qui savent dire quand elles ne peuvent pas, tout simplement, sans promettre des choses qu’elles ne pourraient tenir.

II

En cardiologie

18 avril 2008, je fête mes 33 ans

J’ai beaucoup de difficultés à monter les dix-sept marches qui séparent le commerce de notre appartement ; je sens bien que quelque chose ne fonctionne pas en moi, mais je n’arrive pas à déterminer ce que c’est. Bon, il est vrai que j’ai la mauvaise habitude de n’écouter mon corps qu’à partir du moment où il crie, me stoppe dans mon élan. Mais là, je suis essoufflée, fatiguée, j’ai du mal à avancer…

Fin avril, j’ai rendez-vous chez mon endocrinologue, pour le suivi de la maladie de Basedow4 dont ma famille est sujette. Elle remarque très vite que je suis anormalement hors d’haleine, sans raison apparente. Pourtant, j’ai eu la chance de trouver une place pour me garer juste devant son cabinet et je n’ai eu qu’à monter les cinq marches qui me séparent de l’entrée. En plus, je n’étais même pas en retard et je n’ai pas eu besoin de courir.

Elle prend mon pouls avec un tensiomètre et mesure ma fréquence cardiaque à plus de 100 battements par minute (bpm), alors que j’étais au repos5.

Elle reste prudente et me dit :

— Rien d’alarmant, mais vous allez quand même consulter un confrère, cardiologue à Vannes, pour faire le point. Je vais prendre rendez-vous pour vous, pour que ce soit plus rapide.

Je vais donc chez ce cardiologue de ville, en mai 2008, accompagnée d’Armelle, la maman d’Anthony. Je suis très proche d’elle et nos rapports sont sincères.

Le médecin, un praticien d’un certain âge, m’examine. Puis il me fait un ECG et me dit :

— Vous auriez pu me le dire que vous aviez fait un infarctus !

Armelle et moi échangeons un regard furtif, interloquées, comme dans une histoire sans paroles… Que répondre à ça ? Je pense qu’il lit très vite à mon expression que je ne comprends pas la teneur de ses propos, qui résonnent en écho dans ma tête.

Il s’écoule quelques secondes, puis il reprend :

— Avez-vous ressenti ces derniers mois des douleurs de type thoracique ?

Qu’est-ce qu’il veut dire par là ? Ses mots m’échappent. Je ne connais pas ces termes médicaux jamais entendus jusqu’alors. La cardiologie est très loin d’être mon domaine de compétence ; je ne suis que la maman d’un enfant de 4 ans, comblée dans sa vie de couple par un mari exceptionnel, je n’ai aucune raison de me préoccuper de ce genre de question.

— Désolée, mais je ne comprends pas ! lui dis-je.

— Madame, avez-vous, ces derniers mois, été malade ou hospitalisée ?

— Oui, en février ! J’ai été prise en charge pour un accident cérébral. Cinq jours après, au service de neurologie, j’ai eu un vomissement très puissant, lors du premier repas qui m’a été donné. J’ai aussi ressenti une douleur qui me traversait la poitrine, comme une boule de feu, qui irradiait dans mon dos et dans ma mâchoire.

— Avez-vous eu mal au bras gauche ?

— Non, absolument pas !

Ah, mauvaise piste, me dis-je, ce n’est peut-être pas le cœur finalement. Beaucoup de malades décrivent effectivement cette douleur au bras gauche, symptomatique de ce genre de trouble, et moi, je ne l’ai pas eue… Ce ne doit pas être ça alors !

Il poursuit :

— Madame, nous allons devoir pratiquer une coronarographie. Je vais vous orienter vers un confrère chirurgien de l’hôpital de Vannes. C’est une intervention bénigne, sous anesthésie locale. Nous allons faire entrer un cathéter6, avec une caméra miniature, du pli du poignet par l’artère radiale7 jusqu’au cœur. Nous pourrons ainsi observer vos coronaires et établir des mesures pour définir l’état de vos ventricules droit et gauche. Nous saurons si nous avons affaire à un infarctus antérieur, comme je le pense.

Très bien, le ton est donné. Je sors de son cabinet avec un rendez-vous pour le revoir en septembre, après les résultats de l’examen demandé. Même si je suis soulagée par sa façon de m’expliquer tout ce qui va m’être fait, j’ai la tête pleine de questions…

En juin, Armelle m’accompagne à nouveau pour me rendre à l’hôpital, car, pour le retour, j’ai l’interdiction de prendre le volant afin de ne pas risquer d’œdème. L’ouverture pratiquée dans le poignet, pour insérer le cathéter, est suffisamment conséquente pour justifier l’immobilisation du bras.

De retour au CHBA de Vannes, je suis étonnée de voir qu’un seul étage sépare le pôle Neurologie, où j’étais en février, du pôle Cardiologie.

On me prend très vite en charge pour l’intervention. La piqûre anesthésique est un peu douloureuse. Lorsque je regarde l’infirmière sortir le long tube fin qui doit entrer dans mon bras, je suis impressionnée : le tuyau fait au moins la hauteur de la porte de l’armoire. Malheureusement pour moi, le chirurgien essaye tant bien que mal de passer par le bras gauche, mais n’y arrive pas. Il a besoin de « sacrifier » mon deuxième bras pour trouver une meilleure voie !

Les jours suivants, je laisse Anthony s’occuper de moi dans les gestes de la vie quotidienne. Avec des pansements compressifs à chaque poignet, je suis contrainte de ne pas me servir de mes deux bras pendant une dizaine de jours. Je ne peux pas me laver seule, m’habiller, manger, ni même aller aux toilettes, comme si mes bras étaient cassés.

Un après-midi, en allant chercher Élouan à l’école, j’entends des personnes chuchoter derrière moi :

— Elle a dû faire une tentative de suicide.

Cela me fait sourire…

Le verdict tombe rapidement. Peu de temps après ma sortie de l’hôpital, un compte rendu opératoire, reçu par courrier, m’apprend que j’ai effectivement eu une crise cardiaque.

Toutefois, les visites avec le cardiologue de ville ne m’inspirent pas entièrement confiance… Oh, bien sûr ! Ce n’est qu’un avis totalement personnel, mais il me paraît indispensable d’avoir foi en ce que les médecins préconisent. Or, il ne me donne pas beaucoup d’explications sur mon problème et j’ai le sentiment qu’il me propose des traitements, sans savoir précisément les effets que ça va avoir.

— On va tenter ça ! Si vous avez quoi que ce soit, vous me rappelez.

J’ai l’impression d’être un cobaye et ça ne me met pas à l’aise. Si mon état s’aggrave, est-ce que j’aurai le temps de prévenir ? Ce besoin d’être rassurée me guidera tout au long de mon parcours médical.

Aussi, dès 2009, je prends l’initiative de contacter le service Cardiologie du CHU de Rennes, auquel j’envoie, par courrier postal, mon dossier avec ma demande de prise en charge. Une secrétaire me rappelle rapidement et me fixe un rendez-vous avec le Professeur Alain Le guerrier. Mon cas est très particulier et elle choisit de m’adresser directement au chef de service.

Armelle, qui habite non loin de Rennes, me propose de la rejoindre chez eux. Elle pourra ainsi m’accompagner à l’hôpital, qu’elle connaît mieux que moi, puis elle me ramènera. Si une nouvelle perturbante venait à m’être annoncée, ce serait plus sécurisant si c’est elle qui conduit. C’est une offre qui ne se refuse pas !

Quelques jours plus tard, lorsque le Professeur Le guerrier consulte mon dossier lors de mon rendez-vous avec lui, il me dit :

— Il n’y a pas de traces d’athéromes8 dans les coronaires, elles sont saines. Vous n’avez rien qui altère votre système sanguin, tout circule parfaitement, mais votre cœur rencontre des difficultés à pomper normalement… c’est curieux !

Le cardiologue, pourtant aguerri, avec un parcours professionnel riche d’années de pratiques, admet son incapacité à répondre à mes attentes et me dirige vers un confrère en médecine générale, de l’AP-HP CHU Pitié-Salpêtrière à Paris.

Il ajoute :

— Ma grande, vous êtes jeune, mais moi, je ne peux rien faire pour vous ! Vous avez quelque chose, ça, c’est sûr, malheureusement je ne sais pas de quoi vous souffrez.

Je suis bluffée ! C’est assez impressionnant l’humilité qu’il dégage en comparaison avec le cardiologue de ville, qui voulait prendre les choses en main en testant différents protocoles. Là, je me retrouve face à une sommité dans son domaine, mais qui admet ne pas savoir. Ça ne me rassure pas, mais je suis reconnaissante qu’il ait la décence de me le dire. Il semble que mon souci soit un mélange entre le cérébral et le cardiaque, il préfère donc que je commence par de la médecine interne.

Je vais monter à la capitale, seule avec mes doutes. Mon problème est-il si difficile à déceler ? Soyons sincères, je suis en surpoids, mais je n’ai ni diabète ni mauvais cholestérol, uniquement ces douleurs de type spastique9 au niveau de la poitrine. Mais comment ai-je bien pu faire une crise cardiaque ?

Peu importe le déplacement, mais il faut à tout prix que je sache, que je trouve d’où a pu venir cet accident qui a bouleversé ma vie si violemment, à seulement 32 ans… Je peux tout combattre à partir du moment où je comprends et où je connais mon « ennemi », celui contre qui ou quoi livrer bataille.

Anthony est dans la même démarche que moi. Il est aussi très attentif à la moindre question que je peux me poser.

— Mais pourquoi moi ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à trouver l’anomalie qui a provoqué tout ça ? Je ne dois quand même pas être la seule à vivre cette épreuve. D’autres doivent bien avoir les mêmes symptômes que moi…

Très rationnel, il débriefe sur mes inquiétudes, mes accès de colère, quand je cherche des réponses qui ne viennent pas !

Avec Hélouân, c’est un papa rassurant, qui continue de l’informer de ce qui se passe pour sa maman, avec des mots choisis pour un petit garçon de son âge. Notre famille lui doit ce bel équilibre qu’il a su conserver.

III

La Pitié-Salpêtrière

À Paris, j’ai d’abord rendez-vous en médecine interne, comme me l’a prescrit le Professeur Le guerrier. Le médecin que je consulte semble toutefois perdu à l’étude de mon cas. Il ne comprend pas pourquoi on m’envoie vers lui :

— Ce n’est pas dans mon service que vous devriez être. Je ne vois pas ce que je peux faire pour vous. Il faut vous rendre en cardiologie.

Les rendez-vous sont très difficiles à obtenir. Je ne pourrai y aller que dans six mois.

En novembre 2010, j’arrive donc à Chartres, chez ma mère Sylvie, toujours très présente à mes côtés, et mon beau-père Jean-Marie. Ce sont eux qui vont m’emmener à Paris à chaque fois que j’aurai rendez-vous à la Pitié-Salpêtrière.

La vie n’a pas gâté Maman non plus. En 2003, l’année de naissance de notre fils, alors qu’elle fêtait Noël chez eux, elle s’est écroulée à la suite d’une fistule10 au cerveau ! Nous n’étions pas présents, mais quelle angoisse pour nous tous ! Elle a subi une trépanation, avec le risque de rester dans un état végétatif, mais elle nous a été rendue, malgré tout, non sans séquelles : elle a été privée à jamais de l’usage de ses jambes ! À cause de cela, elle doit également sonder sa vessie toutes les quatre heures et elle a continuellement des douleurs neurologiques qu’aucun traitement ne peut guérir.

J’ai rendez-vous avec le Professeur Gilles Montalescot, chef du service de Cardiologie. Il me paraît tout de suite très accessible, doux, mais direct dans ses explications.

Il propose de me garder en observation afin de faire des examens complémentaires. Son cabinet et son attitude me donnent confiance et me rassurent.

— Bon, écoutez, je ne prétends pas tout savoir, mais je m’engage à tout mettre en œuvre, et ça je peux vous le promettre, pour trouver ce que vous avez.

Je ressens ses paroles comme une espèce de pacte passé entre nous deux. Enfin quelqu’un qui va vraiment chercher et me libérer de cette angoisse qui me taraude à force de ne pas comprendre. Il va forcément trouver, j’en suis sûre maintenant. Et je n’aurai plus ce poids de la responsabilité de gérer mes réactions, en fonction des traitements administrés. Je peux « poser mes valises », c’est lui qui prend la main.

Avec Anthony, nous sommes dans le même schéma qu’à ma première hospitalisation à Vannes. Il travaille pendant que je suis à Paris, sans savoir ce qui m’attend et je dois lui annoncer que je ne rentre pas. C’est un accord sous-entendu entre nous : je me soigne et toi, tu te débrouilles avec Élouan et notre entreprise. Mon mari est véritablement à l’écoute de mes besoins, sans chercher à reporter mes soins sous prétexte de la « merde » que cela va engendrer. La priorité est donnée à ma santé. À la boulangerie, nous avons embauché une vendeuse, qui fait un horaire de 35 h avec deux jours de repos par semaine. Cela ne suffira pas à alléger complètement Anthony, mais c’est déjà ça.

Je reste cinq jours à la Pitié-Salpêtrière. On me fait d’abord une échographie cardiaque, puis un Holter ECG11. Au bout de trois jours, le Professeur Montalescot me dit que je vais repasser une nouvelle coronarographie, pratiquée par ses soins, car les premières investigations ne donnent rien…

Je pars confiante au bloc. Pour l’anesthésie, on me pique du premier coup. Ensuite, un infirmier déballe le cathéter de sa pochette stérile, tandis que le Professeur incise le pli de mon poignet, puis l’artère, tout en épongeant le sang qui coule. Il entre la canule sous surveillance radiologique. Une habitude bien rodée de la part du praticien, on sent l’expérience du travail rigoureux. Lors de l’examen, je peux suivre sur un écran l’évolution du tuyau, mais je préfère me réfugier dans mes pensées. Je m’imagine en train de bavarder avec Anthony et Élouan. Cela me réchauffe et j’en ai bien besoin : je suis frileuse. De plus, l’austérité, la froideur du bloc opératoire n’arrange pas les choses. Le Professeur me commente son investigation au fur et à mesure, mais il me parle également de tout et de rien. Ça donne un côté très humain à l’intervention, qui, même si elle n’est pas douloureuse, n’en reste pas moins très désagréable et intrusive. D’ailleurs, tous les services de la Pitié-Salpêtrière ont cette humanité, ce qui est confirmé par les autres patients venant pour diverses maladies. Les indications du Professeur, qui m’avertit lorsque cela risque de me faire ressentir une petite pointe de douleur ou une gêne, me permettent de déstresser. Je sens effectivement quand le cathéter atteint le ventricule, ce qui me fait prendre conscience de la place qu’occupe mon cœur dans la cage thoracique. Il est bien là, plus au milieu que complètement à gauche.

En salle de réveil, le Professeur vient me communiquer le diagnostic.

— Madame Pontgelard, tout s’est très bien passé, tout est normal. Votre cœur a effectivement été malmené une première fois et le ventricule gauche a subi quelques dégâts irréversibles, mais vos coronaires se portent très bien. Nous n’aurons malheureusement pas d’explications aujourd’hui, avec cet examen. Pour l’instant, seul un changement médicamenteux serait à envisager pour optimiser vos fonctions cardio-vasculaires.

Tout en évitant de critiquer son collègue de Vannes, il remet en question le traitement que celui-ci m’a prescrit. Il n’est pas adapté à mon cas et il va falloir revoir le schéma de soins.

— Je vous laisse donc en salle de repos pour un petit moment et je reviendrai plus tard…

Mes sentiments à ce moment-là sont partagés : je suis à la fois soulagée, mais inquiète, voire déçue de ne pas avoir plus d’éclaircissements sur ces douleurs ressenties.

Le plus difficile pour moi, outre le fait d’avoir mal, est de ne pas en connaître la raison, la source. J’ai l’impression de combattre un fantôme indécelable, sans pour autant être suffisamment armée pour cela.

Mais je n’aurai pas le temps de me poser ces questions bien longtemps, car, très vite, les événements vont prendre une tournure inattendue. Le Professeur Montalescot est revenu. Il me demande comment je vais quand, tout à coup, une douleur vive se déclenche. Le spasme est aussi intense que la première fois, comme en février 2008.

Je lui dis tranquillement :

— Docteur, j’ai l’impression de prendre feu tellement la température monte en moi !

En même temps, je continue de sourire. Ça fait partie de ma façon d’être : je suis toujours souriante. Mais là, en plus, j’ai ce léger contentement, car « l’ennemi » montre enfin son visage et il est en pleine action. Je m’imagine dire au Professeur : « Il va bien falloir trouver ce que j’ai, car c’est là, maintenant ! Et j’aimerais bien que vous me débarrassiez de ce “truc”… »

Ça s’affaire aussitôt autour de moi. Les consignes du Professeur pleuvent. On me transfère en réanimation ; morphine, 1 dose… 2… 3… rien n’y fait.

Le Professeur me dit :

— On va tout faire pour vous sauver !

Le ton est donné, mon pronostic vital est engagé, je suis en danger de mort, mais je ne réalise pas vraiment. On demande mon retour immédiat au bloc pour pratiquer de nouveau le même examen et voir ce qui se trame.

Le Professeur dit à une infirmière de prendre contact avec ma personne de confiance, donc Anthony. Elle me passe rapidement mon mari au téléphone. Lorsque je l’ai en ligne, je ne suis déjà plus moi-même : les doses de morphine viennent altérer mon jugement et la cohérence de mes propos. La douleur est là, mais je suis dans un état second, euphorique. Les mots que j’ai dits ce jour-là resteront certainement les plus maladroits que j’ai pu avoir. Je ne peux que recevoir une information, l’intégrer et la ressortir telle quelle, sans forcément la comprendre.

— Coucou, oui tout va bien ! Je repars en salle d’opération avec le Professeur Montalescot. Je ne sais pas si je vais survivre, alors, au cas où… je t’aime !

Et, sans pouvoir en dire plus, je tends le téléphone à l’infirmière médusée, avant d’être emmenée au bloc.

Avec le recul, je n’imagine pas dans quel état mon mari a pu être à ce moment-là. Il devait ouvrir le magasin, puis récupérer Élouan à l’école, tout en continuant à faire comme si de rien n’était ! On ne se rend pas bien compte de la torture pour ses proches, pour les siens, quand soi-même on ne mesure plus rien, que la vie ne tient plus qu’à un fil. Et croyez-moi, quand celle-ci vous échappe, vous n’êtes plus le capitaine du navire.

Au bloc, le Professeur Montalescot est accompagné d’un collègue. Ils font le diagnostic d’un spasme dit « angor de Prinzmetal »12. En pratiquant l’examen, tout s’organise très rapidement et professionnellement autour de moi. J’ai non seulement la coronaire bouchée, mais également une hémorragie qui doit être vite enrayée. Le Professeur enlève le pansement compressif et rouvre légèrement l’incision, qui commençait à peine à se refermer, pour faire une nouvelle coronarographie, afin de recoller l’artère. Je suis tellement abasourdie que je ne sens pas la piqûre d’anesthésie locale, je ne comprends pas ce qui se passe… Je suis à nouveau au bloc et, la morphine faisant son effet, je plane.

À la fin de l’intervention, le Professeur me dit :

— Ça y est ! Tout est maîtrisé. J’ai rouvert l’artère. Tout va bien !

Malgré nous et toute la bonne volonté de chacun, je viens de faire ma deuxième crise cardiaque ! Celle-ci marquera un tournant sur le fonctionnement de mon ventricule gauche, mais l’essentiel pour moi, à cet instant, c’est qu’ils m’ont sauvée et que je suis en vie…

Un point que je perçois comme positif dans tout ce chaos, c’est que nous avons enfin mis le doigt sur ma maladie insidieuse. J’ai une certaine satisfaction malgré tout : ces douleurs, je les avais bien et ce n’était pas imaginaire. Je ne me suis pas plainte pour rien et j’ai bien fait de mener les choses jusque-là, parce qu’il y avait réellement un problème. Maintenant que le Professeur a vu ce qui s’est passé, il va pouvoir prendre le sujet à bras-le-corps pour l’étudier et réparer ce qui ne va pas. Tout ce que j’ai pu dire auparavant devient légitime et tout ce contre quoi je me suis battue depuis deux ans prend enfin une forme identifiable.

Le Professeur m’explique que lors de l’intervention, le cathéter a frôlé la coronaire. Celle-ci est particulièrement sensible et vivante, comme une algue qui bouge au moindre contact, ou comme une huître. Elle s’est sentie agressée et, en voulant se refermer sur le tuyau, elle s’est déchirée. Elle s’est contractée par l’effleurement de ce corps étranger, provoquant des spasmes de plus en plus forts.

On me transfère directement en réanimation, où je m’endors, confiante. Ce que j’ai appris de cette expérience, c’est que le corps se remet beaucoup mieux avec le sommeil. D’ailleurs, la nature est bien faite, car mon organisme m’oblige à lâcher prise, pour que les choses se rétablissent tranquillement.

Je reste à la Pitié-Salpêtrière une quinzaine de jours, sous l’œil attentif et bienveillant du Professeur Montalescot. Puis, ma sortie s’organise, je vais pouvoir retourner auprès des miens… Mais je suis encore extrêmement fragile et j’ai l’impression d’être l’ombre de moi-même. Ma plus grande difficulté est de respirer normalement, j’ai cette très désagréable sensation de m’étouffer et que mon propre corps ne répond plus comme il faut à mes demandes.

Lorsque Jean-Marie vient me chercher à l’hôpital, je suis absolument incapable de marcher. Heureusement, il a pris le fauteuil roulant de Maman pour me transporter de la chambre à la voiture, puis jusqu’à leur domicile. Le trajet dure moins d’une heure et demie, mais, arrivée chez eux, je suis tellement fatiguée que je demande à me reposer. Je n’ai pas la force de monter dans ma chambre à l’étage, aussi Maman me propose la leur, au rez-de-chaussée. À peine allongée sur le lit, je me mets à hurler. Comme une enfant apeurée, complètement paniquée, j’appelle ma mère. Dès que je commence à m’étendre, je n’arrive plus du tout à respirer, je me mets à suffoquer, cherchant le moindre filet d’air. Ce que j’ignore encore, c’est qu’une crise cardiaque peut provoquer ce genre de séquelles. Maman me rassure avec des paroles tranquillisantes. Elle ajuste le demi-sommier mobile et me relève la tête avec les oreillers pour me redresser. Toutefois, je ne parviens pas à m’endormir malgré mon épuisement.