La marmite - Sylvaine Henno - E-Book

La marmite E-Book

Sylvaine Henno

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Beschreibung

Quand Emmanuelle ouvre les yeux aux côtés de son jeune époux Sébastien, elle se croit la plus chanceuse des femmes. Mais rapidement, un doute s’installe : qui a-t-elle réellement épousé ? Sébastien ou sa famille toulousaine aux dynamiques complexes ? Emportée par les rouages destructeurs de sa belle-famille, Emmanuelle devra lutter pour préserver son intégrité. Parviendra-t-elle à s’en sortir indemne ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Sylvaine Henno explore la complexité des dynamiques familiales. Emprise, violences psychologiques, manipulation, déni, culpabilité, amour et résilience se mêlent, tissant les destins de plusieurs générations.

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Sylvaine Henno

La marmite

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sylvaine Henno

ISBN : 979-10-422-4008-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes Enfants,

Olivier, Antoine, et Marion

qui m’ont toujours encouragée dans mes combats

à ne jamais baisser les bras.

À mes belles-filles et gendres

pour leur gentillesse et leur écoute

À mes merveilleux petits enfants, Salomé, Natael et Inès,

mes petits bouts d’amour qui me poussent à me dépasser.

À l’Amour de ma vie Philippe,

je salue ses talents culinaires insoupçonnés

durant tout le temps de l’écriture.

À Aurélie, ma nièce, mon Amie, ma toute première lectrice, elle a pris du temps, beaucoup à corriger

mes fautes d’accord, de liaison,

et celles que je nomme « fautes de précipitation »

Stéphanie, Michèle, Corinne, Marie, mes amies de toujours, fidèles à mes côtés pour m’encourager au fil de leur lecture

à continuer ce que jamais je n’aurais cru être capable

de réaliser : un livre, mon livre

Il n’y a pas de prise de conscience sans douleur.

CG Jung

Arbre généalogique des personnages

Préface

Difficile de croire, au vu de la simplicité du titre de cet ouvrage, qu’un psychiatre puisse être amené à inviter certains de ses patients à sa lecture. C’est pourtant mon cas, et à l’heure où j’écris ces lignes, plusieurs visages me reviennent déjà à l’esprit.

Ce roman m’apparaît digne d’intérêt à plus d’un titre, et même par certains égards, thérapeutique. Pour commencer, il a le mérite d’une vision transgénérationnelle du couple : il illustre parfaitement la façon dont plusieurs générations s’enchaînent et se combinent pour contribuer à modeler une personnalité issue d’une première famille, puis une autre issue d’une seconde, le couple de ce roman étant l’aboutissement quasi mécanique de leur rencontre.

Dans cette histoire, plus réelle que si elle avait été vécue, la cohérence psychologique est au rendez-vous, pour notre plus grande satisfaction. Le mérite de l’autrice est pleinement visible ici, dans la justesse des personnages décrits dans leurs actions et leurs évolutions, mais également dans le sens qu’elle nous permet de poser sur des fonctionnements passant pour impensables, et pourtant régulièrement constatés dans ma pratique quotidienne.

L’histoire amène le lecteur à visiter des lieux parfaitement documentés comme le vieux Toulouse et l’arrière-pays roussillonnais, dans une période contemporaine. Elle l’invite dans des milieux aussi opposés que la bonne bourgeoisie de province, aux codes parfaitement maîtrisés, et un milieu plus proche de la classe ouvrière, avec sa dose de bon sens terrien. Ce voyage, mené dans un style simple et efficace qui sert parfaitement l’histoire, constitue au final un véritable hymne à l’amour et à la vie.

L’accent mis sur certains personnages permettra au lecteur, confronté à des relations compliquées au quotidien, de comprendre et de dépasser ces difficultés de vie. Car là réside le thème principal de ce roman, sa véritable mission.

Nous avons tous dans notre entourage des personnalités que nous qualifierons pudiquement de toxiques. Ces personnes se reconnaissent à la facilité qu’elles ont de rendre une situation inconfortable ou douloureuse pour celles sur lesquelles elles jettent leur dévolu. Tout en sachant se rendre admirables pour d’autres. Schématiquement, on les soupçonne par la souffrance ressentie autour d’elles. L’hypothèse se vérifie à l’occasion d’un décalage récurrent entre leurs actes et leurs paroles.

Rassurez-vous, je ne vais pas m’attarder davantage sur le sujet, car la liste serait longue et de nombreux ouvrages en traitent déjà. Il sera facile et rapide, pour quiconque en ressent le besoin, de trouver les informations pertinentes (à condition de s’autoriser à y voir clair dans son entourage, naturellement). Car c’est à chacun, dès lors qu’il est confronté à une situation difficile, de se donner les moyens de la comprendre, pour pouvoir s’en prémunir.

J’aimerais, par ailleurs, quand on évoque ce type de fonctionnements ou de personnalités, proposer une vision différente de la classique dualité bien/mal : une situation est vécue comme difficile tant que la personne en souffrance ne comprend pas comment s’en extraire. En ce sens, être confronté à cette difficulté de vie amène certes à souffrir, mais également à grandir, à évoluer, à redéfinir ses besoins et ses désirs, à les affirmer. Quitte à se faire accompagner par un professionnel de la relation sur ce chemin.

Force est de reconnaître le bond d’évolution chez les personnes qui réussissent, par un travail sur soi, à trouver une issue positive à leur labyrinthe personnel. La meilleure sortie se faisant, idéalement, par le haut.

Car quand on décide de ne plus porter un fardeau, réussir à le soulever pour ensuite le basculer hors de la nacelle demande un effort certain. Mais une fois cet effort fourni, on constate un allègement global, qui finit tôt ou tard par une élévation naturelle de la montgolfière.

Ainsi, être confronté à une personnalité toxique peut s’avérer extrêmement douloureux. Résoudre la situation est une grande victoire, amenant à un dépassement bénéfique de soi. Ce roman en est une parfaite illustration.

Pour conclure, permettez-moi de paraphraser une autre métaphore qui, certes, n’est pas de moi, mais que j’aime beaucoup, disant que c’est là où il pleut le plus que poussent les plus belles fleurs.

À condition, naturellement (et ce sera là mon message) que l’on fasse en sorte qu’à un moment il cesse de pleuvoir.

Dr Lionel Mantione

Psychiatre

Chapitre 1

M. et Mme

19 juin 2004

Emmanuelle s’étira telle une chatte dans ce grand lit tout douillet. Sébastien n’avait pas lésiné, il avait choisi une suite dans un 4 étoiles pour cette nuit toute particulière. Elle se retourna pour contempler son jeune époux encore endormi. Il faut dire que la nuit avait été particulièrement courte.

Comme il était beau, comme il était bien bâti, ses muscles saillants, son teint légèrement basané et comme il était grand ! Il représentait tout ce qu’elle avait cherché chez un homme jusqu’à leur rencontre. Il était son prince charmant. Tout en lui, lui plaisait, son physique déjà, celui d’un conquérant, et puis son charisme, son caractère, sa volonté inébranlable. Très vite, elle avait remarqué qu’il ne reculait devant rien pour obtenir ce qu’il souhaitait. Pourtant elle s’interrogeait encore : Comment un homme d’une telle beauté et si parfait avait-il pu s’amouracher d’une fille comme elle, si quelconque si insignifiante, alors qu’il aurait pu carrément sortir avec un top-modèle ? Cela restait une énigme. Mais non, il avait jeté son dévolu sur elle. Elle avait des qualités c’était indéniable, car c’est elle et personne d’autre qu’il avait choisi pour devenir sa femme. Certes, son intelligence était toute différente de celle de son mari. Il était le patron du plus gros laboratoire d’analyses de produits cosmétiques de Toulouse, tandis qu’elle était infirmière au sein d’une clinique de suite de soins et rééducation en cardiologie au sud de Toulouse.

Emmanuelle dit Manou pour les intimes, était réaliste, sa beauté n’avait rien de remarquable et son jugement était impartial sur elle : pas très grande, mince certes, mais pas anorexique non plus, blonde, un teint clair des traits réguliers, une taille marquée et des seins bien formés, des jambes fines. Mais ce que l’on appréciait très vite chez elle au cours d’une conversation somme toute banale, c’était indéniablement sa douceur à travers son regard, sa gentillesse, son écoute, son caractère qui semblait tellement facile et aussi et surtout son humour. Ses amis la qualifiaient de solaire.

La veille, Sébastien et elle s’étaient unis, devant une foule d’invités, à la Basilique Saint-Sernin de la ville Rose. Elle était donc officiellement devenue Mme Lagrand.

La famille du marié était très connue et fort appréciée du gratin toulousain, les parents, Christophe et Sophie, avaient cédé un peu plus tôt la direction à leur fils cadet, l’aîné ayant préféré migrer, dès ses études de commerce terminées, au Québec. C’est donc un père même pas soixantenaire qui avait remis les clefs de la boîte en 1999.

La Société appartenait de fait à la famille composée de 4 personnes :

Mme Lagrand Sophie, née De Maître. Après le décès de ses parents dont elle était l’unique enfant, elle devint la véritable propriétaire de la Société anonyme. Devant notaire, la répartition des parts avait été faite. Sophie devenait actionnaire principale suivie de Christophe, Directeur Général puis les enfants se partageaient les 30 % restants.

Quant à la famille de la jeune femme, elle était issue d’un milieu plus modeste. Ses grands-parents, comme ses parents, s’étaient toujours battus, à force de travail, pour maintenir la petite entreprise d’ébénisterie dans la ville de Revel. À la prise de retraite des premiers, son père Daniel Pélissier et sa mère Valérie avaient développé l’activité, en fabriquant des meubles beaucoup plus actuels, plus légers, moins Merisier, bois qui avait eu son heure de gloire dans les années 1980, en privilégiant des essences comme le chêne qui revenait sur le devant de la scène, facile à travailler, mais aussi l’acacia ou encore le Sheesham, ce bois noble et précieux originaire de l’Himalaya, qui leur permettaient de se différencier de leurs concurrents. Mais également en remettant au goût du jour les vaisseliers d’autrefois, les tables de salon ou encore les consoles sans pied. Ils avaient d’ailleurs pris, à la sortie de l’école, une jeune femme, dessinatrice talentueuse qui faisait, il fallait bien l’avouer des prouesses au niveau de ses esquisses sur le papier puis sur l’ordinateur.

À Daniel restait la réalisation du meuble. Valérie avait repris des cours d’anglais, afin de s’occuper d’une main de maître de la commercialisation des pièces. En effet, leurs meubles se vendaient très bien à l’étranger. La Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Italie l’Angleterre, l’Europe du Nord, mais aussi plus récemment les États-Unis qui en étaient très friands.

Ils bénéficiaient, il faut bien le dire, de la renommée internationale de la Capitale du meuble d’art qu’était cette commune de Revel située au bout de la Haute-Garonne entre l’Aude et le Tarn.

Alors même si les temps restaient difficiles, ils s’en sortaient plutôt pas mal avec leurs cinq ouvriers ébénistes et leurs bacs pros en alternance au nombre de 3. Leur chiffre d’affaires affichait une progression d’année en année, avec un confortable bénéfice.

Emmanuelle était leur fille unique, la grossesse puis l’accouchement avaient été trop compliqués, et ils avaient décidé de ne pas tenter le diable. Alors leur fille avait été et restait l’amour de leur vie. Ils n’avaient pas été surpris outre mesure, quand elle avait, au mois de mars de l’année de son bac, annoncé qu’elle n’avait nulle intention de reprendre l’entreprise de ses parents à leur départ à la retraite. Elle souhaitait vraiment se consacrer à soulager la douleur des autres, tout un programme.

C’est sans aucun problème qu’elle avait passé l’examen d’entrée puis suivi avec brio le cursus obligatoire afin d’obtenir son diplôme d’IDE.

À bientôt 27 ans, c’est lors d’une soirée entre filles qui s’était terminée en boîte de nuit, avec entre autres Marion sa meilleure amie, que leurs regards s’étaient croisés. Âgé de 30 ans, celui qui allait devenir son apollon, son homme, était lui aussi avec ses potes. Ils avaient été irrésistiblement attirés l’un par l’autre, malgré une conversation parfois difficile à mener dans ce brouhaha incessant. C’est ensemble qu’ils étaient sortis de cet endroit. Depuis, ils ne s’étaient pratiquement plus quittés.

Les nuits n’étaient jamais assez longues pour se raconter et c’est très rapidement et sans regret qu’Emmanuelle avait abandonné son T2 à Saint-Orens, pour emménager dans le magnifique appartement de Sébastien en centre-ville de Toulouse.

Pour autant, la jeune fille n’avait jamais cherché un parti. Grande romantique, sa quête depuis l’adolescence était restée la même : Le grand Amour, l’absolu, celui qui dure toute la vie !

Ils avaient tout en commun, les amis, les voyages, la décoration, la cuisine et le futur qui semblait magnifique, aucune ombre au tableau. C’est certain, une vie d’amour faite, de complicités, de respect, de bonheur tout simplement, se profilait à l’horizon.

Ils riaient quand ils s’imaginaient parents de deux enfants, mais pas plus, qui seraient bien sûr brillants et qui marcheraient sans nul doute sur les traces de leur père, joueraient du piano, seraient excellents au tennis, et pratiqueraient avec facilité la voile à Arcachon, lors de leurs vacances chez Papi et Mamie Lagrand dans leur villa en bord de mer.

À cet instant, blottie contre lui tout en lui caressant doucement le visage pour l’éveiller, elle était la plus heureuse des femmes.

Bientôt, il se tournerait vers elle, et de nouveau la comblerait de plaisir comme il savait si bien le faire. Elle n’avait jamais eu d’amant comme lui, capable de manier à la fois la douceur en l’amenant doucement au plaisir à la limite de l’extase pour ensuite imposer sa force de mâle tel un animal en rut. Elle aimait se soumettre à sa volonté : où il voulait et quand il le désirait.

Sans ouvrir les yeux, il murmura :

— Il est quelle heure ?

— Bientôt 11 heures mon amour.

— Quoi 11 h ! Mais il fallait me réveiller plus tôt Manou, on est attendu chez mes parents à 12 h 30. Je te rappelle que le taxi nous prend à 11 h 45 pour nous emmener à Vieille-Toulouse chez papa et maman. Merde, Manou, tu connais ma mère, elle ne supporte pas les retards ; en plus il y a toute la famille ; non franchement tu charries !

Sans se départir de son sourire, elle ajouta pourtant :

« Mais je pensais, mon chéri, que tu aimerais faire l’amour à Mme Lagrand.

— À Mme Lagrand, qu’est-ce que tu racontes ?

— Eh oh, mon vieux, je te rappelle que je suis la nouvelle Mme Lagrand !

— Ah oui c’est vrai. Pardon, mais franchement ce n’est pas le moment. Allez vite Manou, on n’a pas trop de temps à perdre.

— On peut commander un petit café quand même ?

— Non même pas. Tu vois dans 38 min exactement, on doit être en bas. Allez, dépêche », dit-il tout en sortant précipitamment du lit.

Une douche rapide pour l’un et l’autre, mais pas ensemble, car Sébastien, au grand dam de la jeune mariée, était véritablement obnubilé par son rendez-vous avec sa mère. Au fil du temps, la jeune femme avait remarqué que sa belle-mère tenait une place importante dans la vie de son fils. Ce qui la surprenait, car si elle était l’unique enfant de ses parents, elle avait toujours entendu sa mère seriner à qui voulait l’entendre « il faut donner à sa progéniture des racines bien sûr, mais surtout des ailes ». En ce qui concerne son époux, la jeune femme avait compris qu’il lui fallait faire contre mauvaise fortune bon cœur.

— Bah se dit-elle, elle sait que j’aime son fils alors forcément nous ferons en sorte l’une et l’autre que tout se passe bien.

Elle enfila un bermuda blanc et un joli chemisier léger vert à pois blancs, et chaussa des baskets blanches également. Maquillage léger comme d’habitude se limitant à un trait d’eye-liner, un peu de blush sur les joues, et un rouge à lèvres discret, elle avait laissé ses boucles blondes retomber sur ses épaules.

Elle glissa sa superbe robe de mariée dans sa housse. Ses parents pour le coup n’avaient pas lésiné sur le prix, car tout le monde dans son entourage avait trouvé la tenue splendide. Enfin pas tout le monde, Mme Lagrand mère avait quand même trouvé, a posteriori, qu’il eut été préférable de prévoir une traîne, en arguant le fait que c’était toujours ce qui s’était fait dans la famille. Mais l’intéressée avait été inflexible, elle n’avait pas proposé à sa future belle-mère les essayages et le choix de la robe de mariée, car celui-ci lui revenait uniquement à elle, à sa maman et à sa meilleure amie Marion.

Après avoir enfourné sa petite lingerie dans une pochette prévue à cet effet, ses escarpins de mariage dans un étui, ramassé sa nuisette en soie écrue que son mari avait pratiquement arrachée cette nuit, elle prit le temps de tout placer dans un large sac Louis Vuitton. Sur ce point, la jeune femme avait dû changer ses habitudes ; en effet pour son futur époux, l’équipement de voyage était le reflet de la position sociale. Évidemment, elle avait pouffé, car pour elle, cela n’avait aucune espèce d’importance. De plus, elle adorait sa vieille valise sur laquelle trônaient tous les vieux autocollants de ses nombreuses pérégrinations à travers le monde. Mais consciente que cela déplaisait à son époux, elle avait dû se résoudre à l’abandonner chez ses parents.

Il sortit précipitamment de la salle de bains, à peine séché, cherchant tout à la fois, son pantalon Chino couleur sable et sa chemise blanche. Aujourd’hui pas de chaussures de ville, il se contenterait de sa paire de bateaux. Il se contempla dans la glace tout en disciplinant ses cheveux à l’aide de ses doigts, et ma foi l’image que celle-lui renvoya lui convint. De légers fils d’argent striaient déjà sa chevelure châtain foncé. Il sourit alors à son reflet. Son regard descendit sur sa main gauche désormais ornée d’un anneau d’or blanc.

« Wahoo, ça vous change un homme, ce bijou », songea-t-il.

Il était heureux. Manou correspondait exactement à ses attentes. Il la trouvait jolie sans excès, c’était mieux. Elle portait bien la toilette malgré ce que pensait sa mère. Elle avait de la conversation, il ne s’ennuyait jamais auprès d’elle. Il aimait la manière dont elle se laissait faire au lit, ou n’importe où quand il avait envie de la prendre. Oui c’est cela, elle était docile, tant dans la vie courante que durant leurs ébats, et cela lui plaisait. Et puis ne lui avait-elle pas confié qu’il était le meilleur amant qu’elle ait eu ? Oui, ça, on peut dire qu’elle en avait bien profité, avait-il appris lors d’une soirée en amoureux bien arrosée et durant laquelle elle s’était lâchée. Mais maintenant, elle était à lui et ça, c’était juste magique. Alors, bien sûr, de légers ajustements seraient à effectuer durant leur vie, mais ça se ferait sans problème, il en était persuadé.

Les parents d’Emmanuelle, Daniel et Valérie, n’avaient pas su lui inculquer toutes les valeurs qu’il était indispensable de posséder pour évoluer dans un monde auquel elle appartenait dorénavant. Il savait que ses parents à lui, pourraient toujours l’épauler et la guider. Manou les appréciait beaucoup d’ailleurs.

Même si sa femme faisait de gros efforts pour apprendre, elle ne possédait pas la pauvre, tous les codes. Cela semblait normal bien sûr, car il fallait considérer qu’ils n’avaient pas grandi dans le même monde. Sa chère maman saurait la prendre sous son aile afin de lui indiquer les bons usages.

Elle était assise sur un fauteuil Chesterfield en train d’échanger des SMS avec Marion, quand il vint se poster près d’elle.

« Manou, tu ne comptes pas te rendre à la garden-party de mes parents, attifée de la sorte quand même ? »

Elle se dépêcha d’envoyer un dernier message à son amie consciente que son mari était passablement énervé :

« Je te laisse Marion, mon mari me réclame, ça fait drôle non ? »

Et de répondre à ce dernier :

— Pourquoi, je suis très bien ainsi, non ?

— Montre-moi ce que tu as pris d’autres stp, allez dépêche-toi bon Dieu !

— Juste cette robe, puisqu’après nous partons sur la côte et j’ai déjà mes vêtements d’été là-bas.

— Alors, grouille-toi de l’enfiler, tu as prévu des escarpins j’espère ?

— Pas vraiment mon chéri, juste des sandalettes avec un petit talon quand même ajouta-t-elle ironiquement.

— Tu le savais que c’était le brunch chez mes parents.

— Mais oui avec ton frère, ta famille et…

— Les gros clients du labo, la coupa Sébastien. « Bon, de toute façon, nous n’avons plus le temps de repasser à l’appart. Arrange-toi pour attacher tes cheveux, tu vois l’idée, tu sais très bien te débrouiller, non ? »

Le ton était péremptoire. Mais Emmanuelle en avait l’habitude maintenant. Bientôt 4 ans qu’ils étaient ensemble.

Par souci de calmer le jeu, elle ne répliqua pas et se contenta d’obtempérer tant pour la robe que pour les chaussures, sans omettre le chignon ; heureusement elle conservait toujours un élastique dans son sac à main, ainsi que quelques crochets.

Le tout fut satisfaisant, car il la complimenta par un :

« Tu es ravissante, eh bien voilà ce n’était pas si compliqué ! »

Portant chacun leurs effets, ils sortirent de la suite en se dépêchant d’appeler l’ascenseur. Sébastien se contenta de déposer la clef sur le comptoir de l’hôtel en ajoutant un « bonne journée » au réceptionniste, car il avait réglé la note en amont. Ils descendirent rapidement le grand escalier extérieur pour s’engouffrer dans le taxi qui les attendait déjà. Ils seraient à l’heure !

Chapitre 2

Préparatifs

Tous les massifs en cette fin de mois de juin qui bordaient les allées et le devant de la propriété étaient déjà très fournis en fleurs. En effet, depuis les saints de Glace, Mme Lagrand avait passé une grande partie de son temps libre à refleurir les parterres, et les agrémenter de nouvelles espèces.

Avec le réchauffement climatique, dont on parlait tellement à la télé, à la radio ou encore dans les journaux, elle pouvait se permettre quelques excentricités.

Il faut bien l’avouer, même si elle avait pu bénéficier des conseils d’un pépiniériste renommé qui avait fait le déplacement pour lui assurer le meilleur conseil, elle seule s’était occupée de charrier les nombreux sacs de terreaux divers et variés suivant les plantes et leurs besoins, effectuer les trous à la bêche afin d’assurer une bonne reprise. Elle avait toujours adoré s’occuper de la décoration en général et du jardin, ce qui lui permettait incontestablement de conserver un corps tonique. Même si son mari lui glissait de temps à autre un :

« Tu es en beauté ma chérie », il n’avait, elle en était certaine, conscience du travail qu’il lui avait fallu déployer pour rester belle malgré ses 57 ans : la gymnastique, l’alimentation, la course toujours en solitaire, et bien sûr le jardin.

Oui elle s’était donné beaucoup de mal, vraiment, afin que tout soit parfait pour recevoir une partie des invités de la veille, ainsi que quelques anciens clients importants de son époux et bien sûr ceux de son fils. Le jardin évidemment n’était qu’un élément. Pour elle, cette journée du lendemain était un événement tout aussi précieux, car comme toujours les invités auraient le privilège de s’extasier devant ce somptueux décor.

La maison datant de la seconde moitié du XIXe siècle avait fait l’objet de beaucoup d’attentions : d’abord, l’énorme porte d’entrée double vantaux en noyer massif avait bénéficié d’une seconde jeunesse, sablée pour être ensuite re vernie. Quant aux gonds, poignées et heurtoir, ils avaient été astiqués par Patricia au service des propriétaires depuis plus de 20 ans.

Les cheminées de marbre avaient retrouvé leur lustre d’antan. Tous les parquets des salons et des chambres avaient été nettoyés, décapés et poncés puis traités, pour terminer par une vitrification. Heureusement dès la mi-mai, le soleil s’était installé, et toutes les pièces avaient pu être correctement aérées, sinon il eut fallu quitter les lieux tellement l’odeur des solvants était forte.

Toutes les peintures intérieures et extérieures avaient été refaites. Les carreaux de ciment d’origine avaient été brossés au bicarbonate de soude puis lessivés au savon noir pour terminer par un léger passage au chiffon en laine imbibé d’huile de lin. Le résultat était vraiment proportionnel au travail fourni par l’employée de maison, comme neuf ! Tous les meubles anciens aux essences précieuses avaient été encaustiqués. Enfin les doubles rideaux comme les tapis avaient été remplacés par des neufs aux motifs plus modernes.

Il était à peine 9 h et Sophie, tout en sirotant son expresso sur la belle terrasse encore ombragée, contemplait son œuvre.

Évidemment les invités passeraient par le hall d’entrée et traverseraient le magnifique jardin d’hiver, avant de redescendre dans le parc où une énorme tente de réception de 72 m2 avait été érigée. Le temps en ce mois de juin semblait vouloir être clément, toutefois Sophie préférait de beaucoup jouer la prudence, elle avait donc tout prévu. Et justement, elle avait disposé à différents endroits de ce pavillon éphémère des ventilateurs au cas où la chaleur deviendrait insupportable.

Dans 1 h, le traiteur à l’aide de son personnel, viendrait procéder à la mise en place des tables et des chaises et terminerait pas l’installation du buffet. Comme à son habitude, Sophie n’avait pas lésiné sur les moyens, afin que tout soit parfait. Ses réceptions étaient très prisées, et jamais ô grand jamais, n’avaient fait l’objet de remarques blessantes ou inconvenantes. L’invitation chez Les Lagrand était avant tout un privilège, qui ne se refusait jamais. De toute façon cela étoffait son réseau d’influence, tout le monde en était conscient.

Elle était encore à ses réflexions quand elle vit de loin arriver la camionnette de la fleuriste chargée de la décoration ; c’est bien, elle était à l’heure et aurait fort à faire afin de préparer les centres de table, car sa cliente avait exigé la fraîcheur des bouquets.

Après avoir donné ses instructions à celle-ci, elle revint s’asseoir quelques instants à l’endroit qu’elle préférait : celui qui dominait le parc. Toute à sa satisfaction du beau travail accompli, elle s’accorda encore quelques minutes afin de faire revivre le passé.

Chapitre 3

Christophe et Sophie

Quand elle avait rencontré Christophe, il venait de passer sa thèse de doctorat en biologie. Comme il avait fait tous ses stages et travaillé tous les étés dans l’entreprise du père de Sophie et avait donné toute satisfaction à Albert, c’est tout naturellement qu’il l’avait intégré à la sortie des études. Très rapidement il avait su trouver sa place dans la hiérarchie de l’entreprise. Il s’était rapproché en un temps record de la Direction, et était ainsi devenu indispensable.

Son papa lui avait présenté sa nouvelle recrue lors du pot de Noël, Sophie avait pensé à cet instant, et sans doute comme son père qu’il représentait un excellent parti même si à la base, ils ne jouaient pas dans la même cour. En effet, le papa du jeune homme était contremaître dans une manufacture de cuir à Mazamet, ce dernier avait réellement trimé cumulant énormément d’heures supplémentaires afin de pouvoir offrir à son fils l’avenir dont il rêvait.

Cependant, le jeune homme n’était pas insignifiant bien au contraire, Sophie avait de suite, remarqué qu’il savait malgré ses origines, du fin fond du Tarn, se vêtir, marier les couleurs, manier les différents couverts à table, converser, bref même son nom de famille était intéressant : il sonnait très bien à son oreille. Et puis il était grand, les cheveux foncés, la peau vraiment très mate, le corps mince, peut-être même trop mince. Malgré cela, au premier regard, on savait qu’il avait énormément de personnalité et qu’il savait ce qu’il voulait.

Il avait été quand même un peu gauche dans son approche. C’est presque en bégayant qu’il lui avait proposé de l’accompagner au cinéma un soir de la semaine suivante, cela avait beaucoup amusé Sophie. Tout compte fait, c’était une grande première pour l’une et l’autre : elle allait accepter l’invitation d’un employé de son père, et lui allait emmener au ciné la fille du patron.

Pour ce faire, elle lui avait donné son numéro de téléphone. De son côté, il lui avait précisé qu’il lui suffisait de l’appeler au bureau, il y était présent jusqu’à 19 h tous les soirs. C’est finalement lui qui la contacta, lui proposa trois jours après leur rencontre, un samedi après-midi, de se retrouver en centre-ville de Toulouse. Deux films qui lui semblaient intéressants avaient retenu son attention : LA HORSE de Pierre Granier Deferre avec Jean Gabin en premier rôle, qui relatait la vie d’un patriarche dans un climat de western rural, ou LES CHOSES DE LA VIE avec Michel Piccoli et Romy Schneider.

Elle accepta avec plaisir la proposition de sortie du jeune homme et lui indiqua le sujet qui avait eu sa préférence, l’amour en l’occurrence. Elle sentit qu’il souriait au téléphone quand il valida le choix.

Le jour choisi, ils se retrouvèrent devant le cinéma. Il était arrivé légèrement en avance, afin de payer les billets. Une fois installés, avant que la séance ne commence, ils abordèrent différents sujets sans réelle importance et qui semblaient les soulager l’un et l’autre. L’extinction des lumières et le début des publicités les obligèrent plus ou moins à se taire et se concentrer sur l’écran.

D’abord timidement, il entreprit de lui prendre la main dans la 2e partie du film. Comme elle n’avait pas cherché à la retirer, il l’avait gardée précieusement sur son genou. Puis, quand il comprit que la séance se terminerait dans très peu de temps, il décida avec hardiesse de se pencher pour déposer ses lèvres tendrement sur les siennes. Là encore, elle accepta et même se surprit à lui rendre ce baiser si chaste.

À la sortie, encore main dans la main, c’est tout naturellement qu’il lui proposa de l’emmener dans un petit restaurant de sa connaissance à quelques pas du cinéma. En arrivant dans celui-ci, la jeune fille prit le temps d’utiliser la petite cabine téléphonique du lieu, afin de rassurer ses parents, même si ceux-ci savaient que l’invitation à dîner était dans l’ordre des choses.

Le repas fut agréable, ils se parlèrent l’un de l’autre avec encore une grande retenue, surtout pour elle, l’éducation reçue l’obligeant à garder une certaine distance. D’ailleurs peut-être avait-elle conscience que cette fois Christophe était « l’élu », et qu’il était de bon ton de se montrer sous son meilleur jour. Avant la fin du repas, ils optèrent pour le tutoiement. Bien sûr, comme il fallait s’y attendre, il paya l’addition.

Sa mère, à sa grande surprise, n’avait émis aucun avis. Sophie pensait que cette dernière avait compris que la décision avait été prise en amont par son mari, et qu’il était donc inutile de se mettre en travers de sa route, peut-être même que son papa s’était chargé de mettre les points sur les i avec sa mère. L’interférence ne pouvait être envisageable.

Au premier baiser comme aux suivants, Sophie convint qu’elle avait ressenti de petites décharges électriques fort agréables dans le ventre. Il est vrai que Christophe embrassait très bien.

Sans ressentir une réelle passion pour le jeune prétendant, elle l’avait choisi ce soir-là, comme étant le futur époux qui allait partager sa vie, et serait le père de ses enfants.

Depuis de l’eau avait coulé sous les ponts. En soupirant sur un passé défunt, elle se leva de son fauteuil en osier et se dirigea vers la maison non sans avoir jeté un coup d’œil aux préparatifs en cours dans le jardin. Il était plus que temps de rejoindre l’escalier intérieur qui lui permettrait de monter dans sa chambre afin de se préparer pour cette belle journée. Elle avait prévu une tenue très colorée contrairement à la veille : quelle fierté elle avait éprouvée quand, au bras de Sébastien, à son passage, tous les regards s’étaient tournés vers elle. Il fallait bien avouer qu’elle était époustouflante de beauté. La robe d’un rose poudré en soie sauvage de coupe droite épousait parfaitement son corps et convenait tout à fait à sa morphologie. Son décolleté profond croisé en deux endroits soulignait parfaitement le galbe de sa poitrine. Des talons aiguilles mettaient incontestablement en valeur la finesse de ses chevilles. Son chignon à la « Grâce Kelly » intensifiait la grâce de son cou. Enfin une sublime et large capeline d’un rose intense finissait de ravir les regards.

Aujourd’hui était avant tout pour les affaires.

Son mari et son fils Pascal ne s’étaient pas encore montrés pour le petit déjeuner. Il était temps de les réveiller afin qu’ils ne perturbent pas par la suite l’organisation quasi militaire de Sophie.

Quand quelques heures plus tard, le taxi s’engouffra dans l’allée de la propriété Lagrand, l’horloge de celui-ci affichait 2 minutes de retard.

Le chauffeur déposa les jeunes épousés au pied des marches de la superbe maison bourgeoise, où déjà de nombreuses voitures étaient garées.

Chapitre 4

Sophie Lagrand

Durant toute son enfance et son adolescence, Sophie n’avait pas vraiment posé de problèmes à ses parents. Ce n’était pas dans son caractère. Les choses étaient énoncées une fois pour toutes par ceux-ci et ne méritaient aucune opposition.

Une mère hyper présente à ses côtés, au contraire du père qui ne faisait que rentrer et sortir dans cette vaste demeure, et dans leur vie tout simplement, faisait que la petite fille et plus tard la jeune fille s’était réfugiée rapidement dès le CP dans les livres.

La maman de Sophie en dehors des heures scolaires veillait au grain. Cela signifiait que la petite devait à la fois briller à l’école de par ses résultats scolaires, mais également en public, lors de sorties ou de réceptions. « Toujours donner une image impeccable de soi, c’est indispensable », se plaisait à répéter sa mère. En dehors de cela, il n’y avait pas réellement d’échanges d’amour entre les deux. En effet, c’était le souhait de la génitrice. Et même si la plus jeune était en demande, elle était vite et systématiquement repoussée. Selon la mère, ces effusions ne servaient à rien, sinon à démontrer une faiblesse qu’elle devait à tout prix réprimer. Il fallait donc se contenter d’un simple baiser à sa mère. Celle-ci répondait invariablement en positionnant ses lèvres vers la joue de la petite de telle façon que cela se transforme en un simple effleurement.

Quant au papa, il était un peu plus affectueux. Quand Sophie avait une bonne note, ce qui arrivait pratiquement tous les jours, durant le repas du soir quand il n’était pas à l’extérieur, il déposait en douceur sa main sur la sienne, en guise de félicitation tout en esquissant du bout des lèvres un léger sourire. Cela suffisait à remplir de joie le cœur de la petite fille. La mère, pour sa part, à aucun moment, ne laissait paraître la moindre fierté.

De l’extérieur, il semblait que tout se déroulait dans la retenue et la bienséance.

Pour autant, la petite fille n’avait pas le droit à l’erreur. Et si malencontreusement cela arrivait, les punitions étaient exécutées. Une note à la limite de la moyenne ou en dessous justifiait des pages et des pages de recopies. Tout comme une insolence, lui valait une mise au coin d’au moins 1 heure. Ces sanctions furent abandonnées seulement à son entrée au lycée, mais aucunement les justifications qu’il lui fallait continuer à apporter.

L’adolescente ne pensa jamais à se rebiffer, de même qu’elle ne trouva jamais l’utilité de se plaindre des mauvais traitements qu’elle subissait auprès de son papa.

Durant cette époque, il lui fut interdit de sortir pour rejoindre des amies dans des boums. Pour ses parents et sa mère en particulier, cela était réservé au peuple. Elle se contentait donc des récits que ses copines lui faisaient le lundi matin. Elle n’enviait pas vraiment ses camarades, car c’était tout simplement un autre monde.

Le jeudi, elle se limitait à prendre son vélo le plus souvent pour se rendre à la bibliothèque. Là aussi, sa mère avait établi un horaire qu’il ne fallait sous aucun prétexte dépasser. Elle osait parfois agrandir sa promenade, surtout quand il faisait beau et qu’elle sentait naître en elle alors un sentiment de liberté. Elle en profitait alors pour découvrir les secrets de la petite ville. Cela lui paraissait réellement grisant quand en plus elle se permettait juste quelques minutes de retard.

Les vacances se passaient invariablement à la mer, à Arcachon dans une villa que ses parents avaient fait construire à sa naissance. Bien sûr, il eût été plus aisé de partir sur la côte du côté de Narbonne, mais rien à l’époque n’était vraiment prévu pour accueillir des vacanciers d’un standing certain.

C’est donc à deux, mère et fille, qu’elles partaient. Elles s’élançaient sur les routes en Renault 4 CV de couleur beige tourterelle, et ce dès la fin de l’année scolaire c’est-à-dire vers le 13 juillet. Elles y restaient jusque fin août. Le père les rejoignait dès la fermeture de l’entreprise le 1er samedi du mois d’août. En effet depuis 1956 il était obligé d’accorder 3 semaines de congés à ses employés, ce qui n’était pas forcément pour le réjouir, mais la loi était la loi et il fallait s’y soumettre. En attendant son arrivée, elles partageaient leur temps entre la plage, les balades à vélo, le cinéma quand il pleuvait, et bien évidemment la lecture. Tout était prévu afin que ces dames puissent se reposer, se détendre du stress de la grande ville. Une personne chargée à l’année de l’entretien de la maison s’occupait durant cette période de l’intégralité du ménage, mais aussi de la lessive du repassage et bien sûr des courses et de la préparation des repas, sans omettre le Service que Madame exigeait impeccable.

Sophie avait davantage de libertés lorsque son père arrivait, car là aussi les nombreuses connaissances faisaient que ses parents étaient souvent de sortie, soit pour la journée, soit pour la soirée. Malgré sa timidité et sa peur d’affronter l’inconnu, elle prenait petit à petit plaisir à converser sur la plage avec quelques jeunes garçons et jeunes filles, tout en gardant une distance qui ne puisse la mettre en danger. Quant aux longues soirées d’été, il ne lui était même jamais venu à l’idée, de rejoindre des jeunes de son âge et encore moins d’en recevoir ne serait-ce que dans le jardin.

Les années ont donc passé sans que la jeune fille ait pu réellement profiter de la période yé-yé, où tout paraissait permis aussi bien pour le sexe fort que pour le faible, mais semblait-il pour d’autres qu’elle !

Après le passage du baccalauréat obtenu avec mention « bien » au grand désarroi de sa mère, il avait fallu choisir une orientation. Celle-ci tout compte fait, avait très peu d’importance, car sa mère lui avait toujours enseigné et propos du curé de la paroisse à l’appui, qu’elle était née pour être avant tout une bonne épouse, comme elle l’avait été avant elle en s’occupant de tout ce qu’un homme n’avait pas le temps ni l’envie de faire, et évidemment cela passait par d’abord se soumettre aux envies sexuelles de l’époux et mettre au monde des enfants. Sur ces deux derniers points, sa mère ne s’étendait pas outre mesure sur le sujet, elle ajoutait invariablement à son discours :

« Tu découvriras bien assez tôt, ma pauvre, rentre-toi bien ceci dans le crâne, l’amour n’existe que dans les livres. Il ne faut en aucun cas croire les balivernes contées dans ceux-ci. Le prince charmant n’existe pas. Tu as une fonction bien précise, il faut t’y tenir. Tu as pourtant de la chance d’être née dans une famille nantie avec des compensations non négligeables. En effet, bon nombre de jeunes filles étaient beaucoup moins bien traitées avec un avenir incertain. Il était donc malsain de se plaindre et surtout parfaitement inutile. »

C’est sans grande conviction et passion, qu’elle s’était tournée vers des études littéraires.

Un nouveau monde s’était pourtant ouvert à elle, celui d’une certaine liberté. Et même si les sorties restaient restreintes du fait de la surveillance de la mère, elle pouvait s’échapper quelques samedis après-midi, s’offrir le luxe de dormir chez une amie. Bien sûr, avant toute autorisation de découchage, il fallait que les parents de l’amie concernée montrent en quelque sorte patte blanche. Sophie trouvait tout ceci normal.

Quand elle eut atteint sa 20e année, mais pas encore la majorité, les soirées du samedi soir se transformèrent en sortie dans les dancings du coin, avec un retour fixé à minuit.

Pourtant, Sophie entraînée par ses camarades de faculté restait bien gauche. Jamais elle ne s’était permis d’aborder de prime abord un garçon dans ces endroits que sa propre mère aurait qualifié de perdition. Elle attendait toujours qu’il vienne lui parler avant de l’entraîner sur la piste de danse.

Une de ses amies s’était étonnée de la réponse avant la toute première sortie extérieure, quand elle lui avait demandé ?

« Bon Sophie à part le Slow, tu sais danser quoi ?

— La valse, le tango, un peu le paso doble. J’adore danser la valse à l’envers avec mon père.

— Mais Sophie enfin, on est en 66, tous ces vieux machins, c’est plus du tout dans l’air du temps, il faut absolument que tu te mettes au Yé-yé, le Twist, ça se danse tout seul, mais je te préviens c’est sportif. Le rock là c’est encore plus scabreux, tu peux même le rendre acrobatique, et puis il y aussi le Madison qui est comme une danse en ligne, tu connais ? T’as quand même vu à la télé, non ?

— Oui, mais comment veux-tu que j’apprenne toute seule ?