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"La reine des Sylvidres" vous plonge dans l’histoire émouvante d’Émilie, une jeune fille fragile marquée par les séquelles du harcèlement scolaire. Avec une sensibilité saisissante, cette héroïne relate son parcours vers la guérison, dépeignant sans apitoiement ni jugement une période difficile de sa vie. À travers une prose simple et sincère, elle offre une perspective authentique qui captive le lecteur, révélant sa force intérieure et son courage.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Gaëlle Bazin utilise la littérature comme une échappatoire pour explorer des mondes nouveaux. À travers ses écrits, elle révèle des réalités parfois crues et des perspectives inédites, créant ainsi une expérience unique à chaque récit.
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Gaëlle Bazin
La reine des Sylvidres
© Lys Bleu Éditions – Gaëlle Bazin
ISBN : 979-10-422-4158-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’enfer, c’est les autres.
Huis clos, Jean-Paul Sartre
Je suis morte au collège. En classe de 6e pour être exacte.
C’est jeune pour mourir. C’est triste.
Pourtant il y avait des signes d’alerte du cataclysme qui m’attendait. Mais j’étais trop jeune et trop naïve pour les voir. Je n’étais pas prête à affronter le monde extérieur. Je n’étais pas préparée à les affronter, eux, les autres, mes soi-disant pairs.
Et personne autour de moi pour m’aider. En tout cas, c’est ce que je croyais.
Le temps de la réflexion viendra après, quand la vie renaîtra. Comme lorsqu’après avoir coupé une tige de lierre, une timide pousse vert pâle apparaît… Mais ça, c’est après. C’est très loin encore. Trop loin. Ce n’est pas encore le moment d’en parler.
Je m’appelle Émilie Martin. J’ai 11 ans. J’entre au collège. Et je vais bientôt mourir.
Qui suis-je ? Une ado comme les autres. Avec ses rêves et ses secrets. Avec sa vie et ses espoirs. Avec ses complexes aussi. Une ado qui se cherche, qui entre dans la phase de construction la plus essentielle de son existence. Après la chenille vient la chrysalide. Là où cette chose encore immature et insignifiante qu’elle était va se transformer, se métamorphoser, se transfigurer. Un être en devenir…
Je me regarde dans le miroir de la salle de bain. Rose. Toute rose. La salle de bain, pas moi ! Ma mère vient de la faire refaire. La moquette au sol est rose, la peinture sur les quatre murs est rose. Seuls tranchent la baignoire, le lavabo et le bidet en faïence blanc. Un bidet oui, qui ne sert à rien, mais qui trône quand même fièrement dans cette petite salle de bain. Pourquoi ma mère l’a laissé alors que personne ne l’utilise ? Mystère. Il prend de la place et c’est tout. Une de ces choses inutiles qu’on garde. Comme tant d’autres finalement.
Bref, je suis face au miroir. Je me regarde. Je cherche des signes de ce que je vais devenir. Pour le moment, je ne vois qu’une ado, ni mince ni grosse. Même si moi je me trouve grosse, évidemment. Taille moyenne, cheveux brun foncé sans frange qui retombent dans mon dos en ondulant. Je ne vais jamais chez le coiffeur, ma mère taille elle-même les pointes. Du coup, je n’ai pas de coupe. Mes cheveux sont autonomes. Ils font ce qu’ils veulent. Ce sont des rebelles qui rebiquent dans tous les sens. Ils affirment leur liberté face aux brosses et peignes. Ils encadrent un visage ovale avec les rondeurs de l’enfance, bouche ourlée (à ce qu’il paraît), yeux vairons (l’un tire sur le vert, l’autre sur le marron), nez en trompette (comme dirait ma cousine), et mes joues. Mes horribles joues joufflues qui rougissent dès que l’occasion se présente : trop chaud, trop froid, elles rougissent. Émotions trop intenses, elles rougissent. Même sans raison, elles rougissent ! Moi, je ne vois que ça : ces joues qui me trahissent, cette rougeur que je ne contrôle pas, mais que je sens m’envahir. Impuissante. Le pire c’est les crétins qui me le font remarquer : « Oh Émilie, tu es toute rouge ! » rires bêtes. Et je rougis encore plus. « C’est tellement mignon ! » s’extasient les amies de ma mère, surtout les petits vieux. Comme si j’étais une pomme : plus c’est rouge, mieux c’est. « C’est un signe de bonne santé », ça c’est sûr !
Est-ce que je suis jolie ? Je n’en sais rien. Personne ne me le dit. Le miroir me répondrait probablement « non » si je lui demandais. Ma mère ne me fait jamais de compliments. Je sais simplement que j’ai de beaux cheveux, car dixit ma mère : « J’ai les mêmes que les siens et on lui a toujours dit qu’ils étaient superbes. » Donc mes cheveux sont beaux, mais pas pour eux-mêmes, ils sont beaux, car ceux de ma mère sont beaux. Ils ne sont pas vraiment à moi en fait. Ma mère ne manque pas une occasion de le redire : « On m’a toujours complimentée pour mes cheveux. » Mais au final, elle ne me complimente pas sur mes cheveux à moi. Je ne suis qu’une extension d’elle.
Bref, me voilà devant ce miroir. Je me demande comment je vais m’habiller demain pour faire mon entrée au collège. Jupe, robe ou pantalon ? Ma mère aura déjà sûrement tranché pour moi. Donc à quoi bon me le demander ? On verra ça plus tard. L’important c’est que je rentre en 6e. Que je ne sais pas ce qui m’attend. Que j’appréhende !
Mais j’ai encore des rêves.
J’habite en Seine-Saint-Denis. À Bondy. Je dépends d’un collège de secteur proche d’une petite cité, mais, selon ma mère, « il a mauvaise réputation » et en plus « il est trop loin ». La raison est surtout là. Ma mère veut plus près. Plus pratique aussi. Pas de soucis : on me domicilie chez ma tante dans la commune voisine. Ça tombe bien, elle habite à 15 min d’un collège vraiment très bien. Comme ça, je pourrai faire le trajet à pied et manger à midi chez elle. Et pas de frais de cantine, autre avantage non négligeable.
Fin de la discussion sur mon changement de collège. Enfin non, il n’y a même pas eu de discussion. Personne ne m’a évidemment demandé mon avis.
Résultat : je fais ma rentrée en 6e dans un collège où je ne connais personne. Vraiment personne.
C’est un vieux bâtiment gris tout en longueur. Les salles de classe s’alignent le long d’un couloir étroit bordé de fenêtres. Le sol est en parquet usé par des années d’élèves et craque quand on marche. La cour est carrée, sans âme, grise, elle aussi. Quelques arbres apportent un semblant de couleur au milieu du béton. Au fond, des toilettes qui donnent directement sur la cour. Quelques portes défraîchies qui cachent des cuvettes jaunies, des murs couverts de graffitis plus ou moins orduriers et dont les verrous branlants ferment à peine. C’est ça mon nouveau collège? Bien mieux que l’autre, paraît-il.
Bien mieux fréquenté en tout cas. Ça, ma mère en est persuadée. Ce lieu idéalisé est situé dans une ville qui a une bonne réputation, avec de belles maisons et de beaux immeubles. Perdue comme un îlot préservé au milieu des cités de Seine-Saint-Denis… Moi, j’habite un quartier résidentiel sans prétention, mais calme. La plupart de mes futurs camarades, eux, habitent des quartiers privilégiés, dans de magnifiques et vastes maisons retranchées derrière des haies épaisses et des grilles opaques. Mais ces gens qui habitent cachés sont-ils vraiment si « fréquentables » ? Leurs rejetons sont-ils si bien élevés ? Valent-ils mieux que ces gosses de cités dont les parents font ce qu’ils peuvent pour survivre ? À voir…
Ce jour de rentrée j’arrive là, seule, la boule au ventre, sans savoir à qui parler. Ma timidité me paralyse. Je reste plantée comme une andouille. Comment m’incruster dans ces groupes d’ados qui se connaissent d’avant ou se reconnaissent déjà comme étant d’un même groupe ? Une sorte de cooptation implicite par milieu social est à l’œuvre. Et moi, je ne suis pas des leurs.
La sonnerie retentit enfin. Mon nom est appelé, je vais avec les élèves de ma classe. Je m’assois seule au milieu d’un joyeux brouhaha de retrouvailles.
Ce premier jour de collège, on est dans une salle qui sent le bois ancien : vieux parquet au sol, vieilles tables d’autrefois à deux places. Les rayons du soleil jouent sur les murs, taches de lumière vagabondes. Il fait très chaud. De grands rideaux délavés pendent dans une pitoyable tentative pour essayer de préserver un peu de fraîcheur dans la salle. En vain.
La prof principale parle, mais je ne l’écoute pas vraiment. Je regarde mes nouveaux camarades. Il y a un garçon que je trouve vraiment beau. Il est blond, grand, mince… il a l’air si sûr de lui. Je me prends à rêvasser…
Une douce torpeur m’envahit. Les rayons de soleil qui filtrent à travers les rideaux, la poussière qui vole, la chaleur… Je suis ailleurs et je me sens bien. Alors, je me dis que c’est bon signe. Que ça va aller.
Deuxième jour. Ça y est, on a notre emploi du temps. On commence la journée par un cours de SVT. Je suis les élèves de ma classe, je ne sais pas encore où se trouvent les différentes salles. On va dans un labo, j’entre. Personne ne me regarde. Je suis transparente.
Je repère une fille, assise toute seule. Alors, je m’approche et lui demande :
« Je peux me mettre à côté de toi ?
— Oui, bien sûr. »
Je m’installe, on se regarde timidement et on engage la conversation :
« Tu t’appelles comment ?
— Moi, c’est Nathalie. Et toi ?
— Émilie. »
Nathalie sera ma seule amie toutes ces longues années de collège. Certes, elle n’interviendra jamais pour me défendre et elle, on la laissera tranquille. Malgré tout, elle ne me lâchera pas et ramassera à sa façon les miettes qui resteront.
Nathalie me ressemble. Elle est brune, les cheveux mi-longs et bouclés. Plutôt timide, habillée sans prétention, simple. On parle de tout et de rien, on s’entend bien, on se comprend. J’ai une amie et je suis contente. On se met en cours ensemble, on rigole, on plaisante. Je me sens encore normale.
Nathalie vient comme moi d’une famille de classe moyenne, comme on dit. C’est sans doute ce qui nous rapproche. Car le reste de la classe est composé de filles et de fils de « bonnes familles ». Ma mère voulait que je sois dans une bonne classe : du coup, je fais latin. Alors oui, je suis dans une bonne classe. Je suis avec l’élite : adolescents issus de familles aisées, sûrs d’eux, imbus de leur supériorité. Vêtus à la dernière mode, que de la marque évidemment. Leurs parents sont médecins, avocats, ou encore banquiers. Moi, ma mère fait des ménages et mon père travaille à la poste. Pour Nathalie, c’est pareil. Pas de super famille aux supers pouvoirs ! Nous sommes banales.
Si similaires.
Alors pourquoi moi ? Pourquoi moi et pas Nathalie ?
Cette question, je me la suis posée des milliers de fois. En boucle. Sans rancœur envers Nathalie, je voulais juste comprendre. Pourquoi moi ?
Dans une classe, il y a toujours cet élève qui attire sur lui les moqueries, les insultes, voire les coups… ou pire encore. Les enseignants ne voient rien ou ferment les yeux, comme si c’était normal. Et la victime se tait. La victime subit, impuissante, seule face à un déferlement de rires et de violences qu’elle ne comprend pas. La meute, elle, ne lâche pas sa proie. Elle veut s’amuser… comme si ce n’était qu’un jeu innocent. Mais dans la meute, il y a toujours des individus plus vicieux, plus pervers, qui veulent blesser et détruire. Face à eux, la victime n’a aucune chance. Il faut juste survivre… ou pas.
Alors pourquoi moi et pas Nathalie ? Parce que je ne connais rien de la vie. Je sors d’un univers lisse où tant de choses sont tabous… Je viens d’avoir 11 ans et je ne sais pas que bientôt je vais avoir mes règles. Je ne sais même pas ce que c’est. Je ne sais rien d’ailleurs à propos de la sexualité. Je ne sais rien de tous ces sujets dont on ne parle pas à la maison. Je vais à la messe tous les samedis soir, au catéchisme le mercredi. Évidemment, ce n’est pas là que je vais apprendre quelque chose ! Ou alors une version très édulcorée ! Et chez nous peu de place à la parole, à la discussion, aux échanges. Surtout quand ça concerne des sujets délicats que ma mère préfère éluder. Du coup, c’est souvent Nathalie qui me donne les explications qui me manquent.
Je suis d’une ignorance et d’une naïveté totales. Je n’ai pas les armes pour me défendre. Je reste tétanisée face aux moqueries, sans savoir quoi dire ou quoi faire. Et mes émotions se lisent sur mon visage.
Je suis la proie idéale, la victime toute désignée. Félicitations, ce sera moi l’élèvede l’année !
Quand ça a commencé ? Je ne sais plus vraiment, mais très vite. Trop vite. Il faut dire que je suis tellement en décalage avec les autres. C’est si évident !