La situation mondiale - Jules Sipian - E-Book

La situation mondiale E-Book

Jules Sipian

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Beschreibung

"La situation mondiale" exprime une perspective unique et ironique de l’auteur sur les difficultés financières. Il estime que si tout le monde avait des problèmes d’argent « sains », comme les siens, l’économie mondiale s’améliorerait considérablement, voire deviendrait récupérable.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après des études d’économie, puis diverses expériences professionnelles, Jules Sipian se consacre désormais entièrement à l’écriture. Déjà auteur du roman "Le cas Hector", "La situation mondiale" est son second ouvrage.

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Couverture

Page de titre

Jules Sipian

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La situation mondiale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Jules Sipian

ISBN : 979-10-422-3928-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bref, ce type était complètement fêlé, il avait le cerveau dérangé, comme son regard, et il ne racontait que des conneries.

 

László Krasznahorkai, Guerre & Guerre,

Éditions Cambourakis, 2013

La situation mondiale

 

 

 

 

 

Certes, j’avais des problèmes d’argent. Mais je n’avais pas des problèmes d’argent au sens où l’on peut l’entendre, c’est-à-dire, « oui, cet homme-là, que vous voyez, a de gros problèmes d’argent ! c’est un homme qui joue, qui est surendetté, qui se perd en dépenses impulsives, qui ne se maîtrise pas, qui fréquente des tripots clandestins, la banque de France suit de près son dossier, cet homme est un flambeur », non. J’avais des problèmes d’argent, cela, je ne pouvais pas le nier, mais j’avais des problèmes d’argent que je qualifierais de plutôt sains, c’est-à-dire non pas que je gagnais des sommes astronomiques et que mon train de vie s’en trouvait naturellement incliné vers le faste, les grands hôtels, les voitures de sport, les restaurants, et qu’ainsi j’ai pu être tenté de faire montre plus encore de ma capacité à recaver, mais qu’au bout du compte, cette capacité s’en fut trouvée réduite, ce qui m’aurait conduit, sous la pression passive d’un entourage malsain qui aurait attendu que je me maintienne à un certain niveau qui aurait été qualifié de digne, ce niveau, car oui, c’est faire preuve de dignité que de garder la face autour d’une table de jeu, en présence de truands, et de miser sa résidence principale alors que l’on vient de perdre sa résidence secondaire, et c’est faire preuve de dignité que de commander un nouveau magnum d’un champagne d’exception, Ruinart ou Veuve-Clicquot, que sais-je, quand les vingt plus grosses fortunes du pays vous regardent après que les six bouteilles précédentes viennent d’être finies – six bouteilles que vous aviez déjà avancées mais évidemment, c’est toujours vers le plus faible que les loups se tournent quand il s’agit d’en commander une nouvelle –, et c’est faire preuve de dignité que de passer cette commande, de s’engager dans une nouvelle dépense en prévision d’affaires fructueuses alors que vos multiples sociétés perdent déjà énormément d’argent, mais encore une fois, je le répète, ce n’est pas mon cas ; j’avais donc des problèmes d’argent non pas comme je vous l’ai présenté jusqu’ici parce que je gagnais énormément d’argent, que j’étais déjà très endetté, et que j’en dépensais encore plus, non, j’avais des problèmes d’argent, au contraire, des problèmes d’argent très sains ! c’est comme cela que je les qualifie : de très sains ! et si tous ceux qui disent avoir des problèmes d’argent en avaient du même ordre que les miens, je puis vous dire que la situation économique mondiale se porterait vraiment beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup mieux ! ou plutôt se trouverait-elle rattrapable, cette situation, car il faudrait en parler, aussi, de la situation mondiale, et je ne manquerai pas d’en parler ! mais plus tard, parce que pour le moment, je vous parle de mes problèmes d’argent qui sont des problèmes sains ! et je me répète, même si, voyez-vous, les problèmes d’argent d’un individu ne peuvent pas être tout à fait décorrélés d’une situation plus générale, alors il ne serait pas tout à fait incongru d’aborder maintenant le cas de la situation mondiale ! Parlons un peu de la situation mondiale, tiens ! Parlons-en maintenant !

– La situation mondiale ?

Oui, la situation mondiale ! Car justement, je parlais l’autre jour de la situation mondiale avec un homme que j’ai croisé… mais était-ce bien avec lui que je parlais de la situation mondiale ? Où est-ce que j’ai croisé cet homme ? Attendez… où en étais-je ?

– Vos problèmes d’argent ?
– Mes problèmes d’argent ?
– La situation mondiale ?

Voilà ! La situation mondiale ! Comment voulez-vous, disais-je à cet homme que j’ai croisé, et justement, je l’ai croisé en sortant de la banque ! Comment voulez-vous qu’une situation mondiale telle que celle dans laquelle nous nous trouvons en ce moment, comment voulez-vous que cette situation ne bascule pas dans un avenir proche vers l’infamie la plus totale ! et que nous assistions à des scènes mêmes de soulèvement et de révolte ! et que cette révolte se manifeste par, non plus des mots, non plus des idées civiquement débattues, mais par de la violence ! de la pure violence ! et que des individus que vous et moi croisons tous les jours, et qui donnent l’air d’être tout à fait, je n’irai pas jusqu’à dire épanouis, parce qu’épanouis, c’est un graaand mot, mais vous voyez, des individus qui, jusqu’alors, semblaient tout à fait s’accommoder de ce que nous appelons notre système, que ces individus… neutres, oui voilà, neutres ! des individus neutres ! et bien que ces individus soient tout d’un coup pris d’une soif inextinguible de justice, alors qu’ils ne s’en préoccupaient pas, avant, de la justice, et que cette soif de justice se manifeste par un saccage, un saccage pur et simple de tout ce dont ils pouvaient jouir auparavant, et que toute une partie de notre société soit prise ainsi d’une sorte de panique extatique, voyez, comme j’ai pu le voir lorsque je vivais en Amérique du Sud, et il ne serait pas nécessaire que cette portion de séditieux soit très importante, non ! on parle de 5 %, 10 %, peut-être, grand maximum ! savez-vous ce qu’il est possible de faire avec 5 % d’une population acquise à une simple et même cause ? Des choses inimaginables ! vous n’en avez pas idée ! l’infamie ! la pure infamie ! et 10 % ? 10 % ce me semble n’avoir jamais été vu dans l’Histoire, et c’est un grand mot, aussi, l’Histoâââre ! et donc cet homme – que je croisais au sortir de la banque –, et qui m’avait l’air d’un homme plutôt sympathique – mais dangereux –, il avait une face très ronde, et des lunettes rondes – c’était un homme rond –, avec des montures tachetées type peau de panthère – cela se fait aujourd’hui –, cet homme donc, devant la banque, tenait un attaché-case, et voyez-vous, plus personne aujourd’hui ne porte d’attaché-case ! les gens ont des sacs à dos, des sacoches à bandoulière, pour y placer leurs ordinateurs portables, certains portent même des bananes, ce genre de poches modulables que l’on place autour de la taille – des gens mêmes d’un âge assez avancé portent ce genre de chose –, mais plus personne ne tient d’attaché-case, ni même de cartable dans lequel aurait été placés des outils de rédaction : un cahier, des stylos, une trousse, que sais-je, et donc je me méfiais de cet homme qui tenait fermement son attaché-case devant la banque, il était rond, mais il se tenait très droit, cet homme, et je ne sais plus comment nous en sommes arrivés à communiquer lui et moi, mais je me suis dit « méfie-toi de cet homme qui tient si fermement son attaché-case ! son attaché-case doit contenir une bien précieuse chose ! et un homme qui tient au plus près de lui une chose précieuse, c’est un homme prêt à tout pour la conserver, et cela, cela fait de lui un homme dangereux ! » méfions-nous des hommes dangereux ! alors, comme il m’inquiétait, cet homme, tout rond et tout droit, et qu’on m’avait toujours répété que « un homme inquiétant, il faut le vanter ! » je me suis approché… je crois… oui ! c’est ainsi que cela s’est déroulé : je descendais les escaliers en sortant de la banque, j’ai traversé la cour centrale jusqu’à la grille – il s’agit de la banque qui se situe rue La Fayette, vous voyez ? –, l’homme se tenait là, tout droit, devant la grille, alors je me suis approché, car je me méfiais de lui depuis au moins le haut de l’escalier en pierre – c’est en haut des marches que je l’ai aperçu –, alors je me suis approché de lui, et je lui ai dit « Monsieur, quelle droiture ! » et l’homme, donc, droit dans ses bottes jusqu’au cou – je ne sais plus vraiment s’il portait des bottes, mais enfin, vous avez l’expression –, il était habillé d’un costume trois pièces gris-laine, vous savez, ces costumes très épais, et d’une cravate rouge, ça, j’en suis sûr, une cravate ! l’homme s’est tourné de trois quart vers moi, m’a fixé – c’est à ce moment que j’ai constaté qu’il portait des lunettes tachetées –, nous étions l’un en face de l’autre, au milieu du passage, il continuait de me fixer, et j’ai pensé « cet homme que tu trouvais déjà sympathique et dangereux, qu’il a l’air sévère ! » et je commençais à craindre vraiment d’avoir fait une bêtise en m’approchant de lui, car j’avais déjà entendu dire, il y a bien longtemps, qu’il existait des hommes dont on ne soupçonne rien et qui sont capables des pires monstruosités ! vous savez, ces petits hommes qui ne parlent pas, ou qui parlent tout doucement, comme s’ils ne s’étaient jamais parlés qu’à eux-mêmes, et c’était devenu une sorte d’obsession, chez moi, que de rencontrer un jour ce type d’hommes, une quête, même, je poursuivais l’idée de rencontrer un jour ce type de personnages, c’en était devenu vraiment obsédant – et c’est d’ailleurs pour cela que je suis parti vivre en Amérique du Sud –, et alors là, devant la banque je me disais voilà, « tu viens de tomber sur un de ces hommes-là, quelle idée t’a donc pris de venir vanter cet homme que tu pensais juste dangereux mais qui est peut-être bien pire ! cet homme-là, devant toi, est pire que dangereux, et il te fixe ! » il me fixait d’un air sévère ! et même si je commençais à douter sérieusement de lui, je continuais également de le fixer, et je me rassurais en me répétant successivement « ne montre pas que tu le crains, après tout, tu viens seulement de vanter sa droiture, à cet homme, » et nous nous sommes regardés ainsi pendant… allez… je dirais dix secondes – que c’est long, dix secondes ! –, puis son visage, si sévère, s’est détendu d’un coup, d’un seul coup ! il s’est illuminé ! c’est le mot : illuminé ! et après m’être senti humilié par lui, je me suis senti bête d’avoir craint cet homme, car dix secondes après que je lui aie lancé « Monsieur, quelle droiture ! », il m’a répondu « Cher ami, vous êtes un roi ! » un roi ! voilà ce qu’il a dit ! un roi ! moi, j’étais le roi de cet homme rond et sympathique au visage maintenant détendu, qui s’est présenté d’emblée comme étant « Serge Kovacic, enchanté de vous rencontrer », et de me serrer la main d’une poigne virile, et bon « très bien, me disais-je, cet homme à la poigne virile n’est peut-être pas dangereux, mais il possède un nom d’homme dangereux ! il s’appelle Serge Kovacic : c’est un nom Croate, et ces hommes de l’est, crois-le, il faut s’en méfier, d’autant plus lorsqu’ils sont si fiers de vous donner leur nom, et qu’ils vous tiennent la main de façon si virile ! » moi, voyez, après qu’il me l’ait tendue, sa main, je lui ai serré, comme il se doit, c’est naturel de serrer la main d’un homme au visage soudainement illuminé et qui vous la tend ; mais je lui ai serré, je crois, d’une force assez égale à la sienne : ce n’est pas moi qui ai donné la mesure de cette force : j’ai simplement pris sa main, puis je me suis adapté à sa poigne, mais à aucun moment je ne me serais permis de la serrer avec une plus grande intensité, non ! jamais je ne me serais permis cela ! c’est notre politesse, je crois, à nous, gens de l’Europe de l’ouest, que de ne pas imposer notre force dans les rencontres ! en certaines circonstances, oui, je suis d’accord, cela peut apparaître comme une faiblesse, mais dans le cas d’une rencontre telle que celle qui m’occupait avec cet homme devant la banque, et bien qu’au premier abord il me soit apparu assez dangereux, jamais je ne me serais permis de lui imposer ma puissance ! Imaginez seulement que j’aie pu broyer la main de ce Croate et ce qui se serait passé par la suite ! car croyez bien que je m’en suis senti capable ! de lui broyer la main ! et qu’alors qu’il me serrait virilement la main et que je me hissais au niveau de sa force, croyez bien que je me suis senti la capacité de la lui broyer ! ce sont des choses que l’on ressent, cela, lorsque l’on serre la main d’un homme, si l’on peut la lui broyer ou s’il a le dessus ! toujours est-il que je me mettais simplement à son niveau sans lui broyer la main, et que nous nous sommes souri, amicalement, comme cela se fait entre deux hommes qui se croisent, qui se connaissent, et qui ne se sont pas vus depuis longtemps, vous savez, ces rencontres de hasard, où il est tacitement admis que l’on doit se sourire pour marquer la reconnaissance, mais qu’il n’est pas nécessaire que l’on aille plus en avant dans la rencontre, eh bien nous nous souriions de cette façon, à ceci près que Serge Kovacic et moi ne nous connaissions pas, bien qu’il me sourît comme si nous nous connaissions et que nous ne comptions pas prendre de nos nouvelles, sauf que nous ne nous connaissions pas, voilà, que nous venions de nous rencontrer, et que Serge Kovacic, qui me souriait d’un sourire banalement amical, en a pris, figurez-vous ! de mes nouvelles ! il venait tout juste de lâcher ma main – car de la même façon que je n’avais pas imposé la puissance de ma poigne, il était hors de question qu’il ait pu ressentir chez moi l’envie de retirer ma main de la sienne ! alors même que c’est lui qui avait pris l’initiative de détendre son visage, de m’appeler son roi, et de me tendre la main ! non, j’ai également laissé à son initiative le retrait de sa main, c’est là ma politesse, voyez ! –, et c’est juste après cela qu’il a pris de mes nouvelles, devant la banque, en plein milieu du passage – heureusement nous ne gênions pas, car tout cela s’est déroulé dans la matinée, et à une heure où les gens que je qualifierais de normaux, ou de neutres, oui, reprenons le terme de neutres, puisque c’est de cela qu’il s’agit, de personnes neutres !