La vengeance de Monsieur Kéréko - Francis Diop - E-Book

La vengeance de Monsieur Kéréko E-Book

Francis Diop

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Beschreibung

Rescapé d'un attentat, écoeuré par l'Homme, M. Kéréko part à la recherche d'un monde meilleur...

Sur une piste africaine, marche M. Kéréko, boitant d’un pas décidé.
Victime d’un attentat, il tourne le dos à un monde dont il ne veut plus. Une idée l’anime et le fait avancer : rejoindre la forêt, dans l’espoir d’y retrouver un lieu d’autrefois où il avait été initié au monde des esprits.

Perdu dans des pensées tristes, il ne se rend pas compte qu’il est escorté depuis son premier pas et ne sait pas davantage que les esprits l’attendent impatiemment.

Comment les esprits du monde surnaturel sauront-ils se faire entendre de M. Kéréko ?
Et quel est leur message, important semble-t-il, au point qu’ils l’ont déposé hors du temps dans l’endroit le plus naturel et le plus évident du monde ?

Cette histoire le révèle. Le rêve et le réel s’y confondent au gré d’une allégorie composée pour celle qui ne se donne pas sans qu’on la désire : la Paix.

À travers une quête spirituelle, l'auteur nous livre un bel hommage à toutes les victimes d'attentats.

EXTRAIT

Ce matin-là, M. Kéréko ne se leva pas. Son corps ne le lui permettait pas ; ni son esprit. Le seul souvenir qu’il lui restait de la veille était cet instant sur le marché : des odeurs, des couleurs, juste avant le grand bruit, le souffle puis le silence.
Alors il attendit, sans parvenir vraiment à vaincre sa torpeur. Il respirait, cela lui coûtait, une côte fêlée probablement, et un sifflement permanent dans ses oreilles faisait obstacle à tout le reste.
Il était chez lui sans savoir comment il y était parvenu. Avec l’aide d’un voisin ou celle d’un passant charitable ? Il ne savait pas.
Sa maison n’était qu’une simple pièce en briques de banco qu’il occupait depuis quelque temps, un peu éloignée des autres habitations. Étendu sur sa natte, M. Kéréko savait seulement qu’il était encore de ce monde. Ce qui lui était arrivé était ordinaire dans cette région. Aujourd’hui c’était son tour, se dit-il. Mais il avait dû en réchapper. Avec fatalité, M. Kéréko se rendormit.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Francis Diop grandit en Côte d’Ivoire. Avec un père sénégalais et une mère française, l’enfance et l’éveil au monde ont une tonalité post coloniale. Des études d’ingénieur le transportent à Paris. Pour un jeune adulte, cette ville a tous les charmes. Et la tonalité de tous les possibles. L’univers artistique au sens large le fascine davantage. Il succombe aux charmes d’une autre belle : l’Île de la Réunion. L’inattendu, c’est le commencement d’un cheminement spirituel.

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Francis Diop

LA VENGEANCE DE MONSIEUR KÉRÉKO

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur,

Que ce granit du moins montre à jamais sa borne

Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.

–Stéphane Mallarmé

LA VENGEANCE DE MONSIEUR KÉRÉKO

Ce matin-là, M. Kéréko ne se leva pas. Son corps ne le lui permettait pas ; ni son esprit. Le seul souvenir qu’il lui restait de la veille était cet instant sur le marché : des odeurs, des couleurs, juste avant le grand bruit, le souffle puis le silence.

Alors il attendit, sans parvenir vraiment à vaincre sa torpeur. Il respirait, cela lui coûtait, une côte fêlée probablement, et un sifflement permanent dans ses oreilles faisait obstacle à tout le reste.

Il était chez lui sans savoir comment il y était parvenu. Avec l’aide d’un voisin ou celle d’un passant charitable ? Il ne savait pas.

Sa maison n’était qu’une simple pièce en briques de banco qu’il occupait depuis quelque temps, un peu éloignée des autres habitations. Étendu sur sa natte, M. Kéréko savait seulement qu’il était encore de ce monde. Ce qui lui était arrivé était ordinaire dans cette région. Aujourd’hui c’était son tour, se dit-il. Mais il avait dû en réchapper. Avec fatalité, M. Kéréko se rendormit.

À son réveil, la nuit était tombée, comme elle était tombée dans son esprit. Il sortait d’un cauchemar et alluma une lampe pour en dissiper la frayeur. Il s’assura qu’il n’avait pas de dommage important. Des contusions et des douleurs un peu partout l’empêchaient de se relever complètement, mais le temps les effacerait. Il avait toujours été d’une constitution robuste.

Son cœur, lui, résonnait d’une douleur dont M. Kéréko n’avait pas l’habitude. Pourtant s’il battait encore, c’était qu’il avait eu de la chance. Cette sorte de chance le consterna. Il sortit comme il put, ne voulant pas souiller sa pièce.

À l’extérieur, une pintade le regarda d’un air étonné. M. Kéréko la connaissait et la tolérait. Elle ne faisait jamais de bruit. Par ailleurs, elle devait être suffisamment futée se disait-il, pour avoir su échapper au kédjénou ou à la sauce gombo. Elle était très maigrelette, ceci expliquait cela, déplumée par endroits, mais au fond pas beaucoup plus que lui. Elle demeura dans les parages en l’observant regagner sa couche. Ne voulant pas dormir, M. Kéréko se mit à mâcher une noix de kola, il en avait toujours un morceau dans une poche. Dans l’amertume de sa saveur, il reconnut celle qui infusait en lui. L’un de ses genoux était enflé. Il cracha dessus un jus brun et l’étala. Cela calmerait la douleur.

Sa lampe à pétrole n’éclairait que sa confusion. Pendant qu’il s’examinait, il prit peu à peu conscience des blessures de son esprit. Il y lut la peur, la rage, la colère, l’impuissance, l’incompréhension, tout une accumulation d’émotions qu’à l’ordinaire il prenait soin d’éloigner de lui. Il avait toujours su se laver le cœur avec la même attention qu’il prenait pour ses membres et son visage, en le débarrassant des petites souillures de chaque jour. Grâce à cela, il avait traversé la vie avec sérénité et savait à la fin de chaque jour s’endormir avec le calme intérieur d’un marigot.

Mais cette nuit, aucune ablution ne lui semblait en mesure d’effacer un grondement, lancinant comme celui de ses tympans. De ce qu’il était devenu, sourdait un cri de vengeance. Il venait d’attraper la haine. Il en eut peur, car il est plus difficile de s’en défaire que de la gale. Parce qu’il en avait vu les effets chez d’autres, il savait qu’elle le ferait sombrer s’il la gardait en lui. C’est pour cela que M. Kéréko comprit qu’il lui faudrait agir.

Il se donna deux jours, le temps d’être un peu mieux et de pouvoir se remettre debout. Pendant toutes ces heures, il resta isolé, demeurant cloîtré dans sa pièce. Si d’aventure quelqu’un passait ou voulait s’enquérir de lui, il criait que tout allait bien et qu’il se reposait. Quelque chose dans sa voix faisait que personne n’insistait. À la vérité, M. Kéréko ne voulait pas savoir. Il souhaitait ignorer encore le nom et le visage de ceux qui s’étaient arrêtés pour toujours sur ce marché, le nom et le visage de ceux qui ne marcheraient plus. Ce n’était qu’un répit, car on ne peut jamais ignorer la réalité très longtemps, savait-il. Il pouvait se permettre de rester inactif un peu de temps. Pour la nourriture il possédait quelques réserves et pour l’eau, la pluie n’était pas rare. Et surtout, il avait à l’extérieur un petit coffre en bois où il trouvait toujours un morceau d’igname ou une boîte de conserve, ou bien encore une calebasse de bière de mil, parfois même une enveloppe avec un billet. Cela dépendait. D’ordinaire, M. Kéréko aimait ce moment où il allait soulever le rabat. C’était toujours un peu magique. Si jamais il n’y avait rien, cela pouvait arriver, M. Kéréko apprenait simplement la valeur des autres fois, en faisant de l’espérance du lendemain un baume contre la peine du jour.

Parfois, la pintade laissait passer une tête inquisitrice à l’entrée de sa pièce. M. Kéréko l’éloignait en lançant au loin les restes d’un épi de maïs qui venait du petit coffre. Il ne voulait pas être dérangé, ni vu dans son état. La pintade détalait mais cela ne fonctionnait pas très longtemps.

Elle était comme ces pensées sombres qui venaient l’assaillir et contre lesquelles il ne pouvait rien.

Qui ? Il ne sut mettre un visage sur celui qui l’avait meurtri car rien ne permet dans une foule de distinguer un frère d’un frère sauvage. Sans connaître son nom, il lui était difficile de lui souhaiter l’enfer, mais ce n’était pas nécessaire se dit-il car il fallait y être, ici et déjà pour concevoir ainsi la vie. Quelques instants, il en éprouva une tristesse où se mêlait la compassion, mais la colère en lui était plus forte.

Pourquoi ? Au nom d’une rage qui n’a trouvé que l’argument du ciel pour se verser ?

Et qu’y pouvait-il, se demanda-t-il encore ? Existait-il seulement un remède contre la furie ? Il chercha, ne trouva pas et sentit comme une nouvelle plaie, la morsure de l’impuissance. Plus rien n’allait, ni lui ni le reste du monde. Et ce monde, il n’en voulut tout simplement plus.

Au fil des heures, M. Kéréko laissa son esprit s’apaiser. Peu à peu s’insinua en lui, puis s’imposa, un besoin absolu de réparation. Impérieuse, cette idée prit la place de la peur et de la colère.

Des années auparavant, c’était dans une forêt qu’il était entré dans le monde des hommes et c’était là-bas qu’il voulait retourner. D’évidence, la violence ici-bas, habillée de croyance, était la cause de son état. Aussi était-ce aux esprits qu’il demanderait réparation. M. Kéréko savait comment. Il lui suffirait de retrouver cette forêt. Il toucha le petit grigri qu’il portait à sa taille et qui ne le quittait jamais. Il était là, c’était tout ce dont il avait besoin.

Il regarda autour de lui. Il possédait si peu de choses que rien ne le retenait. Il regarda en lui et se sentit étranger dans un champ dévasté.

Au moins, bouger ou se déplacer ne le faisait plus trop souffrir et le repos qu’il se donnait exécutait son œuvre lente. Plongé dans le désarroi, il n’avait pas vu passer le jour précédent. Quand il sut tout à fait qu’il allait partir, la nuit était déjà bien avancée. Il éteignit sa lampe et s’allongea pour trouver un peu de force dans un sommeil qui ne vint pas.

Au tout petit jour, il mangea un peu. Il regarda sa natte avec regret, mais elle l’encombrerait. Il ne prit qu’une pièce de tissu, sa lampe, ainsi qu’une calebasse munie d’un bouchon pour garder toujours un peu d’eau avec lui. C’était tout ce dont il avait besoin pour survivre et dormir.

C’est ainsi que M. Kéréko sortit de chez lui, referma une porte qui n’en n’avait que le nom et prit la route.

À cette heure du jour, peu de gens virent M. Kéréko s’en aller. Il tourna résolument le dos au village et boitant d’un pas décidé, prit le premier chemin qui partait en direction des forêts. Il ne s’aperçut pas qu’il était suivi.

Au bout de quelque temps, il s’arrêta devant les restes calcinés d’une case isolée. Un autre drame, se dit-il, dont il ne savait rien. Machinalement, il prit une pincée de cendre et l’étala sur son front comme un signe de deuil. Ce sentiment était présent si profondément dans son cœur qu’il se baissa et versa sur sa tête une pleine poignée de cendre grise. Et puis une autre encore. Alors son apparence refléta celle qui l’habillait intérieurement.