La victoire de Grégoire - Evelyne Savoie - E-Book

La victoire de Grégoire E-Book

Evelyne Savoie

0,0

Beschreibung

"La victoire de Grégoire" est le témoignage d’une mère submergée par un tourbillon d’émotions issues de ses souvenirs. Traversant le déni, la résignation et l’acceptation, elle se reconstruit à travers les défis auxquels elle est confrontée. Alors qu’elle affronte la dépendance de son fils Grégoire et la détresse de Faustine, une jeune fille qu’elle a prise sous son aile, elle redécouvre la profondeur de l’amour que lui offre la vie…




À PROPOS DE L'AUTRICE




Evelyne Savoie considère les mots comme un exutoire à l’émotion qui n’a jamais cessé de l’habiter. L’écriture de "La victoire de Grégoire" lui a permis de se relever et de consolider sa relation avec sa fille.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 289

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Evelyne Savoie

La victoire de Grégoire

© Lys Bleu Éditions – Evelyne Savoie

ISBN : 979-10-422-2836-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À tous ceux qui entendent sans vouloir écouter,

Qui voient sans vraiment regarder,

À ceux qui préfèrent ignorer,

Et se tiennent en retrait.

À toute l’humanité en somme…

Pour qu’ils n’oublient jamais qu’un cœur peut se briser,

même s’il semble solide.

Illustrations : Evelyne Savoie

Livre I

Grégoire

Personnages

Moi : la mère ;

Toi, Grégoire : mon fils ;

Lui, Norbert : le père.

Moi, la mère, ouvre aujourd’hui son âme sans aucune pudeur.

Le malheur de Grégoire, sa souffrance, est inscrit en ces vers dont il me fit présent.

Quant à Norbert, il est celui qui était là quand je n’y étais pas.

Prologue

Je suis là. Là où quand tu n’étais qu’un enfant nous venions. Là où tu aimais jouer. Là où assise sur le petit banc de bois branlant, je prenais plaisir à te regarder. Tu faisais des ricochets sur l’eau de la mare… ou tout du moins, tu essayais. Et moi, je riais en te voyant t’adonner à ton passe-temps favori : terroriser le malheureux canard qui s’essayait à une pêche des plus hasardeuse.

L’herbe grasse sur laquelle j’étendais le bout de chiffon d’un rouge approximatif qui me servait de nappe afin d’y disposer ton goûter t’offrait un coussin douillet quand faim et soif te tenaillaient. Toi qui du haut de tes jeunes, très jeunes années, courrais de long en large après ce papillon solitaire qui avait eu le malheur de croiser ton chemin, ou demeurais de longues minutes à contempler les abords d’une fourmilière. Toi qui courageusement grimpais aux arbres touffus de notre petit coin de paradis à l’appel de l’oisillon perché sur son nid. Toi qui tout aussi courageusement m’appelais à l’aide pour descendre de ton observatoire tant la peur du vide t’effrayait.

Je suis là aujourd’hui et toi aussi. Mais tu ne batifoles plus de droite et de gauche, tu ne cries plus, tu ne ris plus, tu n’as plus faim ni soif. Tu es là sans y être. Tu ne m’accompagnes plus. C’est moi qui t’accompagne. Le chant des oiseaux couvre notre silence. L’eau de la mare n’accueille plus le canard pêcheur depuis bien longtemps, la mousse en a recouvert le fond. Tu es là sans y être alors tu ne peux pas voir notre havre de paix comme je le vois. Il dépérit. Il a perdu sa magie. Celle que tous deux, nous lui prêtions. La féerie n’a pas survécu au temps, aux meurtrissures, aux aléas des ans qui fuient et s’habillent de vagues souvenirs.

Je m’assois sur le banc qui n’est plus que le spectre de lui-même. Je te serre encore une fois dans mes bras. Je te respire une ultime fois, la dernière je te le promets. Je m’apprête à te laisser partir. Je ferme les yeux. Je t’entends me dire que tu m’aimes, mais je ne te crois pas. Je ne te crois plus puisque tu m’as abandonnée, puisque tu es parti loin, très loin, loin de moi il y a bien, bien longtemps déjà. Les larmes que je verse je les verse sur moi. Je n’ai pas su te retenir quand il en était encore temps. Je n’ai pas su, je n’ai pas voulu savoir, je n’ai pas voulu apprendre à faire l’effort de te comprendre. Tu as fait ton choix et aujourd’hui tu me forces à en assumer la plus perverse des conséquences.

Je n’ai plus l’âge des rêves. J’ai passé celui des regrets. Je ne suis plus que l’ombre de celle qui t’a porté, qui t’a donné la vie. Cette vie que tu as malmenée, cette vie que tu n’as pas cru bon de préserver. Je ne souffre plus assez pour t’en vouloir, c’est pour cette raison que je suis là. Je vais me lever. Je vais aller jusqu’au bord de la mare. Je vais regarder les nuages chevaucher ce ciel plus tout à fait bleu et je vais ouvrir l’urne. Puis je refermerais les yeux et je verrais dessous mes paupières le petit garçon que tu étais jadis. Je pencherais l’urne et l’adulte que tu étais devenu rejoindra l’eau de la mare. Sur la mousse tes cendres attendront d’être emportées par un filet d’eau ou le souffle discret du vent.

Tu ne m’as laissé qu’une chose de ta vie sans moi, un simple cahier d’écolier. Si ma souffrance ravive un tant soit peu mon espérance, je le lierai. Par respect pour toutes ces pages que tu as pris le temps de noircir et peut-être aussi pour connaître enfin celui que tu étais devenu, celui qui avait osé me prendre mon petit bonhomme.

Je retourne m’asseoir. Je soupire. J’ai fait ce que je devais faire. Je sens le parfum du feuillage d’automne. J’entends le craquement des branches mortes. Puis soudain ma main se pose sur le cahier que tu m’as légué. Elle l’effleure du bout des doigts. Elle a peur de s’en saisir, mais au fond elle en a envie. Je tourne la tête vers lui et je le vois frémir comme s’il m’appelait, comme s’il me disait « ouvre-moi et lis-moi ».

J’ai laissé l’urne au bord de la mare. Je prends le cahier et c’est lui à présent que je serre fiévreusement contre ma poitrine.

Chapitre 1

Mon amour « ma folie »

À ma mère, celle que j’ai tant peinée, je le sais, en son cœur et jusque dans sa chair.

Tu m’as donné le jour maman et j’en ai fait mes nuits.

Je ne quémande pas ton pardon, je n’en ai pas le droit et puis… je ne le veux pas.

Tu feras de ce cahier ce que tu veux, peu importe. Si tu le jettes au feu, il attisera les braises de notre cheminée, si tu le déchires en mille et un morceaux, il s’envolera vers le ciel puis retombera en autant de confettis, si tu le froisses je sais qu’il aura nourri la colère qui n’a jamais cessé de te ronger. Quoi que tu fasses, quoi que tu décides, sache qu’il est moi, ton fils et que moi, ton fils, je n’ai jamais cessé de t’aimer.

J’ai ouvert le cahier et j’en ai lu les premiers mots. Je tremble, mais pas de froid. Je me sens mal. Je devrais me mettre à pleurer, mais j’en suis incapable. J’ai envie de hurler à en ébranler la nature qui m’entoure, mais aucun son ne sort de ma bouche. Je suis muette. Je suis aveugle. Je suis sourde. Je suis morte avec toi, imbécile. La hargne me cloue au banc, me paralyse. Je suis pétrifiée. L’angoisse brise ce soupçon de résistance derrière lequel je me cachais. Tu as gâché ta vie, ne gâche pas ta mort.

J’ai peur de continuer à te lire. Quelle surprise m’as-tu réservée ?

Est-ce la curiosité qui me pousse à reprendre ma lecture dans l’état actuel, je l’ignore. Il s’appelait Grégoire comme avant lui son père et le père de son père. Il ne pesait que trois kilos à la naissance, c’est un peu léger pour un garçon, mais il débordait de vitalité. Toujours à s’extasier devant tout et n’importe quoi. Toujours à poser des questions plus farfelues les unes que les autres. Il me fatiguait, il m’épuisait, mais comme j’étais heureuse. J’étais vivante et lui aussi. Que vais-je découvrir de mon bébé que je ne sais déjà ? Nous avons grandi ensemble et puis un beau jour nos chemins se sont séparés. Nous n’avons plus partagé le même horizon. Il est parti. Je suis restée. Des perles de sueur s’invitent sur mon front. Je reprends ma lecture. Je ne dois pas laisser gagner la rancœur qui m’habite. La garce ne salira pas mes souvenirs, c’est tout ce qu’il me reste à présent, mes souvenirs.

Le temps de l’innocence

Ce temps de l’innocence, il me revient parfois,

En attente de moi, du fond de ma mémoire.

Il s’en vient du grand noir en flashes qui rougeoient

Porter un brin de joie à l’âme qui s’égare.

Il est la souvenance de ce monde oublié

Où autrefois j’errais en parfaite insouciance.

Ce monde de l’enfance, cet univers caché

Où le songe se repaît de moult espérances.

Il se fond dans la nuit où lui sourit le jour,

Serpente les labours pour en cueillir les fruits

Puis disparaît sans bruit et revient sans détours

Me guider vers toujours où il inscrit ma vie.

Il est peuplé d’images qu’une fois éveillé

J’aimerais conserver. De mystères, de mirages,

De rêves de voyage, de légendes, de secrets,

De batailles gagnées quand j’avais du courage.

Il plonge dans les mers sans se mouiller les ailes.

Il traverse le ciel, sautille sur la terre,

Fauche le solitaire pour le rendre immortel,

Rend l’instant éternel et l’espoir éphémère.

Me visite souvent, mais jamais ne demeure,

Me caressant du leurre qu’il octroie aux vivants,

Juste pour ce moment où il sent que se meure

La quête du bonheur dedans mon cœur latent.

Combien de temps encore osera t’il venir

Parer mon devenir, en masquer le décor ?

Mon esprit et mon corps le mandent sans mot dire

Mais je le sens faiblir, à bout de vains efforts.

Je ne suis plus l’enfant qui jadis l’accueillait

Sans arrière-pensée, d’un sourire engageant,

La raison oubliant d’assujettir l’idée

D’être et d’avoir été, d’être tout autrement.

Je ne suis plus celui qui guerroyait sans cesse,

Qui allait sans faiblesse au-delà de ces vies

Où le jour et la nuit se fondent avec largesse,

Où l’incurie confesse sa délicieuse envie.

Je ne sais plus ma main tendre vers les merveilles.

J’ai perdu l’étincelle aux croisées des chemins

Où s’en vient le destin, telle bête cruelle,

Vous mordre la cervelle en guise de festin.

J’ai peur qu’il me rejette, je ne suis plus l’élu.

Qu’il ne regarde plus cette âme qui s’inquiète

Au-dedans de ma tête, de l’avoir trop déçu.

Et l’angoisse me tue. Et le doute me guette.

Ho temps de l’innocence ne m’abandonne pas,

Reviens guider mes pas, emplis-moi d’inconscience,

Fais rejaillir l’enfance tapie au fond de moi,

Chasse le loup du bois, le loup de la démence.

Ho Grégoire, Grégoire mon fils, j’ai l’impression de te revoir enfant. Les mots que tu empruntes au langage des grands tu en usais jadis devant le miroir de notre salle de bain. Cette espèce de nostalgie des féeries d’antan, elle te faisait sourire et elle me faisait rire. Tu te parlais ainsi de longs moments souvent. Te racontais tes rêves, tes rêves et tes tourments. Ton image t’écoutait. Elle était attentive. Elle imitait toujours la moindre de tes mimiques. Tu grimaçais, elle grimaçait et moi, à la dérobée je vous observais. As-tu continué à te parler au travers du miroir ou t’es-tu contenté d’écrire tes pensées ? Ce que je viens de lire était-ce encore bien toi ? Cherches-tu à abuser la mère que je ne suis plus, à m’attendrir. Où veux-tu en venir ? Le souffle me manque, trop de questions ébranlent mon esprit.

Il faut que je me lève. Que mes jambes me portent. Il ne faut pas que mon corps flanche. Je dois rentrer chez moi. Je dois retourner là où tes mots ne pourront pas m’atteindre. Je ne dois pas les laisser me détruire. Le jour décline. Le soir s’en vient à pas feutrés. Le vent redouble de violence. L’urne chancelle. Elle va tomber. Elle tombe. Est-ce le signe que j’attendais pour partir ? Peut-être bien oui, et sans plus réfléchir je te tourne le dos. Je laisse sur le banc ton cahier d’écolier. Je reviendrais demain. Et s’il est encore là… peut-être que demain j’aurais plus de courage pour revenir vers toi.

Il est vain de chercher à s’enfuir devant le destin. C’est inutile, il vous rattrape toujours. Le cahier m’en veut. Il me rappelle. Il estime sans doute que je n’en ai pas fini avec lui. Alors je reviens. L’orage gronde. Une pluie fine commence à tomber. Je le dissimule sous les pans de mon imper. Il n’attendra pas demain. J’ai compris. Je lui appartiens. Grégoire me tient. Il se venge de mon indifférence. Je cours. Je cours jusque chez moi dans l’espoir d’y trouver un peu de réconfort. La clé dans la serrure, la porte s’ouvre et je la claque. Je la pousse. J’entre et je la referme violemment. Je quitte mon imper, le jette négligemment sur le porte-manteau. Je m’ébroue les cheveux qui déjà sont trempés. Je mets une bûche dans l’âtre. La flambée réchauffe l’atmosphère. Je me déchausse et m’assois nerveusement dans mon fauteuil préféré aux larges accoudoirs tout de cuir revêtu et étends nonchalamment mes jambes. En rencontrant la table basse, elles se lèvent, se croisent et investissent la surface lisse. Je n’ai pas lâché le cahier. Je regarde les flammes danser dans la cheminée. Je suis prête à présent. Tu peux tout balancer Grégoire, je t’écoute. J’ouvre le cahier et reprends ma lecture avec pour seul témoin la lumière tamisée d’un feu de cheminée.

À la frontière du réel

Réveillé pour de bon, je pose pied à terre

Et m’élève en cet air parfumant ma maison.

Mon esprit furibond me hurle sa misère

D’être sans nulle manière, chassé de son bastion.

Il me hait, je le sais, de lui ôter sa vie.

Il était à l’abri en mon corps qui dormait.

Il voulait s’amuser au-dedans de mes nuits,

Tout lui était permis, se jouait de mes pensées.

La sonnerie du réveil a mis fin à l’oracle,

Et c’est dans la débâcle à présent qu’il sommeille.

J’ai mis mes rêves en veille, terminé le spectacle !

Il n’a plus son otage, il enrage vermeille.

Dedans la salle de bain, je fais face au miroir.

Mon âme est un trou noir et la glace est sans tain.

Mon esprit, ce malin, crie vengeance d’espoir.

Et flanche ma mémoire et vacille mon destin.

Soudain de tournoyer, la pièce prise de démence

Accélère la cadence d’une danse effrénée.

Je me sens malmené, comme en état de transe,

Je sens un vide immense, les murs sont démembrés.

L’impuissance m’assaille, je ne peux plus rien faire

Qu’attendre sursitaire d’éventuelles représailles.

Mon esprit, vile canaille, fort de ses congénères

Me livre enfin sa guerre, son ultime bataille.

L’illusion est parfaite, à moi, de résister !

De le faire plier au-dedans de ma tête,

De fait, je m’apprête à le faire prisonnier,

L’empêchant de ripper, lui barrant la retraite.

Mais je ne peux que taire le courage qui m’habite,

Museler sa visite, bâillonner son mystère.

Des pensées singulières s’en viennent et puis me quittent

Et mon corps, elles agitent, brisant mon univers.

Soudain frappe du poing le miroir sur le mur,

C’est comme une gageure, un ultime regain,

La dernière aventure pour contrer le destin,

Le blesser de ma main, pourfendre sa forfaiture.

Et le miroir se fend et mon âme renaît,

Enfin est délivrée pour un temps du tourment.

Rien n’a bougé pourtant, le miroir est entier

Et je vois mon reflet maintenant clairement.

Je me reconnais là au-dedans du miroir

Je suis encore vivant. Mon image le dit

Et moi je vais vouloir la croire plein d’espoir,

D’espérances fugaces envieux de rêveries.

Écarquillant les yeux, je me souris béat.

Et se moquant de moi, mon esprit malicieux

Jette son dernier pieu. Ne capitule pas.

Demain il attendra. Il a le temps des dieux.

Ho, Grégoire, mon Grégoire, comme tu sais si bien dire ces terreurs passées qui hantaient ton esprit. J’ai veillé sur tes nuits si souvent, si longtemps. Ton sommeil s’agitait, tu te mettais à hurler. Ton corps se raidissait et puis se redressait. Tu balançais tes poings. Combien de fois ils m’ont frappée sans que rien n’y fasse ? Combien de fois t’ai-je supplié de te calmer ? « Maman est là », mais de maman tu n’avais rien à faire. Tu ne m’entendais pas. Tu menais un combat imaginaire contre des ombres que je ne voyais pas. Tu me repoussais. Déjà enfant, tu m’interdisais de t’aider. Je me sentais d’une telle impuissance que j’en pleurais. Et le temps a passé sur ton enfance, sur ton adolescence, sur tes nuits, sur les miennes. Tes cauchemars se sont éloignés. Certains rêves sont venus les remplacer. C’est tout du moins ce que je voulais croire, mais apparemment je me berçais d’illusions. J’aurais peut-être dû me fier à mon instinct, briser les tabous, rejeter les médecins. « Vous verrez peu à peu, il n’y paraîtra plus, donnez-lui ça et puis ça, ces nuits s’apaiseront d’elles-mêmes ». Fariboles ! Foutaises ! J’aurais peut-être dû te prendre par la main et t’emmener voir M. Le curé comme j’en avais envie, mais j’ai préféré écouter ton père. « Pauvre folle, notre fils n’est pas possédé, arrête donc de lui lire des contes de fées et tout ira mieux ». Il avait sans doute raison, peut-être n’avais-je pas tout à fait tort non plus. Je ne t’ai plus lu d’histoires et peu à peu tu as grandi sans moi. Je me suis mise à travailler. Ton père nous a quittés. La vie, notre vie, notre propre vie nous a doucettement séparés.

Poudre aux yeux que tout cela. Je le vois maintenant. Tu n’as jamais cessé de combattre des moulins à vent. Mon petit Don Quichotte a pris du poids et des centimètres, mais ses tourments ont grandi avec lui. Tu as continué à te battre contre ces ennemis invisibles qui volaient ton sommeil. Tu as continué à mener tes batailles. Et je n’étais pas là. De toute façon qu’aurais-je bien pu faire ? Tu m’avais chassé de ta mémoire comme on gomme un simple petit trait de crayon mal à propos. Le jour où j’ai appris, par hasard, que tu te droguais. Le jour où je t’ai giflé pour la première fois de notre vie. « De toute façon tu ne m’as jamais vraiment aimé, tu ne m’as jamais vraiment compris » furent les derniers mots dont je me souviens de toi. Tu as claqué la porte et puis tu es parti. Nous ne nous sommes jamais vraiment revus depuis. Nous nous croisions parfois, mais ton regard sur moi, ta mère, et le mien sur toi, étaient d’une lourdeur à faire courber l’échine.

Je me suis endormie devant la cheminée. Le cahier ouvert sur la poitrine. La nuit m’a enveloppée. L’obscurité a anesthésié mes pensées. Ai-je des regrets, des remords ? Je ne le sais pas. Vais-je retrouver mon fils, celui que j’ai aimé, je l’ignore ? Ce que je sais c’est que la colère m’a enfin abandonné. Quel sentiment vais-je éprouver à sa place ? L’indifférence !

Demain il fera jour. Le soleil se lèvera indubitablement. Il tournera autour de la terre ou le contraire… même ça je ne m’en souviens plus. À l’heure qu’il est l’eau de la mare a dû noyer tes cendres. C’est tout ce que je sais et c’est déjà beaucoup.

Chapitre 2

Quand minuit a retenti au carillon de la salle à manger, j’ai cru un instant que la terre tremblait. Le feu de cheminée commençait à faiblir, quelques frissons épars à m’assaillir. J’ai étiré mon corps pour le faire réagir et puis me suis levée. J’ai laissé ton cahier reposer sur la table à la place de mes pieds. La tête dans un brouillard domestiqué à souhait, j’ai marché pas à pas, hésitante, jusqu’aux bas de l’escalier. J’ai accroché la rampe fermement de la main et en ai gravi une à une les marches. J’étais comme un zombi torturé par l’effort de me vouloir vivante. Et je me suis couchée sans me déshabiller. J’étais sûre que la nuit me bercerait. J’étais sûre que le sommeil réparerait la blessure que tu m’avais infligée sans que j’y sois préparée. Mais il n’en fut pas ainsi. L’endormissement n’a pas voulu de moi. J’étais piégée, piégée par un simple cahier d’écolier aux pages griffonnées, aux feuilles écornées. Quelle dérision !

Je ne voulais que dormir. J’étais si fatiguée. Je voulais m’assoupir loin des sombres pensées qui meublaient ton esprit et puis me reposer, me reposer de toi. Mais rien n’y fit. Les heures, les minutes, les secondes égrenaient l’espace et le temps de mon obscurité. Je tournais et retournais, d’un côté et de l’autre mon corps si las. J’avais chaud et puis froid. Je tirais et repoussais sans cesse le duvet censé me recouvrir de sa tiédeur.

Quand le jour a enfin daigné pointer le bout de son nez, je me suis sentie soulagée. Alors, guillerette malgré cette nuitée troublée j’ai pris une douche, suis descendue à la cuisine et ai ingurgité mon premier café noir de la journée. Je n’étais pas vraiment triste, juste désabusée. Il me semblait être en visite dans ma propre maison. Quelle étrangeté n’est-ce pas ! Tu ne me manquais pas Grégoire. Je n’éprouvais donc pas le besoin de t’oublier. Seule m’animait une certaine curiosité, celle de finir un bon bouquin. Seulement ça !

La solitude j’y étais habituée. Elle faisait partie intégrante de mon univers. J’avais mes petits rituels. Le temps qui passe ne me préoccupait pas outre mesure. Il filait comme le vent entre les mailles du filet de mon quotidien. Mais voilà qu’aujourd’hui, sans crier gare, un amalgame de feuilles de papier m’obligeait à le rompre ce quotidien bien planifié. J’allais lire tes mots Grégoire, mais à mon rythme, pas au tien. Il était hors de question de te laisser abuser la femme que j’étais à présent sous prétexte qu’autrefois j’avais été ta mère. J’étais décidée. Je resterais distante. Je resterais à l’écart de celui que tu étais devenu. Je serais simplement ton unique lectrice et rien de plus.

Après avoir petit déjeuner, je suis remontée m’habiller. J’avais envie de porter une robe d’été vaporeuse et chatoyante bien que la saison ne s’y prêtait pas. Peu m’importait le frimas automnal. Une jolie petite robe à fleurs et un chandail douillet suffiraient à me combler d’aise. C’est en redescendant ainsi attifée, que mon regard s’est malencontreusement posé sur le cahier. Comme prise en flagrant délit j’ai caressé l’étoffe de ma robe fleurie. Cette robe c’était le dernier cadeau que tu m’avais fait. Ma dernière vraie fête des Mères.

Honteuse, je me suis dirigée vers la table, j’ai saisi le cahier, je me suis assise et recroquevillée sur moi-même comme un fœtus lové dans les entrailles de sa mère, je l’ai ouvert et ai repris ma lecture là où la veille, je l’avais laissé.

Appel au voyage

Envole-toi vers moi, viens vite me trouver.

Laisse là la nuitée, l’aventure est là-bas,

Loin au-dessus des toits, sur la voûte étoilée,

Tu peux y accéder ! Allez, envole-toi !

Je te sens affaibli par le monde où tu es.

L’univers t’a usé gommant tes rêveries,

Et petit à petit, il t’a anesthésié.

Je le vois. Je le sais. Moi t’offre l’infini.

Abandonne la moiteur de ton corps souffreteux

Et ose ouvrir les yeux. Regarde vers l’ailleurs.

Écoute avec ton cœur ce monde fabuleux

Accompagner tes vœux, anéantir tes peurs.

Toi qui navigues en eau trouble ici-bas,

Toi qui sans cesse combats menteries et intrigues,

Toi que la vie fatigue, toi qui te sens si las,

Suis l’appel de ma voix, franchis enfin la digue.

Je ne sais plus que dire mon ami pour t’aider,

Que faire pour soulager ton âme qui délire,

Et fait de tes désirs des plaisirs inavoués.

L’existence te hait, et je dois repartir.

Encore un dernier mot avant de te quitter,

Avant que la journée te couvre de ses maux.

Il est un monde beau, il est un monde laid,

Et quand tu seras prêt, tu feras le grand saut.

Combien de nuits encore me résisteras-tu ?

Toi qui as mal vécu au-dedans de ce corps

Qui te fait tant de tort, qui ne t’appartient plus,

Que tu traînes dans les rues, enchaîné par le sort.

Les bras tu me tendras, et je m’y coulerai.

Ta souffrance me plaît. Le mystère nous attend

Où s’arrête le temps, vois le chemin pavé

De bonheur, de clarté et sa douceur ressens.

Je te mène en voyage vers ces contrées lointaines

Où l’amour prend la haine et la maintient en cage,

Où la splendeur des âges ne porte plus leur peine,

Où la vie est sereine, où règne le grand mage.

Tu laisseras au vestiaire des portes du destin

Le poids de ton chagrin. Ton âme aussi légère

Qu’une fleur printanière s’élèvera au loin

Pour que la vie sans fin, te prenne en sa lumière.

Je te sens hésitant. N’as-tu donc point compris

Que je ne suis ici que par toi simplement.

Ma voix que tu entends s’en vient de ton esprit,

De ce songe d’infini qui est tien seulement.

Je suis celle qui est, parce que ton existence

Est comme en pénitence, le fruit de tes pensées,

Toujours à regretter plus croire en l’espérance.

Je suis par ton errance, mais maintenant, me tais.

Ta poésie Grégoire m’abasourdit. Je ne la comprends pas. Les vers que tu écris ne te ressemblent pas. J’ai beau me creuser les méninges, je ne vois vraiment pas qui pouvait bien être cette pitoyable tentatrice. Pourquoi l’entendais-tu ? Déjà enfant tu débordais d’imagination, mais je dois avouer, que là, ça dépasse l’entendement. Tu n’étais pas schizophrène que je sache. Tu ne souffrais pas d’hallucinations verbales. Je reste un long moment immobile, scotchée à mon fauteuil, les yeux démesurément ouverts, tournés vers le plafond comme si celui-ci pouvait me fournir une explication rationnelle. Je suis perplexe. Je suis médusée. Je suis effarée.

Ses mots, les tiens, je ne sais plus, me renvoient bien des années en arrière. Je nous revois riant, chantant à tue-tête dans la « mini Austin » que je conduisais sur les chemins de campagne nous ramenant chez nous. Nous venions de la ville où nous avions appris une formidable nouvelle : ton admission au collège St Charles, le plus prestigieux collège de la région. Il fallait un dossier scolaire en béton pour avoir une chance d’y entrer. Il fallait un dossier scolaire en béton et des parents aisés. Notre notoriété ne dépassait pas les murs de notre ferme, mais ton travail acharné avait comblé cette indiscutable lacune. Nous étions si heureux. Le tracteur a surgi de nulle part. Je n’ai pas eu le temps de le voir. Trois tonneaux dans un champ fraîchement labouré ont suffi à te désarticuler et à anéantir notre famille. J’étais celle qui conduisait et c’était toi l’unique victime. Tu n’es rentré au collège que l’année suivante. Ce fut une année de pure souffrance. Nous la vivions ensemble. Tu souffrais dans ton corps, je souffrais dans ma tête. Mais nous étions ensemble et nous étions vivants. J’ai dû quitter le foyer conjugal cette année-là. Ton père me reprochait trop durement notre euphorie insouciante. Il avait du mal à me voir sur mes pieds et toi en fauteuil roulant. De toute façon, à bien y réfléchir, c’était lui qui nous avait quittés en premier, le jour où nous avions décidé de tenter St Charles.

Je sais que ton corps te rappelait sans cesse ce douloureux souvenir, mais je te pensais fort. Ta hargne, enfant, t’avait poussé à repousser les roues de ce fauteuil du diable. Tu avais remarché. Tu dodelinais, mais tu marchais. Tu avais même repris un semblant d’activité sportive. Tu avais réussi à me faire oublier que je t’avais cassé. J’étais certaine que toi aussi tu avais oublié.

Ton cahier me montre le contraire. Mais je ne comprends pas pourquoi la voix, celle dont tu écris apparemment les mots te parlait à toi et pas à moi. Je t’ai toujours cru fort, mais tu n’étais au fond qu’un enfant meurtri qui adulte a appris à cacher sa souffrance. Un fils qui ne voulait pas blesser sa mère davantage, plus qu’elle ne l’était déjà.

Il me faut en savoir plus. Je ne peux pas me contenter de si peu. Il faut que je sache comment la vile engeance est arrivée à ses fins. Ton addiction semblait avoir une voix, avait-elle aussi un visage ?

Je coince mon postérieur plus confortablement et reprends ma lecture. Je ne suis guère rassurée, mais il faut que je sache.

Maître des illusions

Pourquoi le bleu du ciel, et le chant des oiseaux,

Le sifflement de l’eau, et le grand arc-en-ciel,

Et la rose vermeille, et le soleil si chaud,

Me laissent si penaud et plus ne m’émerveillent.

Pourquoi plus je n’entends, pourquoi plus je ne vois,

Les éclats de la joie, le rire des enfants

Et le souffle du vent, la brume sur les toits

Et le feu sur le bois au doux crépitement.

Je ne sens même plus le parfum du jasmin,

La rosée du matin sur les sentiers battus,

L’odeur quand il a plu de l’herbe des jardins,

La senteur des embruns effleurant les feuillus.

Je peine à ressentir ces émois de tendresse

Qui comme une caresse m’inondaient de plaisir,

Je n’ai plus de désirs, je ne sens plus l’ivresse

Des instants de faiblesse qui bercent le souvenir.

Il m’arrive de croire encore à l’existence

Mais c’est sans importance et tellement illusoire.

Il n’y a plus d’espoir dans ce monde de démence,

Plus de traces de clémence, plus une échappatoire.

J’ai mordu dans la vie espérant l’impossible.

Me croyant invincible, j’en ai broyé le fruit

Et je m’en suis nourri, me pensant infaillible.

Et je devins la cible des affres de mes nuits.

J’ai combattu longtemps, j’ai pansé mes blessures,

Caché les meurtrissures que m’affligeait le temps.

J’ai revêtu l’armure du guerrier avenant

Et suis sorti perdant, strié de déchirures.

Maintenant dans ma tête rugit le grondement

De la plainte du vent juste, avant la tempête.

L’horreur de la défaite me plonge dans le tourment

Du grand renoncement que l’on prête aux poètes.

J’erre à travers les ondes, mon âme en devient folle.

Je tressaille, je m’affole. Des pensées furibondes

Me mènent entre deux mondes. Et le néant m’isole.

J’ai perdu la boussole alors, je vagabonde.

Je me sens pris d’assaut par mille créatures,

Ombres d’une nature qui engendre les maux.

Elles entaillent ma peau et comme une brûlure,

Une abjecte morsure, me rongent les boyaux.

Rêveries, cauchemars, démons et farfadets

Viennent me visiter, torturant ma mémoire,

Débusquant les espoirs qui s’y étaient cachés

Espérant subsister, chimériques, illusoires.

La peur, je l’imagine ne me quittera pas.

Je ne survivrai pas à l’angoisse qui me mine.

Elle est et me domine au plus profond de moi

Et je sais mon émoi vivre de ses rapines.

Mon regard fixe le plafond. Mes yeux s’embuent. Une larme coule le long de ma joue. Je ne pense même pas à la chasser, elle a un goût de sel quand elle atteint mes lèvres. Ça ne me gêne pas, je suis ailleurs. Puis soudainement je reprends mes esprits. Je me lève d’un bond, saisis le tisonnier, agite en vain les braises de la cheminée. Je veux que les flammes se remettent à danser, que le feu reprenne dans la cheminée. Je veux qu’elles détruisent ce foutu cahier, ce banal cahier d’écolier aux pages noircies d’une écriture tremblotante, aux feuilles abîmées. Je veux le jeter dans l’âtre, mais voilà, il est plus fort que moi, il ne consent pas à quitter ma poitrine où il s’est réfugié, comme à l’abri sous la protection de mes bras. À bout de résistance, je regagne le fauteuil et l’y dépose.

Je me sens comme désorientée, déstabilisée. Tes mots Grégoire résonnent dans mon cerveau pour un droit de réponse, une déculpabilisation de ta faiblesse, celle dont une tentatrice poudrée s’est servie pour te piéger. Je suis larguée. Je te croyais fort. Tu avais tout pour toi. Une situation stable, comptable dans une banque, ce n’est pas rien ! Une vie sociale des plus riche, tu avais de nombreux amis ! Une vie amoureuse assez tumultueuse c’est vrai, mais active. Je sais que la vie ne t’avait pas ménagé, mais tu avais toujours su relever la tête et affronter les vicissitudes du temps. J’étais si fière de ton courage. Il me semblait que tu pouvais abattre les montagnes. Et puis je nous pensais proches, très proches, peut-être trop proches justement !

Pourquoi ne m’as-tu pas parlé ?

Pourquoi as-tu préféré confier ton désarroi à une substance artificielle ?

Quand tu venais me voir nous rions tant et tant, mais tu me mentais, pourquoi ? Me jugeais-tu incapable de t’aider ? J’étais ta maman, j’aurai pu t’aider, j’en suis sûre, mais tu ne m’as pas donné la chance de te le montrer, tu m’as tenue à l’écart. Tu t’es isolé. Peut-être ne voulais-tu que me préserver… ou peut-être pas.

C’est ton père qui m’a appris que tu te droguais. Il s’est invité un soir dans notre maison assez violemment, je dois dire. Il n’a pas pris de gants pour me jeter à la figure son écœurement. Il te voulait fermier, je te souhaitais bachelier. Ses simples mots étaient sans appel. La faute, elle m’incombait de fait. Il n’avait rien à y voir, il n’avait fait que céder, céder à la fatalité. Et voilà où mon obstination t’avait mené. Peut-être avait-il raison au fond.

Je n’ai jamais voulu croire que je me trompais, que tu me trompais et peu à peu nos routes se sont éloignées. Tu avais ta vie, j’avais la mienne et rien de plus. Nos chemins se croisèrent de plus en plus rarement. Je n’ai pas vu celui que tu devenais petit à petit. J’ai fini par oublier la visite de ton père. Je l’ai noyé dans le puits sans fond de mon oubli.

Est-ce que je souffre moi aussi d’hallucination verbale ? Ce serait le comble. Une tare génétique de plus. Peuchère !

Je suis en colère. Le cahier a réussi à me faire pleurer. Je parle à un être qui ne ressemblait même plus au fils que j’avais eu et dont les cendres ont dû disparaître de la surface de la mare balayée par la brise.

Chapitre 3