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"La Ville des somnambules" réinvente le mythe de Pygmalion à l’ère numérique. Alisha Rajvanshi, une jeune spécialiste népalaise de la robotique, tombe amoureuse de sa propre création : un robot qui imite à la perfection le compositeur roumain Georges Enesco. Ce roman de docu-fiction invite à réfléchir sur les défis du monde contemporain et la période post-humaine dans laquelle nous entrons.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Constantin Severin est un écrivain et artiste visuel roumain francophone, fondateur de l’expressionnisme archétypal. Auteur de quinze ouvrages en poésie, essais et romans, il écrit en roumain, français et anglais. Il a remporté sept prix nationaux et internationaux, dont le prestigieux Grand Prix du Festival International de Poésie « Aco Karamanov » en Macédoine (2022).
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Constantin Severin
La ville des somnambules
Roman
© Lys Bleu Éditions – Constantin Severin
ISBN : 979-10-422-4582-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
La mort des mots – la devise la plus appropriée pour le chapitre de l’ère post-humaine.
Roman de Constantin Severin
« Une préface c’est comme un paillasson où l’on doit essuyer ses pieds avant d’entrer. Je ne m’adresse pas au lecteur qui, étant fort rare, a droit à tous les égards, mais au poète quand il appuie imprudemment le pied sur le premier barreau de cette échelle qui, dressée vers le ciel, ne mène nulle part. »
Si j’ai choisi d’introduire mon court propos sur « Ville des somnambules » avec cette définition de Pierre Reverdy, qui peut paraître empreinte d’une certaine amertume douce, c’est que j’ai connu d’abord Constantin Severin, comme poète, en lisant « Les Vies des peintres », recueil que j’avais beaucoup aimé.
Il s’exprime ici en prose, mais cela reste, malgré une certaine âpreté des thèmes, et le lecteur, qui ne sera, je l’espère, pas si rare, aura le grand plaisir de le constater, une prose très poétique, où l’amoureux « murmur[e] (encore) des mots d’amour tirés des sonnets de Shakespeare ».
Quelques vers sont même cités par Constantin Severin :
« Ce soir-là, avant de m’endormir, quelques vers de Yuyutsu Sharma, que je connaissais depuis longtemps, m’étaient venus à la mémoire de manière inattendue, car un camarade de classe qui m’aimait bien les avait un jour écrits sur une note : “Les baisers que tu as refusés étaient les meilleurs/comme les poèmes/au bord du lac/que je n’ai pas écrits” ».
Gageons que le présage « La poésie sera remplacée par le vol cosmique et les chuchotements d’amour (télépathiques) entre cyborgs et robots. Seuls survivront probablement la musique, la vidéo et l’art NFT, la danse et l’architecture créés par l’intelligence artificielle. La mort des mots – la devise la plus appropriée pour le chapitre de l’ère post-humaine », ne se réalise pas dans les faits et que les générations futures pourront encore s’essuyer humblement les pieds sur de vrais paillassons avant d’entrer dans un roman comme celui-ci, ou bien dans un recueil de poèmes de Pierre Reverdy.
Non à la mort des mots ! À nous de faire en sorte de renverser la dialectique exprimée par Chuck Palahniuk, en ces termes : « On se souviendra de nous bien plus pour ce que nous détruisons que pour ce que nous créons ».
Puis, Constantin Severin est, comme moi, d’origine roumaine et, fier de l’être, il fait, très habillement, de nombreuses références culturelles roumaines : « une célèbre chanteuse de jazz, Roumaine, Aura Urziceanu », « Mihaela Andronic [est] une Roumaine très croyante de Suceava », « le célèbre compositeur et violoniste roumain George Enescu », « un auteur roumain, Eugen Ciurtin, écrivain et historien des religions, très préoccupé par le sort posthume extrêmement malheureux de l’œuvre de Georges Enesco », « la chanson roumaine “Ciocârlia”, jouée par le célèbre violoniste Grigoraș Dinicu », « Mircea Axinte, le jeune homme de Roumanie », « notre professeur Mihai Nadin est originaire de Roumanie et son œuvre interdisciplinaire impressionnante se situe à l’intersection de l’art, de l’informatique et des sciences cognitives, de la sémiotique et de la conception informatique », « j’ai ressenti le besoin de me rendre en Roumanie », « alors qu’en Roumanie ou au Népal, la plupart des gens que j’ai rencontrés avaient une joie de vivre au-delà de l’humain, une ouverture, une jovialité et un naturel qui jaillissaient comme un geyser de tout leur être et illuminaient leurs visages et leurs gestes ». Sont encore mentionés le poète Nichita Danilov et le peintre Felix Aftene également Roumains.
Du synopsis, je reproduis simplement quelques éléments de nature à éveiller la curiosité du lecteur en quête de bonne littérature :
Depuis son adolescence, Alisha Rajvanshi, jeune Népalaise, se passionne pour l’informatique et la robotique. Pendant ses études, elle est souvent invitée à l’université de Patan pour collaborer à des projets scientifiques, mais à l’âge de 16 ans, elle est kidnappée dans la rue et finit par être rachetée par un homme d’affaires de Dallas, Richard Tedeschi, qui s’éprend de cette jeune fille à l’esprit brillant. Ami d’enfance de David Hanson, fondateur de la célèbre société de robotique « David Hanson », Richard aide Alisha à poursuivre ses études à Dallas. C’est pendant sa dernière année d’études, que, déjà employée dans la société « Hanson Robotics », elle a l’idée de créer un robot compositeur et violoniste qui imiterait parfaitement le musicien roumain George Enesco. D’ailleurs les deux derniers chapitres du roman sont écrits par ce robot qui, à travers son témoignage, nous enseigne sur des aspects troublants de sa double condition, celle d’une créature artificielle faite de composants inorganiques et dont l’esprit contient toutes les angoisses d’un homme qui fut autrefois un grand artiste, l’archétype même de l’artiste.
Constantin Severin est un artiste accompli, qui n’oublie pas de rendre hommage à des peintres et des sculpteurs connus, ou moins connus qui l’ont inspiré ou pour qui il a simplement de l’admiration. Ses personnages en parlent avec une certaine tendresse et toujours de manière très pertinente. Leurs vies intérieures étant riches de ces nourritures célestes qui sont l’art, la littérature et la musique.
Des tristes expériences de Alisha, il faut retenir ce conseil : « N’aie peur de rien dans la vie, petite fille, même la cohabitation avec le mal a un bon côté, elle te rend plus humble et te rapproche des dieux ».
Je suis encore totalement sous le charme de ce roman actuel, dense et court, au rythme alerte, d’où l’érotisme n’est pas absent, et où les cultures se croisent et se confrontent, roman qui nous convie, tout en subtilité, à une réflexion autour du monde vers lequel nous nous acheminons et que l’auteur juge déjà comme étant dans une « ère post-humaine ».
Et si finalement l’échelle évoquée par Pierre Reverdy, menait au salut ? Au salut par la lecture intelligente (« l’intelligence [étant] la capacité d’intégrer l’avenir, et non d’imiter le passé, et sans un sens de l’anticipation, c’est impossible. Aucune machine n’est et ne sera jamais intelligente », dit un des personnages clés, le professeur Mihai Nadin).
Viens, ô toi, cher lecteur, vérifier tout cela ! L’auteur lui-même te tend la main : « Lecteur, donne-moi ta main délicate de papier de soie, plus diaphane et plus perçante que l’irréel et mon imagination, la main aux lignes indéchiffrables jaillies des capillaires et des sens de la mort (toute ma vie, j’ai appris à aimer la mort, sa disparition transformerait le monde en enfer), la main tatouée des lettres nées et à naître de cette histoire dans laquelle je veux disparaître, les lèvres asséchées par la soif de l’invisible ».
Gabrielle Danoux
Je me suis réveillé pour vous dire que pendant la période de parasomnie totale qui a duré sept ans, j’ai rêvé mille fois que j’écrirais ces pages. Je vis dans une élégante maison en plastique fabriquée par la technologie de l’impression 3D et je me suis réveillé absolument par hasard, alors que j’écoutais la chanson roumaine « Ciocârlia », jouée par le célèbre violoniste Grigoraș Dinicu, sur mon ordinateur portable Lenovo sur YouTube. Tout autour de moi avait la lueur aurorale d’une naissance, je ne savais pas si je rêvais encore ou si je vivais enfin dans le monde réel, je ne reconnaissais rien, je ne savais pas où j’étais, comment je m’appelais, quelle vie j’avais eue avant ma période de somnambulisme, et surtout pourquoi j’étais seule. Si seule – un écran oublié dans un coin de la réalité, sur lequel des images fugaces s’entrecroisent sans toucher mon cœur. J’avais l’impression qu’une cascade s’effondrait au plus profond de mon être, chaque lueur, brise d’air frais dans le jardin de fleurs d’automne, gazouillis d’oiseaux multicolores, parfum d’êtres lointains, nuage de cerise glissant sur les couvertures du ciel, lettre noire palpitant sur la page blanche. Le rêve doux et romantique qui me faisait bouger inconsciemment comme un chat à l’affût était maintenant remplacé par une tornade de rêves éveillés.
J’ai progressivement appris, après m’être éveillé à des niveaux de conscience de plus en plus élevés, que je faisais partie d’une expérience collective menée par le Groupe 300, basée sur une découverte faite en 2010 par un scientifique américain, Max Sachs : par une exposition continue à des sons ayant certaines fréquences sonores en dehors du spectre audible, n’importe quel humain peut devenir un somnambule total, sans périodes de retour à la réalité quotidienne, comme c’est habituellement le cas. L’opération Top Secret a été soutenue par les agences de renseignement des pays de l’OTAN, qui ont enlevé 5 000 jeunes âgés de 20 à 30 ans (2 500 hommes et 2 500 femmes) dans plus de 70 pays du monde. Tous ces jeunes, pour la plupart pris au hasard, ont été forcés, sous la menace d’une arme, à monter dans des voitures aux vitres teintées, puis déportés vers une ville fantôme (non indiquée sur les cartes et documents officiels) apparue du jour au lendemain, créée spécialement pour eux en Patagonie, à l’aide des technologies les plus récentes, dans une zone totalement isolée et entourée de grandes clôtures métalliques de trois mètres de haut. À côté de Sleepwalker City s’élèvent les bâtiments orange et futuristes d’un centre de recherche où travaillent plus de 300 scientifiques dans diverses spécialités, de la génétique à la microbiologie, en passant par la psychologie et la manipulation de masse. À cinq kilomètres de ce complexe à la pointe de la science contemporaine se trouvent un héliport et un aéroport, qui fournissent principalement des ressources alimentaires et des produits de consommation, des médicaments et des instruments médicaux. Les 5 000 maisons sont presque identiques, composées de deux chambres, d’une cuisine, d’un garde-manger et d’une salle de bains, et ne diffèrent que par les couleurs utilisées sur les murs extérieurs, du blanc au bleu, en passant par le jaune et le violet. Un petit jardin avec des arbustes et des fleurs ornementales complète l’espace de vie, équipé de toutes les commodités nécessaires à une vie décente. La ville parasomniaque, située au sud-ouest de Puerto Madryn, compte également plusieurs rues interdites aux voitures, trois restaurants avec terrasse, un hôpital, un parc et un petit théâtre où se déroulent les représentations impromptues des habitants sous l’emprise continue du sommeil induit. À l’ouest s’étend la pampa argentine entrecoupée de plusieurs lacs glaciaires et, au loin, les sommets enneigés et escarpés de la cordillère des Andes. Je ne sais pas pourquoi, mais en Patagonie, j’ai toujours l’impression que le soleil est deux fois plus loin qu’au Népal, où je suis né. Et la nuit, les étoiles semblent beaucoup plus proches de nous, comme si elles étaient les grandes mamelles allongées de vaches célestes flottant dans l’espace.
C’est un matin ensoleillé de novembre avec une température de 22 degrés Celcius, les nuages gris de la nuit ont disparu, mes narines s’ouvrent avec impatience alors que je marche dans le jardin, je peux sentir la légère brise de l’océan Atlantique qui arrive jusqu’ici. SENTIR, un mot qui revient en force dans ma vie, comme un coup de tonnerre qui fend le monde en deux, pendant de nombreuses années j’ai mangé, pleuré, bu, couru, crié, je me suis arraché les cheveux et mordu les lèvres, j’ai fait l’amour et je n’ai rien ressenti. Une vie proche de celle d’êtres intelligents créés artificiellement. Je réalise peu à peu que je dois imiter mes mouvements d’avant le réveil, tout faire avec des gestes endormis, de peur d’être reconnu comme réveillé par les scientifiques qui regardent les caméras de surveillance ou ceux qui sont en mission de recherche parmi nous. Tout d’abord, je souhaite de toute mon âme démoralisée revoir Mircea Axinte, le jeune homme de Roumanie avec qui j’ai eu une relation ces dernières années, évidemment je ne peux pas dire que c’était une histoire d’amour, juste une recherche désespérée de deux corps privés d’intimité sensorielle, de pensée émotionnelle, de plaisir intense, du petit cataclysme de l’orgasme. Je passe lentement devant des maisons alignées selon un plan mathématique, je rencontre des êtres spectraux de différentes races qui me regardent les yeux grands ouverts, de leur regard semble émerger un brouillard irréel, une brume de cécité semblable aux aperçus de lumière et d’obscurité dans les grottes envahies par les chauves-souris. Je ne sais pas si je fais encore partie de la race humaine, vivre pendant sept ans avec le corps séparé de l’esprit et de l’âme est une solitude plus haute, plus rocailleuse et plus abrupte que la cordillère des Andes.
— Me reconnais-tu encore, Mircea ? Connais-tu mon nom ?
— Regarde dans le jardin, les oiseaux chanteurs ont des griffes d’or, et j’ai poli ma solitude avec de la poussière de diamant.
— Essaie de me voir toi aussi, ouvre grand les yeux et serre-moi contre ta poitrine.
— On naît et on meurt seul, mais il y a de multiples solitudes, et dans la vie il faut toujours chercher la solitude de l’araignée : créer sa réalité environnante avec de l’art, avec des fils de lumière et du sang transparent extrait de son propre être.
— Je me suis réveillé et maintenant je te regarde avec des yeux nouveaux, je veux sentir tes caresses et ton souffle, je veux connaître chaque centimètre carré de ta peau, chaque pli de ta chair, chaque souffle de ton âme.
— Il n’y a plus d’enfants dans ma rue et le condor des Andes s’est envolé dans les montagnes.
— Tu es plus belle que ce que j’ai pu percevoir pendant mes parasomnies.
— Tes yeux sont comme des fleurs carnivores.
— Je suis content que tu commences à réaliser que je suis avec toi. Au lieu de cela, ton regard est celui d’une araignée argentée.
— Les taupes ont commencé à tomber de mes cheveux.
Mon copain se lève du banc devant la maison et secoue vigoureusement ses cheveux noirs. Il se tient pieds nus dans l’herbe, vêtu seulement d’un pantalon de survêtement bleu, et je remarque sur son torse nu le talisman que je lui ai offert il y a des années, le moulin à prières tibétain, un petit caillou d’argent attaché avec une corde de cuir noir et portant l’inscription du mantra sacré Om Mani Padme Hum. Je m’attendais à ne pas pouvoir avoir un dialogue normal avec lui, mais l’un des sourds, comme tout somnambule, lorsqu’il parle, associe quelque chose d’intelligible à la réponse de l’autre, très rarement, la plupart du temps en divaguant ou en disant des choses insensées. Dans son cas, il y a parfois des méditations tout à fait passionnantes sur divers thèmes et même des vers, probablement une « déformation professionnelle », lorsqu’il a été enlevé dans la rue à Iasi, à l’âge de 29 ans, il était assistant au département de philosophie de l’Université « Alexandru Ioan Cuza ». Maintenant, je caresse son visage comme une effigie romaine, avec des yeux verts et de beaux sourcils arqués, un nez droit et fort, un menton large et creux et des cheveux bouclés couleur chocolat.
Avoir un statut de cobaye est un événement malheureux qui affecte ma pensée et surtout mon écriture. Ce livre boite, le cri d’un prisonnier est étouffé, il rebondit plus à l’intérieur, et les vertèbres de l’écriture se profilent sur des barres sombres et déchiquetées de pensées effrayantes. Je ne suis pas un écrivain, bien au contraire, tous les grands événements de ma vie ont été des attentats à l’écriture. J’ai été simplement réduit au silence. La tendresse s’accompagne de terreur, la joie de désespoir, l’accomplissement de vide dur comme de la pierre. En appuyant sur les touches de mon ordinateur portable, je les sens vibrer de la musique ardente qui se déverse de moi, me vidant de tout ce qu’il y a de plus beau et de plus exaltant, des nids d’abeille qui ont enchevêtré mon moi dans une autre vie, dans une enfance et une adolescence chargées de l’ozone de l’espoir et du mirage du mystère au pied des plus hautes montagnes du monde. Je crains que parmi les « élites mondiales zombies », comme les appelait le père de Mircea, le journaliste Andrei Axinte de Suceava, se trouvent des dirigeants qui rêvent de transformer certains États indésirables en nations somnambules. J’ai lu un livre électronique en anglais signé par lui, dans lequel j’ai appris qu’il avait rencontré en 1990 l’un des plus importants dirigeants mondiaux, Zbigniew Brezinski, qui était en visite non-officielle dans l’ancien siège de la Moldavie : « Il n’a pas donné d’interviews, nous avons seulement réussi à échanger quelques répliques alors qu’il se trouvait au musée de Bucovine. Il passe rapidement devant les objets de la préhistoire de ces lieux, la culture Cucuteni, monsieur, aimez-vous les travestissements autobiographiques ? son visage apparemment détendu affiche cependant la tension d’un archétype d’action imminente, d’un harpon prêt à plonger dans la proie, il s’attarde quelques minutes de plus autour des objets du Moyen-Âge, certains d’entre eux semblent provenir de la fête des fous, les anciens croyaient que la vérité se définissait par la couleur rouge, quelque part une citation de Huizinga ? au-delà des plis frappants du visage, quelles vérités effrayantes un tel méga-personnage pourrait-il cacher ? e tutta notte par che m’accompagne. J’ai été impressionné par l’énergie du personnage et l’impression qu’il peut facilement faire plusieurs choses à la fois. À l’époque, je ne me rendais pas compte de l’importance de ce Napoléon de la politique de mondialisation pour le destin de notre planète ».
Je cueille quelques roses jaunes, je sais qu’elles ont un parfum plus intense que les blanches et les rouges, toute histoire d’amour est un totem dans lequel on garde sa vie et son âme, j’aime beaucoup ce garçon à la démarche impériale d’un cerf des Carpates, maintenant il me prend dans ses bras et me conduit dans la chambre à coucher en me jetant dans le lit recouvert d’une couverture rouge avec des carreaux blancs, je souffre énormément que nous ne puissions pas communiquer, il n’y a pas d’amour en l’absence de communication, j’ouvre lentement les pétales jaunes et les étale sur le lit, puis je me déshabille avec des mouvements lents, j’enlève mon chemisier et ma courte jupe écossaise, mes seins sont petits et rocailleux, je ne porte généralement pas de soutien-gorge, dans un univers infini il y a un nombre infini de copies de toi, toutes les histoires d’amour sont incomplètes et te laissent avec une peau profonde dans laquelle la vérité de ta vie intérieure est cachée, après tout, caresser peut aussi être une forme de communication, le toucher est notre premier sens archaïque, Mircea pénètre mon sexe et m’étourdit avec des mouvements rythmés, j’entends au loin les tambours indiens Yahgan, il ya des yeux qui nous observent par tous les pores de notre peau, mais probablement aussi ceux de nos surveillants, j’ai du mal à réprimer mon cri de plaisir, केहिसेकेन्डमामइम्प्लिसनबनाउनेछु (« dans quelques secondes, je vais imploser » – en népalais), j’ai peur qu’ils se rendent compte que je me suis réveillée, toutes mes copies font l’amour en ce moment, une tornade de corps enchaînés, un écrivain ne devrait pas apparaître dans son œuvre plus que Dieu dans la nature.
On ne peut nommer le silence d’une fleur, ni le vagin cosmique d’où est né le monde, ni le regard d’un pilote de Formule 1 sur une avalanche himalayenne, ni le plaisir de perdre des mots, ni la faim du loup d’un volcan en éruption, ni les balles tirées sur une poupée de pain d’épice, ni le désir désespéré d’une chanson de devenir humaine, ni la peur de vivre d’un mort-vivant, ni le cœur sauvage d’une tornade dans le jardin d’Eden, ni le bourdonnement d’abeille d’une virgule, ni le désir de plonger dans l’intérieur le plus sombre de toute chose, ni l’illusion de voir le monde pour la première fois pour réécrire le réel, ni la beauté profondément mathématique de la théorie des catastrophes, ni la progression géométrique de l’absence de liberté, ni l’abîme-vampire-des-yeux qui vole notre iris et notre mémoire, ni l’obligation pour le fœtus de zéro à neuf mois de porter un masque, ni la blancheur criblée de lettres du non-dit, ni le désespoir qui couve dans un nid de hibou, ni la solitude d’une cloche au fond de l’océan, ni la spirale noire des cartes astrales nées de la lumière, ni le sourire intérieur d’un terroriste qui noue un ruban rouge autour d’une bombe et la jette dans le métro, ni le livre d’un somnambule avec des lettres arrachées par le silence d’une fleur.
Un soir de décembre, j’entends sonner à la porte, fait inhabituel, je rends habituellement visite à mon ami. La silhouette d’un grand homme blond à l’allure de Viking se découpe sur le ciel étoilé et m’offre à l’improviste un bouquet de roses jaunes.
— Je m’appelle Olav Thorsen, je suis psychologue au Centre de recherche et j’aimerais beaucoup vous parler.
Je ne sais pas comment réagir et je deviens nerveuse, mes pommettes brûlent, les pupilles de mes yeux se dilatent, si je lui réponds de façon cohérente, il va se rendre compte que je ne suis plus en état de parasomnie. La peur me saisit, je ne sais pas quel sera mon sort, de toute façon je ne serai plus jamais libre.
— Les montagnes du Népal ont commencé à se suicider.
Le jeune homme aux yeux bleus et aux irisations indigo à côté de moi sourit et me fait un signe de tête complice, puis sort un appareil d’un sac en cuir, avec lequel il désactive rapidement le système d’enregistrement vidéo.
— N’ayez pas peur de moi, j’ai pu voir sur les enregistrements précédents que vous n’étiez plus somnambule, sachiez que je suis venu ici pour une raison personnelle, j’ai simplement besoin de toi…
— Rat de laboratoire pour une nouvelle expérience psychologique ?
— Non, n’y pensez même pas, j’ai pris le risque de venir ici parce que je suis tombé amoureux de toi.
— Et je suis censée tomber amoureuse de mon propre bourreau ? Tu sais probablement que j’ai un copain, en plus vous m’avez fait de moi une femme beaucoup plus compliquée et maladroite, je commence à avoir les expériences d’un animal sauvage qui s’auto-mutile lorsqu’il est privé de liberté. Je pense que pendant ces années, un être inconnu a grandi en moi, un fou des profondeurs, complètement différent de ce que j’étais avant et maintenant j’essaie de survivre en double copie. Ce n’est même pas juste que nous ayons toutes les deux le même nom, Alisha Rajvanshi. Pour m’aimer, il faut l’aimer aussi, même si je ne sais pas à quoi ressemble son âme et comment elle pense, je suis hanté par les mots et elle est probablement hantée par des anti-mots. Vous ne pouvez pas non plus savoir si cette créature nocturne m’influence en bien ou en mal, vous est-il déjà venu à l’esprit que vos expériences pouvaient donner naissance à des monstres ?
— Je ne suis qu’un boulon dans un engrenage conçu et fabriqué par des forces qui dépassent de loin notre imagination, je ne suis en aucun cas un bourreau, vous savez que je me sens aussi comme un prisonnier, même si, contrairement à vous, nous pouvons communiquer fréquemment avec nos proches, mais nous avons signé un accord de confidentialité et nous ne sommes pas autorisés à dire à qui que ce soit où nous sommes ou ce que nous faisons. Je n’ai pas beaucoup d’amis ici, seulement des collègues aussi stressés que moi, nous n’avons pas été autorisés à aller ailleurs depuis sept ans, je n’ai aimé personne, je ne pense même plus savoir comment embrasser une femme. Quant à ton ami Mircea Axinte, je suis content que tu ne l’aies pas appelé bien-aimé, nous savons tous les deux que l’amour se nourrit d’une communication totale.
— Je sais, c’est vrai que parfois j’avais l’impression de faire l’amour à une poupée gonflable, mais peut-être que notre inconscient communique bien.
Olav enlève sa veste bleue élégante et la pose sur le dossier de la chaise, puis sort de son sac une bouteille de whisky « Woodfood Reserve » et me demande d’apporter deux verres, nous trinquons et je commence à goûter avec grand plaisir la boisson triplement distillée au goût fin et complexe d’épices, de grains de café, de vanille et de traces de chêne fumé. Je regarde ses yeux enfoncés, son épaisse chevelure orangée à la lumière de la lampe du salon et surtout ses mains de musicien aux longs doigts avec plus de bienveillance, la pensée malicieuse qu’il me regarde des dizaines de fois faire l’amour avec Mircea sur le lit de pétales de roses jaunes me traverse l’esprit. C’est un homme nordique à l’allure rétro, dont les traits semblent tirés d’une vieille gravure d’Albrecht Dürer et qui respire la sécurité, la paix et le calme. Mais toute son apparence provoque un intense sentiment de connaissance, de prescience et de reconnaissance, et lorsqu’il tente de prendre ma main dans ses paumes, ma mémoire tactile se met en alerte, semblant reconnaître ses doux contacts, je suis fortement tourmentée par le sentiment que nous avons été très proches dans une autre vie.
— Tu sais que je ne vais pas répandre des pétales de roses jaunes sur le lit, mais pour mieux nous connaître, j’aimerais connaître ton histoire. Je pense qu’il vaut mieux que tu commences, j’ai peur qu’après avoir écouté le récit de ma vie, et ce sera probablement le cas la prochaine fois, tu n’as plus envie de me revoir. Le désir de dialoguer avec quelqu’un, après tant d’années de silence au niveau de la vie consciente, est très intense pour moi.