Larmes de sirènes - Jacqueline Aussel - E-Book

Larmes de sirènes E-Book

Jacqueline Aussel

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Beschreibung

Aurélien parcourt les routes du monde à la recherche de remèdes pour contrer la pollution et apaiser son cœur tourmenté par une femme qu’il a aimée passionnément. C’est avec Audrey, une amie, qu’il retrouvera un équilibre avant que sa vie ne bascule lorsqu’il devient la cible d’une vengeance implacable. À travers des personnages hauts en couleur, cette histoire nous entraîne dans un voyage où se mêlent réflexion sur la consommation et quête de sens.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Après le succès des "Hibiscus de la Fin Del Mundo", Jacqueline Aussel revient avec "Larmes de Sirènes". Sensible à la préservation de la nature et consciente des richesses de notre planète, elle puise son inspiration dans ses voyages passés. La sécheresse persistante des Pyrénées-Orientales, où elle réside, la touche profondément. Son livre est un appel vibrant au sauvetage de ce patrimoine exceptionnel.

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Jacqueline Aussel

Larmes de sirènes

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jacqueline Aussel

ISBN : 979-10-422-3570-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

Si on se bouge pas le cul maintenant, on va perdre cette planète.

Harrison Ford Festival de Cannes 2023

J’aime passionnément participer à l’œuvre de la vie en libérant et restituant le sens du terroir.

Eric Taillet, Viticulteur

Pêche en eaux troubles

Parti en mai d’Honolulu, en qualité d’homme d’équipage à bord de « l’Océan Voyage Institute », Aurélien avait contribué au nettoyage d’une zone du Pacifique nord remplie de filets de pêche fantômes et de débris plastiques toxiques en tout genre. Homme de conviction, il s’octroyait du temps pour aller en guerre contre la dégradation environnementale et apaiser ses angoisses écologiques.

Sans état d’âme, il s’éloignait de son port d’attache catalan du sud de la France, de sa culture et de son éducation en utilisant sa capacité d’adaptation pour sauvegarder les sources de vie. Vagabond occasionnel aux semelles de vent, ses mollets le démangeaient régulièrement.

Accomplir un acte magique gratuit en envahissant les grands chemins de la planète avec un appétit immodéré pour les déchets que les humains méprisaient, avec négligence mais générosité pour la nature, relevait, selon lui, du civisme pour le bien commun.

Dès que ses activités professionnelles le lui permettaient, comme un jeune loup aux canines effilées, il nettoyait avec ardeur les chemins terrestres et les voies maritimes.

L’air pur, l’eau limpide et la beauté de la nature étaient, pour Aurélien, les vraies richesses des peuples. Homo sapiens sophistiqué et évolué, il puisait son énergie et sa vocation dans son expérience de spéléologue aguerri. L’exploration des grottes, avens ou gouffres en tout genre, lui avait conféré cette sensibilité pure et réaliste des valeurs incommensurables du patrimoine durable.

Depuis son vingtième anniversaire, dès qu’il avait des vacances, il parcourait le globe terrestre pour participer à des actions salutaires pour tous les êtres vivants.

Au centre du Pacifique, sur le continent de plastique, avec des coéquipiers de nationalités différentes, ils avaient tiré et démêlé des filets de pêche perdus ou volontairement abandonnés. Piégés dans leurs mailles, les poissons et d’autres mammifères marins ne pouvaient plus remonter à la surface pour respirer finissant par mourir dans cette atroce agglomération de nasses compactes.

Les filets fantômes, difficiles à extraire des fonds de l’océan, sont de véritables engins de mort passifs car fabriqués à partir de fibres tissées dans une structure en forme de grille fine nouée. L’équipage de « l’Océan Voyage Institute » était doublement déterminé car ils continuent à capturer la faune marine pendant plusieurs décennies et polluent les plages du monde entier.

Ils avaient remonté à la surface de grandes quantités de poissons avariés des fonds obscurs. Le spectacle avait le goût de l’horreur. Leurs odeurs nauséabondes leur mettaient le cœur au bord des lèvres.

Ce véritable long calvaire aquatique transformait Aurélien en révolutionnaire rebelle. Au-delà des grandes étendues aquatiques dont le bruit relie à la vie, par espoir, il voulait trouver des solutions concrètes. Un choix réfléchi : la pollution, le dérèglement climatique étaient au centre de sa façon de vivre.

Se sentant en partie responsable de l’effondrement des mers, des océans et toute sorte de cours d’eau, lac, rivières et fleuves, il s’était engagé dans cette expédition « verte » car l’objectif était ambitieux. Lutter contre l’amoncellement de tonnes de plastique ou autres impuretés dans le Pacifique, l’avait convaincu de l’efficacité de cette opération de nettoyage en haute mer.

À l’issue d’un mois et demi de travail, ils récoltèrent cent tonnes de déchets accumulés dans une zone située entre Hawaï et la Californie : l’équivalent de trois fois la superficie de la France. Lorsque l’équipage revint à quai courant juin, une entreprise de l’industrie du recyclage prit le relais pour traiter les ordures ramassées et reconditionner les plastiques. Hélas, comme le réveil du Vésuve, d’autres conteneurs continueraient à choir des énormes navires de transport, d’autres bateaux de pêche et de plaisance indélicats, à alimenter nos fosses marines.

Sportif, d’un tempérament ardent et de haute taille, Aurélien était resté svelte et soignait son apparence. Son menton impérieux était dominé par une bouche aux lèvres pulpeuses et ourlées. Ses yeux outre-mer dardaient de leurs flammes sa curiosité insatiable du monde. Il posait un regard clair sur les êtres et les choses avec cette assurance née d’une vie riche en aventures. Souvent habillé de tenues sportswear, il rayonnait d’une force tranquille et rassurante. Le cœur enthousiaste, il s’investissait dans de nombreuses opérations écologiques afin que tout le plastique répandu dans le monde ne revienne pas dans nos assiettes et que l’on cesse d’avaler quelques grammes de nanoparticules tous les jours.

Durant une trentaine d’années, il avait exercé son activité professionnelle au sein d’une grande entreprise française aux tentacules internationaux dans le domaine de l’hôtellerie et de la restauration. Au fil de sa carrière, ce groupe, leader, lui avait confié plusieurs missions dans des territoires ultramarins et certains pays étrangers où le tourisme était un facteur de développement. Il s’était enrichi de ces expériences parfois difficiles. Au gré de ses missions, il avait vécu dans la culture des grands espaces maritimes riches en biodiversité en explorant de merveilleux spots délicieusement sculptés par la flore et la faune. C’est pourquoi la vision de la pollution lui arrachait des cris d’indignation douloureux car cette barbarie, cette brume sournoise et alarmante, s’abattait sur notre civilisation. Il ne supportait pas les fracas de la tempête qui profanaient notre environnement.

Il comparait cette dégradation écologique à une horde de loups, qui, en contournant les pièges, nous dépècerait, sans coup férir. Ces loups raseraient notre cher patrimoine comme une guerre nucléaire pourrait le faire en rendant opaque le destin de l’humanité tout entière.

On ouvrait grand la porte aux pesticides tout en franchissant les mois et les décennies sans les combattre efficacement.

Pour récupérer de l’oxygène bienfaisant, Aurélien ne se contentait pas d’allumer des cierges. Il apprenait à décimer les monstres prédateurs.

Depuis cinq ans, après sa partie de carrière en tant qu’expatrié salarié, Aurélien avait mis ses compétences et ses capacités de travail dans la création d’une entreprise de conseil en développement dont il avait fixé le siège social à Toulouse dans le sud-ouest de la France. Cette région géostratégique, créatrice de valeurs, était naturellement attractive. Atout supplémentaire, elle le rapprochait de son pays, sa terre natale, la Catalogne Nord.

Un hub logistique déployé entre Barcelone, Montpellier et Toulouse combinait des filières d’excellence avec des viviers professionnels utiles à ses activités. Devenu un chef d’entreprise émérite, Aurélien avait choisi de se rattacher à cette spirale dynamique pour flécher vers le succès et la réussite. Boosté par l’aéronautique toulousaine et le tourisme sur le littoral méditerranéen, sa réputation avait tissé un réseau et fidélisé quelques grandes entreprises qui recouraient à sa notoriété.

Récemment, il avait complété l’objet de sa société par des recommandations de gestion en ressources humaines. Il s’était associé avec Linette, rencontrée sur les bancs de l’amphithéâtre de la faculté de Droit de Toulouse lorsqu’il avait préparé une licence en Droit social en parallèle à son diplôme de l’École Supérieure de Commerce.

Bourdonnante, comme une abeille, Linette, femme remarquable, le relayait autant de fois que nécessaire en complétant ses dossiers par de solides conseils. Elle était le sel et la terre de leur association dans la ville des violettes.

Leur bonne réputation s’était répandue au gré des carrières de leurs anciens copains de faculté. Leurs personnalités méditerranéennes s’étaient adaptées au contexte laborieux de chefs d’entreprises. Ambitieux avec des exigences perfectionnistes, leurs objectifs étaient toujours atteints.

Quinquagénaire, Aurélien continuait à être étonné par les différents faisceaux de sa vie. Après avoir fait un tri dans ses désirs et être rassuré par la prospérité de son entreprise, il consacrait, à présent, son temps libre, c’est-à-dire, les loisirs qu’il s’octroyait, à la recherche de solutions efficaces pour dépolluer le globe terrestre.

Sauver la planète peut être scintillant et glamour, mais surtout utile. Ainsi, lorsque le contexte le permettait, il sortait les pieds de ses étriers et prenait de larges récréations s’étalant sur plusieurs semaines pour veiller sur les écosystèmes et, disait-il, « aller pêcher en eau trouble ».

Il invitait ses amis à sortir de leurs salons, à aller se promener dans les rues, à la campagne ou au bord de la mer avec un seul but : contribuer à purifier leur environnement. Dans ce club de motivés, ils ramassaient tous les morceaux de plastiques, de ferraille, les masques sanitaires et plus généralement les déchets humains. Ils s’étaient décerné le prix de la « conscience atmosphérique naturelle ».

Saint-Pierre-et-Miquelon

Après l’expédition de Honolulu, une autre mission était prévue dans l’Atlantique nord au mois d’août. Son activité professionnelle s’étant mise en veille à cause de la pandémie de « covid-19 », Aurélien saisit l’opportunité de cet équivalent d’une année sabbatique. Entre ces deux actions vertes, il alla retrouver une amie basque installée dans l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Pur-sang nourri par ses origines, Audrey, vive et extravagante, était une force de la nature. Belle brune séduisante, ses yeux noirs jetaient tant de feux et de flammes qu’ils brillaient d’un très grand éclat. Ses dents, dont une incisive était sertie d’un diamant, ornaient sa bouche rieuse et pulpeuse. Une voix de caramel fondant et de belles paroles traduisaient avec bon sens, son état d’esprit et ses idées joyeuses.

Son sourire était la clé qui ouvrait les cœurs avec précaution sans faire de bruit.

Avec des allures de ruban, elle hantait toutes les semaines la discothèque de Saint-Pierre où elle entraîna Aurélien faisant de lui le plus agile des danseurs. Légèrement cambrée, sans affectation, elle déployait sa taille superbe au milieu de ses amis.

Aurélien n’aurait su dire pourquoi, mais, à chaque fois, son esprit était en fête lorsqu’il voyait le reflet de son caractère dans ses pas de danse. Il nourrissait une tendresse naturelle à l’égard d’Audrey complétée par une sensualité qui entrait en lui comme un coup de tramontane. Indicible volupté de la chair, complice de ses désirs, il aimait étreindre son corps et la serrer tout contre lui. Elle dégageait une mystérieuse attraction sexuelle à laquelle il succombait en planant au-dessus des grâces de son corps.

Dans l’intimité de l’alcôve, il l’enlaçait très fort. Tout en écoutant ses soupirs de bien-être, son cœur chavirait. Il se rassasiait de ses paroles qui apaisaient sa respiration.

— Ce n’est pas un rêve, disait-elle, mais la réalité. Lorsque je te vois, je sens des papillons sur tout mon corps. C’est si doux ! Aujourd’hui, je ramasse ce bonheur qui tombe à mes pieds. Il faut toujours suivre les papillons n’est-ce pas ?

— Presse-moi contre ta poitrine, répondait-il. Regarde, c’est moi, Audrey, enivré par tes caresses, je bois à la coupe de tes lèvres le meilleur des champagnes du monde.

Ils demeuraient ainsi l’un contre l’autre jusqu’à ce qu’ils s’endorment en ronronnant. Ce n’est qu’au réveil ils reprenaient conscience de leurs sens liés l’un à l’autre dans une même peau.

C’était une véritable aubaine de continuer à vivre loin des contraintes affichées en métropole en raison de la pandémie létale qui chamboulait les codes des différents modes de vie. Ce virus mondial n’avait pas encore contaminé les Saint-Pierrais et les Miquelonnais car les rares passagers ayant atterri sur le tarmac de l’archipel étaient immédiatement mis en septaine afin de protéger la population de ce « pangolin avarié » comme aimaient en plaisanter les habitants.

Au bras de son amie, il découvrit le climat vivifiant de l’île, les randonnées pédestres et équestres dans une nature sauvage et variée.

Au mois d’août, Aurélien voulut prolonger son séjour pour accompagner Audrey qui devait se rendre, le temps de ses vacances, dans sa maison de Miquelon. Pour profiter de la brume estivale, il fit appel au fils d’un d’ami, Baptiste, étudiant dans le Connecticut, afin de le remplacer sur « l’Océan Voyage Institute ». Ce jeune et brillant universitaire fut ravi d’échapper quelques jours au campus de Yale et à ses études sur les connaissances en Lettres et Sciences humaines. Depuis son arrivée aux États-Unis, il dévorait le peu de temps laissé libre par ses travaux d’étudiant en explorant New-York ou le Nord de la côte Est. La « covid-19 » avait totalement restreint son champ d’action et les déambulations quotidiennes limitées au campus devenaient insupportables.

L’opportunité de dépolluer les fonds marins de l’Atlantique au large du Canada l’enthousiasma car les valeurs portées par la mission s’inscrivaient dans un cadre de survie de sa génération et celles à venir.

Aurélien fut reconnaissant à Baptiste pour sa réponse positive qui le dégagea de son engagement. Par ailleurs, étant donné que l’épidémie avait ralenti son activité de conseil en développement à Toulouse, il avait transféré à Linette, son associée, le maintien de toute la gestion du Cabinet. C’est accompagnée par une équipe de Chargés d’études, diplômés en Droit social, qu’elle prodigua ses conseils aux entreprises préoccupées par la signature d’accords avec le personnel en télétravail. Spécialistes et experts dans le domaine des Ressources humaines, la présence d’Aurélien n’était donc pas indispensable.

Durant tout l’été Aurélien fut escorté par le rire clair d’Audrey. Dans la joie, il découvrit la valeur du temps et de la liberté sur l’archipel.

La dernière semaine de juillet, ils quittèrent Saint-Pierre, enjambèrent l’isthme de l’Anglade, et laissèrent Miquelon leur offrir un régal de nature authentique durant tout le mois d’août.

Audrey avait pris le meilleur des deux mondes : le Pays basque français, origines de sa famille, et l’Amérique du Nord. Terriblement charmeuse, il aimait ses paroles qui faisaient s’envoler Aurélien dans les airs d’un bonheur frais et un tantinet juvénile. Une moue mutine allongeait ses lèvres dessinant un sourire permanent témoin de son charme et de son état d’esprit romanesque.

Dans sa maison en bois peint de Miquelon où on aime « bien manger », elle l’avait accueilli avec une simplicité naturelle. Il était devenu un inconditionnel du crabe des neiges et du saumon sauvage dont le goût n’avait aucune similitude à celui acheté en métropole.

Les enfants d’Audrey jouaient dehors, allaient et venaient en toute tranquillité sans risques de se perdre car tout le monde se connaît sur l’île. Aurélien fut si bien enveloppé par la solidarité des habitants qu’il mit entre parenthèses le réchauffement climatique. Cependant, les Miquelonnais échangeaient en permanence sur la menace de l’élévation du niveau de l’océan dont il faudrait qu’ils se protègent à cause de la hausse des températures et surtout celle du trait de côte. A court terme, le spectre d’une relocalisation des habitations les tourmentait.

De retour à Saint-Pierre, au début de l’automne, il prolongea son séjour au milieu de la faune variée et de la diversité végétale de l’archipel car il n’y avait pas d’urgence à rejoindre la métropole. Aurélien vécut de longs moments de sérénité entre dépressions atlantiques, poussées d’air froid de l’Antarctique ou les masses d’air d’origine maritime plus douces.

Sa vie s’égrenait loin du tumulte, de l’agitation et de la fébrilité du monde. Son cœur battait au rythme des espaces naturels préservés par ses habitants. C’était un réel enchantement d’aller à la magique rencontre d’un cerf de Virginie, d’un gros lièvre ou d’observer des insectes et des criquets dans les tourbières. Il aimait regarder s’envoler une bernache et la multitude d’oiseaux marins migrateurs. Accrochés à l’océan atlantique, ils le faisaient frissonner de béatitude.

Le froid du Labrador l’exaltait, le poudrin de glace givrait son âme et le Gulf Stream la réchauffait.

Les rapports amicaux, l’esprit d’équipe, éclos lors de son intégration en tant que remplaçant dans l’équipe de hockey sur glace des « Cougards », avaient mis en exergue les valeurs humaines des Saint-Pierrais.

Aurélien s’était attaché à ce territoire ultramarin au fil des relations nouées avec ses habitants chaleureux à l’âme française viscéralement gravée dans leurs gênes de Basques, de Normands, de Bretons ou d’Acadiens.

Sa liaison amoureuse avec Audrey se nourrissait de tendresse, de respect et d’heures chaleureuses émaillées d’œillades complices soutenues par une gestuelle évocatrice de leur bonheur. Leurs journées humaient la fraîcheur de l’océan et peignaient, d’une manière touchante, leurs émotions sentimentales. De ce poétique bonheur naissait la richesse de la simplicité d’une relation affectueuse. Aurélien se délectait de ses paroles, de sa voix et de son accent saint-pierrais prononcé qui la rendait encore plus craquante.

Ils étaient solidaires dans leurs loisirs. Ensemble, ils participèrent à la pêche au cabillaud « monnaie de Terre neuve », ponctuée par de vrais moments d’échange et de partage avec des pêcheurs. À bord d’un chaland à fond plat, ils récoltèrent des coquilles Saint-Jacques dans les eaux littorales riches en plancton. Les noix de Saint-Jacques étaient belles et dotées d’un corail abondant. Les habitants avaient coutume de les nommer « caviar de Saint-Jacques ». Suivant les recommandations de son ami Christophe, un chef étoilé de métropole, Audrey les cuisina crues ou cuites avec une application suave.

Pour Aurélien, cette phase de vie n’était pas qu’une éclipse. mais elle allait se conjuguer à l’imparfait tout en imprimant sa mémoire de souvenirs indéfectibles. Il n’eut pas le temps d’attendre le printemps pour expérimenter la pêche du homard ou du crabe des neiges à bord d’un cabrier ; une embarcation typique de l’Archipel spécialement équipée pour capturer les crustacés des mers froides.

Brutalement, le vingt décembre deux mille vingt, une mauvaise nouvelle tomba en provenance de sa Catalogne natale. Aurélien apprit que son père avait succombé, après quinze jours de réanimation à l’hôpital de Perpignan, aux conséquences du terrible virus « covid-19 ». Sa mère, l’esprit bouleversé par cette épreuve, le somma d’un ton sec et peu complaisant de prendre ses dispositions pour rentrer, sans délai, rendre un dernier hommage à son père.

— Étreinte mortelle du « covid-19 », songea-t-il, abasourdi par la violence de l’annonce du décès de son père.

Malgré les discordances grotesques entre lui et ses parents depuis de nombreuses années, sa mère attendait son retour pour qu’ils intercèdent, ensemble, auprès du seigneur, le repos éternel de son père. Il obtempéra et prépara son itinéraire de retour tout en protégeant son cœur fécondé par cet archipel de l’Atlantique niché dans l’immense golfe du bassin versant du Saint-Laurent.

Aurélien reçut cette nouvelle et les ordres de sa mère, comme si une poutrelle d’acier lui traversait l’abdomen. Le visage christique, il succomba à l’acceptation de la réalité en affichant une langueur mélancolique. Le regard empli par le spleen des paysages, il regrettait déjà son mode de vie. Une grande tristesse l’envahit car il songeait à Audrey, avec un sentiment d’affection exacerbé par son prochain départ.

C’était comme si une surdose de ses rêves jetait, à l’aide d’un porte-pinceau, un voile abstrait sur les six mois vécus à Saint-Pierre-et-Miquelon et les transformait en souvenirs radieux. Sur sa tête, le ciel lumineux s’assombrissait. L’ombre de la mort, avec sa couleur de taie d’oreiller sale, obscurcissait sa vie. L’heure était grave, un épais brouillard chagrinait son humeur.

Malgré les promesses d’un retour, « dès que possible » les larmes, ces gouttes d’humeur liquide salées, affichèrent la douleur de la séparation sur le visage amoureux d’Audrey.

Aurélien, muet, sous l’emprise des événements familiaux contraignants, baissait la tête en songeant à la contradiction de la situation. Le blizzard s’abattait sur leur complicité et révélait leur attachement mutuel. Aurélien aurait voulu pouvoir retrancher son cœur de son corps car cet organe soudain malade allait le priver d’Audrey comme une pénitence.

Lorsque le vol d’Air Saint-Pierre à destination de Montréal procéda à l’embarquement des passagers, il serra les mains d’Audrey de plus en plus fort. Une dernière étreinte lui permit de glisser le double de la clé de la maison dans sa poche ainsi qu’un poème, écrit dans un beau style qu’il avait pris soin d’envelopper sur un papier soyeux.

« Très chère Audrey,

Tu as été mon été en plein hiver,

De toi, délicieuse femme,

Il suffit d’un sourire,

Pour qu’un désir ardent m’enflamme.

Un pareil bonheur est-il pour mon cœur ?

Je repars avec ta tendresse suave,

Sous l’étreinte de ta gaieté et de ton allégresse.

Tu es pour moi l’œil du firmament

Dans le ciel Saint-Pierrais.

Compagne exceptionnelle, je te dis merci.

À l’horizon luit un espoir d’aurore et de sagesse,

Celui de retrouver ma meilleure des guides ».

Audrey se pelotonna intimement contre Aurélien et lui murmura des mots d’amour dans le cou.

— Ces derniers six mois ont été le gage d’un espace de vie partagé dans mon pays. Ne les oublie pas ou je dirais plutôt, ne m’oublie pas Aurélien. Les tiens ont besoin de toi et désormais une grande distance va nous séparer mais tu resteras dans mes pensées au quotidien avec l’espoir un peu irraisonné de te revoir vite.

— Tu as été la grâce d’une paix intérieure jamais égalée jusqu’à présent dans ma vie. Je n’aurais de cesse de retrouver à tes côtés le bien-être que tu m’as offert, Audrey. Ton sourire, ton corps, tes paroles douces et lénifiantes sont gravés en moi, lui répondit-il spontanément.

Leurs yeux se cherchèrent, leurs étreintes fortes pétrirent une assise indéracinable à leurs six mois de complicité. Dans leurs âmes luisait l’horizon d’une nouvelle rencontre. Ils pactisaient, sans un mot, la gorge serrée. La tendresse avait crû davantage chaque jour. Aurélien s’unissait à la nature assoiffée d’Audrey pour toutes les joies de la vie. Ils étaient en harmonie malgré les éléments matériels qui allaient les séparer et les milliers de kilomètres inamovibles qu’ils auraient à gérer dans quelques heures.

Ensemble, ils avaient érigé un lieu de délices sur la terre sauvage mais hospitalière de l’archipel aux côtes échancrées. Une union de deux cœurs et un mariage d’affinités avaient électrisé momentanément la flamme de leurs vies comme une alchimie de leurs cultures hétéroclites mais ô combien française dans ses racines.

Aurélien, avec son allure vive naturelle, sortit sur le tarmac de l’aéroport de Saint-Pierre Pointe blanche. Avec solennité, il retourna sa fine silhouette et dédia à Audrey un sourire sincère et un dernier regard envoûtant. Il grimpa sur la passerelle, fit face à Audrey, les bras en croix, comme les ailes déployées d’un oiseau majestueux bienveillant.

Après un ultime clignement des yeux exagéré, il accéda à bord de l’ATR qui le déposerait à l’aéroport Pierre-Louis Trudeau de Montréal. Le vrai retour s’amorcerait dans l’avion à destination de la capitale française puis de la Catalogne Nord. Il allait avoir du temps pour absorber la transition brutale et se préparer au deuil.

Indication géographique protégée

Sur les contreforts des Pyrénées-Orientales, le mois de janvier avait été froid, sans trop de vent, mais beaucoup de pluie. Puis, l’hiver s’était poursuivi avec, en alternance, des journées remplies de douceur et des épisodes maritimes rendant la mer d’humeur colérique. À deux reprises, des nuages de sable orange arrivés du désert algérien touchèrent de plein fouet le département. De forts pics de pollution, dus à ces poussières désertiques, dépassèrent les seuils d’alerte sur le littoral comme en montagne.

L’inhalation des particules en suspension dans l’air provoqua irritations et problèmes respiratoires. Dans certains cas, ces difficultés respiratoires rajoutaient une souffrance supplémentaire aux personnes contaminées par l’affreux « covid-19 ». Rapidement, des précipitations orageuses mirent fin à ces phases toxiques et lessivèrent le paysage de cet hiver très perturbé.

L’aube, saluée par le cri des mouettes et des goélands, dégageait un air pur pour accueillir les belles journées de février. De longs frémissements lumineux caressaient le paysage après avoir essuyé le brouillard qui le noyait en ces vaporeuses journées d’hiver.

En fin de matinée, un joli soleil, dans sa ouate d’or, réchauffa le dos d’Aurélien. Il se mit à crapahuter à pas lents sur une ravine au milieu des vignes. Il regardait l’horizon plus longuement que d’habitude et détaillait les flancs acérés et déchiquetés des Pyrénées plongeant sur des vallons fiers de porter des centaines de pieds de vigne. Il suivait des yeux chaque cep accroché sur la pente inclinée avec excès vers la Méditerranée.

Il se régalait de la vue imprenable sur les vagues qui dansaient, en contrebas, dans la baie de Paulilles. Magnifique rencontre entre la montagne et la mer dont la diffraction des ondes de la lumière faisait chalouper le paysage : « Privilège et fierté des Catalans » songeait-il.

Sur des rangées en terrasse où se mêlaient pierres, schistes, herbes et rocailles, tous les travaux de la culture de la vigne demandaient des soins et une maîtrise parfaite des méthodes viticoles caractéristiques de cette région du Roussillon.

Aurélien s’était levé à l’aurore comme tous les jours depuis son retour au pays. Équipé d’un sécateur électrique, il parcourait la courte distance entre le mas familial et le vignoble, vêtu d’un chandail déformé, coiffé d’un bonnet éculé et d’une écharpe nouée autour du cou. Malgré cet accoutrement, il avait une certaine prestance lorsqu’il relevait sa grande taille pour reprendre son souffle et soulager ses articulations mises à rude épreuve par la gestuelle imprimée par la taille de la vigne.

L’air marin donnait une teinte bleu ciel à ses yeux avec un éclat de jeunesse rappelant l’enfant qui avait arpenté cet espace maintes fois en parlant aux nuages, aux pierres et bien sûr à la mer. Une ride légère entre les deux sourcils évoquait l’idée d’un oiseau en apesanteur sur le paysage. Clignant des yeux, les lèvres pincées par son application, il taillait avec méthode les vieux ceps de sa vigne du cap Béar : rangées après rangées. Les sarments pleuraient. Emmitouflés de leurs duvets cotonneux, les bourgeons larmoyaient. Aurélien entassait des fagots de manière rationnelle afin de rendre leur enlèvement plus pratique.

À onze heures, les dents déchiquetées des Pyrénées ondoyaient sous la lumière franche de l’hiver. Immergé dans ses occupations, Aurélien en oubliait le brouillard de son âme et le souvenir pénible de la fin funeste de son père dont les obsèques furent imposées par les contraintes sanitaires dues à la pandémie. C’est tout juste si l’on put attendre son retour pour procéder à une crémation à Canet-en-Roussillon. La cérémonie du culte ne fut pas conventionnelle comme l’avait demandé sa mère. Elle se déroula dans la simplicité et en comité restreint. Ils furent seuls devant le cercueil en carton. L’urne dans laquelle reposait désormais le corps consumé de l’Espagnol Paco fut déposée dans le jardin des souvenirs où une collection trop importante avait été générée par la pandémie.