Le clos des rêves - Aliénor d'Arbois - E-Book

Le clos des rêves E-Book

Aliénor d'Arbois

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Beschreibung

"Le Clos des Rêves" est une résidence senior ultramoderne perchée sur une falaise de la côte Atlantique. À sa retraite, Elvira décide d’y emménager, ignorant que des Intelligences Artificielles dirigent l’établissement. Elle hésite entre satisfaction et méfiance, cherchant à s’adapter à ce nouvel environnement. Des décès et des accidents étranges surviennent ; inquiète de ces événements, Elvira enquête. Entre soupçons réels, fausses pistes, mystères d’I.A. et secrets humains, elle est déterminée à démasquer ceux qui se cachent derrière cette technologie...

À PROPOS DE L'AUTRICE

Pour Aliénor d’Arbois, écrire un livre c’est offrir un voyage aux lecteurs. Passionnée par les voyages et les relations humaines, elle propose, dans ce premier roman teinté d’humour et de suspense, une réflexion profonde et concrète sur nos futures interactions avec l’Intelligence Artificielle.

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Aliénor d’Arbois

Le Clos des Rêves

Roman

© Lys Bleu Éditions – Aliénor d’Arbois

ISBN : 979-10-422-2156-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Claude et Jean-Luc pour leur soutien.

Chapitre 1

Vous n’êtes jamais trop vieux pour vous fixer un autre but ou pour rêver un nouveau rêve.

Aristote

Du 1er au 23 juin

« Le Clos des Rêves »

Résidence senior

Appartements avec vue sur mer

(Du T2 au T4)

Lovée dans un transat dernier cri qui ressemblait à un gros nuage blanc moelleux, Elvira relisait le prospectus d’appel pour la vente des appartements de la résidence ; et pour la énième fois, elle butait sur la faute de frappe du prénom de la directrice adjointe, AurIAne.

Elle soupira et déposa le papier sur la table harmonieusement assortie au transat. Au moins, le promoteur n’avait pas menti sur un point « avec vue sur mer ». La Résidence était construite sur une falaise de quatre-vingts mètres de hauteur qui surplombait la baie de Douarnenez, offrant une vue splendide sur le petit port de Morgat et sa plage de sable blanc en forme de demi-lune.

Pour son premier jour au Clos des Rêves, le soleil était au rendez-vous. Un miroir argenté étincelant s’étalait devant le regard bleuté d’Elvira. Elle cligna des yeux. L’étendue de mercure oscillait légèrement sous la brise de ce début juin. À peine quelques risées. Au loin, la ligne d’horizon grise se confondait avec l’étendue d’eau.

« Voilà ! » pensa-t-elle en accompagnant ses pensées d’un autre gros soupir. C’était fait, elle avait vendu son petit chez elle pour un nouveau « chez les autres ».

Elle se réconforta en pensant que bien d’autres avant elle étaient aussi venus se perdre dans ces maisons où l’on regroupe les humains quand ils ne sont plus utiles à la société. Elle sourit. Le temps était loin où ces maisons pour retraités ressemblaient à des hôpitaux. Et de peinture en climatiseur, de terrasse en piscine, de salle de télévision en amphithéâtre, de plateau-repas en restaurant collectif… les maisons de retraite étaient devenues des Résidences Seniors colorées comme des bonbons acidulés, au confort dernier cri pour qui pouvait aligner quelques euros.

Les dernières heures avaient été stressantes et fatigantes, elle se sentait lasse et vieille. Elle laissa vagabonder son esprit. Les dernières semaines, les derniers mois, les dernières années se mirent à défiler à rebours…

Bureau d’accueil, trois heures de route, nuit chez son amie Annie, saut dans l’inconnu, vente de sa maison, prospectus chez la boulangère, discussion avec Annie, jardinage, lectures, sports, voyages, retraite, boulot, boulot, boulot… L’horloge du temps s’accéléra. Le temps avait galopé, sautant parfois des étapes sans lui laisser le temps de savourer l’instant présent. Elle en aurait du temps maintenant pour savourer l’instant présent. Fini l’action…

Une douce sonnerie originaire d’un autre continent interrompit son voyage dans le temps. Elvira se retourna. Dans la pénombre, elle vit la porte de l’appartement s’ouvrir sans le moindre bruit, sur une jeune femme brune au carré impeccable, habillée d’une combinaison lavande. Elle esquissa un mouvement pour se lever, mais ne le termina pas.

« Madame Elvira, je me présente, Sonia, votre cheffe d’étage, accompagnatrice de vie, soutien à votre confort journalier. Le Clos des Rêves se joint à moi pour vous souhaiter la bienvenue dans votre nouveau chez vous. Demain à 18 h, dans votre amphithéâtre, “L’Eden”, notre Directeur, Aymar de Cassandra vous présentera, sa 1re adjointe, AurIAne et l’ensemble du personnel. En attendant ce grand moment communautaire, vous avez le temps de découvrir les coins, les recoins de votre nouvel espace de vie, Le Clos des Rêves n’aura plus aucun secret pour vous. Très belle journée. À demain, Madame Elvira. » Et la porte se referma comme elle s’était ouverte, sans bruit, sans émotion, sans chaleur, sans qu’Elvira puisse glisser un tout petit mot. Elle grimaça.

Les consignes de Sonia ne devaient pas prévoir d’attendre une quelconque réaction des résidents.

Elvira reprit sa position initiale face à la mer.

« Aucun secret. Le Clos des Rêves n’aura plus aucun secret pour moi. Ça, c’était une certitude. » Elvira sourit. Les secrets, elle en connaissait tellement qu’ils n’avaient plus de secrets pour elle. Elle cligna à nouveau des yeux et, cette fois, laissa ses paupières closes.

Dès le lendemain matin, 8 h 30, Elvira arpentait les couloirs de la Résidence à la découverte de ses secrets.

La Résidence était un palais de verre et de végétation luxuriante. Impossible de regarder dans une direction sans rencontrer une fleur, une plante, un arbre. Patios intérieurs, jardinières, jardin botanique surplombant la mer… Tout avait été conçu pour rendre la vie au Clos des Rêves agréable et naturelle. En fin de matinée, Elvira, satisfaite de son inspection, pensait maîtriser son nouvel environnement, déçue, malgré tout, de ne pas avoir, à ce stade, découvert le moindre secret. Tout lui paraissait clair, propre, transparent, bien organisé, même les bruits étaient aseptisés. Aucune porte ne s’ouvrait sans un glissement qu’elle qualifiait de suave. Les pas du personnel étaient feutrés et leurs voix semblaient bloquées sur le même niveau de décibels.

Rêveuse, le regard dirigé vers le ciel bleu surplombant le puits de lumière de la salle de lecture, Elvira pensait que rien sur une planète où vivaient des humains ne pouvait être aussi net. Le secret devait donc être là, tapi derrière les couleurs pastel, derrière la douceur des bruits, la propreté excessive, l’ordre apparent.

D’allure sportive, buste droit et pas assurés, avec ses 1m77, Elvira ne faisait pas ses 65 ans. Elle inspirait confiance et sérénité. Jeune retraitée de l’état, elle aspirait, en apparence, à la tranquillité. Après des années de bons et loyaux services à sillonner le monde, elle avait cru que la lecture, un peu de sport et une ou deux amies lui suffiraient… or, 14 mois plus tard, un peu d’action ne lui aurait pas déplu.

C’était donc un peu déçue qu’elle venait de terminer sa découverte du Clos des Rêves.

« Souhaitez-vous mon aide ? Je m’appelle Léna.

— Votre aide ! Pourquoi donc pensez-vous que j’ai besoin d’aide ?

— Les nouveaux arrivants sont parfois perdus. Et vous venez d’arriver, donc…

— Oui, oui, bien sûr. »

Elvira réalisa que son ton avait peut-être heurté la jeune employée qui ne demandait qu’à bien faire. Léna était une brunette, menue, au nez retroussé et aux yeux noisette. Elvira la trouva sympathique et regretta sa réaction un peu vive.

« Excusez-moi, je rêvais. Merci, je n’ai pas besoin d’aide.

— Je peux vous accompagner au restaurant si vous le souhaitez ?

— Au restaurant ? Il est déjà midi, s’étonna Elvira.

— Oui, vous voulez que je vous guide à “Oh ! Saveurs”.

— Aux saveurs ?

— Non, “Ohhh ! Oh ! Saveurs” c’est le nom de votre restaurant.

— Ah, oui, ça y est je me souviens, j’ai lu ce nom quelque part en effet. Je ne suis allée que jusqu’à la porte, c’était encore fermé. »

Et sans vraiment réaliser, Elvira emboîta le pas à Léna.

« Puis-je vous poser une question… Léna ?

— Je suis là pour vous aider, je vous écoute.

— Eh bien, j’ai constaté en me promenant ce matin qu’il n’y avait nulle part de bureaux, comment dire, administratifs !

— Un secrétariat en somme, comme on disait… autrefo… Non, il n’y en a pas. »

Elvira nota que Léna s’était retenue de terminer le mot autrefois. Elle sourit et pensa : « Ah ! Ces jeunes ! Mon Dieu, suis-je donc si vieille ? »

« Mais alors…

— Nous sommes connectés ! Vous verrez, ce soir, vous comprendrez mieux. En attendant, regardez, (elle sortit une tablette de la sacoche qu’elle portait en bandoulière). Voici notre tablette, grâce à elle, chaque personnel peut consulter les dossiers administratifs des résidents et, ceux de la vie de la résidence : dossier animations, dossier alimentation : menus, horaires, etc. Inutile d’avoir un bureau pour ça !

— En effet, en effet… murmura Elvira en oscillant de la tête de haut en bas. Et c’est aussi comme cela que vous m’avez trouvée ? » La question avait surgi de la bouche d’Elvira avant même qu’elle n’en soit consciente. Une sorte de réaction instinctive.

« Tout à fait. Nous avons un système infrarouge de contrôle de mouvements. Très succinct au demeurant. Dès qu’une personne reste trop longtemps immobile, que ce soit à l’horizontale ou à la verticale, hors de son appartement cela s’entend, le personnel le plus proche est prévenu. Nous savons même avant d’arriver si la température du corps est normale ou anormale !

— Dieu du ciel ! Mais c’est impressionnant ! » Elvira savait jouer les naïves quand cela était nécessaire. Inutile d’alerter Léna en lui montrant qu’elle en savait, elle aussi, beaucoup sur les nouvelles technologies, mais cette discussion ne la rassura pas. Une petite lumière apparut et les mots « nouvelles technologies », telle une pancarte publicitaire dans une avenue de Las Vegas, se mirent à clignoter.

Quelques couloirs plus loin, les deux femmes se présentaient devant une porte vitrée, opaque, au style Art déco. « Oh ! Saveurs » était écrit en lettres noires sur la porte qui s’ouvrit avec le même glissement suave que toutes les portes de la Résidence.

Elvira se souviendrait longtemps de cette première impression. Elle en resta bouche bée. En quelques fractions de seconde, elle se vit entrer dans le restaurant d’un hôtel de standing. Ambiance feutrée. Couleurs chatoyantes, mais non agressives. Mobilier contemporain. Les tables étaient toutes séparées par des claustras végétales. Chacun pouvait donc manger en toute intimité.

La suite, Elvira le vécut comme un rêve doucereux, une sorte de léthargie. Le déjeuner se révéla excellent et elle ne fut dérangée par personne à l’exception de la serveuse qui s’enquérait à intervalles réguliers de son appétit. Salade de crudités et mangue, lasagnes de veau et crème brûlée saveur fruit de la passion enchantèrent le fin palais d’Elvira.

Quand elle retourna dans son appartement vers 13 h, Elvira eut l’impression de revenir sur terre. Elle se laissa choir sur son transat et repensa au voyage qu’elle venait de faire. L’après-midi s’écoula entre coups d’œil sur la baie et réflexions…

« Que pouvait cacher tant de perfection ! » La suspicion d’Elvira était légendaire et, source de moquerie tant au travail que dans sa vie privée. Même la brave Annie, son amie depuis cinquante ans, le lui répétait, « Allons Elvi, ce n’est qu’une erreur, il n’y a pas de mal ! », « Allons, Elvi, tout le monde peut se tromper ! »… Mais Elvira n’avait confiance en personne et voyait en une partie de l’espèce humaine un ramassis d’hypocrites toujours prêt à rouler l’autre partie.

Le soleil couchant jetait ses derniers rayons sur la baie de Douarnenez quand Elvira prit le chemin de l’amphithéâtre.

Difficile d’oublier cette première réunion ; elle avait déjà reçu deux appels par visio sur une des deux tablettes qui équipaient l’appartement.

« Bip, bip, bip » l’écran s’allumait et, une voix demandait d’appuyer sur le bouton rouge « Appuyer » qui encombrait plus de la moitié de l’écran. « Merci d’avoir appuyé. Dans trente minutes, notre Directeur et son équipe vous attendent à L’Eden ». Puis le deuxième message : « Merci de vous rendre à L’Eden, nous vous attendons. Dans quinze minutes, notre… et blablabla. »

Le bandeau publicitaire « nouvelles technologies » brillait de plus belle en lettres de feu dans l’esprit d’Elvira.

Encore des fauteuils moelleux, pensa Elvira en s’asseyant. Ceux-ci étaient de couleur framboise. Elle agrippa les accoudoirs à la recherche d’un bouton pour faire basculer le dossier. Le modernisme n’avait pas équipé les fauteuils de L’Eden. De prime abord légèrement contrariée, elle secoua la tête… satisfaite : « Enfin, une imperfection ! Les fauteuils de la salle de spectacle ne s’inclinaient pas. » Tout était si parfait depuis son arrivée, qu’elle se méfiait. Elle craignait que le vernis ne se craquelle et que la poudre aux yeux s’envole. Tout neuf, tout beau, mais ensuite…

Des voix étouffées lui firent lever la tête. Attroupé devant la porte principale, le personnel attendait. Soudain, les murmures se turent et les employés s’écartèrent.

Un homme, certains diraient un colosse, se détacha du groupe. Costume gris perle, cheveux noirs coupés courts, teint doré comme un petit pain au lait, sourire aux dents blanches, Aymar de Cassandra, jeune quadragénaire, faisait son entrée devant la première promotion de Résidents du Clos des Rêves. 32 propriétaires qui avaient déboursé des milliers d’euros pour lui confier la gestion de leur vie quotidienne.

Elvira recula dans son fauteuil. « Dommage ! » pensa-t-elle. Son petit renard n’avait pas frétillé de la queue. C’est ainsi qu’elle qualifiait son intuition. Celle qui habitait quelque part autour du nombril et qui glougloutait quand elle avait peur, celle qui lui glaçait les tripes quand elle se sentait en danger, celle qui prenait feu quand c’était le bon moment. Aymar de Cassandra, à son grand regret, n’avait pas mis le feu. Il lui fit même une mauvaise impression. Et Elvira n’avait jamais été trahie par sa première impression. Elle classa Aymar de Cassandra dans le Club des Suffisants.

Aymar de Cassandra, le Suffisant, prit la parole :

« Mesdames, messieurs, c’est avec un plaisir indéfinissable que je suis devant vous aujourd’hui accompagné de toute mon équipe. Une équipe qui se veut votre famille adoptive. Une équipe qui n’a qu’un seul travail quotidien à accomplir, vous rendre heureux ! »

Aymar le Suffisant leva les deux bras comme un candidat dans un meeting électoral. « S’attendait-il à des applaudissements ? » s’interrogea Elvira. Quelques résidents le comprirent comme cela et quelques claquements de mains retentirent.

« Je vous en prie, merci, merci… merci. Moi-même je suis là pour rendre votre séjour aussi plaisant que possible… »

Elvira s’arrêta sur le mot « séjour » comme on s’arrête dans une gare pour quelques minutes en attendant le changement de locomotive. Le mot « séjour » l’attrista. Ici, les résidents n’étaient pas en vacances. Le Clos des Rêves serait sûrement leur dernier lieu de résidence sur terre. Ce séjour avait commencé, mais personne ne savait quand il finirait. Aucun d’entre eux n’avait réservé pour quelques jours ou quelques semaines. Ils avaient tous investi dans un séjour haut de gamme en achetant un appartement dernier cri. Tous espéraient en profiter le plus longtemps possible. Lui seul là-haut savait la durée de ce séjour. Elvira avait fait ce choix pour être tranquille. Une sorte de pied à terre entre deux voyages. Elle adorait voyager. Elle avait parfois risqué sa vie, mais la vie avait repris son rythme… pour la mener aujourd’hui au Clos des Rêves.

« Je vous demande donc de faire un accueil chaleureux à ma 1re adjointe… Au-rI-Ane. »

Ramenée à la réalité terrestre par les applaudissements, Elvira retrouva L’Eden soudain plus animé. « Qu’avait donc pu raconter cet Aymar le Suffisant pour chauffer la salle ? »

Elle suivit du regard la direction que montrait le bras tendu du directeur. Un rideau de lourd velours bordeaux s’écarta sur le côté de la scène. Une porte en bois foncé apparut. Elle glissa sans bruit. Seuls deux points bleus étaient faiblement perceptibles dans le rectangle noir laissé par la porte ouverte.

« Chère AurIAne à vous. »

Les points bleus semblèrent s’agrandirent et, toujours sans le moindre bruit, une jeune femme guindée, à la démarche saccadée, tout de blanc vêtue se découpa progressivement sur le fond sombre.

Elvira eut l’impression de s’enfoncer un peu plus dans son fauteuil. Elle n’en croyait pas ses yeux et encore moins ses oreilles.

« AurIAne est votre dame de compagnie, votre confidente, votre comptable, votre aide médicale, votre psychologue… »

Elvira avait l’impression qu’Aymar le Suffisant lisait le prospectus d’appel. « C’était donc ça le truc ! » Elvira sourit jaune. Elle avait été bluffée. « Elle aussi ! », crut-elle bon d’ajouter in petto. La première fois qu’elle avait lu le prospectus, les services offerts lui étaient apparus nombreux et variés, mais pragmatique, elle avait aussitôt pensé, « Combien ? ». Après avoir reçu le devis, elle avait estimé que l’ensemble était d’un rapport qualité/prix acceptable et elle avait pris sa décision. Sauf qu’aujourd’hui, elle découvrait que tous les services proposés pour son confort ne dépendaient que d’une seule et même personne ! Elle se reprit aussitôt. Non, pas question de céder à l’enthousiasme collectif, AurIAne n’était pas une personne, c’était un robot, un ro-bot. Une Intelligence Artificielle, une I.A. On ne bluffait pas Elvira. La technique, elle connaissait, oh, oui, elle savait ce qu’était une I.A. Et elle repensa au pauvre imprimeur qu’elle avait copieusement incendié en son for intérieur à chaque lecture du prospectus. Il n’y avait aucune faute d’impression, juste une mise en exergue d’un point de détail. Aucun humain n’écrivait (enfin, pas encore) son prénom en mixant lettres majuscules et minuscules.

« Je vais donc vous présenter de manière plus précise toutes les compétences d’AurIAne. Sachez d’ores et déjà que ce soir après le dîner, Jules (Aymar le Suffisant pointa de la main un jeune homme au style capillaire ébouriffé) vous présentera, ici même, à L’Eden, le rôle de l’Intelligence Artificielle dans notre société. Revenons à notre belle et élégante AurIAne. À la fin de cette présentation, je vous demanderai, tous, sans exception, de vous présenter au petit bureau à droite en sortant de L’Eden. Marthe (Aymar le Suffisant désigna cette fois une petite bonne femme ronde au sourire juvénile) et Elise (la main glissa vers une jeune fille aussi longiligne que sa collègue était replète. À croire que la DRH1 le faisait exprès d’associer professionnellement des physiques aussi opposés, s’indigna Elvira) pour faire enregistrer votre voix (Aymar le Suffisant accentua lourdement ces cinq derniers mots). En effet, AurIAne est programmée pour reconnaître chacun d’entre vous au son de sa voix, à condition qu’elle l’ait enregistrée. Une fois cette démarche effectuée, un simple bonjour suffira à AurIAne pour vous appeler par votre prénom, ou par votre nom précédé de la dénomination qui vous convient, madame, monsieur, mademoiselle ou autre. Elle pourra aussi vous appeler, par le sobriquet, le diminutif qui vous fera plaisir ! Vous êtes maître du choix.

Dans votre appartement se trouve deux tablettes, toutes deux connectées à AurIAne… (Elvira nota le silence volontaire qui suivit la phrase. Aymar le Suffisant tenait à son petit effet avant d’annoncer…) grâce à ces deux tablettes, vous pouvez contacter AurIAne à toute heure de la journée et… de la nuit !

Grâce à l’enregistrement de référence, votre AurIAne pourra détecter dans les vibrations de votre voix tout changement : peur, stress, joie, colère… Vous avez toute l’oreille d’AurIAne, elle saura ainsi quoi faire pour vous aider, surtout… la nu-it ! (Elvira nota que pour la 2e fois, Aymar le Suffisant avait appuyé sur ce mot. Un mot qui, il est vrai, devait faire peur aux résidents ici présents. La nuit tout est possible. Et la plus grande peur des personnes dites âgées est de se retrouver seules face à un drame en pleine nuit. “Seules. En clair, seules face à la mort, la nuit, seules dans la nuit noire !” pensa d’une manière réaliste et sans état d’âme Elvira). Ainsi en fonction de l’alerte que vous aurez déclenchée, de l’aide que vous aurez demandée, AurIAne choisira d’être votre Dame de compagnie pour une petite discussion bienveillante et relaxante ; votre Aide Médicale pour une consultation préventive, AurIAne et son équipe, nous en reparlerons, sont équipés de la dernière technologie de tensiomètres et de prise de pouls ; elle est aussi connectée à la caserne des pompiers ; votre Psychologue pour vous aider à surmonter vos angoisses et vos peines. Si AurIAne estime ne plus être en mesure de vous aider, elle transmettra votre entretien par un canal sécurisé à notre psychologue référent qui exerce en ville. Et si votre demande est plus administrative, soyez bienveillants, gardez ces demandes pour la journée, AurIAne vous donnera accès à votre dossier administratif et à votre comptabilité.

Enfin, sachez que toutes ces données sont bien évidemment, to-ta-le-ment confidentielles et protégées par un système sé-cu-ri-sé inviolable ! »

« Tu parles, grogna Elvira, totalement sécurisé, inviolable, protégé, confidentiel. “RRRIEN !” n’est totalement sécurisé, inviolable, protégé, confidentiel, regrogna Elvira très en colère après elle-même. Elle se sentait piégée. Elle qui avait toujours fait très attention à sa vie privée et à respecter les règles strictes de son métier en matière de secrets. Elle était piégée comme un poisson. Mais pour le moment, seulement accrochée à l’hameçon, pas encore ferrée. Elle n’avait pas encore avalé l’hameçon. Elle essayait comme elle pouvait de se rassurer. Mais chassez le naturel et il revient au galop… Une question gicla. “Que faisaient-ils de toutes ces données collectées ?” Elle espérait qu’AurIAne n’était pas le seul lieu de stockage de toutes ces données ultraconfidentielles.

« Avant de laisser la parole à AurIAne, je voudrais vous présenter ses assistants ! »

Quatre robots, d’environ 1 m 50, entièrement blancs, une tête ovoïde à l’horizontale, deux grands yeux bleus aux paupières mobiles, un écran noir, pour l’instant, sur la partie qui faisait office de buste, et un grand rectangle blanc pour le reste du corps glissèrent en douceur depuis la porte ouverte et s’alignèrent sur scène à côté d’Aymar de Cassandra et d’AurIAne.

« Tout d’abord Freeze2 ! » Le robot glissa jusqu’au bord de la scène, ses beaux yeux bleu marine clignotèrent et il oscilla de la tête.

« Je m’appelle Freeze, je suis là pour vous servir. »

« Freeze est l’assistant d’AurIAne, votre sophrologue et dame de compagnie. Il peut vous servir des boissons chaudes ou froides, et, peut vous lire n’importe quel magazine, livre ou journal. Il est connecté à un serveur de médias nationaux et internationaux. Ici… (Joignant le geste à la parole, Aymar ouvrit d’une pression de l’index une trappe sur le côté et en sortit…) un casque Bluetooth ! Vous pourrez donc écouter votre choix littéraire, en étant installé dans n’importe quel endroit de la Résidence et, ceci, sans déranger les autres résidents.

Maintenant, voici… Daktari3 ! »

Un deuxième robot s’avança sur le bord de la scène.

« Je m’appelle Daktari et je suis là pour vous servir. »

« Daktari est l’assistant d’AurIAne, votre aide-soignante. Daktari est équipé de stéthoscope, tensiomètre et d’un scanner de base pour des diagnostics de premières urgences, petits bobos ! » Aymar sourit en clignant de l’œil. Continuons si vous le voulez bien… Voici Mönch4 ! Prononcez Meunch. »

« Je m’appelle Mönch et je suis là pour vous servir. »

« Ah ah ! Mönch. Vous allez être impressionnés… Mönch a été programmé pour vous aider spirituellement. Il connaît la Bible, la Torah, le Coran, les textes bouddhistes, hindouistes… Il pourra vous faire entendre les plus grands discours, sermons, interviews, du Pape, du Dalaï-Lama, du Patriarche grec et j’en passe. Vous pourrez vous recueillir soit où vous le souhaitez, soit dans la salle de prière située près de la salle de lecture, vous saurez bientôt très exactement comment vous y rendre… » Aymar s’arrêta, tout sourire, il devait voir les visages admiratifs, et surpris de son auditoire.

« Mais ce n’est pas tout… Oooh ! Non. Pas tout. Vous pouvez aussi choisir les chants ou musiques religieuses qui vous conviennent ! »

Les applaudissements fusèrent cette fois.

Aymar fit la révérence, le sourire toujours figé sur les lèvres.

« Enfin… merci, merci… » Les applaudissements se prolongeaient. « Enfin, notre dernière I.A., Gina. »

« Bonjour, je m’appelle Gina et je suis à votre service. »

« Gina est votre diététicienne, nutritionniste, cuisinière moderne, prête à vous offrir les plats les plus délicats… et surtout les plus sains. Gina sera présente tous les jours à l’entrée de notre restaurant “Oh ! Saveurs”. Bien sûr, vous pouvez aussi entrer en contact avec elle bien avant chaque repas grâce à vos tablettes individuelles.

Gina compose vos plats en fonction de vos goûts ou croyances, mais, très important… en fonction de vos ordonnances médicales qui sont enregistrées par notre bureau médical, sur décision de vos médecins donc, dans son programme. Je vous donne un exemple. Si vous devez suivre un régime sans sel, vos plats seront composés suivant cette décision médicale, mais aussi suivant vos goûts. Il vous suffira de préciser à Gina que vous voulez manger, par exemple un plat à base de viande et elle vous proposera un menu adapté à ces deux critères. Si vous êtes végan, il vous suffit de dire à Gina que vous souhaitez manger végan aux goûts méditerranéens et Gina transmettra la recette des plats à notre équipe de cuisiniers. N’hésitez pas, végétariens, végétaliens, amateurs de cuisine exotique, asiatique, mexicaine… N’hésitez pas, nous pensons avoir donné à Gina toutes les données qui permettront de vous satisfaire. Bien sûr, vous êtes tout à fait libres de profiter de vos cuisines aménagées dernier cri. Avec vos tablettes vous pourrez contacter Gina et suivre ses consignes pour réaliser librement vos recettes depuis chez vous.

D’autres assistants viendront bientôt rejoindre Daktari, Mönch et Gina. Ils prendront, tout comme nous, soin de notre petite Communauté. »

Aymar le Suffisant continuait à étaler le miel de son discours, se délectant de ses paroles. Il avait un avantage sur Elvira, il voyait de face son auditoire, il voyait leurs yeux. Il savait que son auditoire était tout ouïe et adhérait.

Elvira se retourna, regarda à droite, à gauche, à la recherche d’un regard, un seul regard salvateur. Un regard qui comme le sien clignotait « Danger ! Danger ! Ma vie privée m’échappe avalée par des robots en jupette ou à la tête ovale. »

Il faisait trop sombre et certains résidents enfoncés dans leur fauteuil ne semblaient pas très attentifs. Ils avaient déjà abdiqué le jour où ils avaient reçu les clés de leur nouveau « chez les autres ». Un seul visage retint son attention, sans doute parce que lui aussi semblait chercher quelqu’un ou quelque chose. Une bouille ronde et rose, un duvet capillaire qui avait dû être autrefois blond et deux petits yeux bleu acier qui s’agitaient. L’homme croisa son regard et lui sourit. Malgré son air avenant et juvénile, Elvira ne le classa pas dans la catégorie des soutiens potentiels. Son petit renard sûrement. Elle ne lui offrit en retour qu’un timide sourire.

Aymar le Suffisant et AurIAne avaient maintenant la main mise sur leur vie.

Et, sans plus attendre, d’une voix suave, AurIAne prit la parole à son tour. Son visage de jeune femme d’une trentaine d’années bougeait aussi naturellement que celui d’une humaine. Son sourire étirait ses maxillaires, ses yeux s’arrondissaient et se plissaient au rythme de ses propos, son visage s’exprimait au rythme de ses paroles. Un peu rigide peut-être, mais pas plus qu’un visage trop botoxé. Elle avait des cheveux auburn et était habillée d’une robe blanche en dentelle anglaise. Les parties visibles de son corps, mains, visage et jambes, semblaient trop blanches sous les projecteurs de la scène, mais rien qui ne soient « inhumains ». Elle inspirait confiance et bienveillance. Et dans un mouvement de tendresse excessive, elle finit son discours en inclinant la tête sur la gauche et en ramenant ses mains sur son cœur. Elvira crut entendre un léger « oh ! » admiratif tout près d’elle. Elle ne le renia pas. Cette robote était bluffante.

Des « Bravo ! » emplirent l’amphithéâtre et les applaudissements éclatèrent.

Face aux minuscules points lumineux qui scintillaient tout autour de la baie de Douarnenez, Elvira faisait le point sur ces deux derniers jours. Elle frémit. Elle avait peur de faire un constat négatif et de se lancer dans une spirale de regrets. Tout ça pour une robote ! Oui, tout ça pour une robote et ses assistants ! Elle souffla sur sa tasse de verveine. Annie, sa très chère amie, avait tenu à lui faire cadeau des dernières feuilles de verveine citronnée de sa récolte personnelle. Elle lui téléphonerait. Elle en discuterait avec elle.

Son passé professionnel lui pesait encore parfois. Elle l’avait greffé dans la chair et ses pores réagissaient encore instinctivement. Trente années de services ne disparaissaient pas d’un coup de baguette magique. Son expérience et son instinct lui disaient de se méfier.

Elle était connectée comme leur avait dit Aymar de Cassandra, mais cela ne la rassurait pas du tout.

Elle jeta un dernier coup d’œil à la baie, les lumières s’éteignaient progressivement, elle alla se coucher.

Les premières semaines s’écoulèrent tranquillement, chacun essayant à son rythme de trouver ses marques. Pour certains, « être connectés » était un dur apprentissage et ils capitulèrent en donnant toute latitude à AurIAne et ses assistants robots et humains.

Pour d’autres comme Elvira, une forme de résistance s’installa. Toujours aussi méfiante, elle continuait à éviter autant que faire se peut AurIAne et, refusait toujours catégoriquement que l’administration de la Résidence gère ses dossiers administratifs, impôts, banque, santé…