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Plongez dans les méandres de la quête de soi avec "Le Coussin maltais", un roman aussi piquant qu’émouvant. Une Française en quête de renouveau décide de s’offrir une aventure avec un charmant Maltais plus jeune qu’elle. Mais cette escapade ne lui apporte pas le réconfort escompté. Au contraire, elle se retrouve plongée dans une profonde réflexion sur Malte – sa culture et ses habitants – sur la nature de sa relation avec cet homme et sur le sens même de son existence. Une histoire aussi drôle que poignante qui vous emportera dans un tourbillon d’émotions et de questionnements.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Sophrologue et globe-trotteuse, l’écriture a offert à
Patricia Abigaïl Mingaud des moments de répit où elle pouvait se ressourcer et affronter les défis de la vie avec plus de sérénité. "Le Coussin maltais" est le fruit d’aventures rocambolesques agrémentées d’épisodes cocasses, vus à travers le prisme de sa fantaisie. C’est cette expérience qui l’a encouragée à partager son histoire, dans l’espoir d’en ressortir plus forte, portée par le rire.
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Patricia Abigaïl Mingaud
Le coussin maltais
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patricia Abigaïl Mingaud
ISBN : 979-10-422-3088-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Joey, à Malte, pour en rire
Je m’assois sur un guéridon passé, louche sur sa brioche avachie, cernes hépatiques jaunis de trop d’horreurs entendues, dans son regard, la hâte de la retraite, ne plus être la poubelle de pathos qui lui assurent son gagne-pain en déversant leurs malheurs, et par conséquent, me voir déguerpir au plus tôt, il est bientôt midi, il gargouille déjà.
Le docteur Marcel Bordelle m’a congédiée au bout de cinq séances, estimant que mon cas ne relevait pas de la psychanalyse ni de la psychiatrie à deux balles, pourtant j’aurais expecté (franglais) qu’il développât (wouah) une fine analyse sur mon mal de mère, mais il m’a conseillé d’écrire, donc me revoilà. Et ce livre n’est pas la énième version d’une Bridget Jones ménopausée sexagénaire, voire légèrement parkinsonienne sur le clavier, et merci d’avoir déjà supporté une page, je promets d’essayer de vous garder éveillé(es) sauf la nuit, et heureux (idem) jusqu’au point final, qui peut-être vous aura enchanté(es) quand même, je reste optimiste sur mes chances de devenir une grande auteure.
« J’ai fait 1748 kilomètres pour être culbutée dans une chambre d’hôtel par un beau Maltais plus jeune que moi. Je n’ai rien à espérer de cette relation, elle ne peut être qu’une vague amitié et encore très vague. Il a eu ce qu’il voulait, et sans doute moi aussi puisque je n’ai pas cessé de penser à lui pendant deux mois, ou alors c’est parce que je n’avais rien d’autre à penser. Il n’y a pas d’avenir, c’est juste un moment partagé. Ce que j’en tire une demi-heure après son départ, c’est une vague (encore) tristesse que ce soit déjà fini, pas de mauvais sentiment vis-à-vis de lui, il a tenu son rôle de mec et j’ai mis un terme à mon célibat, même si je ne suis plus habituée à des galipettes.
Je crois qu’il a compris la valeur de mon acte, même s’il s’en moque maintenant et a rejoint sa copine, le menton et profil bas puisqu’il l’a trahie. Comme dirait ma sœur : “tous des roublards” ! Et je l’ai laissé mener son affaire, pensant qu’au point où on en était, ça n’avait plus aucun sens de lutter. Quel a été son rôle dans tout ça ? Me remettre sur les rails d’une féminité mal vécue, m’aider à reprendre confiance en moi, j’entends bien le Bordelle me susurrer ses théories toutes faites et ses phrases.
Je sais que même si on ne se revoit pas avant mon départ, je pourrai toujours revenir à Malte et le voir comme un ami et un pote. Et c’est ce qui compte le plus à mes yeux, pas le créneau qu’on a passé ensemble et un échange de corps à corps empoté. Je suis devenue distante de tout ce jeu et regardais assez froidement ses attitudes de conquistador, analysant ce qu’il faisait pour arriver à ses fins d’un œil perplexe. En sachant à quel moment il fallait que j’arrête. Juste pour garder un bon contact, et pour lui un bon souvenir et pas d’une touriste névrosée en mal de mâle. C’est un exercice sur ma capacité à ne plus être esclave de mes relations masculines. Si j’en sors indemne et sans souffrance, j’ai gagné.
Je n’ai sans doute pas plus de valeur à son regard que le palmier qu’il a coupé dans son jardin. Il dit que parfois on doit être cruel. Et il ne s’en privera pas avec moi car il a mis l’accent sur le fait de penser à soi et qu’on n’a qu’une vie. Sans doute me rendra-t-il service en étant assez dur pour ne pas me donner de nouvelles. Je pourrai ainsi être en rage contre lui, juste pour qu’il me déçoive et que je puisse continuer ma route sans rien en attendre. J’ai pleuré un peu. Juste naturellement pour évacuer la tristesse de l’abandon qui n’en est pas un, d’avoir perdu un homme que je n’ai jamais eu sauf en rêve, de savoir que je ne l’aurai jamais et c’est peut être tant mieux, vu son aisance à contrer toutes les résistances d’une femme. Je voudrais continuer ces trois jours en essayant d’en profiter même si le temps est pourri, même si je sens que peut-être mon expérience maltaise s’arrête là. C’est aussi peut-être ce qui m’afflige, sentir que je n’ai plus de raison de revenir, que déjà Malte est derrière moi et que d’autres histoires m’attendent. Moins engagées, plus souples et moins douloureuses.
Et j’ai oublié d’écrire qu’au bas mot, cette expédition me coûte environ quatre cents euros, c’est cher pour une partie de jambes en l’air ratée, même avec un athlète. Il a usé de ses tactiques pour me faire croire qu’il allait partir, remettre son tee-shirt et ses tennis, il doit en avoir acquis une solide expérience car tout ça semblait bien rodé. Il pleut sur Malte et dans mon cœur, je pleure encore et je le savais, on ne partage pas un corps comme un steak, encore que ce dernier peut remplir l’estomac et donner de l’énergie alors que l’échange amoureux ne fait qu’en prendre. Dois-je penser que je ne suis définitivement pas encline à l’intimité ? Je ne crois pas mais sur un temps top chrono, loin de chez moi, sans aucun avenir ni sécurité affective, c’était impossible d’avance.
Je ne suis et ne serai jamais un animal, encore que je leur confère des vertus et valeurs familiales que nous n’avons plus. Je n’étais pas préparée à ce chaos émotionnel, ce qui me montre bien que la passion n’est pas le cœur. Je voudrais être chez moi, dans ma douceur, près de mes amis et en rire comme une gamine rapporte ses derniers flirts. Mais il faut que j’attende encore trois jours sous la pluie pour rentrer. Ici, je ne retrouve pas mes marques, j’ai arpenté le front de mer d’un côté comme de l’autre, rien n’est pareil. Les bars qui faisaient la gaieté du mois d’août sont fermés, la mer houleuse et sombre, les parapluies ont remplacé les shorts bronzés.
Et je suis seule, cette fois, je ressens bien cette solitude qui remplit le vide d’une journée, surtout en terre étrangère. Ce n’est plus la liberté joyeuse que j’ai goûtée en été mais l’amère déception d’être là sans y être à ma place. Tandis que les Maltais vivent un dimanche paisible, et je pense encore à lui qui dit aimer sa partenaire, je me morfonds dans 15 mètres carrés pour y avoir, dans un lit, confié mon être fragile à un presque inconnu. J’en prends l’entière responsabilité, depuis le coussin placé gentiment sous mes fesses, c’était un signe avant-coureur de ce qu’il devait m’y faire quelque temps plus tard. »
Version humoristique et auto-dérision :
« J’ai fait 1748 kilomètres, payé quatre cents euros pour une culbute empêtrée dans un lit de quatre-vingt-dix centimètres de large entre des appels de sa nana, la femme de chambre et son balai, – à son intrusion, il s’est écrié “Jesus” version anglaise et s’est caché derrière la porte de la salle de bain –, et la bouledogue patronne de l’hôtel qui ne voulait pas le laisser entrer dans le hall. Il a fallu qu’ils parlementent dans leur langue originelle – et je me demande ce qu’il lui a fait croire qu’il visitait sa lointaine cousine française dépressive ? – pour qu’elle accepte de se retirer dans sa cuisine, l’œil méfiant et la mine hargneuse. À part ça, j’ai remarqué qu’il se rasait le torse et curieusement, c’était mon unique préoccupation, pourquoi certains êtres humains veulent rester imberbes ? Il a failli m’étouffer en mettant sa main devant ma bouche, pensant que j’allais exprimer la joie de sa présence, bref, à un moment j’ai bien senti que je manquais d’air en haut et d’espace en bas. Il me disait “enjoy it”, moi, je n’avais qu’une hâte, c’était qu’il retourne à son chalutier.
Finalement, on ne s’est pas bien compris et on a eu l’air bêtes tous les deux, en lui tournant le dos, j’ai réalisé qu’il devait reluquer mon postérieur fripé. Bref, je n’ai pas arrêté de stresser alors que son but était de me procurer du bonheur. Quand il s’est rhabillé, il n’arrêtait pas d’enlever des cheveux imaginaires sur ses épaules et se brosser, ça doit être un tic ou un toc, il devait trembler que sa nana l’inspecte au retour de son affaire. Pour finir, il m’a dit au revoir en me gratifiant d’une claque sur les fesses. Notre histoire a commencé à cet endroit avec un coussin, elle se terminera là aussi. Décidément, Malte aura été le siège de mon derrière.
Au moins aurais-je retrouvé mes faibles repères de l’été, le quartier de l’hôtel, la guide essayant de vendre ses forfaits aux touristes anglais plutôt rares. Au moins aurais-je revu la mer, deux fois cette année, quel cadeau ! Mais tout a changé, l’air de Malte est soudain chargé d’embruns, d’orage et de violence, comme si l’île revendiquait son identité en chassant les égarés par ses intempéries.
Il y a aujourd’hui froideur, et tout ce qui m’a charmée en août, même ma liberté me repousse aujourd’hui. Comme si je n’étais pas bienvenue. La mer hostile, la tenancière de l’hôtel agressive, Michèle Lisa devenue un fantôme de l’été errant à la recherche de son gagne-pain, Joey qui ne prend même plus la peine de terminer ses phrases par ses douceurs maltaises : “Mwa”, expression que je n’ai jamais comprise mais qui supputait bien des tendresses. Je ne suis plus son “love”, mais juste une conquête de plus qu’il ne lui est plus nécessaire de négocier par des phrases tendres et alléchantes. Je négocie quant à moi mon départ dans la dignité et je fais front à la mer mauvaise, à sa froide courtoisie, et à mes sentiments de faiblesse et de déception, avec le plus de bienveillance possible pour qui je suis, une femme généreuse dans ses attachements aux autres et qui en assume tous les actes, jusqu’à la plus petite peine ressentie, jusqu’à la douce larme qui perle à mes yeux, jusqu’au plus tendre tressaillement de mon être pour la vie. Aucun remerciement de sa part sur ce qu’on a partagé, aucune mention du cadeau que je lui ai offert, peut-être a-t-il déjà fini dans une poubelle publique avec les bribes de ma photo déchirée par une main plus experte à séduire qu’à accepter la bienveillance d’une étrangère. Il est résolu, froid, et tout juste courtois, il assure le minimum jusqu’à mon départ.
Je me sens fatiguée, lasse de ce mois d’octobre, mais il fallait que j’aille au bout de cette histoire pour voir ce qu’il va en naître. Comme d’un accouchement difficile. Je ne serai plus la même, c’est dans la douleur que la chenille se mue en papillon, que l’enfant vient à la vie, et que mon changement s’opère. Pour le moment, je ne suis ni chenille ni papillon, juste une serpillière trempée. Je ne sais pas si je vais me forcer à le revoir sur son bateau une dernière fois. Rester sur mon ressenti présent depuis hier m’aide à me retrouver et à prendre de la distance sur l’évènement et l’homme. Retourner à Sliema et le revoir dans son habit et sa fierté de capitaine risque de me ramener à mes sentiments, à l’été, au coussin, à tout ce que j’ai eu de tendresse pour cette rencontre. S’il faut être dure comme il l’est avec moi, pourquoi lui faire l’offrande de ma dernière visite ? »
Abigaïl y réfléchit devant un plat de pâtes aux crustacés qu’elle déteste d’habitude en espérant ne pas développer un œdème de Quincke à la fin du repas. Elle pense à la femme de Joey, c’est elle qui gagne, les trahisons de son homme le ramènent, amour égal à culpabilité, mélange de culture arabe, latine, avec un zeste de détachement à la britannique. Elle a la main mise sur lui, comme l’île dans son étau d’écrins aux lagons bleutés sur ses habitants, même lorsqu’ils veulent lui être infidèles, la mer les ramène aux rochers de leur naissance comme des épaves asservies.
Elle le revoit invoquer Dieu en courant derrière la porte de la salle de bain quand la femme de chambre a brandi ses ustensiles pendant que lui cachait les siens. Si la bible prétend que là où le péché abonde, la grâce abonde, il doit en être bien pétri pour réclamer l’intervention divine pendant ses frasques. Ou alors leur éducation catholique les frustre au point de les rendre ensuite complètement débridés. Quand elle l’a appelé sur son portable, il a répondu posément à sa moitié sans perdre le fil de la situation. Décor planté : un homme qui trompe sa femme, une tenancière qui le guette dans le couloir, une femme de ménage qui surgit au mauvais moment. Il ne manquait que le placard, un vaudeville façon maltaise qui aurait pu les faire s’esclaffer tous ensemble. Elle aimerait être comme lui : « take it easy ». S’en sortir avec un regard amusé et une pichenette sur l’épaule : « ciao, mon pote, on s’est bien marré ». Mais c’est faux, même avec auto-dérision, elle n’arrive pas à considérer cette expérience comme une bonne blague banale et désopilante à s’en taper sur le ventre. Elle comprend que certains hommes ne peuvent se sentir complets que lorsqu’ils ont donné d’eux-mêmes.
Elle le déteste de l’avoir séduite sur ce bateau, enrobée de miel et de paroles doucereuses pendant deux mois, contrainte à lui prêter son être pour ne pas le mettre en colère, ni lui avoir fait perdre un précieux temps dédié à ses muscles et son couple. Elle doit avoir le regard plus noir qu’un corbeau égaré sur cette île houleuse. Il ne faut pas l’approcher aujourd’hui, elle mord. Tempête sur la Méditerranée, celle du cœur et l’esprit bien plus véhémente, elle renie des hommes de sa génération et ce qu’ils ont de bestiale cruauté pour être nés avec un service trois-pièces qui leur confère le droit à la tyrannie et à toutes les complaisances. Mensonges et trahisons pourraient s’appeler sa banale histoire maltaise, mais elle doit être universelle parmi la race des mâles élevés dans le culte du pénis et de sa souveraineté. Elle va encore passer une journée de vieille retraitée à l’anglaise. Marcher et digérer la situation, avaler quelque chose, entendre les discussions insipides des Britanniques dans l’hôtel devant leurs jeux de société, sirotant thés et bières.
Les Maltais sont complètement centrés sur leur famille, leur île ; comme tous les insulaires, ils supportent les étrangers pour ce qu’ils leur rapportent mais il ne faut jamais s’imaginer entrer dans leur vie, protégée par des forteresses érigées contre toutes les invasions, même celles des sentiments. Et elle l’a bien compris avec lui. Chevalier au grand cœur qui prête le minimum de son temps, intimité et courtoisie, en pensant sans doute qu’il fait du bien à quelqu’un quand la poignée de main est bien passée. Car c’est ainsi que l’histoire a débuté, un coussin, un contact de deux paumes. Simple, déroutante. Abigaïl vivait de façon assez indigente l’après-divorce depuis cinq ans, et comme nulle perspective alléchante ne se présentait en été, elle avait décidé d’y pourvoir en prenant l’avion, ce qui l’aide à déconnecter du caractère geignard français. Annonce : Malte pas cher, allons-y, le choix de l’hôtel s’est fait selon les moyens. Sauf qu’à l’arrivée, des rats couraient dans le caniveau, le couloir était spongieux, et la terrasse servait des petits déjeuners baignant dans l’huile, en bref tout était légèrement foireux mais la mer omniprésente. Ce qui avait relevé le niveau de l’accueil et de son humeur.
Second jour dédié à la découverte des lieux et une guide racolait les nouveaux arrivants déconcertés par la chaleur et le manque de sommeil, leur proposant un tour d’autocar. La voilà confortablement assise en haut et la tête à l’air, entourée de langues différentes, enjouée. Le front de mer arbore des couleurs limpides au ton cristallin topaze et turquoise, une merveille invitant aux bains langoureux. Malte vit à tous les rythmes, le jour les mines fatiguées et allures lasses, traînant packs d’eau dans les ruelles, cherchent l’ombre et les souvenirs, abritées par des architectures sculptées. San Julian, la foule se presse aux abords des arrêts de car, les bateaux se plient aux douces ondulations des vaguelettes et du vent, le port de plaisance offre l’abondance d’une vie de riches plongeant dans une fiscalité étouffée.
Pas un lieu désert, tout grouille, crie, rit sous le soleil ardent. Les touristes attendent patiemment la longueur de la journée qui va passer comme si rien n’était devenu important, sauf nager, manger, dormir. Abigaïl scrute les façades aux balcons recouverts, les moucharabiehs des pays arabes, protégeant l’intimité de la famille et la fraîcheur de la maison. Leur paroi dérobait les femmes aux regards, elle les imagine, splendidement découvrant des yeux ardents d’une douce volonté à séduire. Mais aujourd’hui, c’est en legging, seins relookés et tee-shirts moulants qu’elles le font, courant le long des plages, un portable à la main. Même si la religion catholique marque de son sceau omniprésent la rigueur des mœurs. Le bus stoppe à Sliema, d’où partent les ferries pour visiter les côtes et le pourtour de l’île chaque jour de l’année, sauf quand la mer est « rough » et la tempête bat son plein. Abigaïl suit le troupeau, poussée par des coudes et les injonctions anglaises des guides aux multiples voix, elle se retrouve sur la passerelle d’accès tanguant d’un chalutier, transformé pour les besoins touristiques.
Assise enfin, un homme lui prend son ticket poliment. Autour d’elle, tout a une beauté colorée, les Maltais ont la chance de vivre dans des lieux aussi majestueux, chargés d’histoires de chevaliers, de conquêtes, leurs gènes doivent en être pétris, peut-être cela explique-t-il leur prestance physique. Les hommes adoptent fièrement une stature digne, les femmes, une sculpture à la chevelure sauvage. Après quelques minutes pour cadrer le flot maintenant parqué, le bateau démarre, moteur poussif, et la voix du capitaine explique dans un anglais parfait aux accents gutturaux, la flotte occupant le port de La Valette, l’histoire des chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean, les invasions des Français et des Britanniques. Des semaines seraient bienvenues pour ingurgiter le quart des informations. Mais le charme s’opère lorsque déroulent les formes de bateaux, voiliers, coques de noix bariolées, forts et palais entourés d’eau, aux allures d’une Venise dans les confins de l’orient. Comme des pêcheurs, chacun de préparer son portable pour capter la meilleure prise. Timidement, Abigaïl sort son appareil jetable acheté pour quelques sous au départ, s’approche du pont longeant la côte mais le groupe formant bloc l’empêche de se frayer une place. Comprenant que l’unique façon est de traverser la cabine, faire une percée coude à coude et s’immiscer, elle hésite puis s’adresse à l’homme debout à l’intérieur, les mains posées sur une barre à roue.
Réponse d’un hochement de tête. Passe derrière lui, descend la marche menant au pont, elle mitraille comme les autres, souvenirs glanés d’une escapade en solitaire vaillante. De temps à autre, elle s’assoit sur la marche, et puis elle sent que le contact du sol a changé. Elle regarde et voit un coussin posé, se retourne, découvre l’homme qui lui sourit. Voilà. Tout a commencé. Le capitaine s’appelle Joey. Il lui propose de venir à l’intérieur, offre un siège, une boisson. Ses lunettes de soleil adroitement enlevées, découvrent des yeux bleu profond et joyeux rehaussant le bronzage du visage. Épaules larges, grand et musclé, il lui demande qui elle est, c’est à peine si elle peut répondre. Et il lui tend une poignée de main, puis une seconde, paraissant à la fois songeur et concentré sur les deux. Ce qui se joue maintenant tient du sensoriel, d’un message qui fuse entre deux êtres, d’une romance à l’échelle d’un Richter fulgurant dont elle gardera le souvenir, paume contre paume, jusqu’à revenir à ce mois d’octobre en détresse. Ils rient, se découvrent, il a 48 ans, elle n’ose pas avouer qu’elle vient d’entamer sa 57e année.
Il lui demande son téléphone mais elle refuse gentiment, alors qu’elle l’embrasserait séance tenante devant tout le monde. Et calmement une amitié qui n’en sera pas une, fait comme si elle s’annonçait. Joey aime jouer de la guitare, du blues ou du rock, ils parlent de leurs musiciens préférés, Clapton, Pat Metheny, elle dit qu’elle est psychologue, suscitant intérêt et admiration. Lui, en retraite de l’armée de l’air pour se la faire plus confortable, a accepté ce poste.
Quand la balade se termine, Abigaïl a davantage appris sur sa vie que l’histoire maltaise. Autant que ses manœuvres de séduction, il opère savamment celles qui ramènent le chalutier à l’embarcadère. Le cœur serré, elle redescend la passerelle, impossible de le quitter. Alors elle reste sur le quai, fait semblant de bronzer nonchalamment, tandis qu’elle vire au homard assoiffé, meurt d’envie de lui donner son téléphone, prendre rendez-vous, lui faire une place déjà dans sa vie. Quelque temps plus tard, le voilà sorti, riant avec son collègue, ils partagent les quelques sous glanés, poignées de main, et il la surprend, drôle de petit lézard perdu sous le soleil. Échange de mots, il doit la prendre pour une dingue, elle dit qu’elle s’ennuie, un peu embarrassé, il lui conseille d’aller nager, juste poliment pour lui faire sentir que le moment de drague est terminé, et que sa vie le réclame.
Voilà la fin d’une première chaloupée émotionnelle et chaotique, dans sa chambre elle repense, revoit, ressent. Et le matin arrive, à peine reposée, la terrasse accueille à nouveau les touristes plombés de fatigue nocturne et de bruit. Le café couleur de thé se sucre pour y tremper de nouvelles mouillettes insipides et moites. Autour, les serins chantent inlassablement aux balcons de vieilles femmes ridées qui étendent leur linge. Voix de livreurs dans les rues, gamins narquois, les gens s’interpellent au début d’un jour qui va se languir de soleil, musiques technos, éclats de bonne humeur, chacun se terre déjà sous la douche, à 10 heures il fait 40 degrés, la mer coule ses vagues douces et pétillantes, érodant les blocs de rochers comme une main pétrit inlassablement, guérissant les corps, enveloppante et charnue.
La fascination qu’exercent maintenant l’île et son capitaine lui parle, autant qu’elle peut encore réfléchir, elle se souvient que son mari y avait vécu, le père y œuvrant aussi dans l’armée de l’air. L’inconscient a dicté ce voyage, cette rencontre même si inopportune entre au processus de libération d’un deuil difficile à explorer. Seconde journée de retour à l’autocar, Abi a pris la décision folle de confier un mot aux collègues de Joey quand le bus s’arrêtera à Sliema. Avec son numéro de téléphone. Le cœur affolé par ce qui lui tombe dessus, être à nouveau amoureuse. Cognant dans sa poitrine, elle ressent tout ce trouble mêlé de pensées confuses, impossible de se centrer sur ses sensations, jusqu’au moment où l’on s’arrête face à l’embarcadère à nouveau et devant elle le « Latini Harbour Cruise » ondule doucement à quai, attendant les nouveaux arrivants.