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Après la mort de Nostradamus, le mystère du troisième Antéchrist demeure irrésolu. Dans d’étranges circonstances, un médium français établit un contact avec l’esprit du célèbre mage et accepte l’héritage inachevé. Seul, ou presque, il se dresse contre un groupe d’illuminés puissants. Parviendra-t-il à neutraliser cette nouvelle menace planant sur l’humanité ? Ce conflit épique entre les forces du Bien et du Mal pourrait-il sceller le destin de notre monde ? Qui sortira victorieux de cette bataille titanesque ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Imprégné de philosophie, Jean-Pierre Klein façonne son approche littéraire en utilisant l’arsenal conceptuel pour créer des romans de thriller fantastique et de science-fiction. Son objectif principal est de partager ces créations captivantes avec les lecteurs.
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Jean-Pierre Klein
Le dernier des mages noirs
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Klein
ISBN : 979-10-422-0794-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Le récit « Le dernier des mages noirs » est une fiction.
Les faits relatés ne sont que les fruits de l’imagination de l’auteur. Ils ne peuvent en aucun cas constituer un fait historique.
Liste des personnages
Nostradamus
Philippe Dumoroy, cartomancien
Evelyne Meunier, son amour de jeunesse
Caroline Meunier,la fille d’Evelyne
Jo et Kitty,des amis de Philippe
Anna Durand,la patronne de l’imprimerie
Vincent, le beau-frère d’Anna, membre de l’association de pêche
Helmut Winterbach, fondateur du club Espérance
Etienne de Mouy, son fils naturel
Eric Morin, compagnon éphémère d’Evelyne et membre du
club
Magnus Olsen, président du siège norvégien
Pablo Delgado, l’homme au cigare
Marco, le serveur du Balengiaca
2 juillet 1566
L’entretien avec le roi s’était éternisé. Michel lui avait rendu compte de son retour d’ambassade. Le souverain, dès que l’occasion se présentait, mettait à profit ces moments, si précieux, passés avec son herboriste, qui le délassaient tant des tracas du royaume et de la présence de sa mère Catherine de Médicis.
Malgré le jeune âge de Charles IX, Michel n’avait plus à faire ses preuves. N’avait-il pas prédit, avec une grande exactitude, la mort tragique du précédent souverain Henri II blessé lors d’un tournoi de joute ?
Mais aujourd’hui Michel, vieux et usé, n’attendait qu’une chose ! Rejoindre son lit au plus vite ; ses accès de goutte le faisaient horriblement souffrir et les poumons n’allaient pas mieux ! Ce soir de juillet, il rentra donc exténué dans son humble demeure…
Prévoyant sa fin proche, il avait mis sa toute dernière énergie dans ce voyage.
La date de sa mort, il la connaissait et avait d’ailleurs prévenu son apprenti disciple : « Lorsque tu viendras demain, à l’aube, je ne serai plus de ce monde ! » lui avait-il confié.
Il poussa la porte de son appartement (enfin si on pouvait gratifier son lieu de vie de ce terme) : une pièce unique, meublée d’une grande table, d’un banc, et d’un fauteuil visiteur. Un grabat, servant de lit au fond de la chambre, côtoyait une grande armoire remplie de divers ustensiles et d’herbes plus ou moins fraîchement cueillies.
Enfin, rangée dans un coin, l’ancêtre des lunettes astronomiques.
Michel préparait sans hâte sa décoction du soir, la tête encore remplie par les propos de son souverain. Soudain il fut pris d’une violente douleur à la poitrine, foudroyante et irrépressible. Il tomba à genoux, la respiration bloquée, les yeux écarquillés. Peu à peu ses forces l’abandonnèrent et sa raison s’embruma. Le moment fatal, tant redouté, était donc arrivé.
Michel De Notre-Dame, dit Nostradamus, avait, pourtant, encore tellement de choses à réaliser en ce début du XVIe siècle, mais son corps, à ce moment précis, refusait d’aller plus loin. Il glissa doucement au sol et rampa jusqu’à son banc où il réussit finalement à grimper. C’est ici que le trouverait son apprenti…
Étonnamment, une grande paix envahit son esprit et bientôt il n’entendit ses propres râles que de très loin. Il se sentit léger, comme si ses douleurs l’avaient subitement quitté. Il aperçut bientôt sa propre dépouille, la tête penchée sur la poitrine, comme s’il l’observait depuis le plafond de sa chaumière.
Et puis, petit à petit, il « monta »…
Les ténèbres qui entouraient Michel étaient plus denses et plus vastes que pour le commun des mortels : compréhensible, car il avait consacré son existence, du mieux qu’il pouvait (et même au risque de sa propre vie) à éclairer ses semblables. Parallèlement, les forces du mal, fortes de l’ignorance de la grande masse, guettaient : il était l’ennemi à abattre.
Mais progressivement, dans ce vide sans temps, il parvint à s’approcher d’un point lumineux encore très lointain. Pour lui, pas de tunnel, mais une aube naissante envahissant tout l’espace (comme si quelqu’un avait actionné un variomètre), puis le bain dans une luminosité extraordinaire, statique, et en même temps douce, vivante, semblant éternisée par l’absence de temps.
Elle enveloppait tout l’espace. Michel se sentait bien, très bien, et ses regrets de quitter la Terre s’estompaient peu à peu malgré ses réactions encore bien humaines qui affluaient dans son esprit.
Personne ! se dit-il… Il n’y a personne… Cette lumière était-elle produite par ces myriades d’âmes qui l’avaient précédé durant ces milliers d’années de l’existence humaine ? Ou alors, se trouvait-il dans « le lieu » de l’Intelligence Suprême ? Il s’imagina qu’il pourrait se retourner « pour voir » ce qui se passait là en bas, sur cette bonne vieille terre, et instantanément son esprit s’éclaira !
Les événements se succédaient tout à coup à une vitesse impressionnante. Il vit tout d’abord le roi et ressentit la bienveillance du souverain à son égard : sa protection contre la chasse aux sorciers de tous bords, et plus particulièrement sa rentrée en grâce pendant les deux dernières années de sa vie.
Sa neutralité face aux événements l’avait toujours protégé, mais la guerre de religion qui allait opposer les catholiques et les protestants n’était pas loin.
Progressant dans sa vision, il assista à ses propres funérailles et à l’édification de son tombeau dans l’église des Cordeliers, puis à sa profanation malheureuse par les Sans-Culottes lors de la Révolution française en 1793 !
Il aurait pu s’en offusquer, mais une grande paix était entrée dans son âme, et c’est presque avec une certaine pitié pour son auteur qu’il visualisa la scène où un homme avait saisi son crâne pour y boire… Enfin, il contempla le transfert définitif de ses restes dans la collégiale de Salon-de-Provence.
Son âme voyageait dans le temps, traversait les siècles, libre, absolument sans attaches, et il fut pris d’une immense tristesse en constatant que ses prédictions, données à titre d’avertissement à l’humanité, s’étaient finalement réalisées !! (Il culpabilisa même un moment en se disant que le simple fait de prédire aurait pu, finalement, pousser l’événement à se produire… mais il chassa rapidement cette pensée de sa tête.)
Il survolait à présent les plaines enneigées de la Russie, rougies du sang de milliers de soldats entraînés dans la mort par Napoléon, qu’il avait désigné comme le premier Antéchrist. Quelques soldats s’étaient réfugiés dans le ventre des chevaux morts pour se protéger du froid…
Puis à cette première image succéda une autre encore pire…
L’Europe, et même le monde, s’était à présent embrasée en une horrible guerre d’extermination sous la domination du second Antéchrist : Adolph Hitler.
Ses prédictions ne servaient donc… qu’à prédire ? Rien ne pourrait donc être fait pour éviter le pire ? Et lui, Nostradamus, en était le spectateur impuissant !!
L’année précédant sa mort, Michel avait entrevu le conflit ultime qui allait entraîner la race humaine vers l’abîme, et sceller à jamais la victoire des forces du mal ! Il avait même réussi à situer l’événement dans le temps : la première moitié du XXIe siècle.
Ce quatrain, qui en rapportait l’horrible vision, il l’avait soigneusement camouflé au fond d’un tiroir secret, car sa divulgation lui aurait certainement valu le bûcher avant que son roi ne puisse intervenir…
À présent, sur un autre plan, désincarné, Michel se retrouvait inefficace comme lanceur d’alerte, et ce troisième Antéchrist, le plus terrifiant de tous, allait se révéler et monter les nations les unes contre les autres, dans un dernier et gigantesque combat.
Le quatrain révélait un détail important, quoique voilé : Michel avait VU l’Antéchrist quelques jours après sa naissance, et le lieu où il était né ! Il en était certain : de la vigilance de quelques personnes, peut-être même d’une seule, allait dépendre, à l’instant suprême, le sort de l’homme !
Entre beaucoup d’ouvrages, l’étude de la Bible avait fait partie de ses lectures ; il savait que des écrits apocryphes existaient, voilés au peuple des croyants, et qui portaient sur différents sujets, dont la réincarnation…
Nostradamus, à l’instar de Denys l’Aréopagite, un théologien mystique du VIe siècle, s’imaginait qu’il existait une hiérarchie céleste à l’instar de la hiérarchie terrestre. Des créatures angéliques menant au trône de l’Éternel. Selon ces écrits, mis devant le kaléidoscope des couleurs tournant inlassablement, l’impétrant choisissait sa nouvelle incarnation avant de rejoindre le monde terrestre.
Peut-être que s’il implorait l’Intelligence Suprême, cette faveur de revenir sur terre lui serait-elle accordée pour poursuivre sa mission et cette fois-ci arriver à contrecarrer un drame mondial.
Michel n’était plus préoccupé, à son stade, de notions telles que l’espace et le temps puisque, en quelques minutes à peine, il avait traversé plus de cinq siècles !
Pendant qu’il restait ainsi, des bribes de cette Hiérarchie Céleste lui revinrent à l’esprit et il prononça mentalement le nom des dix étapes célestes, essayant de s’imprégner de leur signification et de leur pouvoir. Il aperçut, au fur à mesure de son monologue, que la lumière blanche qui constituait jusqu’à présent son seul univers visible, changeait de couleur, en passant au rose, au lilas, à l’orange, etc..
Le Kaléidoscope ! « Suis-je donc arrivé au prisme des couleurs ? Dois-je déjà choisir ? » se demanda-t-il. Il se rendit compte du ridicule de sa remarque, encore bien terrestre, et tout en lâchant prise, il continua à imaginer la roue multicolore. Mais elle ne tournait pas ! Aucun choix n’était donc possible. Il comprit que la route vers la réincarnation lui était barrée !
Il tomba à genoux et prit d’un immense sentiment de paix et de ferveur, il resta ainsi un long moment. Puis, peu à peu, il ressentit de plus en plus intensément une présence, ou plutôt une vibration, se manifestant devant lui. Il leva la tête. Avait-il les yeux ouverts ou fermés ? Aucune importance !
Son cœur se gonflait d’un immense amour au contact de la « présence », un homme ? Une énergie de grande stature, une épée flamboyante à la main ? Certainement la matérialisation fugace du symbole, du message, qu’il devait comprendre…
Bientôt l’épée grandit, devint gigantesque jusqu’à emplir entièrement son champ de vision. Au bout d’un moment elle commença à bouger, se redressa, et pivotant sur elle-même désigna un point situé sur la droite ! À cet endroit, l’univers devint peu à peu transparent, éclatant, comme si le voile léger de nuages avait laissé la place à un coin de pur ciel bleu.
Il vit un homme sur notre bonne planète bleue, assis derrière un bureau, et, en même temps, entendit distinctement dans sa tête :
— Le temps est venu ! Vois l’homme capable de sauver l’humanité du désastre. Il ne sait pas encore qu’il a été choisi. Tu seras son guide et son protecteur jusqu’à l’heure de sa mort ! Crée le lien !!
Il ne douta pas de la réalité du message, mais ne sut trop comment faire. Obéissant à l’ordre, tendant machinalement les bras, et les yeux fermés, il sentit son énergie se déverser sur l’homme « d’en bas », longtemps, lentement, comme pour le remplir de son propre pouvoir de vision. Combien de temps dura ce contact ? Il n’aurait su le dire, mais son scepticisme naturel revenant au galop, il était sûr d’une chose : ne pas se faire trop d’illusion quant à la personne à guider et à protéger.
Il savait que depuis la sortie de l’homme de l’Eden, et jusqu’à la fin des temps, Dieu laisserait, malgré tout, la liberté de choix à l’humain ! En ce futur inquiétant, rien n’était donc encore joué…
Un autre élément lui parut évident, et il en tira une certaine, mais respectueuse fierté : il n’avait pas besoin de faire des miracles, être déclaré saint par les pères de l’Église, pour devenir l’ange gardien de quelqu’un !!
Michel survola, en une fraction de seconde, les tenants et les aboutissants de sa nouvelle mission. Il vit les difficultés auxquelles serait confronté son nouvel élève. Il devait le sensibiliser à sa présence, le rendre réceptif ; mais comment faire ? Pour le moment, il n’en avait aucune idée… Rendu conscient de l’ampleur de la tâche, irait-il jusqu’au bout de sa quête, cet homme des temps modernes ?
Et aller jusqu’au bout, Michel ne savait que trop ce que cela signifiait… et il en frémit !!! Jamais, à travers les siècles, la puissance du mal à venir ne serait aussi impitoyable et dénuée d’humanité. Une arme terrible serait découverte, capable d’anéantir tout être humain, d’éradiquer toute vie sur Terre, replaçant la planète bleue au stade du big bang originel.
Et il entendit, au loin, comme en signe d’avertissement, gronder la spirale noire.
Il remercia l’Intelligence Suprême de l’avoir créé. Même si cette mission était sa dernière, même s’il devait ensuite se perdre, se dissoudre dans l’immensité de cette éternité sans fin, il n’en avait cure !
Et puis il n’avait été qu’un être humain comme tous les autres avec ses faiblesses et ses manquements… Il demanda pardon pour toutes les fois, où, pour subsister matériellement, il avait mis à profit l’ère d’obscurantisme et de superstition dans laquelle il vivait, pour faire part de remèdes ou de tendances astrales qui n’en étaient pas forcément toujours…
Trop souvent il avait dû se contenter de son infâme gruau et lorsqu’enfin, reconnu à la Cour, il avait pu tremper son pain dans un bon jus de viande, il en avait été fort aise !
De mystique obscur du XVIe siècle, il était passé, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, à la compréhension de la mentalité des hommes de ce XXIe siècle naissant et il remarqua que ses quatrains attiraient toujours autant l’attention, après toutes ces années ! Il était donc resté dans la mémoire des hommes…
Mais à présent, il avait acquis la conviction, la douceur, mais aussi la puissance d’un guide.
Tout cela était, pourtant, tellement invraisemblable ! Il pensa, un bref instant, se réveiller dans ce qui avait été son humble demeure terrestre à Salon-de-Provence… mais il n’avait plus les moyens de se l’imaginer !!
Il était en 2022 et sa mission avait bel et bien commencé !
Première partie
Chapitre 1
2 juillet 2022
Ce matin-là, il régnait une effervescence inhabituelle dans la rue piétonne de Vinay, baptisée « grand’rue ».
Les bornes d’entrée avaient été baissées pour permettre au camion de déménagement d’accéder au numéro 12. C’étaient des allées et venues incessantes dans ces couloirs et cages d’escalier étroits aux marches grinçantes, communes aux maisons accolées du centre ancien.
Le nouveau venu allait habiter au deuxième étage. La porte d’entrée de l’immeuble avait été laissée ouverte et bloquée pour faciliter les déplacements de l’équipe de déménageurs.
Dans cette rue piétonne, comme dans beaucoup d’autres, le rez-de-chaussée est généralement occupé par un magasin. Pas au numéro 12. En effet, une plaque assez grande sur le mur, à côté de l’entrée, arborait fièrement « Philippe Dumoroy – Voyance Cartomancien –Tarologue » et en dessous, en lettres plus récentes, « Astrologie – Étude de thèmes ».
Tout à coup, la porte du cabinet s’ouvrit violemment et une dame dans la bonne quarantaine, de taille moyenne, bien en chair, avec sa veste sur le bras et son sac à main dans l’autre, en sortit en s’esclaffant :
— Espèce de charlatan ! Vous n’êtes qu’un charlatan. Tout ce que vous savez c’est soutirer de l’argent aux gens. Vous aurez affaire à moi, je vous le promets ! Je vous le promets !
Elle ne vit pas, dans sa colère, les déménageurs qui passaient à côté d’elle en lui soufflant, tels des joggeurs qui saluent entre deux respirations :
— Pardon, pardon Madame ! S’il vous plaît !
Elle continua à vociférer ; son double menton trembla de colère et ses joues s’empourprèrent. Mettant à profit la porte ouverte, elle s’élança à l’air libre et faillit prendre le flanc du camion de déménagement en pleine figure. Elle l’esquiva d’un geste pour éviter la collision et se perdit dans la foule, tête baissée, tout en continuant à grommeler.
Philippe Dumoroy était resté interdit dans l’embrasure de la porte de son cabinet. Âgé de 55 ans, il en faisait bien dix de plus ! Il était grand, de corpulence moyenne, sa tête bien ronde reposait sur un cou de taureau. Son nez était minuscule au milieu de grands yeux globuleux qui se perdaient derrière une paire de lunettes aux verres épais et à la monture hors âge. Ses cheveux, dont le front commençait à se dégarnir, étaient gris et légèrement bouclés. Il avait de tout temps porté une moustache qui lui retombait sur les côtés de la bouche, créant une petite moue naturelle.
Une bouille de « Monsieur tout le monde » qui ne laissait pas du tout augurer de dons de « voyance ». Philippe avait certes des facilités naturelles dans ce domaine, mais qui ne justifiaient pas, du moins en l’état actuel des choses, les qualificatifs figurant sur sa plaque professionnelle…
Sortant d’un cancer du poumon, et sauvé de justesse d’un anévrisme, il savait qu’il ne vivrait pas centenaire. Son teint gris trahissait d’ailleurs son passé d’ancien fumeur.
La scène avec sa cliente avait peut-être duré trente secondes en tout ! Sa patiente disparue, Philippe profita du tumulte régnant dans le couloir pour rentrer, et claqua la porte derrière lui. Il hocha la tête, pensif. Dégoûté, et un peu las, il se laissa tomber dans son fauteuil (qui émit un pfff poussif) et murmura :
— C’est vrai ! Je lui ai raconté un peu n’importe quoi !
Il se laissa aller dans ses pensées après ce petit électrochoc du matin… Plus de rendez-vous dans l’immédiat. Tout le temps nécessaire pour faire le bilan de sa vie : une existence où rien, absolument rien, ne lui avait été donné de surcroît !! Il s’était posé à Vinay après une vie de globe-trotter sans que rien ne le prédestinât vraiment à cela. Il sourit en se rappelant par quels chemins détournés il était arrivé à pratiquer les arts divinatoires… Un curieux enchaînement de circonstances qu’il laissa donc défiler dans sa tête !
Ni son père pasteur ni sa mère directrice d’école n’avaient réussi à éveiller en lui un sentiment religieux ou une attirance pour les études. Au fil des années, il était devenu l’extra-terrestre de la famille, mais cela ne le dérangeait pas. Il se plaisait même à défendre son « statut », à en abuser !
Un jour, alors que ses parents l’avaient seriné quant à son avenir, il s’était mis à hurler :
— J’en ai marre de vos simagrées !
Son père s’était alors levé et lui avait administré une paire de claques à lui déboîter le cou. En y réfléchissant, encore aujourd’hui, Philippe se demandait comment un homme de Dieu avait pu afficher une telle violence…
Il aimait à se faire passer pour athée, mais soupçonnait, en son for intérieur l’existence d’une certaine forme de spiritualité. La vérité était ailleurs. Il savait qu’un jour elle se manifesterait à ses yeux, telle une évidence. Rien d’étonnant que son enfance fût interminable, ennuyeuse, étouffante.
Après avoir claqué la porte, coupé le cordon ombilical, essuyé pendant quelques mois un échec au sein d’une entreprise de chaudronnerie, il était « monté » à Paris quittant, sans vergogne, « le bled pourri » de ses vieux, comme il aimait à le dire.
Philippe se glissa confortablement dans son fauteuil, car un souvenir d’importance s’imposait à sa mémoire. Les yeux fermés, le sourire au coin des lèvres, il visualisa son premier emploi de garçon de café décroché lors de son arrivée dans la capitale, dans le milieu un peu glauque d’un bistro flanqué d’une arrière-salle où devaient se tramer des choses plutôt louches. Pourquoi avait-il donc frappé à la porte de ce restaurant, plutôt qu’à une autre ?
Il s’était lié d’amitié avec Kitty et Jo, un couple pour le moins atypique. Elle : tatouée outrageusement, tignasse rouge et vert fluo, nez percé par un anneau démesuré ; lui : un gros balèze, crâne rasé, balafre partant de l’œil gauche jusqu’à la mâchoire, et sempiternelles lunettes noires sur le nez pour se donner un genre..
Cette période de sa vie devait susciter en Philippe une émotion particulière, car il se leva et alla, comme par mimétisme avec son ancien métier, se servir un whisky, puis, verre en main, alla se replonger dans son fauteuil.
— Qu’est-ce qu’ils ont bien pu devenir ces deux-là ? murmura-t-il après une première gorgée, en secouant la tête.
L’image de Jo et son récit épique quant à l’origine de sa balafre lui revinrent à l’esprit, et il se demanda comment, à l’époque, il avait pu fréquenter ce genre de couple !
Autant il s’était senti à l’aise avec Jo (même si ce dernier, les yeux parfois éclatés, lui racontait des balivernes), autant le contact avec Kitty lui avait déclenché un inexplicable sentiment de répulsion, voire d’auto- défense.
Ce qui l’avait inquiété : cette croix du Christ en pendentif qu’elle portait à l’envers sur son tee-shirt ; simple décoration ou fréquentait-elle un mouvement satanique ? Elle venait parfois seule au bar et s’éclipsait furtivement dans la salle du fond.
Il avait été jusqu’à délirer sur les intentions de la jeune femme, son air nonchalant cachait peut-être des ressources insoupçonnées : et si elle était la grande prêtresse d’invocateurs de l’ombre ? Un jour, en nettoyant les locaux, il avait aperçu une trappe qui devait mener au sous-sol. Il avait tenté de l’actionner, mais elle était solidement verrouillée.
Il s’était promis de poursuivre son enquête à un moment plus propice, mais en fut pour ses frais. Quelques jours plus tard, une descente musclée de la police avait amené la fermeture du restaurant… et la fin de son contrat.
Que s’était-il passé ensuite ? : une ultime expérience dans un restaurant étoilé qui lui avait fait troquer jeans, baskets et chemise fleurie avec costume et nœud papillon. Son nouveau statut, destiné à 24 ans à le propulser dans une vraie carrière, avorta : le sort en avait décidé autrement !
Philippe ferma les yeux afin de revivre la scène qui l’avait particulièrement affecté.
Un soir, il devait servir un plat avec saucier à un couple et il avait déjà préparé sa phrase de présentation du produit. Les clients ? Lui, le type même du PDG dans la bonne soixantaine invitant sa maîtresse au restaurant, de 30 ans (au moins) sa cadette.
La soirée était bien entamée et semblait prometteuse pour le vieux renard qui était aux anges devant les propos de sa dulcinée dont il tenait les mains, le regard plongé dans les yeux de la belle. Arrivé à hauteur de la table, Philippe par un faux mouvement avait, malencontreusement, fait choir le contenu du saucier sur la robe Christian Dior de l’escorte-girl qui s’était vivement reculée : trop tard !
Pour Philippe aussi… Le lendemain, il était au chômage.
Dégoûté et désœuvré, mais surtout seul, il s’était alors souvenu de ses anciennes connaissances, Kitty et Jo, et avait tenté, faute de mieux, de reprendre contact avec eux, mais, entre-temps, ils avaient été mis au frais par la police et lui s’était retrouvé assis sur un lit miteux dans un hôtel sans étoile avec, comme toute fortune, quelques billets de banque et de la menue monnaie dans la poche !
Sa période de petits boulots n’allait donc jamais prendre fin ? Au plus profond de la vague, il avait même envisagé, un court instant, de retourner chez ses parents, mais avait très vite chassé cette idée de la tête !
C’est alors que s’était enfin présenté l’inattendu, l’inespéré : la rencontre avec Evelyne, la femme de sa vie, celle qui devait rester, à tout jamais, son amour de jeunesse.
Comment s’étaient-ils rencontrés ? Un ancien client du bar, croisé au détour d’une rue, avait appris à Philippe qu’une connaissance recherchait un associé pour sa société de dépannage informatique à domicile. Bingo ! Philippe s’était lancé dans son nouveau job en espérant, si l’occasion se présentait, de pouvoir aussi consoler la veuve et l’orphelin, car sa vie sentimentale ressemblait, depuis trop longtemps, à un véritable désert.
C’est au cours d’un dépannage qu’il avait fait la connaissance d’Evelyne. Elle était fonctionnaire au Conseil départemental et s’occupait de jeunes en réinsertion. C’était le coup de foudre ! Électrique ! Scotchant !
Philippe se cala du mieux qu’il pût dans son fauteuil poussif et ferma les yeux comme pour revivre une fois encore, avec toute la puissance de l’époque, et sans en perdre une miette, leur première rencontre : il revit le teint pâle, l’allure svelte, les yeux gris bleu interrogateurs, les longs cheveux bruns soyeux d’Evelyne qui lui tombaient dans le dos, sa démarche planante. La jeune femme n’était pas d’une beauté farouche, mais quelque chose d’irréel émanait de l’ensemble et pouvait éveiller une certaine attirance auprès de la gent masculine.
Oui, il se souvenait à présent ! Il avait pris place devant l’ordinateur. Elle s’était penchée par-dessus de son épaule. Un doux parfum de fleur d’oranger s’était dégagé de sa personne. Enivrant. Philippe avait localisé la panne. Trop rapidement à son goût. Heureusement l’ordinateur avait à nouveau fait des siennes deux jours plus tard. Il avait alors invité sa cliente pour boire un verre et elle avait accepté.
L’un face à l’autre, à cette petite table de restaurant, leurs mains s’étaient rapprochées, touchées. Philippe avait ressenti un bonheur de vivre qui envahissait tout son corps. Une vague magique. Le temps s’était arrêté.
Peu de temps après, il s’était installé chez Evelyne. Leurs sentiments réciproques étaient une évidence, alors pourquoi attendre !
Quant à son désir d’accomplir une grande quête, il était, pour le moment, enfoui dans le tiroir du fond de sa cervelle (et peut-être, même fermé à clef…) Mais tous les chemins ne mènent-ils pas à Rome ?
Philippe sortit de sa rêverie d’un autre temps et murmura du bord des lèvres :
— Mon Dieu, Evelyne, qu’as-tu bien pu devenir après toutes ces années ?
Ils avaient ainsi filé le parfait amour jusqu’au jour où Evelyne Meunier avait fait la connaissance du baron Etienne de Mouy, un petit gros dans la soixantaine qui ne dégageait absolument rien d’aristocratique de sa personne. Plutôt un surnom que réellement un titre de noblesse. La moue significative que dessinaient ses lèvres dénotait un personnage qui ne devait pas avoir beaucoup de scrupules…
Il avait pris rendez-vous au Conseil départemental pour obtenir une subvention à son projet : racheter une vieille ferme ou un manoir dans le Roussillon pour y créer un centre privé d’éducation à la nature pour de jeunes désœuvrés. S’agissant d’une initiative privée, le pseudo baron en fut pour ses frais. Curieusement, l’échec de sa démarche ne semblait pas particulièrement l’affecter… trop fier ou bourré aux as ?
Chose incroyable : était-ce en raison de l’aura de mystère qui entourait De Mouy, toujours est-il qu’Evelyne, malgré les remontrances de Philippe, avait fini par quitter son poste de fonctionnaire au Conseil départemental pour un engagement auprès du baron. Un soir, elle avait mis le bras autour du cou de Philippe et lui avait murmuré à l’oreille :
— Rejoins-nous, on a besoin de monde. Tu verras, on sera bien !
Et le couple s’était installé au manoir à peine quelques mois plus tard.
Philippe ne vouait pas une admiration sans bornes au baron, mais il s’agissait d’un job intéressant, dans une région de France où l’été était magnifique et particulièrement long. De plus, à côté de la femme de sa vie, que demander de plus ?
Mais après une première et longue période de mise en confiance faite de culture bio, stand au marché et vie en communauté, Etienne De Mouy s’était clairement affiché comme un gourou. Petit à petit il avait coupé ses ouailles du monde extérieur. La mission initiale de la ferme du roseau était détournée. Pour quelle raison ? Philippe avait alors essayé d’y voir plus clair.
Il existait une dépendance à côté de la ferme où personne ne se rendait jamais à part le baron et ses invités qui affluaient souvent à bord de voitures immatriculées hors département ou de l’étranger. Il l’avait épiée sans succès, essayé de crocheter la serrure en son absence, sans y parvenir. Un lieu de réunion tenu secret ? La ferme bio n’était, de toute évidence, qu’une façade, une couverture pour des activités plus occultes, importantes a priori… Etienne avait fini par remarquer les actions d’espionnage de son employé. Furieux, il avait alors mis en place un plan de déstabilisation du couple.
Philippe poussa un soupir. Il visualisait très bien cette période douloureuse qui l’avait rongée progressivement, insidieusement, tel un cancer, où Evelyne était devenue de plus en plus secrète, distante même, ne donnant que des réponses évasives à ses interrogations et où, lui, impuissant, exaspéré, voyait avec amertume s’approcher le clash final ! Le rêve était devenu un cauchemar…
Un soir où Evelyne s’était dite trop vidée pour une relation intime, Philippe l’avait prise par les épaules et l’avait fixée droit dans les yeux en disant :
— Tu es devenue distante avec moi ! Tu ne m’aimes plus ? Si tu as un problème, il faut m’en parler.
— Non, mon amour pour toi est intact, mais c’est la santé, la fatigue.
Philippe avait alors explosé :
— Pour aller aux réunions interminables de ce vieux fou, tu trouves toujours le moyen d’y aller ! Dis-moi un soir où nous avons été tous les deux ensemble ces derniers temps ?
Elle s’était arrachée de son étreinte :
— Lâche-moi ! Comment oses-tu douter de la doctrine de cet homme, de ce qu’il nous apporte ? Cela n’a rien à voir avec ce que je ressens pour toi Philippe.
Le ton avait encore monté, la vraie scène de ménage, la première d’une telle importance.
— Il t’a bien hypnotisée, tu ne t’en rends même pas compte ! avait hurlé Philippe en claquant la porte pour prendre l’air.
Ils s’étaient bien sûr réconciliés dès le lendemain… Evelyne fit des efforts et le calme était revenu. Une nouvelle et ultime période de bonheur, mais qui s’était à nouveau dégradée, petit à petit.
Philippe avait alors voulu donner une dernière chance à leur couple en proposant à Evelyne de partir pour refaire leur vie ailleurs. Trop embrigadée, elle avait décidé de rester ! Une ultime explication douloureuse, déchirante, à la hauteur de leur amour…
Après des nuits d’insomnie, Philippe avait retrouvé le chemin du tiroir du fond (et même la clef…) et sa soif de liberté et le désir de réaliser de nouvelles choses l’avaient repris. Quelques semaines plus tard, il était dans l’avion pour l’étranger ! L’idylle avait duré sept ans au sein de l’étrange communauté !
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Dans l’avion qui l’emmenait au Canada, Philippe partait, à son insu, pour un véritable voyage initiatique. Il avait l’étrange impression qu’il laissait une grande partie de lui-même en France…
Les premiers mois il avait souvent pensé à Evelyne, ce qu’elle avait bien pu devenir, et à chaque fois une sensation étrange et malsaine l’avait envahi, accompagnée d’une impression de jambes coupées ! Lui serait-il arrivé malheur ? Il essaya d’oublier. Il lui en avait tout d’abord voulu. Après, il lui avait pardonné. Peut-être avait-elle fait de même…
Il repensait souvent à la crédulité des jeunes tombés sous l’emprise du fameux baron : à l’heure qu’il était, le vieux schnock devait certainement bouffer les pissenlits par la racine ! D’ailleurs, Philippe s’était toujours demandé, surtout vers la fin de son séjour dans la communauté, s’il n’y avait pas eu un peu plus, entre Evelyne et Etienne de Mouy…
Dans l’entreprise de transports longue distance où il avait atterri après son arrivée au Canada, Philippe avait fait la connaissance d’un personnage qui allait influencer sur son avenir, bien plus qu’il ne pouvait l’imaginer !
Il se prénommait André, un petit gros, aux cheveux roux bouclés et le visage envahi d’une multitude de taches de rousseur. Il portait une salopette et utilisait, pour se moucher, un de ces anciens mouchoirs en coton, qui déplié, faisait bien la taille d’un set de table..
Son allure n’aurait jamais trahi l’intérêt qu’il portait aux médecines parallèles et surtout à la voyance ! Il avait séduit Philippe par son don, lui faisait découvrir un monde nouveau. Ils avaient alors passé des soirées entières à discuter, parfois jusqu’à des heures avancées de la nuit.
André montra à Philippe comment se protéger des influences négatives, mais ce dernier n’en avait cure. Magie blanche, magie noire, il n’en faisait pas trop la différence.
— Tu y seras amené, tôt ou tard ! lança André sur un ton prémonitoire, comme si de telles circonstances étaient une évidence pour lui.
Leur bureau consistait en une large cabine collée contre le mur d’un hall imposant où stationnaient quelques camions revenus d’expédition. Rien de bien exaltant ! Mais l’ambiance y était particulière, surtout la nuit, où, à part le bruit de l’électronique, un silence pesant régnait souvent.
Les deux potes en étaient venus à la conclusion que l’entrepôt devait se situer à l’emplacement d’un ancien cimetière, ou mieux, un lieu d’exécutions, doté d’un énorme gibet où avaient pourri les cadavres des condamnés, balayés par le vent de la nuit…
Philippe se rappela qu’un soir André avait battu les cartes pour lui. Il crut encore entendre sa voix résonner dans la tête :
— Je vois une belle réussite, mais pas vraiment de famille autour de toi. Tu seras protégé, j’ai tiré l’étoile à deux reprises. Je te vois au centre d’un événement important qui monopolisera une grande partie de ta vie. Un danger ?
Il avait tiré une autre carte, l’avait jointe aux autres, puis examiné l’assemblage. Après un court examen, son front s’était plissé. Il était tout d’abord resté comme interdit puis tout à coup avait vivement rassemblé toutes les cartes comme s’il voulait chasser une vision.
— Il y a un problème ? demanda Philippe.
Le regard furtif et l’air préoccupé, comme s’il avait vu le diable en personne, il avait répondu :
— On arrête pour ce soir !
Un peu plus tard, poussé par son ami, Philippe commença à s’exercer à la cartomancie, d’abord avec circonspection, puis avec enthousiasme. Et la fameuse séance n’avait plus été remise sur le tapis. André, s’apercevant des facilités de son collègue, l’avait encouragé à persévérer. Philippe avait alors débuté sa pratique à l’intérieur d’un cercle restreint, puis, le bouche-à-oreille fonctionnant au-delà de toute espérance, une petite clientèle de fidèles canadiens s’était constituée autour de lui. Au début, il avait raconté un peu aux patients ce qu’ils avaient envie d’entendre, mais peu à peu son don s’épanouissait et il s’était rendu compte qu’il servait finalement à quelque chose pour le bien d’autrui !
Des années plus tard, lorsque le patron de l’entreprise de logistique des transports avait mis les clefs sous la porte, Philippe, à l’aube de ses 47 ans, avec quelques économies en poche, avait décidé de revenir en France et il s’était dit, malgré lui, « Je reviens dans le pays d’Evelyne »
Son collègue André, quant à lui, avait sollicité une année sabbatique pour partir étudier la civilisation inca et ils se perdirent de vue. Définitivement. Souvent Philippe pensait à ce curieux bonhomme qui était entré dans sa vie à une période donnée de son existence puis avait disparu comme il était apparu : un montreur de chemin, le temps nécessaire d’une initiation. Sans doute.
Il avait passé quinze années au Canada, mais phénomène mental étrange, Philippe n’avait pas gardé de souvenirs mémorables de toutes ces années passées loin de la France (!), comme si un autre avait pris place dans son esprit, le reléguant au rôle de spectateur d’une vie faite de divers jobs, d’amourettes de passage, d’attentes, de banalités et de survie.
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Philippe, son don, pas de doute, il l’avait, mais pas sur commande. Mais comme ses clients étaient toujours dans l’attente, il lui arrivait encore, mais beaucoup plus rarement, de « meubler » ses propos…
Mais depuis le jour du déménagement dans son immeuble, et la mémorable altercation avec sa cliente, il avait pris l’engagement solennel de rester positif en toutes circonstances et même rédigé un texte à cet égard qu’il se lut souvent à haute voix : un genre de serment d’Hippocrate pour cartomanciens et voyants !
Son job ne serait plus absolument une question d’argent : il même avait instauré, deux fois l’an, une journée de consultations gratuites. Il se sentait dès lors investi, et pratiquait la méditation jusqu’à perdre toute sensation de son propre corps, jusqu’à n’être plus que pure conscience.
C’est pendant ces exercices qu’il commençait à percevoir les premiers flashs…
Revenant sur terre après ses périodes de lâcher-prise, de plus en plus fréquentes, il secouait la tête et le sourire aux lèvres murmurait : « Je suis peut-être devenu un doux rêveur, mais je m’en fiche complètement ! »
Chapitre 2
Une étrange missive
La santé de Philippe s’améliore de jour en jour. Une énergie nouvelle semble s’installer dans son corps que ni l’arrêt du tabac, ni l’honnêteté vis-à-vis de ses patients ou l’hygiène alimentaire ne peuvent, à eux seuls, justifier.
Il oublie son état de santé lorsqu’il tire les cartes ou sort les thèmes astrologiques de ses clients : il est sur la bonne voie. Rien, a priori, n’explique son nouveau goût pour la vie. Elle s’écoule à présent doucement sans événement particulier.
Une franche routine, mais aussi avec ses moments cocasses. Comme aujourd’hui où il se trouve en face d’une jeune femme, en deuil de son père. En l’écoutant, il ne peut s’empêcher de quitter son regard de la forte dentition de sa patiente qui, involontairement, le fait penser à une jument. Tout en expliquant son chagrin, elle éclate soudain en sanglots bruyants et braille comme un veau. Au bout d’un moment ses propos deviennent totalement incompréhensibles et Philippe se demande quand elle s’arrêtera de pleurer. Il doit même se pincer les lèvres pour ne pas éclater de rire, mais il reprend néanmoins sa concentration et poursuit son tour de cartes. La séance terminée, il ramène la jeune femme à la porte après l’avoir consolée.
Il en profite pour relever le courrier. En ouvrant sa boîte aux lettres, il y trouve une petite enveloppe matelassée affranchie, mais sans mention de l’expéditeur. D’après l’écriture, son adresse a dû être griffonnée à la hâte par une main plutôt jeune. L’enveloppe est accompagnée d’une invitation au salon de la voyance de Cahors.
Il ferme la boîte et en rentrant dans son salon s’assied dans son fauteuil de prédilection. Il pose la pub sur la petite table basse et ouvre soigneusement l’enveloppe matelassée ; elle n’est pas très épaisse. À croire qu’elle est vide…
Philippe en entrouvre les pans, la secoue, et en sort une clef USB ; pas de billet explicatif ou de petit mot d’accompagnement. Rien que la clef. Bizarre ! Une nouvelle forme de publicité ? Il en doute ! Une commande de sa part ? A priori, non !