Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Enara, une jeune prodige de neuf ans au talent pianistique exceptionnel, est admise au Conservatoire après une audition en aveugle. Son professeur, Jérôme Pinchard, ancien concertiste solitaire, est touché par sa grâce et son génie. Ensemble, ils entament un voyage musical et émotionnel, cherchant à percer le mystère de l’origine d’Enara pour lui offrir le bonheur absolu. Entre ambition, aventure et quête de vérité, leur histoire propose une belle communion d’âmes, empreinte de respect et de pudeur.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Pierre Klein, pianiste de formation et philosophe, puise son inspiration dans ses expériences variées en tant que cadre supérieur dans la fonction publique pour poursuivre ainsi avec son violon d’Ingres. Avec L’hirondelle d’un dernier printemps, son septième chef-d’œuvre, il poursuit son ambition de faire valoir faire valoir l'aspect poétique de ses récits. Son désir est de partager avec le lecteur les mondes fascinants qu’il a créés.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 155
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Jean-Pierre Klein
L’hirondelle
d’un dernier printemps
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Klein
ISBN : 979-10-422-2934-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Aux Éditions Édilivre
Disparitions, 2018.
Que jamais cette porte ne s’ouvre, 2019.
Revenir, 2020.
Trois nouvelles nées du confinement, 2020.
Au-delà du rêve, au-delà du temps, 2021.
Tes yeux, 2022.
Le Lys Bleu Éditions
Maya ou l’appel des étoiles, 2023.
Le dernier des mages noirs, 2023.
Jérôme Pinchard, professeur de piano ;
Enara, son élève ;
Bertrand Pinpon, antiquaire et ami d’enfance de Jérôme ;
Anna et Aldo Tognazzo, les parents adoptifs d’Enara ;
Vanessa et Maud Etcheverry, les sœurs jumelles ;
Lucien Milleau, le détective privé ;
Wladimir Benoît, le fiancé d’Enara ;
Marcus, le mari de Maud Etcheverry ;
Walter, l’imprésario autrichien ;
Wenceslas, le médium tchèque ;
Serge Vuillard, le serial killer.
Pour les âmes encore jeunes, les approches du Nouvel An ramènent en foule les impressions heureuses : ce sont les hirondelles de décembre.
Gustave Vapereau,
L’homme et la vie (1896)
Assis sur le bord de son lit, Jérôme Pinchard se frotta la tignasse tout en bâillant à se décrocher la mâchoire. Il venait de passer une nuit d’insomnies entrecoupées de cauchemars avortés.
Il ne s’en fit pas trop. C’était toujours ainsi lorsqu’une journée d’importance se manifestait, comme aujourd’hui. Il pensa au programme qui l’attendait tout en effectuant son rituel matinal auquel il ne dérogeait jamais. Tout d’abord il se rasait. Soigneusement. Selon l’humeur du moment, devant son miroir, il lui arrivait parfois de se tirer la langue… Pas aujourd’hui.
Après la douche c’était le petit-déjeuner : un café filtre bien tassé dans un grand bol, deux tartines beurre/confiture qu’il préparait soigneusement, un yaourt, un fruit. Enfin repu, il se leva. Encore à moitié endormi, il ne vit pas le set de table qui traînait à terre et entama une glissade.
Il s’écria, l’œil angoissé :
— Non !
La proximité d’une chaise lui permit de se cramponner au dossier pour éviter une chute qui pourrait lui être fatale. Comme une fracture du poignet par exemple.
Sa réaction s’expliquait. Professeur de piano au Conservatoire et concertiste, ses mains lui étaient précieuses. Il tenait bien sûr à son poste de titulaire, mais il était surtout un dénicheur de talents. C’est ainsi qu’il avait su imposer une journée par an d’auditions à l’aveugle, et il n’en était pas peu fier…
Et justement, c’était aujourd’hui le grand jour où, fiévreusement, il s’attendait à découvrir l’élève providentiel avec lequel il pourrait, à terme, passer des week-ends de travail dans sa maison de campagne sur son piano de concert. Un héritage familial qui lui permettait d’exercer son art en toute tranquillité et avec la sérénité requise.
C’était une journée d’importance à double titre. L’audition, certes, mais il attendait également des nouvelles de son compagnon de vie, Alexandre, artiste-peintre, parti depuis une semaine à Avignon pour le vernissage de ses œuvres. Il devait normalement revenir au bercail dans la soirée.
§§§
Le brouhaha habituel de voix chuchotées s’éleva dès que Jérôme entra dans le couloir du Conservatoire. Ils étaient une quarantaine à participer à l’audition en aveugle et avaient tous tiré leur ordre de passage. L’ambiance était fiévreuse. À couper au couteau. Travailler avec Pinchard c’était quasiment un avenir assuré. Des sons étouffés de piano s’échappaient des salles dès qu’une porte s’ouvrait.
Jérôme attirait les regards :
— C’est lui ! Je te dis que c’est lui, Pinchard, le concertiste ! lança une jeune fille.
Le prof sourit et rejoignit ses deux autres collègues membres du jury. L’un jugerait la technique, l’autre l’interprétation et Jérôme trancherait. L’accordeur de piano venait de partir, la séance pouvait commencer. Une longue journée de concentration : 45 candidats pour 8 places à la rentrée de septembre… Un morceau imposé : une sonate de Beethoven « L’adieu, l’absence et le retour » et un morceau au choix issu du répertoire classique, romantique ou contemporain.
La première heure ne posa pas de problème particulier pour établir un classement par mérite, mais au fur et à mesure de la journée la tâche se compliqua : les interventions se valaient souvent par leur qualité…
Restait le 45e candidat à auditionner. Le jury, encore dans l’incertitude et un peu las, prêta néanmoins l’oreille à cette dernière prestation et ce fut l’instant de grâce ! Enfin ! Le temps s’était arrêté. Dès les premières notes, un son unique donnait un rendu de l’œuvre absolument impressionnant, tant par la technique que par la justesse de l’interprétation.
Et surtout il y avait ce petit plus qui faisait la différence. Ce petit plus qui ne pouvait être enseigné et que l’on apporte, parfois, dans son berceau… Une émotion grandissante envahit Jérôme qui, pour la première fois depuis bien longtemps, ne pouvait retenir sa larme à la surprise de ses deux collègues.
Les délibérations débutèrent. Une longue heure déjà où tous les candidats, agglutinés dans l’étroit couloir attenant, rongeaient leur frein. Enfin la porte de la grande salle s’ouvrit et ils furent invités à y entrer. Ils allaient à présent connaître le nom des huit heureux élus.
Le candidat numéro 45, premier nommé, sortit des rangs. A la grande surprise de tous, il s’agissait d’une gamine d’environ 9 ans, vêtue modestement, le teint pâle, l’œil interrogateur. Elle s’appelait Enara Tognazzo.
Après un murmure fait de courts apartés entre candidats, le silence s’installa dans la salle. Le cerveau de Jérôme tournait à plein régime. Il évaluait d’ores et déjà toutes les potentialités à exploiter chez Enara. Son jeune âge était un atout supplémentaire. Il passa ensuite aux autres musiciens retenus.
Lorsque tout ce beau monde fut parti, Jérôme demanda aux parents – apparemment des gens modestes – et à Enara de le rejoindre dans son bureau. Le père avait l’air bougon et la mère était plutôt contente, mais curieuse quant à la suite.
— Nous l’avons présentée parce qu’elle insistait. Comme son professeur d’ailleurs. Elle vous a déjà vu jouer en concert et depuis…
Jérôme esquissa un sourire. La discussion s’engagea. Il apprit que le père d’Enara était mécano dans un garage qui avait du mal à se convertir aux véhicules électriques. La mère « faisait des ménages ». Un couple qui se saignait certainement pour régler les cours de leur fille.
Le prof rassura les parents :
— Enara a un don et je peux la mener loin. Je pense que sur le plan financier, vous pourrez bénéficier d’une bourse d’études.
Le père hocha la tête. La mère ajouta :
— Les cours c’est bien ici au Conservatoire ?
Elle craignait déjà de perdre sa fille par anticipation…
— Oui, oui, rassurez-vous. Juste une question : vous avez quoi comme piano ?
Le couple se concerta du regard :
— Un petit piano en location, précisa la maman, un peu gênée.
Jérôme s’éclaircit la voix avant de passer à la partie délicate :
— Pour le moment, ça ira. Plus tard elle devra aussi s’exercer sur un piano à queue en dehors des cours. C’est la raison pour laquelle j’organise des week-ends de travail à mon domicile pour les élèves les plus prometteurs.
Nouvel échange de regard entre les époux. À son domicile ? Et pourquoi pas au Conservatoire tout simplement ? Ont-ils affaire à un enseignant pédophile ?
Mais Jérôme devina la raison de leur interrogation et répondit :
— Je vis avec mon ami Alexandre, un artiste-peintre, dans une grande maison au calme. Un cadre idéal pour travailler.
Le père, un peu irrité, secoua la tête et maugréa :
— Pour moi un piano c’est un piano !
— Oui, mais il y a une technique plus pointue sur les pianos à queue, mieux adaptée aux futurs concertistes.
Il renonça à expliquer la différence entre un piano droit et un piano à queue. Pas sûr que M. Tognazzo aurait compris…
Depuis que Jérôme avait parlé de sa maison de campagne, le regard d’Enara s’était perdu dans le vide. Elle donnait l’impression de ne plus écouter la conversation, comme si elle essayait d’imaginer les lieux par anticipation, l’ambiance, l’instrument qui l’attendait. Mais un fond d’indicible tristesse persistait au fond des yeux de la gamine. Jérôme le découvrit, un peu interrogatif.
L’entretien terminé Pinchard ajouta :
— De toute façon on en reste là pour le moment et pour un bon moment. Pour la bourse, n’oubliez pas de prendre rendez-vous avec l’administrateur du Conservatoire.
Les parents saluèrent le futur professeur de leur fille. La mère faisait apparaître un sourire sur son visage, mais l’éclat des yeux du père restait équivoque. Jérôme serra la main d’Enara en dernier. Contre toute attente la gamine esquissa une révérence en pliant son genou. Dans sa tête elle avait changé de statut social… Encore tout remué, Jérôme lui dit d’une voix douce :
— À mercredi. Je te donnerai ton travail pour les vacances et on se reverra en septembre.
§§§
Pendant l’été, allongé au bord d’une plage de sable fin, il arrivait à Jérôme de penser à ses huit nouveaux élèves, les personnalités qu’il allait découvrir. Il imaginait la façon dont il organiserait ses cours.
Pour Enara ce serait différent. À 9 ans les enfants généralement sont des machines à jouer. Leur absence d’expérience de la vie ne leur permettait pas d’affiner leur interprétation. Sauf pour Enara. Son potentiel émotionnel, étonnamment développé, faisait supposer à Jérôme des épreuves douloureuses qu’elle aurait pu traverser malgré son jeune âge.
Il apprendrait plus tard que son élève était une enfant adoptée. Sa génitrice aurait accouché sous « x ». Le couple Tognazzo avait pu l’accueillir à peine quelques mois après sa naissance. Et rien n’avait été caché à Enara…
§§§
La saison estivale passa rapidement. Jérôme prêtait main-forte à Alexandre pour l’organisation de son exposition. Pas une mince affaire. Son compagnon avait l’exigence du perfectionniste. C’était un râleur. Quand il exagérait, Jérôme partait se mettre au piano et Alexandre s’isolait dans son atelier pour peindre. Ils se fréquentaient depuis cinq ans. Précédemment Jérôme avait plutôt mené une vie d’hétéro qui ne se posait pas trop de questions jusqu’au jour où il avait rencontré Alexandre dans un bar et que leurs mains s’étaient touchées accidentellement. Un courant irrépressible avait immédiatement passé entre eux.
Le couple parfait ? Non. Des chamailleries suivies de moments de bouderie, mais qui se terminaient souvent sur l’oreiller… Comme ce samedi d’août où, dans le cadre de la préparation de l’exposition, un cadre avait glissé des mains de Jérôme. Alexandre était accouru et avait hurlé en constatant les dégâts :
— Mais tu ne peux donc pas faire attention ! Tu as peur de t’abîmer les mains ? Un cadre à plus de 1000 euros !
— Excuse-moi, je suis navré, mais c’est juste un coin qui est plié.
— Juste un coin qui est plié ? Il y aura du travail pour le reprendre ! Donne-moi cela, conclut Alexandre, furieux, en lui arrachant le cadre des mains.
Jérôme ne put trop râler. L’hiver dernier Alexandre avait été fortement grippé et il grelottait. Le chauffage tournait à 24/25°. Jérôme n’avait-il pas été indélicat avec son compagnon en affirmant que l’hygrométrie de l’air était mauvaise à cette température et que cela allait nuire à son piano ?
§§§
Le premier cours avec Enara avait été fixé au 19 septembre à 11 h. Tout content de l’accueillir, Jérôme rongeait son frein. Dix minutes, un quart d’heure : toujours pas d’Enara… Pinchard soupira :
— Et voilà, c’est foutu ! Les vieux auront eu tout l’été pour se raviser. C’est vraiment, vraiment dommage.
Furieux, il était déjà en train de consulter la liste des candidats non retenus lorsque la secrétaire fit son apparition. Elle expliqua à Pinchard qu’Enara avait été hospitalisée la veille.
— Mince ! s’exclama Jérôme. Et on en sait plus ?
— Non ! Par contre le dossier pour la demande de bourse est bouclé. Donc ce n’est qu’affaire remise.
— OK, Murielle. Tâchez néanmoins d’en savoir davantage. Si c’est grave ou pas.
Jérôme ne remplacerait donc pas Enara. Il attendrait le temps nécessaire, quitte à organiser des cours de rattrapage dans sa maison de campagne. Il en sut davantage lorsque Madame Tognazzo appela le lendemain.
— Enara a fait une intoxication alimentaire grave. Elle vient de sortir du coma, mais doit encore rester à l’hôpital. Dès qu’elle est rétablie, je vous l’enverrai.
Dès les premières leçons, Jérôme découvrit une élève docile et attentionnée. Elle comprenait les explications, en faisait rapidement un acquis et n’hésitait pas à poser des questions. Lorsqu’elle quitta le cours, Jérôme la suivit du regard en pensant :
— Ah, si seulement je pouvais lui enlever cette tristesse au fond des yeux.
Lorsque plus tard Enara mit le pied dans la maison de son professeur de piano, elle resta interdite à l’entrée du salon. Un tel luxe fait de raffinement, elle ne l’avait jamais vu. Des tapis partout. Des boiseries qui sentent bon les essences forestières. Des tableaux de maître, de vastes fauteuils entourés de petits meubles à bibelots, et surtout la belle vue sur le parc à travers les petits carreaux de la porte-fenêtre.
— Viens, pose tes affaires là ! dit Jérôme d’une voix douce avec un sourire au coin des lèvres.
Ils s’installèrent au piano. Le travail avait été compris au-delà des espérances, malgré certaines maladresses. Mais n’était-elle pas venue pour apprendre ? Et Enara savait à quoi s’attendre. Ce n’étaient pas des cours de 25 ou 50 minutes comme au Conservatoire, mais de longues heures de musique entrecoupées par des promenades dans le petit parc.
Pinchard lui apprit l’économie de la gestuelle, la mémorisation de la sensation du doigt pressant la touche, le lâcher-prise aussi total que possible.
« Finalement le piano c’est facile… » se dit Enara. Cela faisait longtemps que les 88 notes du clavier ne lui faisaient plus peur…
Après toutes ces heures de concentration, Enara s’endormit finalement sur le canapé du salon en attendant que ses parents viennent la rechercher. Mais voilà : la vieille Renault des Tognazzo était tombée en panne et Alexandre n’était toujours pas revenu de son exposition à bord de l’unique voiture du ménage.
Il était 21 h passé lorsque Jérôme rappela les Tognazzo.
— Je suis vraiment embêté, je n’ai toujours pas de voiture. Le plus simple serait qu’Enara dorme sur place. Je vous la ramène demain matin à la première heure.
Jérôme sentit l’ambiance à l’autre bout du téléphone : la mère hésitait, le mari fulminait en arrière-plan.
— Enara est en sécurité ici. Il ne peut rien lui arriver, ajouta Pinchard un tantinet irrité par l’attitude du père.
— Oui, oui ! répondit la mère sur un ton évasif.
— Passe-moi ce connard, hurla Tognazzo.
Jérôme garda son calme.
— Ni vous ni moi avons de moyen de locomotion. Je vous rappelle que c’est votre voiture qui est tombée en panne et non la mienne ! Enara est en bonnes mains. À demain. À la première heure.
Et il raccrocha. Pinchard souleva Enara toujours endormie et la porta avec beaucoup de délicatesse sur le lit d’une des chambres. Il laissa la porte entrouverte au cas où elle appellerait.
Il n’avait pas sommeil et décida de guetter l’arrivée de son compagnon. Alexandre rentra lorsque minuit sonnait. Il avait vendu deux tableaux et enregistré une commande d’œuvre. Il était aux anges et tenait à faire partager son enthousiasme avec son compagnon. Mais dès le pas de porte, Jérôme mit son index devant la bouche pour lui intimer le silence.
Il lui dit simplement, dans un murmure :
— Elle dort !
Les deux hommes s’installèrent discrètement dans le salon. Les quelques jours d’absence avaient suffi pour raviver la flamme. Ils s’embrassèrent avec fougue et restèrent enlacés un bon moment. Puis Alexandre se lança sur moult détails quant au déroulement de l’exposition. Longuement. Trop longuement.
Jérôme l’écoutait pourtant avec attention et ne le quittait pas des yeux. Il ne remarqua pas Enara qui, réveillée par le bruit confus des voix, avait rejoint le salon. La jeune fille ne comprenait pas ce qu’elle faisait encore chez son professeur de piano en pleine nuit…
À la fin du récit, Jérôme, l’œil humide prit les mains d’Alexandre et lui dit :
— J’aimerais tellement que nous ayons un enfant à nous deux.
Surpris, Alexandre fit de grands yeux. Il s’était attendu à des compliments sur sa réussite artistique. Il était un peu pris au dépourvu bien qu’ils aient déjà évoqué le sujet de la parentalité.
— Oui, oui, je sais, c’est également mon souhait, mais…
Un bruit fit tourner la tête aux deux hommes.
— Enara ma chérie tu n’arrives pas à dormir ? La voiture de ton papa est tombée en panne. Mais n’aie pas peur. Demain matin, dès la première heure, je te ramène.
Elle demanda un verre d’eau.
— C’est l’heure de te reposer à présent. Tu as fait du bon travail aujourd’hui. Je te félicite. Viens, je vais te border. Tu aurais dû l’entendre jouer, Alexandre, un vrai petit génie !
La gamine acquiesça en silence et arbora un léger sourire pour le compliment reçu.
Pinchard couvrit Enara et l’embrassa sur le front en murmurant :
— Bonne nuit ma chérie !
Et il ferma la porte derrière lui.
Enara ne s’endormit pas de suite. Elle réfléchit. Elle réfléchit et trouvait que le monde était mal fait. M. Pinchard aimerait avoir un enfant et n’en a pas. Elle vivait avec des parents adoptifs qui se disputaient beaucoup, surtout quand le père rentrait tard. À l’école, sa meilleure copine avait huit frères et sœurs et son papa venait de mourir d’un cancer. Enara s’endormit enfin en rêvant de rencontrer un jour ses vrais parents. Peut-être étaient-ils aussi gentils que son professeur de piano…
§§§
Le lendemain ils petit-déjeunèrent tôt. Malgré l’heure matinale, un taxi s’arrêta à hauteur de la maison. C’était le père d’Enara. Il sortit précipitamment du véhicule et se dirigea vers le perron d’un pas décidé puis actionna la sonnette à plusieurs reprises.
— On arrive, on arrive ! lança Jérôme en ajoutant à l’attention de la gamine : « Je crois que c’est ton papa ».
Les affaires d’Enara étaient prêtes. Jérôme et Alexandre l’accompagnèrent à la porte. L’œil furieux, sans saluer, Tognazzo s’adressa à sa fille sur un ton rude :
— Allez, viens !
— Vous m’avez devancé Monsieur Tognazzo, j’allais la ramener, dit Pinchard.
L’homme toisa les deux hommes, le regard enflammé. On sentait la rage contenue. Il marmonna entre les dents :
— C’est la première et la dernière fois !
Alexandre regarda le taxi s’éloigner et secoua la tête en s’exclamant :
— Quel sale con !
— Con et homophobe… ajouta Jérôme.
Ils rejoignirent le salon. Pour consoler son compagnon, Alexandre le serra doucement contre lui en murmurant sur le ton de la confidence :
— Viens !
Jérôme lui jeta un regard triste :
— Non, Alexandre. Pas maintenant, s’il te plaît.
Il avait le cœur gros. À cet instant précis Enara était vraiment entrée dans sa vie et il se sentait complètement désarmé devant cette situation.