Le lien - Choline Cétyl - E-Book

Le lien E-Book

Choline Cétyl

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Beschreibung

Depuis l’accident tragique qui a plongé son amie dans le coma, Édouard est profondément ébranlé. La perspective de la perdre déclenche en lui une tempête d’émotions inexplorées. D’où vient cette nouvelle facette qu’il découvre de lui depuis cet événement ? Était-il plus épris d’elle qu’il ne voulait l’admettre ? Dans quelle relation veut-il désormais se projeter quand elle se réveillera ? D’ailleurs, Sylvie peut-elle choisir ou non de se réveiller ? Qui distribue les cartes ? Comment nos deux étudiants vont-ils pouvoir choisir leur destin avec celles qu’ils ont en main ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Choline Cétyl, fascinée par les émotions humaines, a commencé à écrire au collège. Après avoir enseigné pendant quinze ans et surmonté un burn-out grâce à la sophrologie, elle a redécouvert sa passion pour l’écriture lors d’un congé maternité, où elle a trouvé l’inspiration pour immortaliser les récits de ses personnages.

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Choline Cétyl

Le lien

Roman

© Lys Bleu Éditions – Choline Cétyl

ISBN : 979-10-422-3994-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Ce qui m’intéresse, ce sont les sentiments humains et leur(s) interaction(s) avec l’autre.

De leur naissance inexpliquée à leur révélation, en passant par leurs névroses et leurs miracles, leurs béquilles et leurs forces, jusqu’à leur mort, si tant est qu’ils en aient une…

Choline Cétyl

Parfois, lorsque les choses s’effondrent,

en réalité,

c’est à ce moment-là qu’elles se mettent en place.

Auteur inconnu

1

Un samedi d’octobre 2006, une berline roule dans la nuit sur la D996. Il pleut. La conductrice, une jeune femme de vingt ans, a le regard dans le vide. Un virage sans glissière, une voiture arrive en face. Les phares dans les yeux, la tête ailleurs, pas le temps de freiner, ses mains donnent un coup de volant sur la droite pour éviter le choc frontal et son véhicule décolle pour aller s’encastrer dans un arbre quelques mètres plus loin, puis s’écraser au sol, un peu en contrebas.

Les yeux fermés, dans un espace sans bruits,

ou plutôt sourde aux bruits extérieurs,

j’ai la sensation de flotter.

2

Dans le fourgon qui les emmenait sirène hurlante, le jeune brigadier n’en menait pas large pour sa première intervention sur le terrain. L’appel faisait état d’un blessé très grave. Son responsable, peu bavard et pressé, ne lui avait adressé que quelques mots :

— Tiens, remplis ton PV de ton côté, mais reste avec moi pour les identités et les témoins, inutile de les embêter plusieurs fois.

— Bien mon adjudant.

Ils arrivèrent enfin sur les lieux sous une pluie battante. À peine sorti du véhicule, le gendarme était déjà en contrebas, près des pompiers qui s’affairaient à extraire une jeune femme inconsciente. Lui, le suivit mal assuré, glissant dans le talus devenu boueux. Au vu de l’urgence, le supérieur aidait les pompiers à remonter le brancard en les maintenant pour éviter qu’ils ne glissent trop dans la remontée. Ce faisant, l’un d’eux le mettait au parfum.

— Pas d’airbag, choc dans l’arbre en contrebas, on a ses papiers, c’est une étudiante. Elle est inconsciente. L’appel provient d’un Monsieur Carsan. Il est toujours là-haut avec mes gars, il dit être arrivé après.

Les pompiers chargèrent le brancard, sautèrent dans leur ambulance et disparurent dans les lumières bleues de la nuit.

— Bonsoir Monsieur…

— Carsan.

— Monsieur Carsan, Adjudant Tallard, puis-je recueillir votre témoignage s’il vous plaît ? demanda l’adjudanten l’observant. Homme de taille moyenne, ni snob ni élégant, mais habillé avec goût. Plutôt svelte de carrure, la petite brioche naissante trahit la quarantaine bien tassée, ce que semble confirmer les quelques rides à son front et sa chevelure poivre et sel. Il a encore le teint bien hâlé du soleil des vacances. À première vue quelqu’un de bien sous tous rapports qui prend soin de lui. Par contre, Il ne semble pas ému de la situation, calme, trop peut-être ? A-t-il déjà eu le temps de se ressaisir ? Ou alors le contrecoup n’est pas encore arrivé ? Ses chaussures sont couvertes de boue et ses vêtements trempés sous son manteau et son parapluie. Il est peut-être descendu sans manteau dans la précipitation et l’a remis ensuite en attendant les secours ou les gendarmes…

— Oui, je suis arrivé dans le virage et j’ai vu la voiture, alors je me suis garé au plus vite et j’ai appelé. Une chance qu’il y ait eu du réseau par ici !

— Il était quelle heure ?

— Je ne sais plus, vous l’aurez avec l’appel des pompiers, je suppose, ou je peux regarder.

— Et donc, vous appelez ?

— Et les pompiers me posent plein de questions, alors j’ai dû descendre pour pouvoir y répondre.

— Il n’y avait personne avec elle ?

— Non.

— Ni dans la voiture, ni un autre véhicule qui serait parti à votre arrivée ?

— Non.

— Vous avez croisé des voitures en venant ?

— Je ne me souviens pas.

— Certaines sont passées depuis que vous avez appelé ?

— Je ne pense pas, ils se seraient arrêtés non ?

— Probablement.

— Je dois rester encore longtemps ? demanda-t-il visiblement fatigué et trempé comme une soupe.

— Monsieur Carsan, vous serez convoqué demain ou dans les prochains jours pour signer votre déposition, et nous devons garder votre véhicule pour quelques vérifications relatives à l’enquête.

— Garder ma voiture ? Mais…

— Je vais vous demander une pièce d’identité s’il vous plaît et des coordonnées pour vous recontacter ultérieurement.

Il sortit son portefeuille de sa poche, le tendit, donna son numéro de portable et son adresse, ainsi que celle de son travail.

— Vous n’êtes pas de la région, savez-vous où dormir ce soir ?

Puis, après avoir fait une photo des papiers, et noté les infos, l’adjudant libéra le témoin pour le confier à un collègue avec un signe de tête. Quelque chose dans cet homme ne lui revenait pas. Un caillou dans la chaussure… Il se tourna vers son brigadier et avec un ton faussement sérieux :

— Alors ? Tout noté ?

— Oui mon adjudant !

Il sourit devant la réponse empressée de bien faire du jeune trentenaire.

— Alors, continue tes observations, mais surtout ne gêne personne.

— Bien mon adjudant, dit-il en reprenant sa feuille guide du PV :

Examen sommaire des véhicules.

La Police scientifique s’en chargeait déjà, mais il serait sûrement intéressant de regarder ce qu’ils faisaient : ils auscultaient ce qu’il restait de la voiture blanche déjà bien amochée par l’atterrissage forcé dans l’arbre, et mutilée par la pince à désincarcérer des pompiers. Le pare-brise brisé en étoile, la ceinture sectionnée au couteau par les pompiers, le fauteuil et le volant maculés de sang, la vitesse enclenchée ? La troisième, donc elle avait bien rétrogradé dans le virage… À l’extérieur, le pare-chocs portait bien son nom, tout l’avant avait encaissé les déformations, limitant, dans la limite du possible, celles de l’habitacle.

Puis il lut :

Collecte et analyse de tous les indices/

Plan coté et détaillé des lieux/

Infos relatives à l’état avéré de la victime…

La nuit n’était pas terminée. Et cette pluie ! Au moins je peux remplir facilement la case météo, il pleut comme vache qui pisse ! Il observa la chaussée, son état, les obstacles éventuels, et chercha des traces, il n’en vit pas. Pas de traces de freinage ? Son cerveau conclut : Suicide !

De son côté, l’adjudant avait regardé son témoin l’air de rien, puis une fois celui-ci escorté par un collègue pour lui trouver un point de chute pour la nuit, il s’était approché de sa voiture garée un peu en amont du virage sens témoin (ou en aval du virage, sens victime). Lui aussi avait remarqué l’absence de grosses traces de freinage, d’un côté comme de l’autre. Il fit rapidement le trajet de l’hommepour vérifier à quel moment il verrait la voiture en contrebas et l’écrivit dans son calepin. Hum bon, pas de trace de choc à l’avant non plus , vérifia-t-il ensuite.

— Voici le sac de la victime avec ses affaires, l’interrompit un collègue en les lui apportant.

— Voyons cela : un téléphone, un trousseau de clés, ses papiers « Sylvie Ledoux », une carte d’étudiante, un itinéraire de route…

Les équipes de Police scientifique continuaient les photos, les relevés topographiques, les marques dans le fossé… Il récupéra le jeune homme et s’abrita dans le fourgon :

— Bon ! Alors, quelles sont tes premières conclusions ?

— Ben, y a pas de traces de freinage, la voiture n’a pas d’autres traces de choc, le témoin dit qu’il n’y avait personne. Elle a perdu le contrôle de son véhicule, accidentellement ou…

— Où ?

— Volontairement.

— Donc il va falloir mener une petite enquête pour mieux connaître notre victime. Il manque encore des pièces au puzzle. Nous reviendrons dès que la pluie aura cessé.

— Pourquoi ?

— Il arrive qu’on ne puisse rien voir de nuit et sous la pluie avec nos lampes, mais en séchant, il est possible que le bitume ait des choses à nous dire. Nous en saurons plus d’ici peu avec les résultats des examens cliniques de la victime.

— On va ? murmura le brigadier qui venait de comprendre qu’il n’était pas encore sur le chemin de son lit…

Les phares, le klaxon, le crissement des pneus sur la route

et le choc. Ça, c’était il y a quelques heures.

Mais maintenant, je plane comme dans une bulle,

une bulle nébuleuse sans forme précise.

3

Quand l’ambulance arriva aux urgences, les infirmières étaient déjà là. Les portes s’ouvrirent, le médecin délivrait les premières informations à l’équipe de réanimation qui prenait en relais le brancard et courait faire les examens nécessaires. Puis, dès les résultats reçus, ils l’embarquèrent en salle d’opération.

J’avance et là-bas, on dirait une porte…

Elle est grise comme l’air ambiant.

Je n’arrive pas à en identifier la matière.

Est-ce du bois peint ? Une plaque de métal lisse ?

Elle semble autant immatérielle que réelle.

Est-elle là seulement ?

Est-ce une vue de l’esprit ?

4

Les gendarmes arrivèrent à leur tour à l’Hôpital Général, on leur indiqua le chemin et après des couloirs, des ascenseurs et encore des couloirs, ils atteignirent le bon service. La personne au bureau d’accueil les conduisit vers le médecin responsable. Ils discutèrent de l’état de la jeune femme, et des résultats des dépistages de drogues, alcools et autres médicaments :

— Tout est négatif, elle n’a rien dans le sang.

— OK, merci.

— Vous pensez qu’elle va s’en sortir ? se hasarda le brigadier.

— Son pronostic vital est encore engagé, on a une intervention en cours. Je vous tiens au courant mon adjudant, dès que j’ai plus d’infos.

— Merci docteur. Je pense que c’est à eux qu’il va falloir en donner avec tact.

En effet, un couple de quarante, cinquante ans arrivait visiblement très inquiet, escorté d’une infirmière qui les faisait entrer en toute hâte dans le salon d’accueil.

— Bon courage, je reviens vers vous rapidement.

— Merci, bonnes investigations à vous.

— Oui, l’enquête ne fait que commencer…

Et pourquoi une porte ?

Y aurait-il un passage ?

Pour aller où ?

5

Dans le salon d’accueil des familles de l’hôpital, le couple attendait en compagnie d’une infirmière la fin de l’intervention en cours. Après une bonne heure, le chirurgien entra enfin :

— Madame, Monsieur, bonsoir, dit-il en leur tendant la main à chacun tour à tour. Elle est en vie, gravement blessée, mais en vie, son état est stable, elle ne souffre pas… Elle est dans le coma. Souhaitez-vous voir votre fille tout de…

— Bien sûr ! le coupèrent-ils en se levant d’un bond.

— Très bien. Je vais vous demander de laisser ici vos vêtements et objets inutiles et je vous accompagne.

Il se leva et les escorta le long d’un couloir opaque puis vitré, donnant ainsi sur plusieurs chambres ou salles encombrées de machines reliées à des patients en réanimation. Il s’arrêta devant une porte portant le nom de « Sylvie ».

— Elle est ici.

Puis ils entrèrent…

Je reste immobile.

Les jointures sont probablement hermétiques

car je ne perçois pas de lumière derrière.

Ou peut-être n’y en a-t-il tout simplement pas.

6

Dans le bureau de l’adjudant, celui-ci demandait :

— Alors, Charivari, ton verdict ?

Chenavari, mon nom c’est Chenavari !

— Et bien, l’absence de trace de freinage et le fait qu’elle soit seule laissent à penser qu’elle a perdu le contrôle de son véhicule accidentellement ou volontairement. Mais…

— Mais ?

— Mais elle n’a rien dans le sang, elle était attachée et avait rétrogradé, donc je serai tenté d’éliminer le suicide.

— Je pense qu’on peut l’écarter surtout parce que la topologie de l’accident ne s’y prête pas.

— Comment ça ?

— Si tu veux te suicider, tu accélères au niveau d’un virage, mais tu vas tout droit, tu ne le commences pas. L’adjudant dessinait sur le paperboard en même temps qu’il expliquait.

— Or, l’emplacement de la voiture et les traces dans le talus montrent qu’elle l’a commencé son virage, mais qu’elle n’a pas pu le finir, quelque chose l’en a empêché.

— Ce serait donc plutôt accidentel. Peut-être qu’elle roulait trop vite, ou qu’il y avait du gibier. Ou que la voiture a eu un problème. La PS pourra nous le dire.

— Intéressant, tu te poses de bonnes questions, mais il reste aussi encore une hypothèse que tu ne prends pas en compte.

— Laquelle ?

— La présence d’un autre véhicule !

— Celui du témoin ?

— Par exemple, ou un autre, et ça, ça changerait la donne !

— La donne de quoi ?

— Peux-tu me rappeler pourquoi on établit un PV d’accident ?

— Ben, le procureur en a besoin pour décider de poursuivre ou non l’auteur des infractions, et de déterminer les responsabilités pour l’indemnisation des victimes.

— Précisément.

— Donc, c’est pour savoir qui va payer ?

— Et surtout SI quelqu’un va payer !

— Je croyais que la loi Badinter permettait l’indemnisation de toutes les victimes de la route ?

— La loi précise trois cas. Premier cas : le cas des victimes piétons ou passagers d’un véhicule motorisé.

— Deuxième cas : Le cas des conducteurs victimes d’accidents non responsables, continua le brigadier.

— Et troisième cas : le cas des conducteurs victimes d’accidents responsables, ce qui selon tes conclusions serait le cas de notre victime. Dans ce cas, la victime ne peut prétendre à la réparation de ses dommages corporels que si elle a souscrit une garantie spécifique la protégeant : une garantie « accident responsable » et dans ce cas, le montant est plafonné par son assurance.

— Alors que s’il y a un autre véhicule impliqué, même s’il n’y a pas eu collision, ou s’il y a fuite, elle serait entièrement indemnisée soit par l’assurance de l’autre conducteur, ou par le fond de garantie des assurances obligatoires de dommages, termina le jeune homme songeur.

— Tu comprends maintenant l’importance de notre travail, pour nous ce ne sont que des données, pour elle c’est toute sa vie future qui se joue là et celle de sa famille. Le coma, la rééducation et le handicap lourd, ça coûte très, très cher…

— Le handicap lourd ?

— Oui, vu son état, je pense qu’il y a un gros risque, oui !

Le jeune homme devint grave :

— Donc, je me suis trompé.

— Rien ne le prouve encore.

— Si, je me suis trompé par omission, j’ai bâclé mes conclusions.

— Oui, là d’accord, mais c’est en se trompant qu’on apprend.

— On y retourne ? Il ne pleut plus, dit-il, décidé.

L’adjudant sourit :

— Oui, on y retourne. Et on trouve des réponses avant d’aller faire signer sa déposition au témoin.

— Donc on cherche des preuves pour le confondre s’il a menti ? Mais pourquoi il mentirait ?

— Chaque chose en son temps. D’abord les faits. Encore les faits, toujours les faits.

Une fois sur le lieu de l’accident, l’adjudant encouragea ses troupes :

— Bon ! Cette petite est dans le coma, elle ne peut pas nous aider pour le moment, alors en attendant et en espérant qu’elle puisse le faire rapidement, c’est à nous de trouver les réponses, et les bonnes !

Sur ce, l’agent de Police scientifique sortit avec son appareil, le brigadier avait aiguisé son regard, et tous trois remontèrent en amont du virage, guettant le point de réaction, l’instant où l’accident commence…

Je ne sens ni chaleur ni froid,

ni moiteur, ni air.

En fait, je ne perçois plus mon corps…

Seul mon esprit semble actif.

Alors cette porte doit être là pour lui.

7

Le chirurgien les invita à sortir et les raccompagna dans le salon spécifique à l’accueil des familles. Ils s’assirent silencieux. Il prit deux verres d’eau à la fontaine et leur proposa. Ils les prirent et burent muets. Puis il s’assit en face d’eux et après un silence comme pour prendre son élan, il commença :

— Lorsqu’un patient arrive dans le coma à l’hôpital, l’examen clinique est compliqué, alors on lui fait passer un scanner, car il n’y a pas d’interrogatoire pour savoir où il a mal.

À ses mots, la mère tressauta. Elle était brune, les cheveux longs justes attachés par un chouchou de velours. Les yeux noirs, les traits du visage fins, elle avait dû enfiler le premier pull et pantalon à la va-vite, sans prendre le temps de se maquiller ni de se parer de bijoux, pour arriver au plus tôt. Elle était petite, dans les un mètre soixante peut-être. Elle devait être dynamique, même si là, elle était effondrée.

— C’est ce que nous avons fait pour votre fille. Nous avons ensuite approfondi l’examen à l’aide d’une IRM de la zone du rachis qui est le meilleur examen d’imagerie de la moelle épinière et des ligaments de cette zone… Il est ressorti de tous ses examens que votre fille a une fracture de la vertèbre thoracique T7 qui a occasionné un hématome nécessitant une opération chirurgicale rapide afin d’enlever le sang et les fragments d’os qui s’étaient accumulés et faisaient pression sur la moelle épinière, ce qui vient d’être fait… Il reste néanmoins une lésion au niveau de la vertèbre L3 que nous ne pouvons pas toucher, car c’est une section partielle occasionnant une paralysie des membres inférieurs.

Déjà légèrement voûté, l’homme s’affaissa d’un coup. La cinquantaine, il avait les cheveux un peu longs, grisonnants, le front ridé de lignes horizontales profondes. Ses yeux gris verts étaient perdus dans le vide et rougis par les larmes, on le voyait, même derrière les verres qui se teintaient légèrement selon la luminosité. Pull et pantalon en velours côtelé noir, il était grand pour son âge et assez large de carrure, mais le dessus du dos légèrement voûté dégageait plus de lassitude que d’énergie.

— Pour résumer l’état actuel des choses, votre fille est dans le coma et nous ne savons pas quand elle se réveillera. (Il prit un temps de pause.) Quand elle le fera, a priori, au vu du scanner, elle ne devrait pas avoir de séquelles mentales graves. (Il fit une autre pause.) Pour ce qui est de la moelle épinière, la compression au niveau de la vertèbre thoracique T7, si elle se résorbe bien dans les prochains jours, le risque de paralysie haute sera écarté. Mais en ce qui concerne la section partielle au niveau de la vertèbre lombaire L3, votre fille quand elle se réveillera, sera très probablement paraplégique. Je suis désolé. Il faut que vous soyez préparés à cette idée.

Le silence se fit lourd dans la pièce. La fatigue, le stress, l’angoisse des nouvelles, les parents accusaient le coup.

— Elle va se réveiller n’est-ce pas ?

— Il arrive que l’on puisse prédire le moment où le patient se réveillera lorsque l’on observe une lutte avec l’appareil d’assistance respiratoire, par exemple. Il faut compter ensuite vingt-quatre à quarante-huit heures pour que la personne reprenne conscience, qu’elle se réhabitue à respirer par elle-même et se réalimente par voie orale. Il est tout à fait possible de se remettre d’un coma, car le cerveau fabrique constamment de nouveaux neurones. Cependant, il faut être conscient que la qualité de rétablissement varie d’un patient à l’autre, il n’y a aucune règle. Il faut savoir aussi qu’en cas de lésion traumatique, comme c’est le cas de votre fille, la probabilité de récupération devient quasi nulle après douze mois.

Le compte à rebours était lancé.

— Excusez-moi.

— Oui madame ?

— Pouvez-vous traduire concrètement ce que veut dire paraplégique ? Elle aura à vivre quoi ma fille ?

— Alors, la paraplégie, c’est la paralysie des membres inférieurs. Elle est causée par une lésion de la moelle épinière. Les symptômes, tels que la perte de sensation, la perte de force musculaire, la perte des fonctions de l’intestin, de la vessie, peuvent être temporaires ou permanents. La prise en charge de ces lésions comporte dans un premier temps : l’immobilisation de la colonne vertébrale, des médicaments pour soulager les symptômes, et comme nous l’avons réalisé sur votre fille, une intervention chirurgicale. Elle aura aussi de la rééducation avec des kinés, et sera suivie par un ergothérapeute, un psychologue…

Les mots coulaient dans leur tête en un flot incontrôlé, à la limite du tournis et du malaise. Sylvie incontinente, clouée dans…

Puis leur tendant un gros fascicule :

— Voici le livret d’information aux familles de votre fille. C’est un livret simple et concis qui aborde quelques informations globales dont vous avez besoin dans un premier temps. Il comprend surtout les coordonnées et l’organigramme du service, les horaires de visite, les coordonnées et le nom du médecin responsable de votre fille ainsi que du cadre soignant du service, du psychologue et de l’assistante sociale.

— Merci, dit la femme, plus poliment que consciemment.

Puis quelqu’un toqua à la porte. Le chirurgien se leva et fit entrer une jeune femme, petite trentaine, brune, raie au milieu, cheveux mi-longs attachés en chignon chouchou, teint mat, mâchoire prognathe, légèrement joufflue, lèvres rouges. Comme un sourire aurait été malvenu, elle apparut avenante dans sa veste noire cintrée sur un top quadrillé noir et gris et un jean moulant noir.

— Monsieur et Madame Ledoux. Je vous présente Melia Azedarc. Elle fait partie de l’équipe, mais n’a pas de fonction soignante, sa fonction est de vous accompagner tout le temps que votre fille sera ici, en vous apportant toutes les informations nécessaires d’ordre médicales, médico-sociales, administratives et juridiques.

— Madame ! Monsieur !

— Madame.

Chacun se rassit.

— Elle va, par exemple, s’occuper des premiers contacts avec les services sociaux, puis va en temps utile vous informer et vous aider sur les différentes démarches administratives, judiciaires, avec les assurances, et répondre à vos questions au fur et à mesure qu’elles viendront.

— Je suis votre personne ressource, n’hésitez pas à me poser toutes vos questions. Il n’y a jamais de mauvaises questions, dit-elle d’une voix douce, les mains posées sereinement sur ses jambes croisées. Il émanait de sa présence, bienveillance, calme et disponibilité.

— Je dois maintenant vous laisser. Bien sûr vous pouvez retourner auprès de votre fille autant que vous le souhaitez en dehors des soins. Et je reste aussi à votre disposition.

— Merci docteur, dirent-ils en lui serrant la main avant qu’il ne passe la porte.

Le silence se fit à nouveau dans le petit salon. L’accueillante, petites roses noires aux oreilles, assise dans son fauteuil, jambes croisées, mais sans le tic énervant du balancier ou du secouage du pied, regardait discrètement le couple effondré, abasourdi, dans le canapé face à elle. Il faut dire qu’on était dans les trois, quatre heures du matin et malgré toutes les précautions de rigueur, l’annonce n’avait pu être que brutale.

Ils ne l’avaient pas remarqué de prime abord, focalisés sur la santé de leur fille, mais ce salon n’avait rien d’une salle d’attente habituelle. Les lieux se voulaient chaleureux et apaisants : les couleurs douces aux murs, l’éclairage feutré de plusieurs lampes au lieu des néons agressifs, il était aussi isolé des bruits du service. Les fenêtres avaient des rideaux clairs en tissus et non pas les stores à lattes… Enfin les sièges s’apparentaient plus au confort des sièges de cinéma que des plaques métalliques trouées des salles d’attente. Petit à petit, l’atmosphère du lieu fit son effet.

— Et maintenant on fait quoi ? demanda la maman. Quelles démarches doit-on réaliser et surtout dans quels délais ?

Dois-je l’ouvrir ?

Ou seulement prendre conscience de sa présence ?

Accepter qu’il y ait autre chose ailleurs à découvrir ?

Accepter qu’il y ait un après ?

Dois-je la garder pour plus tard ?

Cette porte est-elle une porte de sortie ?

Ou une porte d’entrée ?

8

Une vingtaine de mètres avant le virage côté victime, ils trouvèrent les premières traces de pneus. Le technicien prit les photos mètre par mètre. Plus tard sur l’ordinateur, il pourrait déterminer la vitesse, l’accélération ou la décélération des véhicules après analyse. Le tracé était normal jusqu’en plein virage ou il s’intensifiait pour virer brutalement sur la droite.

— Une simple glissade aurait occasionné une courbure plus régulière et douce. Et l’orientation de la voiture aurait été différente, dit le brigadier.

— Là, c’est clairement un coup de volant. Et la thèse de l’évitement est la plus plausible : en effet pour un suicide, il aurait suffi d’accélérer tout droit, les premiers arbres étant assez loin, elle n’aurait pas eu l’impression de foncer dans un mur, dit l’adjudant.

— Elle a clairement évité quelque chose.

— Reste maintenant à savoir quoi ou qui.

— Au boulot !

Ils cherchèrent un morceau de verre, un éclat de tôle, une marque de peinture sur la falaise intérieure du virage en vain. RIEN. Soit la pluie diluvienne avait tout lessivé, soit il n’y avait pas eu choc. Ils marchèrent en direction du prochain virage, puis firent demi-tour et revinrent vers l’accident.

— Maintenant, vérifions les dires du témoin.

Ils marchèrent et s’arrêtèrent quand ils virent la voiture en contrebas. C’était en tout début de courbe. Le stagiaire regarda au sol et vit plusieurs traces de freinage léger comme avant tout virage, mais une déviait sur la ligne et revenait dans son chemin un peu plus loin.

— Voilà, voilà, baissez-vous maintenant, dit l’adjudant. N’oubliez pas que vous êtes assis dans une berline. Alors ?

— Alors on ne voit plus l’accident. Bingo ! s’écria le jeune homme, vous aviez raison, il a menti !

— Pas encore ! Nous sommes de nuit, peut-être a-t-il vu les feux ou leur lueur rouge.

Il descendit avec une lampe torche, se mit dans l’alignement des phares et éclaira, mais il ne voyait pas ce qu’il éclairait et eux ne virent rien, l’expérience ne pouvait pas fonctionner de jour !

— Il nous faudra revenir cette nuit et vérifier, nota le technicien.

— Nous allons quand même reprendre le trajet témoin en photo en se mettant à hauteur de conducteur, et aussi au sol.

— Bien mon adjudant.

— Autre chose, si vous voyez un accident à ce niveau du virage, vous vous arrêtez où ?

— Ben, pas dans le virage pour éviter un suraccident. Un peu plus loin, dès que c’est possible.

— Et où était celle du témoin ?

— Par-là, dit le brigadier en montrant l’amont du virage.

— Pourquoi se serait-il arrêté là ?

— Il a peut-être reculé après pour pas être dans le virage justement ?

— Je dirais plutôt que quelque chose l’empêchait d’avancer plus.

— Du gibier ?

— Peut-être…

Ils revinrent au virage et cherchèrent dans le bas-côté des traces de gibier. Mais avec le passage des sauveteurs, dans un sens puis dans l’autre, ils n’en trouvèrent pas. Ils cherchèrent aussi par acquit de conscience plus en amont et en aval.

— Rien, pas de trace de gibier, alors quoi ?

— Un troisième véhicule ! sourit l’adjudant content de son effet. Qui aurait occasionné les traces sur la ligne blanche là-bas. Qui aurait ainsi obligé notre victime à l’éviter. Qui aurait empêché notre témoin de se garer à un endroit logique…

— Mais pourquoi le témoin le cacherait ?

— Ça, il va falloir le découvrir sans éveiller sa vigilance pendant sa déposition.

Le brigadiern’en revenait pas. Jamais il n’y aurait pensé.

— Il serait bon d’identifier au plus vite le véhicule qui a occasionné ses traces sur la ligne, dit-il en prenant son téléphone.

— Allo, Sablet ?

— Allo, Tallard que me vaut l’honneur ?

— J’aurai besoin de tes services.

— Je t’écoute.

— Je suis sur l’accident de cette nuit de la D996.

— Oui je suis au courant, que veux-tu ?

— J’aurais besoin de savoir tout ce que tu peux trouver sur le trajet de la berline du témoin avant l’accident.

— Depuis quelle heure ?

— Ben dix-neuf heures avant le repas, jusqu’à l’accident vers, disons vingt-deux heures.

— OK, je pars de vingt-deux heures sur la D996 et j’élargis autant que je peux en notant tout ce que je trouve.

— Merci.

— Ça ne va pas se faire dans la minute.

— Je sais bien, fais au plus vite, je voudrais avoir des infos avant de le questionner à nouveau et de lui faire signer sa déposition…

— Tu soupçonnes quoi ?

— Je ne sais pas exactement.

— Ouais, y a un truc qui colle pas, qui te tarabuste, j’ai compris.

— C’est ça.

— OK ! Je m’y mets tout de suite.

— Merci, je sais qu’on est dimanche.

— Pfu ! Tu parles ! Allez, je te recontacte dès que j’ai quelque chose.

— Merci, je te revaudrai ça.

— Un dîner au…

— Vendu !

9

— Bon, je sais que le plus important pour vous, c’est la santé de votre fille, mais maintenant, tout va être une question d’argent, avec les dossiers d’indemnisations, avec les services sociaux, les assurances, et le responsable pénal de l’accident si vous portez plainte… Ce sont des démarches lourdes à faire, mais surtout lourdes de conséquences sur son avenir.

— Je vous écoute.

— Alors, avez-vous fait une déclaration d’accident à son assurance ?

— Non, pas encore. On est venu dès l’appel des secours.

— Très bien, alors sachez ce qui va se passer, et ce qu’il est bon de faire pour assurer au mieux les intérêts de votre fille. L’assureur, quand il aura connaissance de l’accident et reçu le Procès-Verbal des gendarmes et en fonction des conclusions de celui-ci, fera faire un examen médical par un de ces médecins pour évaluer les dommages corporels de votre fille en vue de proposer, si elle y a droit, une indemnisation. Il est conseillé de mettre au point de votre côté, une assistance médicale par un médecin-conseil indépendant afin d’éviter toute sous-évaluation de ces dommages. C’est une première chose.

— Oui, je comprends.

— Ensuite, au vu de la gravité des blessures de votre fille, si la paraplégie se confirme, il serait bon de vous faire aider par un avocat en dommage corporel. Celui-ci a toutes les compétences pour demander toutes les expertises qu’il juge nécessaires à l’établissement de l’indemnisation juste de votre fille. C’est son rôle de ne rien oublier et de la protéger au mieux. Cette évaluation est très importante, car une fois présentée au tribunal, le montant de cette demande d’indemnisation ne pourra pas être surévalué par le juge. Il faut donc veiller à ce que cette demande prenne en compte tous les besoins réels de votre fille. En tant que famille, on ne pense pas à tout. Par exemple, les aides à la personne, les soins de kiné, les aménagements du logement, de la voiture, les conséquences sur sa vie privée et professionnelle…

Tout est référencé : les besoins au présent et tous ceux des années à venir, les incidences sur sa recherche de travail… Ce qui implique de refuser absolument de signer un protocole amiable avec l’assurance dont le montant serait inférieur à celui auquel elle pourrait prétendre en intentant une action judiciaire, ou l’accepter si elle est en accord.

— Vous avez dit : si elle y a droit ?

— Oui en effet, en tant que conductrice victime, s’il s’avère qu’elle est la responsable de son accident, elle n’aura le droit d’être indemnisée que si elle a souscrit une clause « conducteur responsable » et le montant est plafonné par l’assureur, par contre si l’accident est dû à une tierce personne, qu’elle soit identifiée ou en fuite, elle sera indemnisée, soit par l’assureur du conducteur, soit par un fonds d’indemnisation des victimes.

— Et elle est dans quel cas ?

— Je ne sais pas, ce sont les conclusions des enquêteurs qui le détermineront.

— Et pour les frais actuels, ça se passe comment ? Combien coûte le coma ? Qu’allons-nous avoir à payer ? À quelle somme doit-on s’attendre ?

Il n’y aurait que cette paroi de bulle sombre,

il n’y aurait rien.

Mais là, juste ce rectangle

susceptible de tourner sur ces gonds,

cette ouverture calfeutrée,

et mille questions surviennent.

Tout devient possible, tant que je ne l’ouvre pas.

Tout reste possible, tant que je reste là.

À bonne distance.

Car si j’approchais, si je l’ouvrais, alors…

10

Dans un couloir du troisième étage du bâtiment Mirande, des étudiants arrivaient progressivement pour aller en TP de biologie animale. Céline, un mètre cinquante, jean bleu, manteau noir, sacoche rectangle de cuir marron en bandoulière arrivait et attendait ses amis. Un grand jeune homme d’un mètre quatre-vingt-cinq, brun, les cheveux courts de chaque côté d’une raie lui donnant une allure de coupe champignon, avec un physique de bon vivant, grimpait les dernières marches, simulant sa fin prochaine au vu d’un tel effort.

— C’est pas humain de nous faire grimper trois étages dès le matin !

Elle sourit.

— Salut Raoul.

— Salut Céline, dit-il en lui faisant la bise. Encore en avance ? Tu as battu Sylvie !

— Oui, elle n’était pas dans le bus ce matin.

— Ni dans le mien, je suis venu tout seul !

— Pauvre malheureux !

D’autres étudiants de leur groupe de TP arrivaient. Après la sonnerie, la porte commença à se refermer. Courant, survoltée, joyeuse comme à son habitude, Cécile arriva et s’engouffra in extremis.

— Il était moins une !

Essoufflée, elle posa son long manteau noir, remit sa mini-jupe en place en rigolant et se dépêcha de prendre sa trousse et son cahier de TP pour rejoindre Céline à une paillasse de carrelage blanc. Devant elles, un garçon à la mode techno, vêtu de noir, avec les chaussures à semelles compensées, et chevelure travaillée cheveu par cheveu au gel grommelait. Il fixait la porte, fébrile, espérant voir arriver Sylvie, son binôme de travail. Il finit par se retourner.

— Salut les « Cé », je peux me mettre avec vous ? Sylvie n’est pas là, et j’ai pas envie de faire le TP tout seul.

— Surtout le compte rendu, répliquèrent-elles en souriant. Oui, viens, si la prof accepte. La prof acceptant, « Steph » les rejoignit soulagé.

Les heures passèrent… Tout en travaillant, ils discutaient :

— Alors ? T’as passé un bon week-end ?

— Super, je suis sortie à Mâcon avec des copains…

La journée se passa sans que personne du petit groupe n’ait de nouvelles de Sylvie. Le soir, Céline rentra par le bus n°3. C’est bizarre cette absence de Sylvie, elle est sûrement malade… Non, même malade, elle n’est jamais absente, j’espère que tout va bien…

11

— Bonjour, Monsieur Carsan…

— Bonjour…

— Merci de votre patience, vous avez fait halte à l’hôtel…

— L’hôtel Campanile. C’est là que votre collègue m’a déposé.

— C’est bien les Campaniles. On y mange bien.

— J’avais déjà mangé bien avant l’accident.

— Ah oui pardon, où ça ?

— Au Rive Gauche, à Moloy. Pourquoi ?

— Simple curiosité, je suis très gourmand et toujours friand de nouveauté. Vous me le recommandez ?

— C’était correct, oui.

Le brigadier, installé au bureau juste derrière, envoyait en temps et en heure chaque nouvelle info à l’ami de l’adjudant par texto, pour accélérer et préciser les zones de recherche.

— Donc vous mangez au Rive Gauche et vous reprenez la route vers quelle heure ?

— Vers vingt-deux heures trente.

— Vous rappelez-vous à quel niveau vous avez pris la D996 ?

— À Moloy.

— Et vous n’avez suivi personne ?

— Pas que je me souvienne.

— Avez-vous été doublé par un véhicule sur cette route ?

— Nooonn ? répondit le témoin tout en cherchant à comprendre où ils voulaient en venir.

— Bon, autre chose, avez-vous vu du gibier sur votre trajet ?

— Non.

— Il pleuvait depuis le début du trajet n’est-ce pas ?

— Oui, il faisait meilleur en Alsace !

— Vous habitez… et vous reveniez d’un séjour en Alsace pour ?

— Affaire, je travaille en lien avec les CEA comme vous avez dû le voir avec mon matériel dans la voiture.

— Connaissez-vous quelqu’un ici ?

— Non, pourquoi toutes ces questions ?

— C’est en posant des questions que l’on fait surgir des détails. Nous essayons de retracer votre parcours avant l’accident et celui de la victime. J’avais espoir que d’autres véhicules auraient circulé sur cette route ce samedi soir.

— Pas que je me souvienne, reprit le témoin d’une voix qui se voulait plus calme.

— Aucun détail ne vous est revenu depuis, qui pourrait nous aider à comprendre ce qu’il s’est passé ?

— Non, désolé. J’étais seul et dans un lacet, j’ai vu de la lumière rouge, ça m’a intrigué alors j’ai regardé, et quand j’ai vu l’accident, je me suis arrêté.

— Donc quand vous êtes arrivé, vous n’avez vu ni voiture, ni gibier, ni personne ?

— Non.

— Donc vous tournez la tête, vous voyez l’accident et vous vous arrêtez…

— Oui.

— Vous pilez ?

— Non, j’avais déjà ralenti depuis les lacets, et ensuite la lumière m’a fait ralentir l’allure, je ne roulais pas vite.

— Vous vous arrêtez en pleine route ? Vous risquiez le suraccident !

— Comme il n’y avait personne, je n’y ai pas pensé.

— On ne pense pas à tout, en cas d’urgence, c’est une chance que vous l’ayez vue ! se radoucit l’adjudant. Oui, donc vous êtes arrêté, vous faites quoi ?

— Je sors juste pour voir si la voiture est vide, si l’accident est récent.

— Vous allez jusqu’où ?

— Simplement le bord de la route, pour voir, mais il y avait quelqu’un au volant, du coup je suis retourné à la voiture et j’ai appelé les secours, ils m’ont posé plein de questions.

— Vous vous rappelez lesquelles ?

— Mon nom, le lieu, s’il y avait plusieurs victimes, si elles étaient conscientes. Alors j’ai dû y retourner, au plus près cette fois-ci, pour pouvoir leur répondre. J’ai aussi dû vérifier que la conductrice était vivante.

— Comment ?

— La fenêtre de la portière était cassée, alors j’ai mis mes doigts sur sa veine de cou et comme elle avait un pouls…

— Vous avez ouvert la portière ?

— Non, elle était bloquée.

— Que vous ont demandé les secours ensuite ?

— De lui parler, de lui poser des questions, pour essayer de la ramener en état de conscience.

— Et elle n’a jamais repris conscience ?

— Non.

— Vous êtes resté à côté d’elle jusqu’à l’arrivée des secours ?

— Oui, je devais rester en ligne avec les secours.

— Ça a duré combien de temps ?

— Aucune idée. Attendez, je vais regarder. Il sortit son portable et scruta son journal d’appel pour répondre : dix-sept minutes vingt-huit secondes.

— Merci beaucoup pour vos précisions monsieur Carsan. Aucun autre détail à ajouter ? Aussi infime soit-il ?

— Non, désolé.

— Bon, nous en avons terminé alors. Mon collègue va vous apporter votre déposition, je vous demanderai de la relire et de la signer pendant que je vais récupérer vos clés et votre véhicule.

Le témoin relut en diagonale, signa, et attendit devant l’entrée que l’adjudant ressorte avec sa voiture.

— Tenez Monsieur Carsan, encore merci pour votre intervention salutaire pour la jeune femme, elle n’est pas encore sortie du coma, mais si elle s’en sort, ce sera grâce à vous.

Il lui tendit la main, le témoin la prit, mal à l’aise.

— Merci, murmura-t-il.

Puis il remonta dans sa voiture et partit enfin. Tout en le regardant s’éloigner. Toi mon gaillard, tu me caches quelque chose, je ne sais pas si c’est en rapport avec l’accident, mais je saurai ce que c’est, foi de Tallard. En retournant à son bureau, son ami l’appela :

— Tallard ?

— Oui, Sablet ?

— J’ai du nouveau, sur les vidéos du restaurant, on voit clairement une jeune femme lui dire au revoir à ton témoin puis rentrer dans une Clio blanche.

— Donc il a bien rencontré quelqu’un ici et il n’en a pas parlé. Ils se disent au revoir comment ?

— Normalement.

— OK, merci ! Continue de retracer le trajet de la Clio et du témoin. Je savais bien qu’il nous cachait quelque chose, il faut trouver quoi.

— Bien, je continue.

— Merci.

Il se rendit ensuite au labo :

— Bonjour, j’aurais une question à vous poser en priorité.

— Oui ?

— Pouvez-vous vérifier si…

Puis en sortant : Ça se précise, sourit l’adjudant, J’espère que j’ai vu juste.

12

Moloy. L’adjudant et son brigadier arrivaient devant une grande bâtisse en L en pierre avec une cour ombragée, le long d’une petite rivière.

— Charmant !

Ils entrèrent pour questionner les serveurs :

— Oui, ce monsieur était à une table là-bas.

— Il était seul ?

— Il est arrivé seul, mais il a été rejoint par une jeune femme un peu plus tard.

— Pourriez-vous la décrire ?

— Je dirais bonde, jolie, la vingtaine.

— Ils ont dîné ensemble ? Et vous diriez que l’ambiance entre eux était ?

— Normale.

— Avez-vous entendu des bribes de conversation qui pourraient nous aider sur la nature de leur rendez-vous ?

— Non.

— Dommage. Pas de tension, de regards complices, de dispute ?

— Je ne saurai pas vous dire, il n’y a pas eu de querelle ni de comportement effusif en tout cas. Ils sont restés le temps du repas puis il l’a raccompagnée.

— Qui a payé ?

— Lui, par carte.

— Bien, bien, faites-moi une copie s’il vous plaît.

Puis une fois sortis.

— Alors qu’en pensez-vous mon adjudant ?

Ils montèrent en voiture. Le téléphone sonna :

— Oui… vous avez du nouveau ?

— Oui, en effet les Clio sont compatibles avec les traces de la ligne.

— Bingo ! se réjouit l’adjudant ! Merci, enfin une bonne nouvelle ! Mon petit, les choses se précisent, on avance ! Et là j’ai faim, les bonnes nouvelles m’ouvrent l’appétit !

Le brigadier regardait l’adjudant sans comprendre. Cet homme, petit, bedonnant, au visage de caricature l’intriguait beaucoup. Il marchait mal, usé par les années ou par la bedaine. Son visage avait sa place dans une case de BD, avec son nez à la fois en trompette de profil, et écrasé sur le dessus quand on le regardait de face, ses lèvres minces souvent grimaçantes et ses petits yeux marron aux paupières lourdes, le tout sous une tignasse frisée grisonnante peu réglementaire. Sa voix aussi avait quelque chose de mystérieux, pas un accent, mais des intonations particulières, à moins que ce ne soit le timbre de sa voix… Bref il trouvait que son référent avait quelque chose d’indéfinissable qui le rendait attrayant, mystérieux, parfois inquiétant. À une poignée d’années de la retraite, il avait du métier, un réseau de collègues, l’expérience du terrain et de l’humain en général. Tout ce qu’il aurait à construire et apprendre lui aussi, s’il voulait s’engager dans ses traces. Il se demandait combien d’années ça lui prendrait, et s’il y parviendrait un jour…

Là, il testait brigadier pour trois mois, s’il voulait, il pourrait signer pour deux ans supplémentaires, et si vraiment il voulait faire carrière, il devrait passer le concours des officiers pour devenir gendarme…

De retour à la gendarmerie.

— Capitaine !

— Adjudant !

— On a du nouveau.

— Racontez-moi (…) Donc si je vous ai compris, vous posez l’hypothèse que (…)

— Oui Capitaine, et les faits ne réfutent pas cette théorie pour le moment.

— Donc la priorité pour vous, c’est d’identifier cette femme et gardez ce que vous savez sous le coude pour plus tard. Je m’occupe du procureur. Si votre théorie est vraie, on va laisser au témoin une chance de se confronter à sa conscience tout seul et de voir s’il revient de lui-même vers nous et sur sa déposition. Je vous suis, continuez adjudant.

— Bien Capitaine, merci Capitaine.

En sortant du bureau, l’adjudant téléphona.

— Il faut identifier cette jeune fille de toute urgence. Identité, adresse, travail.

— Oui je suis dessus. Je fais passer le message.

13

Mardi matin, Céline attendait dans le hall du bâtiment Mirande devant l’amphithéâtre Claude Bernard pour un cours de biologie végétale. Encore une fois, elle avait fait le trajet seule ce matin, et Sylvie ne répondait pas à son portable, ce qui n’était vraiment pas dans ses habitudes. Ses amis arrivèrent progressivement.

— Salut Steph !

— Salut les « Cé » !

Les trois amis entrèrent, descendirent les escaliers et s’installèrent dans l’amphi en sous-sol, sombre, aux fauteuils rembourrés comme au cinéma. À midi, tous sortirent pressés de retrouver la lumière du jour.

— Merde, il pleut, râla Steph.

— Tant pis pour tes cheveux, rit Céline.

— Tu manges avec nous ?

— Non, je préfère prendre mon temps avec un sandwich que de courir au resto U.

— OK, alors à toute, nous on y va.

Elles se pressèrent sous les gouttes éparses, Cécile emmitouflée dans son long manteau noir, et courant malgré ses bottes à talons, Céline sous son parapluie faiblard qui flanchait au moindre coup de vent. Une fois entrées, elles durent se coltiner la queue qui prenait tous les étages. Il pouvait se passer vingt minutes avant d’atteindre le dernier où elles avaient l’habitude de venir les jours où ils n’avaient qu’une heure pour manger. En effet il proposait seulement deux plats, ce qui accélérait le service par rapport aux autres étages au menu traditionnel. Mais la pizza au format XL ou l’assiette du même diamètre les avaient forcées à prendre la mauvaise habitude de manger avec un lance-pierre…

— T’as des nouvelles de Sylvie ? demanda Céline à Cécile.

— Non, mais tu sais on se contacte pas vraiment en dehors d’ici. Et toi ? Pas de réponse ?

— Non, je commence à trouver ça bizarre.

— Bon, on va bien voir tout à l’heure en géologie si Édouard en a.

Édouard était son grand amour secret, enfin, pas si secret. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’elle l’adorait, mais ce n’était pas réciproque. Elle en souffrait en silence, espérant que les choses changent, évoluent un jour.

— Oui ! Si lui l’appelle et qu’elle ne répond pas, il faudra s’inquiéter !

— C’est clair, dit Céline songeuse. J’ai un mauvais pressentiment.

— Mince faut qu’on se grouille, dit Cécile.

— Oui, allons-y.

Elles coururent à nouveau jusqu’à l’amphi Gutenberg et se réfugièrent à l’intérieur. Céline chercha Édouard du regard. Il était, comme à son habitude, là sur le côté, ni devant ni au fond. Elle grimpa les marches et vint s’asseoir à côté de lui. Puis Cécile à côté d’elle.

— Salut, Édouard, tu as des nouvelles de Sylvie ?

— Salut ! Non, pourquoi ?

— On ne l’a pas vue depuis vendredi soir. On espérait que tu aurais des nouvelles.

— Elle est probablement malade, répondit-il, stoïque.

Les sièges rabattables étaient assez confortables, mais la table pour écrire faisait à peine la hauteur d’une feuille. Le cours d’océanographie commença.

— Sylvie n’est jamais absente, même malade. Et là elle ne répond pas au téléphone. Tu ne voudrais pas l’appeler toi ? continua Céline.

— Je n’ai pas de portable.

— Donc, toi non plus, tu n’as pas de nouvelles ?

— Non, je ne savais pas qu’elle était absente.

Après les deux heures de cours, ils avaient deux heures de TP au rez-de-chaussée en R08. Ils prirent une pause dans le hall avant d’enchaîner, mais en arrivant à l’entrée du couloir, ils virent devant la salle des gendarmes qui discutaient avec le professeur. Ils furent étonnés en voyant ce dernier les désigner du doigt.

— Tenez, les voilà !

— Bonjour, les jeunes, on peut vous parler un petit moment ? Nous avons quelques questions à vous poser. Allons un peu plus loin, leur dit le plus vieux et le plus petit des deux.

Dans le hall, des chaises de jardin en plastique bleu entouraient des tables pour permettre aux étudiants de manger le midi. Ils s’y installèrent et se présentèrent aux autorités :

Cécile Grailloux, petite blonde bouclée, gironde, était de Mâcon. Son accent, ses expressions, son sourire, son éternelle énergie débordante animaient jour après jour le petit groupe d’étudiants que représentaient Céline, Cécile, Édouard, Raoul, Sylvie, Steph. Elle s’était liée d’amitié avec Céline, une « cé » comme elle, comme Céline était amie avec Sylvie et Steph, Sylvie avec Édouard, Édouard avec Raoul, le petit groupe s’était vite trouvé, non-fumeurs, plutôt calmes, sérieux et motivés.

Céline connaissait Sylvie du collège par l’intermédiaire d’une autre amie de sa rue, Alexia. Au début, Cécile trouvait Sylvie froide, impressionnante, mais elle l’avait découverte grâce à Céline, gentille, sensible, amicale, de confiance, pleine d’humour, et l’avait vite adoptée.

Sylvie était en effet plutôt cérébrale que fêtarde, jolie, mince, des jambes qui n’en finissaient pas, habillée avec beaucoup d’élégance, elle venait parfois en tailleur, parée de « vrais » bijoux, venant de sa grand-mère lui avait-elle confié. Elle aimait regrouper le petit groupe autour d’un resto ou d’un ciné, à chaque partiels, c’est elle qui organisait leurs soirées.

Édouard était blond, presque roux, plutôt discret malgré sa corpulence, très grand (1m93), encore plus que Raoul qui mesurait déjà bien ses 1m85. Cécile trouvait que c’était dommage qu’il ne s’intéresse pas à Sylvie, ils auraient fait un beau couple, mais bon c’est comme ça, les sentiments, ça ne se commande pas, dans un sens comme dans l’autre. Bref, pas touche à Édouard, et de toute façon, il ne l’attirait pas du tout.

Raoul était un bon vivant comme elle, toujours des trucs à raconter, un rire à placer.

— Il est arrivé quelque chose à Sylvie n’est-ce pas ? demanda Céline.

— Pouvez-vous me donner votre identité s’il vous plaît ?

— Céline Durand, une amie de Sylvie.

— Merci Céline, et vous autres ?

— Édouard Espeluche.

— Stéphane Delos.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est en effet à propos de votre amie Sylvie, pouvez-vous me dire quand vous l’avez vue la dernière fois ?

— Ben, vendredi soir en rentrant, on prend le bus ensemble.

— Il était quelle heure ?

— Dix-huit heures trente.

— Qu’est-ce qui se passe à la fin ? Elle a disparu ?

— Et pas depuis ?

— Non.

— Vous non plus ?

— Non.

— Elle était comment, dans quel état d’esprit ?

— Ben normale, pourquoi ?

Pendant que l’adjudant posait ses questions, le brigadier écrivait les réponses.

— Précisez s’il vous plaît. Quel genre de personne est votre amie ?

— Ben sérieuse, travailleuse, normale !

— Allez-vous nous dire ce qui est arrivé à Sylvie ? s’énerva Céline.

— Oui, répondez à mes questions s’il vous plaît. Pas de mauvaises fréquentations ?

— Non, ce n’est pas le genre !

— Un petit copain ?

Là il y eut un gros blanc. Cécile murmura :

— Elle aurait bien aimé, je crois, mais ses sentiments étaient à sens unique.

— En souffrait-elle ?

— Ben oui, je suppose, c’est normal non ?

— Et qui était ce garçon ?

— Je pense que c’est moi, dit Édouard.

Les filles le regardèrent.

— Tu savais ?

— Ben oui, je ne suis pas idiot !

— Une dispute ? demanda le gendarme.

— Non, je n’ai pas de nouvelles depuis vendredi dernier au soir.

— Pas d’événements récents concernant une éventuelle évolution de votre relation ? Vous ne l’avez pas éconduite dernièrement ? Ou repoussé une ultime avance de sa part ?

— Non. On a une relation saine et amicale.

— Pas de soucis particuliers ?

— Elle a disparu ? Elle a été enlevée ? demandait Céline.

— Bien, bien. Merci pour vos réponses. À mon tour de répondre à vos interrogations. Il prit une profonde inspiration :

— Votre amie a eu un grave accident de voiture samedi soir, elle est actuellement dans le coma dans un état préoccupant et ne peut donc répondre aux questions que nous devons poser pour déterminer les circonstances encore floues de l’accident.

— Quoi ? sembla s’évanouir Céline.

— Quelles circonstances ? demanda Cécile.

— Les circonstances exactes de l’accident ne sont pas encore déterminées.

— En clair ils pensent que Sylvie a peut-être voulu se suicider, traduisit Steph coutumier du langage vu que son père était de la « maison ».

— C’est une possibilité que nous devons étudier en effet, reprit l’adjudant.

— Sylvie était assidue dans son travail, inscrite à des concours, elle n’aurait jamais fait ça ! s’emporta Céline.

— Vous êtes tous de cet avis ?

— Oui !

Édouard ne répondit pas. Sylvie ?

— Vous avez dit un état préoccupant, dans le coma ? Elle ?

— Elle est en soins intensifs à l’Hôpital Général juste à côté, nous en venons à l’instant, son pronostic vital est toujours engagé. Je suis désolé.

Un silence de mort se fit dans le petit groupe. Personne ne bougea, ne parla. Les cerveaux traitaient la terrible information, Sylvie luttait pour sa vie ! Les agents attendirent un peu, puis celui qui posait les questions rompit le silence :

— Voici ma carte, dit-il en se levant et en les distribuant à chacun, n’hésitez pas à m’appeler si quoi que ce soit vous revient.

Ils les regardèrent partir. Personne ne réagit.

— Je savais bien que ce n’était pas normal ! dit enfin Céline en larmes. Vous venez ?

— Où ça ?

— Ben la voir ! C’est à côté.

— Ouuui, murmura Cécile d’une petite voix peu assurée.

— Et toi Édouard ?

— Non, allez-y sans moi.

— Pourquoi ?

— Parce que.

— Tu nous caches quelque chose ? Vous vous êtes disputés ?

— Non.

Alors Céline s’énerva :

— Ça fait deux ans qu’elle t’aime et qu’elle attend qu’une chose, c’est que tu lui ouvres ton cœur, que tu aies ne serait-ce qu’un petit geste d’affection à son encontre, et là, elle est entre la vie et la mort et tu ne viens pas ? Elle a sûrement besoin de t’entendre, de sentir que t’es là, son sort t’indiffère donc à ce point ? Tu ne ressens donc vraiment rien ?

Elle était prête à le frapper, choquée, en colère de le voir une fois de plus si impassible. Il ne devait vraiment pas avoir de cœur pour réagir comme ça. Enfin ne pas réagir justement…

— Viens, dit Cécile, laisse le on va y aller toutes les deux, viens…

Édouard les laissa partir et resta seul dans le hall devenu désert, anesthésié. Elle a pas fait ça ?

J’ai le sentiment de devenir invisible.

14

Les deux « Cé » sortirent du bâtiment Gabriel côté rue, descendirent les escaliers et suivirent le boulevard. Elles longèrent la fac de médecine et arrivèrent à l’Hôpital Général. Mais où était le service des comateux ? Par quelle porte entrer ? Dans quel bâtiment ?

Elles demandèrent plusieurs fois leur chemin, arpentèrent des couloirs, montèrent des étages et arrivèrent enfin au service de réanimation et soins intensifs, épuisées physiquement et nerveusement.

— Bonjour, madame, haletait Céline, nous cherchons notre amie Sylvie Ledoux qui a eu un accident de voiture samedi soir.

— Oui, elle est bien ici.

— On peut la voir ?

— L’accès à la chambre est strictement réservé à la famille, mais vous pouvez la voir du couloir au-delà de ces portes.

— Merci madame.

Elle se tourna vers Cécile qui était restée figée en retrait.

— Céline, on sait qu’elle est ici, peut-être qu’on pourrait revenir plus tard ? On est trempées, et pas franchement zen pour aller lui parler ou rencontrer sa famille tu ne crois pas ? En tout cas, si tu veux y aller, moi je pense que je vais t’attendre ici. Je ne me sens pas prête.

— Si on attend d’être prête, on le fera jamais, parce qu’on le sera jamais.

Elle regarda le sol, autour de ses pieds, des gouttes tombaient encore de son parapluie.

— Mais tu as raison, on est trempées, ils ne nous laisseront jamais entrer près d’elle, et si c’est pour la voir derrière une vitre sans qu’elle sache qu’on est là, autant revenir demain.

Cécile était soulagée. Elle consola son amie d’une main sur l’épaule en se relevant, puis elles sortirent, refirent le chemin en sens inverse puis se quittèrent sur le campus.

15

Cécile était soulagée du renoncement de Céline. Elle avait besoin d’être préparée, de chercher des infos avant. Elle marchait pour rentrer à sa maison étudiante qui se trouvait juste à côté… « du cimetière » ! Elle ne s’en était jamais aperçue. Non, Sylvie va s’en sortir, elle est jeune, le coma c’est pour reprendre des forces… Mais au fait, c’est quoi vraiment, le coma ? Rentrée dans sa chambre, elle alluma son ordinateur et commença à chercher. Coma ? Coma ? COMA !

Elle lut :trouble de l’état de vigilance dans lequel la personne n’émet plus aucune réponse aux stimuli extérieurs, ça OK.Les deux hémisphères cérébraux sont atteints et ne réagissent plus. Même si les fonctions vitales sont conservées, parfois à l’aide d’appareils médicaux, celle de la vie de relation (conscience, motricité…) est inerte, syndrome de la Belle au Bois dormant, j’avais compris ! Mais ça m’aide pas ça !

Durée variable de quelques heures à plusieurs années, et plus il est long, plus les risques sont importants. Et comment on sait combien de temps elle va y rester ?On mesure sa profondeur à l’aide de l’échelle de Glasgow, à partir de 3 critères : l’ouverture des yeux, la réponse motrice et la réponse verbale. Une fois les résultats additionnés, on classe la profondeur du coma en 4 stades : Ah oui, les stades, voyons voir !

Stade 1 : appelé coma vigil, il désigne un état dans lequel le patient réagit par des phrases plus ou moins compréhensibles et présente des mouvements de défense adaptés contre la douleur. OOOOOOKKKK !

Stade 2 : le coma léger, le patient a des réponses inadaptées aux stimulations douloureuses, mais aucun trouble neuro-végétatif est observé. Neurovégétatif, c’est le système réflexe, intestin…

Stade 3 : le coma carus. Il s’agit d’un coma profond. On constate des mouvements de décérébration aux stimulations douloureuses, ou une absence de réponse, ainsi que des troubles neurovégétatifs. AIE, là, ça craint, et décérébration, pas comme en TP, hein ?

Elle se souvenait de ce TP horrible où elles avaient dû décérébrer des grenouilles en leur enfonçant une tige dans le cerveau pour tout détruire, elle ne savait même plus à quelles fins… Elle a quand même pas le cerveau en compote ? Je comprends rien !

Stade 4 : le coma dépassé. Le patient n’émet plus aucune réponse face aux stimulations, on parle alors de mort cérébrale. Il n’y a aucun mouvement de l’appareil respiratoire ni de réflexe oculaire. OK, là c’est la fin.

On peut mesurer l’avancée du coma grâce à un électro-encéphalogramme qui enregistre l’activité électrique du cerveau. Il permet de relever les anomalies spécifiques de chaque coma.

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