Le marin Gascon et la pelée - Marc Etxeberria-Lanz - E-Book

Le marin Gascon et la pelée E-Book

Marc Etxeberria-Lanz

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Beschreibung

Arrivé le 8 mai 1902 à bord d’un croiseur dans la baie dévastée de Saint Pierre, le matelot gascon Étienne Descoustey découvrait la catastrophe de la Montagne Pelée.
Un siècle plus tard, François Laruna cherche à redonner des couleurs aux images sépia que sa mère Emma lui avait montrées sans qu’il ne s’y intéresse vraiment !
C’est l’arrivée dans le Tout-Monde de ses petits-enfants créolisés, Ainhoa et Eneko, qui le renvoie vers l’incroyable histoire de son arrière-grand-père.
L’enquête débute au cœur du Phalanstère de Saint Pierre où règne la figure tutélaire de Man Solénie !
Ayant reçu une troublante information à propos d’un oublié-retrouvé de la famille Laruna, Marc Etxeberria-Lanz reprend sa plume pour décrire un mystérieux maelström caraïbéen qui finira par s’inscrire dans la continuité du passé douloureux de la guerre d’Espagne !




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Marc Etxeberria-Lanz

Le Marin gascon et la Pelée

- 1-Les voyages du temps passé

Ce vendredi 24 octobre 2009

Emma distinguait encore vaguement la silhouette de son grand-père.

Le marin gascon dirigeait la dernière opération de sauvetage du côté du Prêcheur au milieu des kilomètres de cendres que la lave en fusion avait abandonnées sur les flancs de la Montagne Pelée.

Elle eut une première absence avant que la scène suivante ne la réveille.

Étienne tenait dans ses bras une belle câpresse qu’il aidait à embarquer dans une chaloupe à vapeur. Ces images, elle les avait patiemment reconstituées les jours précédents afin de pouvoir raconter cette belle histoire familiale qui était née il y a fort longtemps là-bas en Martinique.

Hélas, l’ensemble du décor caraïbéen devint flou avant de disparaitre définitivement. Et ses enfants qui n’étaient toujours pas là. Pourtant, elle s’accrochait comme elle pouvait car elle savait que cette visite serait certainement la dernière.

Enfin, elle entendit le bruit de la délivrance lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit. Et il lui semblait distinguer Émilie et François. Oui c’était bien eux ! Mais lorsqu’ils se penchèrent pour l’embrasser, elle essaya de leur dire mais les mots refusèrent de sortir. Comme elle ne se réveilla plus, elle emporta son secret avec elle. Emma Laruna décédait le lendemain aux alentours de minuit.

En attendant que le reste de la famille nous rejoigne pour la cérémonie des obsèques, je regardai les albums de photos que notre mère avait remarquablement classés.

Dans le premier, je découvris la photo de sa sœur Sarah qui était morte très jeune, et celle de son père Paul qui était décédé l’année suivante. Emma avait alors dû interrompre ses études pour s’occuper de sa mère et de sa dernière sœur comme elle en avait fait la promesse à son père sur son lit de mort. Je passai rapidement sur les autres photos pour m’attarder sur les deux dernières qui me paraissaient essentielles pour comprendre cette histoire qui nous concernait directement ma sœur et moi. Sur la première, on apercevait Emma et Antoine au milieu d’un rassemblement de jeunes ouvriers chrétiens réunis devant la basilique Notre-Dame de Buglose. Sur la seconde, ils posaient en habits de lumière pour célébrer ce vendredi 6 avril 1956 où ils fusionnèrent leurs deux lignes de vie brisées pour le meilleur puisque pour le pire, ils avaient déjà donné plus que de raison.

Des années plus tard, ma grande sœur Émilie se maria à son tour avec Alex, et de mon côté, j’allais bientôt rencontrer dans les couloirs obscurs de la faculté de Bordeaux celle qui allait devenir ma femme. Et si nos trois neveux Ludo, Benji et Eloy ainsi que notre fils Kepa ne seront que de simples intermittents du spectacle de la pièce qui va s’écrire, Amaia en deviendra l’actrice principale lorsqu’elle se mariera avec Baptiste, le fils de Léonor et de Fred Tiruaca.

Baptiste, justement, parlons-en !

Ce jour-là, nous étions tous réunis à Cameleyre pour saluer à notre façon la mémoire d’Emma Laruna car ce n’était pas parce qu’elle venait de décéder qu’on allait commencer à se mettre à jouer les autruches éplorées, elle aurait détesté. Après le divin foie gras de ma sœur, il avait fallu tout de même attendre l’arrivée des magrets-cèpes pour que les cinq cousins finissent par se taire et laissent enfin Baptiste s’exprimer. Et avant que la cacophonie ne reprenne, j’imposai le silence à l’assemblée car je voulais absolument connaître la fin de l’histoire de la mort du petit cheval :

« Tu disais Baptiste que vous étiez partis retrouver la TribuArc-en-ciel chez la Terrible Mamie ?

–Oui, c’est Ludo qui était venu nous chercher à la gare de Bayonne. Il nous avait déposés chez elle avant d’aller rejoindre Eloy et Kepa qui tapaient la pelote sur le fronton de l’école voisine.

–Et toi Benji, où étais-tu ?

–J’étais resté chez la Terrible Mamie car je voulais assister en direct à la rencontre entre Baptiste et Emma …

–Merci Benji, continue Baptiste car si tu lui laisses un mètre de plus à ton copain, on ne saura jamais la fin.

Baptiste poursuivit tranquillement :

–Je connaissais votre illustre mère et grand-mère pour l’avoir déjà rencontrée à Paris. Mais ce jour-là, je n’étais pas très à l’aise car Amaia voulait absolument que je lui annonce l’officialisation de notre relation. Oui, cette rencontre m’inquiétait et je m’attendais au pire car ce n’était pas un modèle de discrétion votre mère, un peu comme toi Émilie …

–Merci Baptiste !

–De rien Émilie ! Je me souviens de ce séjour où elle était venue à Paris pour assister à la fête de l’Humanité. Nous étions allés la chercher à la gare Montparnasse et dans le métro, elle avait dit tout fort à Amaia : Mais qu’est qu’il est beau ton Baptiste ! je ne savais plus où me mettre car une partie de la rame s’était tournée vers moi pour vérifier.

–Mais c’est vrai que tu es beau gosse Baptiste, renchérit Émilie.

–Rajoutes-en Émilie. Pour revenir à mon intronisation officielle, dès notre arrivée à la ferme, Amaia m’avait laissé en plan pour aller saluer sa grand-mère. Et comme elle ne revenait toujours pas, pour passer le temps, j’avais pris un petit cheval qui se trouvait sur la cheminée. Hélas, la miniature m’avait échappé des mains pour exploser en mille morceaux au moment de sa rencontre fatale avec le carrelage ! J’étais mal, très mal car la Terrible Mamie avait entendu le bruit ! En découvrant la catastrophe, mon grand copain Benji m’avait balancé ce sympathique avertissement : Baptiste, tu vas morfler car ce cheval était son bibelot préféré ! Elle va te passer une de ces ronflées. Tu commences bien ta présentation officielle !, sympa le Benji, déjà que j’étais bien stressé.

–Mais je te répète Baptiste que tu as eu de la chance car elle nous interdisait de jouer avec ces affreux bibelots, et toi tu venais de lui fusiller celui qui devait certainement lui rappeler de sacrés bons souvenirs.

Non, c’était un simple cadeau d’un ouvrier espagnol qui avait voulu remercier Emma pour l’avoir aidé à régulariser sa situation en France en lui obtenant des papiers ! Et je me souvenais parfaitement du petit cheval en cristal qui trônait sur la cheminée avant son accident fatal.

–Lorsqu’elle était enfin descendue, en me voyant ramasser les bouts de verre, elle m’avait de suite dit de laisser tomber pour ne pas me couper. J’avais respiré un bon coup avant de retrouver le sourire lorsque elle t’avait viré Benji en te disant si je me souviens bien : au lieu de rire bêtement Benjamin, vas chercher le balai et la pelle que je ramasse tout ça et après tu débarrasses le plancher, on n’a pas besoin de toi ici. Mais là où je fus complètement décontenancé, c’est lorsqu’elle s’était mise à me raconter l’histoire de son grand-père qui avait sauvé des habitants de la Martinique lors de l’éruption de la Montagne Pelée. Et avant que je n’intervienne, elle était partie chercher des papiers et des photos dans le vieux secrétaire qui se trouvait dans la pièce où le drame du petit cheval s’était déroulé. Et c’est en regardant ces pièces à conviction que j’ai compris que votre grand-mère n’affabulait pas.

–Ce n’était pas son genre, ajouta Émilie.»

Le brillant exposé de Baptiste fut salué comme il se doit par le trio des Paysans du Marensin autre appellation de la Terrible Mamie.

Je me souvenais avoir entendu parler du volcan en fusion et de l’intervention du marin mais j’avais enfoui ces données au plus profond d’une mémoire morte car à l’époque je ne savais même pas où se situait la Martinique. Alors fallait-il oublier cette histoire ? J’y ai vraiment pensé jusqu’à ce départ en famille vers la belle Inconnue. En salle d’embarquement, lorsque Baptiste est revenu sur sa présentation d’Ordoki, je lui ai simplement dit que sans la mort du pottok en cristal, le souvenir de mon ancêtre gascon serait resté à tout jamais en cale sèche du côté de Capbreton.

La déesse Man Solénie

Bien des heures plus tard, Fred nous attendait à l’aéroport Aimé Césaire.

Au cours de ce premier transfert routier, mes yeux émerveillés découvraient la côte vallonnée qui borde la mer des Caraïbes. Après avoir doublé Le Carbet, une mer d’huile reflétait le dôme majestueux du volcan. J’avais demandé à Fred de s’arrêter sur le bord de la route pour prendre une première et éternelle photo de cet incroyable décor à l’entrée de Saint-Pierre. Puis, un peu plus loin, Fred s’était engouffré dans une ruelle bordée de caniveaux-rigoles à l’ancienne. Nous avions été impressionnés par la subtile manœuvre de notre chauffeur qui s’était garé près la maison de la maman de Léonor, Man Solénie.

Man Solénie, je pouvais enfin convertir l’image photographiée de celle qui régnait dans un royaume de la beauté du cœur et de l’ouverture à l’autre. Des yeux magnifiques d’un bleu profond qui pouvaient te transpercer s’il te venait à l’idée de jouer le descendant d’un Commandeur. Mais elle nous adopta sur le champ, trop heureuse de lui avoir emmené ses arrière-petits-enfants.

Après une bonne nuit réparatrice, nous plongeâmes dans les eaux chaudes de la Caraïbe à 6 heures 45 du matin, une première pour la pierrotine Léonor. Puis je partis seul à la découverte de la ville ruinée en passant par la plage encore endormie. Parvenu à l’ancien emplacement du marché des esclaves, je me posai pour réaliser mes premiers clichés tant la beauté de la mer des Caraïbes m’interpellait. Les bateaux dansaient une discrète gigue au gré des courants. Devant moi sur le sable gris, les petits crabes épousaient des trajectoires matinales incurvées. Un peu plus haut, les chats jouaient à leur jeu favori avec des oiseaux qui avaient remplacé les souris.

Après avoir apprécié ces éphémères balais, je me dirigeai à présent vers la Roxelane qui, dit-on, porte le nom du bateau du premier conquistador normand qui s’était emparé de la Martinique. Puis je poursuivis ma flânerie jusqu’à l’extrémité nord de la ville avant de revenir vers l’église du Fort. L’avant-1902 était encore bien inscrit sur les ruines qui avaient résisté tant bien que mal au souffle dévastateur de la nuée ardente. Je suspendais cette première visite pour me rendre dans la boutique hors du temps de monsieur Eloi que m’avait indiquée Léonor. Un véritable temple du passé, figé dans l’aujourd’hui. Là, j’achetai tout le matériel dont j’avais besoin pour écrire la Martinique à ma façon.

À la fin de cette escapade, je devais retrouver la maison de Man Solénie. Je revins dans la rue Victor Hugo pour reprendre la bonne perpendiculaire qui allait m’aider à remonter vers le cœur du Phalanstère. Pour me repérer, le plus simple était de situer la silhouette massive de la Pelée qui n’était autre que le point de fuite de la perspective hugolienne de la rue. Et après avoir figé cet instant magique, je me promis de gravir au plus vite le mythique totem volcanique puisque mon camarade pyrénéen Éric m’avait assuré que c’était une formalité pour des randonneurs de notre acabit.

En fin de matinée, Man Solénie me proposa de l’accompagner au marché. Ses beaux yeux bleus rythmaient une parole créole chantée. Je ne comprenais rien mais je voyais bien que sa présence éclairait cette institution tant sa réputation la précédait.

Je l’abandonnai un instant pour approcher l’étal d’un pêcheur qui vendait du thon de la Caraïbe. Une aubaine que je n’allais pas laisser passer puisque la pêche du thon rouge était restée un temps sous surveillance au Pays basque. Man Solénie m’avait retrouvé au moment où le pêcheur me découpait de solides tranches.

Puis après avoir déposé les courses dans une glacière que Léonor et Fred viendraient récupérer plus tard, elle me dévoila une partie de sa vie que je ne peux pas raconter, tout simplement parce que je serai bien en peine de la retranscrire avec la même passion qu’elle avait mise à me la narrer. J’avais juste interprété ses paroles en imaginant la complexité de vivre dans ce territoire abandonné par la puissance coloniale, surtout lorsqu’on possède des origines incertaines dans une île où la couleur de peau est encore un empêchement à la réalisation de son être. Enfin c’est comme ça que je l’avais perçue mais il m’était impossible d’analyser la situation des habitants de l’île d’avant et surtout d’après 1848 car j’ignorais tout de l’histoire douloureuse de la Martinique.