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"Le point de non-retour" dévoile le cheminement obscur d’une fillette de huit ans, traversant une progression troublante vers une psychose qui ébranlera son existence et celle de son entourage. Alors adulte, elle se refuse à toute prise de conscience. Impliquée dans une affaire pénale en tant que complice, elle est internée en milieu psychiatrique. Sa fille, devenue psychothérapeute clinicienne, s’engage à la sauver et à comprendre l’évolution de sa maladie. Les péripéties s’intensifient, menant à plusieurs tragédies, dont une conclusion inattendue qui réserve un ultime tournant.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Lucile Gauchers compte à son actif six romans, quatre recueils de nouvelles, dont deux réalisés en collaboration avec Martine Platarets – les nouvelles alternant –, un recueil poétique, un témoignage autobiographique – chemin de vie relatif aux faits principaux de la vie de sa mère –, six opus pour la jeunesse, sans rien dire de ses divers récits et participations à des ouvrages collectifs.
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Lucile Gauchers
Le point de non-retour
Roman
© Lys Bleu Éditions – Lucile Gauchers
ISBN : 979-10-422-3378-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
En préambule, je cite une pensée qui m’est propre : L’adulte d’aujourd’hui est bien souvent le résultat de l’enfant qu’il a été, en bien ou en mal.
Mon expérience en tant qu’institutrice dans ma prime jeunesse, mon affection sincère pour les enfants en devenir, mon intérêt pour la psychologie générale et plus particulièrement pour celle de l’enfance, m’ont fait découvrir l’importance de l’accompagnement éducatif pour leur réussite tant personnelle que sociale, en famille ou en collectivité.
Que des failles, des blessures, des traumatismes viennent perturber son développement ou que des étapes nécessaires dans la petite enfance soient sautées, et l’enfant développera une personnalité inachevée ou mal achevée qui prendra bien souvent le dessus sur celle de l’adulte, toutefois sans généraliser, car la véritable nature peut surprendre par la suite. Des réminiscences de faits, refoulés ou non, remonteront à la surface, des obsessions s’installeront, conduisant l’adulte à un comportement qu’il ne maîtrisera pas, bien que pensant le contraire.
Ce constat se rencontre dans une même famille. En effet, pourquoi tant de disparités au sein d’une même fratrie ? Maladresses des parents, circonstances inappropriées, tempérament de l’enfant ou troubles psychoaffectifs non détectés, non-dits, et différences involontaires ? Tant de motifs peuvent justifier des comportements réussis ou inadaptés à l’âge adulte en fonction du tempérament ainsi que du vécu et de son retentissement.
Ce roman est inspiré en partie par un fait réel – une agression suggérée à un tiers (l’homme de main) par la manipulation exercée par une tierce personne, l’instigatrice. Les lieux et les noms ont été changés, la composition des familles modifiée. D’autres personnages ont été créés et des faits secondaires ont été inventés pour étayer l’intrigue. Toute ressemblance avec ce qui ne constitue pas cet évènement ne serait que fortuite.
Ce drame psychologique traite de thèmes différents qui s’entremêlent autour d’un thème principal, la maladie mentale qui, associée à une véritable méchanceté, se révélera être une bombe à retardement. Tous les malades ne sont pas dangereux, fort heureusement, et sont en général bien pris en charge. Cependant, quand l’individu – homme ou femme – est dans le déni total, quand il est conscient de ses agissements qu’il considère comme normaux et légitimes, quand sa seule volonté est en cause, tout ne peut lui être pardonné. Toutefois, nul ne peut être juge et bourreau. Seul le destin peut changer la donne.
***
1
— Maman ! Fais quelque chose s’il te plaît. Joëlle et moi en avons assez ! Nous ne la supportons plus dans notre chambre, s’exclame Sophie.
— Que voulez-vous que je fasse ? Nous n’avons que trois chambres pour sept ! Celle de vos deux frères, la vôtre et notre chambre à votre père et moi.
— Mais maman, Muriel cache nos affaires, elle nous les vole, renchérit Sophie.
— Vous n’avez qu’à mieux les ranger, riposte la mère.
— Mais elle fouille pendant notre absence. J’ai même retrouvé ma peluche préférée sans ses yeux, pleurniche Joëlle.
— Calmez-vous les filles, dit Marthe d’un air ennuyé. Je verrai ce soir avec votre père quand il rentrera du travail. Mais ne vous mettez pas martel en tête, je ne vous promets pas qu’une solution sera trouvée de sitôt.
— T’as qu’à la punir. Vous lui passez tout au prétexte que c’est la plus jeune. C’est pas juste, répond Joëlle en regardant sa sœur, hein Sophie !
Muriel est la petite dernière. Elle a 8 ans et jalouse ses deux grandes sœurs, Joëlle, âgée de 11 ans, et Sophie, qui va sur ses 13 ans. Elles s’entendent si bien que Muriel se sent de trop. En réalité, Sophie et Joëlle essaient de l’intégrer dans leurs jeux, en vain. Elles se proposent même de l’aider à faire ses devoirs. Muriel ne veut rien entendre, rien ne l’intéresse à part rêvasser et se prendre pour une princesse qui n’a pas sa place dans cette famille.
Muriel a réalisé assez vite qu’elle était bien plus jolie que ses deux sœurs et elle se sent supérieure à elles, même si elle envie leur entente et voudrait les faire se disputer. De qui tient-elle sa longue chevelure blonde, son teint de pêche et ses yeux noisette ? se demande-t-elle souvent. Ses frères et sœurs sont plutôt bruns aux yeux marron. Ah, les mystères de la génétique !
Muriel trouve qu’elle ressemble à la Belle au bois dormant et elle espère rencontrer son Prince charmant qui l’emmènera loin d’ici quand elle sera grande.
Quant à ses deux frères, Renaud, âgé de 18 ans, et Sébastien, de 16 ans, ils lui sont complètement indifférents. Une réaction plutôt rare chez une petite fille, qui, habituellement, considère un grand frère comme une idole. Renaud termine son apprentissage en mécanique et, dès son retour, il accapare systématiquement la salle de bains pendant une bonne heure. Sébastien ? N’en parlons pas, c’est le simplet de la famille, comme l’un des sept nains dans Blanche-Neige, pense Muriel. Son handicap ne lui a pas permis de suivre une scolarité normale, et il passe son temps à jouer avec ses petites voitures et à ricaner pour un oui pour un non. Parfois, il émet des bruits plaintifs et il s’exprime avec difficulté, en bégayant et bafouillant. Il paraît que c’est neurologique. Muriel ne sait pas vraiment ce que ce mot signifie. Comme il peut m’agacer ! Il me fait peur aussi avec son regard stupide, pense la fillette.
Un jour, Muriel a voulu lui emprunter sa plus belle voiture, celle de ses rêves, celle de son Prince charmant. Sébastien s’était mis à crier et à pleurer comme un gamin – à 16 ans, s’étonna-t-elle ! Et, à cause de ce frère, elle s’était fait gronder par sa maman.
— Enfin Muriel ! Laisse ton frère tranquille. Tu sais bien qu’il est différent et que ce n’est pas sa faute s’il est ainsi. Combien de fois, devrai-je te le répéter ? Va donc jouer avec ta poupée ou lire un livre. Qu’as-tu fait de l’album de coloriage et des crayons de couleur que Renaud t’a apportés l’autre jour ? Tu ne l’as même pas remercié ! Après tout, il n’était pas obligé.
Voyant sa mère mécontente après elle, ce qui est très rare, Muriel demande pardon, mais elle n’en pense pas moins. Que fait-elle dans cette famille ? Vivement qu’elle soit grande pour partir de cette maison. Elle ne s’y plaît pas du tout. Avant, ils habitaient dans un immeuble à Montbrison. Il y avait même un balcon. Elle aimait s’y asseoir sur sa petite chaise et regarder le paysage et les voisins entrer et sortir.
Les pièces étaient plus petites, mais au moins c’était moderne. Elle y avait aussi des copines de son âge. Ici, ce n’est qu’une ancienne ferme rénovée, un peu éloignée du centre, au lieu-dit « Le Canal »1. Enfin, rénovée si on veut… Marthe rêvait de cultiver son jardin pour récolter des légumes. Elle a même fait installer une basse-cour pour les poules afin de ramasser des œufs frais. Elle sait très bien faire la cuisine et la famille se régale de ses bons petits plats, simples, mais copieux. Sept à la maison, ce n’est pas rien, surtout avec le père et les deux frères qui ont un appétit d’ogre, comme dans le Petit Poucet !
C’est l’activité qui intéresse le plus Muriel : aider sa maman à la cuisine et servir à table. La fillette avait supplié sa mère de lui confectionner un petit tablier blanc à volants qu’elle nouait autour de sa taille pour jouer son rôle de serveuse « pour de vrai ».
L’enfant n’est pas contente. Elle a entendu ses grandes sœurs se plaindre d’elle. Je me vengerai, décrète-t-elle.
***
2
Le soir venu, après le dîner, Marthe informe son mari Raymond des conflits qui opposent les deux grandes et la plus jeune de leurs filles.
— Que pourrions-nous faire Raymond ? Cette situation risque de dégénérer.
— Il y a bien la petite pièce à côté de la cuisine qui sert de débarras, répond Raymond. Nous pourrions la vider, donner un coup de peinture et lui installer son coin à elle, suggère Raymond.
— Quelle bonne idée ! Vraiment, tu serais d’accord ? s’exclame Marthe. Il n’y a pas de fenêtre, mais en laissant la porte ouverte, la pièce serait aérée quand nous ouvrirons celle de la cuisine.
Dès la fin de la semaine, ils se mettent au travail. Les parents ont envoyé les trois filles chez leurs grands-parents pour la journée et ont demandé un coup de main à Renaud. Après avoir trié ce qui encombrait cette petite annexe et l’avoir vidée entièrement, ils la nettoient de fond en comble et donnent une couche de peinture blanche sur les murs.
Le lendemain, la peinture de l’ancienne réserve ayant séché, ils installent le petit lit à une place de Muriel, un tabouret carré qui fera office de table de nuit ainsi qu’une chaise pour ses vêtements. Ils fixent au mur situé en face de la porte quelques étagères et casiers non utilisés. Si Sophie et Joëlle sont ravies, Muriel ne laisse rien paraître de son ressenti. Ce dimanche soir, la fillette dormira pour la première fois dans sa nouvelle « chambre ».
Les deux grandes demandent à leurs parents une clé de la serrure de leur propre chambre. Leur petite sœur ne pourra s’y rendre que sur invitation. Ainsi, elle ne pourra plus fouiller dans leurs affaires ni les détériorer en leur absence. Une première victoire !
Finalement, Muriel s’adapte bien à son coin, qui plus est se trouve à côté de la cuisine, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Elle y a rangé ses effets personnels. Marthe et Raymond ont trouvé un ancien coffre à jouets dans lequel l’enfant peut entreposer ses jeux et autres trésors. « Sa chambre » pour rêvasser à son Prince charmant devient son petit nid douillet ; la cuisine à côté, son lien avec le reste de la famille.
Les trois véritables chambres sont situées à l’étage de la ferme, au-dessus de la cuisine et de la salle de séjour. Malgré son jeune âge, Muriel n’a pas peur d’être en bas. Elle n’est pas vraiment seule. Mistigri, le chat de la maison, qui n’a pas le droit de monter à l’étage, lui tient compagnie et aime venir se blottir sur son lit. Il est le Chat Botté des contes de fées, son défenseur, son ami, bien mieux qu’une peluche.
Les vacances d’été s’achèvent. Joëlle entre au collège en classe de sixième tandis que Sophie entame la quatrième. Muriel est passée de justesse dans la classe supérieure en CE2. Elle n’aime pas l’école. Maintenant qu’elle sait lire, écrire et compter, pourquoi donc l’obliger à continuer ?
— Muriel, l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Tu n’as pas d’autre choix, lui répète Marthe.
— Mais Sébastien n’a pas été obligé d’y aller, lui ! Maman, je ne veux plus me rendre à l’école. Les autres enfants sont méchants avec moi, clame la fillette.
— C’est nouveau ça, rétorque Marthe. Tu ne me l’as jamais dit jusqu’à présent. Et pourquoi seraient-ils méchants avec toi ? Tu leur fais des misères, questionne sa mère.
— Mais non ! Les filles sont jalouses parce que je suis plus jolie qu’elles, et les garçons m’embêtent, répond la fillette avec aplomb.
— Je demanderai à la directrice de l’école de sévir si tu te sens harcelée. C’est d’abord à elle ou à ton enseignante que tu dois le faire constater. Papa et moi n’interviendrons qu’après, si nécessaire. Tu iras à l’école comme les autres enfants, un point c’est tout, conclut Marthe.
Muriel fait semblant de pleurnicher un peu, pour la forme. Attendrie, sa mère lui donne quelques bonbons pour la consoler.
Sans le réaliser, Marthe entretient chez la fillette la stratégie que l’enfant a adoptée inconsciemment au fil des années. En grandissant, Muriel a compris comment se comporter pour obtenir ce qu’elle veut. Elle ne fait pas de caprices, ils auraient été inutiles et même très mal accueillis par ses parents. Elle a réalisé depuis longtemps que son frère aîné et ses deux sœurs se gardaient bien d’en faire.
La vie s’écoule plus sereine depuis que Muriel ne partage plus la chambre de Sophie et de Joëlle. Elle accepte aussi d’être aidée dans ses devoirs par ses sœurs et ne leur cherche plus querelle. Elle doit s’en faire des alliées, sait-on jamais.
***
3
Muriel obtient tant bien que mal son Brevet des Collèges à l’âge de 16 ans. Elle a dû redoubler le CM2 n’étant pas prête pour le passage en sixième. Elle a bien fait de montrer sa bonne volonté en acceptant l’aide de ses deux sœurs, même si elle sait qu’elle n’entreprendra pas les mêmes études qu’elles. Joëlle a achevé sa première année de BTS Force de Vente et Sophie entame sa dernière année d’études d’infirmière. Quant à Muriel, elle n’aime toujours pas « l’école » !
Elle se complaît et se débrouille fort bien en cuisine. Elle demande à poursuivre dans cette voie. En classe de quatrième, elle avait effectué un stage de découverte dans un grand restaurant de la région. Sa faculté d’adaptation et sa capacité à prendre des initiatives malgré son jeune âge avaient étonné le restaurateur. Le rapport de stage avait été concluant et son orientation facilitée.
Après avoir recherché et trouvé un patron, elle commence son apprentissage en alternance. Une semaine de cours – bien obligée d’en passer par là –, et trois semaines de travail. Comme l’établissement est important, il est habilité à former trois apprenants en même temps, pas forcément de même niveau. Les apprentis, un garçon et deux filles, qui habitent loin, peuvent disposer d’une chambre individuelle avec lavabo attenant et du cabinet de douche sur le palier. L’hébergement ainsi que les repas figurent sur le bulletin de salaire à la ligne « avantages en nature ».
Muriel est ravie. La jeune fille n’a pas oublié qu’elle voulait s’éloigner de sa famille et de cette ancienne ferme transformée en maison d’habitation. Désormais, elle se sent libre de s’habiller comme elle le souhaite. Sa mère avait longtemps supervisé ses tenues vestimentaires, sachant que sa beauté naturelle pouvait l’exposer à des risques. Marthe en avait pris conscience quand sa fille, qui devait avoir 14 ou 15 ans, lui avait rapporté qu’elle entendait souvent Sébastien descendre à la cuisine en pleine nuit pour se servir à boire.
Une nuit, son frère n’avait pas pu s’empêcher d’ouvrir la porte de ce qui servait de chambre à sa petite sœur. Le rai de lumière dardé sur son visage l’avait sortie de son sommeil et elle avait aperçu la silhouette du simplet de la famille dont le regard stupide lui faisait toujours aussi peur. Elle n’avait pas montré sa frayeur, et c’est d’une voix qui se voulut sévère qu’elle l’avait menacé de tout dire à leurs parents s’il ne regagnait pas sur-le-champ sa chambre qu’il occupait seul depuis le mariage de Renaud. Sans demander son reste, il avait filé dans un vague grognement en marmonnant.
Muriel ne ressentait aucune empathie pour ce « frère » et se demandait pourquoi il n’avait pas été placé en institution.
Au restaurant, le travail est prenant. Elle s’efforce de bien s’entendre avec le personnel, qu’il soit confirmé ou en apprentissage comme elle. Certains jours, elle en enverrait bien au diable ! Cependant, elle parvient à se dominer et à arborer un sourire aguicheur et trompeur. Un jour, la chef d’équipe des cuisines l’avait réprimandée. Elle n’avait rien répondu et n’avait pas baissé les yeux non plus. Qu’avait lu Mme Marin dans le regard de Muriel ? Tant et si bien que cette dame, mal à l’aise, avait conclu sa réprimande par : « Pense ce que tu veux et souviens-toi de ce que je viens de te dire ». Mme Marin ne se laissait pas impressionner par l’air ingénu de Muriel.
La jeune fille s’était fait violence pour ne pas hausser les épaules de dédain en ayant en tête : Si tu savais ce que je pense, vieille peau ! Cause toujours, tu m’intéresses. Encore des gens qui me jalousent pour mon physique, et maintenant pour mon habileté en cuisine.
Ses retours chez ses parents étaient espacés. Une fois par mois suffisait. Pour être bien considérée, elle préparait à sa famille de bons plats dignes d’un grand Chef en se vantant d’être bien appréciée au restaurant. En fait, Muriel ne montrait pas sa véritable personnalité. Elle voyait aussi toutes les autres personnes comme des rivales ou des ennemies. Dans son for intérieur, elle ne leur pardonnait aucun manquement, aucun écart de conduite à son égard, voulu ou non ; d’ailleurs comment l’aurait-elle su ?
Elle considérait que Dieu l’avait créée parfaite en tous points et qu’elle était « une élue », pas moins ! Personne ne devait s’attaquer à une enfant du Seigneur. Elle gardait ses convictions pour elle et ne se confiait pas au pasteur de l’église que fréquentaient ses parents. Ses enseignements ne la concernaient pas, elle, mais s’adressaient aux autres. Elle restait discrète et en retrait, ne se sentant pas plus à sa place ici que dans sa famille.
***
4
Son CAP de cuisine en poche avec mention spéciale pour sa créativité, Muriel décide de repartir dans sa région. Le restaurateur lui a proposé un emploi en CDI qu’elle a décliné, ayant trop peur d’être encore traitée comme une apprentie. De plus, elle sait que Mme Marin ne l’aime pas. La jeune fille n’a jamais réussi à l’amadouer avec ses airs de Sainte-Nitouche.
Revenue chez elle, au lieu-dit « Le Canal », elle hésite à occuper la chambre de ses sœurs aînées qui ont alors 24 et 22 ans. Sophie, titulaire du Diplôme d’État Infirmier, loge dans un petit T2 près du centre hospitalier qui l’a recrutée à la fin de ses études. Quant à Joëlle, elle a obtenu son BTS Force de Vente avec brio, et, après avoir effectué des remplacements dans sa branche, elle vient de signer un CDI en tant que commerciale dans une entreprise locale. Elle a préféré également quitter la maison pour se rapprocher de son lieu de travail.
Marthe raisonne sa plus jeune fille et lui dit qu’il est ridicule de laisser cette pièce inoccupée à l’étage.
— Très bien maman. Et mes sœurs coucheront où quand elles vous rendront visite occasionnellement, demande-t-elle.
— Ta petite chambre fera l’affaire. Elles ne viennent jamais au même moment. Pour une nuit ou deux, ce n’est pas la mer à boire, répond Marthe.
— J’espère que Sébastien ne viendra pas m’importuner, avertit Muriel.
— Il est inoffensif, et tu le sais très bien ! Tu n’as jamais pu le supporter. Cela ne date pas d’hier. Pourtant il a beaucoup d’amour à donner, certes à la façon d’un petit garçon. Il faut savoir le prendre. Le traitement administré le stabilise. Ma petite, je ne te souhaite pas d’avoir un enfant handicapé, il serait bien trop malheureux avec toi, riposte amèrement Marthe.
— J’essaierai d’être plus aimable avec lui, répond, vexée, sa fille, pour clore la conversation.
Muriel a trouvé un emploi de cuisinière à St Marcellin-en-Forez au Restaurant « L’Antre du Forez »2. Il est réputé dans la région, et elle ne compte pas ses heures quand de grands repas sont commandés pour des noces ou des anniversaires de mariage par exemple. Comme il est situé dans une région touristique, des agences de voyages organisent souvent une halte dans l’établissement. Dans ce cas particulier, son patron lui demande d’établir un menu unique en fonction du budget proposé par les agences. Comme il nécessite moins de travail que pour des menus multiples, la qualité est de rigueur à moindre coût, ce qui conforte la renommée du restaurant.