Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Marie, empreinte d’un désespoir profond, renaît de ses cendres sous le nom de Natasha après un périple entre la vie et la mort. Plus déterminée que jamais, chaque rencontre qu’elle fait devient une pierre angulaire de son parcours, comme autant d’étapes sur le chemin de la découverte de soi. Armée d’une force surnaturelle et d’une insouciance face au danger, elle devra néanmoins affronter les ombres du passé qui referont surface pour la tourmenter.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après avoir parcouru de nombreux genres littéraires et artistiques, c’est finalement vers le genre romanesque que
Frédéric Lheureux va se tourner pour partager avec le monde ses histoires. Tirant son inspiration des plus grands noms de la littérature, il insuffle dans "Le sixième tome" la magie de sa pensée et de son style remarquable.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 328
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Frédéric Lheureux
Le sixième tome
Roman
© Lys Bleu Éditions – Frédéric Lheureux
ISBN : 979-10-422-3022-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien.
E. Burke
Marie Viaud est une jeune femme de 26 ans qui vit dans deux pièces au dernier étage d’une tour de 18 étages en petite couronne parisienne. Elle vit seule avec son Jack-Russell qu’elle a baptisé Mike. Elle a de grands cheveux noirs toujours en chignon ou tressés. Elle a de grands yeux noirs avec de longs cils qu’elle cache derrière des lunettes à l’épaisse monture noire. Elle travaille comme caissière pour une chaîne de supermarché à bas prix. Depuis son enfance, elle remplit des pages et des pages dans un cahier intime. Elle écrit aussi des poèmes, des paroles de chansons, des contes. À 21 ans, elle écrit son premier roman qui est immédiatement édité grâce à un de ces pseudo-éditeurs qui vous font rêver en vous promettant un grand avenir. Mais, la réalité est qu’ils vous font payer, très cher, tous les frais pour une impression numérique de votre livre tiré à 30 exemplaires. Dans un premier temps, Marie est très heureuse de voir son histoire imprimée et reliée dans les 200 pages qu’elle tient dans ses mains avec son nom en grosses lettres sur la couverture. Mais, elle comprend qu’elle s’est fait arnaquer lorsqu’elle est encore obligée de payer pour en avoir un second à offrir à sa mère.
Depuis, elle tente de se faire éditer par de vrais professionnels. Tous les ans, elle leur envoie un nouveau manuscrit. Et en priorité aux Éditions de Montbriant dont la fondatrice fait référence dans le domaine littéraire parisien.
— Ma pauvre Marie, ce chien finira par faire de toi une nonne !
Tous les soirs, la cérémonie était identique. Marie quittait son poste au supermarché pour sauter dans un bus. Une demi-heure après, elle descendait au terminus de la ligne. Puis, elle marchait encore dix minutes pour atteindre son immeuble. Enfin, il ne lui restait plus que 30 secondes à cinq minutes suivant que l’ascenseur fonctionne ou pas pour franchir le pas de la porte de son logement au 18e et dernier étage de l’immeuble. Alors en ouvrant la porte tous les soirs, Mike, son Jack-Russell âgé de deux ans, l’accueillait avec une joie inassouvie par des jappements convulsifs et des bonds pour tenter de lui faire des bisous. Sans la moindre lassitude, cette manifestation canine de tendresse suffisait au bonheur de Marie. Mais avant de s’adonner à ce plaisir garanti, Marie s’arrêtait devant sa boîte aux lettres à l’entrée de l’immeuble. Elle ne voyait même plus le graffiti qui maculait les petites portes métalliques avec l’inscription en grosses lettres jaunes : « Y’a pas marqué la poste là ! » Elle se disait qu’après tout, le message écrit en couleur apportait un peu de gaieté dans cette lugubre entrée.
Elle commençait par glisser ses doigts dans la fente de la porte pour estimer le courrier. La plupart du temps, ses phalanges ne heurtaient que le papier glacé des publicités qu’elle recevait malgré l’autocollant « STOP PUB ». Elle avait posé l’adhésif après avoir suspecté d’avoir jeté une lettre importante mêlée au flot publicitaire. Introduisant son majeur dans la boîte, elle caressa le papier plus rugueux d’une enveloppe kraft. Elle s’empressa d’ouvrir la petite porte et dans la précipitation deux enveloppes tombèrent sur le carrelage blanc du moins devait-il l’être lorsqu’une serpillière propre venait le nettoyait de temps à autre. La jeune femme s’accroupit pour ramasser les enveloppes. Au premier coup d’œil, elle reconnut la calligraphie de l’enveloppe blanche que lui adressait tous les mois la banque avec son relevé de compte et celui de son modeste livret A. Mais c’était la grande enveloppe tombée à l’envers qui attisait son attention. Elle ne recevait jamais ce genre de courrier au plus quelques cartes postales de ses amis qui voulait la faire baver d’envie avec leurs messages pathétiques envoyés depuis quelques destinations exotiques.
Cette enveloppe format A4 était déjà très impressionnante et lorsque Marie la retourna côté adresse, son cœur cessa de battre avant de s’emballer à toute vitesse en découvrant le nom de l’expéditeur en haut à gauche du grand rectangle bistre : « Éditions de Montbriant-66 Bd Saint-Germain -75006 Paris. »
Environ deux mois auparavant, Marie avait adressé le manuscrit de son dernier roman avec l’espoir que cette fois-ci les Éditions de Montbriant retiennent son texte. C’était la cinquième fois qu’elle leur adressait un manuscrit. Chaque fois, elle recevait en retour dans une enveloppe blanche standard une aimable réponse automatique exprimant leur regret de ne pouvoir sélectionner son texte et l’invitant à retenter sa chance une autre fois. Mais avec ce nouveau format d’expédition et l’apparente épaisseur de son contenu, tous les espoirs d’une autre réponse étaient permis pour Marie. Elle décida de ne pas ouvrir immédiatement l’enveloppe pour profiter pleinement de cet instant d’espoir. En plaquant la grande enveloppe sur son cœur qui battait à tout rompre, elle se présenta toute tremblante devant la porte de l’ascenseur. Avec une profonde respiration pour essayer de se calmer, elle pressa le bouton tout en se disant mentalement que si la porte de la cage d’ascenseur s’ouvrait alors cette lettre allait enfin changer sa vie.
À peine le vœu formulé, la porte à deux panneaux coulissait pour laisser entrer Marie qui se précipita à l’intérieur. Sans pouvoir davantage se retenir, elle glissa son index dans le rabat collé de l’enveloppe pour en extirper le contenu. Elle fut d’abord surprise d’en sortir son propre manuscrit barré en rouge et en grosses lettres de la mention « REFUSÉ ». La gorge de Marie se serra instantanément au point de lui couper le souffle. Ses yeux s’embuèrent. Dans le flou de sa vision, elle distingua une lettre qui accompagnait le manuscrit. Le message provenait de Mme Angelina de Montbriant personnellement. La directrice d’éditions demandait à Marie de ne plus lui envoyer ses manuscrits dont le style littéraire était si mièvre et puéril qu’il n’avait absolument aucun intérêt pas plus pour Les Éditions de Montbriant que pour tous les éditeurs de Paris. Le message ajoutait que si Marie souhaitait absolument voir paraître ses histoires, elle ferait mieux de s’adresser aux pseudo-éditeurs qui s’empresseraient de lui imprimer une trentaine d’exemplaires en échange d’un chèque de deux mille euros. La formule de politesse acheva Marie qui s’affala dans l’ascenseur. « Au plaisir de ne plus avoir à vous lire ».
Alors que les portes de l’ascenseur s’ouvraient, Marie n’eut même pas la force d’en sortir. Elle resta prostrée dans la cage, redescendant au rez-de-chaussée où une voisine la trouva.
Marie ne répondit pas. Elle restait figée dans un état cataleptique et des larmes perlaient sur son visage blafard.
— Est-ce que vous habitez dans cet immeuble ? demanda la voisine qui n’avait pas reconnu Marie.
— Oui ! Au dix-huitième étage, répondit un voisin de palier de Marie. Le jeune homme d’une trentaine d’années rentrait avec son chien. Ne vous inquiétez pas, Madame, je vais la raccompagner chez elle.
Arrivé à leur étage, le jeune homme souleva Marie pour la porter à bout de bras jusqu’à son appartement. Il la déposa au sol et chercha dans le sac à dos de la jeune fille ses clés. De l’autre côté de la porte, on pouvait entendre Mike qui bondissait et poussait de joyeux aboiements. Côté couloir, le chien du jeune homme poussait des grognements plutôt agressifs ne laissant pas présager une grande amitié entre les deux animaux.
À cet instant, Marie sortit de son état comateux et se releva.
— Où suis-je ? demanda la jeune fille encore étourdie.
— Vous allez mieux maintenant ? s’enquit le voisin qui semblait heureux de pouvoir éviter la rencontre entre les deux chiens.
— Vous avez raison, ces deux-là ne sont pas vraiment les meilleurs amis du monde. Alors, bonsoir.
La discussion en resta là. En pénétrant chez elle, Marie reçut l’accueil chaleureux auquel elle pouvait s’attendre, mais pour la première fois, elle resta de marbre devant les ébats joyeux de Mike. N’accordant qu’une pâle caresse à son chien, Marie entra dans la cuisine et saisit sous l’évier l’unique bouteille d’alcool qu’elle possédait. Une bouteille de vodka au trois quarts pleine qu’elle s’était payée trois ans plus tôt pour arroser la signature de son CDI chez LIDL. Puis elle repassa devant Mike qui s’agitait de plus en plus. Il gémissait pour indiquer à sa maîtresse son envie de plus en plus pressante de sortir pour se dégourdir les pattes et se soulager d’une longue journée d’attente. Mais la jeune femme l’ignora pour entrer dans la salle de bain et se figer devant une petite commode laquée blanche. Elle resta immobile plusieurs minutes les yeux fermés. Puis en les ouvrant, elle plongea la main dans le fond d’un tiroir d’où elle sortit un tube de Temesta. Il lui avait été prescrit par son médecin lorsqu’elle n’arrivait pas à dormir à cause d’une rupture sentimentale survenue un an plus tôt. Finalement, le tube était presque neuf, car Marie avait trouvé plus de réconfort en écrivant son dernier roman qu’Angelina de Montbriant venait de lui jeter à la figure.
Mike avait beau frotter son museau contre la jambe de sa maîtresse pour la réconforter, la jeune femme ne réagissait pas. Son esprit, envahi de désespoir, pilotait son corps dans un mode d’autodestruction ignorant tout de son environnement extérieur. Il lui ordonna de s’allonger sur son lit, de vider le tube de somnifères dans sa bouche et d’avaler d’un seul trait le reste de la bouteille de vodka.
À peine trente secondes après, Marie s’évanouissait et partait pour un long voyage à sa propre découverte.
Allongée sur une confortable banquette en velours rouge, Marie ouvrit les yeux. Le regard encore un peu flou, elle distinguait mal la pièce dans laquelle elle se trouvait. Elle tâtonna autour d’elle pour mettre la main sur ses lunettes noires, mais elle ne put rien saisir. Sa vision amoindrie fut attirée par une vive lumière qui rayonnait dans un coin de la pièce. Elle se redressa pour s’asseoir sur le canapé.
— Où suis-je ? Il y a quelqu’un ? demanda la jeune femme avec une angoisse grandissante.
Mais la seule réponse qu’elle reçut fut l’écho de sa voix qui se réverbérait sur les murs et au plafond bien que la salle ne paraisse pas très grande. La pièce était plongée dans l’obscurité totale à l’exception de cette lumière vive qui tressautait dans un coin et de laquelle émanait un brouhaha inaudible comme une télévision.
— Tu as beaucoup de talent, ma chérie, répondit une voix grave masculine.
— Il est tout juste 3 heures et trente-trois minutes du matin ! Et pour répondre à toutes tes questions en une seule et comme je viens de te le dire, tu es ici parce que tu as un immense talent littéraire qui s’ignore. Et je veux t’aider à le libérer.
Un long silence s’installa dans la pièce. Partiellement rassurée par la réponse de la personne dans la pièce, Marie reprit plus calmement :
— Qui êtes-vous et où suis-je ?
Réalisant que la personne ne lui souhaitait apparemment pas de mal, le cœur de Marie s’apaisa pour de bon. Elle prit une profonde respiration pour se calmer définitivement. Cette bouffée d’air lui apporta des parfums de grillades. Peut-être un barbecue. La graisse des saucisses devait ruisseler sur une surface incandescente. Son estomac, barbouillé par l’abus de vodka, réagit avec des spasmes de dégoût. Marie se redressa sur ses jambes et fronça les sourcils pour tenter de distinguer l’univers qui l’entourait et peut-être identifier la personne qui lui parlait. Mais rien à faire, sa vue restait désespérément trouble.
— C’est normal que ta vue soit trouble, ma pauvre petite. Tu as pris une telle cuite hier soir, qu’il te faudra bien vingt-quatre heures pour retrouver entièrement tes esprits, expliqua la voix ténébreuse qui se rapprocha de Marie et s’arrêta juste devant elle. Mais d’ici là, tu vas m’écouter très attentivement, car désormais je serai ton guide et ton maître.
Marie restait muette comme hypnotisée par l’aura puissante de son hôte. Elle se rassit sagement sur la banquette rouge en conservant le dos bien droit et en pliant les jambes unies du même côté. Son regard perdu fixait la source de la voix.
— Bien, Maître, répondit Marie sur un ton monocorde incapable de s’opposer.
— Parfait ! Voilà exactement le comportement obéissant que j’attends de toi. Maintenant, je vais te révéler les six commandements qui te permettront d’écrire des best-sellers à la pelle et de devenir la plus grande star de la littérature contemporaine. Mais d’abord, allonge-toi confortablement sur la banquette et ferme les yeux.
Mon premier commandement sera de boire beaucoup de Champagne.
Mon deuxième commandement sera de changer de look pour dévoiler ta beauté extérieure.
Mon troisième commandement sera de vivre la nuit.
Mon quatrième commandement sera de changer de pays pour avoir un air exotique.
Mon cinquième commandement sera de réaliser tous tes fantasmes.
Et mon sixième commandement sera de prendre le pseudonyme de Natasha qui signifie heureux et fortuné.
Après avoir égrainé un à un ses commandements, la voix se tut. La luminosité perdit de sa vigueur et l’obscurité gagna petit à petit toute la pièce. De son côté, Marie s’enfonça profondément dans le sommeil. Son corps était parfaitement détendu. Un sourire illuminait son visage exsangue.
— Bonjour, Docteur. Vous êtes sûr que ma fille va s’en sortir ? s’inquiétait la mère de Marie qui venait de se redresser pour saluer le docteur qui soignait sa fille depuis quarante-huit heures.
— Mais bien sûr que oui, rassura le médecin. Je vous l’ai déjà dit. Nous avons immédiatement pratiqué un lavage d’estomac pour éliminer toutes les substances toxiques. Nous l’avons juste maintenue en coma artificiel pendant vingt heures, le temps que votre fille élimine l’alcool contenu dans son sang et pour lui éviter une douloureuse gueule de bois. Mais nous avons arrêté ce traitement depuis hier soir et Marie devrait se réveiller d’une minute à l’autre. N’hésitez pas à appeler une infirmière lorsque cela se produira.
— Merci, Docteur et bonne journée à vous.
Gabrielle Viaud avait écouté avec réconfort les paroles du spécialiste qui sortit de la pièce sans répondre à son salut. La chambre d’hôpital était baignée d’une clarté intense grâce à l’éclairage puissant d’un néon auquel s’ajoutaient les rayons d’un soleil radieux qui pénétraient par la double fenêtre.
Assise sur une chaise robuste, mais peu confortable, Gabrielle se pencha sur la tête de sa fille pour déposer un baiser sur son front. Elle restait silencieuse et des larmes coulaient sur son visage. La maman désemparée serrait tendrement la main de sa fille en s’interrogeant sur les motifs qui avaient pu pousser Marie à un tel geste de désespoir. Elle remerciait le ciel que le SAMU soit arrivé à temps grâce à l’intervention d’un voisin dont le chien grattait à la porte avec agressivité. Gabrielle remerciait Mike, le Jack-Russell de Marie, qui avait hurlé à la mort alors que sa maîtresse ne l’avait pas descendu en promenade dans le parc. Seul Diabolo, l’ennemi juré de Mike avait entendu les aboiements alors que son maître dégustait des côtelettes d’agneau à la plancha en regardant un match de foot entre le Paris Saint-Germain et Barcelone. L’intensité du match était telle que seul l’acharnement de Diabolo contre la porte avait permis à son maître d’entendre Mike. Il était venu frapper chez sa voisine et sans réponse de Marie, il avait immédiatement composé le 15. À peine vingt minutes après, l’ambulance emportait le corps inconscient de la jeune fille aux urgences de l’hôpital Saint Antoine.
Marie était restée seule plusieurs heures avant que les infirmières ne s’occupent d’elle. La jeune fille était étendue sur un brancard dans une salle d’attente obscure avec un écran de télévision qui était censé faire patienter les malades gérés en fonction de la gravité de leurs blessures. Bien que Marie fut dans un état critique, son cas n’inquiétait pas plus que ça les médecins qui virent arriver vers 3 heures 30 du matin deux personnes très grièvement brûlées suite à un accident sur le périphérique et dont le pronostic vital était en jeu. Ce n’est qu’une heure plus tard que Marie reçut son lavage d’estomac avant d’être conduite dans sa chambre.
Perdue dans ses pensées, Gabrielle fut ramenée à la réalité lorsqu’elle sentit les doigts de sa fille étreindre sa main. Cette seule sensation suffit à ramener un sourire sur son visage.
Éblouie par la lumière vive dans la chambre, Marie ouvrait péniblement les yeux. Sa bouche était pâteuse et un léger mal de tête lui tira un rictus au visage.
— Tu as mal ? s’inquiéta aussitôt Gabrielle. Ne bouge pas, j’appelle tout de suite une infirmière.
La vision de la jeune fille commençait enfin à se régler. Elle regarda autour d’elle et comprit rapidement qu’elle se trouvait dans une chambre d’hôpital. Elle ne ressentait pourtant aucune douleur dans son corps. Mais alors, pour quelle raison était-elle là ? Et fallait-il un S à raison ? Elle s’apprêtait à se lever lorsque sa mère revint dans la pièce accompagnée d’un infirmier.
— Bonjour, Marie. Je m’appelle Jibril et je suis votre ange gardien pour la journée, déclara l’infirmier avec un large sourire. Alors ça y est, vous êtes réveillée. Devant l’absence de réaction de la jeune fille, l’infirmier poursuivit. Votre mère me dit que vous avez mal. Pouvez-vous me dire où s’il vous plaît ?
Mais la patiente demeurerait muette à toutes ses questions et observait avec de grands yeux ouverts Gabrielle qui s’agaçait un peu.
— Enfin Marie, réponds à Jibril. Il est là pour te soigner ma chérie, insista Mme Viaud.
— Mais qui êtes-vous enfin ? interrogea la jeune femme.
— Marie, je t’en prie, ce monsieur vient de se présenter. Il t’a dit qu’il se prénommait Djibril !
— Oui ! Ça, j’ai bien compris. Mais, vous qui êtes-vous et pourquoi m’appelez-vous Marie ? Moi, je m’appelle Natasha. Avec un S.
Sa langue siffla en ajoutant cette précision.
— Tu ne me reconnais donc pas ? balbutia Gabrielle qui reçut en réponse un regard noir et menaçant de la jeune femme.
Affolée par cette non-réponse, elle se tourna vers l’infirmier en le saisissant brutalement par les épaules. L’homme maîtrisa Gabrielle et la plaqua de force dans le fauteuil si inconfortable.
— Madame, il faut vous calmer ! Il semblerait que votre fille souffre d’une amnésie suite au traumatisme qu’elle a subi dans la nuit de vendredi à samedi. Je cours chercher le docteur pour qu’il analyse la situation.
Après le départ de l’infirmier, Gabrielle se redressa et s’approcha de sa fille pour lui tendre la main.
— Marie, je te demande pardon de m’être emportée devant toi. Je sais que tu es souffrante et tu as besoin de calme et de tendresse.
Marie repoussa la main tendue et se leva d’un bond de son lit. Sans un regard ni un mot pour sa mère, elle se dirigea vers un placard où elle empoigna des vêtements et une paire de baskets. Puis, elle s’enferma dans le cabinet de toilette situé à gauche de l’entrée de la chambre.
Gabrielle s’effondra à genou, devant la porte close suppliant sa fille de lui répondre. C’est alors qu’elle reçut un violent coup dans le dos lorsque le docteur ouvrit la porte extérieure de la chambre. Celui-ci parvint tout juste à se faufiler entre le mur et la porte entrouverte.
— Mon Dieu, Madame ! Que faisiez-vous par terre et où est passée votre fille ?
— Elle est enfermée dans la salle de bain. Elle dit qu’elle s’appelle Natasha et que je ne suis pas sa mère.
Le docteur demeura silencieux quelques instants avant de livrer son diagnostic.
— Madame Viaud. Comme vous l’a dit Jibril, votre fille souffre bien d’amnésie. Mais rassurez-vous, ce genre de trauma n’est souvent que momentané. De plus, je peux vous assurer que pour le reste votre fille est en parfaite santé. Il faudra vous armer de patience et à un moment ou à un autre Marie retrouvera la mémoire. Le mieux pour le moment serait d’entrer dans son jeu afin de ne pas la provoquer et de pouvoir la surveiller pour prendre soin d’elle. Et si elle refuse de vous voir comme une mère, vous pouvez momentanément vous faire passer pour une lointaine tante qui est venue assurer la convalescence de sa nièce.
Marie avait l’oreille collée à la porte et écoutait attentivement les recommandations du médecin. Folle de rage, elle sortit de la pièce en hurlant.
— Je vais très bien et je n’ai plus besoin de personne pour m’aider ! Surtout pas une inconnue.
— Ma petite Marie… je suis quand même ta mère, supplia la maman désorientée.
— Vous n’êtes rien du tout. D’ailleurs, je me suis bien regardée dans la glace et je ne vous ressemble pas du tout. Je suis grande, brune, avec des yeux noirs. Et vous êtes petite, blonde, avec des yeux bleus. Et je m’appelle NATASHA. Maintenant, j’exige de quitter immédiatement cet hôpital pour rentrer chez moi !
— Tu as raison, Natasha. Je suis la demi-sœur de ton père. Je suis venue ce matin pour t’aider, car j’ai appris que tu avais été hospitalisée, tenta Gabrielle encouragée par le regard approbateur du Docteur. Je peux te raccompagner si tu le permets.
— Il n’en est pas question ! coupa sèchement Marie. J’ai entendu vos manigances débiles derrière la porte. Docteur, je vous demande de bien vouloir me faire appeler un taxi.
Sans attendre la réponse, Marie sortit de la pièce comme une furie pour rejoindre le hall d’entrée. De toute façon, elle avait bien l’intention d’appeler elle-même un taxi pour être certaine de ne pas être trompée.
— Eh bien, ma pauvre dame, j’espère que cette amnésie passera vite. Votre fille est dans un état incontrôlable. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous prescrire des tranquillisants.
— Ce ne sera pas la peine Docteur, soupira la femme. Car le problème c’est qu’elle a raison. La vérité est que je ne suis pas sa mère et qu’elle s’appelait bien Natasha à sa naissance.
Après avoir finalement trouvé un taxi par elle-même, Marie ou plutôt Natasha, puisque c’était son nouveau prénom, rentra chez elle. Pendant tout le trajet, son cerveau bouillonnait pour comprendre ce qui lui était arrivé et pourquoi cette femme, Gabrielle, disait être sa mère alors qu’elle n’en avait aucun souvenir. Elle se demandait aussi pourquoi elle s’était retrouvée dans cette chambre d’hôpital et surtout quelle était cette étrange sensation qu’elle percevait en son for intérieur qui la réconfortait malgré une situation en apparence tragique.
— Vous êtes arrivée, Mademoiselle, annonça le chauffeur du taxi. Ça vous fait 18 € tout juste.
Natasha réalisait qu’elle n’avait pas d’argent sur elle. Elle était arrivée en urgence à l’hôpital et elle n’avait forcément emporté que les vêtements qu’elle portait sur elle.
— Excusez-moi, Monsieur, mais je n’ai pas d’argent sur moi. Est-ce que vous permettez que je monte à mon appartement pour prendre un billet 20 € ? supplia Natasha en ajoutant. Le tout sera pour vous.
Le chauffeur l’observa de la tête au pied avec une grimace peu convaincu.
— Je préfère monter avec vous, ça sera plus sûr.
— Vous ne me faites pas confiance, s’emporta Natasha. Depuis son réveil, la jeune femme habituellement si effacée, voire peureuse, semblait avoir totalement changé de personnalité. Une agressivité impulsive apparaissait chaque fois qu’on la contrariait et elle n’hésitait pas à hausser le ton pour impressionner son contradicteur.
— Vous savez, Mademoiselle, je peux aussi appeler la police. Une jeune femme qui se promène sans argent sur elle est plutôt louche. Alors, soit je vous accompagne chez vous, soit j’appelle la police. Mais, je vous garantis que vous me les paierez ces 18 €.
Natasha fulminait face à l’autorité que lui imposait le chauffeur de taxi. Elle contractait ses poings et trépignait comme un taureau dans l’arène, prêt à foncer sur le torero. Elle s’élançait sur le chauffeur, bien décidée à lui rentrer dedans.
— Natasha, arrête ! Voici 50 € pour votre course, lança Gabrielle Viaud in extremis pour empêcher la jeune femme de provoquer un scandale. Après avoir passé quarante-huit heures à l’hôpital, il ne manquait plus que sa fille ne passe autant de temps au poste de police.
— Merci, Madame. Je vais oublier toute cette histoire. Mais je vous recommande de retourner à l’hôpital pour soigner cette jeune femme à moins que ce ne soit du ressort d’un asile psychiatrique.
Natasha lança une volée d’insultes à l’attention du chauffeur. Celui-ci, définitivement calmé par le généreux billet de Gabrielle, se contenta de monter dans sa voiture et s’en alla sans ajouter un mot.
Avec un regard encore plus noir, la jeune femme se tourna vers Gabrielle.
— Qu’est-ce que tu fous là ? Je t’ai déjà dit que je n’avais pas besoin de toi. Alors, tu dégages maintenant.
Gabrielle encaissa ces paroles odieuses avec beaucoup de bienveillance et elle répondit avec un sourire rempli de compassion. Cet enchaînement des gestes généreux finit par ébranler le cœur de Natasha qui reprit la parole sur un ton plus doux.
— Mais qui es-tu à la fin ?
Gabrielle s’approcha de sa fille et respira profondément.
— Je veux juste te parler de ton passé, ma chérie. J’ai des révélations à te faire.
Natasha leva les yeux au ciel en signe d’armistice.
— Bon. Tu veux monter boire un café ?
Trop heureuse de cette proposition inespérée, Gabrielle accepta.
Bien entendu, en cette fin de matinée l’ascenseur était en panne et les deux femmes durent monter les dix-huit étages de l’immeuble par l’escalier de secours. Elles arrivèrent à bout de souffle au dernier étage.
— Décidément, à chaque fois que je viens chez toi, j’ai l’impression de monter au paradis.
— Méfie-toi qu’un jour, ça ne te tue pas, rétorqua sèchement Natasha qui regrettait déjà son invitation. Elle fouillait dans sa poche sans trouver la clé qu’elle recherchait.
— Une fois encore, je constate que tu n’as pas toute ta tête ma chère…, Gabrielle se mordit la langue pour ne pas finir sa phrase et contrarier encore davantage sa fille. Elle se contenta de tendre son double de clé à Natasha qui lui arracha de la main. Elles pénétrèrent dans l’appartement.
— Ne t’inquiète pas pour ton chien, annonça Gabrielle.
— Quel chien ?
Natasha n’écoutait même pas les paroles de sa mère. Elle pénétra dans l’appartement dont les volets fermés donnaient une apparence de ténèbres. Elle pressa l’interrupteur électrique pour se lancer à la découverte de cet appartement. À sa grande surprise, elle ne reconnaissait rien. L’intérieur était d’une tristesse pathétique à la limite de la mocheté. Pour les goûts de la nouvelle Natasha, il transpirait du mobilier une fadeur répugnante.
Pendant ce temps, Gabrielle alla ouvrir les volets et son regard balaya la pièce quand il s’arrêta net sur la lettre d’Angelina de Montbriant. En quelques secondes, les larmes coulaient sur ses joues. Elle comprit immédiatement la raison pour laquelle sa chère fille avait tenté de mettre fin à ses jours.
— Mais qu’est-ce que tu as encore ? s’agaça Natasha en voyant Gabrielle effondrée avec la lettre de refus à la main. Et qu’est-ce que tu as fait de toutes mes affaires ? Je ne vois ici que des cochonneries.
Gabrielle fourra discrètement la lettre dans sa poche. Puis, elle tenta de faire diversion en désignant un portrait sur le mur.
— Tout est à toi ici. Regarde sur le mur une photo que j’ai prise de toi lors de notre sortie à Disneyland, il y a un an pour ton vingt-cinquième anniversaire.
— Cette grande asperge sans aucun style à côté de Mickey, ça ne peut pas être moi, rétorqua Natasha toujours aussi aveugle. Maintenant, dis-moi vite ce que tu avais à me dire et puis tu t’en vas.
Ces paroles sèches glacèrent une nouvelle fois madame Viaud qui ne cessait de s’enfoncer dans le précipice qui s’ouvrait sous ses pieds. Elle serrait les dents pour retenir des cris de désespoir. Elle ne voulait pas rajouter de la tension à cette situation déjà explosive en révélant son secret à Natasha. Mais le moment était venu de dévoiler enfin la vérité à sa fille. Peut-être que cela lui apporterait le choc émotionnel qui lui rendrait la mémoire.
— C’est vrai que je ne suis pas ta mère. Du moins, je ne suis pas ta génitrice. Je t’ai adoptée quand tu avais un an. J’étais partie en Afghanistan pour apporter mon aide pendant cet interminable conflit qui ravageait le pays. Quelques jours après mon arrivée, une bombe a éclaté dans la rue où j’intervenais pendant une courte trêve humanitaire. Tes parents étaient venus avec toi pour te trouver de la nourriture. Ils furent déchiquetés par le souffle de l’explosion qui te projeta indemne dans mes bras. Tu portais une gourmette en or sur laquelle était écrit le prénom de NATASHA. Les jours suivants, j’ai essayé de retrouver des membres de ta famille. Mais tu n’en avais plus. Alors comme le ciel t’avait jetée dans mes bras, j’ai décidé de t’adopter. Nous sommes rentrées toutes les deux à Paris, et pour oublier à jamais ce souvenir atroce, je t’ai rebaptisée Marie.
— Mais c’est impossible, coupa Natasha qui n’en pouvait plus d’écouter ce récit larmoyant.
— Et pourtant c’est la terrible vérité. Mais comment as-tu découvert tout ça ? Car je n’en ai jamais parlé à qui que ce soit, interrogea Gabrielle avec des spasmes dans la voie.
Le cerveau de Natasha entrait en éruption. Elle ne savait vraiment plus qui elle était à présent. Dans une fureur extrême, elle détruisit tout ce qui passa à sa portée. Avec une force irrationnelle, elle projeta le poste de télévision par la fenêtre. Elle s’apprêtait à le suivre dans une chute désespérée. Mais une impulsion dans le cerveau la stoppa dans son élan. Elle fit demi-tour et elle sortit en hurlant pour atteindre l’escalier et dévaler les dix-huit étages.
Depuis une semaine, Natasha avait disparu pour tous ceux qui la connaissaient sous le nom de Marie. Elle s’était réfugiée au sein des ruelles parisiennes où elle errait à la recherche de sa vie. La douceur printanière facilitait cette vie de Bohême dormant la journée sur un banc public en plein soleil et furetant la nuit avec la compagnie des rats à la recherche de nourriture comme tout animal nocturne. Sa longue chevelure noire qu’elle portait dorénavant détachée et flottant dans le vent lui servait à dissimuler son visage lorsque de temps en temps, elle osait s’aventurer dans des artères plus fréquentées. Elle avait revêtu une robe qu’elle avait trouvée au pied d’un container de la croix rouge afin d’enlever entièrement son ancienne peau et de pouvoir enfin opérer sa métamorphose.
Dans ce dénuement absolu, le premier de ses rêves dans cette nouvelle vie était de s’offrir dès qu’elle en aurait les moyens une tenue magnifique qui mettrait en valeur son corps longiligne renforcé par le régime draconien qu’elle s’infligeait, mais, qui forte heureusement n’entamait en rien sa poitrine suave. Son deuxième rêve était d’aller chez le coiffeur pour mettre un peu de folie dans sa crinière sauvage. Pour la suite, elle verrait. Elle avait maintenant tout le temps nécessaire pour envisager l’avenir. La seule chose qui comptait, c’était de se faire plaisir.
Pour financer ses ambitions, Natasha s’agenouillait face au Sacré-Cœur, les mains jointes tournées vers le dôme de la basilique. Elle disposait devant elle une petite assiette pour enfant en plastique et elle faisait semblant de psalmodier des prières pour son garçon mourant de faim. Les Parisiens passaient devant elle sans même la remarquer, lassés par cette misère ostentatoire. Mais les touristes plus naïfs ou plutôt gênés par la chance qu’ils avaient de visiter cette ville magnifique se montraient plus généreux.
Après avoir amassé son pécule journalier, Natasha s’accordait quotidiennement une petite heure de détente sur la place du Tertre. Elle imaginait l’époque où des artistes misérables vendaient leurs toiles pour un repas frugal. Ces mêmes œuvres dont les prix devenus exorbitants leur permettraient aujourd’hui d’acheter le restaurant tout entier. Elle imaginait aussi ces modèles féminins qui posaient nus pour pouvoir en recueillir les miettes. Puis symboliquement, elle repartait par la rue du Calvaire et empruntait la rue Gabrielle pour venir passer la nuit dans le square Louise Michel. L’ambiance joyeuse de ce parc la réconfortait. Elle se sentait à l’abri, entourée de ces arbres centenaires. Le soir venu, après s’être cachée dans les buissons pour échapper aux gardiens, elle s’endormait sereinement sur un banc.
Au septième jour, Natasha avait déjà économisé suffisamment d’argent pour se payer ses premiers rêves. Mais avant de revêtir sa parure de princesse et de se faire coiffer, elle devait d’abord éliminer cette crasse qu’elle avait accumulée sur sa peau comme une cuirasse pour se protéger des menaces nocturnes. Ce conseil lui avait été prodigué par une femme à l’odeur si nauséabonde qu’elle aurait fait vomir un bouc. Natasha s’en était approchée, car passée cette barrière olfactive, la femme semblait plutôt sympathique et elle semblait surtout parfaitement connaître les codes de cette vie primaire. Elle lui avait ainsi expliqué qu’après s’être fait violer par un groupe de jeunes qui l’avait jetée à la fin dans une benne à ordures, l’idée lui était venue de sentir aussi mauvais qu’une poubelle pour repousser les menaces sexuelles. Et depuis trois ans, elle n’avait plus été dérangée, ajoutant qu’on s’habituait vite à cette odeur. Pendant trois jours, Natasha avait suivi ce conseil. Mais il fallait visiblement plus de temps qu’annoncé pour supporter la puanteur.
Quand Natasha se présenta à 7 h 30 devant la porte des bains-douches du boulevard Michel Ney, elle ressentit une joie immense à l’idée de pouvoir éliminer sa lourde et pestilentielle armure. À peine avait-elle franchi la porte qu’elle perçut les bonnes odeurs de savon qui embaumaient les lieux. Elle réalisa qu’elle n’avait ni shampoing ni savon pour se laver et elle espéra trouver à l’intérieur un flacon oublié ou même jeté dans lequel il y aurait un résidu de matière hygiénique. Elle s’avança dans les couloirs et ouvrait une à une les cabines individuelles. Derrière la quatrième porte, une bouteille de savon liquide presque neuve semblait attendre Natasha. La jeune femme répondit à cette providence par un large sourire et lut l’étiquette sur le flacon qui indiquait « Savon purificateur du Mont-Saint-Michel ». Elle fit un premier lavage, tout habillée, pour enlever l’odeur de ses vêtements. Puis elle se frictionna le corps de la pointe de ses cheveux jusqu’à l’extrémité de ses orteils. Elle répéta trois fois l’opération jusqu’à avoir entièrement vidé le flacon. La puanteur ayant totalement disparu, elle revêtit ses vêtements mouillés et se dirigea vers la sortie ou des séchoirs l’attendaient. Elle resta plus de trente minutes pour pouvoir se sécher entièrement. Heureusement, sa longue chevelure donnait de la crédibilité à son interminable séance qui faisait s’impatienter les autres utilisateurs des lieux.
La séance de purification terminée, elle s’engagea en fin de matinée dans le tourbillonnant boulevard Barbès où se bousculait une foule compacte venue pour consommer dans les magasins qui proposaient une diversité vestimentaire féérique. Natasha avait l’embarras du choix allant de la robe de princesse à la tenue de femme d’affaires en passant par la somptueuse robe orientale de mariée ou le boubou chamarré. Après plusieurs heures d’essayage, Natasha opta pour une mini-jupe noire, des collants noirs et un crop top rouge à lanières sur lequel il était écrit avec des paillettes argentées « What the hell ». Puis, elle compléta sa tenue avec des bottes en cuir rouge. En sortant du magasin, la jeune fille ne passa pas inaperçue, mais elle venait de réaliser son premier vœu. Puis, elle s’engagea dans le salon de coiffure d’une grande chaîne réputée. Comme les vêtements lui avaient coûté moins chers qu’elle ne l’avait prévu, elle en profita pour se faire faire une french manucure. Trois heures plus tard, la jeune femme venait de réaliser son deuxième souhait et même un peu plus. Cette nouvelle vie, misérable, la comblait de bonheur.
Fière de son nouveau look provocateur, Natasha se promenait allègrement dans les rues bondées de Montmartre. Elle s’amusait à observer du coin de l’œil les regards des hommes qui se tournaient sur son passage agaçant quelques fois les compagnes de ces derniers. Elle marchait droit devant elle sans but précis en se demandant ce qu’elle pourrait bien convoiter maintenant. Elle observait les vitrines des magasins pour trouver l’inspiration, des bijoux, des sacs à main… Après tout, il lui suffisait de vouloir pour avoir.