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La seconde partie du Voyage du Pèlerin, de John Bunyan, n'atteint pas à l'originalité puissante de la première, parce qu'elle la répète trop. Elle contient cependant suffisamment d'images précieuses des réalités spirituelles pour mériter de ne pas rester complètement inconnue du public français. Sans s'en rendre compte le lecteur s'attachera plus qu'il ne pense à Christiana et à sa petite troupe ; c'est avec tristesse et envie qu'il les regardera, dans le dernier chapitre, traverser le fleuve, dont l'autre rive touche à l'éternité. Pour exemple, le prédicateur Spurgeon aimait à y relever cette perle : « Là-dessus, les pèlerins observèrent les mouvements de la poule, et s'aperçurent qu'elle procédait de quatre manières différentes envers ses petits : 1. Elle les appelait d'abord par un gloussement ordinaire qui se répète fréquemment dans la journée ; 2. elle leur adressait un appel spécial ; mais cela n'avait lieu que par intervalles ; 3. elle procédait sur un ton particulièrement tendre tandis qu'ils étaient recueillis sous ses ailes ; 4. elle faisait entendre un cri d'alarme. Maintenant, continua l'Interprète, représentez-vous la conduite de votre Roi par celle de cette poule, et faites un rapprochement entre ses sujets et les poussins ; car l'un est l'emblème de l'autre. Dieu agit aussi envers les siens d'après une méthode qui lui est propre. Par son appel ordinaire, il ne leur donne rien ; par son appel spécial, il a toujours quelque chose à leur communiquer : il fait entendre aussi une douce voix à ceux qui se tiennent sous son aile, et il ne manque pas de donner le signal de l'alarme quand il voit venir l'ennemi. » Cette numérisation ThéoTeX reproduit la traduction de 1855.
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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322485062
Auteur John Bunyan. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.ThéoTEX
site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]Nous nous sommes quelquefois demandé pourquoi les personnes qui ont entrepris la traduction du « Voyage du Chrétien » se sont arrêtées à la première partie de cet ouvrage intéressant. Pour expliquer cette lacune, il faut supposer nécessairement que les traducteurs ont jugé le premier volume comme présentant un travail complet, tandis que le voyage de « Christiana » ne leur a point paru offrir assez d’intérêt pour mériter une place parmi nos publications. Telle n’a cependant pas été l’impression que nous avons reçue après une première et même une seconde lecture de ce livre. Il nous a semblé que cette seconde partie était, non seulement un complément de la première, comme l’indique le titre, mais qu’elle pouvait être, sous la bénédiction divine, un puissant moyen de réveiller les pécheurs, et de nourrir et fortifier la foi des enfants de Dieu. C’est dans la confiance qu’elle atteindra ce double but que nous la publions, après avoir toutefois longtemps hésité et mûrement réfléchi. Il ne faut pas se le dissimuler, c’est une tâche laborieuse en même temps qu’agréable que nous nous sommes imposée. Le traducteur trouve encore une fois l’occasion de confesser que son travail se ressent, comme tout ce qu’il fait, de sa grande faiblesse. Aussi, aurait-il cédé volontiers sa place à quelqu’un de plus habile et de plus exercé, et c’est après avoir laissé écouler un intervalle de plusieurs années qu’il a revu sa traduction en manuscrit, et s’est enfin décidé à la publier. Il compte donc sur l’indulgence de son lecteur pour les imperfections de style qu’il peut y rencontrer. On lui reprochera peut-être avec raison d’être trop esclave de la traduction, d’où il suit que le livre perd de son attrait pour l’esprit, mais non de sa valeur pour l’homme sérieux qui tient plus au fond qu’à la forme. Il a fort bien compris l’inconvénient, et il ne prétend pas que pour conserver à un ouvrage le ton et l’originalité de son auteur, il faille toujours s’en tenir rigoureusement au texte. C’est là précisément que gît la difficulté dans la traduction d’un livre sérieux et profond, unique dans son genre, et un livre qui fut écrit il y a environ deux cents ans. D’autres auraient rendu aux images choisies de Bunyan tout le charme qu’elles ont dans l’original, et auraient présenté de même sa pensée dans une forme de langage beaucoup plus agréable.
Mais, encore une fois, nous n’avons nullement la prétention de satisfaire à toutes les exigences d’un public littéraire. L’ouvrage n’a pas été traduit en vue des gens de lettres, bien que notre désir fût de les rendre également attentifs aux grandes vérités qu’il renferme ; il s’adresse plus particulièrement à une classe de personnes déjà nourries du lait de l’Évangile, et c’est à ces humbles de la terre que nous espérons pouvoir rendre quelque service, en leur donnant la suite d’un ouvrage, qui a déjà produit tant de bien. Les âmes simples arrivent plus facilement à comprendre les mystères choisis que Dieu dérobe à l’intelligence des sages. Quoique notre travail se borne au simple rôle de traducteur, il n’a fallu rien moins que cette dernière considération, dictée par les paroles mêmes de notre Seigneur, pour nous déterminer à faire paraître en notre langue « Christiana et ses Enfants. »
Il ne faudrait pas confondre ce livre que nous venons de traduire, avec un autre ouvrage qui a paru sous le titre de « Voyage et progrès de trois enfants vers la bienheureuse éternité. » Celui-ci n’est qu’une imitation du « Voyage du Chrétien. » Sans méconnaître le mérite de cette production qui vous intéresse et vous captive autant par l’originalité de ses figures, que par le fond sérieux de ses idées, nous croyons qu’elle ne remplit pas le même but et ne saurait avoir la même chance de succès.
Le récit du voyage de Christiana présenté sous la forme d’un songe, nous fait entrer dans les réalités de la vie chrétienne. Quoique appelée dans des circonstances et d’une manière différentes de celles de son prédécesseur, Christiana n’en fait pas moins les mêmes expériences, et doit suivre le chemin de l’humiliation pour arriver à la cité céleste. Ce sont les mêmes luttes, les mêmes aspirations, les mêmes espérances, la même foi, le même bonheur qui sont dépeints dans ce livre ; on y retrouve le même corps de doctrines. Cependant, la vie de Christiana et de ses enfants nous présente de nouvelles phases intéressantes du christianisme pratique ; elle nous fait connaître peut-être d’une manière plus intime les tendresses et les inépuisables compassions de Dieu, en même temps qu’elle nous fait descendre dans les replis les plus cachés du cœur humain. Peut-on voir une image plus saisissante de la miséricorde divine que celle de cette jeune fille justement appelée de ce nom ? Et ces nourrissons qui sont d’abord à un état de régénération, puis de tendre jeunesse et enfin d’adolescence, ne nous montrent-ils pas avec beaucoup de force les progrès spirituels que les élus de Dieu sont appelés à faire ? C’est bien le cas de dire ici que « le sentier des justes est comme la lumière resplendissante, qui augmente son éclat jusqu’à ce que le jour soit en sa perfection,Prov.4.18 » ou bien avec David : « Oh ! que bienheureux sont ceux dont la force est en toi, et ceux au cœur desquels sont les chemins battus ! Ils marchent de force en force pour se présenter devant Dieu en Sion. Psa.84.5,7 ». Enfin, n’avons-nous pas dans cette série d’allégories si admirablement choisies et si variées, l’histoire ou le drame le plus complet de la vie chrétienne ? Nous ne craignons pas de le dire, « Christiana et ses enfants » est bien le compagnon du « Voyage du Chrétien. » Dans Christiana, sans négliger les doctrines fondamentales du salut, l’auteur s’attache spécialement à démontrer les écueils que l’enfant de Dieu rencontre sur sa route, en faisant ressortir les devoirs importants que nous sommes trop disposés à oublier quant aux détails de la vie. Le titre du livre, de même que les figures qui y sont employées, peuvent n’exciter d’abord que la curiosité du lecteur ; mais lorsque celui-ci vient à comprendre le rôle important qui est assigné à chacun de ces personnages figurés, il ne peut plus rester indifférent ; il est frappé par la logique du raisonnement aussi bien que par le contraste qui existe entre la vraie foi et les vaines théories d’un faux système, ou d’une religion de forme qui s’adapte au goût de tout le monde. Nous désirerions que chacun voulût reconnaître son portrait dans le tableau que Bunyan retrace avec tant de fidélité, en montrant à l’homme la nécessité de recourir à la grâce et à la puissance divine pour le changement du cœur, et d’accepter le pardon qui lui est offert en Jésus-Christ. Pour peu qu’il soit sérieux et attentif, le lecteur ne sera pas seulement frappé par la force des arguments qui lui sont proposés, mais il sera en quelque sorte confondu par l’autorité de l’Écriture sur laquelle s’appuie sans cesse l’auteur de « Christiana. »
Sans avoir un goût très prononcé pour les gravures, nous nous sommes cru autorisé et obligé d’en faire usage pour faciliter aux jeunes lecteurs l’intelligence du sujet. Nous avons d’abord considéré les ressources pécuniaires dont nous pouvions disposer, et le surcroît de dépenses qui devait être naturellement occasionné par la main d’œuvre ; cependant nous n’avons pas cru devoir reculer devant une difficulté de ce genre. Nous avons donc introduit dans l’ouvrage neuf dessins différents, en rapport avec les principales circonstances du voyage, et cela, dans l’espoir que les frais qui s’ajoutent nécessairement au prix du volume, seront compensés par l’agrément que les lecteurs pourront en retirer. Maintenant, nous formons des vœux pour que Dieu veuille bien accompagner de sa bénédiction ce petit messager, partout où il ira publier les merveilles de la Grâce en Jésus-Christ.
Aimables Compagnons !
Il y a quelque temps que je vous racontai ce que j’avais vu touchant Chrétien le pèlerin, et son voyage périlleux vers la céleste Patrie : ce récit a été agréable pour moi, comme il a été, j’espère, instructif pour vous. J’eus aussi occasion de vous parler de sa femme et de ses enfants, et vous disais combien ils s’étaient montrés mal disposés à le suivre dans son pèlerinage, tellement qu’il se vit forcé de partir seul et de laisser les autres en arrière ; car, il ne voulait pas courir le risque de se perdre, en restant plus longtemps avec eux dans la ville de Perdition. Il prit donc congé des siens, et se mit en marche, ainsi que je vous l’ai raconté.
Or, des occupations multipliées m’ayant empêché de continuer mes courses ordinaires vers les lieux qu’il parcourut, je n’avais pu trouver jusqu’à présent l’occasion de m’informer de sa famille pour vous en donner des nouvelles. Mais des affaires m’ayant appelé dernièrement de ces côtés-là, je trouvai moyen de descendre jusque dans le voisinage de cette ville. Je me dirigeai ensuite vers un bois qui se trouvait à la distance d’un mille environ du lieu où j’étais. J’allai donc y chercher du repos, et m’étant endormi, j’eus un songe.
Et voici, je vis un homme fort avancé en âge, qui s’approcha du lieu où j’étais couché. Comme il devait parcourir une partie du chemin que je m’étais proposé de suivre, je me levai et partis avec lui. Puis, comme il arrive à des voyageurs qui font route ensemble, nous entrâmes en conversation, et nous eûmes pour sujet la personne de Chrétien et ses voyages. C’est ainsi que je commençai l’entretien avec le vieillard.
– Monsieur, lui dis-je, quelle est cette ville que l’on aperçoit là-bas, à gauche du chemin ?
– C’est, répondit M. Sagacité, (car tel était son nom) la ville de Perdition, ville extrêmement populeuse, mais qui est habitée par des gens oisifs et de mauvais aloi.
– C’est ce que je pensais aussi, ajoutai-je ; j’ai traversé moi-même cette ville, et je reconnais que le rapport que vous m’en faites est exact.
Sagacité : – Ce n’est que trop vrai ! Je voudrais pouvoir dire aussi bien la vérité en rendant un meilleur témoignage de ceux qui habitent de tels endroits.
– Maintenant, lui dis-je, je vois que vous êtes un homme dont les intentions sont droites, et quelqu’un qui prend plaisir à entendre ou à dire de bonnes choses. Dites-moi, je vous prie, n’avez-vous jamais appris ce qui est arrivé il y a quelque temps à un homme de cette ville, (un nommé Chrétien) qui s’en alla en pèlerinage vers les célestes demeures ?
Sagacité : – Si j’ai jamais entendu parler de lui ! oui, certainement… je sais même les vexations, les peines, les combats, les captivités, les angoisses, les frayeurs, les doutes et tout ce qu’il a eu à subir pendant son voyage. D’ailleurs, il faut vous dire que sa réputation est répandue dans toute notre contrée. Maintenant, parmi les personnes qui ont connu un peu son caractère, ses actes de courage et ses vaillants exploits, il en est bien peu qui n’aient pas cherché à se procurer l’histoire de son pèlerinage. Je crois même pouvoir dire que le récit de son voyage aventureux a fait naître chez plusieurs le désir de suivre son exemple ; car, bien qu’il fût regardé comme un fou, et traité comme tel par la plupart de ses contemporains, maintenant qu’il est parti, presque tous témoignent une haute estime pour lui, et disent qu’il mène une vie de prince dans sa nouvelle demeure : il en est même parmi ceux qui avaient résolu de ne jamais s’exposer aux mêmes dangers, qui cependant lui portent envie et déclarent qu’il jouit du sort le plus heureux.
– S’ils veulent s’en tenir à la stricte vérité, ils ont raison de croire qu’il est actuellement dans un lieu de délices ; car il vit auprès de la Source de la Vie, et jouit de ce qu’il possède sans aucun travail, ni douleur : là il n’y a ni peine ni tristesse qui puisse se mêler à son bonheur. Je vous prie, quels propos tient-on à son sujet ?
Sagacité : – Quels propos ! Il y a de ses amis qui tiennent des discours étranges sur son compte. Quelques-uns disent « qu’il marche maintenant en vêtements blancs » (Apo.3.4 ; 6.11) ; qu’il porte une chaîne d’or autour de son cou, et qu’il a sur la tête une couronne immortelle entremêlée de perles très précieuses. D’autres soutiennent que les habitants du parvis, qui lui apparurent autrefois dans plusieurs stations de son voyage, sont devenus ses compagnons, et qu’il est familier avec eux là-haut autant qu’on peut l’être ici-bas, chacun avec son voisin. (Zach.3.7) Au reste, quelqu’un a déclaré avec beaucoup d’assurance touchant le fidèle Chrétien, que le roi de la contrée où il a établi sa résidence, lui a conféré l’insigne honneur de siéger à sa cour, et le fait participer à tout ce qu’il y a de plus riche et de plus exquis à sa table ; car il mange et boit chaque jour avec lui, il marche et cause avec lui, enfin, il jouit du regard affectueux et de toutes les faveurs de Celui qui est le Juge de toute la terre. Nonobstant cela, quelques-uns pensent que son prince, le Seigneur de ce pays, doit venir bientôt ici, pour demander à ses voisins, s’ils peuvent lui en donner la raison, pourquoi ils ne l’ont point estimé et ont toujours tourné en dérision son projet de voyage Jude.1.14-15.
Ces gens qui ont cette bonne opinion de lui ne craignent pas de déclarer qu’il jouit maintenant des bonnes grâces de son prince, et que son Souverain est tellement indigné contre ceux qui déversèrent leurs invectives et leurs sarcasmes sur Chrétien, qu’il les traitera avec autant de rigueur que s’il eût été lui-même l’objet de ces attaques ; du reste, il n’y a pas de quoi s’en étonner, puisque c’est à cause même de l’affection qu’il portait à son prince, qu’il endura toutes ces choses Luc.10.16.
– Tant mieux, lui dis-je ; j’en suis bien aise. La nouvelle que vous m’apprenez au sujet du pauvre Chrétien, me fait un grand plaisir. Maintenant il se repose de ses travaux Apoc.14.13 ; il recueille avec joie le fruit de ses larmes Psa.126.5-6, et avec cela, il se trouve dans sa nouvelle habitation à l’abri des coups de ses ennemis, tellement que ceux qui le haïssent ne pourront jamais l’atteindre. Je suis également satisfait de ce qu’on fait courir le bruit de ces choses partout dans le pays ; car qui pourrait dire tous les bons effets qu’une semblable nouvelle est capable de produire sur quelques-uns de ceux qui sont restés en arrière ?
Mais, dites-moi, Monsieur, puisque cela me vient à la mémoire, n’avez-vous rien appris concernant sa femme et ses enfants ? Pauvres amis ! je suis à me demander ce qu’ils sont devenus.
Sagacité : – Qui ? Christiana et ses fils ? Il y a toute apparence qu’ils se sont dirigés dans la voie qu’a suivie Chrétien lui-même. Bien qu’ils aient tous agi autrefois comme des insensés, et qu’ils n’aient voulu se laisser persuader ni par les larmes, ni par les supplications de Chrétien, cependant ils sont revenus à de meilleurs sentiments, et ont formé la belle résolution de marcher sur ses traces ; ainsi, ils ont plié bagage et se sont mis à courir après lui.
– Admirable ! quoi donc, la femme, les enfants, et tous ?
Sagacité : – C’est la vérité même, je puis vous raconter toute l’affaire, car m’étant trouvé sur les lieux au moment de leur départ, je me suis informé exactement de tout ce qui les concerne.
– Mais pourrait-on en parler comme de quelque chose de très certain ?
Sagacité : – Vous ne devez pas craindre de le répéter et de le publier, c’est qu’ils sont tous allés en pèlerinage, cette brave femme et ses quatre garçons. Si, comme j’ai lieu de le croire, nous devons cheminer longtemps ensemble, je veux bien vous raconter toute l’histoire.
Christiana, (car c’est le nom qu’elle porte depuis le jour où elle entra avec ses enfants dans la carrière du pèlerinage après la mort de son époux), Christiana, dis-je, n’entendant plus parler de son mari, fut troublée dans ses pensées : D’abord à cause de la perte immense, irréparable qu’elle venait de faire, et ensuite parce qu’elle sentait le lien d’affection qui l’unissait à lui se briser entièrement. Car, me disait-elle, vous savez qu’il est impossible à la nature d’empêcher que les vivants n’entretiennent des réflexions pénibles au souvenir des parents affectueux qu’ils ont perdus. Cette épreuve qu’elle eut au sujet de son mari, lui fit donc verser d’abondantes larmes. Mais ayant fait un sérieux retour sur elle-même, Christiana en vint à se demander si l’indigne conduite qu’elle avait tenue envers son mari n’était pas la cause de cette douloureuse séparation. Ainsi, elle reconnut tout ce qu’il y avait de dureté, d’injustice et d’impiété dans les mauvais traitements qu’elle avait fait subir à ce cher ami, et le souvenir de toutes ces choses commençait à peser lourdement sur sa conscience. Elle ne pouvait surmonter le sentiment de sa culpabilité. De plus, la pensée que son mari avait tant gémi en s’affligeant amèrement sur son compte, et le fait qu’il s’était beaucoup lamenté sur sa propre condition, tout cela augmentait singulièrement sa peine. Elle se rappelait ainsi combien son cœur endurci s’était montré rebelle à la sollicitude et aux douces invitations de ce cher époux, ce qui jeta son esprit dans une profonde angoisse. Oui, il n’y a rien de ce que Chrétien avait fait, par ses discours ou par ses actes pour l’engager à l’accompagner, qui ne lui revînt à la mémoire, et ne lui brisât le cœur comme par un coup de foudre. C’est surtout ce cri de détresse : « Que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » qui venait frapper ses oreilles d’une manière triste et plaintive.
C’est alors que se tournant vers ses enfants, elle leur dit :
« Mes enfants, nous sommes perdus. Je me suis mal comportée envers votre père, et il est maintenant bien loin d’ici. Il aurait voulu nous emmener avec lui, mais je refusai de lui obéir. Je vous empêchai même de le suivre, et par ce moyen de sauver votre vie. A ces mots, les jeunes garçons fondirent en larmes, et demandèrent avec instance de suivre les traces de leur père. »
– Ah ! dit Christiana, plût à Dieu que nous eussions accepté l’invitation d’aller avec lui ; il en serait résulté pour nous quelque chose de meilleur que ce que nous avons à attendre maintenant. Car, bien que j’aie eu autrefois la folie de m’imaginer que les angoisses de votre père provenaient d’une faiblesse d’esprit ou de certaines idées bizarres qu’il se serait formées, et qui auraient pu le rendre d’une humeur mélancolique, je suis maintenant persuadée qu’elles étaient l’effet d’une autre cause : c’est que la lumière de la vie lui fut donnée, et je m’aperçois que par ce moyen, il a échappé aux filets de la mort Jean.8.12 ; Prov.13.14. Là dessus, ils se mirent tous à pleurer de nouveau, et à s’écrier : Oh ! malheureux que nous sommes !
La nuit suivante, Christiana vit en songe une grande feuille de parchemin qu’une personne déroulait devant elle. Sur cette feuille était écrite, en caractères indélébiles, l’histoire de sa vie : ses péchés y étaient comptés et représentés dans toute leur laideur ; tous les replis de son cœur y étaient dévoilés, et ses péchés lui parurent si énormes, son âme dans un tel état de dégradation qu’elle en fut fort effrayée. Elle s’écria, à haute voix, dans son sommeil : « Seigneur, aie pitié de moi qui suis pécheresse, » et les petits enfants l’entendirent Luc.8.13.
Puis, il lui sembla voir, près d’elle, deux hommes qui paraissaient animés d’intentions malveillantes ; ils se tenaient près de son lit et délibéraient entre eux. D’abord, elle ne put saisir qu’imparfaitement ce qu’ils disaient ; mais ces deux hommes élevant graduellement la voix, elle entendit ces paroles : « Que ferons-nous de cette femme ? » Elle est troublée dans son sommeil et implore la miséricorde divine. Il faut trouver moyen de la détourner des pensées qui la travaillent sur la vie à venir, car si elle continue à élever son âme à Dieu, elle nous échappera comme son mari nous a échappé. Alors aucune puissance au monde ne saurait la retenir.
Il arriva qu’à son réveil elle se sentit toute brisée, et comme saisie d’un grand effroi ; mais un instant après, elle s’assoupit de nouveau, et Chrétien, son époux, lui apparut dans une vision. Elle le vit parmi des êtres immortels, rayonnant de bonheur et tenant une harpe entre ses mains en présence de quelqu’un qui était assis sur un trône, et dont la tête était environnée d’un arc-en-ciel. Elle remarqua aussi que son visage était tourné du côté de celui qui avait sous ses pieds comme un ouvrage de carreaux de saphir, et qu’en se prosternant devant lui, il disait : je remercie de tout mon cœur, mon Seigneur et mon Roi de m’avoir amené dans ce lieu. Puis une multitude de ceux qui se tenaient à l’entour, jouaient sur leur harpe et élevaient leurs voix ; mais aucun homme vivant ne saurait rapporter ce qu’ils disaient, si ce n’est Chrétien lui-même ou ses compagnons.
Le matin étant venu, Christiana se leva ; elle venait justement de prier Dieu et de causer avec ses enfants, quand quelqu’un se mit à frapper rudement à la porte. Aussitôt elle s’écria : si c’est quelqu’un qui vient au nom de Dieu, qu’il entre. – Ainsi soit-il, répondit l’inconnu. Celui-ci ouvrant en même temps la porte, ajouta : « Que la paix soit dans cette maison ! » et, s’adressant à Christiana :
– Sais-tu bien, dit-il, ce que je suis venu faire ?
A ces mots, elle rougit et devint toute tremblante. Son cœur commençait aussi à brûler du désir de savoir d’où il venait, et ce qui pouvait l’amener auprès d’elle. Mon nom, lui dit alors le nouveau personnage, est Secret ; je demeure avec ceux qui sont haut placés. D’après la nouvelle qui est parvenue dans les lieux que j’habite, il paraîtrait que tu as le désir d’y aller ; l’on rapporte également que tu éprouves un vif regret d’avoir usé autrefois de tant de rigueur envers ton mari, alors que par l’endurcissement de ton cœur tu méprisais ses voies, et que tu retenais ces pauvres petits dans leur ignorance. Christiana, celui qui se nomme le Miséricordieux m’a envoyé pour te dire qu’il est un Dieu disposé à pardonner au coupable toutes ses fautes, et qu’il se plaît dans la gratuité. Il veut te faire savoir en outre, qu’il t’invite à venir en sa présence, et à t’asseoir à table avec lui, pour te nourrir des délices de sa maison et de l’héritage de Jacob ton père. C’est là qu’habite celui qui était autrefois ton mari, en compagnie d’une multitude d’autres personnages illustres, et qu’il contemple sans cesse la face qui est un rassasiement de joie et une source de vie pour quiconque y est admis. Nul doute qu’il y aura parmi eux tous une grande joie lorsque, sur le seuil de la porte, le bruit de tes pieds viendra leur annoncer ton arrivée dans la maison de ton père.
En entendant ces choses, Christiana était tout confuse et baissait les yeux. Le messager qui lui apparut en vision continua ainsi : Christiana, il y a encore ici une lettre à ton adresse que le Roi de ton mari m’a dit de t’apporter. Elle la prit donc et l’ouvrit. Mais voici que cette lettre avait une odeur agréable, comme si elle eût renfermé le meilleur des parfums Cant.1.3 ; de plus elle était écrite en lettres d’or. Son contenu portait que le Roi avait décidé que Christiana devrait marcher sur les traces de son mari, attendu que c’est en suivant uniquement ce chemin-là, qu’elle pouvait arriver à la Cité céleste, et jouir enfin d’une allégresse éternelle auprès de Sa Majesté. La bonne femme fut presque confondue par cette nouvelle, et se livrant tout à coup à un épanchement de son cœur : Monsieur, dit-elle, voulez-vous nous emmener avec vous, moi et mes enfants, afin que nous puissions aller aussi adorer le Roi ?
– Christiana, reprit le visiteur, l’amer va devant le doux. Il faut que tu passes par beaucoup de tribulations, comme celui qui t’a précédée dans cette carrière, avant de pouvoir entrer dans la Cité céleste. C’est pourquoi je te conseille de faire comme fit Chrétien ton mari : va à la porte-étroite qui se trouve au bout de la plaine, à l’entrée du chemin par lequel tu dois marcher ; je te souhaite ainsi bonne réussite. Je te conseille également de mettre cette lettre sur ton sein, afin que tu puisses en examiner le contenu, et que tes enfants l’entendent lire, jusqu’à ce qu’ils l’aient apprise par cœur ; car c’est là un des cantiques que tu dois chanter pendant que tu séjournes dans la maison de ton pèlerinage Psa.119.54. C’est aussi un titre que tu devras présenter à la porte lointaine.
Or, je crus m’apercevoir que le vieillard qui me racontait cette histoire était lui-même singulièrement touché. Puis il continua son récit de la manière suivante : Christiana appela donc ses enfants auprès d’elle, et leur parla en ces termes : Mes enfants, j’ai été dernièrement, comme vous avez pu le voir, dans une grande perplexité au sujet de la mort de votre père ; ce n’est pas que je doute le moins du monde de son bonheur ; je suis au contraire pleinement persuadée que tout va bien pour lui maintenant. J’ai été aussi péniblement affectée par la vue de ma propre condition et de la vôtre, car ma bassesse et ma misère m’ont été dévoilées. La conduite que j’ai tenue envers votre père, alors qu’il était travaillé et chargé, est aussi d’un poids accablant sur ma conscience ; car j’avais endurci mon cœur et le vôtre contre lui, et me suis refusée à l’accompagner dans son pèlerinage.
Le souvenir de toutes ces choses me ferait mourir de chagrin si ce n’était que j’eus un songe la nuit passée, et pour la consolation que cet étranger est venu m’apporter ce matin. Venez, mes petits garçons, faisons notre paquet, et courons vers la porte qui mène à la Patrie céleste, afin que nous puissions voir votre père, et vivre paisiblement avec lui et ses compagnons, suivant les lois de ce pays.
Sur cela, les enfants, voyant le cœur de leur mère si bien disposé, versèrent des larmes de joie. Ensuite le messager se retira en souhaitant aux pèlerins un heureux voyage. Mais au moment où ils se disposaient à quitter la ville, deux femmes voisines vinrent rendre visite à Christiana, et selon la coutume, heurtèrent à la porte : Là dessus, Christiana répondit : Si vous venez au nom du Seigneur, entrez.
Les deux femmes parurent alors frappées d’étonnement, car elles n’étaient point habituées à entendre un pareil langage, surtout de la bouche de Christiana. Cependant elles entrèrent, et ne tardèrent pas à s’apercevoir que la bonne femme se disposait à quitter ce lieu.
Dès lors une conversation s’engage, et on commence par lui faire cette question :
– Dites donc, la voisine, qu’entendez-vous faire par là ?
Christiana se tournant vers madame Timide, qui était la plus ancienne, répondit qu’elle se préparait pour un voyage. (Cette Timide était la fille de celui qui rencontra Chrétien sur le coteau des Difficultés, et qui aurait voulu lui faire rebrousser chemin par la crainte des lions.)
Timide : – Pour quel voyage, je vous prie ?
Christiana : – C’est pour aller rejoindre mon vieux mari ; et en disant cela, elle se mit à pleurer.
Timide : – J’espère que vous ne ferez pas ainsi, ma bonne voisine ; par pitié pour vos pauvres enfants, s’il vous plaît, n’allez pas vous exposer si misérablement.
Christiana : – Non, mes enfants iront avec moi ; il n’y en a pas un qui veuille rester en arrière.
Timide : – Mais je suis à me demander qui a pu faire entrer une pareille idée dans votre esprit.
Christiana : – Ah ! ma voisine, si vous saviez seulement ce que je sais, vous voudriez aussi, je n’en doute pas, entreprendre vous-même ce voyage.
Timide : – Mais encore une fois, qu’y a-t-il donc de nouveau que tu ne tiennes plus compte de tes amies, et que tu sois tentée d’aller on ne sait où ?
Christiana : – J’ai été dans une grande amertume depuis le départ de mon mari, surtout depuis qu’il a traversé le grand fleuve.
Mais ce qui me donne le plus d’inquiétude, c’est la mauvaise conduite que j’ai tenue envers lui pendant qu’il était sous le poids de l’affliction ; d’ailleurs, je me trouve actuellement dans la position où il était alors : il n’y a rien qui puisse me rendre contente, si ce n’est la perspective de faire ce voyage. Il m’est apparu la nuit passée dans un songe. Plût à Dieu que mon âme fût avec lui. Il habite en la présence du Roi de la contrée ; il s’assied et mange avec lui à sa table, et est devenu le compagnon de ces êtres immortels qui sont rayonnants de gloire. Il habite une maison magnifique auprès de laquelle les plus beaux palais de la terre ne sont que des réduits obscurs.
Le Maître du palais a aussi envoyé vers moi son messager avec une offre d’hospitalité, si je veux aller auprès de lui. Il était encore ici il n’y a qu’un instant, il m’a remis une lettre par laquelle le Roi m’invite à venir. Là-dessus, elle sortit la lettre de son sein, leur en fit lecture et ajouta : Qu’en dites-vous ?
Timide : – Voilà la folie qui s’est emparée de toi comme elle s’est emparée de ton mari. Oserais-tu te lancer dans de telles difficultés ? Tu as appris, je n’en doute pas, ses tristes aventures, même les mauvaises rencontres qu’il fit dès le commencement de son voyage, ce que, du reste, le voisin Obstiné peut t’assurer, car il a été un bout de chemin avec lui. Facile lui-même avait essayé de courir dans cette voie ; mais eux, comme des hommes sages, craignirent d’aller plus loin. On affirme qu’il eut à lutter avec des lions, avec Apollyon, avec l’Ombre-de-la-Mort, et avec bien d’autres choses encore. Tu ne dois pas non plus oublier le danger qu’il courut lorsqu’il vint à traverser la Foire-de-la-Vanité. Or, si lui qui était un homme, a eu tant de peine à se tirer d’affaire, comment échapperais-tu, toi qui n’es qu’une pauvre femme ? Considère ensuite la position de ces quatre petits orphelins ; ne sont-ils pas tes enfants, ta chair et tes os ? Si donc tu étais assez téméraire pour vouloir te perdre toi-même, aie pitié au moins du fruit de tes entrailles, et reste dans ta maison pour en prendre soin.
Christiana : – Ne me tentez point, ma voisine. Je tiens maintenant un prix dans mes mains pour acquérir un bien précieux, et je serais une insensée de la dernière espèce, si je ne profitais pas de l’occasion Prov.17.16. Quant à ce que vous dites des afflictions qui me surviendront probablement en chemin, je suis loin d’en être découragée ; elles me prouveront au contraire que je suis dans la bonne voie. Il faut que l’amertume vienne avant la douceur, et que la première soit un moyen de rendre la seconde encore plus douce. Puis donc que vous ne vous êtes pas présentées chez moi au nom de Dieu, je vous prie instamment de vous retirer et de ne plus chercher à me troubler.
Sur cela, Timide voulut l’injurier, et dit à celle qui l’avait accompagnée : Venez, voisine Miséricorde, laissons là cette entêtée puisqu’elle méprise nos conseils et notre société.
Ici, Miséricorde se trouva comme embarrassée ; cependant elle n’était pas trop de l’avis de son amie ; elle ne pouvait consentir à sa demande pour deux raisons : La première, c’est que ses entrailles étaient émues en faveur de Christiana.
Si ma voisine doit absolument partir, se disait-elle, j’irai l’accompagner un bout de chemin, et lui aider dans ce qu’elle aura de besoin. Secondement, c’est qu’elle commençait à avoir de la sollicitude pour sa propre âme ; car ce que Christiana venait de dire avait fait quelque impression sur son esprit. Voici donc comment elle raisonnait en elle-même : Il faut que j’aie encore un peu d’entretien avec cette femme, et si je trouve la vérité et la vie dans ce qu’elle me dira, moi et mon cœur nous irons avec elle. En conséquence, Miséricorde commença par répondre à la femme Timide de la manière suivante : Voisine, je suis venue très volontiers avec vous ce matin pour faire visite à Christiana ; et puisqu’elle va, comme vous le voyez, faire ses derniers adieux au pays, il est convenable que j’aille un bout de chemin avec elle, afin de lui-être de quelque secours, d’autant plus que le temps est favorable. Toutefois, elle ne lui exposa pas son second motif, mais le garda pour elle-même.
Timide : – Ah ! je vois que vous avez aussi un penchant à suivre une pareille absurdité ; mais prenez-y garde à temps, et soyez sage ; lorsque nous sommes hors du danger, nous sommes en sûreté, mais quand on y est, il faut y rester.
Ainsi, cette madame Timide s’en retourna chez elle, et Christiana, toujours plus résolue d’accomplir son dessein, se mit en route pour la Patrie céleste.
De retour chez elle, madame Timide envoya aussitôt appeler quelques-unes de ses voisines, savoir : madame Chauve-Souris, madame l’Inconsidérée, madame Légèreté et madame l’Ignorante. Elle se hâta, à leur arrivée, de les entretenir de Christiana ; c’est ainsi qu’elle commença par leur faire le récit de ce qui s’était passé : Mes chères voisines, n’ayant presque rien à faire ce matin, je suis sortie pour rendre visite à Christiana. Étant arrivée à sa porte, j’ai frappé, comme vous savez que c’est notre habitude. Sur cela, elle m’a répondu : Si vous venez au nom de Dieu, entrez. Je suis donc entrée pensant que tout allait bien ; mais quelle n’a pas été ma surprise lorsque je l’ai vue occupée à faire des préparatifs pour quitter la ville, elle, ainsi que ses enfants. Je lui ai aussitôt demandé ce que signifiaient tous ces arrangements. Elle m’a enfin répondu qu’elle se disposait à aller en pèlerinage, à l’exemple de son mari. Elle m’a parlé ensuite d’un songe qu’elle avait eu, et comment le Roi de la contrée qu’habite son mari lui avait envoyé une lettre touchante pour l’engager à s’y rendre.
– Mais que pensez-vous qu’elle veuille faire, demanda madame l’Ignorante ?
Christiana : – Oh ! pour aller, elle ira, quoi qu’il arrive, c’est là ma conviction ; car lorsque j’ai essayé de la persuader à rester chez elle, en lui faisant entrevoir les fatigues et les périls qu’elle aurait à rencontrer sur son chemin, mes arguments n’ont servi qu’à la décider davantage au départ. Elle m’a dit en tout autant de mots qu’il faut que l’amertume vienne avant la douceur, et que par ce moyen la douceur soit rendue plus douce encore.
Chauve-souris : – Faut-il que cette femme soit aveugle et insensée ! N’est-elle donc pas suffisamment avertie par les afflictions de son mari ? Pour ma part, je crois, et cela est bien visible, que s’il pouvait revenir, il chercherait volontiers à mettre sa vie à l’abri de mille dangers qu’il courut pour le néant.
Inconsidérée : – Chassez donc de la ville ces sortes de gens fantastiques … pour mon compte, je souhaite fort qu’elle et tous ses adhérents s’en aillent d’ici. Le pays en sera plus tôt débarrassé ; car si en continuant à rester dans son habitation elle venait à entretenir de tels sentiments, qui est-ce qui pourrait vivre paisiblement avec elle ? Il faudrait toujours avoir l’air inquiet, ou bien se conduire en mauvais voisins, à cause des choses dont elle aime tant à parler, mais que les personnes de bon sens ne pourront jamais supporter. Je ne suis donc pas fâchée qu’elle parte, et que quelque chose de mieux vienne prendre sa place : ce n’a jamais été pour nous un monde agréable, depuis que ces visionnaires imbéciles y sont venus.
Tenez, ajouta madame Légèreté, laissons de côté ce genre de conversation, et parlons de ce qui nous touche de plus près. J’étais hier chez madame la Volupté où nous nous sommes passablement amusées. On y goûtait toutes sortes de divertissements. En vérité, il y avait là de quoi enivrer le cœur d’une jeunesse. Car, qui auriez vous pensé trouver chez elle, si ce n’est moi et madame Sensualité en compagnie de M. Libertin, de madame Impureté et de quelques autres encore ? Nous avons eu de la musique, des danses, et tout ce qui pouvait rendre la séance extrêmement agréable. Quant à la dame qui nous a si bien servis, il faut avouer que c’est une personne distinguée. Elle est généralement admirée de tous. A mon avis, elle est bien faite pour contenter son monde ; toutefois M. Libertin est bien à sa hauteur par ses manières élégantes.
En attendant, Christiana était déjà entrée dans sa nouvelle voie, et Miséricorde l’avait suivie. Les enfants marchaient aussi à côté d’elles, et comme ils cheminaient tous ensemble, Christiana lia conversation avec Miséricorde :
– Je regarde, lui dit-elle, comme une faveur inattendue, que tu aies bien voulu sortir pour m’accompagner un bout de chemin.