Les bébés cortisols - Claire Ribet - E-Book

Les bébés cortisols E-Book

Claire Ribet

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Beschreibung

Les bébés cortisols présente les aventures de plusieurs personnages, tous différents les uns des autres mais tellement semblables. Ces adultes, ces enfants blessés, cherchent tous à se reconstruire. Chacun d’entre eux est lié à l’autre par cette même aspiration : l’amour et l’espoir de l’amour.


"Je ne savais rien des bébés Cortisol. Je pensais à un livre d'indignation. C'est un livre de vie forte, de résistance. Vous êtes ma résistance préférée." - Amélie Nothomb


À PROPOS DE L'AUTEURE


Bébé cortisol, Claire Ribet conçoit l’écriture comme un besoin. Avec sa plume, elle se livre et s’érige en serviteur auprès des lecteurs.

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Claire Ribet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les bébés Cortisol

Nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Claire Ribet

ISBN :979-10-377-4654-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À mes parents,

Aux bébés cortisols, à Nam-Lha,

À tous les beaux meubles Ikea…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je le sais, mais je fais ma part…

Extrait de La légende du Colibri

 

 

 

 

 

Définitions

 

 

 

Cortisol : <k ɔʁ tizɔl>n. m. Hormone du stress.

 

Bébé cortisol : <bebe k ɔʁ tizɔl> expr. Jeune enfant ayant été exposé, aux stades embryonnaire et fœtal, à de hautes doses de cortisol. Ceci ayant des répercussions sur son développement émotionnel et, par conséquent, sur ses comportements adultes.

 

 

 

 

 

Présentation

 

 

 

Elle est née Claire, du latin clarus, un rapport avec la lumière. Il paraît que ce prénom est attribué aux idéalistes. On la qualifie parfois de naïve, elle ne sait pas si c’est un défaut ou une qualité. C’est son côté extrémiste, on la dit ambivalente.

Un bébé cortisol, pour sûr, né de Jacques et Sylvie, le scientifique et la littéraire. Les deux hémisphères qui s’opposent, et se complètent.

Alors, qui est-elle ? La réponse est animale : elle est un caméléon. Mais où va-t-elle ? Ce qu’elle sait, c’est que les humains lui font de la peine avec leur peur de mourir. Ils devraient tous lire L’Empire des Anges de Werber. Si elle était riche, elle en offrirait sept milliards d’exemplaires. Mais elle n’est ni Bill Gates ni Mark Zuckerberg…

La part des anges

 

 

 

 

 

C’est d’abord difficile, la reconnaître après toutes ces années. Elle est restée la même et a beaucoup changé. Il fait froid, Maud resserre son écharpe, évite de justesse un serveur trop pressé.

— Maud, j’ai toujours aimé ce prénom. C’était il y a combien, vingt ans peut-être ?

— Oui, à ce même bistrot, en été, tu te souviens ?

— Je n’ai rien oublié.

Maud est rassurée, observe Lucie de plus près. D’abord ses cheveux, longs, à l’époque elle les portait courts, comme un garçon. Lucie allume une cigarette, reprend :

— Alors, parle-moi de toi, tu deviens quoi ?

Maud relève ses cheveux, espère que ce mouvement lui plaira…

— Je suis mannequin, je vis à Pigalle, à quelques pâtés de maisons d’ici.

Elle relâche son étreinte, laisse retomber sa crinière qu’elle espère dorée. Elle a refait sa couleur, prie pour qu’aucune mèche blanche ne vienne tout gâcher…

Lucie a pris un peu de poids, les seins, les hanches, elle s’est féminisée. Ça lui va bien. Nostalgie. Maud se souvient, comme dans ses bras elle se sentait femme, comme elle n’avait peur de rien…

Maud se remémore soudain leur rupture, douleur vive encore tenace, arrière-goût amer sur la muqueuse buccale. C’était il y a vingt ans, on ne parlait pas de « ces choses », deux filles ensemble… quel scandale ! Les regards lourds dans la cour du lycée, les moqueries d’abord silencieuses, puis le mot « gouine » qui lui arrive aux oreilles. Et puis aussi, tout ce « qu’on » attendait d’elle, un bon mari, de beaux enfants… « On » qui lui bouffait la vie, lui triturait l’âme. Lucie s’en foutait de leurs conneries, en riait parfois mais avait compris : « je ne peux pas continuer Lucie… », « je comprends Maud… » avait-elle répondu, trop fière pour verser une larme, trop abattue pour ne pas baisser les yeux. Le regret immédiat, boule dense dans la gorge, voir partir la personne qu’on chérit, chasser l’être qu’on aime. Leitmotiv dans la tête : « je t’aime Lucie, je n’ai jamais aimé que toi, je n’aimerai jamais que toi ». Et puis soudain, revenir au moment présent, vingt ans plus tard, Lucie est là…

— Mannequin, tu dis ? Ça ne m’étonne pas : tu es restée très belle !

Maud sent les vaisseaux de ses pommettes se dilater, afflux sanguin, espère que son premier amour ne se rendra compte de rien. Alentour, le temps s’est figé, le bruit de la vaisselle qui s’entrechoque se mue en silence. Lucie porte un trait d’eye-liner qui souligne ses beaux yeux mordorés. Maud voudrait que cet effort d’esthétisme lui ait été réservé…

— Et toi, tu fais quoi dans la vie ?

Lucie sourit, laisse s’échapper quelques volutes de fumée par le nez, longuement.

— Moi, comme toujours, je bricole.

Malgré le froid, Maud retire son écharpe pour dévoiler son joli décolleté, attend un regard déplacé…

Lucie rit, prend sa compagne par les épaules :

— Attends, on va quand même pas faire ça dans la rue !

Maud sourit, a toujours aimé son sens de l’humour, la prend au mot :

— Tu as bien raison, ce sera plus chaud et plus confortable dans mon lit !

Elle tend la main, Lucie s’en saisit. Flash, euphorie. Maud pense à ses doigts glacés posés sur les siens. Elle pense, et ta langue chaude qui se balade sur mon sexe brûlant, dis-moi Lucie, de ça aussi tu te souviens ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

Le ciel nous appartient

 

 

 

 

 

1. Un soir d’été

 

« Ce n’est pas que j’ai peur de mourir, c’est juste que je ne veux pas être là quand cela arrivera ! »

Woody Allen

 

Tout a commencé un soir d’été, c’était en juillet, il me semble : l’air était chaud, Toulouse magnifique sous ses mille lumières inondant les toits roses. Ce soir-là, je me sentais vraiment bien et je crois que Raphaël s’en est aperçu, c’est peut-être pour ça qu’il m’a pris la main et, après un baiser furtif, m’a entraînée le long des rues avec entrain. Il ne pouvait pas savoir que ce geste changerait le cours de nos vies, j’étais moi-même à mille lieues de m’en douter…

 

2. Raphaël

 

J’ai rencontré Raphaël à l’université de Rangueil, c’est un beau garçon doué pour les études et très apprécié de tous. Pour être honnête, je ne l’aurais pas remarqué s’il n’avait pris, lors d’un cours de physiologie, l’initiative de s’asseoir à côté de moi. Nous sommes si nombreux dans ces amphithéâtres et j’apprécie tellement la solitude ! Quoi qu’il en soit, me voilà coincée entre une voisine psychopathe (c’est comme ça que tout le monde la surnomme, elle est toujours vêtue de noir et aurait, paraît-il, de sérieux penchants pour l’automutilation) et un voisin qui, je dois l’avouer, se veut plutôt attirant. Le cours commence normalement ; il traite du comportement hormonal – communément appelé endocrinologie –. Mon voisin ne semble guère me prêter attention jusqu’à ce qu’il consente, au bout d’une bonne demi-heure, à me lâcher trois mots :

— Euh… tu peux m’passer ton effaceur ?

 

Quelle entrée en matière, je suis époustouflée ! Je lui tends donc la chose en l’accompagnant d’un grand sourire qu’il me rend prestement… Finalement, ce jeune homme m’a l’air sympathique, nous entamons alors une longue conversation en tâchant de ne pas parler trop fort jusqu’à ce que l’appariteur nous demande, plus ou moins courtoisement… de bien vouloir quitter les lieux sur le champ ! Très bien, de toute façon, nous n’avions rien suivi du cours et c’est autour d’un café que nous poursuivons notre discussion. Je découvre un garçon relativement timide mais bourré d’humour et surtout, ce qui me touche le plus chez lui, d’une extrême gentillesse. Je me sais séduisante et le devine séduit, c’est donc naturellement que nos lèvres se rapprochent pour la première fois, c’était il y a trois mois.

 

3. Je t’aime

 

« Il y a un adage qui dit qu’on fait du mal à ceux qu’on aime, mais il oublie de dire qu’on aime ceux qui nous font du mal. »

Edward Norton, Fight Club

 

Nous déambulons dans les rues de la ville, fiers de cette belle jeunesse accoudée aux comptoirs des bars populaires, tous plus éméchés les uns que les autres. C’est alors que se détachent dans la foule des étudiants – à mon grand dam – deux bons amis de mon compagnon qui les invite à nous suivre. Ça hoquette et titube à souhait, je sens que la soirée va être animée… Face à mon désespoir, Raphaël me prend dans ses bras et chuchote à mon oreille, pour la toute première fois, le redouté « je t’aime ». Le problème, c’est que moi je ne sais pas quoi répondre…

 

4. Le saule pleureur

 

Rue de Metz, nous traversons le Pont Neuf direction la Prairie des Filtres. L’herbe y est fraîche et le paysage fabuleux : nous sommes au bord de la Garonne qui, dès la tombée de la nuit, est éclairée par des projecteurs verts, bleus, rouges, mauves et orangés. De petits groupes d’amis sont installés ici et là,certains jouent de la guitare ou du djembé, d’autres manient les bolasses avec précision. Nous nous asseyons à même le sol et continuons à discuter, à ce détail près que la conversation ne me passionne guère… c’est donc en m’excusant que je prends congé et m’éloigne tranquillement à quelques mètres de là, sous le grand saule pleureur.

 

5. Emma

 

« Le médicament et le poison sont de même nature, seul le dosage modifie l’effet. »

Bernard Werber, Le souffle des dieux

 

Encore quelques pas, les branches de l’arbre frôlent mes épaules et le fleuve est à mes pieds. J’y jette un caillou pour le simple plaisir de voir cette grosse masse s’agiter.

— Tu ne devrais pas faire ça, tu risques d’effrayer les rats !

Les rats ? Je tourne la tête à gauche, puis à droite et j’aperçois la propriétaire de la petite voix… ou du moins je n’en distingue que les contours sous les éclats du vieux réverbère. La silhouette me fait signe d’approcher. J’hésite un instant et, finalement, je m’exécute : après tout, ce n’est qu’une… fille !

— Embrasse-moi sous un réverbère suicidaire…

 

À présent, nous sommes toutes proches, elle se décide enfin à me montrer le bout de son nez.

— Tu pleures ?

 

Je me mords les lèvres, quelle idiote je fais ! Ses pommettes couvertes de rimmel, le contour de ses yeux empourpré… il est manifeste que depuis des heures bien des larmes ont coulé. Silence. J’en profite pour l’observer avec attention : elle doit avoir mon âge, peut-être légèrement moins. Son teint est blafard. Une chevelure d’un brun perçant souligne ses pupilles mordorées. Silence, j’ai rarement vu pareille beauté. Elle me prie de m’asseoir auprès d’elle, j’accepte timidement l’invitation. Elle s’appelle Emma, étudie la psychologie à l’université du Mirail et vient tout juste de se séparer… de sa petite amie ! Grand Dieu ! Sa petite amie ! Jusqu’à présent, je n’avais jamais rencontré d’homosexuelle... Silence. À son tour, elle me demande mon prénom, je marmonne un « Manon » étouffé. Ma gênesemble l’amuser, c’est alors qu’elle m’enlace brusquement et pose sa joue sur ma poitrine… Que faire ? Mon cœur s’emballe, que se passe-t-il ? Jamais je n’aurais soupçonné qu’un contact féminin me soit aussi agréable, jamais je n’aurais pensé… Elle approche sa bouche… mon Dieu ! J’ai peur… j’approche la mienne, nos langues se touchent mais soudain ma compagne relâche son étreinte :

— Souviens-toi du réverbère !

 

Et elle s’enfuit en courant dans la nuit.

 

6. Question de survie

 

Raphaël m’allonge sur le lit, il sort son sexe en érection et tente de me pénétrer. Je le repousse violemment. Dans mon crâne, tout bascule, j’ai l’impression de devenir folle. Mon amant se retire et décide de se soulager lui-même… sage décision ! Je ne veux pas de lui ce soir, je ne sais pas si je voudrai encore de lui un jour… Emma, Emma, ton prénom résonne dans ma tête. Emma, souviens-toi du réverbère ! Demain, je retournerai sous le grand saule pleureur, demain j’espère tant t’y trouver !

 

7. Retour au réverbère

 

« Je frissonne de peur quand tu me dis : mon ange !, et cependant, je sens ma bouche aller vers toi. »

Charles Baudelaire, Femmes damnées, Delphine et Hippolyte

 

Mon refus de la veille n’a pas plu à Raphaël ; il n’a pas décroché les dents de la journée. J’aimerais pouvoir lui expliquer mais j’ai moi-même trop de difficultés à me comprendre. Certes, étant plus jeune, j’ai souvent eu de l’admiration pour mes amies, mais jamais une seconde l’idée me serait venue à l’esprit que cette admiration pût être… du désir ! Que se passe-t-il ? Serait-il possible que je fasse moi aussi partie de ces femmes qui… non, je n’ose pas y penser. Le soir venu, je prétexte pourtant un besoin de solitude pour retourner sous le vieux réverbère.

8. Rupture et retrouvailles