Les choix du destin - Tome 1 - Céline Cossédu - E-Book

Les choix du destin - Tome 1 E-Book

Céline Cossédu

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Beschreibung

Peter de Lawford, un jeune aristocrate insouciant, mène une vie frivole entre ses amis et sa maîtresse de toujours, Janet Collins. Convaincu qu’il a tout le temps du monde pour assumer ses responsabilités, il repousse sans cesse l’apprentissage des affaires sérieuses du domaine de New Dawn. Cependant, le destin en décide autrement. Lorsqu’il perd sa famille dans un naufrage, Peter se retrouve seul à la tête d’un domaine dont il ignore presque tout. Face au deuil et à la solitude, il affronte sa nouvelle réalité, soutenu par Henry Davies, fidèle régisseur et ami de toujours. Seulement, quand ce dernier lui suggère de se marier afin d’assurer sa descendance, sa vie prend un nouveau tournant. Peter réussira-t-il à trouver l’amour et sécuriser l’avenir de New Dawn ?


À PROPOS DE L'AUTRICE

Céline Cossédu a trouvé sa voie au contact des œuvres de Jane Austen. Très sensible à la littérature sentimentale, elle nous propose "Comme le vol éphémère du papillon", le premier volet d’une saga de quatre tomes intitulée "Les choix du destin".

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Céline Cossédu

Les choix du destin

Tome I

Comme le vol éphémère du papillon

Roman

© Lys Bleu Éditions – Céline Cossédu

ISBN : 979-10-422-3624-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Croyez-vous au destin ? Êtes-vous de ceux qui ont la foi et qui pensent que le destin est défini à l’avance par Dieu ? Le créateur aurait programmé toute notre vie en fonction de nos dons et de notre personnalité. Et nous avançons sur ce chemin en aveugle, en nous fiant uniquement à notre foi pour nous guider, espérant que les décisions que nous prendrons seront les bonnes et en adéquation avec les plans que Dieu a prévus pour nous. Ou faites-vous partie des pragmatiques ? Ceux qui pensent que la destinée n’est ni plus ni moins que la conséquence de nos décisions. Que rien n’est prévu et que l’on est maître de notre destin. Parfois nous faisons les bons choix, parfois nous nous trompons. Ainsi va la vie et personne ne peut incriminer le destin du résultat de nos choix. Nous sommes les seuls responsables. Mais, après tout, est-il si important de savoir si notre vie est dictée par une force divine ou le hasard ? En fin de compte, le résultat est toujours le même ; soit nous avons de la chance et nos choix sont heureux. Soit notre décision n’était pas la bonne et nous devons en assumer les conséquences. Quoi qu’il en soit, notre vie reste une suite de conséquences dues à des décisions prises. Qui ne sont pas forcément les nôtres qui plus est. Et on se retrouve parfois confronté à des situations que l’on n’avait pas prévues, ni même imaginées. C’est ainsi que le destin de Peter de Lawford allait se jouer. Un voyage en Amérique et ce sont tous ses projets de vie oisive de jeune aristocrate qui volent en éclat. Alors ? Son destin a-t-il été tracé par Dieu, ou est-ce la conséquence d’une décision prise par son père ?

Août 1860 : Quelque part au milieu de l’Atlantique

Malmené par les éléments, le navire se soulevait et retombait lourdement dans un fracas de fin du monde. Les vagues de plus en plus hautes venaient se fracasser sur le pont, emportant tout sur leur passage. Le capitaine tenait tant bien que mal le gouvernail pour essayer de maintenir le bateau à flot, tout en criant des ordres à son équipage. Des marins étaient déjà passés par-dessus bord et les autres s’attachaient avec des cordes pour ne pas risquer le même sort. Il était une heure du matin, et la visibilité était quasiment nulle. Les nuages cachaient la lune et seuls les éclairs laissaient paraître quelque flash de luminosité dans cette obscurité effrayante. Tous faisaient de leur mieux pour garder espoir, mais la plupart savaient que l’inéluctable allait se produire. Refusant de renoncer, le capitaine s’accrochait au gouvernail de toutes ses forces, lorsqu’il entendit son second hurler :

— Mon Capitaine !

L’officier regarda son second et vit l’homme, tétanisé, montrant une masse dans le noir. À la lueur d’un éclair, le capitaine vit arriver sur eux une vague immense, comme une falaise de quinze mètres de haut dressée devant le navire. S’avouant vaincu, l’officier, résigné, lâcha le gouvernail et cria tout de même à son équipage :

— Accrochez-vous !

Réfugiés dans leur cabine, Andrew de Lawford, Comte d’Oak Wood, son épouse Sophie et leur petite fille Constense, âgée de dix ans, s’accrochaient à ce qu’ils pouvaient pour ne pas être ballottés d’un bout à l’autre de la pièce. Assis à même le sol, le Comte et la Comtesse gardait leur petite fille entre eux comme pour la protéger d’une fin atroce. Courageusement, Constense retenait ses larmes, mais la terreur pouvait se lire dans ses yeux :

— Vous êtes très courageuse, ma chérie, sourit Andrew cachant sa propre peur. C’est bientôt fini, je vous le promets. L’orage va bientôt passer.

Incapable de prononcer un mot, la petite fille hocha la tête et cacha son visage contre la poitrine de son père. Ce dernier croisa le regard angoissé de sa femme, par-dessus la tête de sa fille, et tenta de lui sourire :

— Je vous aime, madame, dit-il simplement.

Ces mots sonnaient comme un adieu et Sophie ne s’y trompa pas. Courageusement, elle sourit à son mari :

— Je vous aime, Monsieur, dit-elle sur le même ton.

Les époux croisèrent leurs mains et encerclèrent la petite fille dans une ultime étreinte. C’est à ce moment-là qu’ils entendirent le capitaine hurler à ses hommes de s’accrocher, avant qu’une masse d’eau ne traverse la cabine, déchiquetant le navire sur son passage.

Comté d’Oak Wood – Angleterre 1860

Auberge du village

Au milieu des volutes de fumée et des relents d’alcool, Peter de Lawford ramassa la carte que venait de lui distribuer son ami et examina le jeu qu’il tenait dans ses mains.

— Je suis servi ! dit-il avec arrogance en tirant sur son cigare.

Zacchary et Tyrone, échangèrent un regard dépité, devinant que leur ami avait une bonne main, mais ne voulant pas se coucher pour autant, car ils tenaient en mains de bonnes cartes eux aussi :

— D’accord, sourit le premier, je demande à voir.

Il jeta une pièce sur le tas qui se trouvait au milieu de la table :

— Moi aussi, renchérit Tyrone en faisant de même.

Peter sourit avec assurance, ménageant un instant de suspense, puis étala ses cartes :

— Deux pairs, Messieurs ! s’écria-t-il satisfait.

Ses amis jetèrent leurs cartes sur la table d’un air dégoûté, tandis que Peter ramassait ses gains avec un sourire satisfait :

— Une veine pareille ne devrait pas être permise, s’insurgea Zacchary à l’attention de Tyrone.
— À toi la prochaine tournée, mon ami, soupira ce dernier à l’attention de Peter. Je n’ai plus un sou.

Peter rit de bon cœur de l’air dépité de ses amis puis interpella une serveuse :

— La même chose, dit-il à la jeune fille qui s’était approchée de leur table.
— Oui, Milord, répondit la serveuse avec une œillade aguicheuse au jeune homme.

Ce dernier lui sourit et la jeune fille s’éloigna en le frôlant intentionnellement :

— Cet homme me fatigue ! s’exclama Tyrone à l’attention de Zacchary. Tout lui réussit : il est riche, plutôt beau garçon. Il a une chance indécente au jeu, et toutes les filles à la ronde ne rêvent que de se retrouver dans son lit.
— C’est vrai, ça, d’exclama Zacchary, faussement dégoûté. Tu pourrais en laisser un peu à tes amis, Peter ?
— Vous n’avez pas idée à quel point c’est fatiguant d’être toujours le meilleur en tout, les amis, se plaignit Peter d’un ton faussement épuisé.

Il prit un air théâtral avant de continuer :

— Je me sacrifie pour vous, vous savez, souffla-t-il. Pour que vous n’ayez pas à supporter le fardeau de la notoriété.

Zacchary et Tyrone échangèrent un regard narquois :

— Et en plus, il se moque de nous, s’exclama ce dernier.

Les trois hommes éclatèrent de rire, et la jeune serveuse arriva avec son plateau. Elle posa les verres sur la table en prenant bien soin de se pencher ostensiblement pour exhiber les formes généreuses de son décolleté sous les yeux de Peter. Ce dernier profita largement du spectacle, mais n’encouragea pas la jeune fille. Déçue, la serveuse repartit avec son plateau, sans avoir lancé un regard noir à Peter. Le Comte Andrew, le père du jeune homme, l’avait mille fois mis en garde contre une mésalliance si d’aventure son fils venait à forniquer avec une fille de basse extraction. Le Comte n’avait aucun mépris pour les gens du village ou pour ses domestiques. Mais il voulait que la future Comtesse d’Oak Wood soit une femme respectueuse et bien naît :

— Seras-tu des nôtres pour le voyage en Europe, Peter ? demanda Zacchary en sirotant son verre.
— Tu ne nous as toujours pas donné ta réponse et nous partons bientôt, renchérit Tyrone.
— J’ai très envie de venir, mais je voulais être sûr que mes parents seraient rentrés, hésita Peter.
— Même si ce n’est pas le cas, continua Zacchary, il y a toujours le régisseur.
— Oui, approuva Tyrone. Il s’occupe déjà de tout sans toi, ça ne fera pas de différence. Cet homme est un vrai bourreau de travail.
— C’est vrai, acquiesça son ami, il ne vit que pour travailler cet homme-là. Je ne l’ai jamais vu se détendre ou sourire.
— Messieurs, intervint Peter en fronçant les sourcils. Vous êtes mes amis et je vous aime bien. Mais ne dites pas de mal d’Henry. Cet homme est comme un frère pour moi et sa vie n’a pas été facile. Il a des raisons d’être comme il est.

À la suite de cette mise au point, le silence se fit un instant, puis Zacchary tapa du plat de la main sur la table, faisant sursauter ses compagnons :

— Alors tu viens oui ou non ? s’exclama-t-il gaiement.

Ses amis éclatèrent de rire puis Peter capitula :

— Vous avez raison, Messieurs, dit-il joyeusement. Si mes parents ne sont pas rentrés, je viendrais tout de même avec vous. Henry saura bien gérer le domaine sans moi.
— À la bonne heure, s’exclamèrent ses compagnons en levant leur verre.

Puis Tyrone sourit en regardant vers la porte d’entrée :

— Tiens, quand on parle du loup, ironisa-t-il. Voilà sa gracieuseté en personne.
— Il a l’air encore plus sombre que d’habitude, renchérit Zacchary, l’air faussement apeuré.
— Messieurs, prévint Peter en faisant signe à Henry pour attirer son attention.

Le régisseur traversa la pièce à grandes enjambées et s’arrêta devant Peter, un papier à la main :

— Il faut que je vous parle, Monsieur, dit-il d’une voix blanche, c’est urgent.
— Voyons Henry, minimisa Peter, sans se rendre compte de l’émoi du régisseur. Que peut-il y avoir de si urgent à cette heure, qui ne puisse attendre demain ?

Ses amis rirent silencieusement, et Henry leur jeta un regard si noir qu’ils se turent instantanément :

— Cela ne peut pas attendre, Peter, lâcha le régisseur, agacé par la nonchalance de son ami.

Conscient qu’Henry ne le laisserait pas tranquille tant qu’il ne l’aurait pas écouté, Peter but son verre d’un coup et se leva à contrecœur :

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il d’un ton ironique. J’ai fait une erreur dans un calcul ?

Sa boutade fit de nouveau rire ses amis, qui se turent une fois encore sous le regard d’Henry :

— Suivez-moi, voulez-vous, proposa le régisseur. Il vaut mieux parler dehors.

Le régisseur s’éloigna et Peter échangea un regard résigné avec ses amis :

— Ne partaient pas, Messieurs, les enjoignit-il. Je me débarrasse de cette affaire et je reviens de suite.

Il posa une pièce sur la table :

— Commandez une autre tournée ! les invita-t-il.

Sous les exclamations ravies de ses amis, le jeune homme sortit rejoindre Henry. Ce dernier faisait les cent pas dans la rue, en se passant nerveusement la main sur le front :

— Mais qu’y a-t-il ? commença à s’inquiéter Peter, soudain conscient qu’Henry ne serait pas venu le chercher en pleine nuit pour une broutille.

Le régisseur lui lança un regard torturé, et lui montra le papier qu’il tenait dans la main :

— Un télégramme est arrivé en fin d’après-midi au château, dit-il d’un air triste. Charles ne savait pas quoi faire, alors, il l’a fait porter à mon cottage.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Peter en regardant le papier, les sourcils froncés.

La menace d’une mauvaise nouvelle planait au-dessus de lui et la peur le tenaillait tout à coup :

— Oh ! Peter, souffla Henry en secouant la tête. Je ne sais pas comment vous apprendre ça.

Lassait de ne pas savoir, mais ayant déjà compris que cela concernait ses parents, Peter arracha le télégramme des mains d’Henry et lu les quelques mots :

— … aucun survivant, répéta Peter l’air hagard, après avoir pris connaissance de la missive.

Ces mots dansaient devant ses yeux, avec toute leur signification. Ses parents. Sa petite sœur. Sa famille réduite à néant. Il n’avait plus personne. Comme si le sol se dérobait sous ses pieds, Peter chancela et s’assit sur les escaliers de l’entrée de l’Auberge :

— Ce n’est pas possible, Henry, bredouilla-t-il en regardant le régisseur. Ils devaient rentrer bientôt. Cela ne peut pas être vrai.

Henry secoua la tête, impuissant, les yeux humides de larmes contenues. Il venait de perdre ceux qu’il considérait comme sa famille et sa peine était aussi grande que celle de Peter. Pour autant, il était le plus âgé, et donc, celui sur lequel Peter allait s’appuyer :

— Ma petite sœur, continua ce dernier l’air hagard.

La pensée de Constense fut trop pour lui et il s’écroula :

— Pas ma petite sœur, gémit-il en larmes.

Henry s’assit près de lui et posa sa main sur son épaule en signe de réconfort. Les deux hommes restèrent un instant l’un près de l’autre, unis par le même chagrin.

Quelques jours plus tard

Le soleil baignait de lumière le cimetière réservé à la famille de Lawford et où tous les Comtes d’Oak Wood et leurs familles étaient enterrés. Situé dans un champ de fleurs sauvages à quelques minutes du château, le cimetière était un lieu propice au recueillement. Des petits bancs, installés sous les arbres proches, permettaient aux visiteurs de se reposer à l’ombre et de prier en toute quiétude. Beaucoup pensaient le lieu hanté, car, en passant entre les feuilles des arbres, le vent raisonnait comme le murmure de voix des âmes défuntes. Mais, ce jour-là, seule la voix du prêtre venait troubler le silence de ce matin d’été. Même les oiseaux ne chantaient plus, comme s’ils partageaient la tristesse de ce jour. Malgré la douleur qui le tenaillait et les larmes qui menaçaient de couler, Peter se tenait, digne et droit, devant les cercueils de ses parents et de sa petite sœur. Des cercueils vides, car les corps n’avaient pas été retrouvés. Et c’est ce qui était le plus douloureux pour Peter ; devoir dire adieu à des êtres chers, sans avoir pu les voir une dernière fois. Il avait préféré rester en Angleterre pour profiter des plaisirs de la vie plutôt que de suivre sa famille pour ce voyage. Le vieux Comte Andrew avait cédé à sa femme Sophie, qui souhaitait assister au mariage de sa nièce. La jeune sœur de Sophie, Helen, avait épousé un banquier de Boston et était partie s’installer avec son mari dans le nouveau monde. Sophie n’avait plus revu sa sœur depuis son départ et mourait d’envie de profiter de l’occasion de ce mariage pour la revoir et faire la connaissance de ses neveux et nièces. Andrew avait voulu faire plaisir à sa femme qui avait toujours était une épouse patiente et tolérante, soutenant son mari dans ses fonctions sans jamais se plaindre. Elle avait passé sa vie au côté de son époux, sans jamais rien exiger pour elle-même. Andrew avait voulu profiter de ce voyage, pour prouver son amour et sa reconnaissance à sa femme, comme il s’en était confié à Peter la veille du départ.

New Dawn

Château des de Lawford,

quelques semaines plus tôt

Avachi sur le canapé du bureau, Peter avait écouté son père d’une oreille distraite, peu intéressé par les histoires de loyers à prélever et de métayers à gérer. Il pensait surtout aux parties de cartes qu’il allait jouer et au corps voluptueux de sa maîtresse de toujours, Janet Collins. Récemment sorti diplômé de l’université de Cambridge, Peter avait passé les dernières années à étudier. Il comptait bien, désormais, profiter de sa liberté retrouvée. Conscient du manque d’intérêt de son fils, le Comte s’était agacé :

— Avez-vous seulement écouté la moitié de ce que je viens de vous dire, mon fils ? avait-il soupiré.
— Vous vous inquiétez inutilement, père, avait répondu Peter en balayant l’air d’un geste nonchalant de la main. Henry saura gérer les affaires de New Dawn le temps que vous reveniez.
— J’aurais aimé que vous profitiez de mon absence pour vous familiariser un peu avec la gestion du domaine, avait soufflé le vieux Comte d’un air dépité. Henry est prêt à vous former à ma succession.
— Nous avons bien le temps pour cela, avait objecté Peter. Vous ne serez partis que quelques semaines.

Le vieux Comte s’était tu, voyant qu’il n’arriverait à rien avec son fils :

— Vous serez bientôt en âge de prendre les rênes du domaine de New Dawn, Peter, avait-il tenté, en désespoir de cause. Ce serait le moment idéal pour commencer à vous intéresser aux responsabilités qui seront, un jour, les vôtres.

Excédé par cette conversation, Peter avait levé les yeux au ciel en s’extirpant lourdement du canapé :

— Quelle idée de partir au bout du monde pour un mariage, avait-il reproché en se dirigeant d’un pas traînant vers le plateau à alcool. Vous vous laissez mener par le bout du nez par les caprices d’une femme.
— Ne soyez pas irrespectueux envers votre mère, avait grondé Andrew les poings serrés. C’est une femme exceptionnelle et une épouse merveilleuse.

Conscient d’avoir été maladroit, Peter avait bu une gorgée d’alcool puis avait regardé son père, impressionné par sa réaction :

— Loin de moi l’idée de manquer de respect à ma mère, s’était-il excusé. Je sais quelle femme admirable elle est.

Puis il avait eu un sourire amusé en regardant les mains de son père :

— Seriez-vous encore capable de vous battre pour elle ? avait-il demandé d’un ton provocateur.

Andrew s’était détendu et avait souri, presque gêné :

— Je donnerai ma vie pour Sophie, avait-il répondu, simplement.
— Vous l’aimez toujours autant ? Après toutes ces années ? avait demandé Peter, intrigué.

Le vieux Comte avait regardé son fils dans les yeux :

— L’amour véritable se moque du nombre des années, mon fils, avait-il dit d’une voix ferme. J’ai aimé votre mère au premier regard et mes sentiments pour elle n’ont jamais faibli. Sophie est l’amour de ma vie et il n’y a rien que je ne ferais pour elle. En plus de vingt ans de mariage, c’est la première fois qu’elle me demande quelque chose de vraiment important pour elle. Je me dois de lui offrir ce voyage. Elle le mérite plus que quiconque.

Admiratif quant aux propos de son père, Peter n’en resta pas moins dubitatif :

— Comment peut-on être sûr qu’une femme sera celle de toute une vie ? avait-il demandé, sceptique. Il y a tant de jolies femmes dans le monde.

Découragé par la légèreté de Peter, Andrew s’était approché de son fils et lui avait donné une accolade :

— Le jour où vous rencontrerez la femme de votre vie, vous le saurez mon fils, avait-il dit d’une voix rassurante. Et toutes les autres n’existeront plus.

Puis il avait levé les yeux au ciel :

— J’espère simplement que vous serez assez intelligent pour ne pas la laisser vous filer entre les doigts, avait-il conclu, dépité.

La porte du bureau s’était ouverte à ce moment-là et Constense, la petite sœur de Peter, s’était ruée dans la pièce, suivit plus sereinement par Sophie :

— Mes malles sont prêtes, père, s’était-elle exclamée, excitée, en sautant autour d’Andrew.
— VOS malles ? s’était inquiété, le vieux Comte en regardant sa femme.
— Ne vous inquiétez pas, mon ami, l’avait rassuré Sophie d’une voix sereine, en lui prenant le bras. La situation est sous contrôle.

Elle avait tapoté le bras de son mari en lui souriant tendrement, puis s’était tournée vers Peter :

— Êtes-vous sûr de ne pas vouloir venir, mon chéri ? lui avait-elle demandé. Ce serait l’occasion de faire la connaissance de vos cousins.
— Merci mère, mais je préfère rester ici, avait-il refusé, en se laissant de nouveau tomber sur le canapé.

Sa petite sœur était venue s’installer à côté de lui, et l’avait regardé d’un air triste :

— Mère m’a fait faire une belle robe pour le mariage, avait-elle dit. Si vous ne venez pas, qui me fera danser ?

Peter avait souri gentiment :

— Jolie comme vous l’êtes, ma chère sœur, je suis sûr que les garçons vont se précipiter pour vous faire danser, l’avait-il rassurée.

Constense lui avait souri en levant les sourcils :

— Vous croyez ? avait-elle demandé pleine d’espoir.
— J’en suis sûr, avait confirmé Peter avec un clin d’œil malicieux.

La petite fille s’était jetée dans les bras de son frère en rougissant :

— Vous allez me manquer, Peter, avait-elle dit d’un air un peu triste.

Pour lui rendre le sourire, le jeune homme l’avait repoussée en lui chatouillant les côtes :

— Et bien vous, vous ne me manquerez pas, avait-il menti en riant à l’unisson avec sa sœur.

Il avait levé les yeux par-dessus la tête de la petite fille, et avait vu ses parents échanger un regard amusé et chargé de l’amour qu’ils se portaient l’un à l’autre. Ce furent les derniers instants qu’il passa avec sa famille. Il leur avait souhaité un bon voyage puis était sorti passer la soirée avec des amis. Il s’était couché à l’aube et n’avait pas entendu ses parents partir en ce matin de mai. Tout laissait à penser que le beau temps les accompagnerait durant leur voyage. Malheureusement, alors qu’ils revenaient en Angleterre, le temps avait été capricieux et le navire n’avait pas résisté aux vents violents et aux éléments déchaînés. En repensant à la désinvolture avec laquelle il avait dit au revoir à sa famille, Peter regrettait sa légèreté et le fait que jamais plus il ne pourrait racheter son comportement.

Une présence derrière lui ramena Peter à la réalité, mais il ne se retourna pas ; il savait qu’Henry se tenait près de lui, fidèle ami de toujours. Instinctivement, Peter balaya du regard la foule venue se recueillir. Une foule hétéroclite, mais distincte : les nobles devant, vêtus de noirs. Les hommes tenant respectueusement leur chapeau à la main. Les femmes cachées derrière leurs voilettes de mousseline noire laissaient, de temps en temps, entendre un sanglot. Réel ou de bon ton, il était difficile de savoir qu’elles étaient les dames qui étaient vraiment touchées par ce drame. Mais la bienséance voulait que l’on compatisse et que l’on portât, de temps en temps, un mouchoir à son nez en signe d’émoi. Et certaines savaient jouer la comédie comme nulle autre. Du côté des domestiques et des paysans par contre, l’émotion n’était pas feinte. Debout derrière l’aristocratie, vêtus de leur costume du dimanche, ils étaient venus en nombre montrer leur respect à la famille de Lawford. Les hommes baissaient la tête et les femmes pleuraient silencieusement. Prendre conscience que ces personnes étaient désormais sous sa responsabilité était effrayant pour Peter. Le poids qu’il sentait sur ses épaules depuis la mort de son père s’alourdit encore plus et le jeune homme réprima le sanglot qui montait dans sa gorge. Devoir menait de front son chagrin et le poids de sa charge lui semblait au-dessus de ses forces. De nouveau, il sentit la présence d’Henry et le soulagement l’étreignit. Heureusement qu’il pouvait s’appuyer sur son ami pour reprendre les rênes du domaine. Sans lui, il n’y arriverait pas. Quelque peu rassuré, Peter regarda le Pasteur qui avait fini sa prière et le remercia d’un signe de tête. La foule commença à se dissiper. Avec un manque d’entrain compréhensible en cette circonstance, le personnel du château retourna à ses occupations respectives. Mais la tristesse n’était pas leur seule source d’inquiétude. Ils avaient aussi à l’esprit l’incertitude de leur avenir. Peter était si jeune et si futile, pensaient certains. Serait-il en mesure de succéder à feu Monsieur Le Comte et faire prospérer le domaine aussi bien que le défunt ? Leur emploi n’était-il pas menacé par l’inexpérience de leur jeune maître ? Autant de questions qui inquiétaient ces hommes et ces femmes qui, pour la plupart, avaient toujours travaillés au service des de Lawford.

Après des condoléances d’usages à Peter, les aristocrates retournèrent à leurs fiacres et autres carrosses, pour rentrer chez eux. Une dame d’un certain âge s’approcha lentement de Peter en s’aidant d’une canne. Elle posa une main ridée sur le bras du jeune homme en le regardant avec compassion. Il s’agissait de la tante de Sophie, Elisabeth :

— Mon cher enfant, dit-elle le visage grave, mais digne derrière la voilette noire. C’est si triste. Si je peux faire quoi que ce soit, dites-le-moi.

Peter posa sa main sur celle de la vieille dame :

— Merci tante Elisabeth, répondit-il simplement.

Le silence se fit, un instant, puis il ajouta, inquiet :

— Vous devez être fatiguée ma tante. Henry va vous ramener au château. Vous voulez bien Henry ? demanda Peter en se tournant vers son ami.
— Bien sûr, acquiesça Henry en s’inclinant respectueusement devant Elisabeth et en lui tendant son bras.

Puis il se tourna vers Peter :

— Vous ne rentrez pas avec nous, Monsieur Le Comte ? demanda-t-il, soucieux.
— Pas tout de suite Henry, sourit faiblement le jeune homme, désespéré de s’entendre appelé par son titre. Je voudrais rester seul un instant.

Henry comprit que son ami souhaitait faire ses adieux à sa famille et il n’insista pas. Il entraîna Elisabeth vers la voiture, laissant Peter face à son chagrin. Une fois seul, ce dernier put enfin laisser libre cours aux larmes qu’il retenait depuis si longtemps. Il pleura sur tout ce qu’il avait perdu. Sur sa famille qui le laissait seul au monde. Sur la solitude qui était la sienne désormais. Sur sa jeunesse et cette vie de liberté qu’il espérait tant. Son existence était désormais liée à ses responsabilités vis-à-vis de ce domaine et Peter se sentait comme un prisonnier enfermé à vie dans un avenir qu’il n’avait pas choisi.

Le calme enfin ! Peter n’en pouvait plus. Après l’enterrement, une collation avait été servie pour les quelques personnes qui vivaient éloignées et qui avaient besoin de se restaurer avant de reprendre la route. Le jeune homme avait dû tenir son rôle de maître de maison alors qu’il n’avait qu’une seule envie : s’isoler pour faire son deuil. Après le départ des derniers invités, tante Elisabeth était montée se reposer dans sa chambre et Peter avait pu se réfugier dans le bureau de son père ; son bureau désormais. Le jeune homme venait à peine de finir ses études. Il allait fêter ses vingt ans et il était loin de s’imaginer que de telles responsabilités allaient lui incomber aussi vite. La tâche lui semblait tellement lourde. Complètement découragé, Peter se laissa tomber dans le fauteuil près de la cheminée et se prit la tête entre les mains, dans un geste de désarrois. Quelques jours plus tôt, il n’était qu’un jeune homme insouciant, avec des projets pleins la tête. En ce moment précis, il aurait dû être en route pour l’Europe avec Tyrone et Zacchary. Ses deux amis étaient partis la veille, après avoir hésité longuement à abandonner Peter à un moment aussi douloureux. Mais le jeune Comte les avait forcés à ne pas changer leur projet, sachant pertinemment que leur présence ne changerait rien à l’affaire. Comme Peter enviait leur insouciance. Ses amis n’avaient aucune idée de la chance qui était la leur. Aucune pression sur leurs épaules, pas de responsabilités, pas de domaine à diriger. Juste prendre du bon temps, voyager, s’amuser et profiter de leur jeunesse. La vie de Peter ne lui appartenait plus désormais. Son avenir était tout tracé, et la vision qu’il en avait était des plus effrayantes. L’océan avait décidé de son destin aussi sûrement qu’il avait emporté sa famille :

— Oh ! Père ! souffla le jeune homme, désespéré. Que vais-je devenir sans vous ? Que ne donnerais-je pour que vous puissiez être là ?

Un léger toussotement lui répondit et il redressa la tête, s’attendant presque à voir son père, comme une réponse à ses prières. Au lieu de cela, il vit Henry qui se tenait sur le seuil de la porte :

— Puis-je entrer ? demanda-t-il.

Henry était bien la seule personne que Peter pouvait supporter en ce moment et c’est avec reconnaissance qu’il accepta la compagnie de son ami.

— Entrez, Henry, dit-il.

Ce dernier referma la porte et vint s’installer dans le fauteuil face à Peter. Il resta silencieux, attendant que le jeune Comte prenne l’initiative de la conversation. Ce qui arriva très vite :

— Je tenais à vous remercier pour toute l’aide que vous m’avez apportée ces derniers jours, Henry, le remercia le jeune homme. Sans vous, je ne sais pas ce que j’aurais fait.
— C’est tout naturel, Monsieur. Votre famille était un peu la mienne, répondit humblement Henry.

Ému, Peter hocha la tête. Pour la première fois, il prenait conscience qu’il n’était pas seul face à son deuil. Henry avait grandi dans cette maison, et les de Lawford étaient chers à son cœur. Sa peine devait être au moins aussi grande que la sienne. Une boule se forma dans sa gorge à la pensée de tout ce qu’il avait perdu :

— Comment vais-je m’en sortir Henry ? gémit-il. Je ne sais même pas par où commencer. Mon père avait à peine commencé à me former à sa succession, mais je pensais avoir du temps ; je n’ai jamais été assidu à sa formation je ne vous apprends rien. J’étais tellement préoccupé à profiter de la vie que j’écoutais ses conseils d’une oreille distraite ; comme je regrette à présent ma légèreté.

Peiné de voir son ami torturé par le regret, Henry le rassura :

— Vous ne pouviez pas prévoir qu’un drame aussi cruel allait s’abattre sur nous, Monsieur, dit-il tristement. Mais je suis là pour vous aider, Peter. Contrairement à ce que vous pensez, votre père était bien conscient que vous n’étiez pas prêt à lui succéder. Lorsqu’il m’a nommé régisseur, à la mort de mon père, Monsieur le Comte, m’a appris tout ce qu’il y a à savoir sur la gestion du domaine. Mon père m’avait déjà mis au courant des affaires générales que tout bon régisseur doit savoir. Monsieur Le Comte savez que vous auriez besoin de quelqu’un pour vous épauler ; je suis honoré qu’il m’ait choisi.

Quelque peu rassuré de ne pas être seul pour affronter ses nouvelles responsabilités, Peter remercia son ami :

— Je vous saurai gré de ce que vous faites pour moi, Henry, soupira-t-il d’un ton las. Vous avez eu votre lot de chagrins ces dernières années, et pourtant vous êtes resté à mes côtés sans faiblir ; vous êtes un véritable ami Henry.

En guise de remerciement, Henry se contenta de hocher la tête. Le souvenir de la trahison de sa fiancée, Charlotte, trois ans plus tôt, était encore douloureux et le jeune homme ne voulait pas s’attarder sur le sujet. Elle avait abandonné Henry à deux semaines de leur mariage pour s’enfuir avec un homme d’affaires américain qu’elle ne connaissait que depuis quelques jours. Dans la lettre d’excuses qu’elle avait laissée à Henry, elle expliquait qu’elle avait eu un véritable coup de cœur pour l’homme et qu’elle ne pouvait pas envisager sa vie sans lui. Autant de mots qui avaient profondément blessé Henry, qui s’était juré de ne plus faire confiance à une femme. Puis, un an plus tard, son père avait succombé à une crise d’apoplexie, laissant Henry totalement anéanti par ce destin qui s’acharnait sur lui. Il avait fallu tout le soutien du Vieux Comte et la confiance qu’il avait eus en donnant à Henry le poste de son père, pour que le jeune homme trouve le courage de continuer. Et maintenant, il perdait la seule famille qui lui restait. Mais, étant l’aîné de Peter, il se devait de protéger le jeune homme et les intérêts de la famille de Lawford. Une fois de plus, il devait taire ses sentiments pour le bien de tous.

Les deux amis restèrent une bonne partie de l’après-midi à discuter, jusqu’à ce que Peter s’endorme, terrassé par la fatigue des derniers jours. Henry observa son ami avec tristesse. Il était si jeune. La vie venait de lui jouer un tour cruel. Mais Peter était un homme plein de ressources ; Henry le savait. Il avait vu grandir le jeune Comte. Sous ses dehors d’aristocrate futile se cachait un battant plein de ressources. Chaque fois qu’il tombait, il se relevait et recommençait. Jamais il ne restait sur une défaite. De plus, Henry était là pour l’aider ; il avait été formé pour ce jour. Son père, Matthew Davies, avait été le régisseur du vieux Comte durant des années. Il avait envoyé Henry dans une des universités les mieux cotées d’Angleterre afin que son fils reçoive la meilleure éducation qui soit. Matthew espérait qu’Henry puisse lui succéder un jour. Son diplôme en poche, le jeune homme était revenu dans le comté pour continuer son apprentissage auprès de son père. Il n’avait jamais envisagé que son destin puisse être tout autre. Il se plaisait à New Dawn, auprès des gens qui étaient sa famille, même s’il devait garder en mémoire qu’ils n’appartenaient pas au même monde et qu’il devait le respect aux de Lawford. Après ses études, Henry était un jeune homme plein de projets et confiant en l’avenir. Son statut professionnel était assuré et il était fiancé à une des plus belles jeunes femmes d’Angleterre. Mais, son bonheur avait été de courte durée. Charlotte l’avait abandonné, le laissant anéanti. Grâce au soutien de son père et du vieux Comte, Henry avait trouvé le courage d’avancer. Il s’était jeté à corps perdu dans sa formation de régisseur, cachant sa blessure derrière un masque froid qui ne trompait que les personnes qui ne le connaissaient pas. Il protégeait ainsi son cœur d’autres souffrances. Peter était le seul à le faire rire. Il faisait souvent des promenades à cheval tous les deux, et c’étaient les seuls moments où Henry pouvait se laisser aller, riant des histoires farfelues de Peter. De quatre ans, son aîné, Henry avait vu grandir le jeune Comte. La complicité entre eux était sincère, même si au fil du temps Henry avait gagné en maturité alors que Peter prenait la vie avec légèreté, profitant des bons moments sans trop se soucier des lendemains. Malheureusement, le destin venait de le ramener brutalement à la réalité, le mettant face à des responsabilités qu’il n’avait pas prévu d’endosser sitôt.

Peter commença son apprentissage dès le lendemain de l’enterrement, ne ménageant ni son temps ni ses efforts. Autant pour occuper son esprit du chagrin qui le torturait, que pour honorer la mémoire de son père. Il voulait que, feu Le Comte, puisse être fier de lui, par-delà la mort. Henry lui exposa d’abord les tâches à effectuer quotidiennement, puis les dossiers pour lesquels il devait y avoir un peu plus d’analyse afin de prendre les mesures adéquates. Le régisseur ne s’était pas trompé. Il s’avéra que Peter avait un instinct de chef très développé. Il écoutait ses conseils avec humilité et apprenait très vite. Il savait analyser une situation avant de prendre une décision. Parfois même, il proposait des solutions auxquelles Henry n’avait pas pensé. Il faisait preuve, envers ses gens, de bienveillance, tout en sachant se montrer ferme lorsqu’il le fallait. Au fil du temps, Henry vit le jeune orphelin désespéré se transformer en homme responsable et digne de son rang. Peu à peu, Peter s’imposa aux yeux de tous comme étant le digne héritier du vieux Comte Andrew. Les domestiques de New Dawn virent le jeune dandy égoïste et frivole devenir un jeune homme responsable, capable de diriger son domaine d’une main de maître. Dans les champs, si, au début, les métayers virent arriver ce jeune aristocrate avec un œil critique et méfiant, ils changèrent vite d’avis lorsque le jeune homme s’adressa à eux avec respect et bienveillance. Sans s’imposer comme un donneur de leçon, Peter leur posait des questions, cherchant à en apprendre toujours plus sur l’exploitation agricole. Il voulait comprendre les problèmes rencontraient par ses gens, afin de pouvoir les aider du mieux qu’il le pouvait. Pour cela, il ne ménagea ni son temps ni son énergie, allant même jusqu’à aider les métayers dans leurs tâches quotidiennes pour s’immerger totalement dans la réalité de leur vie. Et, voyant que leur maître n’avait pas peur de se salir les mains comme un vrai paysan, les employés commencèrent à espérer que leur avenir était assuré. Peter avait réussi à gagner leur respect. Il était définitivement reconnu comme le nouveau Comte d’Oak Wood.

Deux ans plus tard

Comme chaque fois qu’il revenait d’une promenade à cheval, Peter stoppa sa monture en haut de la colline qui surplombait son château. Voir la bâtisse majestueuse illuminée par le soleil, l’emplissait de fierté et un sourire satisfait éclaira son visage. New Dawn était une demeure magnifique, entourée de clairières et de forêts luxuriantes hébergeant du gibier divers et varié. Dans tous les coins du domaine, on pouvait trouver des rivières où foisonnaient des poissons de toutes sortes. La propriété offrait un cadre de vie agréable aussi bien aux propriétaires du château, qu’aux domestiques qui avaient la chance d’y travailler. New Dawn faisait la fierté des de Lawford depuis que le Roi Guillaume III l’eut donné en récompense à Bradley de Lawford en 1692. L’aïeul de Peter avait reçu le titre de Comte en même temps que le domaine pour ses faits d’armes durant une bataille contre l’armée française. Le château avait été construit au 14e siècle et n’était pas en très bon état. Bradley étant un officier plus habitué aux champs de bataille qu’à la gestion d’un domaine, reçu ce cadeau comme un fardeau. Mais ne pouvant décemment pas refuser un présent royal, il fit contre mauvaise fortune bon cœur. Il aménagea une aile du château pour s’y installer, laissant le reste à la merci du vent et des éléments. Il fallut une femme, pour que le Comte se décide à faire de New Dawn un véritable foyer et un domaine prospère. Après son installation dans le comté d’Oak Wood en tant que nouveau Comte, Bradley fut invité à plusieurs bals donnés par l’aristocratie et la bourgeoisie des alentours. Peu féru de mondanités, le Comte refusait systématiquement ces invitations. Si bien qu’il devint un paria aux yeux de ses pairs et traité de «sauvage sans éducation» par ces dames. Mais, après quelques mois passés à se morfondre dans son château, sa vie morne et solitaire devint rapidement insupportable et Bradley décida qu’il était temps pour lui d’avoir une vie sociale. Lors d’une partie de chasse, il fit la connaissance d’Eugène Wilson, Baron de son état, qui l’intégra dans ses relations privées. Le Comte fit son entrée dans la bonne société le soir du bal organisé par son nouvel ami. C’est là qu’il fit la connaissance d’Eleanor Wilson, la fille de son hôte. Elle était, d’après ce que Bradley disait dans son journal, « la femme la plus rayonnante qu’il m’a été donné de rencontrer ». Pourtant, la jeune femme ne se gêna pas pour remettre à sa place ce Comte qui avait snobé avec autant de légèreté les membres de l’aristocratie. Nantid’un caractère aussi flamboyant que sa chevelure rousse, Eleanor tenait de sa mère écossaise son tempérament passionné. Elle soutint tant et si bien le regard de Bradley, le menton relevé en signe de défi, que le jeune homme tomba amoureux en un instant. Impressionné autant qu’amusé pour le franc-parler de la jeune femme, Bradley, contre toute attente, avait souri : « Sij’avais su qu’il me serait donné de rencontrer une dame de votre qualité, Madame, je ne me serais pas privé du plaisir d’assister à ces bals ». LeComte avait noté dans son journal qu’Eleanor avait souri puis baissé les yeux en rougissant. L’amour, entre eux, futréciproque et leur mariage célébré quelques semaines plus tard. Le Comte entreprit alors de redonner au château son faste d’antan. Il modernisa la construction pour en faire une bâtisse plus en relation avec son époque. Les jardins furent débroussaillés et nettoyés pour permettre à son épouse de s’y promener en toute quiétude. Quelques mois plus tard, New Dawn était une demeure familiale où il faisait bon vivre. Par amour pour Eleanor et pour les trois enfants qui naquirent de leur union, le Comte avait créé un havre de paix à léguer aux générations futures. Bradley et Eleanor eurent une vie longue et heureuse et leur fils, Arthur, hérita du domaine. C’est ainsi que, de génération en génération, les de Lawford apportèrent des modifications à New Dawn, donnant au château l’allure majestueuse qui était la sienne aujourd’hui.

Peter poussa un soupir de satisfaction devant l’œuvre de ses ancêtres. Les femmes avaient toujours joué un rôle important dans l’aménagement de la maison et des jardins. Chacune ayant laissé son empreinte personnelle à l’intérieur comme à l’extérieur de l’édifice. Sophie, la mère de Peter, avait fait installer une serre immense, pour pouvoir cultiver et entretenir toutes les variétés de roses qu’elle aimait tant. Peter avait ordonné aux jardiniers de toujours prendre soin des fleurs de cette serre, en souvenir de sa mère. Une ombre assombrit le visage du jeune homme au souvenir de Sophie, mais Peter refusa de se laisser aller à la monotonie. Même s’il était encore douloureux pour lui de penser à tous ceux qu’il avait perdus, il se devait d’aller de l’avant. Il se redressa sur sa selle et inspira profondément en jetant un dernier coup d’œil plein de fierté à son domaine. Puis il talonna sa monture et galopa jusqu’aux écuries.

Comme tous les midis, Peter et Henry déjeunaient dans la salle à manger. Depuis la mort de sa famille, le jeune Comte avait instauré ce rituel, car il considérait qu’Henry était plus que son régisseur. Sa loyauté envers la famille de Lawford était sans limite et Peter avait pu compter sur lui pour tout ce qui était des affaires familiales, mais aussi sur des sujets plus personnels. Peter adorait leurs longues discussions. D’ailleurs, vers la fin du repas, Henry aborda un sujet que Peter était loin d’attendre ; le mariage :

— Il faut penser à votre avenir, Monsieur, et assurer la lignée des de Lawford, insista Henry.
— Je le sais Henry, soupira Peter en levant les yeux au ciel. Mais le mariage ! C’est tellement…

Le jeune Comte cherchait le mot juste, pour qualifier ce qu’il pensait du mariage, avant de lâcher d’un air dégoûté :

— … définitif !

Henry sourit malgré lui devant l’air outré de son ami. Pourtant le sujet était on ne peut plus sérieux. Peter avait vingt-deux ans et il devait penser à fonder une famille pour assurer sa descendance.

— Il ne s’agit pas de vous marier demain, Milord, mais il faut commencer à y songer sérieusement, souligna Henry.
— Je veux faire un mariage d’amour Henry, comme mes parents, dit Peter avec un sourire attendri. Ils formaient un couple tellement uni et heureux.
— Vos parents ont vécu quelque chose de rare que beaucoup peuvent envier Peter, approuva le régisseur. Mais vous ne rencontrerez jamais une femme digne de vous en passant votre temps chez la veuve Collins.

Peter sourit d’un air entendu ; il était vrai qu’à part ses visites à sa maîtresse, une veuve d’un village voisin, il ne fréquentait pas d’endroits susceptibles de lui faire rencontrer une jeune fille de bonne famille. Avec son deuil et les responsabilités qui lui incombaient désormais, son rythme de vie avait totalement changé, et il ne sortait plus depuis deux ans. À leur retour d’Europe, Tyrone et Zacchary avaient bien tenté de l’entraîner à l’auberge, comme ils le faisaient avant le drame, mais Peter n’était plus le même homme. La perte qu’il avait subie l’avait mûri prématurément et il ne trouvait plus autant d’attrait à passer des heures à jouer aux cartes et à s’enivrer. Lassés de son sérieux, les deux amis s’étaient faits plus rares et Peter ne les voyait pour ainsi dire, plus du tout. La seule personne à qui Peter rendait encore visite était la veuve qui avait fait de lui un homme alors qu’il sortait à peine de l’adolescence. Elle l’avait abordé lors d’un bal organisé au château et n’avait pas caché l’intérêt qu’elle avait pour lui. Depuis, ils entretenaient une relation plus par habitude que pour des raisons sentimentales. Le jeune homme avait toujours était honnête avec sa maîtresse, ne lui laissant rien espérer d’autre que les moments qu’ils passaient ensemble.

— Que faut-il faire, selon vous ? demanda Peter pour reprendre le cours de la conversation.
— Peut-être faudrait-il penser à remettre au goût du jour les bals que vos parents se plaisaient à organiser, suggéra le Régisseur.

Peter prit quelques instants pour apprécier les propos d’Henry. Celui-ci, ravi d’avoir capté l’attention de son ami, continua :

— Nous pouvons peut-être envisager de commencer par le bal du Nouvel An. Nous avons trois mois pour tout préparer. Nous inviterions toutes les familles dignes de ce nom et cela vous donnera l’occasion de rencontrer des personnes que vous n’avez sans doute jamais rencontrées… Et leurs filles.

Peter buvait littéralement les paroles d’Henry. Ces deux dernières années, il avait tellement était pris par la gestion du domaine et de ses affaires qu’il n’avait pas eu le temps pour les mondanités. Peut-être était-il temps, effectivement, de reprendre une vie sociale :

— Je me range à votre idée Henry, dit-il avec enthousiasme. Je vous laisse organiser ce bal ; vous avez carte blanche.

Puis il ajouta avec un sourire entendu :

— Et qui sait ? Peut-être rencontrerez-vous, vous aussi, la belle qui fera battre votre cœur.
— Je doute que cette femme-là existe, Milord, répondit son ami le visage soudain grave. Mais il n’est point question de moi, ajouta-t-il pour détourner la conversation. Je vais commencer à faire la liste des personnes que nous pourrions inviter.

Sans laisser à Peter le temps de réagir à ses propos, Henry se leva et sortit de la pièce. Le jeune Comte secoua la tête, navré. Il savait que la trahison de Charlotte avait laissé une grande amertume dans le cœur de son ami. Il espérait sincèrement qu’il existait quelque part une femme capable de lui redonner confiance en l’amour. Lui-même, avait complètement changé d’avis sur le mariage. Quand il repensait au couple formé par ses parents, à l’amour et à la complicité qui cimentait leur union, Peter n’envisager rien moins qu’un mariage aussi réussi. Même s’il n’était pas partisan de cette institution, il était prêt à se marier s’il tombait amoureux d’une jeune fille au premier regard ; comme cela avait été le cas pour son père. Restait à présent à trouver celle qui ferait battre son cœur.

Arrivé dans le bureau, Henry poussa un soupir de soulagement. Ce n’était pas la première fois que Peter tentait d’amadouer son aversion à l’égard des femmes. Mais le régisseur refusait toujours de s’attarder sur le sujet. Même si les propos du Comte faisaient écho à sa solitude, Henry s’était résigné à vivre une vie de célibat. C’était un choix un peu radical, mais il n’arrivait plus à laisser parler son cœur lorsqu’il croisait une jeune fille, aussi belle soit-elle. Il s’était senti tellement meurtri par sa rupture avec Charlotte, que, pour lui, les femmes n’étaient que mensonges et faussetés. Comment savoir si la femme en qui il pourrait avoir de nouveau confiance n’allait pas encore se jouer de ses sentiments ? Non, décidément, mieux valait ignorer les femmes et protégeait son cœur d’une nouvelle déception. Fort de cette décision, Henry s’installa à son bureau et commença la liste des invités.

Décembre arriva très vite. La soirée était glaciale, mais les invités avaient bravé le froid et se pressaient devant la porte du manoir. Il était impensable, pour les gens de la haute société, de manquer une soirée aussi prestigieuse que le bal du Nouvel An des de Lawford. Les hommes étaient très élégants dans leurs costumes noirs et les femmes rivalisaient de beauté dans leurs plus belles robes et leurs plus beaux bijoux. Splendide dans son habit de soirée, Peter se tenait dans l’entrée du salon pour accueillir ses invités, saluant les hommes et ayant toujours un mot aimable pour ces dames. Ravi de l’aisance avec laquelle Peter tenait son rôle, Henry se tenait un pas derrière lui prêt à intervenir si le jeune Comte avait besoin de lui.

Charles, le majordome, annonça les prochains invités :

— Madame et Monsieur Staford, lança-t-il d’une voix forte pour couvrir le brouhaha ambiant. Mademoiselle Staford.

Peter se tourna vers les nouveaux arrivants en souriant. Il salua l’homme, s’inclina devant la dame :

— Soyez les bienvenus, dit-il avant de se tourner vers la jeune fille qui arrivait quelques pas derrière sa mère.

Le sourire de Peter se figea, dès qu’il croisa le regard si bleu de la jeune fille. Celle-ci baissa les paupières en rougissant pendant que, machinalement, le jeune homme s’inclinait devant elle sans la quitter des yeux. Son regard insistant finit par créer une certaine gêne, ce qui incita Henry à intervenir. Il s’approcha discrètement et toussota pour attirer l’attention de Peter. Puis il s’adressa à Monsieur Stafort, qui commençait à s’impatienter :

— Madame et Monsieur Staford, Mademoiselle, si vous voulez bien vous donner la peine, dit-il en invitant le couple et la jeune fille à entrer dans le salon.

La voix d’Henry eut pour effet de briser l’enchantement qui s’était créé entre les deux jeunes gens. Peter se redressa et invita la jeune fille d’un geste de la main :

— Je vous en prie, Mademoiselle, souffla-t-il totalement captivé.

La jeune fille lui sourit timidement et suivit ses parents. Peter la regarda s’éloigner avant de se tourner vers son ami en souriant béatement :

— Je viens de voir un ange Henry, dit-il.

Henry réprima un sourire devant la mine stupide de Peter et gronda gentiment :

— Oui, oui, Monsieur, la Demoiselle est ravissante, dit-il. Mais n’oubliez pas que vous avez des invités à recevoir.

Rappelé à ses devoirs, Peter fit un clin d’œil à son ami et reprit un visage de convenance avant de se tourner vers les nouveaux arrivants. Mais l’image de mademoiselle Staford ne le quitta pas une seconde.

Toute la soirée, Peter essaya de trouver une excuse pour approcher la jeune fille, mais à chaque fois son attention était attirée par un invité qui se lançait immanquablement dans une discussion interminable, ou une mère, soucieuse de lui présenter sa fille, élevée dans la plus pure tradition des Ladies anglaises évidemment. Et bien sûr, Peter ne pouvait pas couper cours à ces discussions stériles, sous peine de passer pour un malotru et de froisser ses invités. Prenant son mal en patience, le jeune Comte ne manquait pas de chercher la jeune Staford du regard, dès que l’occasion se présentait. Et il n’était pas le seul ; la plupart des hommes célibataires de la soirée n’avaient d’yeux que pour la jeune fille. Elle était si belle, dans sa robe de mousseline bleu ciel, dont le décolleté découvrait ses épaules laiteuses. Ses cheveux blonds étaient remontés sur sa tête en une couronne de tresses savamment nouées et enroulées sur elles-mêmes, pour former un chignon sophistiqué et très élégant. La coiffure libérait la nuque gracile de la jeune fille et lui donnait un port de reine. Si bien que nul ne pouvait rester insensible à son charme. Au grand damne de Peter, qui entendait bien ne pas se laisser distancer par ces jeunes fats. Il cherchait désespérément une occasion de s’approcher de sa belle lorsqu’Henry s’approcha discrètement de lui et lui fournit l’excuse qu’il attendait tant :

— Il est l’heure d’ouvrir le bal, Monsieur. Vous devez choisir une cavalière, dit le régisseur avec un sourire entendu. Car il savait déjà vers qui le choix de son ami se porterait.

Sans plus attendre, Peter chercha la jeune fille du regard et la trouva en grande conversation avec un dandy dont le regard de convoitise, plongé dans le décolleté de la demoiselle, ne laissait aucun doute sur ses pensées. Décidé à éloigner le personnage, Peter fendit la foule et se dirigea vers le couple. Il s’inclina d’abord devant Madame Staford, qui se trouvait à deux pas de sa fille :

— Me permettez-vous d’inviter votre fille à danser, Madame ? demanda-t-il.

Quelque peu surprise, Madame Staford inclina la tête en signe d’assentiment :

— C’est un honneur, Monsieur Le Comte, répondit-elle du bout des lèvres.

Tout à sa joie, Peter ne remarqua pas la mine pincée de la mère, qui ne semblait pas transportée de joie devant l’intérêt du Comte pour sa fille. Sans faire plus attention à l’homme qui discutait avec cette dernière, il s’inclina devant la jeune fille et demanda :

— M’accorderez-vous cette danse Mademoiselle ?

Rougissante, la jeune fille posa sa main sur le bras tendu de Peter en signe d’assentiment. Pendant ce temps, le maître de cérémonie annonçait le début du bal et la foule des invités s’écarta pour laisser la place aux danseurs. On entendit des soupirs de quelques jeunes filles déçues de ne pas avoir été choisies par Le Comte pour ouvrir le bal. Quelques dames commentèrent discrètement le choix du jeune homme, cachées derrière leur éventail. Les jeunes hommes, eux, tentaient de ravaler leur rancœur d’avoir été pris de vitesse par le Comte. Mais tout cela passa inaperçu pour Peter. Il conduisit la jeune fille au centre de la pièce, s’inclina de nouveau devant elle puis enlaça sa taille si menue, en prenant soin de garder une distance respectueuse. Les premières notes d’une valse s’élevèrent et Peter entraîna sa cavalière dans cette danse si légère et langoureuse. Ils furent bientôt rejoints par les autres invités et le couple fut bientôt entouré de jupons multicolores, volants et virevoltants au son de la musique. Les premiers pas des jeunes gens se firent en silence. Peter cherchait désespérément le regard de la jeune fille, mais celle-ci gardait obstinément les yeux rivés sur la cravate du jeune homme. Décidé à briser la glace, le Comte tenta une première question :

— Comment vous appelez-vous, Mademoiselle ? demanda-t-il.

La jeune fille osa lever les yeux vers Peter, le temps de répondre, puis les baissa aussitôt :

— Je m’appelle Amélie, Monsieur Le Comte, répondit-elle d’une voix douce.
— Appelez-moi Peter, l’invita le jeune homme.
— Oh ! Non, Monsieur Le Comte, cela ne serait pas convenable, protesta la jeune fille.

Peter sourit en essayant encore de capter le regard d’Amélie, qui fixait toujours sa cravate.

— Pourquoi ne serait-ce pas convenable ? demanda-t-il.
— Vous êtes un Comte et moi je ne suis personne.

Peter risqua un compliment dans l’espoir de voir sourire Amélie :

— Vous n’êtes pas « personne », Mademoiselle, dit-il d’une voix douce. Vous êtes la plus belle des jeunes filles présentes à ce bal.

Le compliment toucha son but. Amélie leva les yeux et plongea son regard azur dans celui de Peter. Puis elle lui sourit. Un sourire si vrai et si sincère qu’il toucha le jeune homme au plus profond de son âme. Il sentit son cœur battre la chamade et sourit à son tour, agréablement surpris. Était-ce le moment dont parlait son père ? Ce premier regard qui change une vie ? Les jeunes gens restèrent les yeux dans les yeux pour ce qui parut être une éternité. Peter était complètement sous le charme, mais déjà, la valse se terminait. Le jeune couple resta encore un instant face à face, leur regard rivé l’un à l’autre, avant que le silence gêné des invités ne les ramène à la réalité. Le charme fut rompu. Conscient qu’il ne devait pas manquer à tous ses devoirs, Peter fit un pas en arrière et tendit son bras à Amélie pour la raccompagner auprès de sa mère. Déjà la musique reprenait et les couples retournaient danser. Profitant du brouhaha ambiant et avant d’arriver vers Madame Staford, Peter s’arrêta et se tourna vers Amélie le ton soudain plus sérieux :

— Je voudrais vous revoir, lui dit-il d’un ton pressant, croyez-vous que cela soit possible ?

Amélie regarda en direction de sa mère. Celle-ci ne quittait pas des yeux le couple, l’air totalement affolée par ce qu’elle voyait naître entre les jeunes gens. Amélie lut la réprobation dans le regard de sa mère et, malgré son envie de dire oui, elle refusa :

— Je ne peux pas, Monsieur Le Comte, ça ne serait pas convenable, souffla-t-elle.
— Je vous en prie, Mademoiselle, supplia Peter. Je vous assure que mes intentions sont louables. Je veux juste apprendre à vous connaître.

Amélie lança un nouveau regard affolé vers sa mère puis se tourna de nouveau vers Peter :

— S’il vous plaît, Monsieur, ramenez-moi auprès de ma mère, le supplia-t-elle.

Conscient qu’il ne devait pas insister, le Comte ramena Amélie près de sa mère. Après un dernier regard à la jeune fille qui resta les yeux obstinément baissés, il s’inclina devant Madame Staford qui lui sourit d’un air pincé. Surpris pas son attitude, Peter tourna les talons. Nombre de mères présentes se damneraient pour que le Comte s’intéresse à leur fille, mais pas Madame Staford ; pourquoi ? Arrivé devant Henry, qui n’avait rien perdu de la scène, Peter dit simplement :

— C’est bien la première fois qu’une femme me repousse, Henry dit Peter surpris et tout penaud.

Henry réprima un sourire devant l’air offusqué de son ami. D’habitude les femmes se précipitaient vers lui au moindre signe de sa part. Il n’avait jamais essuyé de refus… jusqu’à présent :

— Cela ne rend-il pas la demoiselle encore plus attirante ? demanda Henry pour titiller son ami, sachant que ce dernier adorait les défis.

La question fit mouche. Peter leva un sourcil et sourit à son ami :

— Vous me connaissez bien n’est-ce pas Henry ? dit-il d’un air amusé.
— Je vous connais par cœur, répondit le régisseur avec un petit rire entendu.

Le Comte se tourna de nouveau vers l’assistance, soudain rasséréné par les paroles d’encouragements de son ami. Il avait retrouvé toute sa combativité et n’entendait pas rester sur un échec avec cette jolie jeune fille.