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Au sein de l’atmosphère tendue de la Seconde Guerre mondiale, trois jeunes filles que tout oppose sont réunies, puis séparées par les événements tragiques de l’époque. Leur destinée devient un mystère obsédant, les laissant se questionner toute leur vie sur le sort des autres. Entre espoir et désespoir, le fil de l’histoire parviendra-t-il à démêler ce mystère ? Inspiré d’un fait réel, cette histoire, bien que largement romancée, révèle la force et le combat qui donnent sens à l’existence.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Martine Jolly a puisé dans un fait divers, dont elle a été témoin, pour tisser l’intrigue de cet ouvrage, qui dévoile les destins tourmentés de femmes, éprouvées par les ravages de la guerre. Elle a déjà signé deux publications remarquées : "Fenêtres et, à destination des jeunes lecteurs", "Le bel été de Gustave Caillebotte", respectivement édités par Le Lys Bleu Éditions et Patrimômes.
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Martine Jolly
Les disparues
Roman
© Lys Bleu Éditions – Martine Jolly
ISBN : 979-10-422-3602-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Inspiré d’une histoire vraie.
Que sont mes amis devenus
Que j’avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés…
Rutebeuf (XIIIe siècle),
extrait de « Pauvre Rutebeuf »
Mademoiselle Apfelbaum
1976
« Françoise, tu as 25 ans, il serait temps que tu te réalises ! » me dit ma mère occupée à couper les patates en quatre pour les faire sauter, désespérée de me voir ramer devant l’écriture d’une lettre de motivation.
En effet, ce jour-là je pestais contre les mots qui se refusaient à ma main et les phrases qui déniaient tout enchaînement. En plus, il faisait très chaud et le bruit du couteau tranchant la chair ferme des pommes de terre me déconcentrait.
J’avais chaud, vraiment. Alors, pour me donner de la vigueur, je retroussai mes manches comme le paysan de l’été qui, après avoir salivé dans ses mains, reprend sa bêche ; et qui, ainsi, se sent plus fort pour terminer le labeur. Je ne crachai pas dans mes mains, parce que je n’avais pas de bêche (et je trouvais ça un peu dégoûtant), seulement un crayon qui n’allait pas s’user ce jour-là. Mais ce seul geste – relever sa manche –, simple, élémentaire, ranima brusquement un souvenir bouleversant.
Une quinzaine d’années plus tôt alors que j’étais une toute jeune lycéenne qui ne connaissait rien du monde, la guerre encore toute proche, restait pour moi une abstraction malgré les récits jamais écoutés de mon pauvre père qui y avait perdu cinq années de sa jeunesse. Tout au plus, quelques lectures imposées, par nos profs ou quelques films proposés par le ciné-club pour nous faire prendre conscience de la monstruosité de la Shoah. Mais c’était une histoire encore si fraîche qu’elle se drapait dans le silence de l’indicible.
D’autant qu’il ne fallait surtout pas compter sur notre prof d’histoire. Pauvre petite chose, voûtée et chétive, le crâne presque chauve, d’où émergeaient des bosses, sortes de mini pains de sucre égarés sur cette tête sans raison. Ses vieilles lunettes déglinguées lui tombaient du nez, parce que son visage était toujours penché dans des feuilles jaunies, datant de la Mésopotamie. Jamais, elle ne regardait sa classe. En même temps qu’elle débitait un discours lu sur ces pages d’un autre âge, elle s’appliquait pendant les cours à curer ce qui devait être une vieille bague de fiançailles. Comme un automate, elle débitait des dates, et sans que l’on comprenne pourquoi, comment, soudain, elle s’exclamait : « Vous Mademoichelle X, vous aurez deux heures de colle. » Et elle reprenait sa rengaine. Inutile de dire qu’on n’a pas appris grand-chose des grandes conquêtes, et des grands hommes cette année-là, ni même et surtout de la guerre dont la peinture était encore fraîche.
Elle s’appelait Mademoiselle Apfelbaum.
Un jour, vers la fin de l’année scolaire, alors qu’il faisait très chaud, comme aujourd’hui, derrière les stores pourtant baissés, une torpeur avait envahi la classe, qui n’avait même plus le ressort pour chahuter. Seules les mouches travaillaient réellement.
Soudain, Mademoiselle Apfelbaum, victime, comme nous de la chaleur, releva la manche de son chemisier. Il s’avère, que cette fois-là, j’étais au 1er rang, non pas parce que j’avais coiffé l’excellence, bien au contraire ; c’était en fait une mesure de représailles (« Trop de bavardache, Mademoiselle Moreau ») qui m’imposait une double peine : l’éloignement de mes copines et l’épreuve des postillons.
Or, donc Mademoiselle Apfelbaum avait, dans un geste inconscient et oublieux, relevé la manche de son chemisier. C’est alors que je vis, une sorte de gribouillis d’un noir passé sur la veine bleue de son avant-bras. Dans un premier temps, toujours, très méprisante à son égard, je pensai à un ratage de polycopie, une négligence de soins ou quelque chose de ce genre.
Mais très vite, me revinrent en mémoire les images du terrible Nuit et Brouillard de Resnais, projeté au ciné-club. Et immédiatement, je compris.
J’eus presque envie de caresser la veine bleue de la petite chose osseuse et délirante. Puis de faire passer le mot à la classe. Mais toutes les élèves, plus ou moins somnolentes, avaient le nez dans un cahier totalement vierge et semblaient égarées dans des pensées douçâtres.
Je me ravisai donc.
Et comme j’étais une gamine, je m’en retournai bien vite à l’indifférence et je dirais presque à la cruauté de l’enfance.
Alors cette mademoiselle Apfelbaum était restée en moi comme une eau dormante, jusqu’à ce jour.
Cet incident, sorti des limbes de la mémoire, me détourna un moment de ma lettre de motivation. Je pensai à l’intérêt qu’il y aurait à se documenter et à raconter l’histoire de cette femme, ne serait-ce que pour lui rendre hommage, à elle et à toutes les autres dont le poignet est resté taché de noir.
Mais cette idée volatile comme les rêves a éclaté comme une bulle de savon.
Et de nouveau Mademoiselle Apfelbaum est retournée dans mes eaux dormantes.
1988
Il y a quelques mois, j’étais dans ma salle de montage (parce que depuis ce jour de 1976, selon le souhait de mes parents, je m’étais « réalisée »), et discutais avec ma collègue d’un projet de documentaire qui aurait pour thème : les femmes qui avaient eu vingt ans en 1940.
Or ce projet, somme toute ordinaire, a été à l’origine d’une histoire extraordinaire. Une histoire qui m’a donné l’opportunité de rendre hommage indirectement à Mademoiselle Apfelbaum et à toutes ses sœurs, à travers le destin croisé de deux familles.
1917-1941
Baptiste et Sophie
Suzanne a eu 20 ans en 1940. Malgré la guerre, les privations, les arrestations, elle n’aurait absolument pas compris la phrase de Nizan « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Parce que Suzanne, fille unique de Baptiste et Sophie était une jeune fille qui avait poussé, heureuse et insouciante comme une herbe folle dans la boutique iconoclaste de ses parents.
Mais pour l’heure, ce n’est pas d’elle dont il est question.
Son tour viendra plus tard.
Baptiste et Sophie Clément, ses parents étaient, en effet à la tête d’un petit commerce sis au 12 rue de Bretagne à Levallois. Une étroite rue modeste, égayée par la seule boutique des Clément. Le chaland s’arrêtait par curiosité devant cette drôle de vitrine, qui, à défaut de présenter la marchandise à vendre, exposait des toiles absurdes ou mélancoliques, grotesques et rigolotes, et surtout très colorées : œuvres de Baptiste, qui n’ayant pas percé dans l’art, s’entêtait quand même à continuer de produire… pour la galerie, disait-il. Au-dessus de la vitrine, on pouvait lire : « Maison Clément, peintures, papiers peints, petite quincaillerie. » On peut ajouter quand même que Sophie n’avait rien fait pour l’encourager dans cette voie : « C’est bien beau, d’étaler de la gouache sur une toile, mais c’est pas ça qui va nous engraisser. »
Faut dire, au crédit de Sophie, qu’elle avait de quoi maugréer.
Baptiste, bel homme long et sec, les cheveux gominés plaqués en arrière, la moustache fine des séducteurs, le regard brun comme cette terre bretonne dans laquelle avaient poussé ses racines. Ambitieux et passionné, il avait laissé la terre familiale à son frère aîné, parce qu’il voulait se faire un nom à la ville, et aussi canaliser sa colère de pauvre, dans les mouvements rouges de ce début de siècle. L’esprit acéré comme l’opinel qui lui servait à couper sa miche, il laissait son intelligence de côté parfois, quand il s’agissait d’épingler un cureton. Quand il en croisait un, il criait bêtement : « Croâ croâ », mettant dans le même sac de son mépris, cet innocent corvidé et le serviteur de dieu, tout aussi innocent, en général. C’était un peu bas de gamme comme humour, mais ça ne mangeait pas de pain. C’était son petit plaisir. Sans compter les fois, où, sortant du bistrot, après quelques bolées avec ses camarades, ils allaient en chœur pisser dans le bénitier de la petite église où Sophie faisait amoureusement ses neuvaines. Tout cela pour dire, qu’il valait mieux qu’il quitte le grand ouest, si frileux en matière de Bon Dieu. De toute façon, c’est la politique qui l’attirait : le socialisme bouillonnait un peu partout, il voulait en être. La carte de la SFIO en poche, il se fit embaucher dans une compagnie de chemins de fer. Bien lui en prit.
Il traversa la guerre, attaché à la peinture des wagons, sans jamais connaître le martyre de ceux de 14. C’est sûr, que quand, ceux-là déglingués, à moitié fous, complètement abîmés, revinrent de l’enfer, ils le traitèrent d’embusqué. Il arguait alors qu’il travaillait pour la défense de la France. Qu’il en fallait quand même des mecs à l’arrière, pour faire aller l’avant.
Mais il faut reconnaître que oui, c’est vrai, c’était la bonne planque.
Il travaillait, sans aucun doute, mais il vivait. Il vivait même bien, à preuve, il s’était payé le luxe de tomber amoureux.
C’était le soir du 14 juillet de 1917. La mairie de Clichy avait organisé un timide bal populaire, avec des flonflons mis en bémol, en respect pour ceux qui, sur le plateau, entonnaient la chanson de Craonne, en tombant « pour la France. » Sur le parvis, un accordéoniste jouait quelques airs d’avant le chaos, qui attirèrent des passants assoiffés de légèreté. Une jeune femme très blonde, au regard bleu glacier (plus tard avec son humour à deux balles et sa tendresse hirsute, il la comparera à une omelette norvégienne : « la couleur de la glace et la chaleur de l’âtre », dira-t-il en éclatant de rire), coiffée d’un chapeau rond à voilette, rondelette, vêtue d’une robe à fleurs, s’était assise sur un banc de pierre placé devant le bâtiment. Elle regardait les quelques couples qui commençaient à se former et à se mouvoir au rythme de la musique.
Baptiste en sifflotant « Viens poupoule, viens », s’était approché d’elle, attiré par la beauté rose de la jeune fille.
« Je m’appelle Baptiste, ça vous dirait de faire un p’tit tour de danse ?
Elle avait rougi :
« Ce n’est pas bien convenable, quand même avec cette guerre », répondit-elle dans un français aux syllabes élégamment détachées.
À entendre cette diction trop élégante pour n’être pas étrangère, Baptiste se demanda sur le moment, si elle n’était pas boche, mais après tout, ça lui était égal. La guerre, c’était celle de ces chiens de capitalistes, c’était pas la sienne. Qu’elle soit boche ou turque, ça lui était égal. Il était déjà complètement ensorcelé par le regard clair et profond, la pâleur de la chevelure et la retenue timide de la jeune fille. Il n’avait jamais senti une telle émotion devant une femme, émotion telle, d’ailleurs qu’elle lui donna une audace qui ne lui ressemblait pas. Oh ! Pour gueuler dans les meetings, il n’avait pas son pareil, mais devant une femme…
« On peut quand même faire un brin de causette, si vous ne voulez pas danser. »
Et là, tous les deux assis sur le banc en pierre, dur, et froid, ils restèrent jusqu’à la nuit.
Intrigué par cet accent peu commun, il ne laissa pas de la questionner :
« Vous êtes sans doute pas de ce coin ?
Elle n’était pas peu fière de s’être faite toute seule : « Les livres, y a que ça de vrai pour grandir », disait-elle toujours. Et d’ailleurs beaucoup plus tard, quand elle devint grand-mère et que ses pauvres armoires rustiques s’affaissaient sous les ouvrages, elle disait à sa petite fille : « Tu vois, ma Françoise, tous ces livres, c’est la prunelle de mes yeux, prends-les, lis-les, mais ne les jette pas. » Et on comprenait la teneur de sa remarque, quand on plongeait le regard dans le sien, bleu comme un saphir précieux.
C’est ainsi qu’ils se marièrent, à l’endroit même de leur rencontre, quelques semaines après la signature de l’armistice.
Au début, ils ne se débrouillaient pas mal. Oh ! Ce n’était pas la richesse, mais on mangeait à sa faim et de la viande presque tous les jours. Sauf le vendredi ! Sophie, qui croyait dur comme pierre au Bon Dieu, obligeait son mécréant de mari à faire maigre ce jour-là.
Le conflit rouge et noir avait fait long feu. On avait décidé de ne plus aborder le sujet. Il la laissait aller prier ses bondieuseries, elle le laissait partir pour une promesse de révolution qui ne venait jamais, et revenir tard le soir, avec seulement un petit coup dans le nez.
Les dimanches, on s’autorisait quelques sorties « canailles » : un petit bif – frites au « Bouillon Chartier » –, cette énorme mangeoire mythique près des grands boulevards, où on allait boire un bock dans un caf’conc’. Et quelquefois, on dansait, on dansait le charleston ou le tango sur des musiques improbables venues d’outre-Atlantique dans les petits bals du bord de Seine quand le temps était bon.
Tout allait pour le mieux pour ces deux-là, donc, d’autant plus qu’un dimanche de décembre 19, juste après la messe (précisons que c’est plutôt chez les parpaillots que Sophie avait façonné son éducation, mais faute de temple dans le secteur, elle s’était repliée dans l’église de proximité sans remords : le Bon Dieu, c’est toujours le Bon Dieu, disait-elle, comme pour s’excuser), au moment du petit blanc qui précède le poulet, comme Baptiste faisait des projets de vacances :
« Je crois ben que j’aurai droit à quèque vacances, l’été prochain. On pourrait aller voir mon frère à Piormais1, quèque t’en penses ? (Baptiste avait lissé son accent pour monter à Paname, mais il en restait quelques escarbilles.)
Baptiste fronça les sourcils, prêt à partir à l’assaut :
Ce dimanche-là, Baptiste se servit double dose de petit blanc. Faut arroser ça, nom de Diou !
Sauf que depuis quelque temps, ça chauffait aux chemins de fer. Faut dire que pendant la guerre, les mouvements revendicatifs avaient été mis en veilleuse. D’autres chats à fouetter, d’autant que les leaders étaient en train de se faire trouer la peau dans la gadoue. Mais là, au retour de la lumière, on voulait vivre, eh bien. Plus de salaire, plus de temps pour profiter.
Alors les cheminots déclenchèrent un mouvement national de grève. Ce qui avait mis le feu aux poudres, c’est que des gars de Périgueux s’étaient vu refuser le droit d’un lavabo pour décrasser leurs cochonneries de la journée. Là-dessus, l’un des leurs, de la région parisienne, un jour de février 20, un cégétiste bien rouge comme Baptiste, avait essuyé une fin de non-recevoir pour assister à une réunion syndicale.
À partir de ces faits, tout s’était enchaîné avec violence et vélocité. À mesure que sous sa jupe de laine, son ventre s’alourdissait, son mari disparaissait. Sophie passait ses soirées entre boutons et brassières, seule devant sa soupe poireaux pomme de terre, en se faisant du mouron. Elle n’avait jamais vu son mari aussi enragé, déchaîné, exalté.
Et arriva, ce qui devait arriver : le 1er mai, le gros poste de radio en bois posé crânement sur le coffre à linge annonça : « À la suite des émeutes, et des grèves, un certain nombre de cheminots accusés de complot contre la sûreté de l’État sont arrêtés et inculpés. » Sophie essuya ses yeux dans un morceau de tissu écossais qui aurait dû finir en bouton.
Quelle ne fut pas sa surprise, quand, en fin d’après-midi, elle entendit le cliquetis de la clé dans la serrure.
« C’est toi, mon Baptiste ? Mais t’as donc pas été arrêté ?
Et il poursuivit :
Moment de silence. Sophie s’essuya avec l’autre côté du tissu écossais encore sec. Puis elle reprit, en colère, cette fois :
Et c’est ainsi que le couple Clément se reconvertit très rapidement en « marchands de couleurs ». Beaucoup grâce aux vertus de fourmi de Sophie qui avait, sou après sou, empli ses sacs de laine, pendant que sa cigale de Baptiste s’époumonait aux sorties d’usine en promettant le grand soir. Oh ! Il avait bien fallu, faire un peu le tour des copains pour remplir à ras bord cette chaussette qui se transformerait en boutique, mais la bonhomie de l’une et la persuasion de l’autre avaient porté leurs fruits.
Au bout de quelques mois, ils se trouvaient donc propriétaires – à crédit, s’entend – d’une boutique de couleurs dans la susdite rue d’Alsace, enrichie d’un sous-sol dans lequel Baptiste, entreposa son matériel dans un premier temps, avant d’en faire un repaire pour les terroristes rouges ; et d’un appartement au 1er étage, vendu avec le fond de commerce. Sophie, à cheval sur la coquetterie tant pour sa toilette toujours soignée que pour son intérieur, avait tout de suite investi beaucoup de ses caprices dans la décoration de ce trois pièces, bien humble pourtant. Pour donner de la profondeur au salon-salle à manger, elle avait fait poser un épais miroir de Venise biseauté sur le lourd buffet de palissandre qui, lui, portait en son sein les verres en cristal de leur mariage. Et pour la couleur, elle avait confectionné des napperons en crochet sur lesquels étaient posées les babioles à deux sous qui leur venaient des uns et des autres. Ça faisait râler Baptiste :
« Mais qu’est-ce que t’as à garder ces saloperies, c’est moche et ça prend toutes les poussières.
Comme elle voulait être à la mode, elle avait recouvert le beau parquet d’un linoléum, et d’un tapis imitation persan dans la chambre à coucher. Au milieu de celle-ci présidait un lit de cuivre chargé d’un lourd édredon rouge carmin. Au fond, siégeait une grosse armoire en pitchpin sur laquelle s’entassaient en couches géologiques des valises en carton, des sacs de pelotes de laine et les vieux « humas », que Baptiste ne voulait surtout pas jeter. On était dans les années 20, « l’huma » était le tout jeune « organe » du tout jeune Parti communiste. Quand les temps s’assombriront, Sophie aura tôt fait de faire une flambée de ces brûlots au grand dam de son mari.
« Mais tu veux donc qu’on se fasse tous prendre ? dira-t-elle pour sa défense à ce moment-là.
Il savait qu’elle avait raison, mais il ronchonnait pour la forme. Quant à la troisième pièce, Sophie avait renoncé à l’honorer de sa présence. Jamais au grand jamais elle n’avait pu se résoudre à ouvrir la porte. Non pas qu’il y eut quelque fantôme. Encore que ! Baptiste était beau gosse, indéniablement, mais « c’est tout pour la galerie », se plaignait sa femme. Il ne fallait pas regarder dans les coulisses. Tout cela pour dire que la troisième pièce, c’était l’annexe de la boutique : il entreposait là tout ce qui l’encombrait, qu’il ne voulait ni jeter ni ranger ! Or, beaucoup de choses l’encombraient.
Inutile de dire que Sophie enrageait de ne pouvoir caser ses napperons et ses bricoles à deux sous.
Au bout de quelques mois, Sophie trônait en reine, sur ce royaume de marteaux et de clous auquel elle apportait sa fraîcheur et ses tricots qu’elle avançait dans les heures creuses, en apprenant par cœur Modes et travaux, son magazine favori. Littéralement perchée sur son haut tabouret, derrière sa lourde caisse en chêne massif qui l’habillait comme un tablier invincible, elle recevait les clients avec aménité, bavardait avec eux, acceptait sans fausse modestie les compliments sur ses tricots. Et tour à tour, elle faisait office de patronne, de vendeuse et de caissière.
Elle ne savait plus où donner de la tête entre la cloche cristalline de la porte et le petit cliquetis de la machine enregistreuse. Les deux l’enchantaient.
Quand elle entendait la première, elle passait une main rapide dans ses cheveux clairs pour leur donner du volume, jetait un œil à son rouge à lèvres dans le cuivre de la caisse et travaillait un sourire de commerçante :
« Alors, Monsieur Rostagnot, en plein bricolage ? Qu’est-ce qu’il vous faut pour aujourd’hui ? Et votre dame, ça va t-y bien ? »
L’autre plaisir c’était le cliquetis de la caisse.
Elle adorait le son des pièces qu’elle faisait tinter dans le tiroir, le bruissement des billets qu’elle s’appliquait à serrer dans un élastique avec la satisfaction du travail accompli.
Oh ! Ce n’est pas parce qu’elle était rapiat, la Sophie, bien au contraire. À force de faire crédit à tout le monde, le Baptiste fulminait quand il s’agissait de boucler les comptes. C’était alors l’occasion de débats politico-religieux des plus virulents.
« Ah ! Mais c’est pas la peine d’être communiste, d’encombrer les murs avec tes prêches rouges, de gueuler dans les rues que vous voulez le bien de l’humanité et pis de laisser ton prochain dans la misère.
Il en était ainsi toutes les fins de mois.
De son côté, Baptiste s’agitait en tous sens. Pas trop d’une journée pour pourvoir à l’approvisionnement, au rangement, à la vente et aux conseils, et surtout, les fins d’après-midi, les réunions politiques qui l’agitaient de plus en plus.
1928-1929
1+1=3
C’est dans cette atmosphère de guéguerre, bon enfant, que le petiot qui s’avéra, en fait être une petiote, vit le jour un 5 août 1920. Encore un peu cheminot dans sa tête, Baptiste, pourtant pas superstitieux, « pria » pour que le destin de ce petit être ne soit pas celui de sa gare fétiche Clichy-Levallois, qui avait disparu sous les bombes deux ans plus tôt, un autre 5 août. Balayant ces stupides croyances, d’un revers de pensée rationnelle, il posa enfin les yeux sur ce bébé, rouge et fripé, tout emmailloté de laine et d’innocence.
C’est dans cette boutique aux couleurs vives et à la bonne odeur de peinture que grandit Suzanne.
Après la boucherie de 14, on avait envie, de frivolité, de couleurs ; les survivants et ceux qui ne voulaient plus entendre parler de cette sale guerre rêvaient d’habiller leur logement de neuf. C’est pourquoi ça turbinait dur chez les Clément. Ainsi, trop pris par leur commerce, Baptiste et Sophie n’avaient pas de temps pour faire pousser Suzanne. Comme une herbe folle, en effet, elle s’épanouissait entre les clous et les pots de colle et de peinture. Elle était la fille de la maison, les clients, en attendant leur commande, lui caressaient les cheveux, lui glissaient un sucre d’orge dans la poche de son tablier gris brodé :
« C’est fou ce qu’elle a grandi, Mame Clément, votre fille, répétait-on à l’envi. Ça va t’y bien à l’école ? »
Mais Mame Clément ne voyait rien. Et même après que la petite eut redoublé son CP, on ne s’en faisait pas guère. Le plus important pour le couple, c’est qu’elle ne manquât de rien la gamine. Et en effet, elle était toujours propre sur elle, tirée à quatre épingles, tricots et robes faits maison, nourrie avec ce qu’il faut de viande et de bons légumes. Que demande le peuple ? claironnait Baptiste.
Un jour de ses huit ans, une vieille dame entra dans la boutique, pour acheter du petit matériel de quincaillerie. Suzanne était assise sur sa chaise d’enfant, au pied de la reine et feuilletait rapidement les pages de la Semaine de Suzette qu’elle mouillait du doigt, avec un grand sérieux, pour singer les adultes.
« Dis ma mignonne, est-ce que tu peux regarder sur mon papier, combien qu’il a mis qu’il fallait que j’achète de clous, mon Honoré ? J’ai oublié mes lunettes. »
Toujours serviable, Suzanne se pencha sur le papier, mais fut bien en peine de comprendre les signes ésotériques de la commande d’Honoré.
« Ben quéque t’as donc, petiote, tu vois rien ?
Suzanne se prit à rougir et fila, honteuse dans l’arrière-boutique.
La cliente se tourna vers Sophie, qui distraite par un bruit inhabituel, n’avait pas suivi la scène.
« C’est-y qu’elle sait pas lire vot’ petiote, mais quel âge qu’elle a dont ? »
Le soir au souper, Sophie apostropha Baptiste :
« Non, mais tu te rends compte, on joue les marioles dans notre boutique, là, mais Suzanne, elle sait pas lire. Mais qu’est-ce dont qu’elle fait à l’école ? Faudrait bien qu’on se penche un peu plus sur son travail. C’est pas le tout qu’on l’habille et qu’on la nourrit bien, il faut qu’on s’occupe un peu de son éducation. Avec tous les livres qu’y a la maison, c’est quand même malheureux, qu’elle s’intéresse pas. »
Depuis ce jour, Sophie prenait sa Suzanne, sur ses genoux, la juchait sur le haut tabouret, et tous les soirs ânonnait les syllabes avec elle, dans l’espoir qu’elle déchiffre quelques mots. Mais la petite était rétive. Elle avait poussé comme une enfant sauvage, s’amusait avec les sous et les clous, les clochettes de la caisse et de la porte, mais tout ce qui ressemblait à des lettres imprimées, la faisait fuir. Ah ! Certes à huit ans, elle aurait pu sans problème couper et coller des lés de papiers peints, elle aurait pu réparer une chaise cassée, mais d’école, il ne fallait pas lui parler. Elle traînait toujours la godasse pour y aller, et les résultats témoignaient de ce désamour.
Une fin de matinée de février 29, à l’heure presque du déjeuner, elle rentra dans l’échoppe sans s’amuser avec la sonnette dont elle adorait pourtant le timbre – c’était son jeu –. Elle monta précipitamment l’escalier qui grimpait vers l’appartement, et à peine la porte refermée, s’affaissa sur le sofa en velours de la salle à manger.
Sophie l’avait vue passer comme une flèche à travers la boutique. Inquiète, elle héla Baptiste occupé à ranger une commande :
« T’as vu Suzanne ? Elle est passée sans un mot, c’est pas son genre. Tu t’occupes de la boutique, je vais monter voir.
Suzanne était étendue, presque inconsciente, pâle comme une opale, gémissant.
Sophie descendit quatre à quatre :
À la hâte, Baptiste coiffe sa casquette, mais ne prend même pas le temps de revêtir sa canadienne, pourtant bien nécessaire en cette période de l’année.
Puis se tournant vers les parents :
Mais qu’est-ce qui se passe Docteur ?
Isolée dans une cage en verre, après avoir encore marché comme une poupée mécanique devant une troupe de blouses blanches, au visage fermé et soucieux, Suzanne dans un demi-sommeil regardait son horizon limité par un plafond jauni.
Elle était entrée, là, petite fille dans toute la fraîcheur de ses huit ans et devenait, en quelques heures, une âme mûre et consciente de la condition humaine. Les mots des blouses blanches résonnaient en elle : « méningite », « pronostic vital engagé », « isolement absolu ». Et n’ayant d’autre distraction que de fixer cette haute vitre sale, elle se disait qu’elle allait sans doute mourir.
« Ça ne fait pas mal », se disait-elle pour se rassurer, mais ce confort était de courte durée : le spectre du néant la happait, lui donnait envie de hurler.
Les journées étaient longues dans sa cage en verre, sans autre visite que celles des médecins ou infirmières masqués, déguisés en scaphandriers, qui venaient la piquer dans le dos, ou lui faire avaler des cachets plus gros qu’un doigt.
Combien de jours s’écoulèrent ainsi ? Elle perdit la notion du temps.
Mais comme elle voyait encore la lumière à son réveil, l’ennui prit le pas sur la terreur du néant.
Et puis, un jour, un des plus beaux de sa vie, elle vit apparaître, le visage rond et doux de Sophie, derrière la porte en verre de sa cellule.
C’était fini, elle était guérie ! Un miracle, disait-on ! Une vraie force de vie ! Bravo Suzanne. Le personnel hospitalier se tenait debout et applaudissait à sa sortie d’hôpital.
29-39
Revenus d’un long couloir de cauchemars, Sophie et Baptiste s’ingénièrent à trouver occupations, petits plats savoureux, jeux pour satisfaire ses éventuels désirs et saluer son retour. Sophie avait fait en sorte que sa convalescence soit douillette et sans aucune contrariété.
Quelle ne fut pas leur surprise, quand Suzanne leur annonça, qu’elle ne voulait pas de ces attentions ridicules et gênantes. Il était grand temps pour elle de se mettre sur les rails de sa vie.
« J’ai assez perdu de temps. Je veux aller à l’école. Tout ira bien, vous verrez. »
Jamais, elle n’aurait osé leur dire que quand la mort vient vous narguer, vous chatouiller le menton, et que quand, par bonheur, elle rate son coup, on en sort avec un rage de vivre et de vaincre. Ils n’auraient sans doute pas trop bien compris que la Suzanne d’après Bretonneau, n’était plus la petiote aux herbes folles.
Cette méningite, outre qu’elle lui avait assombri un peu le cerveau, lui avait aussi « mis du plomb dans la tête » pour reprendre l’expression de son père.
Dès lors, Suzanne poussa vite et droit. Certes, si elle ne put rattraper le retard pris par son désintérêt puis par sa maladie, il fut vite oublié, largement compensé par le chemin d’excellence qu’elle parcourut par la suite. En peu de temps, elle rafla tous les lauriers. On eut l’impression même que le tabouret de la patronne était monté d’un cran. C’est qu’elle était fière la Sophie ! Et à chaque nouvelle récompense, Baptiste trouvait l’occasion de se rincer le gosier avec un petit ballon.
Si bien qu’après sa brillante réussite au Certificat d’Études, la maîtresse avait convoqué ses parents pour les convaincre, s’il en était besoin, d’aider Suzanne à poursuivre des études.
« Vous pensez bien que ça fait longtemps qu’on a renoncé à ce qu’elle prenne la suite de notre commerce. Depuis toute petite, elle veut faire maîtresse. Figurez-vous qu’elle en a martyrisé des poupées. Parfois, je l’entendais, en haut qui faisait la classe ; et je peux vous dire qu’elle ne se laissait pas faire. Même que son père, pour lui faire plaisir, avait repeint la porte de sa chambre en noir pour en faire un tableau. Fallait pas trop regarder à la propreté, je vous jure. Pour tout vous dire, à ce moment-là, elle jouait les maîtresses, mais il n’était pas question qu’elle se fatigue à apprendre. Elle imposait à ses poupées des contraintes qu’elle ne voulait surtout pas s’infliger. Allez comprendre !
Donc, bien sûr qu’elle va faire des études ; ça a toujours été notre projet : qu’elle soit mieux que nous. Mais franchement, on n’y croyait pas trop parce qu’elle a eu du mal à démarrer, on se faisait du souci. Et puis il y a eu cette méningite…
Et Sophie était partie dans le récit de l’enfance de sa fille. La maîtresse l’interrompit :
Sophie se promit intérieurement d’apprendre cette phrase de ce monsieur qui pourtant ne lui disait rien.
Et depuis ce jour, les clients ne virent plus la petiote, que les jours de vacances. Après avoir fait claironner la sonnette de la vitrine, après un rapide baiser à la reine perchée, un point à l’endroit un point à l’envers, elle montait quatre à quatre l’escalier redoutablement raide (« Un de ces jours, on va bien se démonter le squelette », maugréait Sophie, régulièrement), et s’attablait sous la lampe chiche de sa petite chambre à fleurs passées, puis s’enfilait les participes passés avec avoir, la reproduction du fucus vésiculeux et les équations à deux inconnues.
Pendant ce temps, Sophie s’arrondissait derrière son lourd comptoir en chêne, vendait des clous et des pinceaux entre deux cliquetis d’aiguilles, et Baptiste s’occupait de plus en plus mollement du réassortiment, et de la boutique en général.
Rarement, il y avait quelque rugosité entre ces deux-là, mais depuis la grosse dépression de 30, les affaires marchaient clopin-clopant, alors Sophie se montait la tête contre son bonhomme : « Tu pourrais être plus présent, quand même ; en ce moment c’est difficile et puis y a les études de la petite. » Et lui, rétorquait qu’un jour, ils cueilleraient les fruits de sa lutte. Un argument qui ne convainquait pas la Sophie raisonnable qui comptait ses carottes dans une soupe sans lard.
L’invisibilité de Baptiste avait déjà commencé en décembre 1920 quand, à Tours, la SFIO avait fait scission. Il avait été un des premiers à grossir les rangs du tout jeune Parti communiste. Depuis ce jour, de passionné, il était devenu enragé. Jusqu’à grignoter l’espace vital de la famille, notamment, quand, il réunissait la cellule dans la cave missionnée, à l’origine pour les marteaux d’un autre genre que celui lié à la faucille.
Et puis, il y eut le conflit en Espagne : quand par chance, il partageait ses repas avec « ses femmes », le dimanche après la vente de l’huma, il soupirait dans sa moustache : « Je peux te dire que si j’avais pas ce commerce, et deux bouches à nourrir, ça fait longtemps que je serais parti me faire trouer la peau pour la bonne cause. Quand le gouvernement se dégonfle, il faut bien que les travailleurs se retroussent les manches. » Et pour se réconforter, il s’en jetait un petit dernier derrière la cravate. C’était une vie d’épreuves pour Sophie qui n’avait plus d’ongles. Combien de fois, elle frissonnait quand la chaise du Baptiste restait vide à l’heure où l’on dîne, chez les gens normaux. Tiens par exemple, ce jour de mars 37, quand les communistes et les socialistes du coin avaient organisé une contre-manifestation pour faire la nique à la droite du PSF, à Clichy : « Cinq manifestants de gauche tués par les forces de l’ordre » entendit-elle derrière la toile de sa lourde TSF. Le cliquetis des aiguilles du tricot et de l’horloge s’était arrêté. Sophie et Suzanne étaient là assises comme deux statues antiques, immobiles. Et puis, il est rentré. « Ne me fais plus jamais ça ! » s’écria Sophie à son retour. Une Sophie méconnaissable, elle dont tout le monde louait l’optimisme : « Faut pas se mettre la rate au court-bouillon, faut profiter de la vie », disait-elle, avant que son Baptiste lui fasse la misère.
Attaché à ses « deux femmes » et au désir de réussite de sa fille, le Baptiste finit par entendre la voix de la sienne. C’était l’été 39. Il s’annonçait clair et chaud et il tint ses promesses, enfin surtout d’un point de vue météorologique. Les Clément ne voulurent pas trop entendre les bruits de bottes qui annonçaient l’orage. Toute la famille, s’engouffra dans la petite Simca5 vert foncé, que Baptiste avait achetée d’occasion avec « ses clous ». Direction Ploërmel. Le voyage qui avait été si souvent reporté, moitié à cause de la résistance de Sophie qui atermoyait, moitié à cause de son « indispensable présence auprès des camarades », sortait enfin de la fiction.
Nous passerons sur les vacances en Bretagne, ne serait-ce que pour ne pas déplaire à Sophie qui vivait là les jours les plus ennuyeux de son année. Baptiste faisait le coq avec sa voiture, l’excellence de sa fille, la réussite de son commerce ; enfin, tous les prétextes étaient bons pour faire la tournée des bolées. Quant à son épouse, elle attendait la fin de ses virées erratiques, sur une chaise cannelée couverte de fientes, dans la basse-cour, entourée par les gloussements des poules et les odeurs de fumier.