Les égouts - Bertrand Louro - E-Book

Les égouts E-Book

Bertrand Louro

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Beschreibung

Le présent ouvrage nous entraîne dans un monde souterrain où se déversent, se mêlent et s’évaporent tous ces éléments que nous préférons ignorer à la surface de la Terre. Un brasier colossal plongeant dans les profondeurs obscures sans jamais éclairer quoi que ce soit. C’est une célébration du chaos, des griffes de la mélancolie et du baiser de l’enfer que nous incarnons et endurons. Cependant, il nous rassure que tout ira bien, ou peut-être pas, peut-être que tout sera simplement une chute vertigineuse. L’énigme du bonheur demeure insaisissable, impossible à décrypter.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Après avoir publié "Pertes noires" et "Du devenir", Bertrand Louro prend à nouveau la plume pour consacrer sa communion organique avec l’écriture. Cet ouvrage représente pour lui la rédemption nécessaire.

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Couverture

Page de titre

Bertrand Louro

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les égouts

Ça ira, t’en fais pas

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Bertrand Louro

ISBN : 979-10-422-3062-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les choses parfois ont un sens, un ordre. Pas toujours, mais parfois. Imaginez la personne que vous aimez vous donner une gifle puis partir. Finalement, elle fait marche arrière et revient vous embrasser. Si elle vous avait d’abord embrassé puis vous avait donné une claque et avait tourné les talons, bien que ces deux événements soient identiques, leur sens s’en trouve modifié. Vous avez ici la possibilité d’ordonner le sens à votre convenance. Il est possible de commencer par les égouts ou d’y finir. Le choix vous appartient. La liberté de l’élévation ou de la chute est vôtre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les mâchoires de Némée claqueront plusieurs fois

sur ton esprit.

C’est le tribut que le bien ou le mal doivent verser

pour suivre leur voie.

Les égouts

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les égouts

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La grande fatigue de l’existence n’est peut-être en somme que cet énorme mal qu’on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c’est-à-dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d’avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu’on nous a donné.

 

Louis-Ferdinand Céline

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces égouts vont dissoudre leurs horreurs à l’eau qu’ils retrouvent, rivières, fleuves, mers, océans. Rien n’est assez grand pour eux comme rien ne le semble pour moi, sans que mon indifférence ne les égale. Merci à tous ceux qui recueillent mes flots f en abreuvant mon brasier, qui me permettent d’échouer là où d’autres abandonnent. Un baiser ne suffit pas à rendre la beauté à ces fleuves de pourriture, à l’excrémentiel de la pensée qui se contorsionne et s’abîme, pour remonter et avoir encore le plaisir de s’échouer, encore et encore, indiscontinûment, comme la neige venue du nord, comme les références devenues obscures, d’hommes déjà morts.

 

 

 

 

 

 

Somnambulisme tétanique, affleurement des nerfs, comme si la tranquillité du rêve irritait le corps tout entier, entré dans une transe dont il serait prisonnier. Saccades, scansions, sauts et tremblements, l’apparat de l’angoisse qui se libère sans même avoir la clé. Du trouble à la possession, il n’y a qu’un pas, un tout petit pas aux bottes de plombs, venu écraser tous les crânes.

 

B.D. I

 

Je m’en vais m’échouer sur un comptoir que je ne connais pas, dont j’ai seulement entendu parler. D’ailleurs peut-être que j’y entendrai parler et que je parlerai, mais rien n’est moins sûr ici, non rien. Peut-être que tout dégénérera dans le vulgaire et la violence, pour la plus grande joie des bêtes enfermées. Mais la lourde honte du lendemain pèsera plus qu’une solitude sur mes épaules. Que rencontrerai-je, chargé de haine et de boisson ? Reverrai-je, dans ce hasard devenu cotonneux, d’anciennes connaissances ? Qu’importe, car je ne savoure plus qu’une chose, comme le dernier goût d’un poison, le retour à une solitude que ton absence ne rend que trop évidente.

 

B.D. II

 

Tout le circuit est foutu, nous rêvons atrocement à du meilleur, mais tout se désagrège, se corrompt. Le drame du tout où pourtant, il vient poindre une certaine gentillesse qui ne filtre pas jusqu’à moi. La poisseuse toile cirée, chantait Diapsiquir, elle me semble au-dessus de ma tête, comme un éternel ruisseau de cendres abreuvant mon horreur par tous les temps. Absurdement et indécisément, comme l’âpreté du monde. Le chemin pris sera celui qui mesure ton absence.

 

C.D.S. I

 

Comme un insecte attiré par les flammes, avec la peur de la brûlure, ou un jardin aux belles plantes à n’en plus finir, plein de l’angoisse des carnivores. L’attrait des nuages noirs, la peur de l’orage, l’impasse du coup d’éclat. La beauté de la foudre et la peur renouvelée de la brûlure. Entre la peur du désir et le désir de la peur, ce ne sont que des hésitations de cœurs fragiles, de vies fragiles, que les passions ne cessent de bousculer jusqu’à la poussière et l’aridité.

 

T.D.C. I

 

Toutes ces angoisses, terribles, intrépides, laissent à chaque recoin de tous les abreuvoirs de mon brasier, leurs traces, indélébiles pour moi seul. Il a fallu Paris, il m’a fallu tes lèvres, pour retrouver ce flux perdu d’ordures, ces horreurs qu’il fallait que j’excrète. Oh, ne croit pas qu’elles t’effleurent, mais c’est la magnificence même qui les fait rejaillir, le retour au foyer qui fait fuir l’étranger pourtant si proche et si connu.

 

T.D.C. II

 

Le rêve et la mélancolie se disputent l’âme alors que tes maigres apparitions ne suffisent pas à me détourner de la perte que je veux la plus amère. Je m’apaise momentanément par des contemplations de biches mythologiques que je me plais à voir s’enfuir. L’amphigourisme de la vie, vécu comme perspective nervalienne, un complexe du homard qui n’est pas celui qu’on croit, où tout finit par un suicide ou autre chose.

 

K.L. I

 

Un éclat dans la violence, une éruption terrible d’une montagne aux vallées charmantes que l’on croyait inoffensive. La passion du passé sans la nostalgie et l’horreur du monde qui ne comprend pas, sans compromis. C’est étrange que le temps me retienne loin de la tiédeur de mes habitudes, proche de tant de choses à fuir.

 

K.L. II

 

Dans le crépuscule gris cent fois occis de ces lieux trop connus et pourtant cent fois redécouverts, luit ton sourire comme la dernière ombre carnassière, celle à laquelle me raccrocher. Mais qu’est-ce qui m’enserre sans que tu ne me touches ? Si plein de méprises et de rancœurs, tout me devient doute et la vision même du monde, me devient pénible, absolument.

 

C.D.S. II

 

Aux coutures de ma pauvre existence, en lambeaux de tant de manières qu’elle paraît impossible à rapiécer. Je t’aperçois au liseré de cette vie, douce apparition sur la fragile flanelle qui me sépare de la folie. Dans la fureur des jours causant tant d’accrocs, chacun de tes charmants baisers est un ourlet à mon cœur, comme chacune de tes étreintes, la broderie rendant la vie aux étoffes mortes.

 

C.D.S. III

 

Les jours mauvais, de tremblements, reviennent en un cortège lent et souffreteux, grinçant comme l’agonie, couvrant, étouffant dans des aigreurs infanticides le monde entier.

 

C.D.S. IV

 

Tout se délite, je le vois bien, dans la noirceur des jours où je ne trouve plus rien à aimer. Tout se désagrège horriblement, comme si rien ne pouvait tenir, tout n’était que pacotille face au triste brouet de l’habitude, pourtant si rassurant. Alors voilà il n’y a rien, plus rien, à jamais, comme le dernier couvercle d’un tombeau refermé sur les maigres espoirs qui pensaient s’ébattre au dehors.

 

C.D.S. V

 

Les nouveaux rayons du soleil retrouvé s’écroulent sombrement sur ces journées chaudes, où ne manque que la parole aux chemins suffoqués que les promeneurs n’empruntent plus. Les cieux édentés de leurs nuages ne laissent que peu de place à l’imagination, pour que je puisse y retrouver ton image.

 

C.D.S. VI

 

Elles marchent doucement, ces ombres que j’imagine, presque lénifiantes. Pourtant, elles sont terribles, car je sais qu’elles attendent, blessant mon angoisse, de s’ériger en muraille autour de moi et m’enterrer pour de bon.

 

 

C.D.S. VII

 

Tu la vois la misère, c’est celle que tu me lègues, dans ton silence et ton absence, dans l’horreur absurde de ta présence à mes côtés jusqu’à l’impossibilité d’apercevoir, d’entendre de toi, même un écho. Mais comme il chantait si bien : « Tout ce que t’aimes bien, c’est que dans ta tête. »

 

C.D.S. VIII

 

Quand la vie bascule, comme un verre renversé par inadvertance, un couteau sectionnant un doigt, du white spirit confondu avec de l’eau. Comme un silence tendu, en toile de fond, de cinéma, sur laquelle se projettent toutes les démences et toutes les craintes, que l’on ne sait plus rompre. Même une pleine lune matinale, accrochée à l’aube d’un ciel parme, ne parvient pas à apaiser une seconde de ce festival à coups de marteau, ce broyeur de pensées, improvisé monstre le temps d’une parade costumée sur l’écran de l’angoisse. Mais il peuple le vide, l’empêche de se rapprocher, d’effrayer, de me laisser vraiment seul, seul, seul avec ton parfum que les draps ont la chance de ne pas quitter, pleins de la méchanceté, de la nostalgie et du bonheur du souvenir.

 

C.D.S. IX

 

Ce sera difficile de se dégager de mes crocs, difficile aussi, d’oublier la morsure, d’oublier que je t’aime sans te le dire, juste en te regardant, longuement, comme on contemple avec la surprise d’un explorateur, un trésor, sans savoir comment il est arrivé là. Mais je sais bien qu’on ne peut que voir que je suis plein de haine et de ressentiment contre le monde entier et ceux qui le peuplent. Pardonne-moi comme « nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », du moins sur le papier. Je suis un exalté que vous n’arracherez jamais à la vie, car il faudrait que j’y sois enraciné.

 

C.D.S. X

 

Se défaire, s’alléger, c’est toujours de la défaite, l’ascension céleste c’est faillir. La victoire ne tolère que la superposition des poids, tout entraîner, absolument tout avec soi, jusqu’à sombrer. La descente, totale, souterraine, voilà ce qu’il faut pour enfin retrouver cette lumière à la bouche pleine de terre.

 

C.D.S. XI

 

Tends-moi des toiles, sinistre araignée, que je puisse m’y accrocher, que je puisse y mourir et oublier toute ma vie en croyant, en soupirant, que je suis aimé.

 

C.D.S. XII

 

Tu vois combien tout est mort, combien rien ne vaut le coup, combien tout est absent. L’humour n’est plus qu’une amère torture après ces journées à se foutre en l’air.

 

C.D.S. XIII

 

C’était un onze septembre, je m’en rappelle encore, comment oublier un attentat, un embrasement de lèvres à lèvres, dont on voudrait ne jamais se passer. Mais le propre de l’attentat, c’est le vide qu’il laisse ensuite, la misère du vide. Tout est cycle, paraît-il, mais après avoir brisé l’axe, de folie et de tristesse, tout s’emballe. Plus rien ne ressemble à rien et même l’oubli prend des formes absolument tordues et insoupçonnables. Je me brûle à tout dans l’espoir de disparaître, mais je ne réussis qu’à m’altérer. Retrouve-moi avant l’ombre définitive qui fera, refera de moi, un monstre.

 

C.D.S. XIV

 

Tout s’oublie, absolument tout, comme un grand carnage incendiaire, brûlant jusqu’à la terre cérébrale qui portait ces souvenirs. Adieu, adieu à tout et rien puisqu’il est si facile de les confondre, j’allais m’accrocher à ton cœur et j’ai dérivé plus loin que lui. Partage mon oubli et érige une tombe à celui qui devient chaque jour un peu plus inconnu, de lui et des autres, juste avant la noyade.

 

C.D.S. XV

 

Des coups de poing, dans tout et n’importe quoi, juste un peu d’exaltation, un peu d’adrénaline que je ne retrouvais que dans ta chaleur qui, aujourd’hui, me semble si loin, si inaccessible. Alors oui, la violence, voilà qui devient merveilleux, comme un verre brisé, tranchant l’air comme une peau à jamais exsangue. Et la tienne de peau, mes mains la retrouveront-elle ? Seront-ce même encore mes mains lorsque tu reviendras ? Qui sait ? Chaque verre me rapproche de toi comme chaque lendemain dans tes silences me détache. Mon père m’a toujours dit qu’on boit pour se souvenir, alors moi, moi je me souviens de toi, en espérant que je t’aime plus que la souffrance qui construit phrase après phrase toutes ces fulgurances ineptes. Car oui, même ce que j’écris me semble insignifiant, ridicule, mais il me faut continuer, car je sais que si j’arrête, ce sera la fin. Une fin qui ne voudra rien dire.

 

C.D.S. XVI

 

Tout passe si vite que la vie en devient un cauchemar, je ne suis plus capable de suivre, alors que reste-t-il à faire ? Plus les questions s’amoncellent, moins je suis capable d’y répondre. Memento mori, le plus vite possible, s’il vous plaît. Que tout s’achève enfin. Laisser un cadavre sans intérêt, dans un monde sans intérêt pour lequel sans le vouloir, j’éprouvais une sorte d’intérêt.

 

C.D.S. XVII

 

Effondré par-dessus le monde, un pantin désarticulé par-dessus la scène, un couteau dans chaque main. Les yeux suintent la mort, vomissent avec la bouche, en cœur, l’inanité formidable de notre humanité. L’effondrement se transforme en guerre, réarme les mécanismes de défense et les mains laissées vides, apprêtées à la caresse. Les poings tremblent, mais peut-être que nous n’avons plus rien à nous dire, pas même à espérer.

 

C.D.S. XVIII

 

Les rides, le temps qui passe, l’insoumission chronique de la mort et la peur, la peur devant la bouteille de détergent à avaler d’un coup. Se noyer dans le chimique puis éclore en fleur sanglante, magnifique de violence interne. Je la vois grimper haut jusqu’au plafond, rougeoyer sur le blanc en dernier rubis.

 

C.D.S. XIX

 

Belle névrose incandescente, dernière gerbe sur des enlacements que l’on croyait éternels, que je croyais éternels. Mais rien ne l’est, la déliquescence est partout, jusque dans les plus petites fissures, laissées pour invisibles. Tu me manques et je ne te le dirai plus, plus jamais, je te laisserai venir à moi, comme une ultime offrande à mon corps que déjà, je considère comme mort.

 

C.D.S. XX

 

Quand tout devient flou, que la vie part, sans prétention, avec la discrétion d’une misère cachée. Comment savoir s’il est temps de partir ou de rester ? L’âpreté des hommes nous sauve comme la douceur des femmes nous perd.

 

C.D.S. XXI

 

Voilà la nuit, voilà l’enfer, amenuisé doucement par l’humanité et l’alcool. Tu ne me manques plus, c’est un doux mensonge qu’à cette heure je crois, sans la prétention terrible de la réflexion, jetée aux oubliettes sous la lueur placide des lampadaires.

 

C.D.S. XXII

 

Merci pour cet air, les amis, de me faire oublier la mort que je me prépare et l’amour que je ne veux plus poursuivre. Merci de me permettre de m’échouer, de me foutre métaphoriquement en l’air pour me soulager.

 

C.D.S. XXIII

 

Moi tu sais, je ne suis que du désordre et je ne sais vivre que là-dedans. Comme un lapin dans sa cage. Alors toi qui crois me perdre si facilement à ton absence, tu peux toujours attendre que je me plie davantage que je ne l’ai fait. Car, si je suis indigne de beaucoup de choses, j’essaie tout de même d’être digne de moi-même. Il ne me reste que ce moment, dans le miroir du bar, où je me pointe du doigt et je me dis à voix haute : « on va crever ».

 

C.D.S. XXIV

 

Des phrases cercueil, dont les mots sont des clous martelés au rythme d’un requiem. Je ne fais plus que ça, de plus en plus vite, comme une chute, la chute, terrible et inéluctable. Je m’y dissous, terriblement, tristement, dans le délire le plus total.

 

C.D.S. XXV

 

De la folie, de la misère, de l’absence, tout est bon pour désosser la vie et lui faire regretter de s’être incarnée en moi comme en tant d’autres. Délaissé par tout et rien, dans ma tête comme dans la stupidité creuse des jours.

 

C.D.S. XXVI

 

Penser aux morts, on ne sait plus faire que ça. Même moi je n’y pense pas tant que cette époque ravagée, presque autant que moi. Les villes mortes de mon cœur, désertées, ne me font plus grand-chose finalement et, la citadelle enflammée que tu laisses, s’éteint elle aussi, sans dépareiller des autres. Parfois pourtant, je me demande si tu n’es pas tombée, malgré les apparences, d’un hypothétique ciel dans mon enfer, juste pour me rappeler par ton absence que personne ne devrait vivre ici. En fin de compte, je crois qu’on s’aime toujours trop tard, au milieu des ruines, elles m’aiment trop tard, quand déjà, je ne suis plus qu’un noyé. Et moi, je les aime trop tôt ou encore plus tard qu’elles.

 

C.D.S. XXVII

 

La folie, voilà bien un étrange refuge pour des âmes qui ne savent plus et des cœurs fatigués de vivre. Prodige et malheur du cerveau, je m’y sens happé, les mâchoires ont claqué sur mon corps et m’entraînent vers ce que je croyais insondable. Il n’y a pas de lumière ici, si ce n’est dans les larmes, dans l’absurde de la claustration que s’impose l’esprit, comme un retour aux sources de l’angoisse.

 

C.D.S. XXVIII

 

Venir, ça ne devrait pas avoir de nom, juste exister et permettre de se retrouver. Parfois, les gens nous sauvent, entre deux bassesses, deux humanités. Je reste persuadé pourtant que les gens sont plus maladroits que méchants, plus conditionnés qu’horribles. Alors, dans tout ça, les lamentations pendent comme des chaînes, prêtes à étrangler tous les passants.

 

C.D.S. XXIX

 

La candeur à quelque chose de percutant confrontée aux visions âpres et sans pitié du monde. Dans les grands combats vains et les petites vendettas mesquines qui s’ourlent des plis des grandes luttes. Ces dernières sont devenues des obsessions, niveler, confondre, l’égalité érigée en fascisme.

 

 

 

C.D.S. XXX

 

Redonne-moi ton rire et les éclats qui en déclinent. Pour que je puisse me les planter dans le cœur et ne jamais plus t’oublier aussi facilement que je le fais.

 

C.D.S. XXXI

 

Je t’ai donné tant de mes spectres pour te nourrir qu’il ne me reste rien, et à toi, c’est comme s’il ne t’en restait rien. Dans le cachot du jour, les raclements de vie ont un écho qui les accompagne. Je vois bien que je tremble de plus en plus, mais qu’y faire ? L’aridité de ma pensée me contraint à l’imbiber pour la rendre plus malléable et retrouver les mots. Retrouver le sacré, minutieusement, comme un archéologue. Mais pour en faire quoi au final ? L’immoler sur quel autel ? Ça n’a que peu d’importance, vouloir retrouver, quoique ce soit, voilà qui est sacré, le repli sur soi afin de retrouver ce à quoi il est possible d’éviter le péril du naufrage. Sauver toujours in extremis, dans des flamboyances tragédiennes créées de toutes pièces.

 

C.D.S. XXXII

 

Aujourd’hui je sens les nuages sur mes épaules, menaçants, étouffants et pleins de mots que j’écris encore et encore, car les égouts après tout, c’est la répétition de l’abominable, du glauque, de l’impur. La grande corruption ramenée à son plus simple appareil, la déglutition souterraine de l’ordure. Ça va continuer, tu verras, se répéter, peut-être même s’amplifier ou se détruire.

 

 

 

C.D.S. XXXIII

 

Le déchet que je deviens est excrété de la même manière que j’écris, voilà pourquoi tout se recoupe, tout est si limpide dans les eaux de l’égout. Cependant, je présume de mes forces. L’extrême me manque parce qu’il m’est semblable.

 

C.D.S. XXXIV

 

Chaque altération, chaque petit changement, aussi moindre soit-il, résonne dans mon corps comme le tocsin glaçant annonçant une invasion de morts. Mais ce n’est que de la poésie, ce n’est que ça. Vous qui m’êtes revenue sans l’être, aiguisée sur tous les tranchants, comment vous en vouloir ? Je laisse au courant d’une rivière onirique, dériver le peu d’espoir que vous me donnâtes jadis. Alors, combien de temps comptez-vous me rester une inconnue ? Nous avions tant à nous dire pourtant, mais tout se perd en stagnation, en fuites et pas en arrière. Je serai, si vous le choisissez et comme je semble déjà l’être, l’oreiller de votre malheur, la petite consolation sollicitée lorsque le cœur nous en dit. De votre besoin de tendresse, vous laisserez grandir le mien de mort et peut-être qu’un jour, dans des lignes à venir, je pourrai à nouveau vous dire « tu ».

 

C.D.S. XXXV

 

Le cœur, toujours plus lourd, me rattrape dans ma chute et se replace systématiquement dans ma poitrine, pour y battre sourdement, avec des rythmes de défunt. Attendant à n’en pas douter que tu le sèmes avec moi dans la nuit. À n’en pas douter, tout est terminé. Buvons au dernier, à l’ultime affront, qui signifie à lui seul que tout est terminé.

 

L.P.B. I

 

Ultime naufrage dans le bruit, j’ai tout quitté pour le néant, bien plus vital qu’il n’y paraît à côté de personnages confits dans l’intelligence. Ne reste que les grincements sourds, terribles, ressemblant à ma vie. Laissez-moi vous haïr puisque je ne puis vous aimer.

 

L.P.B. II

 

Finalement, seul, on l’est toujours. Dans les imbéciles espoirs que l’on se forge, le peu de beau qui nous reste se meurt puis c’est terminé. Dans les effluves alcoolisés, on se permet des « plus rien », « plus jamais », que l’on efface au premier battement de cœur plus rapide que les autres. Par chance, la haine reprend le dessus, elle reprend ses droits dans la chance qu’elle a de pouvoir tout détester.

 

L.P.B. III

 

Créer au lieu de tout détruire, alors que chaque pore y pense, c’est aussi étrange que convenu. Parce que tout le devient, toutes les bassesses finissent par tout justifier et moi, je ne veux pas en convenir.

 

L.P.B. IV

 

Les eaux troubles de la Seine offrent l’horreur de leur tourbe en même temps que de pieux souvenirs. Mais je n’arrive pas ici, pas encore, à formuler ce naufrage dans les égouts, bien trop atroce pour figurer même sur le papier. Je vous laisse à votre vie comme je me laisse à mon malheur. Allez ! Alea Jacta Est.

 

L.P.B. V

 

Je ne suis qu’un des vastes monstres de la collectivité. Indénombrable, inqualifiable. Une horreur de plus produite par la société. Merci de m’avoir rappelé à ce que je représente de plus abject, de plus vil et de plus dénué d’espoir.

 

L.P.B. VI

 

Voilà le seul lien qui me maintenait à la raison rompu, adieu le monde, tant mieux, adieu la vie et ses turpitudes, tant pis. L’égout m’emporte, le plus loin possible.

 

T.D.C. III

 

Les nuages ressemblent à de grands incendies gris. Hier, j’ai entendu les chaînes, celles qu’il ne faut jamais entendre, qu’il ne fallait plus jamais entendre. Dans ma nuit, vous ne serez plus jamais en sécurité, les monstres y sont libres, de la liberté des horreurs qui sillonnent la réalité. Je ne suis plus à ma place nulle part dans ce monde comme vous ne l’êtes plus dans ma tête. Car le monde est désolant, comme vous le fûtes et comme je le suis certainement, à écrire sur les comptoirs ces égouts insalubres, au milieu des discours avinés, sans suite, et des fulgurances molles des habitués.

 

T.D.C. IV

 

Les bestioles le long du mur, me rappellent que tout ça n’était qu’un rêve. Que tout ça ne pouvait aboutir sur autre chose qu’un cauchemar dont j’ai le secret. Les secrets viennent toujours tout gâcher, alors j’en emporte plein ; gardez-moi quelques-unes de vos fêtes. Se défouler et se défoncer, c’est si proche de la vie et en même temps si éloigné.

 

T.D.C. V

 

Tout se dissout sous la pluie, même nous, enfin, certains, ceux qui sont déjà dévorés, ceux qui sont en sucre comme moi. Là-haut, tout se meut comme une membrane opaque où la lumière se permet encore de figurer, évitant à la voûte céleste de redevenir un couvercle baudelairien comme elle sait si bien le faire. J’avais de si beaux mots à vous consacrer et aujourd’hui, comme le couvercle que le ciel ne devient pas, ils me désolent. Comme vous voyez, comme vous pouvez le lire puisque vous vous êtes aventurée ici, toutes nos trahisons sont gravées dans le papier.

 

T.D.C. VI

 

Tout s’incube ici dans l’impatience des verres. Dans la morosité du monde et de la vie. Adieu, adieu, ma Cassandre, je ne vous crois plus.

 

C.D.S. XXXVI

 

Société de fossoyeurs où tout se peuple de souvenirs pour oublier ceux qui vivent. Comment faire autrement dans la douleur ? J’espère seulement que ma mémoire ne te salisse pas. Les rigueurs du monde me deviennent trop rudes, trop insupportables, comme je lui deviens insupportable, semble-t-il. Alors vous, pensez-vous qu’il reste de la place au milieu de tout ceci pour vous ? Je n’ai pas assez bu pour vous dire oui.

 

 

C.D.S. XXXVII

 

L’art, écrivait Muray, est une annulation de l’innocence. Alors je suis coupable et tu es coupable. À n’en pas douter. Mais je sais aussi que tout ceci, aussi loin que ça puisse se terminer, se terminera inévitablement, car je te rappellerai toujours, par ma seule présence, ce que tu as fui et enfoui. Ou alors, dans ce meilleur des mondes, je serai celui qui a bercé tes chagrins, apaisé tes angoisses et tu m’en sauras gré au point de continuer nos jours ensemble. Mais je ne suis pas du genre à croire ces contes pour enfants lorsque, comme tu l’as si bien dit, nous ne nous devons rien. Comment lier nos destins de lames et de misère avec ce tout petit fil de soie qui nous relie à peine, qui n’est pas même une charmante entrave ?

 

C.D.S. XXXVIII

 

La monotonie martiale des secondes ajoute à l’atrocité de l’impuissance jointe aux feuilles de l’automne naissant. Ce début d’octobre permet à peine de sangloter dans son propre vide, dans son propre verre, comme un imbécile qui ne se retrouve pas. Qui préfère peut-être se perdre, par facilité ou par stupidité. Car la fin est toujours stupide et elle se rapproche.

 

C.D.S. XXXIX

 

Les cris qui rebondissent contre les rideaux métalliques, les jeux d’enfants contre le sinistre de l’existence, la douce hébétude de la vie qui se change en couperet. La vie est si misérable qu’elle pourrait se passer les mains jointes. Mais je n’ai que des envies de poings fermés, de fracas, de violence aussi misérable et vaine que tout le reste. La déchéance que tous ont peur d’approcher, celle qui se passe tous les jours aux comptoirs, celle pleine d’accoutumance dont les fumées de l’esprit sont celles annonçant la destruction. C’est si long de se détruire avec la douceur de la consolation.

 

C.D.S. XL

 

Il faut que je relise de temps en temps, la misère nébuleuse d’autres auteurs, bien meilleurs que moi, pour apaiser la mienne. Et toi, c’est vrai que tu es là toi aussi, tu es mon rien comme je suis ton rien, tendrement, de la tendresse des gens qui ne savent plus comment vivre la vie, qui ne reconnaissent que l’enfer sans se rappeler du reste. Nous allons d’une tragédie à une autre, sans savoir comment arrimer convenablement notre embarcation.

 

C.D.S. XLI

 

C’est presque beau l’abandon, mais en fin de compte, pas autant que le lâcher-prise. On aime la chute, on ne peut que l’aimer avant d’avoir mal, avant que tout ne soit fini. Comme un couteau dans la gorge.

 

C.D.S. XLII

 

« Et dans ma sombre cavalcade » comme chantait l’autre exilé, je me rends bien compte que je suis perdu dans le monde, neurasthénie empilée sur des névroses et bien d’autres choses encore. Je me noie dans d’interminables lueurs sans jamais trouver de lumière et, lorsque par mégarde j’en rencontre une, je ne parviens pas à rester auprès d’elle. Je la quitte toujours, incapable d’y supporter mon image et ma misère éclairée, comme enluminée de tous ses détails sordides.

 

C.D.S. XLIII

 

Quand arrive ce moment des regards lointains, à quoi pensent-ils les rêveurs ? C’est plus beau de l’imaginer que de le savoir. Comme la perdition est plus belle, plus romantique, que ce vers quoi elle tend. Tout est si beau dans la dérive, la morsure magnifique, encourageante, de l’inconnu. Se consumer dans la douceur de la brûlure puis se faner amoureusement, dans l’âcre de la fumée. Disparaître enfin, dans la beauté crue du désespoir, dans le dernier frisson de ce qu’on voudrait cacher comme une plaie.

 

C.D.S. XLIV

 

Est-il possible que les cloaques que nous entretenons soient au-dessus des conventions ? Au-dessus des lois ? Comment savoir ? Vive la mort ! Vive la décadence ! Une seule chose est sûre, nous ne sommes rien.

 

C.D.S. XLV

 

Je me nourris de vibrations électriques et éthyliques en attendant les tiennes. Car tous ces verres te font ressembler au salut que je sais que tu n’es pas.

 

C.D.S. XLVI

 

La misère des autres me fait davantage pleurer que la mienne. C’est terrible de se comparer et de ne pas pouvoir pleurer juste pour soi.

 

 

C.D.S. XLVII

 

Les dés sur le plateau, ça se termine, si ce n’est toujours, du moins souvent comme ça, dans la franche camaraderie que l’on tarife pour la forme, pour donner un petit intérêt au jeu. Moi, je n’ai que mes égouts à écrire, à fournir en déchets, reliques et phrases vouées à l’écoulement puis à la disparition. Tout est si gris qu’il me tarde de finir mon verre, de retourner pleurer sur les terreurs que je garde, pour l’occasion, dans ma tanière.

 

C.D.S. XLVIII

 

La terreur reprend ses droits, le verre est vide, du même vide dont palpite à présent ma vie. Surchargée pourtant de musiques et de livres, derniers palliatifs à la folie qu’ils entretiennent pourtant.

 

C.D.S. XLIX

 

Les effluves magiques d’un rituel auquel tu étais étrangère tout en y participant, sans le savoir, ne pouvaient t’apporter que frustrations et incompréhensions à chaque interruption.

 

C.D.S. L

 

De l’étoffe du vide et de l’anéantissement, je me fais des suaires qui me vont si bien. J’en viens à douter de la vie même, paré comme un christ qui n’a rien pour lui. Je ne suis qu’une insupportable clameur que peu d’oreilles peuvent supporter.

 

 

 

T.D.C. VII

 

Les étoiles, quand elles ne vont pas bien, elles se réfugient dans vos bras, elles blessent de leurs branches et coupent de leur éclat, sans vraiment faire attention, juste pour se réchauffer un peu du grand vide qu’il y a là-haut. Il ne faut pas trop s’attacher d’ailleurs, car quand elles retournent dans leur ciel, bien réchauffées de tendresse et de sang, on peut bien hurler ou dévaster ce qu’on veut, s’y accrocher avec la force de mille hommes, elles restent fixes, figées, comme si nous ne les avions jamais connues.

 

T.D.C. VIII